Sommaire

Présidence de Mme Catherine Troendlé

Secrétaires :

MM. Guy-Dominique Kennel, Victorin Lurel.

1. Procès-verbal

2. Remplacement d’une sénatrice

3. Nouvelle ère de la décentralisation. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution

M. Daniel Chasseing

Mme Françoise Gatel

M. Philippe Pemezec

M. Jérôme Durain

M. Jean-Claude Requier

M. Didier Rambaud

M. Jean Louis Masson

M. Pascal Savoldelli

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Didier Marie

M. Stéphane Piednoir

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Clôture de la discussion générale.

M. Patrick Kanner

Mme Jacqueline Gourault, ministre

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de résolution.

4. Création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19. – Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi

Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l’épidémie de covid-19

Mme Jocelyne Guidez

Mme Catherine Deroche

Mme Véronique Guillotin

M. Martin Lévrier

Mme Michelle Gréaume

M. Daniel Chasseing

Mme Michelle Meunier

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 de M. Yves Daudigny. – Rejet.

Rejet de l’article

Articles 2 à 6 – Rejet.

Article 7

Amendement n° 2 de M. Yves Daudigny. – Rejet.

Amendement n° 3 de M. Yves Daudigny. – Rejet.

Rejet de l’article.

Article 8 – Rejet.

Article 9

M. Bernard Jomier

Mme Victoire Jasmin

Rejet, par scrutin public n° 126, de l’article.

Article 10 – Devenu sans objet.

Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi, dans le texte de la commission, n’est pas adoptée.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

5. Décès d’un ancien sénateur

6. Exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Franck Riester, ministre de la culture

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture

Mme Sylvie Robert

Mme Mireille Jouve

M. André Gattolin

Mme Christine Herzog

Mme Céline Brulin

Mme Colette Mélot

Mme Dominique Vérien

Mme Céline Boulay-Espéronnier

Mme Catherine Deroche

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 5 rectifié du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 2 – Adoption.

Article 3

Amendement n° 3 rectifié du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 4 du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 4

Amendement n° 1 de Mme Sylvie Robert. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles 4 bis (nouveau) et 5 – Adoption.

Article 6 (suppression maintenue)

Articles 7 et 8 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture

Mme Michelle Meunier

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

7. Communication relative à une commission mixte paritaire

8. Statut de citoyen sauveteur. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois

M. Jean-Luc Fichet

M. Ronan Dantec

M. Didier Rambaud

Mme Éliane Assassi

M. Jérôme Bignon

M. Loïc Hervé

Mme Catherine Deroche

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er, 2, 4, 6, 9 et 12 bis – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

9. Candidature à une délégation sénatoriale

10. Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers ? – Débat sur un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux entreprises

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises

M. Michel Canevet, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

Débat interactif

M. Joël Labbé ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Joël Labbé.

M. Julien Bargeton ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

Mme Céline Brulin ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Jérôme Bignon ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Jérôme Bignon.

M. Michel Canevet ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Michel Canevet.

Mme Catherine Deroche ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; Mme Catherine Deroche.

M. Jean-Louis Tourenne ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Jean-Louis Tourenne.

M. Michel Canevet ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Michel Canevet.

Mme Pascale Gruny ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; Mme Pascale Gruny.

M. Jacques Bigot ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Jacques Bigot.

Mme Laure Darcos ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

Mme Victoire Jasmin ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Stéphane Piednoir ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Marc Laménie ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Marc Laménie.

M. Vincent Segouin ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Vincent Segouin.

Conclusion du débat

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises

11. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale

compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Secrétaires :

M. Guy-Dominique Kennel,

M. Victorin Lurel.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Remplacement d’une sénatrice

Mme la présidente. En application des articles L.O. 151 et L.O. 297 du code électoral, M. le président du Sénat a pris acte de la fin de plein droit, à compter du 24 juin à minuit, du mandat de sénatrice de la Sarthe de Mme Nadine Grelet-Certenais.

En application de l’article L.O. 320 du code électoral, elle est remplacée par M. Christophe Chaudun, dont le mandat a commencé aujourd’hui à zéro heure.

3

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation
Discussion générale (suite)

Nouvelle ère de la décentralisation

Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, l’examen de la proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Éric Kerrouche et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 515).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution. Ce dimanche aura lieu le second tour des élections municipales, aboutissement d’une compétition électorale où s’affrontent idées et visions.

Le premier tour a d’ores et déjà démontré que les formations jugées obsolètes en 2017 ne le sont pas tant que cela : elles peuvent en remontrer à des organisations plus jeunes, réduites pour l’heure au rôle de simple figurant territorial.

Si ce scrutin se déroule dans des conditions extraordinaires, il est malgré tout l’une de ces respirations qui font se régénérer notre démocratie locale à échéances régulières ; mentionner cette régularité n’est pas innocent en cette saison d’innovation calendaire…

Toutefois, quelle portée aurait cette élection, à laquelle les Français sont tant attachés, sans l’acte fondateur de 1982, cette onde de choc qui s’est diffusée sur notre organisation institutionnelle ? Elle n’aurait pas le même sens, ni le vote de millions de citoyens la même valeur démocratique.

« La décentralisation est la grande affaire d’un gouvernement de gauche et le maître mot d’une expérience de progrès », déclarait François Mitterrand en 1977. Elle allait être l’une de ses 110 propositions, la 54e, dans le sillage de propositions de loi déposées par les socialistes dans les années 1970. Elle donna lieu à la première loi examinée par le conseil des ministres, en juillet 1981.

L’année suivante, le Président François Mitterrand affirma que la décentralisation était « la plus grande réforme institutionnelle dans l’équilibre de la France depuis le début du siècle ». Pierre Mauroy l’avait défendue pour libérer une « France asphyxiée par le centralisme », promettant aux Français une « nouvelle citoyenneté » faite d’une plus grande participation.

Cette grande affaire du septennat n’eut que peu d’écho dans l’opinion publique ; mais, dans l’hémicycle, la bataille fut beaucoup plus âpre, avec pas moins de 5 000 amendements de l’opposition de droite.

Bref, la loi Defferre, la bien nommée loi « Droits et libertés », fut une véritable bouffée d’oxygène démocratique et l’amorce d’une période de modernisation des territoires où, d’acteur central, l’État devenait accompagnateur. Ainsi, la décentralisation inaugura une nouvelle façon de « faire République ».

Même ses plus féroces détracteurs se sont ralliés à cette réforme, ainsi qu’en témoignent les nombreux textes, défendus par des gouvernements de gauche ou de droite, visant à parfaire cet ouvrage au fil du temps. Pour des Français qui la considèrent comme allant de soi, la décentralisation est devenue, tout simplement, une règle de vie.

Son succès se mesure également au quotidien : l’investissement des collectivités territoriales représente 70 % de l’investissement public civil, et les différentes politiques publiques mises en place au plan local ont permis de fournir des services publics de proximité, d’innover, de transformer nos territoires.

Certes, les collectivités territoriales ne peuvent pas tout faire, ni compenser à elles seules les mutations du capitalisme qui provoquent l’effondrement des territoires industriels, ni inverser les mouvements de populations, ni répondre à toute l’ampleur du défi écologique. Pourtant, la crise liée à l’épidémie de Covid-19 a mis en lumière les blocages et les lourdeurs de l’État central, quand les collectivités territoriales, c’est-à-dire les élus locaux, ont fait la démonstration de leur réactivité, leur adaptabilité et leur inventivité.

Reste que, en dépit de nombreuses réussites, des difficultés demeurent : complexification des modes de gouvernance locale, nouveaux rapports aux territoires induits par une société du mouvement perpétuel, contrainte financière, normes, responsabilité des élus locaux, attentes et exigences toujours plus grandes des citoyens.

Par ailleurs, sous deux quinquennats marqués par des orientations politiques différentes, les territoires ont connu, de la loi RCT à la loi NOTRe, une véritable fièvre institutionnelle, dans l’attente d’un hypothétique texte 3D.

Les réformes ont mis les élus locaux, notamment municipaux, sous tension. Ainsi, au début de 2019, les maires disaient ne pas vouloir de bouleversement institutionnel. Cette attitude s’inscrivait dans un contexte d’incompréhension avec l’exécutif : 80 km/h sur les départementales, suppression de la taxe d’habitation, asphyxie des contrats aidés, contrats de Cahors, sans oublier #BalanceTonMaire.

Si les élus locaux sont tardivement revenus en grâce pendant la crise des « gilets jaunes », puis à travers des gestes comme l’adoption d’une loi dite Engagement et proximité, il reste que, à la veille des municipales, seuls 31 % des maires disaient avoir confiance dans la parole du Gouvernement pour la mise en œuvre des futures réformes locales. Par contraste, à travers de multiples initiatives, les élus locaux encourageaient à tirer toutes les conséquences des réformes précédentes et en appelaient à une confiance de l’État dans ses territoires.

Dans un environnement difficile, rendu plus volatil par la crise du Covid-19, il est plus que jamais nécessaire de changer notre manière d’appréhender la décentralisation. Il faut rompre avec le prêt-à-penser en la matière, car nous sommes à la fin d’un cycle : nous devons relancer nos territoires par la transition écologique et l’innovation.

Dans ce contexte, il nous semble nécessaire de tracer les principes qui permettront de transformer notre façon d’envisager le gouvernement local. Cette nouvelle approche, c’est surtout un retour aux sources des lois de 1982. Le principe en était simple : ce qui relève à l’évidence de la proximité et de l’administration du quotidien doit aller vers le local – en d’autres termes, si la perspective organisationnelle est importante, la finalité l’est bien plus.

Il faut faire en sorte que les biens et services publics soient distribués plus équitablement sur le territoire, de façon qu’aucun citoyen ne se sente jamais oublié ou mis à la périphérie.

Ce nouveau récit territorial a plusieurs implications, à commencer par un recentrage de l’État sur des fonctions énumérées dans la Constitution, les autres compétences relevant du niveau local. Comme l’écrivait Pierre Mauroy, « aucun nouvel acte de la décentralisation ne pourra désormais se passer d’une réforme en profondeur de l’État central lui-même ». Nous avons besoin d’un État resserré sur ses fonctions régaliennes.

L’État français est la résultante d’une construction historique ; il en porte les stigmates. Notre État raconte une histoire, dessine une mythologie. C’est un État fort, mais, à l’instar d’une pieuvre à la tête trop grosse et aux tentacules territoriaux trop petits, il souffre de la centralisation dont il a hérité et qui s’est encore amplifiée ces dernières années.

Cela ne signifie pas que l’État doive s’effacer devant les collectivités territoriales, ni qu’il faille renoncer au modèle unitaire. En revanche, l’État doit sortir d’une logique de vassalisation des territoires pour devenir leur partenaire, ce qui permettra de mettre fin aux doublons inutiles entre État déconcentré et collectivités décentralisées.

De même, on pourra mettre un terme au processus d’« agencification » de l’État, conséquence du libéralisme qui signe le démembrement de l’État par lui-même. De fait, les dispositifs verticaux d’appels à projets lancés par ces agences court-circuitent régulièrement les services déconcentrés et entretiennent des logiques sélectives.

Ensuite, cette redéfinition opérée, il convient d’ajuster certaines compétences pour certaines collectivités territoriales : affirmer le rôle social du département, redonner quelques compétences à la région, comme le service de l’emploi et l’apprentissage, et donner une place plus affirmée aux élus locaux dans la gestion des hôpitaux. En outre, il faut rompre avec une vision trop homogène du fonctionnement des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale).

Si l’État se redéfinit, les collectivités territoriales doivent faire de même, car, pour paraphraser Hobbes, il n’est pas possible que le territoire soit caractérisé par la guerre de tous contre tous. Nous devons installer une logique horizontale, une logique d’interterritorialité.

L’interterritorialité est, d’une certaine façon, le pendant de la subsidiarité : elle doit remettre le citoyen au cœur des vécus territoriaux. Si les institutions sont fixes, les populations, elles, sont mobiles, passant d’une institution à une autre. S’il n’y a pas de continuité, par exemple en matière de transports publics, cela pose des difficultés graves à certains Français.

Dans cet esprit, il faut élaborer des pactes interterritoriaux, à l’échelle départementale ou interdépartementale. Ils sont la condition de l’affirmation d’une nouvelle justice spatiale pour tous les territoires, des ruralités françaises aux zones urbaines en difficulté. La même perspective est à l’œuvre s’agissant des territoires transfrontaliers.

Cette vision encourage également la possibilité d’évolutions différenciées et adaptées aux diversités territoriales : expérimentations, droit à la différenciation, pouvoir réglementaire des collectivités territoriales.

La différenciation est, en quelque sorte, l’aboutissement du processus de décentralisation. Naturellement, lorsque nous parlons de différenciation, nous pensons également aux outre-mer.

Cette nouvelle grammaire territoriale – un État recentré et des territoires plus coopératifs – a deux autres implications.

La première, financière, sera développée par mon collègue Didier Marie dans quelques instants.

La seconde concerne la démocratie locale, qui doit être approfondie et rendue inclusive ; elle doit à la fois favoriser la participation et renforcer la responsabilité des citoyens. En particulier, il faudra renforcer la parité : sans mesures fortes, il ne sera jamais possible d’atteindre des équilibres au sein des exécutifs locaux ! Il convient également d’accroître les droits des élus d’opposition, d’assurer la séparation des fonctions exécutives et législatives locales et de démocratiser les fonctions électives par la mise en place d’un statut de l’élu.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution vise à affirmer que le principe de décentralisation ne peut pas se démonétiser. À nous, ensemble, de lui redonner toute sa valeur, si importante pour nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Éric Kerrouche et nos collègues du groupe socialiste d’avoir déposé cette proposition de résolution, qui s’inscrit dans la perspective du projet de loi de décentralisation, déconcentration et différenciation. En effet, il est important que le Sénat, assemblée des territoires, s’empare de ces sujets et soit force de propositions.

La crise sanitaire a bouleversé tous nos repères, notamment financiers ; cela ne veut pas dire que le sujet n’est plus d’actualité, bien au contraire.

La décentralisation consiste en un transfert de compétences de l’État aux collectivités territoriales : l’économie est gérée par les régions, le social par les départements.

Ces derniers sortent clairement renforcés de la gestion de cette crise, notamment dans les territoires ruraux. En effet, les départements ont mené des tests Covid, en particulier dans les Ehpad et le secteur médico-social, et acheté des masques à destination des communes et avec elles. Ils auraient donc toute leur place dans le pilotage fonctionnel et financier des Ehpad, dans la perspective de l’organisation prochaine d’une cinquième branche de la sécurité sociale, consacrée à la dépendance, tout en conservant le budget hébergement.

De même, il faut favoriser les départements qui embauchent les médecins salariés, afin de répondre au problème des déserts médicaux par l’action de proximité.

La décentralisation nous oblige à articuler clarté et souplesse pour répartir les compétences. Ainsi, l’articulation de la compétence « économie » entre le département et la région pourrait être aménagée au cas par cas, la région pouvant la déléguer aux départements pour des projets précis, limités aux communes ou petites intercommunalités. En matière économique toujours, une délégation de compétences devrait être possible aussi des intercommunalités vers les communes, dans certains cas. Il faut de la souplesse ! Trois maires sur quatre pensent que le transfert de compétences rigide des communes aux intercommunalités a des conséquences négatives…

Si le département est l’échelle pertinente de l’action locale, notamment dans les territoires ruraux isolés, il peut aussi s’avérer pertinent de déconcentrer l’action de l’État et des territoires. Je pense en particulier à la mise en place de sous-préfets développeurs, une idée défendue par notre ancien collègue Alain Bertrand, auquel je rends hommage : ils seraient chargés de développer l’emploi dans les territoires ruraux et difficiles, mais aussi d’aider les maires dans leurs projets.

La différenciation est capitale en matière économique, touristique et de services publics. Il faut aider davantage les collectivités territoriales qui créent des ateliers relais, soutenir davantage l’équipement des entreprises, sans forcément établir de lien avec le nombre d’emplois créés – de la souplesse, là aussi – et instaurer des avantages fiscaux de type ZRR (zone de revitalisation rurale) et zone franche dans les zones ciblées hypodenses sur le plan démographique. Il convient également de renforcer les aides pour les artisans et commerçants en dotant le Fisac beaucoup mieux qu’actuellement.

L’objectif est de maintenir la vie et d’assurer le remplacement des emplois agricoles, dont les deux tiers ont été perdus en trente ans dans certains territoires. L’agriculture aussi doit être soutenue, notamment dans les secteurs d’élevage, et bénéficier de différenciations de la part de l’Europe et de l’État. Il n’y aura pas de ruralité sans agriculteurs ! Leur métier est très difficile, mais indispensable à la Nation et à l’aménagement du territoire.

Les services publics – écoles, collèges, gendarmerie – doivent eux aussi bénéficier de différenciations pour être conservés dans les zones hypodenses ; France Services peut être une possibilité.

Le tourisme rural également doit être différencié pour être pérennisé. Je pense notamment à la réhabilitation des hôtels et des villages de vacances.

La suppression de l’artificialisation des terres de façon uniforme sur tout le territoire pénalise fortement les petites communes rurales, qui avaient déjà, sans PLU (plan local d’urbanisme), beaucoup de mal à obtenir un permis de construire. Là aussi, la différenciation est nécessaire.

Oui, pour redonner de la vie et de l’espoir dans les territoires difficiles, notamment ruraux, il faut renforcer le département par décentralisation et réaliser une déconcentration avec un service managé par un sous-préfet développeur, mais surtout différencier, pour adapter l’action de l’État fort aux spécificités de chaque territoire. L’excellent président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, M. Jean-Marie Bockel, nous indique, dans sa lettre du 11 juin dernier, que 68 % de nos concitoyens sont favorables à l’adaptation de la loi aux spécificités des territoires.

Pour arriver à ce résultat, les élus ne souhaitent pas de modification de la Constitution, plus de loi tous les cinq ans – bref, pas de bouleversement.

Si, monsieur Kerrouche, nous approuvons complètement l’esprit de votre proposition de résolution et si, comme vous, nous croyons à un État fort qui assure l’égalité des citoyens sur tout le territoire, votre texte nous paraît pour l’instant trop imprécis pour que nous puissions le voter en l’état. Reste que le Sénat, qui représente les territoires, doit bel et bien être, comme ce matin, force de propositions pour la décentralisation, la déconcentration et la différenciation.

Madame le ministre, le Gouvernement doit prévoir, dans le projet de loi 3D, des mesures pragmatiques et efficaces pour maintenir la vie dans les territoires difficiles, notamment ruraux. (MM. Jean-Marie Bockel et Didier Rambaud applaudissent.)

Mme la présidente. Monsieur Chasseing, vous auriez pu prendre la parole depuis la tribune. Je vous rappelle, mes chers collègues, que, depuis lundi dernier, les orateurs peuvent parfaitement s’adresser à l’assemblée depuis la tribune.

La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’associe à mon propos Jean-Marie Bockel, président de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation – laquelle se réunit en ce moment même.

La proposition de résolution de nos collègues socialistes prend place dans un débat récurrent, où les hésitations alternent avec l’audace. La décentralisation est-elle une complainte, un refrain, une exigence ? Elle est en tout cas une conviction, défendue par le Sénat, sur l’initiative du président Larcher, mais aussi par le groupe Union Centriste, qui, en septembre dernier, a organisé un colloque auquel vous avez participé, madame la ministre, et qui a formulé huit propositions en appelant à un nouvel acte de décentralisation et de différenciation – son titre était : « Tous égaux, tous différents ».

La nécessité de la décentralisation est affirmée aussi par le Président de la République. C’est l’origine du projet de loi que vous préparez, madame la ministre.

Les concepts en débat attirent et effraient en même temps. Nous sortons d’un cycle de réformes territoriales inventives pour certaines, comme la recomposition des régions, mais un peu brouillonnes, à l’instar de la loi relative au statut de Paris et à l’espace métropolitain, et par trop « corsetantes », comme la loi NOTRe – le tout ayant été mené parallèlement à un véritable essorage des finances locales.

Destinées à améliorer l’efficacité de l’action publique, ces lois ont-elles atteint leur objectif ? Sans doute sont-elles perfectibles, puisque nous voici réunis ce matin pour songer à remettre l’ouvrage sur le métier. La porte a été entrouverte par la loi Engagement et proximité, qui a desserré l’étau qui emprisonnait le bloc local.

À l’issue de ces lois territoriales, les élus ont exprimé irritation et asphyxie. Parallèlement, la crise sociale des « gilets jaunes » a violemment révélé le sentiment d’abandon des territoires. Quant à la crise sanitaire du Covid-19, elle a révélé à ceux qui l’ignoraient la capacité de mobilisation des collectivités territoriales et leur agilité, qui leur ont permis d’inventer des solutions ; elle a manifesté aussi l’efficacité d’un partenariat intelligent entre l’État territorial, représenté par les préfets, et les élus locaux.

La vérité d’une République construite sur deux piliers – l’État et les collectivités territoriales – s’impose plus que jamais comme une évidence pour la performance de l’action publique au service de nos concitoyens.

Décentralisation, déconcentration, différenciation : cette audace fracasserait-elle la République une et indivisible, à laquelle tous, ici, nous sommes profondément attachés ? Je ne le crois pas.

L’article 61-1 de la Constitution assure la garantie des droits et libertés pour tous. Mais l’égalité n’est pas l’uniformité, ce dont le Conseil constitutionnel est convenu en 1995 : dans une décision relative à la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, il a jugé que le législateur, ayant prévu la passation de conventions locales destinées à tenir compte de la spécificité de situations territoriales, avait mis en place une procédure qui, loin de méconnaître le principe d’égalité, constituait un moyen d’en assurer la mise en œuvre. Traiter différemment des situations différentes n’est donc pas déroger au principe d’égalité : c’est, au contraire, l’appliquer.

La définition du mode de scrutin selon la taille des communes fracture-t-elle la République ? La reconnaissance des spécificités des territoires d’outre-mer et la création de la Collectivité européenne d’Alsace fracturent-elles la République ? Le pacte breton, que vous connaissez bien, madame la ministre, qui permet de gérer au niveau régional le dispositif Pinel d’aide à la construction afin d’éviter des spéculations foncières, fracture-t-il la République ?

Au contraire, ces réalités confirment la pertinence et la nécessité d’une adaptation aux réalités locales dans leur diversité. L’unité de la République est respectée et garantie, car, chose très importante, ces adaptations sont réalisées sous l’autorité du législateur.

Seulement, chaque fois, nous agissons par touches ponctuelles, comme si nous ravaudions ou réparions, par un droit des exceptions. Or la République ne peut pas être une addition d’exceptions. Comment réussir ce que nous appelons de nos vœux dans le respect d’une République une et indivisible ?

Il faut une volonté affirmée et constante de l’État, dans un esprit de confiance dans les élus locaux. Il faut aussi changer l’esprit de la fabrique de la loi. Comme le disait Portalis, « les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois » : la loi doit se borner à définir un cadre, comme un champ des possibles permettant initiatives et expérimentations, qu’il faut encourager, puis pérenniser sans nécessairement les généraliser.

De même, il faut ériger la subsidiarité en principe sacré, si je puis dire, pour permettre au niveau pertinent d’agir.

Clarifier les missions de l’État central et de l’État territorial est tout aussi nécessaire.

Nous devons construire une ossature d’architecture qui replace la commune au cœur du dispositif, par sa compétence générale. Il faut aussi définir, pour chaque niveau d’organisation, un cœur de métier, en permettant une articulation avec d’autres collectivités territoriales par des délégations ou des contractualisations.

Il importe également, comme nos collègues socialistes le soulignent, d’encourager l’articulation horizontale des territoires. En effet, le mode de vie de nos concitoyens transgresse quotidiennement les frontières administratives. Les territoires ne peuvent s’ignorer, ni les métropoles prospérer en cultivant l’indifférence à l’égard de leur territoire. La récente loi d’orientation des mobilités est un exemple de raisonnement pertinent : elle introduit l’échelle des bassins de mobilité, donc des bassins de vie.

Comme dans toute recette, madame la ministre, il y a des ingrédients de base, indispensables : la capacité financière des collectivités territoriales à assumer leurs missions dans le respect de leur autonomie, avec une péréquation d’État pour réguler les écarts, mais aussi le soutien à l’engagement citoyen et la juste reconnaissance de celui-ci par un vrai statut de l’élu.

Le groupe Union Centriste est convaincu de l’impérieuse nécessité d’une audace décentralisatrice, en confiance avec les élus locaux. Dans cet esprit, nous nous sommes pleinement associés à la réflexion initiée par le président du Sénat, à travers la mission de corapporteur de notre collègue Jean-Marie Bockel.

Je salue l’initiative de nos collègues socialistes, qui permet d’ouvrir avec vous, madame la ministre, un débat qui ne saurait tarder. Si nous souscrivons à l’esprit général de la proposition de résolution, nous avons quelques différences sur un certain nombre de mesures. La richesse de la démocratie naissant de la différence, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)

M. Vincent Éblé. Le groupe UC s’abstient : quelle audace ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Pemezec.

M. Philippe Pemezec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très heureux de participer à ce débat sur la décentralisation, un sujet fondamental. Je regrette simplement que ceux qui ont réclamé ce débat soient les mêmes qui ont multiplié les lois détruisant la belle loi de 1983… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SOCR.)

M. François Bonhomme. Il faut le rappeler !

M. Jean-Pierre Sueur. Votre groupe avait voté contre !

M. Vincent Éblé. Et ils n’ont jamais été au pouvoir…

Mme la présidente. Mes chers collègues, veuillez laisser l’orateur poursuivre.

M. Philippe Pemezec. Quoi qu’il en soit, depuis quelque temps, nous sommes de plus en plus nombreux à appeler le Gouvernement à prendre conscience qu’il est temps d’ouvrir un acte III de la décentralisation. La crise sanitaire n’a fait que confirmer cette absolue nécessité.

Où donc était l’État, devenu obèse, dans la gestion des masques ? Totalement absent ! Ce sont les communes, les régions et les départements qui ont acheté et distribué les moyens de protection nécessaires à l’ensemble de la population. Dans ma commune, nous avons même dû fournir la police nationale pour qu’elle puisse effectuer ses contrôles…

Où donc est l’État, devenu obèse, dans la gestion des tests ? À longueur de conférences de presse, le ministre de la santé nous a annoncé le passage à 700 000 tests par semaine. On doit être à peine à la moitié – mais impossible d’avoir des chiffres… Là aussi, ce sont les collectivités territoriales qui ont fait le travail. Au Plessis-Robinson, par exemple, nous avons testé tous les agents communaux au contact des enfants et des personnes fragiles ; nous avons même élargi les tests aux agents de l’éducation nationale, ce mammouth impotent, parce qu’on nous l’a demandé…

Oui, l’État s’est perdu ! À vouloir s’occuper de tout, il ne s’occupe plus de rien, notamment pas d’assumer les missions régaliennes, pourtant sa raison d’être : la politique étrangère et la place de la France dans le monde, l’immigration, la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, le bon fonctionnement de la justice – les derniers rebondissements de l’affaire Fillon ne plaident pas en faveur de l’institution judiciaire.

Oui l’État s’est perdu, et il est en train d’envoyer le navire France par le fond, alors que notre pays a un potentiel et des ressources peut-être uniques : un territoire et surtout un maillage local extraordinaires, une histoire, une culture, des savoir-faire que le monde entier nous envie et que nous n’arrivons plus à faire prospérer, du fait d’un système politique à bout de souffle.

Les Français l’ont d’ailleurs bien compris et l’appellent de leurs vœux. Un sondage réalisé par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation révèle que trois Français sur quatre estiment que la décentralisation est une bonne chose et souhaitent son renforcement.

Alors oui, 1 000 fois oui, il faut passer à un acte III de la décentralisation pendant qu’il est encore temps, au moment où nous abordons un tournant majeur de notre histoire et où nous devons faire face à la crise économique, sociale et environnementale sans doute la plus grave que nous ayons connue depuis 1929.

Ce débat capital sur la décentralisation, chacun en est conscient, ne fait que commencer. Nous n’en sommes pas encore à détailler les mesures et les solutions qui nous permettraient de trouver un équilibre entre la capitale et les régions, entre la métropole et les zones périurbaines, entre la ville et les territoires ruraux, car, avant d’en arriver à ces mesures précises, il faut commencer par se débarrasser de quelques contre-vérités.

La première de ces contre-vérités est la confusion entre décentralisation et déconcentration. Nul n’est besoin, dans cette noble assemblée, de rappeler nos cours de droit précisant que la première – la décentralisation – consiste à déléguer des pouvoirs aux assemblées territoriales élues, alors que la seconde – la déconcentration – se contente de renforcer les pouvoirs de l’administration préfectorale dans les territoires, ce dont, bien sûr, nous ne voulons pas.

J’ai noté plusieurs fois que le Président de la République, pourtant issu de la plus haute école d’administration, fait souvent la confusion entre les deux, sans doute à dessein, imité en cela par notre ami le ministre délégué aux collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, qui m’a fait sursauter il y a quelques semaines en parlant des maires comme des agents de l’État dans leur commune.

M. Vincent Éblé. Tu tombes de la lune !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est l’une de leurs fonctions !

M. Philippe Pemezec. Effectivement, les maires sont des agents de l’État en ce qui concerne l’état civil, mais ils sont d’abord les élus dotés de la légitimité du peuple, en première ligne pour pallier les défaillances trop nombreuses d’un État devenu obèse qui n’assume plus ses pouvoirs régaliens.

La seconde contre-vérité est liée à l’idée que la taille serait un gage d’efficacité – « big » serait « beautiful ». C’est peut-être vrai dans l’univers économique, car le regroupement y est source de profit, mais cela n’a jamais été prouvé à l’échelon local.

En organisant cet improbable regroupement des régions sur un coin de table, le Président Hollande a cru qu’il arriverait à bâtir des régions à la dimension des Länder allemands. Trois ans plus tard, la réalité démontre que les super-régions n’ont généré aucune économie d’échelle et qu’elles peinent à s’imposer à l’échelle européenne. Pourquoi ? Parce que, face à leurs concurrentes allemandes, elles ne disposent ni de la légitimité ni de la palette de compétences décentralisées requises pour lutter à armes égales.

À l’inverse, la Suisse démontre qu’avec des microcantons…

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !

M. Philippe Pemezec. … on peut conjuguer efficacité et réponse de proximité. Agilité et proximité, telles sont les deux clés pour répondre aux enjeux de demain.

La troisième est liée à l’image de la métropole,…

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !

M. Philippe Pemezec. … laquelle est devenue une organisation totalement schizophrénique qu’il faut simplifier.

Il faut décentraliser et faire en sorte que la commune soit au cœur du dispositif, car c’est la cellule de base de l’organisation territoriale, et il faut que l’État se concentre sur ses missions régaliennes et laisse tout le reste aux communes. C’est de cette façon que nous pourrons réorganiser administrativement ce pays. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, nous sommes très fiers de soumettre au Sénat cette proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation. Cette proposition est en effet le fruit d’un travail de longue haleine que nous avons amorcé il y a maintenant plus d’une année : nous avons auditionné des chercheurs, des associations d’élus ; nous avons revu bon nombre de rapports parlementaires abordant la question ; nous avons revu des dizaines de promesses passées d’un nouvel acte de la décentralisation ; nous avons relu les travaux sénatoriaux, de gauche comme de droite – il y en a à profusion ! – ; nous avons relu M. Macron, celui du début, qui disait qu’il y avait trop d’élus locaux, et celui qui, plus récemment, a compris l’importance de la démocratie locale ; nous avons organisé des rencontres partout en France, au Creusot, à Villeurbanne, à Lille, à Nantes, et j’en passe.

Cette introduction de la méthode ambitieuse étant faite, permettez-moi d’apporter une dernière précision : nous souhaitons d’abord rester modestes.

M. François Bonhomme. C’est sage ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Durain. Trop de promesses d’un nouvel acte de la décentralisation ont été trahies. C’est pourquoi nous avons choisi de parler d’une nouvelle ère.

Nous sommes ici, toutes travées confondues, des élus issus de millésimes différents, même s’ils sont tous de qualité. Nous avons suivi certaines étapes du cursus honorum tant décrié par M. Macron. Ce que nous avons appris au cours de notre parcours aux côtés de nos collègues élus locaux – et dans l’humilité –, c’est qu’il y a une grande intelligence dans les territoires. La crise du Covid-19 l’a illustré. Les collectivités locales ont d’ailleurs aidé à réparer les erreurs de l’État central, par exemple sur la question des masques. Il ne faut pas se contenter de saluer cette grande intelligence, il faut l’accompagner et la faire prospérer.

Cette proposition de résolution pose en quelque sorte les fondations de la nouvelle ère de la décentralisation que nous appelons de nos vœux. À une époque où beaucoup prétendent réinventer le fil à couper le beurre, nos propositions se veulent réfléchies, applicables, précises et réalistes. Vous pourrez faire le comparatif avec les propositions des députés LaREM, qui, dans leur partie « territoires », évoquaient lundi une proposition visant à « multiplier des contacts entre les écoles et les entreprises » ou à « accélérer la déconcentration des services de l’État sur le territoire ». On a connu plus précis ! Je suis d’ailleurs certain que leurs collègues sénateurs les nourriront de réflexions plus abouties.

Nous défendons avant tout une vision, non pas clientéliste visant à contenter chaque échelon territorial en distribuant des caramels, mais globale. Il s’agit de faire en sorte que les compétences de l’État soient clairement définies dans la Constitution, celles des collectivités locales devenant la règle pour tous les autres sujets. Il faut que les collectivités deviennent des acteurs à part entière, et non des figurants dépendants des dotations de l’État, qui récupèrent trop souvent de nouvelles compétences sans les moyens financiers nécessaires – mon collègue Didier Marie y reviendra. Nous voulons mettre fin à la multiplication des agences nationales, qui signifie trop souvent le retour à des pilotages à distance centralisés et sectorisés tout en signant un démembrement de l’État territorial.

Nous n’avons pas peur de dire que, en matière de développement économique, il faut rendre aux régions le pilotage de la politique de l’apprentissage en leur confiant celle du service public de l’emploi. Nous ne nous contentons pas de vouloir supprimer telle loi parce qu’elle est issue du parti d’en face. Nous voulons redonner à chaque échelon, mais aussi à l’État, leur juste place. Nous voulons achever la démocratisation des collectivités locales, avec davantage de femmes élues – je salue ma présidente de région, ainsi que Mme Pécresse ou Mme Delga –, davantage de participation citoyenne et, comme Éric Kerrouche l’a souligné, davantage de droits pour les oppositions.

Je ne reviens pas en détail sur tout ce qui a été développé par mon ami Éric Kerrouche, mais je peux vous assurer que les élus locaux, par exemple de Bourgogne-Franche-Comté, ont davantage besoin de clarification et de fluidité que de promesses sans lendemain.

Je terminerai ce propos par une réflexion et une question.

Ma réflexion est la suivante : cette nouvelle ère de la décentralisation que nous appelons de nos vœux doit être celle de l’émancipation. Éric Kerrouche parle souvent de l’infantilisation des collectivités locales par l’État central. Il faut rompre avec cette logique.

Ma question est donc la suivante, madame la ministre : estimez-vous que cet esprit d’émancipation se retrouve dans la proposition – le marché, le chantage ou l’offre ? – du Président de la République « d’un grand élan », « d’une grande porte » contre le report des élections régionales et départementales ? Je n’ai pas le sentiment que cela soit très conforme à cet esprit d’émancipation ni très respectueux de la démocratie locale. Je pense donc que, à l’issue de ce débat, vous aurez pris le soin de répondre à cette question : qu’en est-il du report des élections territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début des années 1980 et le vote des lois Defferre, la décentralisation est l’un des principaux mots d’ordre des politiques publiques – presque une incantation magique ! Les réformes se succèdent depuis que l’organisation décentralisée de la République a été consacrée à l’article 1er de la Constitution. L’activité du Parlement sur ce sujet est permanente et quasiment frénétique, chaque gouvernement souhaitant imposer sa marque et chaque ministre donner son nom à une loi. Après les lois RCT, Maptam et NOTRe, nous attendons le projet de loi 3D, pour décentralisation, différenciation et déconcentration.

Nos collègues du groupe socialiste et républicain proposent aujourd’hui de débattre de ce que pourrait être le prochain acte de la décentralisation. À vrai dire, il semble que c’est ce que nous faisons depuis bientôt quarante ans, sans parvenir, en dépit des effets d’annonce et des concertations, à la stabilité de notre organisation territoriale. Cela est même suggéré dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, qui indique que, dans leur grande majorité, les maires ne sont pas « favorables à un nouveau bouleversement institutionnel entre collectivités locales ou en matière de compétences ».

Il est bien sûr indispensable de remédier à cette situation. En tant qu’interlocuteur privilégié des élus locaux, le Sénat doit être un catalyseur attentif. Pensons, par exemple, aux imbroglios en matière de compétence « eau et assainissement ».

L’appel à renforcer le plan de soutien aux collectivités dans le contexte sanitaire et économique actuel apparaît comme une priorité conjoncturelle indéniable, a fortiori alors que la période de confinement a éprouvé nombre de nos concitoyens.

Le « plan de rebond territorial », qui se concentrerait sur la santé ainsi que sur la couverture et l’accessibilité numérique, semble également primordial – c’est même une évidence dans la situation que nous connaissons. Les territoires, en particulier ruraux, souffrent d’inégalités profondes qui les empêchent de profiter des facilités offertes par le numérique. Celles-ci sont pourtant nécessaires pour leur développement économique et leur attractivité.

Vous le savez, mon groupe y attache une très grande importance, lui qui est à l’origine de la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires précisément pour combattre les ruptures d’égalité dans l’accès aux services publics et aux infrastructures, même si cette ANCT est sortie édulcorée des débats du Parlement.

Dans la même logique, l’égalité entre les territoires doit également passer par la lutte contre l’illectronisme – une question chère à Raymond Vall et à mon groupe qui gagnerait à être déclarée grande cause nationale, comme nous le soutenons.

Cela étant dit, cette proposition de résolution comprend quelques aspects qui nous semblent plus problématiques.

Nous restons très sceptiques – pour ne pas dire opposés – à l’introduction d’une clause constitutionnelle attributive de compétences à l’État. Cela nous semble même antinomique avec la stabilité institutionnelle réclamée par les élus, puisqu’il faudrait une nouvelle fois réorganiser toute l’architecture institutionnelle de nos collectivités. Souvenons-nous également des débats interminables entre 2010 et 2015 sur la clause de compétence générale. Pourquoi vouloir rouvrir ces débats ?

L’égalité devant la loi est bien sûr l’une des pierres angulaires de la République. L’organisation décentralisée de la République ne peut et ne doit pas nuire à ses caractères indivisible, démocratique et social, qui reposent largement dessus. Une telle innovation constitutionnelle, conjuguée au renforcement du pouvoir réglementaire local, entraînerait des conséquences qui nous dirigeraient vers un modèle quasi fédéral, dont je ne suis pas certain qu’il corresponde aux aspirations de nos concitoyens. La France est un pays riche de sa diversité et splendide par son unité, une condition décisive de son existence, selon l’historien Fernand Braudel.

Par ailleurs, en ces temps de crise où tous – collectivités, agents économiques, acteurs associatifs ou simples citoyens – demandent davantage de l’État, il serait paradoxal d’ouvrir cette brèche. Il conviendrait plutôt de se concentrer sur l’amélioration de l’efficacité de l’État.

Les inégalités entre collectivités proviennent aussi de la disparité des tissus économiques, que nourrit le manque d’équipement ou d’infrastructures. Sur ce point, rien ne serait pire que de libéraliser l’autonomie fiscale, au risque de créer une véritable concurrence entre collectivités et de favoriser celles qui sont déjà bien pourvues en valeur ajoutée. Il convient d’abord d’améliorer la solidarité financière et la péréquation indispensable à l’unité de notre nation, unité qui serait fragilisée par la compétence de principe des collectivités territoriales hors matières régaliennes.

Cela étant dit, nous sommes aussi surpris qu’heureux de constater que l’échelon départemental, celui de la proximité, retrouve grâce aux yeux des auteurs du texte. Chacun se souvient ici que telle n’était pas leur position lors des débats sur la loi Maptam et la loi NOTRe, car la métropole était vue comme un nouvel eldorado.

M. François Bonhomme. Ils ont un petit trou de mémoire…

M. Jean-Claude Requier. Pour notre part, nous n’avons jamais varié.

Je souhaite enfin évoquer les « pactes interterritoriaux prescriptifs », qui visent à garantir « un accès et une distribution équitable des biens et services publics accessibles en moins de trente minutes aux citoyens du périmètre concerné ». N’ajoutez-vous pas de la complexité, alors que vous la dénoncez à raison ? La subsidiarité que vous défendez ne suppose-t-elle pas plutôt des espaces de liberté qu’étouffent aujourd’hui le pullulement d’échelons administratifs, leur chevauchement et leurs interactions complexes ? Il ne faudrait pas que cette nouvelle ère de la décentralisation ressemble aux précédentes sous les habits nouveaux de la coopération territoriale.

Ces observations constituent autant de réserves que je formule au nom du groupe du RDSE à l’égard de cette proposition de résolution.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, les deux crises majeures que nous venons de traverser – celle des « gilets jaunes », puis la crise sanitaire – ont mis en exergue la demande claire de nos concitoyens d’un retour à la proximité.

Si, notamment au Parlement, les propositions faites à l’issue de ces deux crises consécutives peuvent varier, il n’en reste pas moins que le diagnostic, lui, est largement partagé. Il me semble que l’on peut à ce titre dresser deux constats indiscutables.

Tout d’abord, les périodes mouvementées que nous avons traversées ont mis en exergue le rôle incontournable qu’ont joué, par leur engagement, nos élus locaux, au premier rang desquels les maires, comme garants du lien social. Ce sont bien eux qui incarnent l’État dans ce qu’on appelle désormais couramment « les territoires ».

Ensuite, elles ont mis en lumière la demande d’une décentralisation plus aboutie. Les Français, notamment les élus locaux, n’appellent pas forcément de leurs vœux plus de décentralisation, mais bien, me semble-t-il, une meilleure décentralisation. Au fond, ce qu’ils nous disent est simple : « Nous voulons plus de services publics, proches de chez nous. » La demande de décentralisation est en ce sens l’aboutissement d’un mouvement de retour à la proximité.

Derrière le mot de décentralisation, plusieurs aspects se mélangent : la décentralisation au sens strict, c’est-à-dire donner plus de compétences aux collectivités, mais également la déconcentration, c’est-à-dire les pouvoirs donnés aux services de l’État territorial, ou encore la différenciation, c’est-à-dire, comme vous le dites souvent, madame la ministre, le « cousu main », autrement dit la possibilité d’adapter les règles selon les spécificités de chaque territoire. Finalement, on comprend que se cachent bien souvent derrière ce mot presque tarte à la crème de décentralisation des attentes multiples, polymorphes, en 3D.

Dès lors, chers collègues, le point de départ de cette proposition de résolution est indéniablement partagé. Tous ici, quelle que soit la travée sur laquelle nous siégeons, nous partageons le diagnostic. Tous ici, nous avons entendu la demande d’un retour à la proximité. Et tous ici, nous partageons la volonté d’affirmer le soutien indéfectible du Sénat à notre République décentralisée.

La décentralisation n’est en fait qu’une réalité relativement récente de notre histoire politique et institutionnelle. Loin de moi l’idée de profiter de cette tribune pour donner un cours d’histoire sur la Ve République et les grandes lois de décentralisation. Il me semblait toutefois nécessaire de rappeler que notre organisation décentralisée, si elle n’est pas parfaite, est le résultat d’une construction récente par vagues. La dernière, pas si lointaine, est la désormais célèbre loi NOTRe. Son souvenir doit être encore frais…

M. François Bonhomme. Et douloureux !

M. Didier Rambaud. … dans la mémoire de certains de nos collègues socialistes auteurs de cette proposition de résolution qui ont eu l’occasion d’en débattre sur ces travées en 2014, alors que leur majorité soutenait ce texte. Je me réjouis donc, chers collègues, de constater que, comme bon nombre de parlementaires et d’élus, vous admettez que la loi NOTRe demande d’être corrigée.

M. Vincent Éblé. Elle a été adoptée à l’unanimité en CMP !

M. Didier Rambaud. La décentralisation nécessite d’être plus aboutie, plus particulièrement, selon nous, au profit des collectivités territoriales de proximité que sont les communes et les départements. Un tel mouvement de décentralisation ne pourrait cependant se faire sans repenser, au moins en partie, l’organisation de l’État territorial. La crise sanitaire a prouvé que son organisation reste perfectible – j’ai entendu ces dernières semaines, comme nombre d’entre vous, beaucoup de choses sur le fonctionnement des ARS…

Le couple maire-préfet a plus que jamais démontré qu’il fonctionne. Il nous faudra donc tout faire pour le renforcer. Ce mouvement a d’ailleurs déjà été entamé. La loi Engagement et proximité, examinée dans notre hémicycle il y a quelques mois, a déjà œuvré en faveur des maires et, plus largement, du bloc communal. L’intuition sur laquelle elle reposait, celle que le bloc communal doit être le premier acteur d’une République décentralisée, est d’autant plus forte aujourd’hui.

Mes chers collègues, je l’ai dit, nous partageons amplement le constat qui a fait naître cette proposition de résolution. Notre République décentralisée est perfectible : parfois, des doublons de compétences existent ; parfois, la lisibilité pour savoir qui fait quoi, qui paie quoi, qui assume quoi n’est pas au rendez-vous. Doit-on pour autant tout remettre en cause ? Telle est au fond la question que nous devons nous poser.

Pour répondre à cette question lourde, complexe et sérieuse, cette proposition de résolution ne constitue ni le bon véhicule ni la bonne méthode. Cette question ne saurait simplement être abordée au détour d’une proposition de résolution. Je crois au contraire qu’une telle question, qui fait résonner les fibres les plus profondes de notre histoire politique, qui touche à l’organisation de ce qui fait notre État – l’État à la française –, mérite un vrai débat et que nous engagions toute notre responsabilité en l’examinant et en la tranchant.

Ce débat sera sans doute animé, il l’a toujours été – l’éternelle opposition des Jacobins et des Girondins l’a prouvé –, mais il sera essentiel. N’amoindrissons pas notre ambition pour la République en la privant d’un réel débat.

Pouvons-nous vraiment affirmer aujourd’hui la position du Sénat sur des questions aussi complexes que l’autonomie fiscale des collectivités, la limitation constitutionnelle des compétences de l’État, la répartition des blocs de compétences par échelon de collectivité, l’évolution des nomenclatures budgétaires, la révision des dotations de l’État, le transfert à la carte des compétences, la création d’un pouvoir réglementaire des collectivités ou encore la participation citoyenne, pour ne citer que ces sujets ?

Pouvons-nous vraiment prétendre énoncer notre position sur ces sujets, tous vastes et complexes, dont les implications législatives et budgétaires sont majeures, sans avoir réellement débattu, chiffres à l’appui ? Je ne le crois pas – cela d’ailleurs ne ferait pas honneur à la réputation de sérieux législatif du Sénat.

Vous l’aurez compris, le groupe La République En Marche partage la déclaration d’intention de nos collègues qui en appellent à une meilleure décentralisation. Cependant, nous ne saurions accepter de restreindre cette question à une simple proposition de résolution. Notre débat parlementaire mérite mieux. Nous en sommes persuadés, le Sénat doit être en mesure de jouer pleinement son rôle de chambre de représentation des collectivités territoriales face à cette problématique. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. Jacques Bigot. En Marche est dans l’impasse !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, si l’on veut réussir la décentralisation, encore faut-il qu’elle soit organisée de manière cohérente. Le cadre institutionnel est certes fondamental, mais la définition du cadre territorial l’est tout autant, car elle conditionne la réussite des institutions. Il est impossible d’avoir une décentralisation réussie si les circonscriptions administratives n’ont aucune cohérence et aucune logique.

