PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 9 (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
 

5

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Patrice Gélard, qui fut sénateur de la Seine-Maritime de 1995 à 2014. Un hommage lui sera rendu ultérieurement par M. le président du Sénat.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
Discussion générale (suite)

Exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne (proposition n° 317, texte de la commission n° 533, rapport n° 532).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis ému d’apprendre le décès de votre ancien collègue Patrice Gélard, que j’ai eu l’occasion de bien connaître. J’ai une pensée pour toute sa famille.

Le numérique apporte son lot d’opportunités nouvelles. Nous avons eu l’occasion de le vérifier au cours des derniers mois. La crise sanitaire nous a obligés à réinventer notre rapport à la culture et à l’éducation, à repenser nos moyens de communication et nos modes de travail. À bien des égards, c’est le numérique qui nous a permis de continuer à vivre en ces temps troublés.

Cependant, il apporte également son lot de risques. Là encore, la période singulière que nous venons de vivre l’a rappelé : le harcèlement en ligne n’a pas cessé, bien au contraire. J’en veux pour preuve la recrudescence des actes de pornodivulgation sur Snapchat – ce n’est qu’un exemple parmi d’autres des nombreuses menaces qui ont émergé avec le numérique.

Face à ces menaces, nous avons une responsabilité : celle de faire respecter les règles par tous, de les adapter s’il le faut, de combler les vides juridiques afférents à ces nouveautés, avec pragmatisme, avec ambition, avec résolution, sans renoncer à nos principes et sans nous résigner. Ce n’est pas parce que les géants du numérique sont des « géants », en effet, qu’ils peuvent échapper à toute régulation. Non, internet n’est pas un espace de non-droit.

Je veux vous le dire avec force : nous partageons le même état d’esprit. Nous ne pouvons pas nous contenter de ne rien faire alors que notre souveraineté est accaparée par des acteurs numériques étrangers. Il nous faut donc agir.

C’est cet état d’esprit qui présidait hier à la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, ainsi qu’à la directive sur le droit d’auteur, dont vous avez déjà assuré une partie de la transposition, pour ce qui concerne le droit voisin des éditeurs de presse. Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement de David Assouline, de votre commission de la culture et du Sénat tout entier sur ce sujet : votre action a permis de prendre les devants, d’anticiper la directive européenne et d’aller vite une fois celle-ci adoptée. Le reste de la directive, qui était très attendue par les acteurs de la création, sera transposé prochainement, et nous aurons très bientôt l’occasion d’en parler avec les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

C’est ce même état d’esprit qui préside au texte que vous examinez aujourd’hui. Il étend à l’univers numérique une protection qui existe déjà pour les enfants du secteur du spectacle et les enfants mannequins.

Ce texte s’inscrit dans la lignée du discours tenu par le Président de la République devant l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco, le 20 novembre dernier. Le Gouvernement tout entier, rappelait-il, est mobilisé pour la protection de l’enfance, aux côtés du secrétaire d’État chargé de ce sujet, Adrien Taquet.

La discussion de cette proposition de loi en est une preuve supplémentaire : la protection des enfants dans l’espace numérique est une priorité du Gouvernement, et nous sommes en train de renforcer cette protection.

Nous voulons notamment mieux protéger les mineurs contre la pornographie en ligne. La directive Services de médias audiovisuels y contribue. Elle impose aux plateformes de partage vidéo de mettre en place des mesures pour empêcher l’accès des mineurs aux contenus qui leur sont particulièrement préjudiciables, parmi lesquels figurent les contenus pornographiques. Elle sera rapidement transposée.

La proposition de loi de la députée Bérangère Couillard, que vous avez adoptée à l’unanimité il y a deux semaines, va également dans ce sens. Elle a permis de préciser, dans le code pénal, que le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l’accès des mineurs à la pornographie. Il s’agissait là d’un engagement du Président de la République, que le Gouvernement a soutenu, permettant sa traduction dans la loi.