Le gouvernement de M. Valls avait pris l’initiative d’une fusion autoritaire des régions. Pour certaines, cette fusion se justifiait, et elle s’est passée correctement ; pour d’autres, on a abouti à des sortes de monstres tentaculaires.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

M. Jean Louis Masson. Ce qui a été fait par le gouvernement de l’époque est complètement débile. Est-il normal, par exemple, que la région Grand Est soit plus que deux fois plus grande que la Belgique ?

M. François Bonhomme. Et l’Occitanie !

M. Jean Louis Masson. Moyennant quoi, pendant la crise de l’épidémie de coronavirus, les gens du département de l’Aube ont été traités exactement comme ceux de Strasbourg, alors que l’Aube est deux fois plus proche de Paris que de Strasbourg.

Vous avez des chefs de service, des fonctionnaires et même des élus qui décident à un endroit pour ce qui se passe à l’autre bout d’une région. Dans la région Grand Est, quand vous voulez modifier de cinq minutes l’horaire des transports scolaires, c’est à deux cents kilomètres de là que ça se décide ! Parfois, ils ne savent même pas où c’est ! Récemment, j’ai téléphoné à la région Grand Est pour une commune du canton dont je suis le conseiller départemental : la brave dame au bout du fil ne trouvait pas la commune en question, elle pensait qu’elle était dans le Haut-Rhin. C’est un truc de fou !

M. François Bonhomme. Vive la proximité !

M. Jean Louis Masson. Maintenant, quand on lit les articles de presse, quand on entend les prises de position, on s’aperçoit qu’il y a une véritable remise en question du découpage territorial. La plupart des commentateurs reconnaissent que ce qu’ont fait MM. Valls et Hollande était totalement inadéquat. On ne peut pas décider du découpage des régions sur un coin de table ! Résultat : le matin, telle région était découpée de telle façon ; l’après-midi, Dupond ou Durand étant passé, on découpait autrement…

M. François Bonhomme. Ce n’est pas faux !

M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, le Gouvernement, qui veut tout changer et tout améliorer, trouverait là quelque chose de concret, d’utile et de pertinent à faire. Il serait peut-être temps d’y penser !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Vincent Éblé. Allez Pascal, relève le niveau ! (Sourires sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste nous présente une proposition de résolution sur la décentralisation. Il faut reconnaître qu’il y a du travail.

Les élus locaux ont traversé une situation inédite en tenant honorablement la barre et au plus près des citoyens. Les crises comme celle que nous traversons révèlent les défaillances de l’État et mettent en avant d’autres acteurs sur le terrain qui n’ont pas pu faire autrement que d’agir avec les moyens du bord. Mais les crises sont aussi des moments d’exacerbation des mécontentements, facilitant les divisions.

L’organisation territoriale est le cœur de cible de la réduction de la dépense publique – c’est un peu votre leitmotiv, madame la ministre. Elle est surtout questionnée, parce que le principe constitutionnel de libre administration et d’autonomie fiscale des collectivités est rogné.

Les élus ne veulent pas d’un nouveau big-bang territorial. Ils aspirent à plus de stabilité – ce qui ne veut pas dire qu’ils aspirent à l’immobilité. Or cela n’est possible que si l’on desserre l’étau normatif et financier qui étrangle les collectivités depuis plusieurs années.

Cette proposition de résolution présente pour nous aussi des paradoxes. Je ne vais pas faire l’inventaire des lois promulguées sous le quinquennat de François Hollande et les gouvernements de Manuel Valls, dont les conséquences sont ici pointées.

Si nous ne sommes pas d’accord sur de nombreux points, je commencerai par évoquer les aspects sur lesquels nous nous retrouvons.

Nous ne pouvons qu’abonder dans le sens d’un renforcement du plan de soutien aux collectivités face à la crise. Nous avons d’ailleurs récemment déposé une proposition de loi en ce sens.

Nous souhaitons également que les élus locaux ne soient pas traités comme un coût à écrêter et qu’ils bénéficient de davantage de place et de reconnaissance, notamment dans l’édiction des dispositions législatives.

Nous nous félicitons du consensus trouvé autour de l’échelon départemental, partenaire des communes et des intercommunalités. Ce consensus marque la fin d’une période durant laquelle son existence était menacée alors qu’il s’agit d’un échelon pertinent de décentralisation, mais également de déconcentration en lien avec le préfet de département, qui a un rôle important à jouer dans le dialogue entre l’État et les communes.

Le rôle du préfet nous conduit à évoquer notre profonde opposition à ce texte. Nous refusons que le préfet devienne une entité indépendante, négociant des adaptations de normes nationales pour des intérêts économiques locaux. À ce titre, madame la ministre, le décret du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet nous semble être un recul déplorable, révélateur des vices de la différenciation territoriale. Les associations de défense du patrimoine et de l’environnement sont vent debout contre ce décret, qui permet de déroger à des normes protectrices, faisant le bonheur de bon nombre de promoteurs immobiliers.

Plusieurs de vos propositions, mes chers collègues, nous paraissent prendre un mauvais cap, comme la création d’un pouvoir réglementaire local indépendant de la législation nationale, ou la différenciation des compétences entre collectivités de même niveau. Vous contribuez malgré vous à opposer l’État et les collectivités alors qu’elles doivent être complémentaires. Nous basculerions donc dans un système fédéral – après tout, c’est un choix politique – où les collectivités se retrouveraient en concurrence et en négociation permanente. C’est une porte ouverte, nous semble-t-il, au dumping social et environnemental.

L’État a un rôle à tenir, même si celui-ci s’apparente trop souvent aujourd’hui à une déresponsabilisation de l’exécutif, et ce sur le dos des acteurs locaux et économiques. Le législateur, pour garantir l’égalité des territoires et des individus, doit fixer des règles claires et applicables partout. Cette vision de la République peut et doit laisser de la place aux élus. Le renvoi au pouvoir réglementaire local peut être envisagé, mais dans un cas précis et seulement s’il ne consiste pas en une régression de la loi.

Vous souhaitez, mes chers collègues, consacrer la clause générale de compétence des communes. Nous la défendons aussi, mais nous la défendons à tous les niveaux de collectivités – puisque c’est un principe fondateur de la République – pour permettre à ces dernières d’agir en commun avec l’État, d’autant plus en période de crise. Voilà une vision de la décentralisation démocratiquement forte et solidaire, qui donne les moyens au local de répondre aux besoins de la population, contrairement à la logique de spécialisation à outrance des compétences.

Nous avons du mal à suivre nos collègues qui déplorent un repli local, défendent une plus grande coopération, mais, dans le même temps, adulent la différenciation, qui est, à nos yeux – mais c’est le débat –, la mère des inégalités territoriales, de la concurrence et des mouvements identitaires.

Notre profond attachement à une République unie, indivisible et protectrice ne peut que nous faire bondir à la lecture de certaines propositions telles que, par exemple, l’inscription de manière limitative des compétences de l’État dans la Constitution.

L’État n’est pas un partenaire : cette vision managériale de la République nous semble dangereuse. Les élus locaux savent bien que, lorsqu’ils récupèrent des compétences, l’État se désengage et que les contreparties financières ne sont pas au rendez-vous. On le voit aujourd’hui. Comme d’autres ici, je connais particulièrement la question de la recentralisation du RSA : ce problème se pose, alors que la compensation versée aux départements n’a cessé de diminuer, tous gouvernements confondus, et que la crise rend cette dépense maintenant impossible à assumer.

Au lieu de céder à la tentation du moins d’État et, donc, à une plus grande marchandisation des services, demandons plus d’État, une décentralisation synonyme d’égalité des citoyens, indissociable d’une déconcentration proche des élus. État et collectivités sont efficaces ensemble : cessons de penser seulement en termes de rationalisation.

Les politiques territoriales impliquent proximité, complémentarité des niveaux d’action, avec des intercommunalités au service des communes. Nous approuvons à cet égard vos propositions pour plus de souplesse dans l’organisation des compétences du bloc communal, à partir du moment où cette démarche découle d’un dialogue démocratique. En revanche, nous sommes profondément contre l’avènement d’un État fédéral, composé de grandes régions et de métropoles européennes.

Pour résumer, nous n’avons pas eu le sentiment d’examiner une proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation, qui aurait donné un nouvel élan au processus engagé en 1982 et 1983, un très bon processus qui a eu de très bons résultats. Il nous a plutôt semblé que nous avions affaire à un texte pour un État central qui morcelle peu à peu, désagrège une grande partie de ses missions nationales en matière d’action publique. Or la nature ayant horreur du vide, le marché va récupérer à profit des activités à haute valeur ajoutée.

Les règles de procédure ne nous autorisent pas à déposer des amendements sur une proposition de résolution, mes chers collègues socialistes. Sinon, vous savez que nous en aurions fait. Comme il s’agit d’une proposition de résolution, il nous faut donc répondre par oui ou non.

On le voit bien, tous ceux dans cet hémicycle qui ont choisi de s’abstenir l’ont fait pour des raisons diverses. C’est même plus que l’expression d’une diversité dans l’abstention : certaines prises de position ont été argumentées ; d’autres, à mon sens, n’ont en revanche pas été assez respectueuses du travail réalisé par nos collègues socialistes. Néanmoins, nous sommes défavorables à ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 25 avril 2019, en clôture du grand débat national, le Président de la République a annoncé sa volonté d’ouvrir un nouvel acte de la décentralisation. Représentant des collectivités territoriales de la République en application de l’article 24 de la Constitution, le Sénat est donc tout naturellement aux premières loges pour contribuer utilement à cette nécessaire évolution.

Si, là encore, il faut bien se garder de tout jeter par-dessus bord pour tenter d’atteindre les rives d’un pseudo-nouveau monde, force est de constater que de nombreuses erreurs ont été commises. La première d’entre elles est de penser qu’entre l’État-nation et les pouvoirs locaux, c’est surtout une affaire de partage de compétences.

Dans le meilleur des cas, cette répartition se fait sur des bases rationnelles : chacun se voit attribuer des compétences en fonction de ce qu’il sait ou peut mieux faire. Il est ainsi plus rationnel de confier l’activité de défense et d’entretien de l’armée à l’État plutôt qu’à un syndicat intercommunal. De même est-il sans doute plus astucieux que la collecte des ordures ménagères soit gérée par un syndicat intercommunal plutôt que par une direction d’administration centrale. Malheureusement, dans beaucoup de situations, le partage des tâches ne s’est pas fait de manière rationnelle, mais selon une succession invraisemblable de hasards, d’opportunités ou de réformes administratives ubuesques. Le résultat est que les Français n’y comprennent plus rien.

Aujourd’hui, pour retrouver un tant soit peu de cohérence, nous devons à l’évidence nous appuyer en priorité sur des échelons qui ont démontré leur pertinence et leur solidité face à l’usure du temps et aux diverses crises et réformes bâclées qu’a connues notre société. Nous devons nous appuyer sur ce qui est parfaitement identifié par nos concitoyens. Nous devons capitaliser sur ce qui est le fruit de notre histoire nationale et le fondement même de notre République. Je veux parler bien sûr de la commune et du département.

L’un des enseignements forts de la crise sanitaire que nous sommes en train de traverser, c’est que le couple maire-préfet demeure, et de très loin, le plus efficace et le plus adapté. Faut-il encore que ce dernier ne soit pas considéré comme un simple agent de fabrique ou un commissionnaire dans le meilleur des cas. Il est absolument nécessaire de renforcer la déconcentration pour rendre l’État plus proche du terrain et mieux adapter les prises de décision aux réalités locales.

Au regard de la diversité des territoires, de la singularité de leurs ressources, de leur histoire, la différenciation fait partie des gênes de la décentralisation. Elle doit être affirmée et reconnue, car elle constitue le meilleur moyen de réduire les inégalités territoriales et sociales.

Cette vision n’est pas celle d’un État qui serait affaibli ou dépecé d’une partie de ses compétences au profit des collectivités territoriales. Bien au contraire ! Les préfets pourraient devenir, à cette occasion, les référents et les représentants de toutes les agences de l’État. Qui d’entre nous, mes chers collègues, n’a pas assisté durant la crise sanitaire, médusé, à une réunion de coordination départementale au cours de laquelle le préfet s’est retrouvé face à trois administrations sur lesquelles il n’avait précisément pas prise : l’ARS, la DDFiP et le rectorat ?

Mais voilà que le temps passe, et je dois malheureusement conclure mon propos.

Je souhaite dire, sans esprit polémique, à nos collègues du groupe socialiste et républicain, qu’un tel sujet aurait, je crois, mérité une approche plus large et moins subreptice. Cela nous aurait sans doute aidés à faire abstraction d’un passé encore douloureux, dont François Hollande, Manuel Valls et Marylise Lebranchu sont l’incarnation même. (M. Vincent Éblé sexclame.) C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains s’abstiendra sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, si d’aventure certains de nos concitoyens avaient encore besoin d’être convaincus de l’efficacité des élus locaux et des collectivités territoriales pour leur assurer un service de qualité en vue de répondre à leurs besoins, je crois que la crise sanitaire aura achevé de le faire.

Le travail des élus de terrain a été unanimement salué : ils ont réagi dans l’urgence, fourni ou fabriqué des masques, organisé le confinement puis le déconfinement, accueilli les enfants à l’école, maintenu un bon fonctionnement des services publics locaux, alors que les directives de l’État se faisaient attendre, quand elles ne les obligeaient pas à composer avec des injonctions contradictoires.

L’urgence sanitaire a rappelé que les collectivités savaient faire preuve d’une remarquable agilité pour administrer leurs territoires, malgré les contraintes financières qui leur ont été imposées. À cet égard, notre proposition de résolution appelle le Gouvernement à compenser les pertes de recettes et les dépenses spécifiques des collectivités liées à l’épidémie de Covid-19.

Nous demandons, dans le même temps, que le Gouvernement mette en œuvre, dans les meilleurs délais et avec toute la souplesse nécessaire, le plan de soutien permettant à ces mêmes collectivités de relancer leurs investissements et de contribuer ainsi au soutien du tissu économique local.

Plus globalement, nous souhaitons remettre à plat la relation financière entre l’État et les collectivités. Nous demandons en premier lieu l’abandon des contrats de Cahors, carcans budgétaires léonins qui, aujourd’hui plus que jamais, sont en contradiction avec les besoins de solidarité et de relance économique.

Nous proposons ensuite, comme le demandent les associations d’élus, l’instauration d’une loi de financement des collectivités territoriales, en cohérence avec le projet de loi de finances, qui fixerait les dispositions financières, budgétaires et fiscales les affectant. Cette loi permettra de mettre fin aux incertitudes des collectivités, de leur donner de la visibilité sur les moyens mis à leur disposition. Cette loi de financement pour les collectivités serait un gage de clarification et de transparence permettant d’identifier toutes les composantes des ressources disséminées dans les différentes missions de la loi de finances, et pas seulement celles qui figurent dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

De plus, une modernisation des nomenclatures budgétaires serait intégrée à ce cadre financier, afin de ne plus simplement distinguer les dépenses de fonctionnement des dépenses d’investissement, et de mettre en lumière le niveau de dépenses contraintes des collectivités.

La dépendance financière des collectivités aux décisions de l’État s’est considérablement accrue ces dernières années. La suppression de la taxe d’habitation ainsi que son mode de compensation non seulement accentueront la dégradation de leur autonomie, mais impacteront aussi la dynamique de leurs ressources et auront des conséquences incontrôlées sur leurs multiples dotations.

Dans ce contexte, la perspective d’une remise en cause des impôts de production ne peut être acceptable. Nous demandons donc la suspension de cette réforme fiscale pour redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont impérativement besoin dans cette période ; nous proposons de redéfinir le ratio d’autonomie financière en éliminant de celui-ci les fractions du produit d’impôt national transférées et d’instaurer un ratio d’autonomie fiscale.

Par ailleurs, l’État doit assumer une compensation intégrale et évolutive des transferts de charge. De même, l’impact financier des dispositions normatives qui s’imposent aux collectivités locales doit être mesuré et compensé. Aujourd’hui, les ressources et les charges des collectivités sont totalement décorrélées et les principes mêmes de la péréquation obsolètes.

Nous proposons d’engager enfin la révision des valeurs locatives, qui fossilisent les inégalités territoriales, et de réviser l’ensemble des dotations de l’État, au premier rang desquelles la DGF, de manière à garantir un niveau de ressources minimum, notamment en stoppant la minoration des variables d’ajustement et en renforçant leur rôle péréquateur en tenant compte des inégalités structurelles entre les territoires.

De ce point de vue, nous pensons qu’il serait judicieux de déterritorialiser la fiscalité économique en organisant un prélèvement et une redistribution à l’échelon d’au moins une zone d’emploi dans le but de neutraliser les concurrences entre territoires et de favoriser la coopération en ce qui concerne l’accessibilité des usagers aux services et aux équipements. Pour éviter les concurrences parfois exacerbées entre territoires, nous suggérons l’encadrement strict des appels à projets, si ce n’est à court terme leur disparition pure et simple.

Enfin, nous souhaitons que le futur cadre financier proposé aux collectivités prenne en compte l’absolue nécessité de la transition écologique et de la soutenabilité environnementale des politiques publiques. L’État ne pourra se passer des collectivités et de leurs connaissances du territoire pour agir face à l’urgence climatique. Les collectivités ne veulent plus être les réceptacles des politiques nationales établies sans concertation avec les élus locaux. C’est au niveau des territoires que se jouent les questions de mobilité, de maîtrise de l’énergie et de rénovation énergétique. Il faut que l’État fasse confiance aux acteurs de terrain et les accompagne.

Nous demandons à cet effet la création d’une dotation verte territoriale pour donner aux collectivités les moyens du changement que, bien souvent, elles ont déjà engagé, mais qu’elles ne peuvent poursuivre plus avant faute des marges de manœuvre nécessaires. Cette dotation pourrait être créée grâce à une réorientation des dotations existantes et à l’addition d’une fraction d’un impôt national existant. Elle serait susceptible d’être abondée partiellement par des placements citoyens de type « livret d’épargne pour la transition locale ».

De manière globale, tous les défis d’avenir de notre pays, qu’il s’agisse de la transition énergétique et écologique, de la recherche d’un nouveau modèle agricole, de la réindustrialisation du pays, de l’approfondissement de la démocratie et d’une plus grande association des citoyens à la délibération collective, supposent un puissant mouvement de décentralisation. C’est la raison qui nous conduit à proposer un changement de paradigme, qui verrait les compétences de l’État limitativement énoncées dans la Constitution, celles des collectivités locales devenant la règle pour tous les autres sujets.

Pour conclure, je reprendrai volontiers la formule de François Mitterrand, qui est plus que jamais d’actualité : si « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire ». (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat nous donne l’occasion de nous interroger : de quoi la décentralisation est-elle le nom ?

Nous le savons bien, de la Bretagne à la Provence, la France est un patchwork construit sur un ensemble de provinces progressivement réunies, le plus souvent par la guerre et les mariages, et dont l’unité repose sur une langue commune instaurée par François Ier à travers la promulgation de l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539.

M. Stéphane Piednoir. Tout en harmonisant leurs organisations via la traduction d’une sorte de monarchie administrative, nos territoires ont conservé de fortes identités dans leurs traditions, leurs modes de vie, leurs singularités culturelles et économiques.

L’histoire tumultueuse de notre pays est marquée par ce jacobinisme, synonyme d’unité nationale et de stabilité politique, mais aussi par l’identification de la commune et du département, dès 1789, comme les échelons de base de notre administration.

Force est de constater que cet ordre des choses était suffisamment solide pour rester en l’état pendant plus d’un siècle et demi, jusqu’à ce vent de décentralisation du XXe siècle. Syndicats mixtes, intercommunalités, régions et pays ont successivement vu le jour, sans oublier les nombreuses agences, créant une superposition de strates administratives relativement complexe, répartissant les compétences de manière assez peu lisible pour les profanes et créant de nouvelles dépenses de structure qui, par effet cumulatif, ne sont pas étrangères à la colossale dette publique de notre pays.

Bien sûr, ces évolutions avaient du sens et correspondaient à de nouveaux besoins en matière d’organisation, à la reconnaissance d’une gestion de proximité, mais elles ont été trop souvent chamboulées et ont parfois autorisé l’État à se délester de certaines charges.

Les auteurs de cette proposition de résolution ne peuvent ignorer les effets de la désastreuse loi NOTRe, totalement inaboutie, fruit de la lubie de quelques-uns, ou plutôt de l’obsession de la majorité politique du moment, dont la seule ligne consistait à défaire ce qui avait été construit durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

M. Vincent Éblé. Le texte a été adopté à l’unanimité en CMP !

M. Stéphane Piednoir. Avec la suppression du statut de conseiller territorial, ainsi que la fusion à marche forcée des régions et des intercommunalités dans la proportion incroyable de 40 %, François Hollande a saccagé le travail de décentralisation des années 1970 et 1980.

M. Vincent Éblé. Vous réécrivez l’histoire !

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. C’est la mode ! (Sourires.)

M. Stéphane Piednoir. En dépit de ce capharnaüm administratif, les élus locaux aspirent aujourd’hui à la stabilité et revendiquent un principe assez simple : pas de nouveau transfert de compétences sans transfert de financement équivalent. Vaccinés par la décision sur les nouveaux rythmes scolaires et leur corollaire, le temps d’accueil périscolaire dans les écoles primaires, ils sont devenus extrêmement méfiants et regardent avec attention l’avenir du dispositif 2S2C introduit durant la crise sanitaire liée à la Covid-19.

La confiance envers l’État s’effrite dangereusement, et la colère monte même franchement lorsque le Gouvernement décide de manière unilatérale de retirer une partie de l’autonomie financière des collectivités locales en supprimant la taxe d’habitation…

M. Stéphane Piednoir. … ou encore en retirant la gestion de l’apprentissage aux régions.

La clarification des compétences est essentielle, avec un cadre général, mais aussi des différenciations possibles, comme le prévoyait le projet de loi 3D, désormais reporté sine die. À l’État les missions régaliennes, si malmenées ces derniers temps, aux exécutifs locaux l’administration et le développement au plus proche des citoyens. Les derniers mois ont illustré, si besoin était, la souplesse et la réactivité des collectivités pour répondre aux besoins urgents des administrés.

La clause générale de compétence des communes doit être garantie et la place stratégique des intercommunalités, des départements et des régions doit être renforcée en s’appuyant sur un pacte financier stable, qui ne peut être remis en cause à chaque projet de loi de finances. Comme l’évoquent les auteurs de cette proposition de résolution, cela pourrait prendre la forme d’une évolution de nomenclature visant à prendre en compte l’ensemble des dépenses contraintes, notamment par les normes.

Le renforcement de la décentralisation, souhaité par les acteurs locaux, peut et doit être mis en œuvre. Confier à chaque niveau de responsabilité les compétences qu’il sait le mieux exercer paraît évident, mais cela doit s’accompagner d’une démarche courageuse pour chasser les doublons et mettre fin à des compétences tellement croisées qu’elles en deviennent illisibles. Nous parviendrons alors enfin à réduire ces dépenses publiques, qui font notre triste singularité européenne et nous privent de marges de manœuvre pour passer des intentions aux actes et mener des politiques nationales et territoriales véritablement ambitieuses.

Pour prendre un seul exemple, si l’accent doit être mis sur la rénovation des bâtiments, le patrimoine public largement dégradé constitue une masse extrêmement importante de gains énergétiques. Lancer un plan État-région spécifique pour ce secteur est sans aucun doute pertinent pour relancer notre économie et converger vers les objectifs environnementaux que nous ne cessons, là aussi, d’empiler au fil des textes législatifs.

Partageant une partie des objectifs de ce texte, mais très réservé sur les modalités de leur mise en œuvre, je m’abstiendrai comme la plupart de mes collègues du groupe Les Républicains. (M. François Bonhomme et Mme Françoise Gatel applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. Kerrouche, ainsi que le groupe socialiste, pour cette proposition de résolution, qui nous donne l’occasion de débattre d’un sujet pour lequel vous connaissez, bien sûr, mon engagement.

Ce texte montre à quel point la décentralisation est devenue la forme naturelle de l’organisation de notre République, principe d’ailleurs gravé dans le marbre de la Constitution. Elle le doit à ses nombreux pères fondateurs, que ce soit des membres de votre famille politique, monsieur Kerrouche – vous avez rappelé le rôle important que le parti socialiste a joué –, ou d’autres serviteurs de l’État au-delà des frontières partisanes.

La décentralisation est aussi par essence un processus. À ce titre, elle suscite régulièrement réflexions et propositions, plus encore aujourd’hui, après une crise sanitaire que vous avez tous mentionnée et qui a mis à l’épreuve notre organisation territoriale. Aussi, vos propositions ne manqueront pas de venir nourrir les réflexions en cours.

Alors même que les conséquences de la crise sanitaire demeurent perceptibles – ne l’oublions pas –, j’ai la conviction que nous devons rester à l’écoute des événements. À cet égard, il faut faire preuve de prudence – peut-être aussi de modestie, monsieur Durain – lorsque l’on évoque les supposées réussites des uns ou les échecs des autres, car ils ont tous eu la volonté de servir au mieux leurs concitoyens.

Cela me gêne beaucoup d’entendre les uns et les autres saluer la réussite des collectivités territoriales en expliquant qu’elle a souvent pour corollaire l’échec de l’État. Moi, je crois que, dans un sens comme dans l’autre, chacun fait son travail et agit avec les responsabilités qui sont les siennes. Je pense aussi que, au moment où l’on en parle, on devrait saluer la réussite de l’État dans la lutte contre l’épidémie. Je pense bien sûr à tous les personnels qui, dans les hôpitaux, ont fait un travail absolument remarquable. Globalement, le système sanitaire français a tenu. Je rappelle d’ailleurs que l’État est le garant de la sécurité sanitaire et de la « sécurité sociale » dans notre pays, et ce n’est pas rien.

Nous devons donc rester à l’écoute des événements, mais garder également à l’esprit que la décentralisation est un sujet finalement assez complexe. Méfions-nous dès lors des réactions hâtives, ayons le courage d’assumer que, parfois, le besoin de stabilité et de pérennité l’emporte sur l’envie de transformer, si légitime soit-elle. C’était du reste, comme le sénateur Kerrouche le mentionnait dans son propos introductif, une demande unanime des élus locaux en 2017 au début du dernier mandat municipal. Je me souviens très bien que les élus me disaient à l’époque qu’il y avait eu suffisamment de réformes, qu’il ne fallait pas en rajouter, afin qu’ils puissent les digérer.

Cependant, des voix se sont élevées ici et au sein des associations d’élus pour demander un approfondissement de la décentralisation. Or la stabilité n’empêche pas la mobilité, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur Savoldelli. C’est ainsi que nous devons poursuivre le chemin que nous avons patiemment tracé, celui d’une reprise du dialogue entre l’État et les collectivités territoriales.

Vous le savez, j’ai lancé en janvier dernier une série de consultations régionales pour échanger avec les acteurs locaux de tous horizons sur leurs attentes en matière de décentralisation. Nous avons continué à discuter et à échanger sur ces sujets, y compris tout au long de la crise – mais évidemment par écran interposé – dans un climat, je dois le dire, de grande confiance.

Enfin, j’ajouterai peut-être qu’une longue vie d’élue locale m’a donné le temps de méditer quelque peu sur ces orientations : j’ai acquis la ferme conviction – c’est la raison pour laquelle j’ai préparé le projet de loi 3D – que la prochaine étape de la décentralisation n’était pas forcément ou ne devait pas forcément être la copie conforme de ce que l’on avait connu par le passé, que l’on vivait dans le moment présent et qu’il fallait regarder les choses telles qu’elles sont. C’est pourquoi j’ai ajouté au mot « décentralisation » les mots « déconcentration » et « différenciation ». C’est quelque chose que je sentais profondément dans le pays.

Nous avons pensé que la décentralisation résidait aussi dans les principes d’expérimentation et de différenciation. Aussi, mardi dernier, le Gouvernement a transmis au Conseil d’État un projet de loi organique relatif aux expérimentations territoriales. La différenciation territoriale, dont les premiers jalons seront posés dans ce texte, est bien le nouveau visage de la décentralisation. Elle mettra fin à une conclusion binaire, dont j’ai entendu parler tout à l’heure, chère Françoise Gatel, c’est-à-dire à la généralisation ou à l’abandon des projets au terme des expérimentations, de manière à pouvoir les pérenniser sur certains territoires.

Dans un pays construit depuis plus de deux siècles sur l’uniformisation, c’est bien sûr une révolution même si, je le dis pour rassurer ceux qui s’inquiètent de l’expérimentation ou de la différenciation, il existe déjà un certain nombre d’exemples en la matière dans le droit actuel et dans ce qu’un certain nombre de majorités ont réalisé. En votant la loi Montagne en 2016, par exemple, qu’a-t-on fait sinon reconnaître qu’il existe des territoires spécifiques et qu’il faut donc apporter des réponses spécifiques ? Ne nous mettons pas martel en tête quand on parle d’expérimentation et de différenciation, car on les pratique déjà. Cela étant, le projet de loi organique facilitera l’expérimentation et, donc, la différenciation.

Le grand historien Fernand Braudel écrivait, non sans admiration d’ailleurs, que « la France se nomme diversité ». C’est cette diversité que nos politiques publiques doivent désormais mieux prendre en compte pour s’y adapter. Il faut affirmer que des réponses différentes peuvent être apportées en fonction de la singularité des situations. C’est ce que j’appelle le « cousu main ». C’est d’ailleurs ce que nous avons fait, madame la présidente, en créant la Collectivité européenne d’Alsace, qui peut désormais exercer des compétences spécifiques et particulières, notamment sur des sujets qui la concernent au premier chef : je pense, par exemple, à l’expérimentation transfrontalière. Je ne vais pas plus loin de peur de susciter des débats chez les Alsaciens… (Sourires.)

Oui, nous devons pleinement assumer qu’il existe, au fond, une complexité de l’action publique, non pour nous y soumettre, mais pour en tirer le meilleur parti et tirer le meilleur parti des situations. C’est pourquoi le fait d’inscrire dans la Constitution ce qui relève du régalien ou non, ce qui relève seulement des compétences locales ou non, n’est à mon avis ni possible ni souhaitable. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Dans le cas contraire, quid de l’économie et du social ? Nous ne sommes pas un État fédéral, et chacun a rappelé ici la manière dont s’était construit l’État-nation. J’insiste moi aussi sur ce point. Je crois pour ma part à la phrase du général de Gaulle que vous connaissez sans doute : « L’action, ce sont les hommes au milieu des circonstances. »

Mme Jacqueline Gourault, ministre. La clarification des compétences est, bien sûr, un point important. La loi NOTRe, tant décriée, a apporté cette clarification – je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’elle contenait, mais on ne peut pas dire le contraire.

Aujourd’hui, les demandes de clarification sont toujours nombreuses. Cela étant, j’essaie de l’expliquer aussi simplement que possible, il est aussi tout à fait normal que, dans certains secteurs, les compétences soient partagées. Rappelez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les discussions qui ont eu lieu à l’occasion de l’examen de cette loi NOTRe – je siégeais dans cet hémicycle alors – : elles ont duré des heures et des heures.

Je prendrai l’exemple de la culture. On ne peut pas empêcher un État d’avoir une politique culturelle ! On ne peut pas empêcher des collectivités territoriales d’avoir une politique culturelle !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il faut donc reconnaître qu’il y a des secteurs de compétences partagées et trouver des solutions. D’ailleurs, elles existent. Parfois, au travers des accords passés entre l’État et les collectivités territoriales, chacun sait clairement qui fait quoi. Prenons le cas d’un projet qui est une réussite, et dont tout le monde a salué la pérennité : la signature entre l’État et les départements d’un plan Pauvreté. À partir de la reconnaissance d’une compétence partagée dans le domaine social, c’est un projet qui a été mené de manière volontaire, qui a été discuté collectivement et qui donne, aujourd’hui, de bons résultats sur les territoires.

C’est le sens de mon engagement et de celui du Gouvernement en faveur de la contractualisation, notamment, chère Françoise Gatel, au travers des pactes territoriaux.

Ainsi, nous renforcerons la concorde républicaine pour mieux protéger notre pays à l’avenir, car, depuis son origine, la décentralisation est une manière de préparer la France à mieux répondre aux défis contemporains et futurs.

Je pourrais, à cet égard, reprendre la citation du Président Mitterrand évoquée précédemment. L’actuel Président de la République, lui aussi, l’a dit : « L’organisation de l’État et de notre action doit profondément changer. » Pour cela, a-t-il souligné, nous devons donner « des libertés et des responsabilités inédites à ceux qui agissent au plus près de nos vies », sans écarter de pistes a priori.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Face à la crise écologique, face à la crise sanitaire, il est temps que l’État et les collectivités scellent une nouvelle alliance pour remporter la bataille des transitions, qu’il s’agisse de lutter contre le réchauffement climatique ou de préserver la biodiversité. Nous pouvons le faire en gardant à l’esprit cette pensée de Jean Bodin, que je cite souvent – vous m’avez entendue le faire un certain nombre de fois – : « Il n’est de richesse que d’hommes. » Ce sont notre force de caractère et notre capacité d’initiative qui nous permettront de faire plus et mieux.

Comme vous le savez, à la suite des concertations menées dans le cadre du projet de loi 3D, nous avons approfondi la décentralisation dans plusieurs domaines : la transition écologique, le logement, les transports. Par ailleurs, nous devons tirer les conséquences de la crise sanitaire dans le domaine de la santé et des solidarités. Enfin, c’est une problématique majeure, il nous faut accélérer la réforme de l’organisation territoriale de l’État. Vous avez tous évoqué ce sujet, qui a été le sujet numéro un dans toutes les réunions avec les associations d’élus auxquelles j’ai assisté, en présence du Président de la République ou du Premier ministre.

Cette accélération pourrait se traduire par un renforcement du mouvement de déconcentration des moyens, des pouvoirs et des agents de l’État. La restauration de l’unité de la parole de l’État dans les territoires, notamment autour de la figure du préfet de département, est également réclamée par tous.

M. Loïc Hervé. Ah oui ! Même par nous !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je n’entre pas dans le détail, puisque vous avez largement abordé la question, mais cette réflexion devra aussi, bien sûr, intégrer les agences et les opérateurs autonomes de l’État.

Je ne vais pas non plus ouvrir le débat sur la question des finances locales, que vous avez évoquée, monsieur Marie. C’est, si je puis dire, un débat dans le débat.

Au fond, votre contribution relance l’éternelle discussion sur l’autonomie financière des collectivités territoriales. Nous aurons l’occasion d’y revenir… C’est une discussion que j’ai souvent avec Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier et Charles Guené, et il est évidemment naturel de rouvrir ce débat si de nouvelles compétences sont transférées de l’État vers les collectivités territoriales. Cela étant, le sujet est beaucoup plus vaste, puisqu’il faut dans ce cas s’interroger sur les dotations de l’État, mais aussi sur le rôle des impôts locaux ou de certaines parts des impôts nationaux.

En conclusion, j’évoquerai une idée qui m’est chère – j’avais commis un rapport sur la question, dans cette assemblée, avec le sénateur socialiste Yves Krattinger – : il s’agit de l’intelligence des territoires. Il ne faut pas oublier ce qui se joue par le biais, pour reprendre les termes de Pierre Veltz, des « mille fils tendus » unissant déjà les territoires entre eux.

Doivent également s’inscrire dans notre réflexion les rôles joués par les citoyens au sein de ces territoires : créations, initiatives, démarches solidaires. Ils ont toute leur importance !

Il est vrai que les transitions nécessaires pourront être accélérées grâce aux territoires. Libérons les liens, multiplions les initiatives et inventons, ensemble, l’avenir de notre pays ! Pour ce faire, mesdames, messieurs les sénateurs, vous trouverez plus que jamais l’État aux côtés des territoires, dans le respect de l’exercice de leurs libertés locales, le but étant de garantir leur cohésion et l’équité entre tous nos concitoyens. (Mme Françoise Gatel et M. Didier Rambaud applaudissent.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

M. Patrick Kanner. Et le report des élections régionales et départementales ? Rappel au règlement !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Il est d’usage, quand un sénateur ou une sénatrice interpelle le Gouvernement, que le ministre ou la ministre lui réponde !

Personne ne doute ici de votre engagement en faveur de la décentralisation, madame la ministre, mais il se trouve que la réforme territoriale a été évoquée mardi midi lors d’un déjeuner avec le Président Macron, auquel j’ai participé.

M. François Bonhomme. Quelle chance !

M. Patrick Kanner. Le Président de la République a été très clair sur la question. Il a dit, je le cite pratiquement mot pour mot, qu’il souhaitait que les départements et régions passent par la « grande porte » – ces termes ont été utilisés – qu’il leur proposait, à savoir une réforme territoriale d’ampleur, potentiellement liée à leur engagement dans le grand plan de relance qu’il souhaite mettre en œuvre pour le pays, dans le cadre de la reconstruction sociale et économique à venir. Toutefois, cela ne serait pas compatible avec une échéance électorale en mars prochain.

Ce qu’il nous a dit, clairement, mais en creux, c’est en fait la chose suivante : si vous préférez passer par la petite porte des élections, faites-le ; moi, je passerai au-dessus et défendrai l’intérêt général pour sauver le pays ! C’était une déclaration très solennelle.

Ma question est donc simple. Le Président de la République lie la réforme territoriale au report potentiel des élections départementales et régionales. Une grande majorité des membres de cette chambre – j’ai vérifié cela auprès du président Bruno Retailleau – estiment, au contraire, que nous sommes capables de contribuer au grand effort de reconstruction du pays, tout en ne repoussant pas l’échéance électorale de mars prochain. Nous sommes manifestement en mesure de faire les deux en même temps. D’ailleurs, l’histoire récente a montré que des maires, même battus, étaient capables d’aider leurs administrés. C’est donc aussi possible dans les communes que, à juste titre, vous défendez.

Nous voudrions donc avoir, sinon une réponse claire sur le sujet, en tout cas une orientation de votre part. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur le président Kanner, je ne veux pas me dérober, mais je crois que vous en savez autant que moi. (Rires.)

Je n’ai pas assisté au déjeuner auquel vous faites référence. En revanche, j’ai assisté à celui qui a réuni deux présidents de région et le Président de la République, durant lequel ce sujet a effectivement été abordé. Pour vous dire la stricte vérité, c’est même le président de l’Association des régions de France qui a fait observer que les élections allaient de dérouler en plein milieu du plan de relance. Le Président de la République a répondu qu’il en avait conscience. Je n’en sais pas plus.

M. René-Paul Savary. Ça, c’est précis…

M. François Bonhomme. Nous voilà rassurés !

Mme la présidente. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1er, 24 et le titre XII de la Constitution,

Vu la charte européenne de l’autonomie locale,

Vu le code général des collectivités territoriales,

Vu les travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat,

Proclame son attachement à l’organisation décentralisée de la République française ;

Affirme la nécessité d’une clarification de la répartition des compétences au sein de la République en soulignant l’exigence pour l’État de se focaliser sur ses compétences régaliennes, d’infrastructures nationales et de solidarité. Les compétences dévolues à l’État doivent être listées dans la Constitution, les autres relevant de la compétence locale ;

Affirme la place fondamentale de la commune comme cellule de base de l’organisation territoriale, située au plus près des besoins des populations, et premier échelon de la vie démocratique ;

Souligne que les communes sont dotées d’une clause générale de compétence qui doit être garantie par la Constitution ;

Affirme que les communes nouvelles sont un outil efficace de redéfinition de l’échelon communal fondé sur une démarche volontaire des élus et que cette dynamique doit être facilitée ;

Affirme que l’intercommunalité est un outil essentiel de solidarité, de coopération et de projet au sein duquel chaque commune doit avoir sa juste représentation ;

Affirme le rôle incontournable du département comme l’échelon des solidarités humaines et territoriales et de l’ingénierie de proximité ;

Affirme la place stratégique des régions, à l’échelle nationale et européenne, en matière de développement économique durable, d’aménagement du territoire et de transition écologique ;

Considère que les élus locaux appellent moins à un bouleversement institutionnel ou des compétences entre niveaux de collectivités qu’à un approfondissement de la décentralisation ;

Affirme, en revanche, que la priorité est à un nouveau cycle de redistribution des compétences de l’État vers les collectivités territoriales, et notamment :

– en matière de développement économique, en rétablissant aux régions le pilotage de la politique de l’apprentissage et en leur confiant celle du service public de l’emploi ;

– en matière de santé, en redonnant aux élus locaux, et notamment aux maires et aux présidents de conseils départementaux, un rôle et des pouvoirs accrus dans la gouvernance hospitalière et l’organisation territoriale de l’accès aux soins qui sera le corollaire de la mise en œuvre d’un cinquième risque ;

– en matière d’action sociale et médico-sociale, en confiant aux départements le pilotage des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) ainsi que celui de la médecine scolaire ;

– en matière de gestion des fonds structurels européens, en faisant de la région l’autorité de gestion du Fonds social européen territorialisé et, plus largement, de l’ensemble des fonds structurels ;

Considère que les transferts et l’exercice de compétences doivent s’accompagner à moyen terme de la mise en place d’un cadre financier stable et pluriannuel par :

– la création d’une loi de financement des collectivités territoriales, en cohérence avec le projet de loi de finances, qui fixe les dispositions financières, budgétaires et fiscales les impactant et permettrait d’assurer une meilleure lisibilité et une transparence du financement des collectivités ;

– la redéfinition du ratio d’autonomie financière en éliminant de celui-ci les fractions de produit d’impôt national transférées aux collectivités territoriales, ainsi qu’en instaurant un ratio d’autonomie fiscale ;

– la révision des dotations de l’État de manière, d’une part, à garantir un niveau de ressources minimum, notamment en stoppant la minoration des variables d’ajustements, et, d’autre part, à renforcer leur rôle péréquateur en tenant notamment compte des inégalités structurelles entre des territoires caractérisés par une accumulation d’atouts et les autres ;

– des compensations intégrales et évolutives de transfert de charges de l’État vers les collectivités territoriales, ce qui implique une mesure systématique de l’impact financier des dispositions normatives qui concernent les collectivités locales ;

– la déterritorialisation de la fiscalité économique en organisant un prélèvement et une redistribution à l’échelle au moins d’une zone d’emplois dans l’objectif de neutraliser les concurrences entre territoires et de favoriser la coopération dans l’accessibilité des usagers aux services et équipements ;

– l’évolution des nomenclatures budgétaires afin de ne plus simplement distinguer dépenses de fonctionnement et d’investissement mais de mettre en lumière le niveau de dépenses contraintes des collectivités ;

– l’encadrement strict des appels à projet et une limitation drastique – si ce n’est la disparition – de cette possibilité de telle façon que ces appels à projet ne mettent pas systématiquement en concurrence les territoires entre eux ;

Considère que ce cadre financier doit tenir compte de l’absolue nécessité de la transition écologique de notre pays et de la soutenabilité environnementale des politiques publiques qui doivent notamment se traduire par la création pour chaque niveau de collectivité d’une « dotation verte territoriale » pour des territoires « décarbonés », susceptible d’être abondée partiellement par des placements citoyens du type « livret d’épargne pour la transition locale » ;

Dans l’immédiat, appelle le Gouvernement, d’une part, à renforcer son plan de soutien destiné à compenser les pertes des collectivités liées à l’épidémie de Covid-19, notamment pour les départements confrontés à un effet ciseaux du fait de la baisse importante de leurs recettes et à une augmentation conséquence des dépenses sociales, et, d’autre part, à mettre fin aux contrats de Cahors et suspendre la réforme de la fiscalité locale, notamment celle de la taxe d’habitation, pour redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont impérativement besoin dans cette période ;

Encourage le Gouvernement à prolonger ce plan de soutien par un « plan de rebond territorial » qui doit permettre aux collectivités d’engager des investissements massifs, par priorité à destination de la santé, de la couverture et de l’accessibilité numériques ou de la transition écologique : rénovation thermique des bâtiments, éco-tourisme, agro-foresterie, développement des circuits courts, gestion durable de l’eau, développement des mobilités douces, du fret ferroviaire et fluvial, production locale d’énergies renouvelables… ;

Proclame la nécessité de mettre en œuvre de nouveaux leviers d’action affirmant le primat de la subsidiarité et qui permettront aux collectivités de mener à bien les politiques publiques locales :

– en autorisant, d’une part, au sein du bloc communal, le transfert « à la carte » des compétences facultatives des communes à l’EPCI, et, d’autre part, l’exercice différencié d’une même compétence au sein du même EPCI (par commune, groupe de communes au sein de l’EPCI, ou totalité de l’EPCI) ;

– en donnant compétence aux collectivités territoriales frontalières des pays de l’Union européenne de nouer des partenariats avec leurs homologues sans être soumis systématiquement à une validation étatique ;

– en facilitant le recours à l’expérimentation locale. La dérogation accordée doit pouvoir être pérennisée sans pour autant faire nécessairement l’objet d’une généralisation. Cela pourrait notamment permettre aux départements volontaires d’expérimenter la mise en œuvre d’un revenu de base ;

– en créant un droit à la différenciation qui favorise l’innovation territoriale, permette d’adapter l’exercice des compétences à la diversité territoriale et donne plus de souplesse à l’action publique ; sans pour autant que cette différenciation n’ait pour objet ou effet de déshabiller un niveau de collectivité au profit d’un autre ;

– en conférant au pouvoir réglementaire des collectivités une portée effective leur permettant de déterminer les modalités d’application de la loi dans leurs domaines de compétences. Chaque collectivité serait compétente en cas de non-renvoi au pouvoir réglementaire de l’État ou en complément de celui-ci. Le pouvoir de saisine du conseil régional prévu par la loi Notre pour proposer des adaptations réglementaires, en vigueur ou en cours d’élaboration, serait étendu aux autres niveaux de collectivités ;

– en assurant un fonctionnement optimal du territoire qui rompe avec la logique de frontière et de concurrence entre collectivités liée aux périmètres géographiques de chacune ;

– en établissant à l’échelle départementale – ou interdépartementale – un ou des pactes interterritoriaux prescriptifs qui s’assurent, dans le cadre d’une coopération entre tous les niveaux de gouvernement, d’un accès et d’une distribution équitable des biens et services publics accessibles en moins de 30 minutes aux citoyens du périmètre concerné. Ce ou ces pactes s’assureront tout particulièrement de la continuité des services entre collectivités notamment en matière de réseaux (transports collectifs, mobilités douces, déchets, eaux…). Ils doivent permettre d’intensifier la transition écologique. Ces pactes constitueront également une opportunité de revivifier les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR) et les pôles métropolitains ;

Encourage l’État, en parallèle de cet approfondissement de la décentralisation, à mener à bien la réforme de son organisation territoriale, dans le cadre de la redéfinition des compétences qui sera inscrite dans la Constitution :

– en clarifiant son champ d’intervention et en éliminant les doublons, notamment dans les domaines où les compétences sont transférées aux collectivités territoriales ;

– en mettant fin au processus « d’agencification » de l’État qui, compte tenu du caractère mono-tâche et centralisé de ces agences, l’éloigne d’une transversalité et d’une proximité des politiques publiques ;

– en renforçant l’autorité des préfets de département sur les services déconcentrés ;

– en faisant du corps préfectoral l’interface unique de communication avec les élus dans le département ;

Demande que cet approfondissement de la décentralisation s’accompagne d’un affermissement de la démocratie locale par :

– la nécessité de démocratiser les fonctions exécutives intercommunales afin d’accroître leur légitimité et leur redevabilité, de mieux représenter les communes et de respecter la parité ;

– plus fondamentalement, de renforcer la présence des femmes à la tête des exécutifs locaux ;

– un accroissement des droits des élus, et notamment ceux des élus de l’opposition ;

– une séparation stricte des fonctions « exécutives » et « législatives » locales ;

– différents dispositifs de participation citoyenne pour contribuer à l’acceptabilité des projets locaux (comme, par exemple, les jurys citoyens non décisionnels, les conférences de consensus, les budgets participatifs…) ;

– une meilleure association des conseils de développement ;

Considère qu’une avancée de la décentralisation nécessite une réaffirmation de la place des élus pour aboutir à une démocratisation des fonctions électives locales. Cette évolution passe par :

– la mise en place au sein du code général des collectivités territoriales (CGCT) d’une partie spécifique dédiée au statut de l’élu ;

– la possibilité pour certains élus d’exercer leur fonction de manière exclusive à plein temps ou à temps partiel, en fonction de la taille de la collectivité, en devenant agent civique territorial ;

– la limitation nécessaire dans ce système du cumul dans le temps à trois mandats exécutifs dans la même fonction (à part dans les communes de moins de 1 000 habitants), cette règle constituant un levier majeur pour accélérer le renouvellement de la classe politique et la féminisation des assemblées ;

– une valorisation de l’expérience élective dans le parcours professionnel individuel (qu’il s’agisse d’une possibilité de diplôme et/ou d’une validation des acquis de l’expérience) ;

Enfin, appelle à renforcer les moyens d’information et d’évaluation du Sénat pour contribuer à l’amélioration de la production normative relative aux collectivités territoriales et à l’articulation de leurs rapports avec l’État :

– en joignant l’avis du Conseil consultatif d’évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements ;

– en créant une commission sénatoriale d’évaluation des lois relatives à l’organisation territoriale en vue d’en mesurer leur impact et notamment leur congruence avec une offre équitable de service public sur les territoires. Cette commission doit pouvoir recourir à des expertises indépendantes auprès de la recherche publique ou faire appel à des institutions ou organismes publics existants (Conseil d’État, Cour des comptes, France Stratégie…).

Vote sur l’ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation
 

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Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
Discussion générale (suite)

Création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19

Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19, présentée par Mme Victoire Jasmin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 425, texte de la commission n° 531, rapport n° 530).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi.

Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette France du 25 juin 2020, qui commence progressivement à panser les plaies de cette terrible pandémie, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter est un texte attendu et espéré par beaucoup.

Mes premières pensées sont évidemment pour les victimes de la Covid-19 et leurs familles.

Je tiens également à associer à nos travaux mes collègues du groupe socialiste et républicain, qui ont, avec moi, déposé cette proposition de loi, plus particulièrement le sénateur Lurel. Je les remercie tous de la confiance qu’ils m’ont accordée.

J’en profite enfin pour saluer l’excellent rapport fait, au nom de la commission des affaires sociales, par ma collègue Corinne Féret, que je remercie pour les amendements proposés afin d’améliorer le texte initial.

Ce texte, rédigé durant les heures les plus tragiques de la propagation de l’épidémie de la Covid-19 en France et partout dans le monde, est une forme de réponse à l’engagement de certains de nos concitoyens – à nouveau, j’ai une pensée particulière pour ceux qui sont décédés et pour leurs proches. Il aborde certaines difficultés rencontrées par ceux qui, parmi nous, ont été directement confrontés à cette épidémie.

Bien sûr, au fil des jours, les applaudissements à vingt heures et les manifestations de gratitude envers les premiers de corvée se sont faits plus discrets, mais la gratitude demeure envers toutes les personnes qui ont assuré la continuité des services essentiels à la vie de la Nation. Je pense évidemment aux professionnels et aux bénévoles de santé, ainsi qu’aux personnels des premiers secours, aux pompiers, aux ambulanciers, aux techniciens de laboratoire, aux forces de sécurité, aux services d’aide à la personne, aux services de propreté et de salubrité publique, aux salariés des pompes funèbres, aux salariés de la grande distribution ou aux agents de la RATP. Je pense aussi aux bénévoles de la réserve sanitaire, et à tant d’autres qui se sont mobilisés pendant le confinement.

Cette proposition de loi repose sur un constat assez simple : la période que nous venons de connaître a été sans précédent, tant par sa gravité que par la rapidité de la propagation de l’épidémie à l’échelle mondiale.

Face aux risques accrus de contagion et de morbidité associés au coronavirus SARS-CoV-2, nous avons en urgence dû adopter des mesures exceptionnelles de confinement, afin de mettre à l’abri le plus grand nombre d’entre nous. Ces mesures de salubrité publique nous ont permis d’épargner de nombreuses vies, et, même si le bilan des décès suite à l’infection reste trop lourd, nous pouvons collectivement nous féliciter de la réussite de ce confinement.

Pour autant, certains travailleurs et bénévoles ayant poursuivi leurs activités professionnelles ou associatives pendant cette période ont été exposés à un risque accru de contamination, d’autant plus accru que les équipements de protection individuelle et collective, nous le savons, faisaient alors cruellement défaut.

Parmi les malades de la Covid-19, peu sont des professionnels qui ont dû maintenir leurs activités pendant le confinement. Heureusement, l’immense majorité de ces professionnels ont été atteints d’une forme bénigne, parfois passée totalement inaperçue et sans aucun impact sur leur état de santé. Malheureusement, certains ont développé des formes sévères de l’infection. Pour un nombre très limité d’entre eux, ils en garderont des séquelles, lourdes pour les malades et pour leurs familles, souvent irréversibles au plan psychologique et allant jusqu’à la mort dans les cas les plus graves.

Quand il y a eu décès, alors que les personnes s’étaient retrouvées seules, sans contact avec leurs proches, les services funéraires se sont déroulés dans des conditions particulièrement difficiles, rendant d’autant plus pénible le travail de deuil pour de nombreuses familles.

Comme cela fut annoncé par le ministre des solidarités et de la santé, le 23 avril dernier, certains pourront prétendre à des réparations au titre de la maladie professionnelle. Il est heureux qu’à l’approche de l’examen de cette proposition de loi le Gouvernement se soit enfin décidé à accélérer la publication des ordonnances et décrets permettant cette reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle pour les soignants.

Mais cette avancée réglementaire ne permettra pas de reconnaître les services rendus à la Nation par tous ceux qui ont travaillé. C’est pourquoi, afin de matérialiser notre reconnaissance et faire preuve de notre humanisme envers ceux qui étaient mobilisés sur le front – nous étions en guerre ! –, nous leur devons de faire évoluer la loi.

Voilà pourquoi cette proposition de loi institue un fonds d’indemnisation des victimes graves de la Covid-19, destiné à offrir, à ces victimes ou à leurs ayants droit, une réparation intégrale de leur préjudice.

Les attentes sont grandes et légitimes, comme nous l’ont montré les auditions des associations représentant les victimes, mais aussi celles de la Caisse nationale d’assurance maladie et de la Direction de la sécurité sociale. Ces entretiens ont mis en lumière la nécessité d’instituer un processus d’indemnisation simplifié et équitable de tous les travailleurs ou bénévoles qui, par obligation, auraient été exposés à un risque accru de contamination pendant le confinement.

Il va sans dire que le fonds qu’il vous est proposé de créer ne se substitue pas au régime d’indemnisation des maladies professionnelles. Il en est clairement complémentaire ! D’ailleurs, opposer les deux mécanismes serait un non-sens : ils s’articulent ensemble, dans le respect d’une même logique, mais avec des modalités techniques d’application différentes.

J’entends évidemment les réserves exprimées par certains à l’idée de lier maladie contagieuse, infectieuse, et maladie professionnelle. Ils font valoir le risque, à l’avenir, d’une multiplication excessive des contentieux.

Pour autant, alors qu’il y a aussi eu des réclamations pour ouvrir la réparation de ce fonds à l’ensemble de la population, il apparaît qu’une circonscription, comme le proposent la rapporteure, Mme Féret, et l’ensemble du groupe socialiste, par la réduction du champ d’application à une période limitée – la période de l’état d’urgence – apporte les gages et les garde-fous nécessaires, levant ainsi les obstacles au vote de cette proposition de loi.

S’agissant du financement, point clé de tout principe de réparation, si l’on peut légitimement repenser une contribution de l’État ou celle des employeurs par le biais de la branche AT-MP (accidents du travail-maladies professionnelles) de la sécurité sociale, le choix de la création d’une taxe additionnelle à la taxe Gafam, au vu des énormes bénéfices engrangés par les géants du numérique pendant le confinement, apporterait une forme d’équité sociale et de pragmatisme fiscal.

L’orientation proposée dans ce texte est donc réaliste, équilibrée et juste.

Durant le confinement, ils ont été qualifiés de « premiers de corvée », parfois de soldats exposés au risque de contamination, à un moment, faut-il le rappeler, où la France manquait cruellement de masques.

Je suis certaine que le Gouvernement a tiré les premières leçons et que nous ne reproduirons pas à l’identique les mesures exceptionnelles du confinement – même en cas de seconde vague, nous serons prêts à faire autrement.

La gratitude de la Nation doit donc maintenant s’exprimer. À cet effet, je vous propose un outil simple et juste, fondé sur des principes clairs et des critères objectivables, afin de permettre la réparation intégrale des préjudices subis par un nombre limité de personnes, professionnels ou bénévoles ayant dû poursuivre leurs activités pendant le confinement pour que nous soyons là, aujourd’hui, et qui en sont décédés ou gardent des séquelles importantes de la maladie ainsi contractée.

C’est donc avec humilité, gravité et confiance que je vous soumets cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’un fonds d’indemnisation au titre d’une contamination par un agent pathogène à transmission respiratoire peut surprendre. Ce serait en effet une première.

J’entends, bien entendu, les interrogations légitimes de plusieurs de mes collègues sur l’opportunité de créer un précédent, qui risquerait de fragiliser notre système assurantiel de réparation des risques professionnels. Ce système repose sur la responsabilisation des employeurs dans la protection de leurs salariés, protection qui s’est avérée difficile à garantir face à une maladie infectieuse ayant largement circulé dans la population générale, bien au-delà des seules situations professionnelles.

Je voudrais néanmoins rappeler l’esprit de cette proposition de loi, déposée par notre collègue Victoire Jasmin, que je salue. Ce texte a pour objectif essentiel de répondre à une situation parfaitement inédite. Il vient reconnaître l’engagement professionnel et bénévole de nombreux de nos concitoyens pendant la phase aiguë de l’épidémie de Covid-19 pour assurer la continuité de services indispensables à la vie de la Nation.

Dès le début de l’épidémie, les soignants et personnels d’établissements de santé et médico-sociaux se sont mobilisés pour prendre en charge les malades. À cette occasion, ils ont été exposés à un risque accru de contamination par le SARS-CoV-2, d’autant que les équipements de protection individuelle faisaient défaut. C’est la raison pour laquelle le ministre des solidarités et de la santé a annoncé la mise en place, en faveur des soignants, d’un dispositif de reconnaissance automatique comme maladie professionnelle de leur contamination. Toutefois, les contours de ce dispositif n’ont pas été précisés : nous ne savons pas s’il intégrera les personnels administratifs et d’entretien de ces établissements, et il devrait vraisemblablement se limiter à une réparation forfaitaire.

Par ailleurs, pendant le confinement, au-delà du soin, d’autres secteurs d’activité ont continué de fonctionner afin de répondre aux besoins essentiels de la Nation. Je pense aux premiers secours, aux ambulanciers, aux forces de sécurité, aux personnels de l’éducation nationale et des crèches qui ont accueilli les enfants de soignants, aux services d’aide à domicile, aux services de propreté et de salubrité publique, aux salariés des pompes funèbres, aux salariés de la grande distribution, des transports, de la logistique et de la livraison, du secteur postal ou encore aux salariés des abattoirs…

La réalité est la suivante : ces nombreux travailleurs et bénévoles, qui ont dû poursuivre leur activité en dehors de leur domicile pendant le confinement, ont été exposés à un risque accru d’infection par le coronavirus. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la Covid-19, qui ont pu donner lieu, notamment à l’issue d’une hospitalisation dans un service de réanimation, à des séquelles invalidantes ou incapacitantes, telles que des atteintes respiratoires, neurologiques, cardiaques ou dermatologiques, ou ont pu conduire à des décès.

Or quels sont les recours s’ouvrant à elles pour obtenir une réparation juste de leurs préjudices, en reconnaissance du service rendu à la Nation ? À tout le mieux, elles devront s’engager dans une procédure longue de demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, avec un risque d’inégalités de traitement et, donc, de contentieux. Il est effectivement exigé dans ce cadre un taux d’incapacité permanente d’au moins 25 %, le dispositif n’étant, du reste, pas ouvert aux bénévoles.

Face à cette situation, la proposition de loi vise à instituer un processus d’indemnisation intégrale simplifié et équitable de l’ensemble des personnes qui auraient été exposées à un risque accru de contamination pendant le confinement, au-delà des seuls personnels soignants. Comme c’est déjà le cas pour les victimes de l’amiante, cette réparation intégrale pourrait, le cas échéant, venir compléter la réparation forfaitaire obtenue par les travailleurs par la voie des tableaux de maladies professionnelles nouvellement créés ou des CRRMP.

Afin d’acter le lien entre l’indemnisation et le service rendu à la Nation par des personnes qui n’ont pu rester confinées, j’ai présenté en commission plusieurs amendements destinés à circonscrire tant le champ des bénéficiaires du fonds que son horizon temporel.

J’ai notamment proposé de définir les éléments qui permettront d’établir une présomption irréfragable de contamination en milieu professionnel ou bénévole, dans le souci d’alléger la charge de la preuve pesant sur les victimes. Ces éléments auraient pu reposer, d’une part, sur une liste d’activités professionnelles ou bénévoles ayant été exposées à un risque accru de contamination et, d’autre part, sur des critères objectivables permettant de présumer, avec une assurance raisonnable, une contamination en milieu professionnel ou bénévole.

Ensuite, afin de consacrer le caractère exceptionnel du dispositif, j’ai proposé à la commission de fixer une borne temporelle au risque d’exposition professionnelle ou bénévole à la contamination justifiant une indemnisation intégrale. Il s’agissait de prendre acte du fait que, pendant la phase aiguë de l’épidémie, pour assurer la continuité de certains services, des personnes ont été plus exposées à un risque d’infection que toutes celles qui pouvaient rester à leur domicile. Cette période aurait débuté le 16 mars 2020, date de mise en place du confinement, et aurait pris fin à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 10 juillet 2020.

Enfin, s’agissant du financement du fonds, j’ai eu le souci de ne pas le faire reposer uniquement sur une contribution de la branche AT-MP, dont la logique assurantielle est régulièrement mise à mal. L’exposition au virus d’agents de l’État et l’indemnisation des ayants droit de personnes décédées plaident en effet pour une mobilisation de la solidarité nationale par un engagement financier de l’État. C’est pourquoi j’ai proposé à la commission que le financement du fonds s’appuie également sur une contribution de l’État.

La commission des affaires sociales n’a pas adopté ces propositions de modification, qui, à mon sens, auraient garanti la crédibilité et le caractère opérationnel d’un dispositif qui entend répondre à une situation, je le répète, exceptionnelle. La commission a en effet estimé que, en l’état des connaissances scientifiques parcellaires sur les effets à long terme sur la santé du virus, les conditions n’étaient pas réunies pour instituer un fonds d’indemnisation. Pour autant, la majorité de la commission des affaires sociales a clairement affirmé que son abstention sur le texte en commission ne vaudrait pas adhésion en séance publique. Le texte qui vous est donc soumis en séance est essentiellement celui de la proposition de loi initiale, dont les articles n’ont pas été modifiés, seul l’intitulé du texte ayant fait l’objet d’une rectification rédactionnelle.

Bien que mes propositions de modification n’aient pas été retenues en commission, je vous invite, à titre personnel, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre lépidémie de covid-19. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise sanitaire que nous venons de vivre est, à bien des égards, inédite : inédite par sa fulgurance et sa diffusion – jamais un virus n’avait circulé aussi vite sur l’ensemble de la planète –, inédite par sa mortalité auprès des plus fragiles d’entre nous, inédite, enfin, par la mobilisation que nous lui avons opposée.

L’ensemble de nos forces sanitaires se sont mobilisées, en première ligne face au virus, sans faillir. Le pays a ainsi continué à vivre grâce à ces travailleurs de « deuxième ligne », pour citer le Président de la République : agriculteurs, éboueurs, enseignants, chauffeurs routiers, manutentionnaires, hôtes et hôtesses de caisse, travailleurs sociaux, sans oublier – et cette liste n’est pas exhaustive – les maires et les élus locaux, que votre chambre, mesdames, messieurs les sénateurs, représente si bien.

Vous avez raison, madame la sénatrice Jasmin, les conditions que l’épidémie nous a imposées pour les funérailles des victimes du Covid-19 ont été douloureuses pour les proches et pour les familles.

L’ensemble des Françaises et des Français se sont mobilisés face à cette épidémie. La crise sanitaire n’est d’ailleurs pas achevée, et les actualités internationales nous montrent qu’il nous faut rester vigilants partout, y compris sur notre territoire.

Pourtant, à la crise sanitaire s’ajoute maintenant le risque d’une crise socio-économique.

Nos concitoyens ont fait face, il est donc normal qu’ils demandent de la protection face à cette crise. Dans l’urgence, le Gouvernement y a répondu : activité partielle généralisée, primes au personnel soignant, plan de soutien aux secteurs sinistrés, allocation exceptionnelle pour les plus fragiles.

Nous sommes aujourd’hui dans une seconde phase, avec le Ségur pour le monde de la santé, mais aussi le soutien aux salariés et aux entreprises et la préparation du plan de relance de l’activité.

Cette proposition de loi déposée par Mme la sénatrice Victoire Jasmin et ses collègues du groupe socialiste et républicain vise à indemniser les personnes qui ont été touchées par le Covid-19 dans le cadre de leur activité professionnelle. Elle prévoit une indemnisation intégrale de toutes les personnes atteintes du Covid-19 ayant été en contact avec des personnes contaminées ou des objets susceptibles de l’être dans le cadre de leur activité professionnelle ou bénévole, ainsi que leurs ayants droit.

Le Gouvernement, madame la sénatrice, partage votre attention sur ce sujet sensible, éminemment complexe. Je connais la difficulté des personnes atteintes du Covid dans le cadre de leur activité professionnelle, ainsi que celle de leurs proches.

Selon cette proposition de loi, il reviendrait au demandeur de justifier de sa contamination dans un cadre professionnel. Une commission médicale indépendante constituée au sein du fonds se prononcerait sur le lien entre la contamination et la pathologie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la prise en charge des travailleurs atteints du Covid-19 dans le cadre professionnel est indispensable. C’est une préoccupation majeure du Gouvernement.

Tout d’abord, nous souhaitons apporter une attention particulière aux soignants – cela a été dit par Mme la rapporteure et par Mme la sénatrice Jasmin. Le 23 mars dernier, le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, s’y est engagé : « Aux soignants qui tombent malades, je dis que le coronavirus sera systématiquement et automatiquement reconnu comme une maladie professionnelle. »

Nous avons un devoir : faire en sorte que les soignants ayant contracté le Covid-19 après avoir soigné des patients atteints puissent obtenir une reconnaissance de maladie professionnelle et une indemnisation en cas de séquelles et de décès. S’agissant de ces travailleurs de première ligne, c’est la moindre des choses. Pour les autres travailleurs contaminés dans le cadre de leur activité professionnelle, nous voulons une indemnisation facilitée. C’est un objectif que je partage avec vous.

Madame la rapporteure, je ne partage cependant pas l’idée de créer un fonds d’indemnisation dédié, ce qui est le cœur de cette proposition de loi. Nous parlons de risques professionnels, nous parlons de travailleurs : notre sécurité sociale dispose d’une branche dédiée à ces questions, la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dites AT-MP, que vous avez vous-même évoquée dans votre propos.

Cette branche est la plus ancienne de notre système de protection sociale. Elle est gérée par les partenaires sociaux, et c’est d’ailleurs un pilier de notre démocratie sociale.

Enfin, cette branche fonctionne bien. Elle est tout à fait apte à cette mission.

À l’inverse, je le crois, créer un fonds serait un dispositif lourd et complexe. Il faudrait prévoir une expertise individuelle sur chaque dossier, ce qui serait aussi une source de nombreux contentieux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne crois pas que cela soit l’intérêt des victimes.

Ce que le Gouvernement propose, c’est de mettre en place un système de reconnaissance simplifié et rapide. Il se traduira par des décrets qui seront présentés très prochainement aux partenaires sociaux, comme le prévoient les textes en vigueur.

Nous allons donc créer un tableau de maladies professionnelles dédié. Il permettra à tous les soignants atteints d’une forme sévère de Covid-19 de bénéficier d’une reconnaissance en maladie professionnelle.

Comme cela m’a été demandé, je veux préciser quelques éléments.

Ce tableau concernera tous les soignants des établissements sanitaires et médico-sociaux, tous les personnels non soignants travaillant en présentiel dans ces structures, toutes les personnes assurant le transport et l’accompagnement des personnes atteintes du Covid-19.

Les professionnels de santé libéraux bénéficieront de cette reconnaissance dans les mêmes conditions que les autres soignants.

Pour les travailleurs non soignants – je crois que c’est notre objectif commun –, la procédure sera facilitée. En lieu et place des comités régionaux, un comité national dédié au Covid-19 sera constitué ; il assurera un traitement homogène et rapide des demandes.

La reconnaissance des maladies professionnelles est importante, vous le savez. Elle permet une prise en charge des frais de soins à hauteur de 100 % des tarifs d’assurance maladie, une prise en charge plus favorable des indemnités journalières et une indemnité en rente ou en capital en cas d’incapacité permanente.

Une rente est versée aux ayants droit en cas de décès, s’élevant à 40 % du salaire de la victime pour l’époux survivant et à 25 % pour chaque enfant à charge, jusqu’à leurs 20 ans.

C’est une indemnisation importante pour les victimes, dans un cadre simplifié et efficace, avec une prise en charge adaptée à l’origine professionnelle de la maladie.

Avec ces mesures, le Gouvernement entend atteindre l’objectif de votre proposition de loi.

Je veux maintenant aussi parler de financement.

Le Gouvernement ne souhaite pas faire porter la charge de l’indemnisation sur les employeurs directement concernés. Ce serait un non-sens pour ces entreprises qui se sont mobilisées pendant la crise. Nous souhaitons donc mettre en place un dispositif de mutualisation, puisque la cotisation AT-MP comprend une part mutualisée entre tous les employeurs. C’est bien une question de solidarité nationale et, là aussi, je crois que nous pouvons nous retrouver.

Cette part sera prise en charge par l’État pour les professionnels de santé libéraux qui ne bénéficient pas d’une couverture AT-MP.

Madame la rapporteure, je souhaiterais enfin souligner les risques de précédent que constituerait la création d’un fonds dédié. J’ai entendu dans votre propos liminaire que vous n’aviez pas souhaité les éluder, ce dont je vous remercie.

Une indemnisation en dehors de la logique de la branche AT-MP ouvrirait le sujet sur l’ensemble des maladies professionnelles. Cela mettrait en danger les fondements de la branche, qui permet une reconnaissance rapide et facilitée aux travailleurs en contrepartie d’une indemnisation déterminée.

Comment justifier qu’une personne ayant contracté le Covid dans un cadre professionnel soit mieux indemnisée qu’une autre atteinte d’un cancer professionnel ? La différence de traitement ne se justifierait pas, et ce sont donc les principes de la branche AT-MP qui seraient ébranlés.

Rappelons que cette branche fait l’objet d’un consensus social de très longue date. Elle permet une indemnisation rapide de plus de 650 000 accidents du travail et de 50 000 maladies professionnelles par an.

Madame la rapporteure, vous l’aurez compris, je partage pleinement votre objectif, comme, je le crois, l’ensemble de vos collègues sénateurs et sénatrices.

Les Françaises et les Français qui ont permis au pays de tenir méritent notre reconnaissance. Pour celles et ceux qui ont été victimes du Covid-19, nous devons être au rendez-vous.

Vous l’aurez compris aussi, le Gouvernement est attaché à la sécurité sociale et à la branche AT-MP, qui permettent d’indemniser les travailleurs touchés dans le cadre de leur activité. C’est pour cela qu’il propose d’agir par décret, rapidement, et dans le respect de la démocratie sociale. Il s’agit d’un choix de cohérence : nous le devons à tous ces travailleurs et à leurs familles.

Vous pouvez compter, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, sur mon engagement et celui du Gouvernement pour mettre en place cette indemnisation dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de Mme Victoire Jasmin portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19.

Avant toute chose, mes pensées se dirigent vers celles et ceux qui ont perdu un proche atteint par ce virus, mais aussi vers les familles dont un proche souffre encore aujourd’hui de ce mal.

J’adresse mes pensées les plus solidaires aux pays qui font face en ce moment même au pic épidémique ou à une reprise de l’épidémie sur leur territoire.

Force est de constater que cette pandémie s’est propagée à une très grande vitesse à travers le monde et qu’elle a mis à mal l’ensemble des structures de soins. C’est pourquoi les gouvernements ont été contraints de recourir au confinement pour limiter la propagation de la maladie et, ainsi, préserver les systèmes de soins d’un pic épidémique insoutenable pour nos organisations.

Toutefois, les services vitaux pour la Nation ont maintenu leur activité : notre système de soins, évidemment, mais aussi, les premiers secours, les ambulanciers, les forces de sécurité, les personnels de l’éducation nationale, les crèches chargées d’accueillir les enfants des soignants, les services d’aide à domicile, les salariés des pompes funèbres, la grande distribution, la logistique.

Les auteurs de cette proposition de loi estiment, à juste titre, que ces personnels ont été plus exposés que les autres à l’épidémie puisqu’ils ne pouvaient rester confinés, mis en arrêt maladie, en chômage partiel ou encore en télétravail. Ils estiment par ailleurs qu’une rupture d’égalité est apparue entre les soignants et les autres personnes mobilisées lorsque le ministre des solidarités et de la santé a annoncé que la Covid-19 serait reconnue comme maladie professionnelle pour les seuls soignants.

Toutefois, concernant les autres travailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé le mardi 16 juin, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, que lorsqu’ils ont été contaminés dans le cadre de leur activité professionnelle, ils pourront bénéficier d’une indemnisation au titre des maladies professionnelles. Vous avez également annoncé la publication, avec la ministre du travail, des décrets permettant cette évolution de la réglementation.

Cependant, si cette mesure supprime la rupture d’égalité que nous évoquions précédemment, elle ne répond pas au champ de l’indemnisation prévue par le présent texte. En effet, comme l’a présenté notre collègue rapporteure Corinne Féret, que nous remercions de son excellent travail, les auteurs de cette proposition de loi ajoutent au forfait de prise en charge au titre des maladies professionnelles un principe de réparation intégrale des préjudices des personnes souffrant d’une maladie ou d’une pathologie consécutive à la contamination par la Covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont, dans l’exercice de leur profession ou d’une activité bénévole sur le territoire de la République française, été en contact régulier avec des personnes elles-mêmes contaminées ou avec des objets susceptibles de l’être, ainsi que leurs ayants droit.

Pour ce faire, ils proposent de créer un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19, géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en définissent son financement en créant une taxe additionnelle de 1,5 % à la taxe Gafam et en affectant une fraction des cotisations des employeurs à la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.

Enfin, ils définissent la procédure de demande d’indemnisation auprès du fonds.

Tel qu’il est présenté, ce texte nous invite à formuler plusieurs remarques.

D’abord, il apparaît particulièrement difficile de caractériser l’origine de la contamination au SARS-CoV-2. En effet, cette maladie infectieuse se transmet par voie aérienne.

Le docteur Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations au sein de la Haute Autorité de santé, professeure des universités à la faculté de médecine Xavier-Bichat et spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, précisait notamment lors de la cinquantième journée Claude-Bernard en novembre 2007 que la transmission aérienne est définie par le passage de micro-organismes depuis une source à une personne à partir d’aérosols, entraînant une infection de la personne exposée.

Elle ajoutait, d’une part, que, pour les petites particules, la transmission peut se faire jusqu’à une distance supérieure à 1,8 mètre et qu’un contact direct avec la source est inutile. Elle précisait que les maladies se transmettant par petites particules sont à l’origine d’épidémies brutales et explosives.

Elle indiquait, d’autre part, que lorsque l’exposition s’opère par de grosses particules telles que des gouttelettes, il faut un contact proche, inférieur à 1 mètre.

Pour les maladies ne se transmettant pas par petites particules, mais requérant des gouttelettes, la diffusion est lente, intermittente, variable et sans cluster.

Enfin, si la contamination ne peut se faire que par contact direct avec les sécrétions respiratoires de la source, alors la transmission s’opère uniquement par le biais des sécrétions infectées depuis les mains jusqu’aux muqueuses respiratoires.

En conclusion, en matière de maladies infectieuses, il est peu probable que nous puissions caractériser le lieu de la contamination.

Ensuite, si nous n’ignorons pas que certaines personnes ont été mises en situation d’une surexposition, nous considérons qu’il ne faut pas confondre surexposition au danger du fait de son activité professionnelle et contraction de la maladie à l’occasion de la réalisation de cette activité.

Présupposer qu’il y a eu contamination sur le lieu de travail paraît pour le moins particulièrement délicat en matière infectieuse, contrairement à l’exposition à l’amiante, dont le lien de causalité était certain et pouvait assurément être imputé à la charge de la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Reconnaître ici cette fiction juridique revient par ailleurs à faire porter aux employeurs la charge symbolique de la responsabilité de la contamination de leurs employés. Or le lien de causalité entre activité professionnelle et contraction de la maladie ne pouvant pas être justifié, nous regrettons que la voie de la reconnaissance au titre des maladies professionnelles ait été privilégiée.

J’ajoute que faire peser cette charge symbolique sur les employeurs privés, publics, ou sur les associations, alors que nous n’étions pas en capacité de leur permettre de protéger suffisamment leurs employés du fait de la pénurie de masques chirurgicaux et autres équipements de protection individuelle paraît d’autant plus injuste.

C’est pourquoi, afin d’éviter toute différence de traitement entre les soignants et les autres professionnels mobilisés durant le confinement et afin d’éviter de faire porter aux employeurs la charge symbolique que je viens de décrire, je m’interroge sur le recours à une autre solution que le Gouvernement aurait peut-être pu privilégier plutôt que de faire porter cette charge par la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Monsieur le secrétaire d’État, n’aurait-il pas été plus juste de garantir à ces travailleurs une prise en charge intégrale de la maladie, voire du préjudice, directement par l’assurance maladie sur présentation d’une attestation démontrant leur mobilisation durant le confinement ? C’est une réflexion.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de nombreux travailleurs et bénévoles ont poursuivi leur activité professionnelle ou associative pendant le confinement mis en place pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19.

Les professionnels de santé, hospitaliers et libéraux, étaient sur le front, et l’ensemble des personnes mobilisées pour assurer la continuité de services essentiels à la vie de la Nation l’étaient également. Mais le manque de protections les a exposés à un risque accru d’infection. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la Covid-19 qui ont pu donner lieu à une hospitalisation dans un service de réanimation, mais aussi à des atteintes respiratoires, neurologiques, cardiaques ou dermatologiques. Malheureusement, le pire s’est produit pour d’autres de ces professionnels, décédés des suites de cette contamination.

Le texte soumis à notre examen ce matin par notre collègue Victoire Jasmin prévoit la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19. Les auteurs de cette proposition de loi partent du principe qu’il appartient à la société dans son ensemble, et donc à l’État, d’assurer aux victimes de l’épidémie de Covid-19 une réparation simple, rapide et équitable de tous les préjudices subis.

Nous avons tous été sollicités par des associations ou des fédérations professionnelles. En tant que rapporteure sur le suivi du Covid-19 en lien avec la branche assurance maladie, j’ai notamment auditionné des représentants de la Fédération de l’hospitalisation privée, qui m’ont également proposé l’organisation d’un dispositif juridique unique à l’échelon national destiné à indemniser les victimes du Covid-19. Je les remercie de leur contribution.

Nous sommes très nombreux à avoir applaudi les soignants tous les soirs à vingt heures, sans pouvoir contribuer à la lutte contre cette épidémie sans précédent autrement qu’en restant chez nous.

Aujourd’hui, nous ne pouvons que partager cet objectif visant à témoigner notre légitime reconnaissance, et celle de la Nation tout entière, aux personnels soignants qui se sont retrouvés en première ligne durant toute cette période, et à tous ceux qui ont pris en charge au quotidien nos concitoyens contaminés au cours des soins ou dans le cadre de l’organisation des soins de suite, et à tous les travailleurs et bénévoles, qui, au péril de leur vie, ont permis la continuité de secteurs prioritaires.

L’article 1er de la proposition de loi définit les personnes potentiellement bénéficiaires. Le cadre est très large : il s’agit des personnes « souffrant d’une maladie ou d’une pathologie consécutive à la contamination par le Covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont, dans l’exercice de leur profession ou d’une activité bénévole, été en contact régulier avec des personnes elles-mêmes contaminées ». Les ayants droit sont également concernés.

Les autres articles concernent, d’une part, la reconnaissance de la Covid comme maladie professionnelle et, d’autre part, la création d’un fonds d’indemnisation.

Je salue votre travail, madame la rapporteure. Cependant, malgré les aménagements que vous aviez proposés lors de l’examen du texte en commission, le double dispositif continue à s’inscrire dans le cadre des maladies professionnelles.

Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, une reconnaissance en maladie professionnelle implique une prise en charge à 100 % des frais médicaux, des indemnités journalières majorées par rapport à un simple arrêt de travail et la possibilité d’une rente d’incapacité si les personnes gardent des séquelles.

La mise en place d’un fonds d’indemnisation pour une contamination par une maladie infectieuse constituerait un précédent majeur qui bouleverserait les principes ayant jusqu’à présent prévalu pour engager la responsabilité de l’État et justifier d’une indemnisation.

C’est un sujet complexe, et nous exprimons des réserves, lesquelles ont justifié notre abstention en commission. Comme le rappelait notre collègue Gérard Dériot, rapporteur de la branche AT-MP, « les maladies professionnelles sont établies en fonction des risques encourus dans le cadre d’une activité économique définie. Si l’on s’engage dans cette voie, nous créons un précédent pour les prochaines épidémies qui frapperont notre pays ».

Cependant, nous saluons la mise en place du dispositif de reconnaissance automatique en maladie professionnelle de la contamination des soignants hospitaliers ou libéraux que vous avez présenté, monsieur le secrétaire d’État, dès lors que ceux-ci ont été exposés à un risque accru d’infection. Mais un risque accru en l’absence de matériel de protection suffisant, ce qui n’est pas sans poser la question de la responsabilité de cette absence de protection.

Toutefois, cette proposition de loi va bien au-delà en instituant un principe de réparation intégrale des préjudices subis pour l’ensemble des personnes qui auraient exposé en milieu professionnel ou bénévole. Or, pour ces personnes, il sera particulièrement difficile d’établir l’origine professionnelle de leur contamination.

L’adossement du fonds à l’Oniam, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, me paraît peu approprié. La vocation de l’Oniam, je le rappelle, est d’indemniser les dommages causés par un accident médical ou des dommages imputables à une activité de recherche biomédicale, une affection iatrogène liée à un traitement médical ou une infection nosocomiale contractée dans un établissement de santé.

D’ailleurs les associations et les fédérations proposant une indemnisation de ce type n’ont pas toutes la même approche. Si l’Association des accidentés de la vie, la Fnath, propose la création d’une commission d’indemnisation qui déterminerait les critères et les modalités d’accès à un fonds d’indemnisation déjà existant comme l’Oniam, d’autres, comme l’association Coronavictimes, ont demandé au Gouvernement de créer un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19 sur le modèle de celui des victimes de l’amiante, le FIVA, pour aller plus loin que la reconnaissance en maladie professionnelle. Cette association dénonce une faute de l’État – et même un empilement de fautes –, lequel n’a pas mis en place les mesures de protection nécessaires et n’a pas assuré l’accès aux soins hospitaliers de tous les malades.

Alors, compte tenu des incertitudes scientifiques qui persistent encore dans la connaissance du Covid-19, puisqu’on en apprend tous les jours sur cette maladie, compte tenu du fait que l’épidémie n’a pas pris fin, que les contaminations se poursuivent et qu’il est difficile d’en évaluer les effets sur la santé à long terme – des études sont en cours sur des patients continuant à souffrir de pathologies incapacitantes assez lourdes et conservant de graves symptômes à distance de la contamination –, il nous semble qu’il sera difficile pour une commission médicale indépendante du fonds d’envisager un mécanisme d’indemnisation et il nous semble donc prématuré de créer ce dispositif.

Pour toutes ces raisons, nous n’apporterons pas notre soutien à cette proposition de loi et, après nous être abstenus en commission, nous votons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, si les conséquences de l’épidémie de Covid-19 occupent les esprits et influencent nos prises de décision depuis plusieurs semaines, cette proposition de loi a le mérite de s’attaquer à l’un des sujets de préoccupation des malades et de leurs familles.

Toutefois, en proposant la création d’un fonds dédié à l’indemnisation rapide de toutes les victimes du coronavirus, les auteurs posent un certain nombre de questions aux législateurs que nous sommes, sans que la rédaction de la proposition de loi apporte, à notre sens, les réponses attendues. Car il s’agit bien ici de déroger au principe de la déclaration en maladie professionnelle pour une maladie infectieuse, ce qui constituerait une première et, pour certains, ouvrirait le risque à un champ de contentieux considérables.

La reconnaissance et l’indemnisation des maladies professionnelles font l’objet d’un financement dédié à travers la branche AT-MP de l’assurance maladie et sont soumises à des critères stricts qui en garantissent une utilisation raisonnée et équitable.

Ce mode de fonctionnement éprouvé permet aux victimes de maladie professionnelle de bénéficier de la gratuité des frais médicaux. En cas d’arrêt de travail, il leur donne accès à des indemnités versées par la sécurité sociale et l’employeur. En cas d’incapacité permanente de travail, une indemnité complémentaire leur est octroyée.

Certes, ce système est loin d’être parfait. Une réflexion sur les réformes à envisager pourrait en effet être menée, afin de répondre aux critiques relatives à la complexité et à la lenteur des procédures, ce que certains décrivent comme un véritable parcours du combattant.

J’ai cru comprendre, en écoutant votre propos liminaire, que vous vous y engagiez, monsieur le secrétaire d’État.

Néanmoins, est-ce notre rôle, aujourd’hui, avec cette proposition de loi, de remettre en question toute cette organisation d’indemnisation ? D’autant que le Gouvernement a annoncé son intention de prendre des mesures pour garantir l’automaticité de la reconnaissance en maladie professionnelle pour tous les soignants et pour garantir aux non-soignants un accès à la procédure normale lorsqu’ils ont été contraints de travailler pour assurer la continuité de services essentiels à la vie de notre pays.

Des inquiétudes doivent toutefois être levées pour les professionnels de santé libéraux, qui ont aussi été en première ligne malgré le manque de matériel et qui ont payé un lourd tribut face à la maladie. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous confirmer que, conformément à ce qui a été annoncé, tous les soignants bénéficieront de la reconnaissance en maladie professionnelle, y compris ceux qui n’ont pas cotisé pour le risque professionnel, ce qui est un sujet d’inquiétude sur le terrain ?

Cette proposition de loi nous semble prématurée. On ne connaît pas encore toutes les décisions qui seront prises par le Gouvernement pour adapter le système à la crise actuelle. Surtout, on ignore l’évolution du Covid-19 à moyen et long termes, compte tenu de l’état parcellaire des connaissances scientifiques et médicales sur cette maladie émergente. Je fais donc miennes les nombreuses réserves que soulève l’examen de cette proposition de loi.

Bien sûr, nous entendons les revendications, toutes légitimes, des patients et de leurs familles. Certains d’entre eux sont morts ; d’autres ressentent encore des troubles de la période aiguë, et nous ne connaissons pas encore les séquelles, à long terme, de cette pathologie.

Par ailleurs – je l’ai dit –, la création d’un fonds pour les victimes d’une maladie contagieuse ayant largement circulé dans la population créerait un précédent : nous devons faire preuve de prudence. Des maladies infectieuses apparaissent et disparaissent chaque année dans notre pays.

Certes, la crise du Covid-19 a surpris par sa violence. Elle laissera des marques indélébiles en France et dans le monde entier. Néanmoins, une situation exceptionnelle n’appelle pas toujours des réponses exceptionnelles. Dans un premier temps, nous devons nous appuyer sur le système existant, quitte à l’adapter aux réalités de cette crise sanitaire.

Ce virus a fait de nombreuses victimes dans tous les pans de notre société. D’autres épidémies suivront probablement, hélas. Je suis donc convaincue que la création d’un tel fonds d’indemnisation ne répondrait pas totalement aux demandes légitimes de nos concitoyens ; en outre, elle ajouterait de la complexité. Ce que les intéressés attendent, c’est surtout la mise en place d’un système performant, protecteur, équitable pour toutes les personnes exposées aux maladies professionnelles et qui ne laisse personne au bord du chemin.

J’entends ceux qui invoquent la responsabilité de l’État pour justifier la création d’un fonds spécial. Certaines critiques font état d’un retard à l’allumage et d’un manque de matériels de protection sur le terrain, qui a été une réalité pour de nombreuses professions. Les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat se pencheront sur cette question de la responsabilité de l’État. Elles permettront d’identifier les limites du système actuel et les réformes à mener. C’est dans ce cadre que des leçons pourront être tirées quant aux capacités de réaction de l’État.

Si nous espérons qu’une crise de cette ampleur demeurera un phénomène exceptionnel, on ne peut pas oublier que l’augmentation des échanges internationaux, le réchauffement climatique et la mondialisation dans son ensemble provoqueront certainement de nouvelles épidémies. C’est en gardant cette réalité en tête que nous devons penser la prise en charge globale des victimes de maladies infectieuses dans le cadre de leur profession. Il y va de l’équité, valeur à laquelle nous sommes tous attachés.

Pour résumer, cette proposition de loi part d’un bon sentiment : elle vise à offrir aux victimes graves du Covid une réparation simple, rapide et équitable pour tous les préjudices subis. Je fais mienne cette ambition, mais mes collègues du groupe du RDSE et moi-même n’approuvons pas l’option choisie. Comme je l’ai indiqué, nous manquons de recul sur l’évolution de la maladie et sur la capacité d’adaptation du système à la crise que nous vivons.

Ceux qui ont continué à travailler pendant le confinement ont été davantage exposés à la contamination. Pour eux, un processus d’indemnisation plus simple et plus rapide doit être mis en place : c’est la volonté de l’État. Laissons donc au Gouvernement le temps de passer de la parole aux actes. Les membres du RDSE ne voteront pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous l’avons tous dit, mais nous ne le répéterons jamais assez : l’engagement de nombre de nos concitoyens, qu’ils soient professionnels ou bénévoles, et quel que soit le stade de l’épidémie de la Covid-19, a suscité l’émotion et l’admiration de tous.

Dès l’apparition des premiers foyers de contamination sur le territoire de la République française, médecins urgentistes, infirmières en réanimation, personnels d’Ehpad ou même jeunes internes, tous se sont mobilisés pour prendre en charge les malades. À cette occasion, ils ont été exposés à un risque parfois élevé de contamination.

Bien au-delà du seul secteur du soin, de nombreuses personnes ont, tant bien que mal, maintenu leur activité pendant cette période afin d’assurer la permanence des services essentiels à la vie de la Nation. Je pense aux pompiers, aux ambulanciers, aux policiers et gendarmes, aux élus, aux enseignants chargés d’accueillir les enfants de soignants, aux aides à domicile, aux éboueurs, aux caissiers ou encore aux transporteurs routiers : qu’ils soient tous remerciés, et que ceux que j’oublie veuillent bien m’excuser.

Parmi ces femmes et ces hommes, certains auraient développé des formes graves de la pathologie, pouvant entraîner des séquelles invalidantes ou incapacitantes – comme des atteintes respiratoires, cardiaques, dermatologiques ou neurologiques – ou provoquer des décès.

Parce que, à leurs yeux, « il appartient à la société dans son ensemble et, donc, à l’État » d’assurer aux victimes de l’épidémie de Covid-19 « une réparation simple, rapide et équitable de tous les préjudices subis », Victoire Jasmin et plusieurs de ses collègues ont déposé, le 12 mai dernier, sur le bureau du Sénat une proposition de loi visant à « créer un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes de l’épidémie de Covid-19, qu’elles soient salariés du privé, fonctionnaires, indépendants ou bénévoles ».

Ce texte comprend dix articles.

L’article 1er pose le principe de la réparation intégrale des préjudices des personnes souffrant d’une maladie ou d’une pathologie consécutive à la contamination par le virus de la Covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont été, dans l’exercice de leur profession ou d’une activité bénévole sur le territoire de la République française, en contact régulier avec des personnes elles-mêmes contaminées ou avec des objets susceptibles de l’être, ainsi que ceux de leurs ayants droit.

L’article 2 crée un fonds d’indemnisation des victimes de la covid-19, géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), le financement de ce fonds étant défini à l’article 7. Enfin, la procédure de demande d’indemnisation auprès du fonds est détaillée aux articles 3 à 5, ainsi qu’à l’article 8.

L’intention de Mme Jasmin et de ses collègues est louable, mais la mise en œuvre de cette initiative parlementaire constituerait un précédent majeur en matière d’indemnisation pour une contamination par une maladie infectieuse ; à cette date, nous n’avons pas encore le recul scientifique nécessaire pour établir les éventuels effets à long terme d’une telle contamination sur la santé.

De plus, le fonds d’indemnisation créé par le présent texte serait adossé à l’Oniam. Permettez-moi de rappeler que, comme son nom l’indique, cet office a vocation à assurer l’indemnisation des « accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ». Ainsi, il a été mobilisé récemment en faveur des victimes du Mediator.

La réparation par l’Oniam suppose en principe que soient en cause des accidents médicaux imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soin. La contamination par le virus de la Covid-19 n’entre pas dans ce champ, et il serait inconcevable de créer un champ spécifique pour une maladie virale de ce type.

Conscient de ce problème et des conséquences auxquelles les personnels concernés peuvent être confrontés, le ministre des solidarités et de la santé a annoncé que les soignants bénéficieraient d’une reconnaissance automatique comme maladie professionnelle, avec indemnisation en cas d’incapacité temporaire ou permanente. Cette règle s’appliquera aux soignants quels qu’ils soient et « quel que soit leur lieu d’exercice, à l’hôpital, en Ehpad ou en ville ». Les professionnels libéraux bénéficieraient eux aussi de ce mécanisme. Pour les autres travailleurs cités précédemment qui auraient pu être contaminés sur leur lieu de travail, il s’agira également de permettre une indemnisation au titre de la maladie professionnelle sans que celle-ci soit automatique.

Cette reconnaissance sera mise en œuvre dans les prochains jours, à la suite de la publication des décrets. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’en avoir clairement détaillé les modalités et de vous être engagé à agir au plus vite : c’est l’essentiel.