Sur le modèle de ce qui existe pour les jeux en ligne, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, sera chargé de vérifier que les sites contrôlent l’âge des internautes qui les fréquentent, sans quoi les fournisseurs d’accès bloqueront la diffusion des sites concernés en France. C’est le moyen le plus efficace de protéger les mineurs.

Un comité de suivi a en outre été mis en place pour encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux, avec une obligation de résultat dans les six mois. Ce comité implique l’ensemble des acteurs concernés, ainsi que les associations. C’est l’un des chantiers que conduisent en commun le CSA et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ; de tels travaux ont vocation à se multiplier, et je m’en félicite. Je salue, en l’espèce, l’engagement de Roch-Olivier Maistre et de Sébastien Soriano, présidents respectivement du CSA et de l’Arcep, pour mener à bien cette coopération entre régulateurs, qui sonne comme un rappel : nous n’arriverons pas seuls à protéger efficacement les enfants des dangers du numérique ; pour protéger, il faut s’unir.

Cette ambition, nous devons par conséquent la promouvoir au niveau européen, parce que l’Europe est notre meilleure protection – j’ai eu l’occasion de le dire à de multiples reprises à cette tribune. Face aux géants du numérique, elle est même notre seule protection efficace et crédible. Devant eux, nous ne ferons le poids que si nous faisons front commun. C’est le cas pour la question de la protection de l’enfance, comme c’était le cas pour la question du droit voisin, et comme cela sera évidemment le cas pour d’autres sujets à l’avenir.

Justement, la Commission européenne prépare en ce moment même sa stratégie numérique. Elle vient de lancer une consultation publique sur la future législation relative aux services numériques, le Digital Services Act, qui doit permettre de renforcer le marché commun et de clarifier les responsabilités en matière de services numériques. Il y a là, pour nous, une véritable occasion de promouvoir la vision française en la matière, par des initiatives ambitieuses concernant la régulation des contenus et la responsabilité des plateformes numériques.

Je suis pleinement mobilisé, avec mon collègue Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, et je sais que vous êtes nombreux à vous être penchés sur ces sujets ; je vous en remercie. Je pense en particulier à vous, évidemment, madame la présidente de la commission de la culture du Sénat, chère Catherine Morin-Desailly, et à votre engagement réitéré concernant la défense de la souveraineté numérique. Cet engagement ne sera pas vain : il nous sera éminemment utile pour bâtir la régulation européenne de demain.

Cette régulation devra être à la fois souple et exigeante.

Souple, d’abord : le monde numérique change rapidement, et la régulation doit pouvoir changer tout aussi rapidement ; il faut donc fixer des objectifs, mais laisser les acteurs choisir les solutions les plus adaptées.

Exigeante, ensuite ; cette exigence, nous l’atteindrons en dotant le régulateur de moyens pour contrôler les efforts et les résultats des plateformes, ainsi que pour sanctionner les manquements à leurs obligations.

La question de l’accès aux contenus est essentielle, mais elle ne saurait être seule à être prise en considération.

Justement, le texte de loi que vous examinez a pour objet une situation différente. Il vise à protéger non pas les enfants qui sont spectateurs de contenus vidéo, mais ceux qui en sont les acteurs. Il vise à protéger non pas les publics, mais les créateurs. Or, depuis quelques années, les créateurs de vidéos se sont multipliés de manière exponentielle, sur YouTube principalement, mais aussi sur TikTok, Twitch ou, hier, Vine.

Les plateformes de partage de vidéos sont, le plus souvent, une chance. Ce sont des espaces de liberté. Il s’y déploie une extraordinaire créativité. Des talents formidables s’y expriment, s’y révèlent, se trouvent un public, sans intermédiaires : talents pour raconter des histoires, talents artistiques, musicaux, comiques… Ces plateformes sont aussi une source de revenus pour les créateurs. Avec la monétisation des contenus, certains en ont même fait leur activité professionnelle – ils sont parfois qualifiés d’« influenceurs ».