Mes chers collègues, pour ces raisons, les membres du groupe La République En Marche voteront en défaveur de cette proposition de loi visant à créer un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes de l’épidémie de Covid-19.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise de la Covid-19 a mis en lumière les « héros en blouse blanche » applaudis tous les soirs à 20 heures. Mais leurs efforts n’ont pas été sans risque : un grand nombre d’entre eux ont été contaminés. Certains ont conservé des séquelles, tandis que d’autres sont malheureusement décédés.

Au 11 juin dernier, on dénombrait 30 675 cas de contamination dans les établissements de santé ; 84 % des personnes concernées étaient des professionnels de santé et près de 10 % des professionnels non soignants. Parmi les soignants et soignantes, 29 % étaient des infirmières et infirmiers et 24 % des aides-soignantes et aides-soignants. Nous espérons que les efforts et les sacrifices de ces femmes et de ces hommes ne seront pas oubliés lors du Ségur de la santé.

De même, lorsque la République rendra hommage aux victimes, il ne faudra pas oublier de citer les seize professionnels de santé décédés en essayant de sauver la vie des autres.

Cela étant, les personnels hospitaliers n’ont pas été les seuls à prendre des risques durant la pandémie en poursuivant leur activité. Il y a également eu les pompiers, les policiers, les caissières des magasins d’alimentation, les livreurs des plateformes, les égoutiers, les postiers, les éboueurs et l’ensemble des travailleuses et des travailleurs qui ont œuvré pour le pays, eux aussi au péril de leur santé, parfois de leur vie.

Permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour ces intérimaires envoyés en première ligne, souvent sans protection particulière, sans formation aux gestes de sécurité ou sanitaires, que ce soit chez Amazon ou sur les plateformes logistiques, pour ne citer que ces deux exemples.

À ce titre, chers collègues du groupe socialiste et républicain, la proposition de mettre à contribution les géants du numérique pour financer le dispositif paraît tout à fait pertinente. Certaines de ces entreprises ont profité de la pandémie en réalisant un chiffre d’affaires exceptionnel tout en laissant leurs salariés sans dispositif de protection.

L’enjeu est donc d’accorder reconnaissance et réparation à toutes les victimes de la Covid-19 – salariés du privé, fonctionnaires, indépendants ou bénévoles, quel que soit leur statut – qui ont apporté leur aide dans la lutte contre l’épidémie et qui en gardent de graves séquelles. C’est l’objet de cette proposition de loi créant un fonds d’indemnisation spécifique pour l’ensemble des victimes de la Covid-19.

Ce texte vise à trouver une solution face à une situation exceptionnelle, pour laquelle notre système actuel de réparation des maladies professionnelles ne semble pas adapté. Actuellement, il faut en moyenne huit mois pour qu’une demande de reconnaissance d’une pathologie non inscrite au tableau des maladies professionnelles – c’est le cas de la Covid-19 – aboutisse, et la réparation n’est jamais intégrale.

S’ajoutent des difficultés spécifiques, dont l’absence de tests au début de la pandémie, qui compliquent encore l’établissement du lien direct de la maladie avec l’exposition professionnelle.

Enfin, cette pandémie aveugle a touché à la fois des fonctionnaires, des salariés, des travailleurs indépendants et des bénévoles, catégories pour lesquelles les voies de reconnaissance des risques professionnels sont multiples.

La solution préconisée par nos collègues socialistes afin de ne pas décourager les victimes d’une maladie qui n’entre pas dans les cases de notre système de réparation actuel nous semble judicieuse.

Toutefois – j’insiste sur ce point –, selon nous, la création de ce fonds doit aller de pair avec la reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle. C’est une revendication de l’ensemble des organisations syndicales et des associations de victimes, comme la coordination des associations des victimes de l’amiante et de maladies professionnelles (Cavam), l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante et autres maladies professionnelles (Andeva) et la Fédération nationale des accidentés de la vie et des handicapés (Fnath).

J’ai d’ailleurs sous les yeux un courrier que m’ont adressé l’association Covid-19 Grand Est, le comité de défense des travailleurs frontaliers de Moselle, l’association de défense des victimes de l’amiante et autres maladies professionnelles (Adevat-ANP) et le docteur Lucien Privet. Ils demandent que la Covid-19 soit inscrite au tableau 76 des maladies professionnelles, car « si elle n’est pas inscrite dans un tableau, une reconnaissance au titre d’une maladie professionnelle d’une pathologie Covid-19 s’apparentera à une mission impossible ».

Les élus de notre groupe avaient déposé un amendement tendant à inscrire la Covid-19 dans le tableau de classification des maladies professionnelles, mais il a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, ce qui m’attriste.

Selon nous, ce texte représente une avancée pour les victimes, même si nous avons quelques critiques à formuler.

Tout d’abord, nous aurions préféré que la gouvernance du fonds de réparation soit confiée au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, au sein duquel sont représentées les organisations de victimes, comme l’Andeva et la Fnath, sachant que, dans sa composition actuelle, l’Oniam n’accorde qu’une place très minoritaire aux organisations syndicales : il est loin d’être paritaire.

En outre, nous nous inquiétons du message potentiellement adressé au patronat, qui se plaint beaucoup de sa contribution à la branche accidents du travail-maladies professionnelles. Il ne faudrait pas envoyer, même involontairement, un signal de délaissement de cette branche au profit de fonds spécifiques pris en charge par d’autres acteurs.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Michelle Gréaume. Enfin, la complexité du processus actuel de reconnaissance d’une maladie professionnelle doit nous amener à lancer une réflexion globale pour en améliorer l’accès, réduire les délais et accorder aux victimes une meilleure réparation.

Les membres du groupe CRCE voteront ce texte, qui va dans le sens du progrès pour les victimes directes ou indirectes de l’épidémie, tout en rappelant la nécessité de reconnaître la Covid-19 comme maladie professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Mme Jasmin, auteur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et Mme Féret, rapporteur.

Ce texte vise à instaurer un fonds d’indemnisation pour les victimes du Covid-19 qui auraient été contaminées par le virus dans le cadre de leurs activités professionnelles ou bénévoles. Ces personnes courageuses ont permis à notre pays de tenir malgré de graves difficultés.

Pour la prise en charge des victimes du Covid-19, deux doctrines coexistent : la reconnaissance de cette pathologie comme maladie professionnelle et la création d’un fonds d’indemnisation ad hoc.

Le 29 mars dernier, le Gouvernement a opté pour une reconnaissance au titre des maladies professionnelles pour tous les soignants malades du Covid-19. Cette reconnaissance donne accès à une couverture totale des frais médicaux, à une indemnité d’incapacité de travail et, en cas de décès, à la perception d’une pension par les ayants droit. Cette règle s’appliquera aux soignants quel que soit leur lieu d’activité, à l’hôpital, en ville ou en Ehpad.

Nous saluons cette annonce, mais nous comprenons les critiques qu’elle a suscitées. En effet, les soignants n’étaient pas les seuls à prendre des risques lors du confinement. Je pense notamment aux pompiers, professionnels et bénévoles, aux membres des forces de l’ordre, aux caissiers, aux agents de propreté, aux livreurs, aux enseignants et aux ambulanciers, pour ne citer que quelques professions.

Monsieur le secrétaire d’État, afin de compléter utilement ce dispositif, vous avez annoncé la semaine dernière que le Gouvernement allait étendre cette couverture à ces travailleurs qui se sont mobilisés pour assurer la continuité de leurs missions malgré l’épidémie et le confinement.

Cette mesure, approuvée par l’Académie nationale de médecine, vise les personnes dont l’activité est indispensable au fonctionnement du pays et qui n’étaient pas en mesure de respecter les règles de distanciation sociale. Ces personnes ont pris des risques, pour elles-mêmes et pour leurs familles, dans des conditions d’hygiène et de sécurité parfois difficiles, compte tenu des difficultés d’approvisionnement en masques de protection ou de la nature de leurs tâches.

Cette reconnaissance existe déjà pour les cas de cancers dus à l’amiante, d’intoxication au plomb ou de troubles musculo-squelettiques. Lorsque les critères définis sont remplis, l’établissement du lien entre la pathologie et l’activité professionnelle est automatique et les frais médicaux sont pris en charge à 100 %. De plus, en cas d’incapacité temporaire ou permanente, le salarié bénéficie d’une indemnité, dont le financement est assuré par la branche AT-MP de la sécurité sociale. Il repose sur les cotisations des entreprises, lesquelles sont proportionnelles à leur sinistralité.

Une fois le décret pris, après examen par le conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), la création d’un fonds d’indemnisation, dont on maîtrise mal les mécanismes, ne sera plus nécessaire, même si nos connaissances sur cette maladie restent imparfaites, notamment en ce qui concerne la grande diversité des symptômes et des séquelles associés. Cela créerait de surcroît un précédent.

Pour être aussi effective que possible, cette mesure devra prendre en compte certains professionnels de santé exerçant hors du milieu hospitalier et ne pas se limiter à la période du confinement, mais couvrir l’ensemble de la période d’urgence sanitaire. Vous le savez, des foyers ont été détectés après le confinement, notamment dans les abattoirs.

Les membres du groupe Les Indépendants sont favorables à la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle, pour tous les professionnels et bénévoles qui étaient ou sont exposés au virus. Le dernier décret doit normalement couvrir tous les travailleurs en contact avec le public et être adapté aux réalités. Si tel est le cas, la proposition de loi de Mme Jasmin, texte généreux dont j’approuve l’objectif, fera doublon. M. le secrétaire d’État nous assure que ce décret entrera en vigueur rapidement. Il nous semble propre à permettre de traiter de manière équitable toutes les victimes du Covid-19.

En conclusion, les membres du groupe Les Indépendants ne soutiendront pas cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons ce matin une proposition de loi socialiste qui vise à réparer une profonde injustice.

Nous souhaitons voir reconnaître et indemniser un préjudice, celui d’avoir été contaminé par le virus de la Covid en ayant permis à notre pays de vivre, lorsque la plupart d’entre nous se confinaient.

Cette proposition de loi s’inscrit dans une continuité : le soutien aux victimes est défendu de longue date par les socialistes et par la gauche en général.

Dernièrement, les travaux que le député de la Martinique Serge Letchimy a dédiés à l’indemnisation des victimes du chlordécone ont fait écho aux propositions d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques soutenues ici depuis 2012 par notre collègue Nicole Bonnefoy.

Dans un autre domaine de risque, avec mon collègue Yannick Vaugrenard et bien d’autres, je soutiens régulièrement les démarches engagées par les associations de victimes de l’amiante pour une juste reconnaissance du préjudice subi.

Je pourrais également citer les travaux en vue d’une juste indemnisation des catastrophes naturelles menés par Nelly Tocqueville ou pour une meilleure reconnaissance des victimes des essais nucléaires en métropole ou en Polynésie française.

Cet historique nous rappelle que ces débats sont âpres et longs. Souvenons-nous de Martin Nadaud : c’est après dix-huit années de luttes parlementaires, menées entre 1880 et 1898, que ce député-ouvrier républicain socialiste obtint l’instauration, par la loi, d’une protection contre les accidents du travail. Il fut ainsi le précurseur de la branche AT-MP.

Ces débats sont longs, car le rapport de force qu’ils cherchent à rééquilibrer est souvent en défaveur des victimes. Si ces dernières sont nombreuses, leur indemnisation coûte cher et suscite des réserves et des précautions pour abonder les fonds. Si elles sont peu nombreuses et isolées, la tentation est forte de les ignorer et de les oublier.

Le 21 avril dernier, le Gouvernement a annoncé l’indemnisation des soignantes et des soignants contaminés dans l’exercice de leurs fonctions. Outre que ce dispositif tarde à démontrer son efficacité – j’y reviendrai –, il écarte une part non négligeable de la population concernée.

Les précédents orateurs l’ont dit : les professionnels de santé n’étaient pas seuls « mobilisés », « sur le front ». La société dans son ensemble s’est montrée solidaire et une myriade de professions a contribué à « l’effort de guerre », pour reprendre les termes du Président de la République.

À mon tour, j’en nomme quelques-unes : les hôtes et hôtesses de caisses de supermarchés et d’épiceries, à qui, par un sourire masqué, nous avons témoigné notre soutien ; les professionnels de la chaîne logistique, qui s’affairaient dans l’ombre ; les camionneurs et transporteurs, que leurs tournées exposaient à de multiples reprises ; les éboueurs, toujours au rendez-vous, même quand le moindre emballage devenait suspect ; les conductrices et les conducteurs de transports en commun, confinés dans leurs cabines ; les membres des forces de l’ordre et de sécurité, les agents pénitentiaires, exposés sur le terrain, qui ont observé un régime de quatorzaines pour éviter de contaminer leurs unités ; l’ensemble des personnels des Ehpad, chargés des soins, de l’accompagnement, de l’entretien, des services de restauration et d’hébergement ou des tâches administratives ; les aides à domicile, dont les associations étaient souvent les dernières à recevoir les masques et les protections distribués par les agences régionales de santé (ARS) ; les travailleuses sociales chargées d’accompagner les femmes victimes de violences conjugales ; les animateurs et les animatrices qui ont accueilli les enfants des personnels mobilisés, dans une ambiance éducative à l’opposé de leurs habitudes de travail, sans proximité ni activité collective, afin de protéger tout ce petit monde, tout en croisant, le soir venu, des pompiers, des infirmières potentiellement contaminés ; enfin, les employés funéraires, confrontés à l’anxiété d’être contaminés au contact des défunts et à la douleur, parfois à l’incompréhension, des familles devant se conformer aux mesures de précaution. Évidemment, cette liste n’est pas exhaustive.

Mes chers collègues, il a fallu toute une nation pour faire face à cette pandémie et contenir sa propagation. Les personnes contaminées ont éprouvé la souffrance de la maladie, la détresse respiratoire, l’intubation, qui peut laisser des séquelles, et bien des symptômes. Après de longues semaines d’épuisement, certaines d’entre elles ont guéri, d’autres sont décédées.

Ces personnes sont des victimes ; leurs proches et leurs ayants droit sont des victimes. Nous le reconnaissons pleinement et nous souhaitons les indemniser, parce qu’il serait injuste d’appauvrir davantage encore ces malades, qui ne sont en rien responsables de la pandémie. Bien qu’étant en deuxième ligne, ils étaient souvent les premiers et les premières de corvée.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, préparée par notre collègue Victoire Jasmin et construite avec l’appui du secteur associatif et des organisations syndicales. Saluons l’expertise de l’Andeva, de Coronavictimes et de la Fnath, le soutien de la CFDT, de Force ouvrière et de la Confédération générale des cadres (CGC). Leur regard acéré a permis d’éviter les écueils de la réglementation actuelle, liés au régime de la reconnaissance comme maladie professionnelle, l’établissement de la preuve incombant à la victime.

Depuis le dépôt du présent texte, ces discussions nous ont conduits à adapter le dispositif : nous examinerons donc des amendements socialistes visant à préciser le champ d’application du dispositif, la période couverte et le mode de financement du fonds d’indemnisation.

Nous souhaitons élargir le bénéfice de ce fonds à toutes celles et tous ceux, salariés ou bénévoles, qui ont assuré la continuité des activités essentielles. Ils furent légion à affronter le risque pour exercer leurs compétences, en tant que secouristes par exemple.

Nous ciblons les activités exercées au cours de la période de risque maximal : entre le 16 mars dernier et le 10 juillet prochain, c’est-à-dire entre le début du confinement strict et la fin de l’état d’urgence sanitaire. Au cours de cette période, nombre de nos concitoyens ont pu bénéficier d’autorisations spéciales d’absence, d’un régime d’activité partielle ou de travail à domicile ; pour les autres, l’exposition au risque fera l’objet d’une présomption irréfragable : c’est la seule manière d’inverser la charge de la preuve.

Enfin, nous prévoyons que les connaissances scientifiques viennent compléter, par décret, l’appréciation de cette exposition et de ses conséquences devant faire l’objet d’un dédommagement.

En ce qui concerne le « nerf de la guerre », à savoir le financement, point sur lequel achoppe souvent la mise en place d’un fonds d’indemnisation, nous proposerons par voie d’amendement de solliciter la solidarité nationale, à savoir l’État, d’une part, et la branche AT-MP, d’autre part, celle-ci étant excédentaire, comme l’a rappelé la Fnath.

Ces dispositions ont été préparées par la rapporteure, notre collègue Corinne Féret, dont je salue le travail. En commission des affaires sociales, les membres du groupe Les Républicains ont rejeté ces amendements, ce que nous regrettons. Je salue toutefois leur abstention constructive sur le texte, qui permet son examen en séance publique. Mes chers collègues, il n’est jamais trop tard pour bien faire… (Sourires.)

J’évoquais à l’instant l’annonce gouvernementale d’accorder la reconnaissance du caractère de maladie professionnelle pour les soignantes et les soignants contaminés par le coronavirus. Monsieur le secrétaire d’État, cette réponse qui divise au lieu de rassembler semble loin d’être immédiatement efficace, y compris pour les professionnels de santé : faute de décret, les médecins libéraux qui ne cotisent pas à l’assurance facultative AVAT voient leur demande d’indemnisation rejetée. Le Gouvernement mesure-t-il l’injustice de sa réponse, très partielle ?

C’est avant tout pour mieux protéger les plus faibles que les socialistes ont déposé cette proposition de loi, qui constitue une réponse unique, claire et ambitieuse, témoignant d’une prise en considération de l’ensemble de la société, et pas simplement de la première ligne de front contre le Covid-l9.

L’examen de ce texte se poursuivra, je l’espère, à l’Assemblée nationale. Il pourra enrichir les travaux de nos collègues députés socialistes Régis Juanico et Christian Hutin, qui ont déposé une proposition de loi analogue.

Je l’ai dit, c’est un long combat que nous entamons. Il faut consolider le dispositif pas à pas, comme cela a souvent été le cas pour les démarches d’indemnisation que j’ai citées au début de mon propos. Nous avons conscience que ce dispositif n’a pas vocation à répondre à tous les besoins, mais il vise large et n’instaure pas de tri : c’est là notre fierté. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes de la covid-19

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
Article 2

Article 1er

Sans préjudice, le cas échéant, de la réparation obtenue au titre d’une maladie professionnelle, peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices :

1° Les personnes souffrant d’une maladie ou d’une pathologie consécutive à la contamination par la covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont, dans l’exercice de leur profession ou d’une activité bénévole sur le territoire de la République française, été en contact régulier avec des personnes elles-mêmes contaminées ou avec des objets susceptibles de l’être ;

2° Les ayants droit des personnes mentionnées au 1°.

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier, Féret et Jasmin, M. Kanner, Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Les personnes souffrant d’une maladie consécutive à la contamination par le virus responsable de la covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont exercé une activité professionnelle ou bénévole les ayant exposées à un risque de contamination par ce virus pendant la période du 16 mars 2020 à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. La liste des activités professionnelles ou bénévoles susceptibles d’avoir exposé, pendant cette période, des personnes à un risque de contamination par le virus responsable de la covid-19 et les critères permettant de présumer avec une assurance raisonnable que cette contamination a été acquise à l’occasion d’une activité professionnelle ou bénévole, notamment la durée d’exposition au risque de contamination et, le cas échéant, la liste des travaux exposant à ce risque, sont définis par décret en Conseil d’État, pris au plus tard le 31 décembre 2020. Cette liste et ces critères sont révisés en fonction de l’évolution de l’état des connaissances scientifiques. Les activités professionnelles ou bénévoles inscrites sur cette liste ne sauraient être limitées aux seules activités exercées en milieu de soins et leur définition tient compte du maintien en activité, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 précitée, d’opérateurs publics ou privés ayant trait à la production et la distribution de biens ou de services indispensables à la continuité de la vie de la nation ;

La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Cet amendement tend à préciser les critères de présomption irréfragable de contamination en milieu professionnel ou bénévole et à limiter dans le temps le risque de contamination par le virus responsable de la covid-19 rendant éligible au fonds une personne contaminée en milieu professionnel ou bénévole.

Les critères d’éligibilité prévus dans la rédaction initiale de l’article 1er ne sont pas opérationnels en pratique, compte tenu de l’impossibilité d’établir la réalité de contacts réguliers avec des personnes ou objets contaminés. Leur application serait source de différences de traitement, et donc de contentieux.

Il convient de poser les conditions d’une présomption irréfragable de contamination par le virus en milieu professionnel ou bénévole en définissant par décret une liste d’activités professionnelles ou bénévoles ayant exposé à un risque de contamination, étant précisé que cette liste ne saurait se limiter aux seules activités soignantes et qu’elle devra tenir compte du maintien en activité de secteurs publics ou privés d’importance vitale pour la Nation, ainsi que des critères objectivables permettant de présumer raisonnablement d’une contamination en milieu professionnel ou bénévole. Ces critères peuvent inclure la durée d’exposition au risque en milieu professionnel ou bénévole et, éventuellement, la liste des travaux exposant au risque.

Ces éléments permettront d’organiser une procédure d’accès facilité à une indemnisation par le fonds, les victimes n’ayant plus à apporter la preuve de contacts réguliers avec des personnes ou objets contaminés, ce qui est matériellement impossible. Il est prévu que le décret devant définir cette liste et ces critères devra être pris au plus tard le 31 décembre 2020.

Par ailleurs, cet amendement tend à prendre acte du fait que, pendant la phase aiguë de l’épidémie, les personnes ayant assuré la continuité de certains services ont été plus exposées à un risque de contamination que celles qui ont pu rester confinées à leur domicile. À cet égard, la date de départ de la période concernée qui paraît la plus pertinente est le 16 mars, qui marque le début du confinement.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Yves Daudigny. La date de fin coïnciderait, quant à elle, avec celle de la cessation de l’état d’urgence sanitaire, fixée aujourd’hui au 10 juillet 2020.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Féret, rapporteure. Cet amendement, qui reprend une proposition que j’avais soumise à la commission, tend à circonscrire le champ des bénéficiaires et de garantir le caractère opérationnel du fonds. Toutefois, la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, même s’il en comprend le sens.

Au-delà, je voudrais répondre rapidement aux questions qui m’ont été posées lors de la discussion générale.

Madame Gréaume, le Gouvernement va bien inscrire la Covid-19 au tableau des maladies professionnelles. Sur ce point au moins, vous serez satisfaite par le décret.

Monsieur Chasseing, la période de reconnaissance automatique du caractère de maladie professionnelle pour les soignants ne sera bien évidemment pas limitée.

Madame Guillotin, je vous confirme que tous les professionnels libéraux, même ceux qui ne souscrivent pas à l’assurance AT-MP, bénéficieront d’une indemnisation par l’État.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je voterai cet amendement, tout en exprimant une réserve : ses auteurs entendent confier au Gouvernement le soin de fixer par décret la liste des activités ouvrant accès au dispositif. Or peut-on faire confiance à ce gouvernement, qui confond maladies professionnelles et fonds d’indemnisation pour exposition à un risque ?

Monsieur le secrétaire d’État, le 16 mars dernier, tous les Français ont été protégés par la décision du Gouvernement de les confiner, sauf certains d’entre eux qui étaient obligés d’aller travailler. Je pense aux soignants, aux personnes travaillant dans le secteur de la distribution alimentaire ou aux livreurs, ainsi qu’aux élus locaux qui ont continué à exercer leur fonction dans les centres communaux d’action sociale (CCAS), par exemple, et qui ont pu être contaminés par le virus de la Covid-19. Il y a eu des cas en Alsace.

Dans un tel contexte, on ne peut réduire la question de l’indemnisation à celle des maladies professionnelles : il y a aussi tous les autres cas. Quand des citoyennes et des citoyens sont obligés d’assurer la continuité de services essentiels à la Nation tandis que les autres sont protégés par la décision de confinement général, ils doivent pouvoir bénéficier d’un fonds d’indemnisation.

En ne parlant que de maladies professionnelles, ce gouvernement, chantre de l’« ubérisation », pense-t-il à ces jeunes qui ont livré des commandes, prétendument en exerçant une activité libérale ? Nous considérons pour notre part que ce sont des salariés, mais vous avez refusé les textes visant à leur reconnaître ce statut que nous avons proposés. Si ces jeunes sont atteints par la Covid-19 parce qu’ils ont travaillé et livré des marchandises ou servi des gens, ils ne seront pas couverts. C’est à tous ceux-là qu’il faut penser !

Nous avons la conviction que pour faire face à la Covid la solidarité est nécessaire, à l’égard non seulement des entreprises, mais aussi de toutes les victimes, dont nous espérons qu’elles seront très peu nombreuses à conserver des séquelles de l’infection. Il faut anticiper ces questions, raison pour laquelle je remercie Victoire Jasmin et mes collègues d’avoir déposé ce texte.

Je voterai cet amendement, car la présomption irréfragable est indispensable ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er nest pas adopté.)

Article 1er
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Article 3

Article 2

Il est créé un fonds d’indemnisation des victimes de la covid-19, géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Ce fonds a pour mission de réparer les préjudices définis à l’article 1er. Il comprend un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret. Il est représenté à l’égard des tiers par le directeur de la caisse centrale d’assurance maladie.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 nest pas adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

Le demandeur justifie de sa contamination par la covid-19 dans les conditions prévues à l’article 1er et de la maladie ou de la pathologie qui en est résulté.

Il informe le fonds des autres procédures relatives à l’indemnisation des préjudices définis à l’article 1er éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, il en informe le juge de la saisine du fonds.

Le fonds examine si les conditions d’indemnisation sont réunies. Il procède ou fait procéder à toute investigation et expertise utile sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

Au sein du fonds, une commission médicale indépendante se prononce sur l’existence d’un lien entre la contamination par la covid-19 et la survenue de la pathologie. Sa composition est fixée par un arrêté du ministre chargé de la santé.

Le fonds peut requérir de tout service de l’État, collectivité publique, organisme assurant la gestion des prestations sociales, organisme assureur susceptible de réparer tout ou partie du préjudice, la communication des renseignements relatifs à l’exécution de leurs obligations éventuelles.

Les renseignements ainsi recueillis ne peuvent être utilisés à d’autres fins que l’instruction de la demande faite au fonds d’indemnisation et leur divulgation est interdite. Les personnes qui ont à connaître des documents et informations fournis au fonds sont tenues au secret professionnel.

Le demandeur peut obtenir la communication de son dossier, sous réserve du respect du secret médical.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 nest pas adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

Dans les six mois à compter de la réception d’une demande d’indemnisation, le fonds présente au demandeur une offre d’indemnisation. Il indique l’évaluation retenue pour chaque chef de préjudice, ainsi que le montant des indemnités qui lui reviennent compte tenu des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice. À défaut de consolidation de l’état de la victime, l’offre présentée par le fonds a un caractère provisionnel.

Le fonds présente une offre dans les mêmes conditions en cas d’aggravation de l’état de santé de la victime.

L’offre définitive est faite dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le fonds a été informé de cette consolidation.

Le paiement doit intervenir dans un délai d’un mois à compter de la réception par le fonds de l’acceptation de son offre par la victime, que cette offre ait un caractère provisionnel ou définitif.

L’acceptation de l’offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l’action en justice prévue à l’article 5 de la présente loi vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de la contamination par la covid-19.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 nest pas adopté.)

Article 4
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Article 6

Article 5

Le demandeur ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans l’un des délais mentionnés à l’article 4 ou s’il n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite.

Cette action est intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.

(Larticle 5 nest pas adopté.)

Article 5
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Article 7

Article 6

Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’assurer la réparation totale ou partielle du dommage subi par celui-ci dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes.

Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d’appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices ; il intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.

Si le fait générateur du dommage a donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 6.

(Larticle 6 nest pas adopté.)

Article 6
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Article 8

Article 7

Le fonds est financé par :

1° L’affectation du produit d’une taxe additionnelle à la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts ; le taux de cette taxe est fixé à 1,5 % de l’assiette définie en application du I de l’article 299 quater du même code ;

2° L’affectation d’une fraction des cotisations des employeurs à la branche « accidents du travail et maladies professionnelles » de la Sécurité sociale ;

3° Les sommes perçues en application de l’article 6 de la présente loi ;

4° Les produits divers, dons et legs.

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier, Féret et Jasmin, M. Kanner, Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Une contribution de l’État prenant la forme d’une affectation de recettes dans des conditions et montants fixés chaque année par la loi de finances ;

La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Les difficultés rencontrées dans la mise à disposition de masques non seulement pour les soignants, mais également pour des agents de l’État tels que les membres des forces de sécurité, les enseignants ou encore les agents des transports publics plaident pour une participation de l’État au financement du fonds d’indemnisation des victimes de la covid-19.

À l’instar des dispositions que la commission avait adoptées en première et en nouvelle lectures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 concernant le financement du fonds d’indemnisation des victimes des pesticides, il pourrait être envisagé de prévoir, dans le respect des règles de recevabilité financière posées par l’article 40 de la Constitution, une participation de l’État au financement du fonds d’indemnisation des victimes de la covid-19, en précisant que la contribution de l’État prendra la forme d’une affectation de recettes dans des conditions et montants fixés chaque année par la loi de finances.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Féret, rapporteure. Cet amendement, que j’avais également déposé en commission, concerne la participation de l’État au financement du fonds. La commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

En ce qui concerne le financement, l’État participera bien, comme employeur, à l’indemnisation. Comme je l’ai déjà souligné, il y prendra aussi toute sa part s’agissant des professionnels libéraux qui ne cotisent pas au titre de la branche AT-MP.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je voudrais remercier Yves Daudigny d’avoir présenté cet amendement : « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Devant ce refus de solidarité de la part du Gouvernement et de la majorité sénatoriale, qui ne proposent même pas autre chose, nous pouvons dire que nous sommes ceux qui défendent cette valeur dans notre République ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Comment peut-on parler de liberté, d’égalité et de fraternité et rejeter l’idée de créer ce fonds d’indemnisation, en ramenant simplement la question posée à celle des maladies professionnelles, pour la reconnaissance desquelles, comme l’a rappelé Michelle Meunier, la gauche s’est battue ? Mes chers collègues, soyons fiers de ce chant désespéré ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier, Féret et Jasmin, M. Kanner, Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Une contribution, dont le montant est défini selon des modalités fixées par décret, de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de la sécurité sociale ;

La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. L’affectation d’une recette exclusive des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ne peut résulter que d’une disposition d’une loi de financement de la sécurité sociale. Le troisième alinéa de l’article 7 de la proposition de loi, en ce qu’il prévoit l’affectation d’une partie du produit des cotisations AT-MP, est donc irrecevable au titre de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.

Cet amendement vise à récrire cette disposition en prévoyant que le financement du fonds sera en partie assis sur une contribution de la branche AT-MP. Idéalement, il conviendrait que cette contribution soit prélevée sur les excédents cumulés depuis 2013 par la branche, afin d’éviter une augmentation de la part mutualisée des cotisations AT-MP.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Féret, rapporteure. La commission est défavorable à cet amendement qui tend à prévoir la contribution de la branche AT-MP au financement du fonds.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

J’entends votre propos sur la solidarité, monsieur Bigot, mais je rappelle que la branche AT-MP est un bien commun. C’est une richesse de notre société. Je crois que nous pouvons tous lui faire confiance pour reconnaître l’ensemble des Françaises et des Français qui auront contracté la Covid-19 dans un cadre professionnel.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Je n’avais pas prévu d’intervenir, préférant laisser s’exprimer les auteurs de la proposition de loi et ceux de mes collègues ayant travaillé en commission des affaires sociales sur ce texte, qui a sa crédibilité et sa légitimité.

On évoque les excédents de la branche AT-MP, mais la situation actuelle des finances publiques est très difficile du fait de la crise sanitaire.

Je pense que tout le monde a fait preuve de solidarité, à tous les niveaux. Il convient de témoigner le plus grand respect aux soignants, mais aussi à l’ensemble des professionnels ayant continué à travailler durant le confinement. Dans nos départements respectifs, nous avons pu mesurer l’engagement des bénévoles, des salariés, des élus, des entreprises…

Ce n’est pas parce que la commission et le Gouvernement émettent des avis défavorables qu’ils ne sont pas sensibles à la solidarité. Il faut aussi tenir compte de l’état des finances publiques. Nul ne néglige l’aspect humain. Nous avons tous reçu beaucoup de leçons, à tous les niveaux, au cours de cette crise. Je suivrai l’avis de la commission. (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 7.

(Larticle 7 nest pas adopté.)

Article 7
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
Article 9 (début)

Article 8

Les demandes d’indemnisation doivent être adressées au fonds dans un délai de quatre ans suivant la date du premier certificat médical constatant la maladie ou la pathologie ou son aggravation.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 8.

(Larticle 8 nest pas adopté.)

Article 8
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
Article 9 (fin)

Article 9

Les modalités d’application de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d’État.

L’activité du fonds fait l’objet d’un rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement avant le 30 avril de chaque année.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que si cet article n’est pas adopté, l’article 10 constituant le gage de la proposition de loi, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les articles qui la composent auront été supprimés. Il n’y aura donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.

La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.

M. Bernard Jomier. Merci de ce rappel utile de procédure, madame la présidente.

Je trouve cette discussion un peu triste. Beaucoup de choses ont été dites qui ne sont pas tout à fait exactes. À situation exceptionnelle, il n’y aurait pas forcément lieu d’apporter une réponse exceptionnelle ? Au fond, ai-je entendu dire, il ne s’agit que de la transmission d’un virus respiratoire… Mais les conséquences sociales et économiques de cette crise sont totalement exceptionnelles !

Nos dispositifs actuels, comme l’ont très bien dit mes collègues du groupe socialiste et républicain, ne permettent pas de répondre à la situation de certains de nos compatriotes qui, présents à leur poste de travail en première ligne, ont été atteints par la maladie, avec des conséquences qui dépassent largement le champ sanitaire.

J’accueille avec beaucoup d’intérêt la déclaration du secrétaire d’État concernant la branche AT-MP. Je lui rappellerai simplement que, depuis trois ans, toutes nos propositions sénatoriales visant à améliorer le régime AT-MP –qui mérite à l’évidence de l’être – ont été rejetées par le Gouvernement. Pourtant, le tableau des maladies professionnelles, qui date, doit être revu en urgence et refondé dans ses principes. Aucune modification n’ayant pu intervenir, il aura fallu le covid-19 pour que l’on réalise que notre dispositif social ne répond pas à la situation de certaines personnes…

Cette proposition de loi est certes imparfaite, ce n’est pas faire insulte à son auteur que de le dire, mais elle a le grand mérite de mettre le débat sur la table. À quoi sert la navette parlementaire, sinon à prolonger la discussion et à gommer les imperfections des textes ? Vous ne répondez qu’aux soignants. Aux autres catégories, vous dites : « Circulez, il n’y a rien à voir, on tourne la page du Covid. » Ce n’est pas ainsi que l’on peut lutter contre la fragmentation de notre société, comme l’a très bien souligné Michelle Meunier. Nous devons répondre à l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, sur l’article.

Mme Victoire Jasmin. Je voudrais remercier tous ceux qui ont apporté leur contribution. J’ai une pensée pour toutes les personnes qui sont décédées et toutes celles qui ont perdu l’un des leurs.

Quel que soit le devenir de ce texte, j’aurai tenté d’œuvrer pour toutes les familles touchées. Elles attendent de nous beaucoup plus que ce que nous leur donnons aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 9.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l’adoption 86
Contre 252

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, l’article 10 n’a plus d’objet.

Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.

En conséquence, la proposition de loi, dans le texte de la commission, n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 9 (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
 

5

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Patrice Gélard, qui fut sénateur de la Seine-Maritime de 1995 à 2014. Un hommage lui sera rendu ultérieurement par M. le président du Sénat.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
Discussion générale (suite)

Exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne (proposition n° 317, texte de la commission n° 533, rapport n° 532).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis ému d’apprendre le décès de votre ancien collègue Patrice Gélard, que j’ai eu l’occasion de bien connaître. J’ai une pensée pour toute sa famille.

Le numérique apporte son lot d’opportunités nouvelles. Nous avons eu l’occasion de le vérifier au cours des derniers mois. La crise sanitaire nous a obligés à réinventer notre rapport à la culture et à l’éducation, à repenser nos moyens de communication et nos modes de travail. À bien des égards, c’est le numérique qui nous a permis de continuer à vivre en ces temps troublés.

Cependant, il apporte également son lot de risques. Là encore, la période singulière que nous venons de vivre l’a rappelé : le harcèlement en ligne n’a pas cessé, bien au contraire. J’en veux pour preuve la recrudescence des actes de pornodivulgation sur Snapchat – ce n’est qu’un exemple parmi d’autres des nombreuses menaces qui ont émergé avec le numérique.

Face à ces menaces, nous avons une responsabilité : celle de faire respecter les règles par tous, de les adapter s’il le faut, de combler les vides juridiques afférents à ces nouveautés, avec pragmatisme, avec ambition, avec résolution, sans renoncer à nos principes et sans nous résigner. Ce n’est pas parce que les géants du numérique sont des « géants », en effet, qu’ils peuvent échapper à toute régulation. Non, internet n’est pas un espace de non-droit.

Je veux vous le dire avec force : nous partageons le même état d’esprit. Nous ne pouvons pas nous contenter de ne rien faire alors que notre souveraineté est accaparée par des acteurs numériques étrangers. Il nous faut donc agir.

C’est cet état d’esprit qui présidait hier à la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, ainsi qu’à la directive sur le droit d’auteur, dont vous avez déjà assuré une partie de la transposition, pour ce qui concerne le droit voisin des éditeurs de presse. Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement de David Assouline, de votre commission de la culture et du Sénat tout entier sur ce sujet : votre action a permis de prendre les devants, d’anticiper la directive européenne et d’aller vite une fois celle-ci adoptée. Le reste de la directive, qui était très attendue par les acteurs de la création, sera transposé prochainement, et nous aurons très bientôt l’occasion d’en parler avec les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

C’est ce même état d’esprit qui préside au texte que vous examinez aujourd’hui. Il étend à l’univers numérique une protection qui existe déjà pour les enfants du secteur du spectacle et les enfants mannequins.

Ce texte s’inscrit dans la lignée du discours tenu par le Président de la République devant l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco, le 20 novembre dernier. Le Gouvernement tout entier, rappelait-il, est mobilisé pour la protection de l’enfance, aux côtés du secrétaire d’État chargé de ce sujet, Adrien Taquet.

La discussion de cette proposition de loi en est une preuve supplémentaire : la protection des enfants dans l’espace numérique est une priorité du Gouvernement, et nous sommes en train de renforcer cette protection.

Nous voulons notamment mieux protéger les mineurs contre la pornographie en ligne. La directive Services de médias audiovisuels y contribue. Elle impose aux plateformes de partage vidéo de mettre en place des mesures pour empêcher l’accès des mineurs aux contenus qui leur sont particulièrement préjudiciables, parmi lesquels figurent les contenus pornographiques. Elle sera rapidement transposée.

La proposition de loi de la députée Bérangère Couillard, que vous avez adoptée à l’unanimité il y a deux semaines, va également dans ce sens. Elle a permis de préciser, dans le code pénal, que le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l’accès des mineurs à la pornographie. Il s’agissait là d’un engagement du Président de la République, que le Gouvernement a soutenu, permettant sa traduction dans la loi.

Sur le modèle de ce qui existe pour les jeux en ligne, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, sera chargé de vérifier que les sites contrôlent l’âge des internautes qui les fréquentent, sans quoi les fournisseurs d’accès bloqueront la diffusion des sites concernés en France. C’est le moyen le plus efficace de protéger les mineurs.

Un comité de suivi a en outre été mis en place pour encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux, avec une obligation de résultat dans les six mois. Ce comité implique l’ensemble des acteurs concernés, ainsi que les associations. C’est l’un des chantiers que conduisent en commun le CSA et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ; de tels travaux ont vocation à se multiplier, et je m’en félicite. Je salue, en l’espèce, l’engagement de Roch-Olivier Maistre et de Sébastien Soriano, présidents respectivement du CSA et de l’Arcep, pour mener à bien cette coopération entre régulateurs, qui sonne comme un rappel : nous n’arriverons pas seuls à protéger efficacement les enfants des dangers du numérique ; pour protéger, il faut s’unir.

Cette ambition, nous devons par conséquent la promouvoir au niveau européen, parce que l’Europe est notre meilleure protection – j’ai eu l’occasion de le dire à de multiples reprises à cette tribune. Face aux géants du numérique, elle est même notre seule protection efficace et crédible. Devant eux, nous ne ferons le poids que si nous faisons front commun. C’est le cas pour la question de la protection de l’enfance, comme c’était le cas pour la question du droit voisin, et comme cela sera évidemment le cas pour d’autres sujets à l’avenir.

Justement, la Commission européenne prépare en ce moment même sa stratégie numérique. Elle vient de lancer une consultation publique sur la future législation relative aux services numériques, le Digital Services Act, qui doit permettre de renforcer le marché commun et de clarifier les responsabilités en matière de services numériques. Il y a là, pour nous, une véritable occasion de promouvoir la vision française en la matière, par des initiatives ambitieuses concernant la régulation des contenus et la responsabilité des plateformes numériques.

Je suis pleinement mobilisé, avec mon collègue Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, et je sais que vous êtes nombreux à vous être penchés sur ces sujets ; je vous en remercie. Je pense en particulier à vous, évidemment, madame la présidente de la commission de la culture du Sénat, chère Catherine Morin-Desailly, et à votre engagement réitéré concernant la défense de la souveraineté numérique. Cet engagement ne sera pas vain : il nous sera éminemment utile pour bâtir la régulation européenne de demain.

Cette régulation devra être à la fois souple et exigeante.

Souple, d’abord : le monde numérique change rapidement, et la régulation doit pouvoir changer tout aussi rapidement ; il faut donc fixer des objectifs, mais laisser les acteurs choisir les solutions les plus adaptées.

Exigeante, ensuite ; cette exigence, nous l’atteindrons en dotant le régulateur de moyens pour contrôler les efforts et les résultats des plateformes, ainsi que pour sanctionner les manquements à leurs obligations.

La question de l’accès aux contenus est essentielle, mais elle ne saurait être seule à être prise en considération.

Justement, le texte de loi que vous examinez a pour objet une situation différente. Il vise à protéger non pas les enfants qui sont spectateurs de contenus vidéo, mais ceux qui en sont les acteurs. Il vise à protéger non pas les publics, mais les créateurs. Or, depuis quelques années, les créateurs de vidéos se sont multipliés de manière exponentielle, sur YouTube principalement, mais aussi sur TikTok, Twitch ou, hier, Vine.

Les plateformes de partage de vidéos sont, le plus souvent, une chance. Ce sont des espaces de liberté. Il s’y déploie une extraordinaire créativité. Des talents formidables s’y expriment, s’y révèlent, se trouvent un public, sans intermédiaires : talents pour raconter des histoires, talents artistiques, musicaux, comiques… Ces plateformes sont aussi une source de revenus pour les créateurs. Avec la monétisation des contenus, certains en ont même fait leur activité professionnelle – ils sont parfois qualifiés d’« influenceurs ».

Néanmoins, aujourd’hui, de plus en plus de vidéos, de plus en plus de chaînes sont consacrées à l’exposition d’enfants. Des enfants sont mis en scène en train de jouer, de manger, de cuisiner. Évidemment, derrière, ce sont souvent les parents qui sont aux manettes, qui mettent en scène leurs enfants, qui réalisent les vidéos, qui, le cas échéant, imposent un rythme de tournage ou certains types de contenus ou de produits commerciaux. Ce sont les parents qui, in fine, récupèrent la rémunération.

Le risque pour les enfants est évident. Avec cette loi voulue par Bruno Studer, le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, et par les députés, il s’agit de mieux protéger ces enfants « influenceurs ».

Pour protéger, il faut encadrer. Cela implique de faire entrer cette activité dans le droit commun du code du travail, pour le cas où l’activité des mineurs est assimilable au travail salarié. C’est déjà le cas – je le disais – pour les enfants qui jouent dans une pièce de théâtre, dans un film, ou qui font du cirque. Je salue d’ailleurs l’engagement de ma collègue Muriel Pénicaud en ce sens.

Cela implique également de créer un régime de déclaration administrative, pour le cas où il ne s’agit pas de salariat, mais où le nombre et la durée des contenus ou le montant des revenus liés à la diffusion des vidéos justifient une vigilance particulière et une pédagogie auprès des parents.

Pour protéger, il faut s’unir, associer les plateformes numériques à ce combat, les responsabiliser en matière d’information des parents sur la réglementation et de lutte contre les situations d’abus.

Enfin, pour protéger, il faut garantir le droit à l’oubli. C’est ce que proposent les auteurs de cette proposition de loi pour les mineurs figurant sur des vidéos mises en ligne sur les plateformes numériques. Il importe tout particulièrement que le mineur n’ait pas besoin de demander l’autorisation de ses parents pour faire valoir ce droit.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé à ce texte. Je remercie en particulier le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, Bruno Studer, d’avoir déposé cette proposition de loi, et le rapporteur du texte au Sénat, Jean-Raymond Hugonet. Nous avions déjà travaillé ensemble sur la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, dont vous étiez également rapporteur, monsieur Hugonet. C’est une nouvelle fois un plaisir de travailler avec vous.

Ce texte est nécessaire, même indispensable. Le Gouvernement a donc souhaité participer activement à ce travail législatif. Tel est le sens des amendements que je souhaite vous soumettre au nom du Gouvernement ; l’un est rédactionnel, l’autre vise à préciser les règles applicables aux annonceurs afin de renforcer la réalité juridique du régime des sanctions, au regard notamment du principe de légalité des délits et des peines.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si cette proposition de loi est nécessaire, elle n’est malheureusement pas suffisante. Il nous faut, plus largement, lutter contre l’exposition précoce des enfants aux écrans ; c’est l’objet d’une proposition de loi que je vous remercie d’avoir présentée, madame la présidente Catherine Morin-Desailly.

Il nous faudra aussi mobiliser les services de l’État pour détecter les situations particulièrement problématiques et garantir sans relâche la protection de l’enfance. Sur ce sujet, je peux vous assurer de la mobilisation pleine et entière du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. le rapporteur et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui se situe à la convergence de deux préoccupations essentielles.

La première d’entre elles est la protection des mineurs.

Le travail des enfants est interdit dans notre pays depuis la loi de 1874. Pensons bien sûr aux Misérables de Victor Hugo ou à l’œuvre de Charles Dickens, qui ont contribué, au XIXe siècle, à l’éveil des consciences sur ce sujet. Les rares dérogations à ce principe, qui concernent les enfants du spectacle et du mannequinat, sont soigneusement encadrées par la loi. Il faut bien le dire, l’enfance n’est pas le temps du travail et des préoccupations professionnelles. Si l’on peut concevoir une activité limitée, il nous appartient de préserver ce temps de l’insouciance.

Or, si la révolution numérique a ouvert de nouveaux espaces de liberté et de créativité, ce dont il faut se réjouir, elle a également permis le développement de nouvelles formes d’exploitation, d’autant plus insidieuses qu’elles ont l’air parfaitement innocentes et ludiques. Il ne s’agit plus de travail « à la mine », certes, mais, depuis plusieurs années, les chaînes mettant en scène des enfants filmés par leurs parents se multiplient sur les plateformes de partage de vidéos en ligne.

Certaines d’entre elles bénéficient, en France et dans le monde, d’une audience très importante, qui peut atteindre plusieurs millions d’abonnés et des dizaines de millions de vues. Il arrive qu’elles représentent, de surcroît, une source de revenus importante pour les parents, par le biais de la publicité et des placements de produits.

Comment croire, dès lors, à la fiction soigneusement entretenue de vidéos tournées et produites de manière « naturelle », sans pressions ni contrainte ?

Quand des sommes aussi considérables que celles qui ont été évoquées durant les auditions – parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois ! – sont en jeu, comment penser une seule seconde que l’équilibre de ces enfants est préservé ?

Or – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – il n’existe, à l’heure actuelle, aucun cadre, aucune garantie pour protéger ces enfants dits « youtubeurs », en termes de temps de tournage et de partage des bénéfices notamment.

Le grand mérite de la proposition de loi de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, qui a été adoptée à l’unanimité par les députés, est de commencer à constituer un cadre juridique qui réponde à ces nouveaux défis. Je tiens d’ailleurs à saluer la présence en tribune de M. Bruno Studer, qui marque ainsi son engagement total sur ce texte et son respect pour les travaux du Sénat.

Protéger : tel est, en un mot, l’objet de la présente proposition de loi, qui s’inscrit dans un mouvement amorcé depuis déjà plusieurs années, consistant à réguler internet pour éviter que celui-ci ne soit un espace de non-droits, « sans foi ni loi ». C’est là un exercice délicat pour le législateur, qui doit mettre en balance la sauvegarde des libertés publiques, au premier rang desquelles figure la liberté de communication, et la protection du « vivre ensemble » et des plus vulnérables.

La récente décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi Avia visant à lutter contre la haine en ligne nous a montré, si besoin était, qu’il fallait suivre un chemin de crête particulièrement étroit et que l’on a toujours intérêt à écouter très attentivement, en la matière comme en bien d’autres, les justes préconisations de Philippe Bas, éminent président de la commission des lois du Sénat.

Mme Catherine Deroche. C’est vrai !

M. Stéphane Piednoir. C’est évident !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je souhaite attirer votre attention sur trois points qui font, selon moi, la pertinence de ce texte.

En premier lieu, cette proposition de loi prend en compte la nature profondément mouvante de l’espace numérique et la pluralité des pratiques qui s’y développent.

Ses auteurs ont ainsi veillé à distinguer les vidéos « professionnelles » des vidéos « amateurs » et de celles, enfin, qui s’inscrivent aujourd’hui dans une « zone grise », jouant sur la porosité des frontières entre travail et loisir. Plusieurs régimes juridiques sont définis pour s’adapter au mieux à la diversité des situations rencontrées.

Ce souci du réel se retrouve aussi dans la disposition qui élargit le fameux « droit à l’oubli ». Les mineurs pourront désormais exercer ce droit sans le consentement de leurs représentants légaux, lesquels peuvent avoir un intérêt au maintien de certains contenus en ligne.

En deuxième lieu, cette proposition de loi a le mérite de placer chaque acteur face à ses responsabilités, ce qui n’est pas superflu.

Les parents, tout d’abord, sont les premiers responsables non seulement de ces vidéos, mais surtout de la sauvegarde du bien-être de leur enfant. Hélas, ils sont encore trop nombreux à ne pas mesurer les risques d’une telle exposition de l’image de leur enfant sur internet, d’où la nécessité et l’urgence de mieux éduquer l’ensemble de la société aux enjeux du numérique – sujet cher à notre présidente Catherine Morin-Desailly.

Je salue d’ailleurs l’excellente initiative de notre collègue Sylvie Robert, qui propose, par un judicieux amendement, d’élargir les obligations de sensibilisation des plateformes en direction des mineurs eux-mêmes.

Mme Catherine Deroche et M. Stéphane Piednoir. Très bien.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Au-delà de celle des parents, ce texte prévoit, dans les limites autorisées par le régime protecteur de la directive e-commerce, une responsabilisation des plateformes. Celles-ci auront pour obligation d’adopter, sous le contrôle du CSA et de Roch-Olivier Maistre, des chartes destinées par exemple à favoriser la mise en place de procédures de signalement par les utilisateurs des contenus problématiques portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité d’un mineur.

Soulignons enfin que, si ce texte n’a vocation à s’appliquer qu’à une minorité d’enfants et de parents, sa portée symbolique est considérable. Combien de parents rêvent, devant leurs écrans, en contemplant le succès de quelques-uns ? Combien d’enfants envient l’existence de ces jeunes stars inondées de cadeaux ?

Lors de ses travaux, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a veillé en particulier à la qualité rédactionnelle du texte et s’est attachée à préciser certains points dans le sens d’une meilleure garantie des droits des mineurs.

Dans un souci de transparence et de pédagogie, il nous a également semblé essentiel d’assurer aux parents une meilleure information sur le contenu de leurs obligations financières – je remercie une nouvelle fois notre collègue Laurent Lafon pour ses amendements en ce sens.

Soyons clairs : les auteurs de cette proposition de loi ne prétendent pas traiter l’ensemble du sujet de la protection des mineurs sur internet, ni même apporter une réponse parfaite à un phénomène que nous savons complexe. J’entends les interrogations qui subsistent quant à l’effectivité du texte. Il appartiendra certainement à la jurisprudence d’affiner, au fur et à mesure, les distinctions entre ces nouveaux régimes juridiques.

Néanmoins, mes chers collègues, cette proposition de loi est – j’en suis intimement persuadé – la solution la plus convaincante dont nous disposons à ce stade. Là où règnent pour l’heure le vide et le silence, elle institue un cadre voulu équilibré, pionnier à l’échelle internationale, mais surtout protecteur et à même de garantir l’intérêt de l’enfant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, LaREM et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, le Parlement est amené à réfléchir et à légiférer sur l’exposition aux écrans des mineurs, en particulier des jeunes enfants, la nature de cette exposition ayant fortement évolué avec l’émergence du numérique. Je citerai l’examen de la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique et le débat sur la proposition de loi visant à lutter contre l’exposition précoce des enfants aux écrans, déposée par la présidente de la commission de la culture du Sénat.

Aujourd’hui, nous sommes conduits à discuter de l’exploitation commerciale des vidéos mettant en scène des mineurs de moins de 16 ans mises en ligne sur des plateformes de partage telles que YouTube. Dans leur finalité, les différents textes précités se rejoignent : ils ont pour objet de protéger les enfants en tenant compte de l’évolution des usages, et singulièrement des usages numériques.

Après l’euphorie des premières années internet, nous avons collectivement pris conscience que l’entrée dans la « troisième révolution industrielle » s’accompagnait d’enjeux auxquels il s’avérait absolument impératif d’apporter des réponses : protection des données, notamment des données à caractère personnel, séparation entre vie professionnelle et vie privée, éducation au numérique, régulation des Gafam.

La protection des mineurs à l’égard du numérique et de toute forme d’exploitation fait partie intégrante de ces défis contemporains, d’autant que notre arsenal juridique, en la matière, est encore bien léger.

Le numérique soulève en effet des questions aiguës concernant les droits des mineurs. Notre ordre juridique interne, reposant sur le postulat selon lequel ses représentants légaux agissent au nom du mineur, n’est pas suffisamment opérant ni approprié pour appréhender l’ensemble des usages numériques et protéger ainsi efficacement les mineurs.

Progressivement, la législation évolue, octroyant directement des droits aux mineurs ; ainsi de l’article 56 de la loi de 2016 pour une République numérique : « le mineur âgé de quinze ans ou plus peut s’opposer à ce que les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale aient accès aux données le concernant recueillies au cours [de projets de recherche] ». L’article 5 de la présente proposition de loi est une autre illustration probante d’une telle évolution, puisqu’il confère aux mineurs un droit à l’oubli sans que le consentement des titulaires de l’autorité parentale soit requis.

En d’autres termes, nous sommes bel et bien dans une phase de régulation consécutive à l’augmentation exponentielle des usages du numérique, ayant pour objet de préserver les équilibres sociaux et de renforcer les droits des personnes, notamment des plus vulnérables, ainsi que l’effectivité de ces droits.

Ainsi, cette proposition de loi comble un vide juridique afférent à une pratique de plus en plus courante : la réalisation et la publication de contenus mettant en scène des enfants sur des plateformes en ligne. Plus précisément, elle crée deux régimes juridiques distincts pour ces « enfants youtubeurs », l’un, aligné sur le régime applicable aux « enfants du spectacle », valant pour une pratique professionnelle, l’autre, détaillé à l’article 3, concernant une pratique semi-professionnelle.

Ces deux régimes visent à protéger l’enfant et à lui assurer que les bénéfices qui pourraient être tirés par les parents de l’exploitation commerciale de ces vidéos lui sont réservés. Il ne faut pas omettre que certains comptes ont des millions d’abonnés et génèrent des revenus substantiels qui, actuellement, peuvent totalement échapper aux mineurs, alors même qu’ils sont les acteurs principaux.

Par-delà l’aspect matériel et financier, les auteurs de ce texte insistent surtout sur l’information et la pédagogie nécessaires à destination des parents et du public s’agissant de la réalisation et du contenu de ces vidéos. Il est en effet indispensable de porter une vive attention aux risques, notamment psychologiques, inhérents aux conditions et à la fréquence de production de ces vidéos, mais aussi – vous l’avez dit, cher rapporteur – au respect de la dignité physique et morale de ces enfants, en veillant à ce que les contenus mis en ligne n’y portent aucunement atteinte.

Cependant, étrangement, cette sensibilisation, essentielle, qui passe notamment par la responsabilisation des plateformes, lesquelles devront édicter des chartes, ne s’adresse pas aux principaux acteurs concernés, c’est-à-dire aux mineurs eux-mêmes. Pourtant, il s’avère fondamental de faire preuve de pédagogie à leur égard, dans un souci d’éducation, de responsabilisation et de protection.

C’est pourquoi nous proposons d’informer et d’alerter ces mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image, tant sur leur vie privée qu’en termes de risques psychologiques et juridiques, ainsi que sur les moyens dont ils disposent pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique. Cette disposition serait de nature à renforcer la protection de leurs droits à l’ère numérique, en favorisant l’appropriation de ces droits et en permettant un accompagnement direct des mineurs concernés. Elle permettrait également d’englober dans le périmètre de cette proposition de loi les mineurs de moins de 16 ans qui réalisent et diffusent par eux-mêmes des vidéos – ils sont nombreux dans ce cas – sans avoir nécessairement conscience des risques qui en découlent.

Cette logique alliant pédagogie et responsabilisation est pertinente pour garantir l’effectivité des droits de ces mineurs. Ainsi, la disposition de l’article 5 leur permettra de se prévaloir, en dehors de toute autorité parentale, d’un droit à l’effacement de leurs données personnelles sur les plateformes. J’aimerais d’ailleurs rappeler qu’un problème aigu se pose, sur ce point, s’agissant des plateformes où peuvent être postées des vidéos temporaires – je pense notamment à TikTok –, l’absence de visibilité de ces contenus ne signifiant nullement leur effacement.

Nous le voyons, mes chers collègues : sur tous ces sujets, notre droit est en construction. Souhaitons qu’il soit respecté par tous, mais n’oublions pas que, face à la « perfusion numérique » et à l’omniprésence des écrans, la pédagogie est indispensable. Elle doit devenir une priorité, notamment à l’école. Le présent texte va bien sûr dans le bon sens, et les membres du groupe socialiste et républicain seront très heureux de le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, depuis la diffusion large de l’internet, à compter du début des années 2000, l’usage qui en est fait soulève fréquemment de nouvelles problématiques. Cet espace de création et d’expression, qui s’affranchit volontiers des frontières, connaît naturellement aussi ses dérives et ses excès. Toute forme de régulation y est rendue difficile, tout particulièrement si elle est mise en place de façon isolée sur le plan international.

Ainsi, il apparaît incontournable d’apporter une réponse concertée et coordonnée à l’échelle des États européens, comme le rappelle souvent Mme la présidente Catherine Morin-Desailly au sein de notre commission. Le législateur français a pu en faire aisément le constat lorsqu’il a souhaité s’emparer de problématiques relatives à l’encadrement de l’expression au sein de ce nouvel espace.

La majorité présidentielle a ainsi, à plusieurs reprises depuis le début de la législature, déjà entrepris d’apporter des réponses, qu’il s’agisse de lutter contre la manipulation de l’information ou contre la diffusion de contenus haineux.

Dans le premier cas de figure, sur la majorité des travées de cet hémicycle, nous avons estimé que l’objectif visé n’était pas correctement ciblé par les nouvelles dispositions introduites par les députés de la majorité et que ces dernières pouvaient même, in fine, s’avérer pernicieuses.

Dans le second cas de figure, c’est le Conseil constitutionnel lui-même qui a censuré le principal apport du texte, pointant que l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer dans les vingt-quatre heures, sous peine de lourdes amendes, les contenus « haineux » qui leur sont signalés risquait de porter « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».

C’est cette fois sur l’initiative de M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, soutenu dans sa démarche par le groupe LaREM, que nous sommes amenés à réfléchir à l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne.

Ces dernières, telles que YouTube, hébergent des chaînes sur lesquelles des mineurs de moins de 16 ans sont mis en scène, la plupart du temps par des membres de leur famille, l’ambition créatrice des vidéos ainsi produites étant généralement toute relative…

En effet, l’unique objectif est souvent tout autre. Les audiences de ces vidéos étant tout à fait significatives, elles sont susceptibles d’engendrer des revenus tout aussi significatifs !

L’intention du législateur, au travers de ce texte, est, d’une part, de faire bénéficier les mineurs filmés des garanties prévues pour les enfants du spectacle en matière de temps de travail et de rémunération, et, d’autre part, de prévenir les conséquences psychologiques de long terme susceptibles d’affecter ces enfants.

Le groupe RDSE partage pleinement la préoccupation de l’auteur de la proposition de loi. Il nous faut globalement mieux appréhender l’éducation au numérique des jeunes générations, mais également celle des moins jeunes.

La prévention peut et doit, par le biais notamment, dans les années à venir, de l’action d’enseignants pour lesquels ce type d’outils sera sans doute plus familier, permettre une utilisation plus raisonnée et modérée de l’internet chez beaucoup d’entre nous, notamment les plus jeunes.

Ces derniers, tout comme leurs parents, doivent pouvoir mieux appréhender les conséquences, tout particulièrement psychologiques, qui peuvent être liées à une surexposition de leur image sur la « toile ».

Cette mobilisation pour donner à chacun les meilleures clés de compréhension d’un outil numérique capable de broyer des individus nous paraît toujours aussi indispensable.

Nous saluons donc l’initiative du président Studer, qui propose d’instaurer un cadre légal équilibré et pionnier en la matière, en opérant notamment un distinguo entre vidéos professionnelles, vidéos semi-professionnelles et vidéos amateurs, et en soumettant chacune de ces catégories à un cadre juridique spécifique.

La responsabilisation voulue par le législateur porte en outre sur les parents, mais également sur les entreprises susceptibles de conclure des contrats de placement de produits, ainsi que sur les plateformes accueillant ces vidéos.

Nous saluons aussi le travail approfondi de notre rapporteur qui, par des précisions opportunes et un renforcement des contraintes appelées à peser sur les plateformes, est venu affiner le caractère opérationnel de cette proposition de loi.

Eu égard aux remarques formulées au début de mon intervention sur l’impérieuse nécessité de trouver une réponse internationalement concertée, au moins à l’échelon européen, qui soit la plus à même d’imposer aux géants de l’internet des garde-fous, nous sommes tentés d’émettre des réserves sur-la portée véritable de ce texte.

Toutefois, cette proposition de loi nous apparaît pertinente et équilibrée sur le plan du droit. Ce ne fut pas toujours le cas des textes relatifs à la régulation du web précédemment présentés par la majorité présidentielle : ils ont pu parfois contenir des dispositions potentiellement pernicieuses.

Nous soutiendrons donc cette initiative qui permet de poser clairement le débat, un débat essentiel puisqu’il a trait à la protection de l’enfance en matière numérique. Le groupe RDSE votera la présente proposition de loi. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à saluer la présence en tribune de Bruno Studer, auteur de cette proposition de loi et président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. Je remercie très chaleureusement notre collègue et ami Jean-Raymond Hugonet pour le travail de grande qualité qu’il a réalisé dans des délais, disons-le, particulièrement courts. Le fait qu’il ait été désigné rapporteur et, surtout, son approche résolument constructive de l’examen du texte en commission témoignent du caractère éminemment transpartisan de cette proposition de loi. Je trouve personnellement essentiel que nos deux chambres, quelle que soit leur coloration politique respective, soient capables d’œuvrer en pleine syntonie lorsqu’il y va de la protection de nos enfants, de leur épanouissement et de leur santé mentale.

La soumission à une mode d’un jour qui perdure dans le temps pour devenir le symbole d’une génération ne doit pas nous faire oublier « la cause des enfants », pour reprendre le titre d’un des plus fameux ouvrages de Françoise Dolto.

Il y a maintenant quinze ans apparaissaient pour la première fois, sur les plateformes de partage de vidéos nouvellement créées, des vidéos mettant en scène des enfants dans leur vie quotidienne.

Il y a quelques années, partout dans le monde, de jeunes enfants, à l’instar du désormais célèbre Ryan Kaji, commençaient à être filmés presque quotidiennement par leurs parents, les vidéos ainsi réalisées totalisant des millions, parfois même des milliards, de visionnages.

L’année dernière, le « jeter de fromage » au visage de bébés, provoquant souvent, hélas ! l’hilarité des parents qui les filment, est devenu un phénomène viral sur ces mêmes plateformes et sur les réseaux sociaux.

Il faut d’ailleurs rappeler que ce type de vidéos prétendument novateur n’est en réalité qu’une reprise au goût du jour, pour ne pas dire au mauvais goût du jour, de l’émission américaine Americas Funniest Home Videos, adaptée en France sous le nom de Vidéo Gag et qui a fait les beaux jours d’une de nos chaînes de télévision pendant près de dix-huit ans. Comme le dit l’Ecclésiaste, « ce qui fut sera, ce qui s’est fait se refera, et il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». J’aurais pu citer les principes d’éducation de Krishnamurti, mais j’aurais eu moins de succès dans cet hémicycle. (Sourires.)

Ce rapide rappel chronologique fait apparaître, vous l’aurez compris, ce que l’on pourrait appeler un « vide juridique » et, surtout, les tristes dérives qui en découlent. Ce vide juridique qu’il faut combler et ces dérives qu’il faut empêcher nous renvoient, nous, parlementaires, à notre responsabilité de législateur.

Le législateur est pleinement dans son rôle lorsqu’il met en lumière des situations de travail qui demeurent inconnues de nombre de nos concitoyens. Il est dans son rôle quand il s’agit d’étendre le régime protecteur des enfants du spectacle et de la mode aux enfants dits « youtubeurs » et lorsqu’il place les plateformes face à leurs responsabilités en les contraignant au retrait des contenus lorsque les diffuseurs de ces derniers font fi de l’obligation d’autorisation préalable. Il est également dans son rôle, chers collègues, quand il instaure un droit à l’oubli que les mineurs peuvent solliciter pour obtenir le retrait des vidéos où ils apparaissent. Il est dans son rôle comme il l’était déjà, il y a près de quatre ans, lorsque vous avez accepté de voter la proposition de loi que je présentais visant à interdire la publicité dans les programmes jeunesse du service public de l’audiovisuel. En somme, vous l’aurez compris, le législateur est dans son rôle quand il protège !

J’aimerais d’ailleurs, à ce titre, rappeler combien ce texte est consubstantiel de l’esprit qui anime notre République, la République des droits de l’homme, la République qui protège les plus fragiles, la République qui montre le chemin à suivre aux autres pays quand il s’agit de garantir les droits de chacun, particulièrement des plus vulnérables. La France est en effet le premier pays au monde à s’emparer de ce sujet. La France est intransigeante quand il s’agit de garantir les droits de tous ; elle l’est a fortiori quand il s’agit de garantir les droits des plus jeunes enfants.

J’entends dire, ici et là, que cette proposition de loi ne sanctionne pas assez, qu’elle ne résout pas tous les problèmes. À cela, je réponds que l’avènement du monde numérique et des plateformes de partage de vidéos a engendré une myriade de problèmes que nous ne réglerons pas d’un seul coup, que ce texte représente une avancée majeure, qu’il faut progresser pas à pas et que notre pays est pionnier en la matière.

Soyons donc fiers de ce texte innovant qui constituera, espérons-le, la première pierre d’un édifice plus vaste et plus protecteur encore, qu’il nous faudra bâtir ensemble.

Les chers collègues, je vous invite, à l’instar des autres membres du groupe LaREM, à adopter l’ensemble des amendements et la totalité de ce texte, déjà excellent en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog.

Mme Christine Herzog. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adoption du texte que nous examinons aujourd’hui aura une grande importance pour l’avenir de ces enfants « youtubeurs » ou « influenceurs » de moins de 16 ans.

En effet, il n’existe pas, pour l’heure, de cadre légal les concernant, puisqu’ils ne bénéficient pas des protections en vigueur pour les enfants travaillant dans le cinéma, le mannequinat ou la publicité. Ce vide juridique les expose à des abus, y compris de la part de leurs parents, qui ne maîtrisent pas toujours les dérives liées à la diffusion de ces vidéos.

Plusieurs risques doivent être écartés. Parmi les plus graves figurent les commentaires haineux, l’agressivité et le cyberharcèlement, qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur leur santé mentale. Des adolescents sont poussés au suicide par la violence des réseaux sociaux. Nous avons le devoir de prévenir ces tragédies.

Un autre risque doit nous inquiéter, celui du décrochage éducatif. Tous les parents sont aujourd’hui confrontés aux excès dans l’usage du numérique par les adolescents. Le contrôle parental est devenu un combat quotidien, dans lequel les adultes sont de plus en plus démunis, faute de moyens. Là encore, il faut poser des limites, pour éviter que ces enfants ne s’éloignent de la vie scolaire en consacrant un temps excessif aux plateformes en ligne.

Enfin, le traitement des questions relatives aux conditions de travail et aux revenus engendrés par ces activités constitue un pilier essentiel de la future loi. Ce pilier législatif a été largement enrichi par la commission de la culture du Sénat, qui a précisé les responsabilités légales des parents, à la fois « employeurs » et propriétaires des chaînes YouTube de leurs enfants.

Je souscris également au renforcement par le Sénat du droit à l’oubli, qui leur permettra aux enfants eux-mêmes de demander le retrait des contenus les concernant.

La version du texte modifiée par notre commission de la culture constitue une avancée majeure ; je voterai donc pour son adoption. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à combler le vide juridique dans lequel se trouve aujourd’hui l’exploitation commerciale des enfants sur les plateformes numériques. C’est un premier pas que nous saluons, même si nous avons été nombreux à souligner que l’atteinte réelle des objectifs visés au travers de ce texte n’était malheureusement pas complètement garantie.

La transposition de la directive Services de médias audiovisuels et le projet de loi, que je qualifierai de « rétréci », sur l’audiovisuel public doivent également nous permettre d’aller plus loin dans la régulation d’un secteur en développement exponentiel, qu’il s’agisse de la protection des enfants ou des droits et de la rémunération des créateurs et des auteurs.

En effet, malgré la bonne volonté des équipes de YouTube France, les difficultés à faire appliquer le droit français par des entreprises numériques étrangères, qui ont pourtant une audience, des salariés et des utilisateurs, parfois même professionnels, dans notre pays, sont nombreuses.

Cela doit nous amener à redéfinir aussi la fiscalité à laquelle sont soumis les Gafam et YouTube. Chacun sait en effet que le montant des taxes qu’ils acquittent est bien en deçà de ce que l’on pourrait imaginer. Ces plateformes numériques doivent contribuer au financement de la création, puisqu’elles en tirent des ressources colossales.

L’enjeu central de cette proposition de loi est de faire respecter les droits de l’enfant. Le problème est très complexe, nous en avons tous conscience. Cela implique de les protéger des rythmes effrénés de tournage qui leur sont parfois imposés et de contrôler si les contenus dans lesquels ils figurent sont compatibles avec leur âge.

Cela nécessite aussi de réexaminer la nature de ces nouvelles pratiques et leur compatibilité, par exemple, avec l’obligation scolaire. Être filmé déballant des cadeaux d’anniversaire ou visitant un parc d’attractions pourrait devenir du travail déguisé. Cette question du travail caché derrière des activités ludiques est primordiale, comme le souligne la Défenseure des enfants. Vous avez vous-même parlé d’exploitation, monsieur le rapporteur : je ne saurais mieux dire !

Il est légitime d’ouvrir aux enfants acteurs des vidéos diffusées sur les plateformes le régime spécial applicable aux enfants travaillant dans le secteur du spectacle. Ce statut leur permettra d’être encadrés et évitera que leur rémunération ne soit détournée. C’est l’objet de l’article 1er.

Il ne faut pas non plus négliger les risques psychologiques que peut comporter la diffusion des images d’enfants sur les plateformes numériques. Différentes études mettent en évidence de nombreux effets pervers, comme la désocialisation, la déscolarisation, le surmenage, voire des épisodes dépressifs, sans parler de l’impact que peuvent avoir sur des enfants les commentaires et les réactions de « spectateurs ».

Se pose enfin la question de l’« après », quand l’enfant-star devient adolescent ou adulte. L’émergence des plateformes marque l’avènement d’une société où le « succès » arrive aussi vite qu’il repart. Chacun mesure les dommages que cela peut causer sur des esprits en construction. Nous devons continuer à nous interroger collectivement et à construire des réponses concrètes en termes de protection des enfants et des jeunes. C’est un sujet de réflexion dont aurait pu s’emparer la délégation aux droits des enfants que notre groupe avait proposé de créer au Sénat.

Il en va de même s’agissant des contenus diffusés par les plateformes à destination des jeunes. Vous avez eu raison de souligner, monsieur le ministre, que ces plateformes peuvent faire émerger des talents extraordinaires, qui n’auraient peut-être pas pu se révéler via des canaux plus traditionnels. Mais, malheureusement, les contenus ne sont pas toujours épanouissants et éducatifs. Cette réalité n’est d’ailleurs pas l’apanage de ces nouveaux canaux : il suffit de voir les programmes que diffusent parfois aujourd’hui certaines chaînes de télévision !

Face à ce constat, un acteur doit se réaffirmer avec force : le service public. Qu’il offre une alternative éducative, ludique et culturelle, et nous ferons vivre l’exception culturelle française ! À cet égard, la disparition programmée de France 4 du réseau hertzien, que je ne peux manquer d’évoquer aujourd’hui, va affaiblir sa visibilité. S’il est vrai que les jeunes regardent de moins en moins la télévision et passent de plus en plus de temps sur internet, le petit écran reste un repère pour bon nombre d’entre eux.

Pour conclure, nous nous félicitons que la France soit le premier pays à légiférer pour protéger les enfants de l’utilisation commerciale de leur image sur les plateformes numériques. Le groupe CRCE se joint pleinement à cet effort ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (M. André Gattolin applaudit.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la lignée des récentes dispositions adoptées par le Parlement visant à adapter notre législation aux évolutions rapides de notre société.

Qu’il s’agisse de la loi dite « Avia » contre les contenus haineux sur internet, de la loi relative à la modernisation de la distribution de la presse ou encore de la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, l’objectif est toujours d’adapter le cadre législatif existant au monde numérique. Ce processus de mise à jour de notre corpus juridique demande une attention soutenue pour ne laisser aucun domaine sans protection.

La proposition de loi « visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne » offre des réponses adaptées et mesurées au phénomène en pleine expansion des enfants « youtubeurs ».

Des vidéos sont réalisées, parfois quotidiennement, par des parents ou des proches, à un âge où les principaux intéressés ne sont pas en mesure d’apporter un consentement éclairé à la diffusion de leurs faits et gestes auprès de millions d’abonnés dans le monde entier, qui plus est lorsqu’il s’agit de faire la promotion d’un produit ou d’une marque.

Qu’il s’agisse de vidéos monétisées ou visant au placement de produits, certaines situations seraient qualifiables de travail illicite d’enfants, d’autres pourraient donner lieu à des poursuites pour maltraitance. Par ailleurs, nous connaissons encore mal l’impact psychologique d’une exposition aussi précoce, régulière et massive de la vie privée d’un enfant aux regards de tous. Nous sommes d’ores et déjà conscients du risque de cyberharcèlement auquel les enfants filmés sont exposés.

L’autre versant de la question qu’il nous faut considérer, c’est l’impact de ces nouveaux modèles auxquels s’identifient des millions d’enfants. Leurs héros ne sont plus des personnages de la littérature pour la jeunesse – Le Petit Prince, Le Club des cinq, Matilda, Les Malheurs de Sophie –, désormais devancés par Swan et Néo, Kalys et Athena ou encore Josh et Jen. « La lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté », disait François Mauriac. La culture du livre se fonde sur une recherche de sens au moyen de la narration. La culture des écrans, elle, repose sur la délivrance immédiate d’une information disponible de façon illimitée. Le passage brutal de l’une à l’autre inquiète un certain nombre de chercheurs, qui craignent l’émergence d’une génération sans repères et sans discernement.

Un certain nombre de dérives et d’incertitudes existent. Il est grand temps de dissiper le flou législatif qui entoure la diffusion de vidéos de mineurs sur des chaînes familiales. Dans cette perspective, ce texte, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale – je remercie le président de sa commission des affaires culturelles et de l’éducation d’être présent en tribune aujourd’hui –, comporte trois avancées importantes en matière de protection de l’enfance.

Tout d’abord, l’article 1er vise à étendre le cadre juridique applicable aux enfants du spectacle aux enfants dont l’image est exploitée commercialement sur les plateformes. Ce cadre prévoit un encadrement des durées et conditions de travail, une demande préalable d’autorisation, ainsi que l’ouverture d’un compte à la Caisse des dépôts et consignations.

L’article 3 tend à mettre en place un dispositif intermédiaire entre le statut amateur et le statut professionnel de parent producteur. Il s’agit d’un cadre semi-professionnel, prévoyant une limitation de la durée des activités à laquelle le mineur participe, ainsi qu’un partage des revenus générés. Ce statut s’appliquera lorsque l’activité en question dépassera un certain seuil en termes de durée ou de rémunération.

Autre avancée importante de cette proposition de loi, l’article 5 vise à étendre l’exercice du droit à l’oubli aux mineurs. Je remercie la commission de la culture du Sénat d’avoir adopté mon amendement tendant à inscrire cette nouvelle possibilité dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978.

Je souhaite remercier le rapporteur, Jean-Raymond Hugonet, de son travail, en particulier sur l’article 2, qui tend à conférer au juge judiciaire la possibilité d’ordonner le déréférencement des vidéos illégales sur signalement de l’administration.

L’adoption de cette proposition de loi est une occasion importante de renforcer notre législation en matière de protection de l’enfance. Notre groupe y est favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, en préparant mon intervention, je suis tombée sur une chaîne YouTube, « Gabin et Lily », mettant en scène un frère et une sœur de moins de 10 ans. Cette chaîne ne compte pas moins de 800 000 abonnés et certaines vidéos de « prestation » des enfants ont donné lieu à plus de 8 millions de visionnages –c’est le nombre d’entrées du film E.T., lextra-terrestre ! Pour comparaison, Titanic, le numéro un au box-office, comptabilise 20 millions d’entrées. Cela permet de mettre en perspective la publicité et les revenus que peuvent générer de telles activités.

Si j’ai parlé de « prestation », c’est bien parce que ces vidéos doivent être considérées comme telles. Les enfants comédiens, qui sont protégés par la loi lorsqu’il s’agit d’activités artistiques de l’« ancien monde » – je veux parler du cinéma, du théâtre, du cirque, de la danse, de l’art vivant en général, mais aussi du mannequinat –, doivent l’être également, et même surtout, quand ils se produisent sur le net.

En effet, un enfant qui tourne dans un film n’est pas en relation directe avec ceux qui vont le voir, tandis que, sur le net, les enfants peuvent communiquer en direct avec leurs followers. J’ai à l’esprit l’exemple d’une jeune fille qui s’enregistrait régulièrement sur TikTok, plateforme sur laquelle des jeunes reproduisent des chorégraphies. Elle a été victime de harcèlement et a dû arrêter ses vidéos.

Je rappelle que les pédocriminels sont friands de ces vidéos. La chaîne de télévision qu’ils regardent le plus en prison, c’est Gulli. Ce n’est pas ma collègue Catherine Deroche, qui a présidé la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions, qui me contredira !

Je m’éloigne du sujet de cette proposition de loi, me direz-vous ? Et pourtant… Le seul fait d’évoquer TikTok nous amène au cœur du sujet !

Nous attendons des plateformes qu’elles régulent la diffusion des contenus qui ne seraient pas conformes au respect de la personne humaine, et de l’enfant particulièrement.

Nous attendons des plateformes qu’elles signalent, à l’avenir, le fait que la diffusion des images d’un mineur génère des revenus sans qu’il ait été procédé à la déclaration prévue par cette proposition de loi.

YouTube semblait, lors des auditions, disposé à s’inscrire dans cette démarche, mais quid des autres ? S’il leur venait la mauvaise idée de ne pas s’y conformer, c’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, qu’il appartiendrait de faire le gendarme, puis au juge si cela ne suffisait pas. Je considère qu’il faut donner ce pouvoir au CSA, mais je redoute que l’on ne découvre rapidement qu’un juge français n’a pas grand pouvoir sur une multinationale dont le siège est implanté bien loin de chez nous !

Une nouvelle fois, ce sujet nous renvoie à la nécessité de traiter la question de la souveraineté numérique au niveau européen, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Cette réflexion européenne a d’ailleurs débuté, elle a même déjà donné de premiers résultats, mais la route est encore longue, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas la poursuivre. À ce titre, nous vous remercions de votre engagement, monsieur le ministre.

Pour autant, ce texte est utile ; il comporte de très bonnes mesures.

Je pense à la création de statuts spécifiques pour encadrer l’exploitation de l’image des mineurs, à savoir un statut professionnel et un statut semi-professionnel correspondant assez bien aux pratiques des créateurs de contenus sur les plateformes numériques.

Je pense aussi à la déclaration obligatoire a priori pour le statut professionnel et a posteriori pour le statut semi-professionnel. Ce système de déclaration a d’ailleurs été amélioré en commission par le rapporteur.

Je pense également à la sécurisation des revenus et à la garantie que les enfants bénéficieront, à leur majorité, du fruit de leur travail. Je salue, au passage, l’amendement de mon collègue Laurent Lafon visant à améliorer l’information des parents à ce sujet.

Je pense à la communication à destination des utilisateurs sur la réglementation en vigueur et les risques associés à la diffusion de l’image d’un enfant. C’est une excellente mesure, qui permettra de faire un peu d’éducation et de prévention au numérique.

Je pense enfin à la reconnaissance comme tel d’un enfant acteur ou danseur, quel que soit le média sur lequel il se produit.

Avec ce texte, la loi intègre les outils du XXIe siècle. De surcroît, elle nous offre, en matière de protection des mineurs, une arme de plus. Le groupe Union Centriste votera ce texte sans réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parfois la loi anticipe, parfois elle s’adapte. Dans le domaine du numérique, pour de multiples raisons notamment liées à la protection de la liberté d’expression et à la mondialisation, force est de constater que la législation a un retard considérable sur l’innovation.

YouTube a été créé en 2005, a atteint le milliard d’abonnés en 2010 et compte plus de 2 milliards d’utilisateurs en 2020. Chaque minute, plus de 300 heures de vidéos sont mises en ligne. Chaque mois, plus de 1 milliard d’utilisateurs uniques se connectent à YouTube et visionnent près de 6 milliards d’heures de vidéo.

Parmi les chaînes YouTube ayant produit le plus de revenus en 2019, on compte celles de deux enfants de moins de 8 ans. À eux deux, ils auraient perçu près de 44 millions de dollars en un an. Que ce succès soit le fruit d’un buzz accidentel, d’une opportunité exploitée ou d’un business plan élaboré, la diffusion de vidéos constitue désormais une activité professionnelle à part entière pour ces deux enfants.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue donc une avancée indispensable en la matière, en ce qu’elle vise à encadrer l’exploitation commerciale de l’image des mineurs. Je remercie mon collègue Jean-Raymond Hugonet pour son travail et son implication en tant que rapporteur, ainsi que l’ensemble de la commission, très mobilisée sur ces sujets.

L’article 1er crée, pour les mineurs de moins de 16 ans, le cadre légal d’exercice de la profession d’« influenceur » sur l’ensemble des plateformes en ligne. Il s’agit d’une avancée considérable pour la reconnaissance de la professionnalisation de cette activité, mais aussi et surtout en matière de lutte contre le travail dissimulé des mineurs.

Les dispositions relatives à l’information des parents sur les droits de l’enfant, les modalités de réalisation des vidéos et les conséquences de l’exposition de son image sont également essentielles et leur effectivité sera, je l’espère, appuyée par la nouvelle mission attribuée au CSA par l’article 4.

L’article 3 constitue également une avancée importante, puisqu’il pose les bases législatives permettant de dissocier l’usage récréatif de l’usage professionnel des plateformes en ligne pour les mineurs de moins de 16 ans, tout en garantissant la protection de leurs revenus.

L’article 5 vient compléter le droit à l’oubli en précisant son application stricte, sans condition de consentement des titulaires de l’autorité parentale, pour les mineurs. Par là même, il répond à une problématique de plus en plus récurrente dans le monde entier.

Ce texte est un excellent premier pas, mais il faudra se poser, à terme, la question beaucoup plus large de la protection de la vie privée des mineurs dans un monde toujours plus connecté et numérisé.

Pour ma part, dès 2017, avec le concours de notre collègue Philippe Bas, président de la commission des lois, j’avais déposé une proposition de loi prévoyant la création d’un cadre légal définissant la notion de vie privée des mineurs. La création d’un cadre pénal fixant les sanctions d’un délit d’atteinte reposant sur la présomption de consentement me semble indispensable à l’avenir. Ce mécanisme imposerait de rendre les parents pénalement responsables de la protection de la vie privée de leurs enfants mineurs. Comme dans tous les domaines relatifs à la protection de l’enfance, il est nécessaire de s’interroger sur le rôle du responsable légal et sur ses devoirs à l’égard du mineur.

Dans quelle mesure les parents sont-ils responsables en cas d’atteinte à la vie privée de leur enfant, mais également en cas d’atteinte à la vie privée d’un autre mineur commise par leur enfant ? La réponse me semble comprise dans la question.

Alors que la dictature de l’image devient omniprésente dans la vie des enfants, et ce dès leur plus jeune âge, que nous assistons à une progression fulgurante de troubles mentaux et comportementaux liés à l’anxiété qui en découle – je pense au phénomène du cyberharcèlement – et que les réseaux sociaux font désormais partie intégrante de tous les aspects de leur existence, cette problématique me paraît fondamentale. J’appelle de mes vœux une évolution en ce sens de la législation relative à la protection de l’enfance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, les « chaînes » mettant en scène des enfants se multiplient sur les plateformes de partage de vidéos en ligne. Elles sont souvent réalisées et diffusées par des membres de la famille. Ces nouvelles pratiques rencontrent un succès croissant en France comme à l’étranger.

De nombreuses questions se posent en termes d’éthique quant au contenu des vidéos, aux heures de tournage ou aux revenus produits.

La proposition de loi de notre collègue député Bruno Studer, que je salue, vise à combler le vide juridique existant, en mettant en place un cadre légal protecteur, pour les enfants de moins de 16 ans acteurs de vidéos diffusées sur des plateformes en ligne, de l’exploitation de leur image sur internet.

Je tiens à remercier et à féliciter notre collègue rapporteur Jean-Raymond Hugonet, dont le rapport pose bien les enjeux sur ce sujet essentiel.

Cette proposition de loi offre des garanties en matière de durée du travail des enfants et de protection de leurs revenus ; c’est l’objet de l’article 1er.

L’article 2 oblige les plateformes de partage de vidéos à coopérer avec les autorités publiques.

Le texte crée, à l’article 3, un cadre juridique protecteur pour les enfants de moins de 16 ans qui participent à des vidéos partagées sur des plateformes, mais qui ne relèvent pas des procédures d’autorisation ou d’agrément prévues par le code du travail.

L’article 5 autorise les mineurs à exercer eux-mêmes le droit à l’effacement des données institué par le règlement général sur la protection des données (RGPD) lorsque leur image est diffusée par un service de plateforme de partage de vidéos, y compris dans le cas où leurs représentants légaux s’y opposeraient. C’est une avancée salutaire.

Je concentrerai mon propos sur l’article 4, qui introduit l’obligation, pour les services de plateforme de partage de vidéos, d’adopter des chartes ayant notamment pour objet de favoriser le signalement, par leurs utilisateurs, de contenus qui porteraient atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale ou physique des enfants et d’améliorer, en lien avec des associations de protection de l’enfance, la détection de situations qui porteraient atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale ou physique des mineurs.

En 2019, dans le cadre de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions, nous avions préconisé de nombreuses mesures, dont la création d’un observatoire des violences sexuelles et le lancement de campagnes de communication sur les risques et sur les canaux de signalement.

Diffuser sur internet l’image d’un enfant, que l’on en soit ou non le parent, engage la responsabilité et peut s’avérer dangereux. De sordides affaires ont fait l’actualité ces dernières années dans le monde entier, comme la découverte de sites hébergeant des millions de photos d’enfants, récupérées sur les réseaux sociaux puis classées dans des catégories ne laissant guère de doutes sur le caractère pédophile de la plateforme et son activité criminelle. Ne négligeons pas le traumatisme que subira un jour l’enfant en découvrant sur internet ses propres photos. On sait quel rôle jouent les réseaux sociaux dans le drame du suicide des jeunes !

Comme le précise Interpol, en matière de lutte contre la pédocriminalité, le meilleur moyen de protéger nos enfants est d’entretenir un dialogue franc et ouvert avec eux sur l’utilisation des médias sociaux, des applications, des jeux vidéo et d’internet. Il faut les sensibiliser aux dangers d’internet dès que possible, idéalement dès qu’ils commencent à le fréquenter. La protection des enfants est de la responsabilité des plateformes, des entreprises de placement de produits, mais aussi des parents.

Ce texte a fait l’objet d’évolutions lors de son examen à l’Assemblée nationale et a été largement amélioré par notre commission de la culture. Il va dans le bon sens en servant les intérêts des enfants, et c’est bien volontiers que le groupe Les Républicains le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
Article 2

Article 1er

Le livre Ier de la septième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° À l’intitulé, après le mot : « professionnels », il est inséré le signe : « , » et, après le mot : « spectacle », sont insérés les mots : « , de l’audiovisuel » ;

2° À l’intitulé du titre II, après le mot : « spectacle », sont insérés les mots : « , de l’audiovisuel » ;

3° À l’intitulé du chapitre IV du même titre II, après le mot : « ambulantes », sont insérés les mots : « , l’audiovisuel » ;

4° L’article L. 7124-1 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « télévision », la fin du 2° est ainsi rédigée : « , d’enregistrements sonores ou d’enregistrements audiovisuels, quels que soient leurs modes de communication au public ; »

b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« 5° Par un employeur dont l’activité consiste à réaliser des enregistrements audiovisuels dont le sujet principal est un enfant de moins de seize ans, en vue d’une diffusion à titre lucratif sur un service de plateforme de partage de vidéos.

« En cas d’obtention de l’autorisation mentionnée au 5° du présent article, l’autorité administrative délivre aux représentants légaux une information relative à la protection des droits de l’enfant dans le cadre de la réalisation de ces vidéos, qui porte notamment sur les conséquences, sur la vie privée de l’enfant, de la diffusion de son image sur une plateforme de partage de vidéos. Cette information porte également sur les obligations financières qui leur incombent, en application de l’article L. 7124-25 du code du travail. » ;

5° La section 2 du chapitre IV du titre II est ainsi modifiée :

a) À l’intitulé, les mots : « agences de mannequins » sont remplacés par le mot : « personnes » ;

b) Après l’article L. 7124-4, il est inséré un article L. 7124-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 7124-4-1. – Lorsque l’enfant est engagé, en application du 5° de l’article L. 7124-1, l’autorisation individuelle prend la forme d’un agrément. » ;

6° L’article L. 7124-5 est ainsi rédigé :

« Art. L. 7124-5. – Les agréments prévus aux articles L. 7124-4 et L. 7124-4-1 pour l’engagement des enfants de moins de seize ans sont accordés par l’autorité administrative pour une durée déterminée renouvelable.

« Ils peuvent être retirés à tout moment.

« En cas d’urgence, ils peuvent être suspendus pour une durée limitée. » ;

6° bis (nouveau) L’article 7124-9 est ainsi modifié :

a) Au second alinéa, après les mots : « jusqu’à la majorité de l’enfant », sont insérés les mots : « ou son émancipation » ;

b) Le dernier alinéa est supprimé ;

7° Le premier alinéa de l’article L. 7124-10 est ainsi modifié :

a) La référence : « de l’article L. 7124-4 » est remplacée par les références : « des articles L. 7124-4 et L. 7124-4-1 » ;

b) À la fin, les mots : « de l’agence de mannequin qui emploie l’enfant » sont remplacés par les mots : « prévue à l’article L. 7124-5 » ;

8° (nouveau) Au second alinéa du même article L. 7124-10, les mots : « deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « second alinéa » ;

9° (nouveau) L’article L. 7124-25 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les références : « articles L. 7124-1 et L. 7124-2 » sont remplacées par les références : « aux 1° à 4° de l’article L. 7124-1 et à l’article L. 7124-2 » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Une même amende s’applique si les représentants légaux des enfants mentionnés au 5° de l’article L. 7124-1 ne remplissent pas les obligations mentionnées à l’article L. 7124-9. »

M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 28

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Est puni de la même peine le fait pour toute personne employant des enfants mentionnés au 5° de l’article L. 7124-1 de ne pas respecter l’obligation mentionnée au second alinéa de l’article L. 7124-9. »

La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre. Cet amendement rédactionnel vise à préciser que la sanction prévue s’applique à toute personne, employant des enfants de moins de 16 ans pour la réalisation de vidéos diffusées en ligne à titre lucratif, qui ne respecterait pas l’obligation de versement des fonds récoltés à la Caisse des dépôts et consignations, qu’il s’agisse ou non des représentants légaux de l’enfant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, qui vise à préciser le volet répressif du texte.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 3

Article 2

Après l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un article 6-2 ainsi rédigé :

« Art. 6-2. – Lorsque l’autorité administrative compétente mentionnée à l’article L. 7124-1 du code du travail constate qu’un contenu audiovisuel est mis à la disposition du public sur une plateforme mentionnée au 5° du même article L. 7124-1 en méconnaissance de l’obligation d’agrément préalable prévu au titre du même 5° de l’article L. 7124-1 ou de l’obligation déclarative prévue à l’article 3 de la loi n° … du … visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfant de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, elle peut saisir l’autorité judiciaire selon les modalités et dans les conditions prévues par voie réglementaire afin que cette dernière ordonne toute mesure propre à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite. » – (Adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

I. – Hors des cas mentionnés à l’article L. 7124-1 du code du travail, la diffusion de l’image d’un enfant de moins de seize ans sur un service de plateforme de partage de vidéos, lorsque l’enfant en est le sujet principal, est soumise à une déclaration auprès de l’autorité compétente par les représentants légaux :

1° Lorsque la durée cumulée ou le nombre de ces contenus excède, sur une période de temps donnée, un seuil fixé par décret en Conseil d’État ;

2° Ou lorsque la diffusion de ces contenus occasionne, au profit de la personne responsable de la réalisation, de la production ou de la diffusion de ceux-ci, des revenus directs ou indirects supérieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d’État.

II. – L’autorité mentionnée au premier alinéa du I du présent article formule des recommandations aux représentants légaux de l’enfant relatives :

1° Aux horaires, à la durée, à l’hygiène et à la sécurité des conditions de réalisation des vidéos ;

2° Aux risques, notamment psychologiques, associés à la diffusion de celles-ci ;

3° Aux dispositions visant à permettre une fréquentation scolaire normale ;

4° Aux obligations financières qui leur incombent en application du III du présent article.