Néanmoins, aujourd’hui, de plus en plus de vidéos, de plus en plus de chaînes sont consacrées à l’exposition d’enfants. Des enfants sont mis en scène en train de jouer, de manger, de cuisiner. Évidemment, derrière, ce sont souvent les parents qui sont aux manettes, qui mettent en scène leurs enfants, qui réalisent les vidéos, qui, le cas échéant, imposent un rythme de tournage ou certains types de contenus ou de produits commerciaux. Ce sont les parents qui, in fine, récupèrent la rémunération.

Le risque pour les enfants est évident. Avec cette loi voulue par Bruno Studer, le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, et par les députés, il s’agit de mieux protéger ces enfants « influenceurs ».

Pour protéger, il faut encadrer. Cela implique de faire entrer cette activité dans le droit commun du code du travail, pour le cas où l’activité des mineurs est assimilable au travail salarié. C’est déjà le cas – je le disais – pour les enfants qui jouent dans une pièce de théâtre, dans un film, ou qui font du cirque. Je salue d’ailleurs l’engagement de ma collègue Muriel Pénicaud en ce sens.

Cela implique également de créer un régime de déclaration administrative, pour le cas où il ne s’agit pas de salariat, mais où le nombre et la durée des contenus ou le montant des revenus liés à la diffusion des vidéos justifient une vigilance particulière et une pédagogie auprès des parents.

Pour protéger, il faut s’unir, associer les plateformes numériques à ce combat, les responsabiliser en matière d’information des parents sur la réglementation et de lutte contre les situations d’abus.

Enfin, pour protéger, il faut garantir le droit à l’oubli. C’est ce que proposent les auteurs de cette proposition de loi pour les mineurs figurant sur des vidéos mises en ligne sur les plateformes numériques. Il importe tout particulièrement que le mineur n’ait pas besoin de demander l’autorisation de ses parents pour faire valoir ce droit.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé à ce texte. Je remercie en particulier le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, Bruno Studer, d’avoir déposé cette proposition de loi, et le rapporteur du texte au Sénat, Jean-Raymond Hugonet. Nous avions déjà travaillé ensemble sur la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, dont vous étiez également rapporteur, monsieur Hugonet. C’est une nouvelle fois un plaisir de travailler avec vous.

Ce texte est nécessaire, même indispensable. Le Gouvernement a donc souhaité participer activement à ce travail législatif. Tel est le sens des amendements que je souhaite vous soumettre au nom du Gouvernement ; l’un est rédactionnel, l’autre vise à préciser les règles applicables aux annonceurs afin de renforcer la réalité juridique du régime des sanctions, au regard notamment du principe de légalité des délits et des peines.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si cette proposition de loi est nécessaire, elle n’est malheureusement pas suffisante. Il nous faut, plus largement, lutter contre l’exposition précoce des enfants aux écrans ; c’est l’objet d’une proposition de loi que je vous remercie d’avoir présentée, madame la présidente Catherine Morin-Desailly.

Il nous faudra aussi mobiliser les services de l’État pour détecter les situations particulièrement problématiques et garantir sans relâche la protection de l’enfance. Sur ce sujet, je peux vous assurer de la mobilisation pleine et entière du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. le rapporteur et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui se situe à la convergence de deux préoccupations essentielles.

La première d’entre elles est la protection des mineurs.

Le travail des enfants est interdit dans notre pays depuis la loi de 1874. Pensons bien sûr aux Misérables de Victor Hugo ou à l’œuvre de Charles Dickens, qui ont contribué, au XIXe siècle, à l’éveil des consciences sur ce sujet. Les rares dérogations à ce principe, qui concernent les enfants du spectacle et du mannequinat, sont soigneusement encadrées par la loi. Il faut bien le dire, l’enfance n’est pas le temps du travail et des préoccupations professionnelles. Si l’on peut concevoir une activité limitée, il nous appartient de préserver ce temps de l’insouciance.