III. – (Non modifié) La part des revenus directs et indirects tirés de la diffusion des contenus mentionnés au I qui excède le seuil fixé par décret en Conseil d’État en application du 2° du même I est versée à la Caisse des dépôts et consignations et gérée par cette caisse jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à la date de son émancipation. Des prélèvements peuvent être autorisés en cas d’urgence et à titre exceptionnel. Une part des revenus, déterminée par l’autorité compétente, peut être laissée à la disposition des représentants légaux de l’enfant.

IV. – (Non modifié) Est puni de 75 000 € d’amende le fait de remettre sciemment des fonds, en contrepartie du placement d’un produit à des fins publicitaires, à un enfant mentionné au I ou à ses représentants légaux au-delà de la part fixée en application de la dernière phrase du III.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 9, première phrase

1° Remplacer les mots :

La part des

par les mots :

Lorsque les

2° Remplacer les mots :

qui excède

par les mots :

excèdent, sur une période de temps donnée,

3° Remplacer les mots :

est versée

par les mots :

, les revenus perçus à compter de la date à laquelle ce seuil est dépassé sont versés sans délai

4° Remplacer les mots :

gérée

par le mot :

gérés

La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre. Cet amendement vise à préciser que, au-delà du seuil prévu, les revenus directs et indirects tirés sur une période donnée de la diffusion des vidéos doivent être versés à la Caisse des dépôts et consignations.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Cet amendement du Gouvernement tend à récrire partiellement l’article 3, en prévoyant surtout le versement sans délai des revenus perçus au-delà du seuil à la Caisse des dépôts et consignations. La commission émet un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

IV. – Tout annonceur qui effectue un placement de produit dans un programme audiovisuel diffusé sur une plateforme de partage de vidéos dont le sujet principal est un enfant de moins de seize ans est tenu de vérifier auprès de la personne responsable de la diffusion si celle-ci déclare être soumise à l’obligation mentionnée au III du présent article. En pareil cas, l’annonceur verse la somme due en contrepartie du placement de produit, minorée, le cas échéant, de la part déterminée en application de la troisième phrase du même III, à la Caisse des dépôts et consignations, qui est chargée de la gérer jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à la date de son émancipation. Les dispositions de la deuxième phrase dudit III sont applicables. Le non-respect de l’obligation fixée à la deuxième phrase du présent IV est puni de 3 750 euros d’amende.

La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre. Cet amendement de simplification vise à améliorer le dispositif en renforçant la sécurité juridique des parties concernées. Il s’agit de s’aligner sur le régime de droit commun prévu par le code du travail. L’amendement prévoit ainsi que les annonceurs devront vérifier auprès des parents si l’obligation de consignation des revenus s’applique. Sur la base de cette déclaration, le cas échéant, ils verseront les fonds à la Caisse des dépôts et consignations. Enfin, le montant de l’amende est aligné sur le régime de droit commun prévu par le code du travail.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Comme vient de le dire M. le ministre, il s’agit de « coller » au code du travail, ce qui est une excellente chose. Par ailleurs, les annonceurs seront clairement responsabilisés. L’avis est favorable.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Cet amendement sécurise en partie les différents acteurs, mais le fait qu’il concerne seulement les plateformes de vidéos nous inquiète quelque peu. Les plateformes diffusant des photos mériteraient d’être soumises aux mêmes règles.

En outre, le montant de l’amende, initialement fixé à 75 000 euros, est ramené à 3 750 euros. J’entends qu’il s’agit de s’aligner sur le code du travail, mais nous parlons, en l’occurrence, des droits des enfants : la pertinence d’un tel alignement ne nous paraît pas évidente. Nous manquons là, à mon avis, une occasion de mieux cadrer les choses.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre. Madame la sénatrice, ce texte concerne la diffusion de vidéos. Il me semble que le dispositif, tel qu’il a été prévu par Bruno Studer et voté par l’Assemblée nationale, couvre néanmoins un grand nombre des problématiques qui ont été évoquées. Je propose que nous continuions à travailler ensemble sur d’autres sujets, par exemple la diffusion de photos.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3
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Article 4 bis (nouveau)

Article 4

Les services de plateforme de partage de vidéos adoptent des chartes qui ont notamment pour objet :

1° De favoriser l’information des utilisateurs sur les dispositions de nature législative ou règlementaire applicables en matière de diffusion de l’image d’enfants de moins de seize ans par le biais de leurs services et sur les risques, notamment psychologiques, associés à la diffusion de cette image ;

2° De favoriser le signalement, par leurs utilisateurs, de contenus audiovisuels mettant en scène des enfants de moins de seize ans qui porteraient atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale ou physique de ceux-ci ;

3° (nouveau) De prendre toute mesure utile pour empêcher le traitement à des fins commerciales, telles que le démarchage, le profilage et la publicité basée sur le ciblage comportemental, des données à caractère personnel de mineurs qui seraient collectées par leurs services à l’occasion de la mise en ligne par un utilisateur d’un contenu audiovisuel où figure un mineur ;

4° D’améliorer, en lien avec des associations de protection de l’enfance, la détection des situations dans lesquelles la réalisation ou la diffusion de tels contenus porteraient atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale ou physique des mineurs de moins de seize ans qu’ils font figurer ;

5° (nouveau) De faciliter la mise en œuvre, par les mineurs, du droit à l’effacement des données à caractère personnel prévu à l’article 51 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et d’informer ceux-ci, en des termes clairs et précis, aisément compréhensibles par eux, des modalités de mise en œuvre de ce droit.

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Magner et Manable, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° De favoriser l’information et la sensibilisation, en lien avec des associations de protection de l’enfance, des mineurs de moins de seize ans sur les conséquences de la diffusion de leur image sur une plateforme de partage de vidéos, sur leur vie privée et en termes de risques psychologiques et juridiques et sur les moyens dont ils disposent pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique ;

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Un angle mort demeure : l’information et la sensibilisation des mineurs eux-mêmes sur les conséquences de la diffusion de leur image, singulièrement en matière de vie privée et de risques psychologiques. C’est pourquoi nous proposons que les chartes éditées par les plateformes en ligne abordent cette problématique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Les auteurs de cet amendement, qui va dans le bon sens, ont tenu compte de nos échanges en commission. Le dispositif a une dimension pédagogique. Il ne faudrait pas, en effet, que les enfants croient que tourner des vidéos pour les diffuser sur YouTube ou TikTok représente une voie d’avenir ou un quelconque nirvana professionnel. La commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Franck Riester, ministre. Je suis totalement en phase avec le rapporteur. Cet amendement, qui est tout à fait dans l’esprit du texte de Bruno Studer, vise à compléter utilement le dispositif : il est important de sensibiliser les mineurs aux conséquences de la diffusion de leur image. L’avis du Gouvernement est également favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(Larticle 4 est adopté.)

Article 4
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Article 5

Article 4 bis (nouveau)

Après l’article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 15-1 ainsi rédigé :

« Art. 15-1. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel promeut l’adoption par les services de plateforme de partage de vidéos des chartes prévues à l’article 4 de la loi n° … du … visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.

« Il publie un bilan périodique de l’application et de l’effectivité de ces chartes. À cette fin, il recueille auprès de ces services, dans les conditions fixées à l’article 19 de la présente loi, toutes les informations nécessaires à l’élaboration de ce bilan. » – (Adopté.)

Article 4 bis (nouveau)
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Article 6 (suppression maintenue)

Article 5

Le consentement des titulaires de l’autorité parentale n’est pas requis pour la mise en œuvre, par une personne mineure, du droit à l’effacement des données à caractère personnel prévu à l’article 51 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. – (Adopté.)

Article 5
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Article 7 (non modifié)

Article 6

(Suppression maintenue)

Article 6 (suppression maintenue)
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Article 8 (non modifié)

Article 7

(Non modifié)

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, un rapport évaluant le renforcement de la protection des données des mineurs depuis la mise en place du règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données). – (Adopté.)

Article 7 (non modifié)
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 8

(Non modifié)

La présente loi entre en vigueur six mois après sa publication. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 8 (non modifié)
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Au terme de ce débat, je tiens à saluer l’excellent travail du rapporteur. Cette proposition de loi fait partie de ces textes qui contribuent à faire progresser, au fil du temps, la nécessaire régulation du numérique.

Monsieur le ministre, vous savez que je milite pour cette cause depuis 2011. Les propositions de loi sur ce sujet, qu’elles émanent du Sénat ou de l’Assemblée nationale, la font avancer bon an mal an. Cela étant, vous l’avez souligné, c’est une ambition européenne qui permettra in fine de résoudre structurellement cette question de la régulation du numérique.

Je me réjouis que Thierry Breton commence à évoquer un réexamen de la directive « e-commerce ». Nous avions abordé le sujet dans cet hémicycle il y a quelques mois, à la faveur de la discussion de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Le Sénat a voté, sur mon initiative, une proposition de résolution européenne sur ce sujet.

Le modèle économique de ces plateformes en ligne, fondé sur l’économie de l’attention et le « clic » rémunérateur, est selon nous pervers. Il ne s’agit en effet que d’entraîner les jeunes vers un monde virtuel qui n’est ni des plus vertueux ni des plus satisfaisants, comme nous avons pu le voir. La redevabilité et la responsabilité des plateformes ne sont toujours pas établies ; c’est au niveau européen que l’on pourra y remédier.

Je salue la présence en tribune de l’auteur de cette proposition de loi, mon homologue de l’Assemblée nationale Bruno Studer. Comme lui, j’ai commis des rapports sur l’éducation et la formation au numérique des plus jeunes. Je veux, à cet égard, remercier mes collègues qui ont voté à l’unanimité la proposition de loi visant à lutter contre l’exposition précoce des enfants aux écrans. Dieu sait si la récente période de confinement a mis en lumière, une fois de plus, cette problématique ! J’espère que la proposition de loi précitée, que le Sénat a votée voilà dix-huit mois, pourra être adoptée à l’Assemblée nationale. Ainsi, la boucle du travail réalisé par nos deux commissions sur ce sujet très important sera bouclée.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.

Mme Michelle Meunier. Je me félicite de la discussion de cette proposition de loi. Dès juin 2018, à la suite du travail mené sur la protection de l’enfance, j’avais pointé le vide juridique qu’elle vient combler fort à propos. Je me réjouis qu’une réponse adaptée et adéquate soit apportée aux parents et à l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) concernant la protection des mineurs contre l’exploitation et le travail dissimulé. Je voterai bien évidemment cette proposition de loi.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

M. le président. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité des présents.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
 

7

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent
Discussion générale (suite)

Statut de citoyen sauveteur

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent
Article 1er (non modifié)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l’arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent (proposition n° 316, texte de la commission n° 522, rapport n° 521).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner cette proposition de loi au-delà des clivages partisans.

Vous le savez, chaque année, 40 000 Français sont emportés par un arrêt cardiaque. À ce drame qui nous concerne tous, nous devions apporter des réponses collectives.

Je tiens à saluer la qualité des débats, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, qui ont permis de solidifier et de mûrir ce texte, ainsi que le travail et l’implication de son auteur, le député Jean-Charles Colas-Roy.

Je remercie Mme la rapporteure et la commission des lois du Sénat pour leur examen minutieux de la proposition de loi en première lecture, et pour l’esprit de responsabilité et de consensus qui a présidé à l’adoption en l’état du texte par la commission en deuxième lecture.

Cette proposition de loi part d’un constat : en France, 3 % ou 4 % seulement des victimes d’arrêt cardiaque survivent, alors que ce taux est bien plus fort – il peut atteindre 40 % – dans certains pays anglo-saxons ou scandinaves. Comment expliquer cette différence ? Plusieurs facteurs peuvent entrer en jeu, mais l’un d’entre eux est incontestablement la formation insuffisante des Français aux gestes qui sauvent. Puisque plus des deux tiers des arrêts cardiaques surviennent en présence de témoins, une meilleure formation de la population permettrait sans aucun doute de sauver des vies. Nous sommes pleinement conscients de cet enjeu ; c’est la raison pour laquelle le Président de la République s’est engagé à ce que 80 % de la population soit formée aux premiers secours dans un délai de dix ans.

C’est un délai raisonnable, mais exigeant. Il appelle tous les acteurs – administrations, entreprises, associations – à travailler ensemble et il invite à former à tout âge. Nous nous y attelons depuis le début du mandat, et nous n’avons pas l’intention d’arrêter.

Notre objectif est d’améliorer le taux de survie en cas d’arrêt cardiaque en le faisant passer à 10 %, ce qui permettrait de sauver 3 000 vies par an. Aussi la multiplication prévisible des interventions de citoyens pour prêter assistance à des victimes méritait-elle une attention particulière et devait-elle être prise en compte dans la loi.

La principale disposition de ce texte permet la création du statut de citoyen sauveteur, qui a vu son champ et sa portée précisés au cours des débats, ce que je veux saluer. La création de ce statut est également un signal, une garantie, une protection supplémentaire pour toutes celles et tous ceux qui pratiqueraient les premiers secours sur une victime, en ce que les citoyens sauveteurs seront exonérés de toute responsabilité civile, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle.

Ce texte comporte également d’autres avancées.

Par ses dispositions relatives à la formation à l’école, il s’inscrit dans la droite ligne de l’action engagée par le Gouvernement. Cette année, 80 % des élèves de troisième devaient recevoir une formation aux premiers secours, et 100 % des élèves devraient être formés dès l’année prochaine. J’ajoute que le service national universel (SNU) sera l’occasion de renforcer la formation de notre jeunesse aux gestes qui sauvent.

L’article 4 du texte, quant à lui, répond à un enjeu de poids en permettant de garantir la formation et la sensibilisation à tous les âges, y compris en milieu professionnel.

La proposition de loi instaure également une journée nationale de lutte contre l’arrêt cardiaque, qui permettra de renforcer l’attention de chacun à cette question et d’inciter encore davantage de Français à se former.

Enfin, le texte permet de renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement. C’est une bonne chose, et je suis satisfait que le Parlement puisse disposer des éléments utiles pour évaluer les résultats de notre action dans cette lutte si nécessaire contre les arrêts cardiaques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte fait, je crois, l’objet d’un large consensus, que nous devons saluer. Il permet des avancées, notamment une meilleure protection des Français qui interviendraient pour sauver des victimes. Il offre l’assurance d’une attention plus forte à la question des arrêts cardiaques et répond aux enjeux de la formation aux premiers secours en milieu scolaire ou en milieu professionnel.

Le Parlement peut être satisfait de ce beau travail collectif. Le Gouvernement appuiera naturellement l’adoption de cette proposition de loi qui va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi relative au statut de citoyen sauveteur, sur laquelle nous nous étions déjà penchés au mois d’octobre dernier.

Pour rappel, cette proposition de loi a été déposée sur l’initiative de notre collègue député Jean-Charles Colas-Roy, membre du groupe La République En Marche de l’Assemblée nationale, qui est également rapporteur de ce texte.

Par le biais de diverses mesures, la proposition de loi vise à faire décroître le taux de mortalité très important des arrêts cardiaques en France. En première lecture, le Sénat avait naturellement souscrit à cet objectif, mais une analyse juridique scrupuleuse avait conduit la commission des lois à supprimer sept des douze articles que comportait le texte transmis.

En effet, les dispositions que tendaient à introduire ces articles n’entraient pas dans le champ matériel que l’article 34 de notre Constitution confie à la loi. En outre, certains de ces articles étaient déjà satisfaits par les règlements en vigueur.

Le superflu ayant été ôté, nous nous étions attelés à parfaire la rédaction et l’efficacité des dispositions restantes. Ainsi, nous avions récrit l’article 1er, relatif au régime de responsabilité civile et pénale du sauveteur.

Nous avions également précisé la rédaction de l’article 11, tendant à inscrire dans le code pénal des circonstances aggravantes pour le vol ou la détérioration de matériels de secours.

Nous avions également profité du dispositif de l’article 7 pour autoriser certains personnels de santé, dont la liste sera fixée par décret, à accomplir les actes de sensibilisation au secourisme aux côtés des acteurs de la sécurité civile.

C’est donc un véhicule bien plus léger, mais beaucoup plus efficace, que nous avions renvoyé à l’Assemblée nationale pour examen en deuxième lecture. Le texte qui nous parvient aujourd’hui atteste que notre démarche a été comprise par nos collègues députés, lesquels ont conservé la majeure partie des modifications que nous avions apportées.

La commission des lois a donc considéré que le texte qui nous a été transmis représente un compromis acceptable, que le Sénat pourrait adopter conforme.

En effet, l’Assemblée nationale n’est pas revenue fondamentalement sur notre réécriture de l’article 1er, relatif au régime de la responsabilité, mais elle y a apporté deux modifications.

La première consiste en la réintroduction des termes « citoyen sauveteur », que nous avions remplacés par ceux de « sauveteur occasionnel et bénévole », car le terme « citoyen » est consubstantiel à des droits civiques et politiques reconnus par le droit positif et sans lien avec l’objet de la présente proposition de loi. La commission des lois maintient sa position à ce sujet, mais elle considère qu’il ne s’agit pas d’une malfaçon rédhibitoire, a fortiori depuis que le rapporteur de l’Assemblée nationale a clarifié, dans son rapport, la manière dont le terme « citoyen » doit être entendu s’agissant de ce texte.

La seconde modification réside dans la réintroduction du détail des diligences devant être mises en œuvre par le citoyen sauveteur portant assistance à la victime d’un arrêt cardiaque. Nous avions supprimé cette mention, considérant que son exhaustivité pourrait décourager les sauveteurs à agir. Ici aussi, la commission des lois maintient sa position et regrette cette réintroduction, mais elle n’entend toutefois pas en faire un grief insurmontable.

Les suppressions ou adoptions conformes de six articles dans la version du Sénat sont aussi à compter au nombre de nos satisfactions, mais tous les articles écartés par le Sénat en première lecture n’ont pas connu ce destin, heureux selon nous, puisque quatre d’entre eux ont été réintroduits par l’Assemblée nationale. Ainsi, les articles 2 et 4, relatifs respectivement à la sensibilisation des élèves au secourisme et au droit à la formation aux premiers secours pour tout salarié, ont été réintroduits. Nous les avions écartés, au motif qu’ils sont de nature réglementaire et déjà satisfaits, en outre, par les règlements en vigueur.

Il en va de même de l’article 6, tendant à créer une journée nationale de lutte contre l’arrêt cardiaque, réintroduit par l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Je maintiens que la création d’une journée nationale n’est pas du domaine de la loi et que de nombreuses journées de ce type existent déjà.

Enfin, l’Assemblée nationale a réintroduit l’article 12 bis, qui enjoint au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport annuel. Nul besoin de vous rappeler, chers collègues, la position du Sénat à ce sujet…

La commission des lois considère que ces réintroductions, si elles ne sont pas souhaitables juridiquement, constituent néanmoins un prix raisonnable pour obtenir un compromis avec l’Assemblée nationale sur l’adoption du texte. Je regrette toutefois que, dans une certaine mesure, la qualité de la loi soit la victime collatérale de l’accord que je vous propose. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi examinée aujourd’hui en deuxième lecture nous redonne l’occasion d’évoquer le sujet essentiel de la lutte contre les décès consécutifs à un arrêt cardiaque et de la sensibilisation de nos concitoyens aux gestes qui sauvent.

Cela a été rappelé, entre 40 000 et 50 000 personnes sont victimes, chaque année, d’un arrêt cardiaque, ce qui représente environ 120 décès par jour. Un tiers de ces victimes sont âgées de moins de 60 ans. Les chances de survie sont d’environ 4 % et elles diminuent rapidement ; en l’absence de secours, chaque minute passée représente une diminution de 10 % des chances de survie. Il est donc nécessaire d’intervenir rapidement.

À cet égard, s’il est important de souligner que le délai d’action des secours est déjà très court – environ treize minutes, en moyenne –, l’enjeu est d’accroître sensiblement le nombre d’interventions de personnes ayant bénéficié de la formation aux premiers gestes qui sauvent et se trouvant à proximité immédiate de la victime. Cela nous permettrait de nous rapprocher des taux de survie de 20 % à 40 % observés dans les pays anglo-saxons et scandinaves, où les citoyens sont massivement formés au massage cardiaque.

La formation aux gestes de premiers secours doit être fortement améliorée dans notre pays ; moins de la moitié des Français y est initiée, alors même qu’une formation de ce type est simple à suivre et peu onéreuse et qu’elle peut être reçue sur une période très brève. En quelques heures, il est effectivement possible de se familiariser avec la pratique d’un massage cardiaque, la mise en position latérale de sécurité ou le maniement du défibrillateur.

Selon la Croix-Rouge, si l’on doublait le nombre de personnes formées au massage cardiaque, 2 000 vies pourraient être sauvées chaque année. Des initiatives innovantes, issues de la société civile, se sont d’ores et déjà développées, telles que des applications, comme « SAUV Life » ou « Permis de sauver », qui permettent à des personnes volontaires de porter assistance, après avoir été géolocalisées par le SAMU, à des victimes se trouvant à proximité immédiate, en lien permanent avec les services de secours, jusqu’à l’arrivée de ces derniers sur place.

Au regard de ces actions prometteuses, les pouvoirs publics se doivent de mettre l’accent sur une meilleure formation de l’ensemble de la population aux gestes qui sauvent, dès le plus jeune âge. Cette proposition de loi, telle qu’issue de la navette parlementaire, me paraît constituer, à cet égard, un texte équilibré. Pour rappel, le Sénat en avait récrit plusieurs dispositions en première lecture et avait écarté un certain nombre d’entre elles qui ne lui semblaient pas justifiées ou ne relevaient pas du domaine de la loi. En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a pris en considération une partie importante des apports et modifications sénatoriaux, tout en rétablissant plusieurs mesures, dont la portée symbolique paraissait importante, sans nuire à l’efficacité du texte.

L’expression de « citoyen sauveteur » a notamment été maintenue, ce que je soutiens pleinement, ayant moi-même déposé deux amendements en ce sens en première lecture. En effet, il me semble que, tout en respectant l’encadrement juridique lié à cette nouvelle implication en tant que sauveteur, cette appellation permet de concourir à l’affirmation du sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Le terme de « collaborateur » conserve une connotation technique ; la notion de citoyen recouvre celles d’engagement et de fierté. Il paraît donc important de maintenir la dimension citoyenne nécessaire pour réaliser cette ambition concrète de sensibiliser davantage la population aux gestes qui sauvent.

Ont également été rétablies les dispositions relatives à l’instauration d’une journée nationale de lutte contre l’arrêt cardiaque, ainsi que la sensibilisation des élèves du second degré aux gestes qui sauvent. Je souscris pleinement à ce rétablissement ; j’avais, pour ma part, proposé de réintroduire un module d’apprentissage des gestes de premiers secours dans le cadre de la journée défense et citoyenneté.

Cela dit, nous nous rejoignons quant aux objectifs et je me félicite de l’instauration d’un continuum éducatif entre le premier degré et le second, qui favorisera un réel apprentissage des gestes de premiers secours.

Par ailleurs, les salariés qui le souhaitent pourront également bénéficier d’une sensibilisation à ces gestes avant leur départ à la retraite, ce que je salue également. En effet, en la matière, nos concitoyens doivent pouvoir bénéficier d’une formation tout au long de la vie, avec des remises à niveau régulières, afin de ne pas perdre la maîtrise de ce qu’ils ont appris ; ils doivent également pouvoir bénéficier de l’apprentissage de nouvelles techniques. C’est d’ailleurs ainsi que le sentiment d’appartenance à la communauté des citoyens sauveteurs prendra tout son sens.

Je veux de nouveau saluer, pour conclure, la philosophie de cette proposition de loi, que le groupe socialiste et républicain votera bien évidemment, et rappeler l’importance de se mobiliser avec force en faveur d’une meilleure formation de nos concitoyens à ces gestes essentiels, qui permettent de sauver des vies. (M. Ronan Dantec applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture prévoit de mieux former les Françaises et les Français aux réflexes de premiers secours, tout au long de leur vie, et de créer un statut de « citoyen sauveteur ». Ce texte va dans le bon sens, et il est difficile de ne pas être convaincu de son bien-fondé.

Selon le rapport d’avril 2017 de la mission de préfiguration sur la généralisation au plus grand nombre de nos concitoyens de la formation aux gestes qui sauvent, conduite par Patrick Pelloux et Éric Faure, « le taux de formation de la population française est parmi les plus bas du monde. Pourtant, le citoyen est le premier maillon de la chaîne des secours. »

Selon les chiffres de la Fédération française de cardiologie, sans une prise en charge immédiate, plus de 92 % des arrêts cardiaques sont fatals. Dans sept cas sur dix, l’arrêt cardiaque survient devant des témoins, mais seulement 40 % de ceux-ci prodiguent les gestes de premiers secours. En outre, si les défibrillateurs trônent aujourd’hui dans tous les lieux publics – cela a été rendu possible grâce, notamment, à la loi du 28 juin 2018 relative au défibrillateur cardiaque, issue d’une proposition de notre collègue Jean-Pierre Decool –, encore faut-il savoir s’en servir et ne pas craindre d’empirer l’état d’une personne inconsciente.

D’après l’Association française des premiers répondants, l’AFPR, une question revient souvent lors des présentations au grand public des gestes de secourisme, celle des risques encourus si la victime vient à décéder ou présente des séquelles irréversibles malgré l’intervention d’un sauveteur occasionnel. Ainsi, la création du statut de « citoyen sauveteur », visant à protéger juridiquement les personnes qui pratiquent les premiers secours – en particulier le massage cardiaque – en modelant un régime de responsabilité favorable à l’intervention, représente une avancée importante.

À cet égard, nous saluons le travail de la commission des lois, qui s’était attachée, en première lecture, à garantir aux citoyens des « instruments juridiques lisibles, fiables et robustes ». L’Assemblée nationale a su reconnaître ses apports en en conservant une bonne partie.

Donner un véritable statut à ces citoyens responsables –je pense, comme Jean-Luc Fichet, que l’emploi du terme « citoyen » correspond tout à fait à l’esprit de cette loi – est donc bienvenu, mais il nous faut tout autant favoriser le développement d’une culture commune du secourisme. C’est le deuxième pilier que l’on se propose, au travers de ce texte, de renforcer.

Cela a été rappelé plusieurs fois, notre pays souffre d’un retard considérable dans la formation aux premiers secours, alors que celle-ci permet de sauver des vies, ainsi que de renforcer le sentiment de citoyenneté et la cohésion de nos sociétés, point sur lequel je veux insister.

La sensibilisation des élèves au secourisme et le droit à la formation aux premiers secours pour tout salarié sont, certes, déjà prévus par les règlements en vigueur, mais ils mériteraient d’être plus largement diffusés et mis en œuvre. Nous avons des marges de progrès, tant l’apprentissage de ces gestes constitue aussi une porte d’entrée dans la citoyenneté. Nous devons absolument mettre en place une politique ambitieuse et cohérente, permettant aux individus d’être formés lors de toutes les grandes étapes de la vie. Il s’agit d’un sujet tout à fait fondamental pour l’ensemble de nos concitoyens, notamment pour ceux qui, bien que déjà formés, ne se sentent pas capables, faute de pratique, d’accomplir les gestes qui sauvent.

Plus encore, l’apprentissage de ces gestes a vocation à faire partie intégrante du bloc de compétences citoyennes à définir pour développer le sens de la citoyenneté et la cohésion sociale. Se savoir en capacité de sauver quelqu’un est de nature à modifier notre rapport à l’autre et au monde : j’en suis profondément convaincu. Il n’est pas neutre de savoir que l’on peut sauver une personne en détresse. Cette capacité à aider autrui peut conduire, à mon sens, à s’interroger, plus largement, sur son impact sur le monde. Le massage cardiaque est relié à tous les fils d’une citoyenneté plus responsable. Il convient de mener, avec l’éducation nationale, une réflexion pour constituer, autour de l’éducation physique, un bloc de citoyenneté qui soit plus fort, plus cohérent, aux fins de préparer les citoyens de demain. De ce point de vue, ce texte contient des apports importants, au-delà même des milliers de vies qu’il permettra de sauver.

Enfin, si l’engagement bienveillant et la responsabilité citoyenne sont très importants, je tiens à rappeler qu’il est également essentiel de pouvoir bénéficier de la présence d’un service public de santé de proximité à la hauteur des enjeux. Treize minutes en moyenne de délai d’intervention, c’est déjà assez remarquable, mais il existe là aussi de véritables fractures territoriales : les temps d’intervention ne sont pas les mêmes en ville et à la campagne. Assurer l’égalité des citoyens en matière de premiers secours est un grand enjeu de cohésion sociale.

Cette proposition de loi est nécessaire en ce qu’elle répond à des enjeux majeurs de santé publique, de citoyenneté et de cohésion sociale. Le groupe RDSE votera donc en faveur de son adoption.

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont l’examen en deuxième lecture nous réunit aujourd’hui est particulièrement bienvenue. Je souhaite saluer son auteur et rapporteur à l’Assemblée nationale, mon collègue isérois Jean-Charles Colas-Roy. Ce texte, tel qu’il a été consolidé en première lecture par le Sénat sous l’égide de notre rapporteur, Catherine Troendlé, dont je salue l’approche particulièrement rigoureuse, contribue à mettre en lumière un fait essentiel : l’arrêt cardiaque inopiné n’a rien d’une fatalité et ne doit pas être perçu comme tel.

À ce titre, le taux de survie à la suite d’un arrêt cardiaque inopiné, extrêmement faible en France – il est de l’ordre de 5 % à 7 % –, constitue une injonction à agir, surtout au regard du fait que seulement 30 % des Français sont formés aux gestes qui sauvent ; nous sommes bien loin de l’objectif de 80 % fixé par le Président de la République.

La proposition de loi, dans la rédaction que nous examinons aujourd’hui, résultant d’un compromis sur le fond entre nos deux chambres, favorise une faculté d’assistance réciproque, qui fait pleinement sens dans notre pacte social.

Elle crée tout d’abord le statut de « citoyen sauveteur », qui ouvre droit à la qualité de collaborateur occasionnel du service public. Elle sanctuarise un régime de responsabilité protecteur du citoyen intervenant à titre bénévole, laquelle doit être appréciée, sur le plan pénal, au regard de l’urgence de la situation et des informations à la disposition de l’intéressé. Sur le plan civil, le citoyen se voit exonéré de toute responsabilité, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle de sa part.

Je veux saluer l’accord dont ce régime équilibré, pierre angulaire du texte, a fait l’objet entre les deux assemblées. Une telle démarche a pour effet utile de garantir une meilleure accessibilité du droit pour les personnes mises en cause et d’assurer la sécurité juridique de celles-ci. Je ferai une ultime remarque à propos de l’article 1er : la terminologie de « citoyen sauveteur » reflète l’acte de civisme de la personne qui porte secours. Je remercie Mme la rapporteure d’y avoir consenti en deuxième lecture.

Le texte vise ensuite à renforcer les dispositifs de sensibilisation aux gestes qui sauvent, construisant ainsi un vecteur de solidarité entre les citoyens. Cette sensibilisation n’est pas négligeable, puisque personne n’est à l’abri du risque d’arrêt cardiaque inopiné ; chaque citoyen constitue un maillon de la chaîne de survie et peut être appelé, en toutes circonstances, à se draper des habits du sauveteur, bien avant l’arrivée des secours.

Ainsi, le texte, clarifié sur ce sujet grâce à notre rapporteur, a conservé, à l’issue de son examen à l’Assemblée nationale, la mise en œuvre d’un continuum de formation aux gestes qui sauvent entre plusieurs lieux structurant la trajectoire de la majorité de nos concitoyens : l’école, le club sportif ou encore l’entreprise.

Je vous sais réservée, madame la rapporteure, pour des raisons de droit que nous entendons bien, sur la création d’une journée nationale dédiée. Cette disposition a le mérite de mettre en lumière une problématique de santé publique particulièrement préoccupante. Je vous remercie d’avoir accepté son maintien.

Il en va de même pour ce qui concerne la demande de rapport figurant à l’article 12 bis. Les indicateurs mentionnés pourraient permettre d’identifier clairement les facteurs expliquant que, dans notre pays, l’arrêt cardiaque inopiné cause encore entre 40 000 et 50 000 décès par an.

Enfin, je veux souligner deux dispositions dont on ne peut nier la portée pratique : le renforcement des peines prévues en cas de vol ou de dégradation de défibrillateur et la faculté d’encadrement de la formation aux premiers secours, par les services d’établissements de santé. Ces mesures donnant à l’enjeu de santé publique l’importance qui doit lui revenir sont en pleine cohérence avec l’objet du texte.

À l’issue de son adoption conforme par la commission des lois, sur la proposition de la rapporteure, dans une version dont le Sénat a conforté l’assise juridique, cette proposition de loi est de nature à faire honneur au triptyque évoqué par son auteur : elle encourage, elle désacralise, elle protège mieux.

Pour toutes ces raisons, le groupe La République En Marche votera bien sûr cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque année, plus de 40 000 personnes meurent d’un arrêt cardiaque faute de soins immédiats. Les arrêts cardiaques inopinés causent donc 9 % des décès et le taux de survie des victimes est aujourd’hui particulièrement faible ; 70 % des arrêts cardiaques ont lieu devant témoins, mais, parmi ceux-ci, à peine 20 % réalisent les gestes de premiers secours.

Cette faible proportion s’explique en partie par le fait que seulement 30 % des Français sont formés à ces gestes ; j’ajoute que, parmi ces 30 %, certains ont peur d’utiliser les défibrillateurs à leur disposition.

Pourtant, chacun le sait, les premières minutes suivant l’arrêt cardiaque sont décisives, puisque les chances de survie d’une victime déclinent à chaque minute perdue. En France, ces chances sont seulement de 5 % à 7 %, alors qu’elles s’élèvent à 20 %, voire à 40 %, dans certains pays scandinaves ou anglo-saxons.

Améliorer la capacité d’intervention, dès les premiers instants, des citoyens sauveteurs est donc indispensable si l’on veut réduire de manière significative le nombre des décès par arrêt cardiaque. En avril 2017, le rapport Faure-Pelloux s’inquiétait de ce que le taux de formation de la population française dans ce domaine soit parmi les plus faibles au monde. Il préconisait d’atteindre un taux de formation de la population de 80 %, et l’Académie nationale de médecine a confirmé cette préconisation dans son rapport du 2 octobre dernier.

La présente proposition de loi s’inspire directement de ces préconisations. Par conséquent, nous ne pouvons qu’en partager les objectifs, consensuels sur l’ensemble des travées : il s’agit de sensibiliser aux gestes qui sauvent et créer, conformément au souhait des professionnels de santé, un statut de citoyen sauveteur, le mot de « citoyen » étant très important…

Notons tout de même que, malgré l’esprit de concorde qui règne à propos de cette proposition de loi, la navette aura eu raison de certains articles, puisque le texte n’en comporte plus que neuf, dont six seulement restent en discussion. Cela étant, grâce à Mme la rapporteure, notre commission des lois a su faire preuve de sagesse pour que ce texte puisse être adopté.

Derrière cette unanimité se cachent pourtant quelques questions. Il faut notamment souligner que, pour atteindre les objectifs ambitieux de formation fixés par le rapport Faure-Pelloux, il conviendrait d’impliquer de nombreux intervenants dans la chaîne de formation ; je pense en particulier aux enseignants et au personnel de santé, dont les tâches sont pourtant déjà bien lourdes.

Sur le fond, si les premières minutes suivant un accident cardiovasculaire majeur sont décisives, nous ne perdons pour autant pas de vue que la survie du patient dépend aussi de la fiabilité de toute la chaîne d’intervention. Or celle-ci est particulièrement affaiblie. Les pompiers ont ainsi largement manifesté pour dénoncer un déficit de financement de l’ordre de 60 000 à 80 000 euros par caserne ; quant aux services des urgences, ils sont eux-mêmes en grande difficulté.

Comme nous l’avions déjà indiqué en première lecture, la notion de collaborateur occasionnel et bénévole du service public ne manque pas de nous interpeller, dans cette période de disette budgétaire et de grandes difficultés pour maintenir l’offre de services publics du fait des politiques d’austérité…

Quant à la situation des hôpitaux, les circonstances m’obligent à y revenir ; je pense aux récentes manifestations du personnel soignant, soutenues par l’opinion publique et par la majeure partie de nos concitoyens, qui ont applaudi chaque soir les soignants pendant la période de confinement. Malgré les appels à une revalorisation des carrières et à une augmentation des moyens, rien n’est aujourd’hui réglé. Le « quoi qu’il en coûte » prononcé lors du débat sur la crise de la Covid-19 semble déjà bien loin ; nos concitoyens et les soignants continuent de réclamer « du fric pour l’hôpital public »…

Il faut bien l’avouer, la situation reste extrêmement tendue et ne permet pas de garantir une chaîne de soins qui soit digne d’un pays comme le nôtre. Nous prenons donc ce texte comme un premier pas, certes important, mais insuffisant pour garantir une baisse significative du nombre de décès par arrêt cardiaque. Ses mesures doivent maintenant, monsieur le secrétaire d’État, être prises en compte dans le cadre d’un Ségur de la santé qui ne saurait se résumer à une simple opération de communication.

En tout état de cause, les sénateurs du groupe CRCE voteront en faveur de l’adoption de ce texte, dont nous saluons la pertinence, malgré ses évidentes limites. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous étudions à nouveau, cet après-midi, une proposition de loi prévoyant notamment la création du statut de citoyen sauveteur. Ce texte vise à renforcer la lutte contre les décès consécutifs à un arrêt cardiaque.

En première lecture, le Sénat avait amendé avec précision le texte. Grâce à des apports importants et nécessaires, les risques juridiques que celui-ci pouvait comporter, notamment en son article 1er, avaient été écartés ; je pense en particulier à la mise en place de garanties de protection juridique et de sécurisation du citoyen qui sauve. Ces garanties doivent permettre d’encourager les citoyens à porter secours sans hésitation. En effet, la rapidité d’application des gestes qui sauvent, notamment lors d’un arrêt cardiaque, est primordiale, car chaque minute écoulée diminue considérablement les chances de survie à un malaise cardiaque.

Je peux d’autant mieux en témoigner que je suis moi-même engagé dans une démarche visant à atteindre cet objectif, au travers de l’utilisation de l’application « SAUV Life », lancée en 2018 et que j’ai connue ici, au Sénat, en participant à une réunion organisée par une collègue sénatrice de la région parisienne, très mobilisée pour le développement et la promotion de cette application. Des dizaines de vies ont déjà été sauvées grâce à « SAUV Life » et plusieurs milliers de personnes font aujourd’hui partie de cette communauté.

Grâce à cette application, des sauveteurs amateurs, géolocalisés dans un périmètre restreint, sont alertés via leur téléphone portable pour venir en aide à une personne en situation d’arrêt cardiaque.

Figurez-vous qu’il m’est arrivé d’être sollicité ; alors même que je participais à une réunion dans la salle Monory, j’ai été alerté pour venir en aide à une personne résidant dans un immeuble de la rue Madame, à 500 mètres du Sénat. Je suis arrivé sur place en même temps que les pompiers, mais avant le SAMU. La porte était fermée à double tour, mais la rapidité de l’alerte fait que, si nous avions pu entrer, nous aurions probablement pu mieux aider la personne. Grâce à cette application, on peut arriver très rapidement sur les lieux, parfois avant les secours, et porter assistance à la victime. J’ai reçu, quelques minutes plus tard, un second message m’indiquant que ma présence n’était plus nécessaire, une solution ayant été trouvée.

D’autres applications mobiles se sont développées ; elles permettent, par exemple, de localiser les défibrillateurs. À ce propos, je me félicite de l’article du texte qui permet de renforcer les sanctions en cas de vol ou de dégradation de ces appareils ; cela s’inscrit pleinement dans le cadre de la loi précitée de 2018, qui résulte de l’engagement et de l’important travail législatif de notre collègue Jean-Pierre Decool.

La création du statut de citoyen sauveteur est importante ; le maintien en bon état du matériel que l’État met au service des citoyens est essentiel, mais la sensibilisation de l’ensemble des citoyens aux gestes qui sauvent compte plus encore. Pour pouvoir porter secours, il faut être capable d’accomplir les bons gestes. Là encore, le téléphone portable est un outil extraordinaire ; il ne faut surtout pas être angoissé à l’idée de ne pas faire les bons gestes, car vous n’avez qu’à faire ce qu’indique le moniteur qui vous guide à distance.

Sur ce sujet, la commission des lois a souligné à juste titre que certains articles réintroduits faisaient doublon avec des dispositions existantes ou avaient un caractère réglementaire. Les apports du Sénat aux articles 5 et 7, relatifs à l’obligation de formation au secourisme, sont intéressants. Le premier de ces articles concerne spécifiquement les juges et arbitres de fédération sportive et le second a trait à la formation par certains acteurs de santé.

Chaque Français doit avoir conscience qu’il est un acteur potentiel de la solidarité nationale ; encourager chacun à s’inscrire dans cette démarche participe d’une vision citoyenne de la solidarité. Le groupe Les Indépendants votera ce texte sans hésitation.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’arrêt cardiaque est, dans notre pays, une cause de mortalité à la fois très importante et très méconnue, notamment du grand public. D’après un rapport réalisé en 2018 sur l’initiative de l’Académie nationale de médecine, on peut évaluer entre 40 000 et 50 000 le nombre annuel de décès par arrêt cardiaque : c’est quinze fois plus que le nombre de morts sur les routes.

L’objet de la proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture, qui résulte d’une initiative de notre collègue député Jean-Charles Colas-Roy, également rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, est à la fois clair et louable. Il s’agit d’attirer l’attention sur le sujet majeur de l’arrêt cardiaque, d’une part, et de favoriser l’intervention des citoyens, d’autre part, en formant la population aux gestes qui sauvent et en modelant un régime de responsabilité protecteur pour ceux qui viennent au secours d’une victime d’arrêt cardiaque.

Il est à noter que le dispositif dont nous sommes amenés à discuter aujourd’hui trouve déjà à s’appliquer dans de nombreux pays étrangers : aux États-Unis, dans plusieurs provinces du Canada, en Australie, en Finlande ou encore en Allemagne. La loi communément appelée « Good Samaritan Law », ou « loi du bon Samaritain », comporte un ensemble de dispositions destinées à protéger les citoyens, en particulier les secouristes bénévoles qui portent assistance, contre d’éventuelles poursuites judiciaires.

Par exemple, l’article 1471 du code civil du Québec précise que la personne qui porte secours à autrui est exonérée de toute responsabilité pour le préjudice qui peut en résulter, à moins que ce préjudice ne soit dû à sa faute intentionnelle ou à sa faute lourde.

Jérôme Bignon a cité l’application « SAUV Life ». J’évoquerai, pour ma part, l’application « Staying Alive ». Certaines applications sont promues par les SAMU, d’autres, par les services départementaux d’incendie et de secours. Peu importe : l’essentiel est qu’elles se développent et permettent de sauver des vies.

Cela étant, si nous demandons à davantage de citoyens d’intervenir, il faut alors les protéger. C’est le sens de cette proposition de loi.

Je tiens à remercier Mme la rapporteur de la commission des lois du travail qu’elle a réalisé, de son rapport et de la recherche d’un consensus avec nos collègues députés. Elle nous a rappelé tout à l’heure que l’Assemblée nationale avait réintroduit des dispositions que nous avions supprimées en première lecture. Il me semble nécessaire de revenir sur certaines de ces modifications.

Tout d’abord, l’Assemblée nationale a réintroduit l’expression « citoyen sauveteur », que nous avions remplacée par celle, plus juridique, de « sauveteur occasionnel et bénévole », qui nous paraissait davantage appropriée s’agissant d’un concours apporté à l’exercice d’un service public. Cependant, le rapporteur de l’Assemblée nationale a clarifié la manière dont cette expression devait être entendue : ce statut recouvre l’acte de civisme commis par un citoyen qui porte secours et il précise les protections civiles et pénales dont il bénéficie au moment où il vient en aide à autrui.

Le détail des diligences devant être mises en œuvre par le citoyen sauveteur portant assistance à la victime d’un arrêt cardiaque a également été réintroduit. La commission des lois du Sénat avait supprimé ces mentions, considérant qu’elles pouvaient constituer un frein à l’action même des sauveteurs.

Cependant, notre commission des lois salue les suppressions et les adoptions conformes d’articles par l’Assemblée nationale. Je pense aux dispositions tendant à créer une obligation de formation au secourisme pour les juges et arbitres des fédérations agréées ou à l’introduction dans le code pénal de circonstances aggravantes relatives au vol ou à la destruction, détérioration ou dégradation de matériels destinés à prodiguer des soins de premiers secours. On sait que les défibrillateurs sont en accès libre dans les pharmacies et les équipements publics. Malheureusement, ils sont trop souvent l’objet de dégradations, dues à des adolescents ou à des personnes plus âgées qui ne se rendent pas compte de la portée de leurs actes. Le coût, important, est évidemment à la charge des collectivités territoriales. Il importe d’évoquer ce point.

Enfin, d’autres réintroductions d’articles, qui, au départ, ne nous semblaient pas souhaitables sur le fond, nous paraissent aujourd’hui permettre un compromis acceptable entre les deux chambres du Parlement sur cette proposition de loi.

Je reviendrai notamment sur l’article 6, tendant à créer une journée nationale de lutte contre l’arrêt cardiaque et de sensibilisation aux gestes qui sauvent. Les parlementaires sont très souvent associés à ces journées – très nombreuses – déjà dédiées à ces sujets, qui se tiennent pour la plupart en fin d’année. Je ne citerai que certaines d’entre elles : la Journée mondiale du cœur, la Semaine du cœur, la Journée de sensibilisation à l’insuffisance cardiaque, la Journée mondiale des premiers secours…

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les deux chambres du Parlement ont su atteindre un consensus intelligent, en élaborant un texte qui dépasse les clivages politiques. Je salue la volonté de tous les élus de se saisir du sujet de santé publique majeur qu’est l’arrêt cardiaque inopiné et de sensibiliser le plus grand nombre de nos concitoyens aux gestes qui sauvent. Le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi, dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale. (MM. Stéphane Piednoir et Didier Rambaud applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, selon la Fédération française de cardiologie, sans prise en charge immédiate, plus de 90 % des arrêts cardiaques sont fatals. Leur prise en charge a été systématisée par une chaîne de survie. Après un arrêt cardiaque, chaque minute compte et la réalisation de gestes le plus tôt possible permet d’augmenter au maximum les chances de survie de la victime.

La première étape consiste à appeler les secours ; la deuxième, à pratiquer un massage cardiaque ; la troisième, à faire usage d’un défibrillateur ; la quatrième, à prodiguer des soins spécialisés à la victime jusqu’à la reprise de respiration ou à l’arrivée des secours.

La proposition de loi qui est soumise à notre examen aujourd’hui a été adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale. Elle s’organise autour de trois axes : créer un statut de citoyen sauveteur, pour identifier et protéger celui qui porte secours aux victimes ; mieux sensibiliser la population aux gestes qui sauvent ; clarifier l’organisation des différentes sensibilisations et formations aux premiers secours.

Sept fois sur dix, les arrêts cardiaques surviennent devant témoins, mais seulement 40 % de ceux-ci accomplissent les gestes de premiers secours. La conséquence en est que, en France, le taux de survie à un arrêt cardiaque ne dépasse pas les 8 %, alors qu’il est de quatre à cinq fois plus élevé dans les pays où les lieux publics sont équipés en défibrillateurs automatisés externes et où la population est formée aux gestes qui sauvent. Chaque minute qui passe avant l’arrivée des secours, c’est 10 % de chances de survie en moins.

Les premiers secours, c’est à la fois une formation, des acteurs, du matériel et des modalités.

À ce titre, je souhaite mentionner l’initiative qui nous a été présentée dès 2018 par notre collègue Annie Delmont-Koropoulis. Il s’agit de l’application « SAUV Life », qui permet de sauver des vies en créant une communauté de citoyens sauveteurs. Elle a été lancée par l’association SAUV et le SAMU. Le SAMU peut déclencher l’application lorsque les secours reçoivent un appel pour une personne en détresse. Les « citoyens sauveteurs » ayant téléchargé l’application et qui se trouvent à dix minutes à pied du lieu de l’accident sont géolocalisés et envoyés sur le site. L’application transmet les informations GPS nécessaires pour les diriger. Ils sont suivis en direct par le SAMU, qui peut leur donner des conseils téléphoniques sur les gestes qui sauvent, au besoin par visioconférence. Comme le précise le docteur Lionel Lamhaut, médecin au SAMU de Paris et cofondateur de l’application, ce sont près de 350 000 citoyens sauveteurs répartis sur l’ensemble du territoire qui sont inscrits sur cette application et plus de quatre-vingt-cinq cœurs qui ont ainsi pu repartir.

Je souhaite ajouter quelques mots à propos de la crise de la Covid-19. Afin d’éviter un effondrement du système de santé pendant le pic de l’épidémie, le Plan blanc a été déclenché sur l’intégralité du territoire, ce qui a notamment conduit à l’annulation de soins et d’interventions programmés et au report de consultations jugées non essentielles. De nombreux Français souffrant de maladies chroniques, dont des pathologies cardiaques structurelles, ont ainsi reporté des soins pourtant nécessaires et hésitent encore à se rendre chez leur médecin ou à l’hôpital. Or, au regard de la Covid-19, ces personnes concentrent les facteurs de risque, en raison de leur âge et de l’impact du virus sur l’appareil cardiovasculaire. Comme l’ont souligné de nombreux professionnels de santé, si les soins et les interventions, en particulier en chirurgie cardiaque, ne reprennent pas rapidement, nous allons vers une seconde catastrophe sanitaire. Il est donc urgent d’accélérer le plus possible la reprise des soins, afin d’éviter notamment des arrêts cardiaques.

Madame Troendlé, je tiens à vous remercier de la qualité de votre rapport. En première lecture, vous aviez, après une analyse juridique scrupuleuse, préconisé la suppression de sept articles parmi les douze présentés initialement. La démarche de la commission des lois du Sénat a été comprise par nos collègues députés, qui ont conservé la majeure partie des modifications que nous avions apportées. Le groupe Les Républicains votera le texte conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l’arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent

TITRE IER

LE STATUT DE CITOYEN SAUVETEUR

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent
Article 2 (non modifié)

Article 1er

(Non modifié)

I. – L’article L. 721-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° (Supprimé)

3° Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Quiconque porte assistance de manière bénévole à une personne en situation apparente de péril grave et imminent est un citoyen sauveteur et bénéficie de la qualité de collaborateur occasionnel du service public.

« Le citoyen sauveteur effectue, jusqu’à l’arrivée des services de secours, les gestes de premiers secours par, le cas échéant, la mise en œuvre de compressions thoraciques, associées ou non à l’utilisation d’un défibrillateur automatisé externe.

« Les diligences normales mentionnées au troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal s’apprécient, pour le citoyen sauveteur, au regard notamment de l’urgence dans laquelle il intervient ainsi que des informations dont il dispose au moment de son intervention.

« Lorsqu’il résulte un préjudice du fait de son intervention, le citoyen sauveteur est exonéré de toute responsabilité civile, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle de sa part. »

II. – (Non modifié)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

TITRE II

MIEUX SENSIBILISER LES CITOYENS AUX GESTES QUI SAUVENT

Chapitre Ier

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Article 1er (non modifié)
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Article 4 (non modifié)

Article 2

(Non modifié)

L’article L. 312-13-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé :

« Art. L. 312-13-1. – Tout élève bénéficie, dans le cadre de la scolarité obligatoire, d’une sensibilisation à la prévention des risques et aux missions des services de secours ainsi que d’un apprentissage des gestes de premier secours.

« Cet apprentissage se fait suivant un continuum éducatif du premier au second degrés. Il comprend notamment une sensibilisation à la lutte contre l’arrêt cardiaque et aux gestes qui sauvent organisée dès l’entrée dans le second degré.

« Les formations aux premiers secours de cet apprentissage sont assurées par des organismes habilités ou des associations agréées conformément à l’article L. 726-1 du code de la sécurité intérieure. » – (Adopté.)

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Article 2 (non modifié)
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Article 6 (non modifié)

Article 4

(Non modifié)

Après l’article L. 1237-9 du code du travail, il est inséré un article L. 1237-9-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1237-9-1. – Les salariés bénéficient d’une sensibilisation à lutte contre l’arrêt cardiaque et aux gestes qui sauvent préalablement à leur départ à la retraite.

« Le contenu, le champ d’application et les modalités de mise en œuvre du présent article sont définis par décret. » – (Adopté.)

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Chapitre II

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Article 4 (non modifié)
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Article 9 (non modifié)

Article 6

(Non modifié)

Il est institué une journée nationale de lutte contre l’arrêt cardiaque et de sensibilisation aux gestes qui sauvent.

Le contenu, le champ d’application et les modalités de mise en œuvre du présent article sont définis par décret. – (Adopté.)

TITRE III

CLARIFIER L’ORGANISATION DES SENSIBILISATIONS ET FORMATIONS AUX GESTES DE PREMIERS SECOURS

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Article 6 (non modifié)
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Article 12 bis (non modifié)

Article 9

(Non modifié)

Le titre VI du livre VII du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa des articles L. 765-1, L. 766-1 et L. 767-1, la référence : « n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » est remplacée par la référence : « n° … du … visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l’arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent » ;

2° Après le 2° des articles L. 765-1 et L. 766-1, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis Au titre II bis : les articles L. 726-1 et L. 726-2 ; »

3° Après le 1° de l’article L. 767-1, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Au titre II bis : les articles L. 726-1 et L. 726-2 ; » – (Adopté.)

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TITRE IV

RENFORCER LES PEINES EN CAS DE VOL OU DE DÉGRADATION D’UN DÉFIBRILLATEUR

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TITRE V

ÉVALUER LA MISE EN ŒUVRE

Article 9 (non modifié)
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 12 bis

(Non modifié)

Chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport comprenant les indicateurs suivants :

1° Le nombre de personnes victimes d’un arrêt cardiaque extrahospitalier sur le territoire national ;

2° Le nombre de massages cardiaques externes pratiqués par des témoins ;

3° Le nombre d’utilisation de défibrillateurs automatiques externes par des témoins ;

4° Le nombre d’interventions des services de secours à la suite d’un arrêt cardiaque ;

5° Le taux de survie à l’arrivée à l’hôpital et le taux de survie à trente jours ;

6° Le nombre de défibrillateurs automatiques externes en service sur le territoire national ;

7° Le nombre de personnes formées aux gestes qui sauvent chaque année, par type de formation, en précisant notamment le nombre d’élèves de troisième ayant suivi la formation « prévention et secours civiques » de niveau 1. – (Adopté.)

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M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.

Vote sur l’ensemble

Article 12 bis (non modifié)
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l’arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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9

Candidature à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

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Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers ?

Débat sur un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux entreprises

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises, sur les conclusions du rapport d’information Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers ?

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond, pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la délégation.

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre d’un sujet majeur et plus que jamais d’actualité. La délégation aux entreprises du Sénat s’en est saisie à l’automne 2019, en confiant à nos collègues Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel une mission d’information sur les difficultés de recrutement dans un contexte de forte évolution des métiers.

En effet, depuis deux ans, les plaintes qui nous remontaient du terrain, à l’occasion de nos déplacements dans les départements, étaient récurrentes, voire lancinantes : les chefs de nombreuses entreprises, de toutes tailles, témoignaient de leurs difficultés à recruter, à trouver et à garder les compétences dont ils avaient besoin, cette situation les amenant parfois à renoncer à développer leur activité.

Parallèlement, la France pouvait rougir de son taux de chômage et du nombre de personnes, notamment des jeunes, laissées au bord de la route. Quel gâchis !

Les mutations technologiques qui impactent ou impacteront quasiment tous les métiers renforcent l’urgence de prendre à bras-le-corps ce paradoxe français, avec lucidité et bon sens.

L’électrochoc que nous connaissons aujourd’hui a le mérite de nous encourager, collectivement et individuellement, à remettre les cartes sur la table, à évaluer nos atouts et nos faiblesses, à retrousser nos manches, à oser, à innover et à jouer franc-jeu avec toutes les parties prenantes. Dans le cas présent, ces dernières comprennent les acteurs de l’éducation, de l’orientation des jeunes et du service public de l’emploi, les régions, les demandeurs d’emploi, les personnes en future reconversion et, bien entendu, les recruteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les entreprises au premier chef.

À cet égard, l’État doit aussi aider les entreprises à contribuer à la formation de leurs salariés ou futurs salariés. Un très récent sondage réalisé pour CCI France par OpinionWay montre que 13 % des entreprises n’envisagent pas de mettre en place de contrats d’alternance dans l’année à venir, car les modalités de prise en charge financière sont trop compliquées.

Je crois pouvoir dire que, au sein de notre délégation, nous partageons la conviction que la clé de l’avenir passe par le renforcement des compétences des Français. Il s’agit à la fois de permettre leur insertion et leur épanouissement professionnels tout au long de la vie et de répondre aux besoins de la société et de l’économie, les deux étant bien sûr liés. Nos propositions visent ainsi à développer les compétences de toute urgence pour soutenir l’emploi et les entreprises.

Certes, depuis l’automne 2019, la situation sanitaire et économique a bouleversé la donne. Les chiffres ne sont pas réjouissants : probable recul de près de 12 % du PIB en 2020, déficit budgétaire de 221,1 milliards d’euros, dette publique s’élevant à 120,9 % du PIB, nombreuses faillites en perspective… L’horizon s’assombrit, avec la perspective de la suppression de 800 000 emplois, soit 2,8 % de l’emploi total, dans les prochains mois.

Mais la problématique des jours d’avant le Covid-19 reste cruellement d’actualité. Elle se conjugue avec les nouveaux défis des jours d’avec et des jours d’après la crise sanitaire, qu’accompagne et suit la crise économique.

Il est vrai que les dispositifs de soutien très évolutifs mis en place depuis le début de la crise devraient permettre de limiter et de lisser la casse économique et sociale, mais ils ne résoudront malheureusement pas toutes les difficultés. Au-delà des chiffres évolutifs et des nécessaires mesures conjoncturelles, il nous faut anticiper et nous adapter aux évolutions structurelles, pour mieux rebondir.

C’est dans cette perspective que se sont inscrits nos rapporteurs, en faisant appel au bon sens collectif.

Michel Canevet exposera nos principales recommandations. Elles sont pragmatiques. Nous souhaitons, madame la ministre, que notre contribution constructive soit pleinement prise en compte, à la fois pour limiter la casse sociale et pour préparer l’avenir. Cette crise doit être l’occasion de remettre en cause certains tabous et d’avancer collectivement dans l’intérêt général et dans celui des personnes concernées au premier chef.

Guy-Dominique Kennel conclura le débat. Je forme le vœu qu’il puisse alors se féliciter que nous ayons obtenu de votre part, madame la ministre, des réponses tout aussi concrètes et précises que nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Canevet, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Mme la présidente de la délégation aux entreprises vient de l’indiquer, lors de nos déplacements sur le terrain, nous avons souvent entendu les chefs d’entreprise déplorer des difficultés de recrutement. Cela nous a amenés, Guy-Dominique Kennel et moi-même, à travailler sur le sujet de façon beaucoup plus approfondie.

Trois nécessités se sont dégagées à l’issue de nos travaux : accompagner les individus tout au long de la vie et lors de la formation initiale, avec pour objectif constant d’améliorer leur insertion professionnelle et leur employabilité ; permettre aux entreprises de trouver rapidement les compétences dont elles ont besoin ; définir les modalités d’un pilotage efficient des acteurs de l’emploi sur chaque territoire.

Sur cette base, nous avons formulé vingt-quatre recommandations.

Ces recommandations portent, premièrement, sur l’éducation nationale : il convient de briser le cloisonnement qui nous semble exister entre celle-ci et le monde économique. Il faut accentuer les efforts d’information des familles en vue de l’orientation des jeunes et permettre aux enseignants de mieux appréhender les questions économiques et la vie des entreprises.

Deuxièmement, l’apprentissage, madame la ministre, est un sujet de préoccupation fort. Les besoins en la matière sont à la fois conjoncturels – les difficultés de recrutement auxquelles sont confrontés les centres de formation des apprentis aujourd’hui le montrent bien – et structurels. Il importe de faire en sorte que ce mode de formation, qui est vraiment adapté aux besoins de l’entreprise, soit davantage utilisé dans notre pays. D’ailleurs, seulement 26 % des dirigeants interrogés à l’occasion d’un récent sondage réalisé par OpinionWay déclaraient avoir déjà mis en place un contrat en alternance. C’est dire si le chemin à parcourir pour sensibiliser toutes les entreprises à cette forme de formation est encore long…

Troisièmement, il faut encourager les entreprises à investir dans la formation, qui est pour elles un acquis, au même titre que d’autres investissements qu’elles peuvent réaliser pour leur développement et l’amélioration de leur productivité.

Quatrièmement, il faut favoriser le transfert des compétences entre les plus expérimentés et les plus jeunes. Je pense singulièrement à la cohorte très nombreuse des jeunes –ils sont près de 900 000, nous dit-on – qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en stage et qu’il faut absolument raccrocher au milieu professionnel. Il y a un volant d’actions à mettre en place. Il faut bien évidemment, compte tenu de la situation économique que nous connaissons actuellement, assurer la reconversion des actifs vers les secteurs et les métiers qui recrutent aujourd’hui.

Cinquièmement, nous devons permettre aux entreprises de trouver rapidement les compétences dont elles ont besoin. Nous nous sommes aperçus, madame la ministre, que les compétences existant au sein de Pôle emploi sont souvent méconnues ou décriées par quelques-uns, qui ont vécu des expériences malheureuses. Il importe de faire connaître ce que Pôle emploi réalise aujourd’hui.

Enfin, nous avons estimé qu’il convenait de pouvoir mettre en place un pilotage efficient des acteurs de l’emploi, compte tenu de la multiplicité des intervenants. Nous proposons de le faire à l’échelle de la région, qui est aujourd’hui l’échelon pertinent sur le plan économique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jérôme Bignon et Joël Labbé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord remercier la délégation sénatoriale aux entreprises d’avoir inscrit à l’ordre du jour de la séance publique du Sénat ce débat sur les conclusions du rapport qui vient de nous être présenté.

Ces travaux, qui ont débuté en septembre dernier, nous donnent l’occasion aujourd’hui d’alimenter les réflexions en cours, notamment avec les partenaires sociaux, sur un sujet essentiel qui nous mobilise toutes et tous, à savoir l’emploi et les compétences. Lorsque la situation était meilleure, cette mobilisation était nécessaire pour trouver les compétences que recherchaient les entreprises. Elle est aujourd’hui un élément clé de la relance.

Le sujet des emplois et des compétences est ma priorité. C’est celle du Gouvernement depuis trois ans : stimuler la croissance de notre économie pour qu’elle soit riche en emplois de qualité et permettre à chacun, dans le même temps, de s’émanciper par le travail et par le développement de ses compétences est un fil rouge de la politique volontariste et pragmatique que nous conduisons.

C’est d’ailleurs le sens et la raison d’être de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui prévoit notamment la création du compte personnel de formation de transition et celle d’un véritable conseil en évolution professionnelle. Nous avons amplifié massivement l’accès à la formation grâce à l’application « Mon compte formation », qui connaît un succès très important et croissant.

Ces avancées majeures sont intervenues en parallèle du plan d’investissement dans les compétences, qui fait l’objet, pour moitié, de pactes régionaux négociés avec les régions et donne lieu à des appels à projets nationaux.

Voilà quatre mois – cela paraît à la fois si proche et si loin ! –, les résultats de ces transformations étaient tangibles, avec près d’un demi-million d’emplois créés depuis mai 2017 et une nette baisse du taux de chômage de l’Insee. Celui-ci s’établissait à 8,1 % de la population active, soit à son plus bas niveau depuis 2008. Il était même inférieur à 7 % dans vingt-quatre départements. En outre, l’apprentissage décollait enfin, grâce à sa réforme, avec une augmentation historique de 16 % en 2019 du nombre des entrées dans cette voie de formation, permettant de frôler la barre des 500 000 apprentis.

Mais, à partir de février 2020, les cartes ont été rebattues de façon particulièrement abrupte. Aujourd’hui, l’adéquation des compétences aux besoins des entreprises reste un enjeu crucial pour notre économie et pour l’ensemble de nos territoires.

À cet égard, il convient de souligner que notre action pour soutenir les entreprises et les salariés les plus précaires pendant les périodes de confinement et de déconfinement a été déterminante. Pour ne citer qu’une mesure parmi beaucoup d’autres, le FNE-formation est désormais accessible à l’ensemble des salariés en activité partielle, sans critère de taille ou d’activité de l’entreprise. Se former plutôt que chômer, tel est le mot d’ordre. L’État a, de fait, pris en charge automatiquement 100 % des coûts pédagogiques, sans plafond horaire, compte tenu de la crise. Nous constatons une dynamique intéressante : plus de 120 000 salariés sont désormais en formation grâce à ce dispositif. Parallèlement, plus de 50 000 personnes ont formulé des demandes de formation via leur compte formation ces dernières semaines. Dans près de 70 % des cas, il s’agit de formations à distance. Moins d’un mois après la fin du confinement, le nombre quotidien des demandes n’a jamais été aussi élevé : on enregistre aujourd’hui 5 000 accès à la formation chaque jour. Au reste, 60 % des demandeurs d’emploi qui suivaient une formation au moment du confinement ont pu continuer à bénéficier de formations à distance, et 90 % des apprentis ont pu suivre une formation à distance. Nous avons aidé les CFA à accomplir cet effort inédit ; ils y sont parvenus.

Enfin, le télétravail a permis à des millions de Français de poursuivre leur activité, mais aussi de se former. Je rappelle que c’est un droit pour le salarié, que nous avons créé en 2017, au travers des ordonnances « travail ».

Plus que jamais, dans la nouvelle phase, celle de la reprise de l’activité, nous partageons ce constat : nous devons tout faire pour préserver nos emplois et nos compétences. Telle est notre priorité commune, à l’heure où les circonstances nous appellent à reconstruire une économie forte, écologique, souveraine et solidaire, comme l’a déclaré le Président de la République dans sa dernière allocution.

Ces transformations requièrent des actions volontaristes. À cet égard, le rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises présente vingt-quatre recommandations visant à renforcer les compétences des Français, au service à la fois de leur insertion et de l’économie, selon trois axes qui viennent d’être exposés.

Si nous divergeons sur la manière d’aborder le troisième axe, notamment sur la vingt-quatrième recommandation, visant à confier à la seule région le pilotage des acteurs de l’emploi, Pôle emploi compris, nous nous rejoignons sur plusieurs propositions. La mise en œuvre de certaines est d’ailleurs déjà effective, mais doit être confortée. D’autres sont en cours de déploiement. Enfin, certaines relèvent du plan de relance que nous proposerons prochainement.

S’agissant de votre recommandation n° 8 de prévoir a minima une journée de découverte de métiers, je rappelle que, en complément des dispositifs mis en place par l’éducation nationale, les régions et les centres de formation d’apprentis, notamment depuis la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a renforcé la mission des régions en matière d’orientation, nous avons créé la prépa apprentissage, une mesure qui rejoint également votre recommandation n° 9, relative aux mises en situation professionnelle.

Par ailleurs, comme vous le préconisez dans votre recommandation n° 19, nous avons renforcé les démarches proactives des conseillers de Pôle emploi en direction des employeurs sur le terrain ; c’est le sens de la convention tripartite 2019-2022.

Les mesures en cours de déploiement recouvrent les recommandations nos 1 à 6, relatives à l’orientation des jeunes. Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et les régions collaborent très étroitement sur une démarche de découverte des métiers, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ayant prévu cinquante-quatre heures de découverte des métiers par an pour tous les élèves, de la quatrième à la première. Encore faut-il la concevoir et l’organiser, ce qui est un très gros chantier.

S’agissant de la recommandation n° 13, sur la nécessité de sensibiliser les PME à l’absence de candidat idéal et aux atouts de la formation professionnelle, sa mise en œuvre se concrétise à travers différents moyens : la convention d’objectifs et de moyens entre l’État et un opérateur de compétences (OPCO), qui fixe les objectifs de celui-ci et le type de soutien aux PME ; la mobilisation de la prestation de conseil en ressources humaines destinée aux petites entreprises ; l’appel à projets du Fonds social européen pour le développement de l’accès à la formation des salariés des entreprises de plus de cinquante salariés, qui renforcera les moyens des OPCO.

Par ailleurs, Pôle emploi propose aux entreprises, depuis le 1er janvier dernier, une offre très proactive de conseil en recrutement ; les premiers résultats de ce dispositif, avant la crise, étaient très encourageants.

La recommandation n° 12 porte sur l’amortissement d’un investissement immatériel, sujet cher au sénateur Martin Lévrier. À cet égard, nous avons réussi, après beaucoup de recherches, car la question est complexe, à trouver une solution : à notre demande, le règlement de l’Autorité des normes comptables permet dorénavant aux entreprises de pratiquer, sur option, l’amortissement des frais de formation liés à l’acquisition d’une immobilisation corporelle ou incorporelle. En d’autres termes, s’agissant de l’accompagnement d’une transformation technologique, par exemple, les dépenses de formation peuvent désormais être amorties.

Nous partageons également votre souhait d’une meilleure rentabilisation de la data en matière d’emploi ; vos trois recommandations en ce sens sont très importantes.

Par ailleurs, je rappelle que, dès cet été, l’intégration de Pôle emploi au dispositif « Mon compte formation » permettra des abonnements complémentaires.

Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative et du plan de relance, plusieurs mesures seront prévues pour sécuriser le parcours des apprentis ; nous y reviendrons, je pense, lors des questions-réponses.

Dans ce domaine, nous venons de prendre des mesures massives de simplification et de soutien financier, la première année d’apprentissage étant prise en charge financièrement par l’État. Pour que, même dans le contexte de la crise, aucun jeune ne soit laissé de côté, nous devons investir sur l’apprentissage, qui est une voie de réussite pour nos jeunes. D’ailleurs, monsieur Canevet, je serai à Brest mardi prochain, pour un speed dating entre 150 chefs d’entreprise et 500 jeunes. Le combat pour l’apprentissage continue : il faut le gagner tous ensemble !

Enfin, s’agissant du pacte productif, nous allons travailler sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l’activité partielle de longue durée, le plan de soutien aux jeunes ou encore la dynamique des formations. Vous savez que, à la demande du Président de la République, je mène sur ces sujets des concertations très approfondies avec les partenaires sociaux.

J’ai conscience d’avoir été trop longue, monsieur le président ; nous allons poursuivre le débat au travers de la séquence de questions-réponses. En tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons une boussole commune : c’est aussi par l’emploi et les compétences que nous sortirons de cette crise économique !

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Je remercie la délégation sénatoriale aux entreprises d’avoir proposé ce débat sur une thématique importante. Le rapport d’information de nos collègues Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel présente de nombreux axes de travail, s’agissant notamment du soutien à la formation et à l’apprentissage, du rôle de Pôle emploi et de la transmission des savoirs des seniors.

Nos collègues s’interrogent à juste titre sur l’insertion des jeunes diplômés. Si les solutions proposées sont là aussi intéressantes, je voudrais souligner une difficulté émergente, qui, selon moi, va s’accentuer fortement : le refus croissant des jeunes diplômés de travailler pour des entreprises ne correspondant pas à leurs valeurs en termes environnementaux et sociaux.

Voilà un an, des jeunes issus de grandes écoles, réunis au sein du collectif « Pour un réveil écologique », ont lancé un manifeste, signé par plus de 32 000 étudiants de grandes écoles s’engageant à refuser de rejoindre des entreprises polluantes. Cette initiative est révélatrice d’une tendance de fond : selon une étude de la Confédération des grandes écoles, 72 % des jeunes considèrent l’adéquation entre travail et valeurs comme un critère primordial de choix de leur métier.

Ce constat est partagé par les entreprises, qui font état, notamment dans l’industrie, l’agroalimentaire ou la chimie, de difficultés de recrutement liées à un déficit d’attractivité pour les jeunes diplômés en quête de sens dans leur travail.

Certes, il est pertinent d’adapter les compétences de la population aux entreprises, mais ne doit-on pas également inverser la logique, ou plutôt rétablir l’ordre des choses ? C’est aussi, voire surtout, aux entreprises de répondre aux aspirations sociétales et aux enjeux environnementaux. Ne convient-il pas de les accompagner et, comme les incitations ne suffisent pas, de les contraindre pour qu’elles prennent en compte les enjeux sociaux et environnementaux ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, la jeunesse a toujours contribué à faire bouger le monde et à accélérer les évolutions.

Il est vrai que, depuis plusieurs années, on constate chez les jeunes diplômés non pas un refus de la valeur travail, mais au contraire un investissement fort dans cette valeur, associé à une quête de sens et à une exigence, notamment en matière de cohérence sociale et environnementale.

Depuis que nous avons mis en place et rendu public l’index pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, certains jeunes se détournent des sociétés où cette égalité n’est pas assurée. De même, de nombreux jeunes examinent la feuille de route environnementale d’une entreprise et sa cohérence avant de se porter candidats.

Certes, dans le contexte actuel de crise de l’emploi, ce phénomène sera peut-être atténué, provisoirement et en surface, mais je crois qu’il s’agit d’un fait de société. Il faut le prendre comme une chance. Dans cet esprit, à la demande du Président de la République, nous avons incité des entreprises inclusives et prêtes à s’engager à se réunir en clubs, partout sur le territoire, pour offrir d’autres perspectives en termes de valeurs. Depuis un an, plus de 6 000 entreprises, parmi lesquelles de nombreuses PME, ont rejoint cette démarche, « La France, une chance : les entreprises s’engagent ! » J’ai rencontré nombre de ces clubs : tous s’attachent à promouvoir des valeurs et, au-delà d’un job et d’une rémunération, un sens au travail proposé.

Certes, cela bouscule les entreprises, mais nous n’avons pas le choix, car évoluer vers un modèle d’entreprise à la fois économique, écologique et solidaire a du sens dans la société. D’ailleurs, dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, on constate un afflux de candidats vers les métiers porteurs de sens. Ainsi, en agriculture, de nombreux apprentis se tournent vers la filière bio. Cette tendance gagne peu à peu tous les secteurs. Le dispositif « Mon compte formation » fait apparaître la même appétence.

Oui, monsieur le sénateur, prenons le risque de la jeunesse : cela nous fera progresser !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. En effet, madame la ministre, cette évolution est une chance. Malheureusement, les signaux envoyés ces derniers mois au travers des textes budgétaires rectificatifs et des plans d’aide décidés dans le cadre de la relance ne sont pas véritablement suffisants en termes de conditionnalité sociale et environnementale.

Nombreux sont celles et ceux, notamment dans les jeunes générations, qui veulent bâtir un « monde d’après » écologique et solidaire. Dans ce contexte, il y a une vraie opportunité à conditionner les aides à des engagements ambitieux et à amorcer des politiques de formation anticipant les transitions de nos sociétés. C’est ainsi que nous ferons face aux menaces liées au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité !

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Je remercie nos collègues pour ce rapport d’information, qui souligne un problème de taille de notre pays : l’étrange concomitance entre un chômage élevé et des difficultés de recrutement croissantes.

Une des solutions proposées dans le rapport d’information consiste à développer le télétravail. Cette pratique s’est largement développée ces dernières années dans notre pays, sous l’effet notamment de l’arrivée sur le marché du travail d’une nouvelle génération, totalement connectée à l’outil numérique.

Aujourd’hui, les jeunes sont unanimes : ils ne veulent pas d’un bureau classique et indiquent souvent qu’ils choisiront une entreprise qui leur permettra de télétravailler. Cette génération demande une meilleure prise en considération de ses conditions de travail, en particulier un équilibre plus juste entre vie professionnelle et vie personnelle.

L’enjeu de la mobilité est également de taille. À cet égard, l’Île-de-France est un très bon exemple : 28,8 millions d’actifs salariés parcourent en moyenne 26 kilomètres pour se rendre sur leur lieu de travail et en revenir, consacrant chaque jour environ une heure à ces trajets ; sur une année, ce sont plus de 6 milliards d’heures de déplacement.

Pendant la crise sanitaire que nous venons de vivre, le recours au télétravail a été massif. Aucun chiffre précis n’est encore disponible, mais les sondages font état d’une moyenne de 40 % de salariés en télétravail. Le Républicain lorrain s’en fait l’écho aujourd’hui, en titrant « Télétravail : un essai à transformer ». En réalité, cette crise sanitaire va très certainement changer nos rapports au travail et à l’entreprise : en bref, plus de télétravail et des Français plus désireux d’y recourir.

Il importe d’encourager cette tendance, qui permet d’agir directement sur la qualité de vie au travail des salariés, tout en l’encadrant et en l’accompagnant par de bonnes pratiques managériales, afin d’éviter un isolement trop important des travailleurs, notamment des juniors.

Madame la ministre, je vous sais mobilisée sur cette question : les ordonnances prises dès votre arrivée, en 2017, ont permis le développement et la sécurisation du télétravail. Pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie du Gouvernement en la matière ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Julien Bargeton, inspirée par mon expérience en entreprise, j’ai introduit dans les ordonnances de 2017 le droit au télétravail. À l’époque, cela est passé inaperçu ; je ne pensais pas que ce droit aller autant servir, dans un contexte inimaginable à ce moment-là…

Certes, à la suite des ordonnances, 2 000 accords d’entreprise sur le télétravail avaient été signés : on constatait déjà une appétence assez forte des salariés, surtout parmi les jeunes générations, mais pas uniquement. L’évolution se faisait toutefois à bas bruit, avec un jour ou deux de télétravail dans la semaine, et seulement pour une partie des salariés.

Puis la crise du Covid-19 est arrivée. Dans cette situation inédite, nous avons immédiatement recommandé que tous les salariés qui le pouvaient télétravaillent, afin d’éviter les regroupements dans les entreprises et les transports favorisant la dissémination du virus.

Grâce aux travaux de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), nous disposons maintenant d’une évaluation assez sérieuse : 5 millions de Français ont télétravaillé ces trois derniers mois. Pour la grande majorité d’entre eux comme pour la grande majorité des entreprises, l’expérience était nouvelle. C’est pourquoi nous avons immédiatement publié un guide des bonnes pratiques en la matière.

Bien que cette première expérience du télétravail ait été parfois vécue dans des conditions difficiles, par exemple en faisant l’école à la maison en même temps, les deux tiers des salariés souhaitent continuer, pas forcément à temps plein – le travail, c’est aussi un lien social et humain –, mais en alternant travail présentiel et télétravail.

Il s’agit d’une voie d’avenir, qui requiert aussi un management plus moderne, moins classique en termes de contrôle et plus responsabilisant. La période que nous venons de traverser a fait bouger les entreprises : l’association des DRH a publié, voilà deux jours, une étude montrant que 85 % des entreprises pensent qu’il faut permettre le télétravail de manière pérenne et le développer, parce qu’il permet des gains de productivité et correspond à des attentes. Certaines estiment même que l’on n’y échappera pas, car, désormais, une partie importante de salariés veut travailler autrement.

Bien sûr, le télétravail doit être encadré et s’équilibrer avec le travail présentiel, mais, en bousculant les formes actuelles de management et d’organisation du travail, il fera partie des facteurs d’accélération positive issus de la crise.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Il peut paraître anachronique de parler aujourd’hui de difficultés à recruter, quand près de 900 000 emplois sont menacés de disparition dans notre pays. Mais les gâchis pointés par le rapport d’information sont dus en particulier à l’absence de politique industrielle depuis trop longtemps en France : la crise sanitaire a aussi mis en évidence les conséquences de cet état de fait.

Mener une politique industrielle commande de développer notre offre de formation, comme le soulignent les auteurs du rapport d’information. De ce point de vue, le sort réservé aux lycées et à l’enseignement professionnels est inquiétant : moins d’heures d’enseignement général, moins d’enseignements professionnels, des programmes tirés vers le bas, autant d’éléments laissant présager une dégradation de cette voie de formation. Voilà de quoi renforcer la critique, un brin orientée, selon laquelle l’éducation nationale ignorerait tout du monde de l’entreprise…

La réforme de l’apprentissage que vous avez engagée, madame la ministre, renforce ces craintes. En effet, confier cette voie aux seules branches professionnelles laisse place à une vision court-termiste en matière de formation, alors qu’il faut préparer nos jeunes à évoluer tout au long de leur carrière.

Nous nous inquiétons aussi pour le maillage territorial des centres de formation d’apprentis, jusqu’ici assuré par les régions : il va inévitablement se rabougrir, écartant un certain nombre de jeunes de ces formations. D’ores et déjà, des entreprises alertent à cet égard.

Nous avons besoin de tout l’engagement de la puissance publique, d’un État stratège capable d’identifier les secteurs d’avenir et de développer les formations adéquates.

Enfin, il est très intéressant que les auteurs du rapport d’information soulignent que la multiplication des CDD conduit à une dépréciation des compétences. Ce phénomène touche particulièrement les jeunes, qui commencent souvent leur carrière par des contrats courts. Il me paraît donc opportun d’inciter, voire de contraindre, les entreprises à embaucher en CDI : qu’envisagez-vous en ce sens, en particulier dans le contexte actuel, où l’État apporte un soutien financier à un certain nombre de secteurs et d’entreprises ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Céline Brulin, nous n’opposons en rien les voies de formation les unes aux autres. Au contraire, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et moi-même travaillons main dans la main depuis trois ans pour donner plus de force à la voie de l’apprentissage comme à celle du lycée professionnel. Longtemps méprisées dans notre pays, toutes deux doivent devenir des voies d’excellence, des tremplins pour les jeunes.

Loin de les opposer, nous pensons qu’elles peuvent se combiner : certains jeunes peuvent commencer leur parcours en lycée professionnel, sous statut d’élève, puis, quand ils sont mûrs et veulent plus d’action, rejoindre une entreprise comme apprentis. Nous développons les passerelles, en liaison avec la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, dans des campus que nous organisons avec l’ensemble des partenaires, y compris les régions et les branches.

Je vous invite à venir sur le terrain avec moi.

M. Pierre Ouzoulias. N’inversez pas les rôles !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. J’ai déjà visité soixante CFA, probablement plus que beaucoup de ministres du travail avant moi : la réforme, je la mène aussi sur le terrain ! Je constate que plus de 500 créations de CFA sont projetées, que l’engouement pour l’apprentissage est fort, dans les petites entreprises comme dans les grandes, et que les jeunes sont extrêmement fiers de s’être engagés dans cette voie.

Vous avez raison : le court-termisme n’a aucun intérêt. C’est pourquoi nous permettons que l’on puisse s’engager dans la voie de l’apprentissage jusqu’à 30 ans. Nous avons aujourd’hui de vrais cursus, avec des jeunes titulaires de CAP qui deviennent ingénieurs : c’est une voie durable de promotion sociale et de développement professionnel.

Tous les grands pays qui ont développé des voies d’apprentissage et de formation professionnelle fortes, comme la Suisse et l’Allemagne, connaissent un chômage des jeunes bien moindre que le nôtre ; la corrélation est directe. Permettons donc à nos jeunes de s’élever et de s’émanciper par le travail et la formation. C’est l’esprit dans lequel la réforme a été conçue.

S’agissant de la question très différente du recours à des CDD, la réforme de l’assurance chômage vise notamment à lutter contre la précarisation.

M. Jean-Louis Tourenne. Il faut oser…

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. La crise économique a donné un coup d’arrêt brutal à la dynamique de réduction du chômage engagée en 2017. Les réformes commençaient à porter leurs fruits, et l’objectif d’un taux de chômage ramené à 7 % à la fin du quinquennat paraissait, voilà quelques mois encore, réaliste.

Nous aurions tort de baisser les bras : la France ne doit jamais se résigner au chômage de masse, souvent perçu comme une fatalité nationale. Nous devons reprendre la route vers le plein-emploi, sur laquelle nous nous étions engagés.

Nous aurions tort également de ne pas profiter de ce moment de crise pour reconsidérer notre itinéraire. Compte tenu de la double urgence économique et climatique, il ne fait pas de doute que la relance devra être écologique. La lutte contre le chômage doit devenir « verte », et l’écologie devenir la solution aux problèmes de recrutement des entreprises !

Il s’agit de mettre fin à ce paradoxe aberrant, malheureusement propre à la France : des demandeurs d’emploi ne trouvent pas de travail et des entreprises ne trouvent pas d’employés…

Une relance verte implique une évolution importante du marché de l’emploi. En effet, les entreprises devront décarboner leur modèle économique, nous devrons amplifier la rénovation énergétique du parc immobilier, nos mobilités seront progressivement bouleversées et nous aurons besoin de développer de nouvelles compétences, adaptées à de nouveaux métiers.

Tout cela est évident, mais se prépare. C’est pourquoi nous devons redoubler d’ambition pour la formation professionnelle, qui ne devra pas viser seulement à fluidifier le marché du travail, comme l’on dit, mais aussi à accélérer la transition écologique.

Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il articuler lutte contre le chômage et lutte contre le changement climatique ? Quel est son plan d’action pour mener ces deux combats de front, étant entendu que nous ne pouvons renoncer ni à l’un ni à l’autre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Jérôme Bignon, je partage votre conviction : il faut faire de deux problèmes une solution, l’un pouvant être l’opportunité de résoudre l’autre.

Le plan de relance ne saurait viser seulement à réparer ce qui a été abîmé par la crise du Covid : il doit aussi être un accélérateur des grandes transformations, dont la transition écologique.

Comme le Président de la République l’a annoncé aux partenaires sociaux hier, le plan de relance comprendra un volet important relatif aux compétences et à la formation, afin d’accompagner ces évolutions : c’est aussi un investissement stratégique de la Nation !

La transition écologique va à la fois détruire et créer des emplois. Par exemple, quand on ferme les centrales à charbon, il faut donner des chances de reconversion à tous les salariés concernés. L’économie circulaire crée énormément d’emplois de proximité, sur tous les territoires, y compris au titre de l’insertion par l’activité économique : ressourceries et recycleries se développent beaucoup, avec le soutien financier de mon ministère.

Relier l’évolution des compétences et la transition écologique peut être complexe, parce que les territoires concernés, les horizons temporels ne sont pas toujours les mêmes. C’est pourquoi nous devons travailler encore plus ensemble, sur tous les territoires, pour trouver des solutions. L’État sera au rendez-vous pour investir dans les compétences, comme les régions ; dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, que nous mettons en œuvre avec elles, l’accent est mis sur les compétences liées à la transition écologique et à la transition numérique.

Le plan de relance doit aussi permettre d’accélérer les changements nécessaires pour notre pays : c’est ainsi que nous donnerons à nos jeunes une inspiration et l’envie de construire le monde de demain !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.

M. Jérôme Bignon. J’aime votre formule, madame la ministre : de deux problèmes, faisons une solution ! J’aime aussi l’idée d’accélérer la transition. Par ailleurs, considérer les mesures à prendre comme des investissements stratégiques de la Nation modifie la vision que nous pouvions traditionnellement avoir de ces derniers, souvent liée à la défense nationale ou à l’énergie : la notion d’investissement stratégique doit prendre une dimension différente.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Développer l’apprentissage est essentiel pour préparer les jeunes aux métiers de demain. Or, madame la ministre, le plan de relance ne comprend pas de dispositions législatives ou réglementaires en la matière, alors que nous sommes à l’orée de la préparation de la prochaine rentrée. Qu’en est-il ?

S’agissant du maintien en CFA pendant trois à six mois des jeunes ne trouvant pas de maître de stage, quelles sont les modalités de financement ?

Quant à la mallette des apprentis à 500 euros, le coût du premier équipement peut excéder largement ce montant, par exemple dans les filières coiffure et cuisine, surtout si l’on prend en compte le matériel informatique. Des adaptations sont donc nécessaires.

Enfin, les CFA demandent que leurs moyens soient garantis au-delà de deux années. Compte tenu de la période difficile que nous traversons, il conviendrait qu’une année supplémentaire de garantie leur soit accordée par les OPCO, afin qu’ils puissent travailler à long terme. Imaginez les moyens qu’il faut mobiliser aujourd’hui pour préparer la prochaine rentrée ! Au CFA de Quimper, par exemple, on ne compte que trois jeunes dans la filière couverture, pour dix-sept offres reçues des entreprises : c’est dire le chemin à parcourir pour mobiliser l’ensemble des jeunes et des entreprises !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Canevet, vous connaissez mon engagement pour l’apprentissage.

Dans le cadre du plan de relance, le soutien à l’apprentissage est la seule mesure qui ait été annoncée à l’avance. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avions conscience de l’urgence, liée à la saisonnalité dans la conclusion des contrats : il ne fallait pas manquer l’échéance de juin.

Les mesures annoncées voilà trois semaines sont très importantes, inédites même.

D’abord, l’État prendra en charge la quasi-totalité des coûts salariaux de la première année d’apprentissage, soit 5 000 euros pour un mineur et 8 000 euros pour un majeur. C’est son rôle d’aider les entreprises dans la crise, mais nous leur demandons de nous aider à aider les jeunes. Une nation qui n’investit pas dans sa jeunesse n’investit pas dans son avenir ! Nous savons la situation difficile de nombreuses entreprises, mais nous les incitons à continuer à former des jeunes en prenant en charge l’intégralité des coûts de la première année.

Dans le même esprit, nous avons prolongé la possibilité, pour les CFA, d’accueillir pendant trois à six mois des jeunes n’ayant pas encore de contrat d’apprentissage. L’ajustement de l’offre et de la demande est un défi en matière d’apprentissage aussi.

Une aide forfaitaire systématique sera versée aux CFA pour les jeunes qui n’arrivent pas à trouver un contrat d’apprentissage ; les centres de formation d’apprentis ont besoin d’une assurance sur ce plan.

Pendant le confinement, j’ai demandé que tous les CFA de France reçoivent l’intégralité du « coût contrat », alors même qu’ils étaient fermés. Cela leur a permis de développer la formation à distance et il n’y a pas eu de chômage partiel dans les CFA. Évidemment, le « coût contrat » sera adapté en fonction des circonstances ; il a d’ailleurs été conçu ainsi.

Nous devons tous nous mobiliser pour trouver des offres d’apprentissage, parce que les jeunes sont là. Sur Parcoursup et Affelnet, la demande est considérable. Nos jeunes ont bien compris le sens de la réforme et voient dans l’apprentissage une voie d’excellence et d’avenir : il ne faut pas les décevoir. Efforçons-nous d’améliorer le lien entre eux et les entreprises pour réussir la prochaine rentrée !

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.

M. Michel Canevet. De nombreux CFA vont organiser des journées portes ouvertes, dès le week-end prochain, parce que les vacances scolaires arrivent. Ils doivent pouvoir renseigner les familles sur le reste à charge, notamment, et leur garantir que les entreprises pourront accueillir les apprentis.

Par ailleurs, l’Union des apprentis de France nous a signalé qu’il faut faire attention aux effets d’aubaine, des entreprises n’ayant pas bénéficié de l’aide pouvant être amenées à licencier des apprentis afin de pouvoir y prétendre.

Nous devons être efficients, pour qu’il y ait plus de 500 000 apprentis l’année prochaine, et veiller à ce que l’apprentissage reste une voie d’excellence !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Les rapporteurs ont souligné le rôle primordial de la formation pour une meilleure adéquation des compétences avec les emplois recherchés.

Or c’est à l’échelle locale qu’offre et demande peuvent être mises en relation le plus efficacement, d’où la recommandation n° 24 : confier aux régions le pilotage des politiques de l’emploi.

Les initiatives menées par les régions sont nombreuses. La région Pays de la Loire s’est impliquée fortement dans cette voie, dès 2015 : les assises de l’apprentissage ont contribué aux excellents résultats de notre région en la matière ; de même, les formations courtes d’adaptation à l’emploi ont concouru à faciliter la reconversion.

Grâce à leurs compétences économiques et à leur connaissance du tissu entrepreneurial, les régions ont pu agir positivement. Pourtant, les dernières tentatives de décentralisation se sont montrées inefficaces, parce qu’elles n’ont été que partielles. Ainsi, la non-concrétisation de l’expérimentation annoncée du transfert de Pôle emploi vers les régions du pilotage de l’achat des formations pour demandeurs d’emploi empêche aujourd’hui d’envisager toutes les formations à l’aune des besoins en compétences locaux. Combien de temps encore maintiendra-t-on cette multiplicité des commandes de formations à destination des demandeurs d’emploi, émanant de Pôle emploi, des OPCO, des régions, de l’Agefiph ?

De même, la compétence des régions en matière d’orientation des jeunes se limite à l’information sur les métiers, alors qu’elles devraient pouvoir piloter l’organisation des événements au sein des établissements, la sensibilisation des enseignants et la formation des personnels d’orientation.

Sur le terrain, la multiplicité des opérateurs crée des redondances : il faut donc un pilotage unique des différents acteurs publics de l’emploi, Pôle emploi inclus. Quel est votre point de vue sur ce sujet, madame la ministre ? J’ai cru comprendre que notre recommandation n° 24 ne vous enthousiasmait pas…

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Catherine Deroche, je n’ai jamais d’a priori, et l’intérêt général doit nous conduire à aller vers ce qui est le plus efficace.

Nous avons ainsi jugé qu’un élément clé de la réforme de l’apprentissage était de faire des régions l’acteur majeur de l’orientation des jeunes de la quatrième à la première, afin de favoriser leur orientation vers les filières d’avenir. C’est donc sous la houlette des régions et dans le cadre de la compétence économique qu’est réalisé ce travail d’orientation, en liaison bien sûr avec l’éducation nationale.

En ce qui concerne Pôle emploi, j’ai accepté que l’on engage une expérimentation de coopération plus renforcée. En effet, comme Pôle emploi, les régions prescrivent des formations. Il y a donc tout intérêt à ce qu’elles travaillent de façon plus étroite avec l’agence.

La décentralisation est une autre étape. Il reste que la crise récente nous a poussés à changer tous les systèmes et toutes les règles rapidement, afin d’augmenter très vite le nombre de personnes protégées. Nous avons pu indemniser les demandeurs d’emploi en quelques jours, et cela malgré le confinement et la fermeture des agences.

Par ailleurs, ce sont toujours les gouvernements – d’autres hier, nous aujourd’hui et peut-être nous encore demain –, qui sont comptables des politiques de l’emploi. Le mandat que la Nation donne à un Président de la République comprend toujours l’emploi.

C’est la raison pour laquelle aucun État, même fédéral, n’a décentralisé l’équivalent de l’agence pour l’emploi. En Allemagne, par exemple, il s’agit bien d’une agence fédérale. Dans tous les pays d’Europe, il s’agit d’une prérogative nationale. Je vous rejoins toutefois sur un point : une prérogative nationale n’est pas une prérogative parisienne.