Or, si la révolution numérique a ouvert de nouveaux espaces de liberté et de créativité, ce dont il faut se réjouir, elle a également permis le développement de nouvelles formes d’exploitation, d’autant plus insidieuses qu’elles ont l’air parfaitement innocentes et ludiques. Il ne s’agit plus de travail « à la mine », certes, mais, depuis plusieurs années, les chaînes mettant en scène des enfants filmés par leurs parents se multiplient sur les plateformes de partage de vidéos en ligne.

Certaines d’entre elles bénéficient, en France et dans le monde, d’une audience très importante, qui peut atteindre plusieurs millions d’abonnés et des dizaines de millions de vues. Il arrive qu’elles représentent, de surcroît, une source de revenus importante pour les parents, par le biais de la publicité et des placements de produits.

Comment croire, dès lors, à la fiction soigneusement entretenue de vidéos tournées et produites de manière « naturelle », sans pressions ni contrainte ?

Quand des sommes aussi considérables que celles qui ont été évoquées durant les auditions – parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois ! – sont en jeu, comment penser une seule seconde que l’équilibre de ces enfants est préservé ?

Or – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – il n’existe, à l’heure actuelle, aucun cadre, aucune garantie pour protéger ces enfants dits « youtubeurs », en termes de temps de tournage et de partage des bénéfices notamment.

Le grand mérite de la proposition de loi de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, qui a été adoptée à l’unanimité par les députés, est de commencer à constituer un cadre juridique qui réponde à ces nouveaux défis. Je tiens d’ailleurs à saluer la présence en tribune de M. Bruno Studer, qui marque ainsi son engagement total sur ce texte et son respect pour les travaux du Sénat.

Protéger : tel est, en un mot, l’objet de la présente proposition de loi, qui s’inscrit dans un mouvement amorcé depuis déjà plusieurs années, consistant à réguler internet pour éviter que celui-ci ne soit un espace de non-droits, « sans foi ni loi ». C’est là un exercice délicat pour le législateur, qui doit mettre en balance la sauvegarde des libertés publiques, au premier rang desquelles figure la liberté de communication, et la protection du « vivre ensemble » et des plus vulnérables.

La récente décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi Avia visant à lutter contre la haine en ligne nous a montré, si besoin était, qu’il fallait suivre un chemin de crête particulièrement étroit et que l’on a toujours intérêt à écouter très attentivement, en la matière comme en bien d’autres, les justes préconisations de Philippe Bas, éminent président de la commission des lois du Sénat.

Mme Catherine Deroche. C’est vrai !

M. Stéphane Piednoir. C’est évident !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je souhaite attirer votre attention sur trois points qui font, selon moi, la pertinence de ce texte.

En premier lieu, cette proposition de loi prend en compte la nature profondément mouvante de l’espace numérique et la pluralité des pratiques qui s’y développent.

Ses auteurs ont ainsi veillé à distinguer les vidéos « professionnelles » des vidéos « amateurs » et de celles, enfin, qui s’inscrivent aujourd’hui dans une « zone grise », jouant sur la porosité des frontières entre travail et loisir. Plusieurs régimes juridiques sont définis pour s’adapter au mieux à la diversité des situations rencontrées.

Ce souci du réel se retrouve aussi dans la disposition qui élargit le fameux « droit à l’oubli ». Les mineurs pourront désormais exercer ce droit sans le consentement de leurs représentants légaux, lesquels peuvent avoir un intérêt au maintien de certains contenus en ligne.

En deuxième lieu, cette proposition de loi a le mérite de placer chaque acteur face à ses responsabilités, ce qui n’est pas superflu.

Les parents, tout d’abord, sont les premiers responsables non seulement de ces vidéos, mais surtout de la sauvegarde du bien-être de leur enfant. Hélas, ils sont encore trop nombreux à ne pas mesurer les risques d’une telle exposition de l’image de leur enfant sur internet, d’où la nécessité et l’urgence de mieux éduquer l’ensemble de la société aux enjeux du numérique – sujet cher à notre présidente Catherine Morin-Desailly.

Je salue d’ailleurs l’excellente initiative de notre collègue Sylvie Robert, qui propose, par un judicieux amendement, d’élargir les obligations de sensibilisation des plateformes en direction des mineurs eux-mêmes.

Mme Catherine Deroche et M. Stéphane Piednoir. Très bien.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Au-delà de celle des parents, ce texte prévoit, dans les limites autorisées par le régime protecteur de la directive e-commerce, une responsabilisation des plateformes. Celles-ci auront pour obligation d’adopter, sous le contrôle du CSA et de Roch-Olivier Maistre, des chartes destinées par exemple à favoriser la mise en place de procédures de signalement par les utilisateurs des contenus problématiques portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité d’un mineur.

Soulignons enfin que, si ce texte n’a vocation à s’appliquer qu’à une minorité d’enfants et de parents, sa portée symbolique est considérable. Combien de parents rêvent, devant leurs écrans, en contemplant le succès de quelques-uns ? Combien d’enfants envient l’existence de ces jeunes stars inondées de cadeaux ?

Lors de ses travaux, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a veillé en particulier à la qualité rédactionnelle du texte et s’est attachée à préciser certains points dans le sens d’une meilleure garantie des droits des mineurs.

Dans un souci de transparence et de pédagogie, il nous a également semblé essentiel d’assurer aux parents une meilleure information sur le contenu de leurs obligations financières – je remercie une nouvelle fois notre collègue Laurent Lafon pour ses amendements en ce sens.

Soyons clairs : les auteurs de cette proposition de loi ne prétendent pas traiter l’ensemble du sujet de la protection des mineurs sur internet, ni même apporter une réponse parfaite à un phénomène que nous savons complexe. J’entends les interrogations qui subsistent quant à l’effectivité du texte. Il appartiendra certainement à la jurisprudence d’affiner, au fur et à mesure, les distinctions entre ces nouveaux régimes juridiques.

Néanmoins, mes chers collègues, cette proposition de loi est – j’en suis intimement persuadé – la solution la plus convaincante dont nous disposons à ce stade. Là où règnent pour l’heure le vide et le silence, elle institue un cadre voulu équilibré, pionnier à l’échelle internationale, mais surtout protecteur et à même de garantir l’intérêt de l’enfant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, LaREM et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, le Parlement est amené à réfléchir et à légiférer sur l’exposition aux écrans des mineurs, en particulier des jeunes enfants, la nature de cette exposition ayant fortement évolué avec l’émergence du numérique. Je citerai l’examen de la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique et le débat sur la proposition de loi visant à lutter contre l’exposition précoce des enfants aux écrans, déposée par la présidente de la commission de la culture du Sénat.

Aujourd’hui, nous sommes conduits à discuter de l’exploitation commerciale des vidéos mettant en scène des mineurs de moins de 16 ans mises en ligne sur des plateformes de partage telles que YouTube. Dans leur finalité, les différents textes précités se rejoignent : ils ont pour objet de protéger les enfants en tenant compte de l’évolution des usages, et singulièrement des usages numériques.

Après l’euphorie des premières années internet, nous avons collectivement pris conscience que l’entrée dans la « troisième révolution industrielle » s’accompagnait d’enjeux auxquels il s’avérait absolument impératif d’apporter des réponses : protection des données, notamment des données à caractère personnel, séparation entre vie professionnelle et vie privée, éducation au numérique, régulation des Gafam.

La protection des mineurs à l’égard du numérique et de toute forme d’exploitation fait partie intégrante de ces défis contemporains, d’autant que notre arsenal juridique, en la matière, est encore bien léger.

Le numérique soulève en effet des questions aiguës concernant les droits des mineurs. Notre ordre juridique interne, reposant sur le postulat selon lequel ses représentants légaux agissent au nom du mineur, n’est pas suffisamment opérant ni approprié pour appréhender l’ensemble des usages numériques et protéger ainsi efficacement les mineurs.

Progressivement, la législation évolue, octroyant directement des droits aux mineurs ; ainsi de l’article 56 de la loi de 2016 pour une République numérique : « le mineur âgé de quinze ans ou plus peut s’opposer à ce que les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale aient accès aux données le concernant recueillies au cours [de projets de recherche] ». L’article 5 de la présente proposition de loi est une autre illustration probante d’une telle évolution, puisqu’il confère aux mineurs un droit à l’oubli sans que le consentement des titulaires de l’autorité parentale soit requis.

En d’autres termes, nous sommes bel et bien dans une phase de régulation consécutive à l’augmentation exponentielle des usages du numérique, ayant pour objet de préserver les équilibres sociaux et de renforcer les droits des personnes, notamment des plus vulnérables, ainsi que l’effectivité de ces droits.

Ainsi, cette proposition de loi comble un vide juridique afférent à une pratique de plus en plus courante : la réalisation et la publication de contenus mettant en scène des enfants sur des plateformes en ligne. Plus précisément, elle crée deux régimes juridiques distincts pour ces « enfants youtubeurs », l’un, aligné sur le régime applicable aux « enfants du spectacle », valant pour une pratique professionnelle, l’autre, détaillé à l’article 3, concernant une pratique semi-professionnelle.

Ces deux régimes visent à protéger l’enfant et à lui assurer que les bénéfices qui pourraient être tirés par les parents de l’exploitation commerciale de ces vidéos lui sont réservés. Il ne faut pas omettre que certains comptes ont des millions d’abonnés et génèrent des revenus substantiels qui, actuellement, peuvent totalement échapper aux mineurs, alors même qu’ils sont les acteurs principaux.

Par-delà l’aspect matériel et financier, les auteurs de ce texte insistent surtout sur l’information et la pédagogie nécessaires à destination des parents et du public s’agissant de la réalisation et du contenu de ces vidéos. Il est en effet indispensable de porter une vive attention aux risques, notamment psychologiques, inhérents aux conditions et à la fréquence de production de ces vidéos, mais aussi – vous l’avez dit, cher rapporteur – au respect de la dignité physique et morale de ces enfants, en veillant à ce que les contenus mis en ligne n’y portent aucunement atteinte.

Cependant, étrangement, cette sensibilisation, essentielle, qui passe notamment par la responsabilisation des plateformes, lesquelles devront édicter des chartes, ne s’adresse pas aux principaux acteurs concernés, c’est-à-dire aux mineurs eux-mêmes. Pourtant, il s’avère fondamental de faire preuve de pédagogie à leur égard, dans un souci d’éducation, de responsabilisation et de protection.

C’est pourquoi nous proposons d’informer et d’alerter ces mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image, tant sur leur vie privée qu’en termes de risques psychologiques et juridiques, ainsi que sur les moyens dont ils disposent pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique. Cette disposition serait de nature à renforcer la protection de leurs droits à l’ère numérique, en favorisant l’appropriation de ces droits et en permettant un accompagnement direct des mineurs concernés. Elle permettrait également d’englober dans le périmètre de cette proposition de loi les mineurs de moins de 16 ans qui réalisent et diffusent par eux-mêmes des vidéos – ils sont nombreux dans ce cas – sans avoir nécessairement conscience des risques qui en découlent.

Cette logique alliant pédagogie et responsabilisation est pertinente pour garantir l’effectivité des droits de ces mineurs. Ainsi, la disposition de l’article 5 leur permettra de se prévaloir, en dehors de toute autorité parentale, d’un droit à l’effacement de leurs données personnelles sur les plateformes. J’aimerais d’ailleurs rappeler qu’un problème aigu se pose, sur ce point, s’agissant des plateformes où peuvent être postées des vidéos temporaires – je pense notamment à TikTok –, l’absence de visibilité de ces contenus ne signifiant nullement leur effacement.

Nous le voyons, mes chers collègues : sur tous ces sujets, notre droit est en construction. Souhaitons qu’il soit respecté par tous, mais n’oublions pas que, face à la « perfusion numérique » et à l’omniprésence des écrans, la pédagogie est indispensable. Elle doit devenir une priorité, notamment à l’école. Le présent texte va bien sûr dans le bon sens, et les membres du groupe socialiste et républicain seront très heureux de le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)