C’est pourquoi je pense qu’il faut encourager la déconcentration et le travail des acteurs locaux à la maille la plus fine du terrain, pour rapprocher l’offre et la demande. J’observe d’ailleurs des initiatives remarquables, où tout le monde travaille ensemble, dans des bassins d’emploi.

Je suis favorable à une déconcentration responsabilisante pour tous et à plus de coopération, car je crois que c’est ainsi que l’on permettra à plus de chômeurs de retrouver un emploi et à plus d’entreprises de trouver les compétences dont elles ont besoin.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.

Mme Catherine Deroche. Je m’attendais à votre réponse, madame la ministre, car vous aviez déjà développé ces arguments lors d’un déplacement au CFA d’Angers.

Nous divergeons sur la question de l’articulation entre la région et l’État. Ce dernier a certes fait preuve de réactivité en matière de travail pendant la crise, mais c’est aussi le cas des collectivités locales, régions comprises, qui ont parfois pallié les déficiences de l’État.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Madame la ministre, ce débat pourrait apparaître décalé, car l’Unedic annonce la destruction de 900 000 emplois en 2020. L’urgent défi serait plutôt d’en juguler les conséquences sociales, donc de renoncer d’abord aux ordonnances inhumaines sur le chômage.

Pour autant, l’adéquation entre offre et demande d’emploi reste une question récurrente, non pas tant du point de vue des statistiques, qui ne varieraient pas beaucoup, que de celui du dynamisme des entreprises. Citons quelques obstacles semés sur la route des recruteurs : une trop grande exigence de technicité par rapport au vivier des candidatures, des horaires de travail décalés et des conditions difficiles, des rémunérations insuffisantes.

Dans la restauration, par exemple, la baisse de TVA de 2009 n’a pas entraîné, comme cela avait été promis, une augmentation des salaires à hauteur du tiers de l’augmentation de chiffre d’affaires qu’elle a générée. La mission El Khomri montre un déficit en candidatures de personnels de santé lié aux rémunérations trop basses. Les difficultés d’accès au lieu de travail et les temps partiels ou saisonniers sont également très dissuasifs. Notons également que, depuis 2015, l’offre de CDI augmente régulièrement et allonge le temps de recrutement.

En conséquence, madame la ministre, un certain nombre de pistes peuvent être dégagées : inciter à une meilleure formation théorique et intellectuelle pour plus d’adaptabilité ; éviter les offres de CDD trop courts, donc développer les temps complets par des groupements d’employeurs et la création – pourquoi pas ? – d’agences publiques, pour multiplier les CDI d’intérim ; encourager dans les négociations de branche une attitude bienveillante et accompagnante dans les entreprises pour une adaptation au poste de travail ; enfin, mobiliser des dynamiques de bassin entre villes et campagnes pour créer les outils de prévision des besoins à venir, tant du privé ou du public que des associations, et ainsi engager les formations utiles.

Les spécificités locales, particulièrement marquées dans le domaine de l’économie, donc de l’emploi, exigent une nouvelle phase de décentralisation, une véritable décentralisation pour une nouvelle vitalité des territoires.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Jean-Louis Tourenne, vous posez la question centrale du rapport : comment réduire cet écart insupportable entre la demande et l’offre d’emploi ? En effet, c’est un manque à gagner pour l’économie et un drame pour les demandeurs d’emploi qui ne trouvent pas. Chaque année, entre 300 000 et 400 000 emplois sont perdus, car ils ne trouvent pas preneur, alors même que notre pays connaît un chômage important.

Premièrement, nous devons revoir les méthodes de recrutement. Dans le cadre des travaux que nous menons depuis deux ans, Pôle Emploi s’est engagé dans une réforme importante, qui, depuis le 1er janvier, est inscrite dans la convention tripartite. Cette réforme va se déployer tout au long de l’année.

Au bout de trente jours, toute entreprise ayant déposé une nouvelle offre qui n’a pas trouvé preneur est contactée de manière proactive pas Pôle emploi pour en comprendre la raison : le manque de mobilisation pour trouver des candidats, le manque de connaissance ou de reconnaissance du métier, un problème de conditions de travail, un salaire qui n’est pas au marché, des exigences qui ne correspondent pas à une réalité ou qui sont mal exprimées… En clair, Pôle emploi fournit un service de conseil.

Les résultats de l’expérimentation sont excellents. Ils montrent qu’une grande partie des offres qui ne trouve pas preneur est mal formulée.

Deuxièmement, certains métiers sont en tension, y compris dans les moments difficiles. En plein confinement, certains métiers du transport, de la santé ou de l’agriculture étaient en tension. Nous devons y travailler, car parfois le métier n’est simplement pas connu, et nous pouvons y remédier par des actions en lien avec les acteurs économiques. Dans d’autres cas, ce sont les conditions de travail qui sont en cause.

Je suis tout à fait favorable aux groupements d’employeurs : mon ministère les soutient. Nous avons aussi consacré dans les ordonnances le CDI intérimaire. Avant le confinement, nous avons célébré le quarante et un millième contrat de ce type. Nous devons développer toutes les formules qui permettent ce que j’appelle la flexisécurité – peut-être ne l’appelez-vous pas ainsi –, car elle permet de fournir un contrat en CDI pour le salarié, tout en ménageant une souplesse pour l’entreprise.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour la réplique.

M. Jean-Louis Tourenne. Ma question s’intitulait : « Comment adapter la population des demandeurs d’emploi aux changements de métiers ? ».

Dans ce cadre, je crois profondément à la nécessité de développer une formation intellectuelle la plus élevée possible si nous voulons préserver l’avenir. En effet, la tentation est grande de ne voir que le court terme et de privilégier, dans l’apprentissage, la formation pratique, manuelle et technique.

Je suis également très attaché à la dynamique des territoires, car je crois que c’est de cette façon que des emplois peuvent être créés. Seule la mobilisation de l’ensemble de la population nous permettra de garder des entreprises et de développer nos territoires et leur attractivité.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Si la question de l’acquisition des compétences par la formation, qu’elle soit initiale ou continue, est absolument cruciale pour apporter une réponse aux besoins évolutifs de l’entreprise de demain, celle de l’accompagnement l’est tout autant.

Nous apprécions qu’une démarche proactive soit effectuée auprès des entreprises, mais nous pensons qu’elle doit être quasi systématique et s’adresser à toutes les entreprises. En effet, certaines offres « cachées » ne se révèlent qu’à l’occasion de contacts avec les conseillers de Pôle emploi.

Or le recours aux services que propose Pôle emploi est limité du fait de leur méconnaissance par un certain nombre d’entreprises. C’est pourquoi il me semble important de rendre cet accompagnement systématique.

Je souhaite également plaider pour la régionalisation des services de l’emploi. En effet, une pluralité d’acteurs intervient sur le terrain – les missions locales, les maisons pour l’emploi, les Cap emploi, Pôle emploi… Or l’action qu’ils mènent manque souvent de coordination et de cohérence.

La région détient la compétence économique et la compétence de l’orientation, même s’il faut encore qu’elle ait les moyens d’exercer cette dernière. Dans une France décentralisée et que l’on veut décentraliser et déconcentrer davantage, la région est l’échelon pertinent pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises selon les territoires.

Si nous maintenons cette approche nationale, nous passerons à côté de la réponse à un certain nombre de besoins territoriaux. Il est donc vital de favoriser la coordination régionale.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, la transformation en cours de Pôle emploi tient compte de la nécessité d’une différenciation territoriale. Il est donc possible de faire de la différenciation, y compris au sein d’une agence publique nationale.

Avant la crise que nous connaissons, dans vingt-quatre départements le taux de chômage était déjà au-dessous de 7 %, et dans certains il s’élevait même à 5,5 % ou 6 %, c’est-à-dire quasiment à un niveau de plein-emploi.

Dans une telle situation, qui se présente notamment dans l’ouest de la France, la question se pose en des termes tout à fait différents. On travaille certes avec les mêmes outils, mais on ne met pas l’accent sur les mêmes sujets dans un département comme les Pyrénées-Orientales, par exemple à Perpignan, où le taux de chômage est de 18 %

La différenciation est donc nécessaire dans tous les cas. J’ai d’ailleurs accepté qu’une expérimentation soit menée dans une dizaine de régions. Nous pourrons ainsi évaluer si elles peuvent assumer un pilotage plus important avec le préfet et Pôle emploi, afin de créer des dynamiques d’offre et de demande.

Toutefois, comme vous l’avez dit, il faut aussi mettre des compétences en face. Pôle emploi compte maintenant 4 000 conseillers entreprises. Nous en avons recruté 1 000 dans le cadre de la réforme, car il faut conseiller les entreprises concrètement sur le terrain. Je crois comme vous que tout se joue sur le terrain, notamment au travers du Pass-emploi.

Je constate aussi que les choses se passent bien lorsqu’il y a des dynamiques territoriales et que l’on décide de coopérer, plutôt que de se demander qui peut manger l’autre.

Il était par exemple question de fusionner Cap emploi avec Pôle emploi. Nous avons préféré les faire travailler ensemble. Cela se passe remarquablement, si bien que le taux d’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap augmente. Nous avons préféré la coopération qui, dans un cadre défini, permet à tous de progresser, plutôt que l’absorption.

Je crois donc qu’il faut encourager encore la coopération des acteurs. Il y a toujours des arguments et des revers aux arguments, mais, aujourd’hui, l’heure est à la mobilisation nationale sur le terrain en faveur de l’emploi.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.

M. Michel Canevet. Je partage vos propos sur la nécessité de la mobilisation, madame la ministre. Nous avons pu constater qu’une mobilisation extrêmement forte sur le terrain produit des résultats.

C’est par exemple le cas dans les Hauts-de-France, où l’expérience Proch’emploi est menée en complémentarité de Pôle emploi. Les choses se passent bien mieux lorsque les régions sont impliquées, même si, dans les Hauts-de-France, le taux de chômage reste élevé et le chemin sera long.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, je félicite Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel de la qualité de leur rapport et je les remercie d’avoir abordé la question de la numérisation de notre économie et des difficultés de recrutement qui en découlent.

Notre pays accuse un retard dans ce domaine. Avec 191 000 postes à pourvoir d’ici à 2022, la France connaît une réelle pénurie de compétences en matière numérique.

Plus grave encore : l’illectronisme touche près de 20 % de nos concitoyens. Ce constat appelle des mesures fortes. La première urgence est de renforcer l’information du grand public en inscrivant le numérique dans la logique du système éducatif, sur le modèle des pays nordiques. L’apprentissage des usages du numérique doit aller de pair avec celui de la lecture.

D’autres pistes doivent être explorées, comme la systématisation de l’évaluation numérique de tous les enseignants et élèves, ou encore la création d’un baccalauréat professionnel « services numériques ».

On retrouve bien sûr ce manque de compétences numériques au sein de l’entreprise. Beaucoup de dirigeants de PME n’ont pas conscience de la nécessité de se former eux-mêmes ou de former leurs salariés, d’où l’importance d’insuffler une vraie culture de formation numérique des salariés pour garantir leur employabilité.

L’incitation financière pourrait à ce titre constituer un premier socle pour changer les comportements, par exemple par la création d’un suramortissement des investissements réalisés en vue d’améliorer les compétences, d’un crédit d’impôt spécifique ou d’une réduction du montant de la taxe d’apprentissage pour les entreprises qui font l’effort de former leurs salariés.

La reconversion numérique des chômeurs est aussi un moyen de pallier la pénurie de main-d’œuvre. Le numérique et internet rassemblent en effet le premier contingent d’offres de recrutement, devant la santé et l’action sociale.

Ma question est donc simple : quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour diffuser partout et pour tous une véritable culture du numérique, et ainsi faire entrer la France dans la quatrième révolution industrielle ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Pascale Gruny, vous avez raison, le numérique est non pas une option, mais une nécessité. La clé est donc l’appropriation par tous du numérique. Quelles sont les actions que menons ?

Tout d’abord, dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences et de la grande école du numérique financée par l’État, nous avons lancé un grand appel à projets pour mettre en place 10 000 formations numériques à tous niveaux. Cet appel à projets a connu un grand succès puisque 18 000 formations ont été dispensées en 2019.

Un grand nombre d’entre elles ont permis des reconversions. J’ai notamment rencontré une boulangère qui est devenue codeuse, et un jeune qui, bien qu’il fût en échec scolaire, est entré dans une grande entreprise dans le secteur de l’intelligence artificielle. Ces formations offrent parfois une deuxième chance, car il n’est pas nécessaire d’avoir fait dix ans d’études classiques pour réussir ; il faut simplement s’investir à fond.

Au travers des pactes régionaux du plan d’investissement dans les compétences que nous cofinançons, l’État apporte 6 milliards d’euros aux régions sur cinq ans, en plus des financements que celles-ci se voient attribuer au titre de la compétence décentralisée.

Nous sommes convenus avec toutes les régions de faire du numérique l’une des voies prioritaires. Nous sommes totalement alignés sur ce point – cela n’a même pas fait l’objet d’un débat.

Les formations liées au numérique et à l’informatique sont les plus demandées dans l’application « Mon compte formation », car tout le monde est conscient de l’importance de ces domaines de connaissances, et je m’en félicite.

Il nous faut encore accélérer dans le cadre du plan de relance. Il faut notamment permettre que toutes les TPE dans tous les territoires aient cet accès à ces formations, car le risque est celui du décrochage.

Nous avons réussi à former à distance 90 % de nos jeunes – lycéens et apprentis. Notre objectif est d’arriver à 100 %. Pour cela, tous les jeunes doivent avoir accès aux équipements et aux formations nécessaires. Il ne faut plus qu’il y ait d’illectronisme en France

Nous avons investi dans la formation continue des personnels et le ministre de l’éducation dans la formation initiale. Le monde de demain sera numérique. Nous devons donc encore accélérer, pour que chacun acquière ces compétences.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Je suis satisfaite de constater que vous êtes mobilisée sur ce sujet essentiel pour la France, madame la ministre.

J’attire votre attention sur un dernier point : lors des déplacements de la délégation, nous avons observé qu’il existe une concurrence pour les talents au sein de l’Union européenne. D’autres pays, notamment le Danemark, ont des besoins énormes.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je sais !

Mme Pascale Gruny. Il ne faudrait pas que nos jeunes soient formés en France et partent ensuite à l’étranger. Nous devons donc accompagner les entreprises, afin qu’elles soient en mesure de leur offrir des postes à leur niveau. (Mme la ministre acquiesce.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la ministre, mon interpellation concerne la recommandation n° 24 du rapport réalisé au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises – j’en remercie d’ailleurs les rapporteurs. Elle rejoint la résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation proposée par le groupe socialiste et républicain et adoptée ce matin par le Sénat.

Nous sommes à la veille d’une forte augmentation du chômage et, en même temps, certaines entreprises ne trouvent pas à recruter. Il nous faut donc trouver les moyens de mobiliser les personnes qui vont se retrouver sans emploi pour répondre aux besoins d’autres entreprises.

Comment peut-on penser qu’un État central est en capacité de le faire ? C’est précisément parce que les régions ont la compétence de promouvoir le développement économique qu’il faut leur donner la compétence de l’organisation de l’emploi, mais également celle de l’orientation professionnelle tout au long de la vie, c’est-à-dire à la fois dans le cadre scolaire et au-delà.

Les jeunes prendront ainsi l’habitude de penser l’orientation comme un processus qui se poursuivra tout au long de leur vie. En effet, l’évolution du monde fait qu’ils ne sont plus certains, comme l’étaient leurs aînés, d’exercer pendant quarante années de vie professionnelle, voire davantage, le métier qu’ils décrocheront à 18 ans. Nous devons le faire régionalement, car l’État ne sera pas capable de le faire.

Vous faites référence à la situation de l’Allemagne, madame la ministre, mais ce pays se caractérise par un tissu de PME – en général de plus de 1 000 salariés –, qui sont organisées sur leur territoire et qui défendent leurs intérêts. Le rapporteur Guy-Dominique Kennel connaît comme moi le sujet.

En France, les très grosses entreprises comme les très petites sont accompagnées par une organisation étatique. Or les très petites entreprises, dont la situation doit nous interpeller, ne peuvent être accompagnées que territorialement.

Répondez donc à notre recommandation n° 24, madame la ministre !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Jacques Bigot, depuis trois ans, je constate sur le terrain que l’on progresse lorsqu’il y a un partenariat élevé, que ce soit avec les présidents de région, comme c’est le cas dans les Hauts-de-France avec le dispositif Proch’emploi, dont Pôle emploi est un acteur majeur, avec des communes et des intercommunalités, par exemple dans le cadre de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », ou avec des départements, sur le travail de formation et d’insertion des bénéficiaires du revenu de solidarité active, le RSA, qui demande un partenariat très étroit entre Pôle emploi et les travailleurs sociaux.

En matière de formation, d’emploi et de compétences, aucune institution ne peut considérer qu’elle est la seule réponse. Nous avons besoin à la fois de l’État, de l’ensemble des collectivités territoriales, des entreprises et des clubs d’entreprises, des organisations professionnelles et même des partenaires sociaux.

Le sujet est donc plutôt de trouver l’ingénierie politique et administrative qui nous permet d’être les plus efficaces au service de l’emploi et des formations les plus qualifiantes, en particulier pour les bénéficiaires du RSA et les jeunes décrocheurs.

Nous ne gagnerons pas en opposant l’État et les collectivités, mais en nous mobilisant ensemble, sous des formes qui seront peut-être différentes en fonction des territoires et des publics visés. Si nous parvenons à être efficaces, à obtenir un meilleur rapport entre l’offre et la demande de manière à réduire le nombre d’offres non pourvues et à ne plus laisser personne sur le bord du chemin, nous ferons œuvre utile.

C’est dans cet état d’esprit que je veux multiplier les expérimentations, les initiatives, les partenariats. Nous devons inventer, car il ne faut jamais penser que ce qu’on a déjà fait suffit.

Le contexte de la crise nous appelle à ce niveau d’intérêt général, à cette mobilisation, et je suis prête à aller plus loin dans les mois qui viennent avec toutes les collectivités territoriales, pour améliorer ensemble la mobilisation des acteurs locaux. Je crois que nombre de collectivités y sont prêtes également.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour la réplique.

M. Jacques Bigot. Madame la ministre, vous ne semblez pas comprendre que ce sont les élus qui sont à la tête des grandes régions, des collectivités locales et des intercommunalités qu’il faut mobiliser.

Votre unique intention est de mobiliser la technocratie d’un niveau à l’autre…

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Non !

M. Jacques Bigot. … et de faire en sorte que cette technocratie commande, exactement comme cela s’est passé durant la crise du Covid-19. Les préfets relayaient aux maires les décisions de l’État, par exemple la fermeture des marchés, et cela en dépit des enjeux économiques qu’une telle décision entraînait, et alors même que les maires étaient capables de s’organiser localement pour les ouvrir.

Nous avons vécu cela pendant trois mois. Je veux bien croire que vous n’avez certainement pas vécu la même chose, mais je vous assure que, sur le terrain, les élus locaux ont besoin qu’on leur redonne des compétences.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jacques Bigot. C’est cela, le sens de la décentralisation.

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux entreprises, chère Élisabeth Lamure, messieurs les rapporteurs, chers Guy-Dominique Kennel et Michel Canevet, mes chers collègues, le Président de la République a récemment plaidé pour la reconquête de la souveraineté économique de la France et la relocalisation d’activités stratégiques sur le territoire national.

Cette volonté politique s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large sur la réindustrialisation de notre pays et la relocalisation des emplois. La France a perdu une partie importante de ses capacités de production industrielle, de ses emplois, de ses compétences et de ses savoir-faire – nous le constatons et le déplorons tous dans nos territoires respectifs.

Dans ce contexte, n’est-ce pas une gageure que de vouloir réindustrialiser à tout prix, avec la fausse bonne idée que cette politique permettra de traiter la question du chômage, notamment celui des jeunes, et celle du retour à la prospérité économique ? Ce serait méconnaître que, à 80 %, la perte d’emplois industriels est liée au progrès technique, et que les délocalisations ont répondu à une logique économique.

Ce serait également méconnaître que le faible poids de l’industrie dans notre pays est la conséquence du manque de compétences industrielles. Nos entreprises peinent à se développer parce qu’elles ne trouvent pas les compétences et les capacités dont elles ont besoin dans un certain nombre de spécialités. Nous formons par exemple deux fois et demie moins d’ingénieurs en France qu’en Allemagne.

L’industrie de demain sera celle des robots d’intelligence artificielle. La question de la formation est donc majeure. Florent Menegaux, président de Michelin, a rappelé récemment que nous formons nos élites à des technologies et à un environnement économique du passé, et qu’un travail très important doit être réalisé dans ce domaine.

Madame la ministre, je vous poserai donc trois questions.

Tout d’abord, aussi louable que soit l’ambition de réindustrialiser notre pays, comment comptez-vous procéder pour adapter le système éducatif, aujourd’hui à la peine, au besoin des entreprises industrielles de demain ?

Ensuite, envisagez-vous d’encourager puissamment les formations scientifiques et d’ingénieur, susceptibles d’offrir à ces entreprises les profils et les compétences recherchées ?

Enfin, comment favoriser une plus grande interaction avec le monde de l’entreprise, où, comme le dit fort justement le président de Michelin, l’on doit marier la théorie à l’expérience en la confrontant à la pratique ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Laure Darcos, pourquoi faut-il nous efforcer de réindustrialiser ? Parce qu’un emploi industriel crée quatre emplois. L’une des raisons du fort taux de chômage de la France est que l’on a beaucoup désindustrialisé depuis dix ou quinze ans.

Ce n’est pas une fatalité. Nos voisins et amis allemands, italiens ou des pays nordiques ont moins désindustrialisé, alors qu’ils étaient confrontés aux mêmes difficultés de compétitivité-coût et de délocalisations.

C’est l’un des sujets du pacte productif que j’ai commencé à élaborer avec Bruno Lemaire, pacte qui trouvera sa place dans le plan de relance.

Je vous rejoins sur un point : il y a un paradoxe de la poule et de l’œuf entre les compétences et le développement industriel. Nous avons réformé la formation et l’apprentissage, afin de permettre aux branches et aux entreprises de construire des compétences qu’elles ne trouvent pas. Désormais, elles n’ont plus d’autorisation administrative à demander. Le secteur de l’industrie, qui a été le premier à s’engager dans cette réforme de l’apprentissage, n’est ainsi plus limité.

Tous les grands groupes industriels, ou quasiment, sont en train de développer l’apprentissage, ce qu’ils n’arrivaient pas à faire auparavant, parce qu’ils veulent créer les compétences de demain.

Contrairement à ce que disait M. Tourenne, l’apprentissage n’est pas une formation au rabais. Il permet d’obtenir le même diplôme d’ingénieur, au même niveau intellectuel qu’une formation initiale. Nous faisons le pari de l’investissement dans le capital humain.

Je crois beaucoup à ces universités et ces campus qui mêleront demain – certains le font déjà – des étudiants, des ingénieurs, des apprentis, des élèves, des demandeurs d’emploi et des salariés en formation. Ces campus d’excellence bénéficient du soutien de l’État, mais ils sont souvent d’initiative régionale.

Nous devons aller plus loin dans ce sens, mais cela suppose que nous fassions le pari de l’investissement humain dans les plans d’investissement dans les compétences ; je regrette d’ailleurs que deux régions sur dix-huit n’aient pas souhaité s’associer à cette initiative.

L’apprentissage est une voie formidable. Alors que nous étions depuis toujours à un niveau très bas en la matière, nous sommes en train de regagner du terrain, et je m’en félicite, car l’apprentissage peut contribuer à la fabrication des compétences et assurer un avenir à nos jeunes.

M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.

Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite évoquer l’adaptation du contenu des différentes formations théoriques et technologiques aux réalités quotidiennes du terrain.

Pendant la crise du Covid-19, les entreprises qui avaient innové ont pu réagir. Les Gafam ont réalisé beaucoup de bénéfices, parce que nous avons travaillé par visioconférence et que les livraisons se sont multipliées. Certaines entreprises se sont mieux tirées d’affaire que d’autres.

Il est nécessaire d’inverser la tendance. Nous devons – c’est une suggestion – partir de l’entreprise, de ses besoins, de ses équipements, de ses objectifs pour ses clients et de ses moyens, pour répondre au mieux aux besoins de formation spécifiques.

Les formations que proposent les lycées professionnels et les universités doivent désormais s’inscrire dans une logique territoriale, et non plus uniquement sur la base des vœux des étudiants, qui sont parfois en décalage avec la réalité des possibilités d’intégration et d’insertion professionnelle sur leur territoire.

Dans mon territoire, qui connaît un fort taux de chômage, le départ des jeunes pour des formations a pour effet d’accentuer le vieillissement de la population. De plus, certaines entreprises ne trouvent pas de salariés du fait du décalage entre leurs besoins, et les demandes des jeunes qui reviennent.

Nous peinons aussi à valoriser l’agriculture. Alors que nous sommes un pays à vocation agricole, les jeunes n’ont pas forcément accès aux informations qui les inciteraient à s’orienter vers les filières agricoles et de l’agrotransformation.

Le dernier exemple en date est celui d’une centrale électrique qui, en ce moment même, se tourne vers les énergies propres : c’est très bien pour la transition énergétique ; en revanche, il y a quarante emplois en jeu, parce que la démarche, qui implique une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, n’a pas été suivie d’effets : cette entreprise n’a pas su former à temps son personnel.

Quarante emplois sont donc menacés en ce moment même en Guadeloupe. Il faudrait une nouvelle approche.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Victoire Jasmin. Madame la ministre, compte tenu de vos liens avec les différentes chambres consulaires, je souhaiterais vraiment que vous engagiez une réflexion qui conduise à une révision de l’approche entre les entreprises, les salariés et vos différents services.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Victoire Jasmin, l’enjeu en matière de compétences est important partout sur le territoire. Cela étant, dans les outre-mer, il est vrai qu’il est peut-être encore plus important qu’ailleurs, compte tenu des conditions de mobilité.

Il faut que les jeunes puissent se former et, pour ce faire, aller en métropole ou ailleurs s’ils le souhaitent, mais il ne faut pas qu’ils soient obligés de se déplacer pour se former. Surtout, ils doivent pouvoir réutiliser leur formation pour le développement économique des territoires.

C’est dans cet esprit que, dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, nous investirons durant le quinquennat un demi-milliard d’euros pour la formation des jeunes et des demandeurs d’emploi dans les outre-mer. Cet effort correspond à 8,8 % de l’enveloppe nationale pour une population qui représente une moindre proportion de la population française, un peu plus de 3 %. Il s’agit donc d’un surinvestissement, mais que je crois nécessaire.

Dans cette perspective, il faut évidemment former aux formations immédiatement nécessaires. Vous avez cité l’agriculture, secteur dont les apprentis ont un taux d’embauche exceptionnel, qui s’élève à 80 % ou 90 % à la sortie de leur cursus. Mais encore faut-il attirer les jeunes, et pas seulement des fils et des filles d’agriculteurs. Les filières qui fonctionnent le mieux attirent des jeunes intéressés par le vivant et la nature, qui ont envie d’aller vers ce type de métiers.

Encore faut-il leur offrir cette chance. Cette préoccupation rejoint le sujet de l’orientation, qui doit s’organiser partout sur le territoire. Il faut se montrer résolu, comme nous le faisons actuellement dans le cadre du plan de mobilisation pour l’emploi, que le Président de la République m’a demandé d’animer avec les partenaires sociaux. Nous cherchons à investir d’abord et en priorité dans la jeunesse.

Partout en France, on observe aujourd’hui un afflux de travailleurs détachés. C’est très bien en soi, mais c’est souvent parce que l’on n’a même pas essayé de former nos jeunes. Le travail détaché est un bon complément, une bonne solution de dernier recours quand on n’a pas trouvé les compétences nécessaires.

Toutefois, quand, dix ans de suite, on fait fi des jeunes, en ne leur donnant pas la chance de suivre telle ou telle formation ou d’aller dans telle ou telle filière et que l’on embauche des travailleurs détachés au lieu de prendre des apprentis, on finit par laisser ces jeunes sur le carreau : pour ma part, cela ne me convient pas, et cela fait partie des sujets sur lesquels nous sommes en train de travailler.

Il faut privilégier tout ce qui touche à notre jeunesse, tout ce qui aide les demandeurs d’emploi et nos territoires. En matière de formation, c’est sur ces différents objectifs que l’on doit se concentrer. Le reste est secondaire : on s’en occupera, mais cela vient en plus.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Le confinement lié à la crise sanitaire a mis en lumière les importants besoins en matière numérique et le rôle de ce dernier comme promoteur du télétravail et de l’enseignement à distance.

Par ailleurs, on assiste à une prise de conscience généralisée, en particulier de la jeunesse, sur la nécessité d’une transition écologique pour réduire l’impact de l’activité humaine sur notre environnement. N’en doutons pas, ces deux transitions sont en cours et auront des répercussions, tant sur les métiers que sur les formations.

Je partage dès lors l’analyse de nos collègues rapporteurs, selon laquelle le recrutement, notamment des jeunes, doit être au cœur de nos préoccupations. Le contexte actuel rend d’autant plus insupportable le constat, qui est dressé dans ce rapport, de difficultés de recrutement liées à une inadéquation entre le profil des candidats et le poste. Qui mieux que les acteurs locaux peut pallier une telle difficulté ?

Nos collègues rapporteurs Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel répondent précisément à cette question au travers de l’une de leurs recommandations : celle d’une politique de l’emploi qui se ferait au plus près des territoires et qui serait recentrée autour de la région.

De la même manière, il me semble opportun d’encourager la coconstruction par les établissements d’enseignement supérieur, dont on parle peu, et les acteurs locaux d’une offre de formation qui corresponde exactement aux besoins spécifiques du territoire.

À ce titre, les campus des métiers et des qualifications sont des dispositifs qui méritent, me semble-t-il, d’être renforcés. Ce label permet d’identifier, sur un territoire donné, tout un réseau d’acteurs qui interviennent en partenariat pour développer une large gamme de formations professionnelles, technologiques et générales, centrées sur des filières spécifiques et sur un secteur d’activité correspondant à un enjeu économique régional.

Dans un contexte où tant l’enseignement supérieur que le marché du travail vont connaître d’importantes mutations, mettre tous ces acteurs autour de la table me semble pertinent. Les universités, en particulier, sont en mesure d’être les partenaires essentiels des projets de territoire et gagneraient à se rapprocher des acteurs économiques et de l’emploi.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur les futures orientations du Gouvernement dans ce domaine ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Stéphane Piednoir, sans vouloir être provocante, je vous poserai cette question : mais qu’est-ce qui empêche de faire aujourd’hui tout ce que vous décrivez ? Les régions disposent déjà d’une compétence décentralisée en matière de formation des demandeurs d’emploi. Elles disposent déjà de la compétence sur les lycées et de la compétence économique.

Orienter les dispositifs majeurs de formation en fonction des priorités économiques est donc au cœur de leurs missions et de leurs compétences. Rien n’empêche d’engager le mouvement que vous proposez : les régions peuvent d’ores et déjà utiliser ces leviers.

Lorsque l’État intervient, il le fait en tant que partenaire, pour aller plus loin. Dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, l’État n’apporte des moyens supplémentaires qu’en plus de ce que font les régions, parce qu’il faut accélérer la cadence, tant le nombre de jeunes et de demandeurs d’emploi en déshérence est important.

L’État vient en soutien et, comme je l’ai déjà dit, je regrette que certaines régions – deux seulement pour être exacte – n’aient pas voulu s’associer à cette démarche. Dans ces deux régions, nous nous sommes tournés vers Pôle emploi, qui a d’ailleurs très bien fait le travail et obtenu de bons résultats en termes d’insertion professionnelle.

Aujourd’hui, les leviers et les compétences existent. La question est de savoir comment on s’en empare. Certaines régions sont très innovantes dans ce domaine et mènent de nombreuses actions. Le bilan est bien sûr très inégal sur le territoire national, mais les territoires sont différents – c’est justement l’un des avantages de la décentralisation, me direz-vous, que de les différencier nettement.

Aujourd’hui, c’est un peu comme si vous réclamiez une compétence que les régions ont déjà. Personnellement, je suis toujours partante pour que l’on travaille ensemble. Certains présidents de région réunissent d’ailleurs les acteurs économiques et choisissent les filières qu’ils veulent développer : ils ont aujourd’hui les moyens financiers et les compétences pour le faire. Alors, oui, banco, chiche : travaillons ensemble ! Mais, je le répète, la décentralisation existe déjà…

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Je salue les rapporteurs de la délégation aux entreprises, car ils ont bien travaillé. C’est un rapport d’importance, puisque cela fait déjà de nombreuses années que l’on demande à donner la priorité au développement et au monde économique, aux entreprises. On dit souvent que le mérite revient à l’ensemble des chefs d’entreprise, quelle que soit la taille de celles-ci.

Le rapport comporte vingt-quatre recommandations : beaucoup de problèmes que l’on rencontre au quotidien dans les réunions et dans nos départements respectifs ont été abordés. Je prendrai l’exemple des compagnies consulaires où l’on traite souvent de ces sujets, notamment celui des emplois qui ne sont pas forcément toujours attractifs ou difficiles. Cependant, on l’a vu récemment lors de la crise sanitaire, il y a aussi des jeunes qui se sont investis et dévoués.

On sait que la tâche reste immense et que les problèmes existent de longue date. Certains secteurs rencontrent beaucoup de difficultés à recruter, comme le secteur du bâtiment, des travaux publics, des métiers manuels et difficiles alors que, dans le fond, il existe un lien fort, vous l’avez rappelé, entre les régions, les collectivités territoriales et l’État pour mener ces missions, ainsi que tous les partenaires que sont Pôle emploi ou les missions locales. On sait que les acteurs sont très nombreux et que, pour s’y retrouver, ce n’est pas simple.

On peut regretter les lourdeurs juridiques : certains hésitent à recruter à cause de la complexité du code du travail. Je voudrais savoir, madame la ministre, si vous envisagez des avancées ou une simplification de ce code ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Marc Laménie, vous avez soulevé plusieurs questions importantes. Je répondrais à toutes les interrogations auxquelles je peux répondre.

Vous avez donné à juste titre l’exemple du bâtiment : c’est un secteur intéressant, parce que l’on y observe un problème de recrutement, mais aussi un problème de cible de recrutement. C’est l’un des trois secteurs économiques qui aujourd’hui utilisent le plus le travail détaché.

Aujourd’hui, nous avons fait de gros progrès avec la directive sur les travailleurs détachés. La France était en pointe sur ce sujet : nous avons obtenu cette directive, et cela constitue vraiment une victoire de l’Europe et de la France, car, à partir du mois de juillet prochain, on appliquera le principe : « À travail égal, salaire égal » en France. On ne sera pas encore « à coût égal », car les cotisations ne sont pas les mêmes : c’est notre prochain combat au niveau européen, parce que le dumping social se développe là où les coûts diffèrent.

C’est pourquoi les clauses retenues dans le cadre des travaux de rénovation et de construction prévus pour les prochains jeux Olympiques sont importantes pour moi : elles imposent qu’une partie des heures travaillées soient réservées à l’insertion des personnes en difficulté et aux TPE et PME françaises. Ces dispositions sont très importantes : à un moment donné, il faut être cohérent et investir dans nos propres ressources.

L’opération « 15 000 bâtisseurs », conduite avec la Fédération française du bâtiment, qui en était d’ailleurs à l’origine, a montré que l’on pouvait renverser l’image que renvoient les métiers du bâtiment. Ces métiers attirent plus ou moins, mais cette opération a attiré 20 000 jeunes : il y a eu 20 000 recrutements !

Il faut aussi parler des métiers autrement : ce ne sont pas des tâches, ce sont des activités, qui doivent permettre de se réaliser. Cette réflexion rejoint la discussion que l’on avait tout à l’heure sur l’écologie : les jeunes veulent un métier qui ait du sens et dont ils puissent être fiers. Je crois qu’il faut parler des métiers différemment.

S’agissant du code du travail, il ne vous a pas échappé que vous avez déjà voté une loi d’habilitation, puis une loi de ratification en 2017, qui ont simplifié et allégé ce code – certains nous l’ont reproché, d’autres l’ont salué. Cela étant, le vrai sujet est celui du chef d’entreprise, de la TPE ou de la PME : même si le code du travail a été allégé, celui-ci ne passe pas ses journées à le lire, et je le comprends.

L’année dernière, après un an de travail, les services du ministère ont lancé le code du travail numérique. Si vous consultez ce site, vous verrez que l’on n’y trouve pas la copie du texte du code, mais que l’on peut y poser une question. Par exemple, si vous travaillez dans le bâtiment et que vous voulez savoir quel est le nombre d’heures que vous pouvez faire, vous obtenez directement la loi, le décret ou la convention collective qui vous apporte la réponse à votre question.

Ce code s’est enrichi au fur et à mesure des questions. Il faut simplifier le droit, mais surtout le rendre accessible aux citoyens.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Madame la ministre, même si je confesse modestement ne pas être du tout un spécialiste du numérique, je respecte tout à fait cette initiative. Un certain nombre de collègues ont abordé ce sujet : auparavant, les codes étaient des documents papier, mais il est vrai que, à un moment donné, il faut simplifier les choses.

Les parcours de nos chefs d’entreprise sont semés de beaucoup d’embûches.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. C’est vrai !

M. Marc Laménie. Tout le travail et l’engagement de la délégation, ainsi que les recommandations des rapporteurs, ont permis d’éclairer les débats, mais on sait qu’il reste encore beaucoup à faire.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.

M. Vincent Segouin. Madame la ministre, je viens d’un département, l’Orne, qui abrite des pépites de métiers et d’entreprises de toutes tailles, reconnus parfois mondialement pour leur savoir-faire ou leur intelligence. Pourtant, qui, à part, les dirigeants et les salariés, le sait ?

Les entreprises de ce département ont besoin de main-d’œuvre pour exercer tous les métiers, du plus simple au plus spécialisé. Pourtant, même les enfants de nos territoires ignorent ce qu’il s’y passe vraiment. En même temps, je les pardonne : ils n’y sont pour rien ; c’est simplement parce que leur cursus scolaire ne le permet pas.

Je pense que l’orientation est la solution à condition qu’elle se fasse en partenariat avec les entreprises. Dès la troisième, les collégiens devraient découvrir les métiers qui leur sont offerts sur leur territoire, et à plusieurs reprises.

L’éducation nationale ne doit dorénavant plus ignorer la vie économique d’un territoire, et le monde économique doit aussi saisir cette chance. C’était le premier point de mon intervention.

Par ailleurs, je suis chef d’entreprise. Comme mes collègues, nous avons négligé l’accueil des jeunes et la formation à cause des contraintes imposées par l’inspection du travail à une époque, il faut le rappeler. Mais nous sommes conscients qu’une entreprise n’a pas d’avenir si elle ne forme pas. L’alternance et l’apprentissage à tous les niveaux sont donc d’excellentes choses que nous devons encourager.

Pour accélérer ce processus, ne serait-il pas opportun d’appliquer une réduction sur la taxe sur les salaires pour ceux qui forment et qui forment bien, et, inversement, d’appliquer une majoration pour ceux qui ne forment pas ou mal ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, j’ai habité en Normandie : je suis donc sensible aux charmes de l’Orne. (Sourires.)

Ce n’était pas dans votre question, mais j’ai envie de le dire à cette occasion : avec ce que l’on vient de vivre depuis trois mois, je pense qu’il va se passer des choses en matière d’aménagement du territoire, non pas parce que nous le décidons, mais parce qu’un certain nombre de gens ont décidé qu’ils veulent vivre autrement.

L’expérience du télétravail a créé un quasi-raz-de-marée dans les entreprises. On sait que les deux tiers de leurs salariés ont travaillé en télétravail et que certains voudront en partie continuer de le faire à l’avenir, afin de pouvoir habiter dans une autre région et de ne venir qu’un ou deux jours par semaine à Paris, à Lyon ou à Marseille au siège de l’entreprise. Je le dis, parce qu’il va falloir imaginer des conditions d’accueil innovantes partout sur le territoire, en pensant peut-être à « démétropoliser » le pays, car nous souffrons d’un problème en la matière.

En ce qui concerne l’orientation, je suis pleinement d’accord avec vous. C’est la raison pour laquelle, dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avons donné les clés de l’orientation aux régions. Ainsi, elles doivent pouvoir, avec les entreprises, les branches professionnelles et l’éducation nationale, faire découvrir les métiers.

Effectivement, ce sont 100 % des jeunes de la quatrième à la première, et pas simplement ceux qui veulent s’orienter vers la voie professionnelle, qui bénéficieront chaque année de deux semaines de découverte des métiers.

Il faut être imaginatif : cela peut prendre la forme d’un speed dating ou d’un concours ; cela peut être un apprenti plus âgé qui vient se présenter ; on peut proposer d’aller dans une entreprise. On peut imaginer bien des choses, et certaines régions ont déjà commencé à y réfléchir. Je pense que l’on verra fleurir de nombreux projets intéressants dans les années qui viennent.

Aujourd’hui, les entreprises de plus de 250 salariés qui ne forment pas et ne respectent pas le quota de 5 % de salariés en alternance doivent payer une taxe. Personnellement, je préférerais qu’elles ne payent pas de taxe, mais qu’elles forment. C’est un appel que l’on doit tous lancer aux entreprises : aujourd’hui, le plus utile à faire, c’est d’investir dans la jeunesse. En effet, vous l’avez dit, une entreprise n’a pas d’avenir si elle ne forme pas.

Je suis frappée de constater à quel point la réforme de la formation professionnelle est en train de prendre, et pas seulement dans les grands groupes. Je vois de nombreuses PME s’engager dans cette voie. J’ai visité des PME ayant créé leur propre filière d’apprentissage : certes, cela concerne peut-être douze jeunes, peut-être pour cinq ans, mais ces entreprises créent une solution là où elles ne trouvaient pas de réponse. Parfois, on voit même plusieurs entreprises s’associer dans un bassin d’emploi.

Cette dynamique qui vient du terrain – nous avons juste créé le cadre permettant qu’elle s’enclenche – me donne de l’espoir, parce que c’est aussi de cette manière que l’on apportera des réponses au plus près des besoins et des compétences.

De plus, vous le savez, l’entreprise qui s’est impliquée dans la formation de jeunes a envie de les embaucher par la suite : cette démarche favorise aussi un rapprochement entre l’offre et la demande, ce qui est le but de votre rapport. Cela me permet de remercier à nouveau les rapporteurs pour la qualité de leur travail.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. J’entends bien qu’il y a un changement des habitudes avec le télétravail. Vous avez raison de soulever ce point : les territoires doivent aussi penser à l’avenir et aménager en fonction de cette nouvelle réalité.

Ma question sur l’orientation concernait votre collègue ministre de l’éducation nationale. Je voudrais savoir si celui-ci partage avec vous cet objectif.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Tout à fait !

M. Vincent Segouin. Dorénavant, l’orientation fera-t-elle l’objet de cours spécifiques à partir du collège ? Les collèges s’organiseront-ils pour faire visiter des entreprises et faire voir les différents métiers ? On parle des entreprises, mais ce sont tous les métiers qui intéressent.

Enfin, je vous ai bien écoutée sur la taxe pour les entreprises de plus de 250 salariés. Je regrette juste que l’on applique toujours des boni aux entreprises de plus de 250 salariés, alors que, en moyenne, une entreprise en France n’a que six salariés. Ce serait une bonne chose que de penser à ces entreprises dorénavant.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le rapporteur.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mon cher collègue rapporteur, mes chers collègues, il est assez frustrant de n’avoir que cinq minutes pour conclure le travail d’une année et j’espère que le président fera preuve de générosité chronométrique ! (Sourires.)

Pour moi, cette intervention est non pas une conclusion, mais une ouverture, un espoir aussi, madame la ministre, celui que nos propositions puissent trouver une traduction au bénéfice des entreprises et, bien sûr, de l’ensemble de notre jeunesse.

Madame la ministre, la clé de nos propositions repose sur la logique de notre action : partir tout simplement du terrain, comme l’ont souligné tous les collègues qui se sont exprimés. Nous sommes partis d’une expérience de terrain ; nous avons observé ce qui fonctionne, pour l’encourager ; nous avons observé ce qui ne va pas ou, en tous les cas, ce qui devrait exister, et nous avons fait des propositions concrètes.

C’est ce que nous essayons de faire au travers des vingt-quatre propositions que vous avez sous les yeux. J’ai compris qu’elles avaient été lues : j’espère qu’elles seront pour certaines entendues, voire traduites dans les faits.

Je voudrais vous donner deux ou trois exemples. Tout d’abord, la délégation est exemplaire, parce qu’elle intègre elle-même un apprenti dans son équipe. Nous avons fait la démonstration que l’apprentissage peut fonctionner. À titre personnel, ayant été directeur d’un centre de formation d’apprentis et inspecteur en charge de l’apprentissage plus généralement, je dois vous dire que je suis heureux que l’on découvre enfin les vertus de l’apprentissage.

J’ajoute que les propositions qui ont été faites ici, dans cet hémicycle, comme la loi sur l’apprentissage de 2016, étaient vraiment concrètes ; certaines ont été reprises par le Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons. Comme quoi, le Sénat peut offrir des propositions intéressantes.

Madame la ministre, vous avez dit qu’un certain nombre d’outils existent déjà.

Je vais parler de l’orientation : j’en suis désolé, mais l’orientation n’existe pas en tant que telle : les 54 heures annuelles d’accompagnement à l’orientation ne sont pas incluses dans l’emploi du temps des élèves, elles sont en plus. Aujourd’hui, à l’évidence, l’orientation est déficiente dans notre pays. Si j’étais immodeste, je vous conseillerais tout simplement de lire le rapport que j’ai fait sur l’orientation en 2016 : il comportait un certain nombre de propositions tout à fait concrètes et réalisables.

Vous évoquez également l’amortissement de l’investissement dans la formation, un thème cher à Pascale Gruny. Nous souhaitons que cet amortissement soit pérenne, d’une part, et soit élargi à d’autres secteurs que ceux qui existent aujourd’hui, d’autre part. Vous le voyez, là encore, les instruments existent, mais ils sont perfectibles, j’en suis intimement convaincu.

Sur ces travées, nous avons tous le souci de la réussite, celle des entreprises, évidemment, celle de nos territoires, mais aussi la réussite de l’ensemble de notre jeunesse. Et si nous proposons, par exemple, que la région prenne la main, ce n’est pas pour que celle-ci devienne le seul opérateur dans ce domaine. Nous souhaitons tout simplement qu’il y ait un pilote dans l’avion pour l’ensemble des opérations, et nous pensons que la région serait probablement l’acteur idoine.

En matière d’orientation, elle dispose déjà d’un certain nombre de compétences, mais elle n’a aucun pouvoir, notamment sur le personnel de l’éducation nationale. Là encore le dispositif existant est largement perfectible. Si nous pouvions donner un peu plus d’espoir à nos jeunes, ce serait une bonne chose.

En conclusion, madame la ministre, je dirai tout simplement : gagnons du temps ! Vous avez sous les yeux vingt-quatre propositions, certes perfectibles, mais faites-en les vôtres, faites en sorte qu’elles se réalisent sur le terrain le plus rapidement possible. Nous nous en réjouirons tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée lundi 29 juin 2020 :

À seize heures et le soir :

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (texte de la commission n° 550, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

 

nomination dun membre dune délégation sénatoriale

Le groupe socialiste et républicain a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux entreprises.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Marie-Noëlle Schoeller est membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, en remplacement de M. Martial Bourquin.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication