Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Madame la ministre, vous n’avez commencé à répondre à ma question qu’à la toute fin de votre intervention !

À l’heure actuelle, les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air sont mises à l’écart. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.) Elles vous fournissent certes des informations, mais elles ne sont pas en première ligne, aux côtés de l’État, dans le temps de la communication. Vous levez les yeux au ciel : il s’agit pourtant d’un constat bien réel dont fait état le rapport de la commission d’enquête. Pour connaître également un peu ce dispositif, je puis vous garantir qu’il est temps de vous ressaisir !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.

Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, en 2013, une fuite de mercaptan s’est produite à l’usine Lubrizol. On constate alors une défaillance dans la communication, en direction des populations et des élus.

En 2019, les riverains de l’usine Lubrizol, à Petit-Quevilly, sont réveillés, le 26 septembre vers trois heures du matin, par des explosions, bien avant les premières alertes officielles, et sortent dans la rue, inquiets, s’exposant directement aux fumées et aux produits toxiques.

Enfin informée, Mme la maire de Petit-Quevilly déclenche le système d’alerte à six heures onze. Mais les populations et les élus des autres communes affectées, de la rive gauche comme de la rive droite, devront encore attendre. Ce n’est qu’à sept heures quarante-cinq que la préfecture déclenchera les sirènes d’alerte pour les informer. De nombreux élus vont protester contre ce traitement inadapté de l’information par les services de l’État.

Le rapport de la commission d’enquête pointe du doigt une réelle défaillance de communication de la part de ces derniers dans la gestion de cette crise. À vouloir éviter la panique, ils ont créé un vide propice à l’inquiétude et à l’angoisse.

De plus, la sous-exploitation des réseaux sociaux par ces mêmes services n’a pas permis de diffuser des explications sur le déroulement des événements ni d’informer les populations sur les conduites à tenir. Contrairement à d’autres préfectures, celle de Seine-Maritime n’a pas signé de convention qui lui aurait permis d’analyser la crise médiatique et de détecter, en amont, les activités sur les réseaux sociaux, pour mieux les maîtriser.

Or, au cours d’une visite par la commission dans la vallée de la chimie, à Lyon, nous avons constaté qu’il est possible aux grands acteurs, publics et privés, de travailler en concertation sur les stratégies de communication de crise. Ne faudrait-il pas faire de cette initiative une règle sur notre territoire ?

Chez nous, le 26 septembre, il fut bien difficile de faire la part des choses entre mesures de mise à l’abri, de confinement, voire absence totale de consignes.

Madame la ministre, vous avez mentionné le système d’alerte du Cell Broadcast et vous avez annoncé qu’il serait mis en place en 2021. Pourquoi ne pas déployer dès maintenant de tels moyens ? Faudra-t-il qu’un autre accident grave survienne pour que notre pays se décide enfin à tirer rapidement les leçons de la gestion pour le moins insatisfaisante de cette crise, afin de protéger nos concitoyens ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Un retour d’expérience sur la communication de crise, dont je rappelle qu’elle ne relève pas directement de mon ministère, s’imposait. Il est donc en cours pour clarifier et moderniser la doctrine de communication de l’État, à l’échelle centrale comme à l’échelle locale.

Il s’agit aussi d’avoir un meilleur suivi de l’activité des réseaux sociaux de façon à identifier très en amont les attentes du public et de prévenir, le cas échéant, la diffusion de fausses nouvelles. Il importe d’adapter le contenu des messages pour répondre davantage aux attentes du grand public.

Nous devons pouvoir nous appuyer, pour la communication de crise comme pour l’information et l’alerte des populations concernées, sur des moyens plus modernes. Nous allons passer du système actuel des sirènes au dispositif du Cell Broadcast. Le ministère de l’intérieur travaille à la généralisation de celui-ci en 2021, comme le prévoit la directive européenne.

S’agissant de la décision prise durant la crise d’attendre le matin pour déclencher les sirènes, les analyses des missions interministérielles confirment qu’il aurait été finalement inapproprié de faire sortir de chez eux les riverains la nuit en déclenchant la sirène avant d’avoir mis en place les moyens permettant de maîtriser l’incendie.

Le ministère de l’intérieur est en train de se pencher sur tous ces sujets, qu’il s’agisse des outils de communication ou des outils d’alerte des populations. En tout état de cause, il importera de tirer toutes les leçons de cet accident.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, ma question porte sur la reconnaissance et, par voie de conséquence, sur la place que l’État compte accorder à l’avenir aux élus dans la gestion de crises et de catastrophes industrielles ou environnementales.

En effet, comme d’autres dans cette enceinte, élue directement de ces territoires, présente dans les heures et jours qui ont suivi l’incendie, je peux porter témoignage, comme je l’ai fait dès le lendemain en posant une question d’actualité au Gouvernement, de la gestion de cette crise et de l’absence regrettable d’information claire et immédiate délivrée aux maires des communes limitrophes, mais également aux maires des 112 communes, voire davantage, affectées par le nuage de fumée.

Est-il normal que le système Gestion de l’alerte locale automatisée (GALA) n’ait fonctionné que dans l’après-midi ? Est-il normal que ce soient les gendarmes qui soient venus informer les maires pour leur demander s’ils avaient remarqué quelque chose d’étrange dans leur commune ?

Dès lors, comment les élus peuvent-ils répondre aux inquiétudes de leurs administrés ? Comment peuvent-ils relayer les bonnes consignes ?

C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à inscrire dans le marbre, par voie d’amendement, dans la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique l’obligation d’informer les élus en cas d’événement grave. Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que cette disposition ne restera pas lettre morte ?

Autre problème, selon la commission d’enquête, « 62 % des élus font part d’un manque d’information sur les risques industriels et 78 % sont peu ou pas associés aux exercices de sécurité civile ». Ces chiffres sont très mauvais. Comment comptez-vous concrètement développer à travers la formation une vraie culture du risque, ainsi qu’une capacité à prévenir et à anticiper ?

Alors que vont s’installer les nouvelles intercommunalités, êtes-vous prête à accompagner les élus, humainement et financièrement, dans des zones à risque telles que les nôtres pour l’élaboration des plans communaux de sauvegarde ? Je pense, notamment, aux communes rurales particulièrement démunies qui ont pu mesurer, hélas !, les conséquences sur l’environnement et l’agriculture.

Enfin, cet épisode montre l’obsolescence du système d’information de l’État. Vous avez évoqué le dispositif du Cell Broadcast. Êtes-vous prête à faire confiance aux élus directement concernés dans notre département ? Je pense à la maire de Port-Jérôme-sur-Seine, qui milite de longue date pour que sa commune puisse expérimenter la diffusion cellulaire que nous préconisons dans notre rapport. Elle n’a, semble-t-il, jusque-là reçu aucune réponse ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, je suis convaincue que les élus des communes voisines d’un établissement classé Seveso doivent être associés à la fois en termes d’informations préalables, mais aussi en cas de situation de crise. Cette démarche mérite d’être systématisée, sur un périmètre pertinent en fonction de la nature de l’installation et de l’accident. En l’occurrence, tous les élus concernés par le panache pouvaient légitimement souhaiter être informés de la situation et de son évolution. Cela fait partie du retour d’expérience que nous allons analyser.

Pour ce qui concerne le ministère de la transition écologique et solidaire, je rappelle que les élus sont associés à nos réflexions dans les commissions de suivi de site et dans les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels. Ils ont également communication du document départemental sur les risques majeurs, document sur la base duquel ils élaborent leur propre document d’information communal sur les risques industriels majeurs. Tout cela est sans doute trop formel. Il est donc important de réfléchir à un moyen de mieux les associer, de façon plus interactive, à la préparation, à la prévention et à la gestion des crises.

Le ministère de l’intérieur, de son côté, réfléchit à la manière dont les élus pourraient systématiquement être sollicités, notamment dans le cadre des exercices sur les plans particuliers d’intervention. Il est essentiel que les élus et l’État puissent travailler main dans la main face à ce type d’accident. Il est effectivement très important de développer cette culture du risque chez nos concitoyens, mais aussi de la partager avec les élus.

À cet égard, j’ai fait parvenir à l’ensemble des élus une boîte à outils pour les informer de tous les moyens à leur disposition sur ce sujet des risques, notamment en termes de transition écologique.

Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi.

M. René Danesi. Madame la ministre, l’excellent rapport de la commission d’enquête relève que notre organisation de la gestion de crise est inadaptée aux risques industriels et technologiques majeurs. La réglementation et les contrôles auxquels sont soumises les entreprises classées Seveso apparaissent insuffisants au regard des risques pris par certaines d’entre elles.

Selon le journal Le Monde du 7 février dernier, les dirigeants de Lubrizol étaient alertés depuis 2014 par les rapports de risques établis annuellement par leur assureur, FM Global, sur les failles de leur dispositif anti-incendie. Mais ils n’ont pas estimé utile de réagir, car selon eux « les équipements de Rouen étaient, au jour de l’incendie, conformes à la réglementation en vigueur » !

Le rapport du Sénat souligne non seulement l’insuffisance des contrôles de l’administration, mais aussi la mauvaise information des pouvoirs publics par certaines entreprises. Ainsi, l’administration n’avait pas connaissance de tous les produits stockés ni de leur quantité.

Certes, l’instruction du Gouvernement du 31 décembre 2019 recommande « de confronter les éléments présentés par l’exploitant dans des documents, comme les études de dangers, avec la réalité du terrain ».

Certes, le rapport sénatorial suggère prudemment d’établir « d’éventuelles passerelles entre l’administration et les assureurs, au-delà de la synthèse réalisée par l’exploitant ».

Mais cela ressemble à des vœux pieux. Ma question est la suivante : le Gouvernement envisage-t-il de contraindre, par voie réglementaire ou législative, les exploitants d’usines de type Seveso haut à communiquer immédiatement à l’administration compétente les rapports complets de leurs assureurs ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Effectivement, monsieur le sénateur, on ne peut pas se satisfaire du délai qui a été nécessaire pour obtenir la liste précise des produits affectés par l’incendie.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, dès le mois de février, faire évoluer la réglementation pour demander aux exploitants, en cas d’incendie, de fournir la liste non pas de tous les produits présents sur le site, mais de ceux qui se trouvaient sur la partie du site ayant brûlé. J’ai également souhaité qu’ils fournissent la liste des composés pouvant être formés en cas d’incendie.

Les textes adéquats seront soumis à consultation au cours de l’été de telle sorte que nous puissions disposer rapidement, si un nouvel incendie devait se produire, de la liste des produits à rechercher dans le cadre des différents prélèvements.

Comme vous le soulignez, les missions des inspecteurs des ICPE et des experts d’assurance sont complémentaires, car elles ont toutes deux un objectif commun : prévenir les accidents de grande ampleur. Du côté des inspecteurs des installations classées pour la protection de l’environnement, il s’agit de prévenir les atteintes à la santé humaine et à l’environnement, alors que pour les assurances, il s’agit davantage de prévenir les dommages économiques graves à l’outil de travail et au stock de valeurs, comme les produits finis.

La mission d’information de l’Assemblée nationale nous avait recommandé d’imposer aux exploitants des sites Seveso de mettre à la disposition du service des installations classées les rapports de visite des experts d’assurance. Nous avons engagé des concertations avec les assureurs et les fédérations professionnelles pour y travailler.

Dans le cadre des arrêtés soumis à consultation, il est prévu d’imposer aux exploitants d’entrepôts ou de sites Seveso de mettre à disposition les rapports des assureurs lorsqu’ils traitent de constats ou de recommandations relatifs à la sécurité industrielle. Nous allons donc bien, monsieur le sénateur, dans le sens que vous préconisez.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, je regrette que vous n’ayez pas apprécié le ton de notre rapport. Est-ce si désagréable que le Parlement fasse son travail ? Pour autant, le sujet ne peut prêter à polémique. Le risque zéro n’existe pas. Nous devons, en coproduction, faire face aux accidents lorsqu’ils se produisent.

Cela étant, j’ai mené des entretiens avec les maires du Rhône et de la métropole de Lyon, notamment avec ceux de la vallée de la chimie. À chaque fois, le constat est le même. Les communes dont le territoire dispose d’une usine classée Seveso ont connaissance des risques ; elles ont développé des compétences en interne et disposent d’une expertise. Néanmoins, elles ne sont pas toujours reconnues à leur juste place par les services déconcentrés de l’État. Sur ce point, notre rapport appelle à un changement de regard de la part de ces services.

Ma deuxième remarque concerne les exercices grandeur nature et inopinés. Ce point fait l’objet de l’une de nos propositions importantes et aussi peut-être l’une des plus difficiles à mettre en œuvre.

L’ensemble de la commission a insisté sur la nécessité d’une formation permanente des citoyens pour mieux les sensibiliser aux risques. Cela passe aussi par des exercices inopinés, qui ne sont pas sans conséquence puisqu’ils perturbent la vie quotidienne de nos concitoyens.

Madame la ministre, comment le Gouvernement peut-il favoriser l’organisation des exercices grandeur nature, dans un esprit de concertation avec l’ensemble des acteurs du territoire ? Seriez-vous favorable à la création d’un fonds dédié aux coûts des exercices inopinés ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, je suis totalement convaincue que les communes jouent un rôle clé en termes de prévention des risques. Il est nécessaire que l’État les associe aux différentes étapes de la vie d’un site industriel.

De fait, comme je l’ai souligné, les élus sont associés à la procédure dès l’autorisation d’une installation industrielle. Les études de danger et l’étude d’impact, qui sont systématiquement réalisées dans le cadre du dossier de demande d’autorisation, font ensuite l’objet d’une enquête publique, ce qui permet de porter ces informations à la connaissance du public. En parallèle de l’enquête publique, un avis spécifique est demandé aux collectivités territoriales et à leurs groupements qui sont directement concernés par le projet.

Les élus sont aussi associés aux instances de suivi d’une installation. Ils participent aux commissions de suivi de site, obligatoires autour des sites Seveso. Ils sont également représentés dans les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels, qui organisent des concertations locales autour des grandes plateformes industrielles.

Par ailleurs, les collectivités territoriales déclinent les dispositifs réglementaires pour garantir la diffusion de la culture du risque sur leur territoire. À l’échelle des départements, les préfets élaborent un document départemental sur les risques majeurs, qui est mis à disposition des élus. Sur cette base, les élus rédigent leur document d’information communal sur les risques majeurs, le Dicrim.

Dans le cadre de la mission sur la culture du risque que je lancerai à la rentrée, je souhaite que le rôle des élus dans l’élaboration d’une culture du risque soit renforcé. On pourrait peut-être organiser une journée nationale dédiée à la prévention des risques, comme cela se pratique au Japon. Chaque collectivité pourrait alors, en lien avec les services de l’État, mettre en place une campagne de sensibilisation adaptée aux enjeux de son territoire.

Je terminerai en soulignant que les collectivités ont aussi un rôle très important à jouer dans la gestion des risques. Je pense, notamment, à l’élaboration des plans communaux de sauvegarde grâce auxquels les collectivités se préparent en cas de survenance d’un risque technologique ou naturel.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Vous ne répondez pas tout à fait à ma question, madame la ministre, qui était de savoir comment vous comptiez favoriser l’organisation des exercices grandeur nature.

Je ne doute pas qu’il existe des textes. Je ne doute pas non plus qu’un certain nombre d’élus soient au courant des procédures. Mais quand vous allez sur le terrain, quand vous rencontrez des maires concernés, vous vous apercevez que souvent on ne leur a pas communiqué les éléments dont disposent les services déconcentrés.

La réalisation des exercices pose problème. Le nerf de la guerre étant l’argent, si l’on ne prévoit pas d’aider demain les collectivités ou les territoires à supporter ce coût, on continuera certes à lire sur le papier des choses bien écrites, mais dans la réalité rien ne se passera.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Gilbert-Luc Devinaz. Or les exercices sont fondamentaux pour former une culture commune ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’incendie de l’usine Lubrizol a remis sur le devant de la scène les dangers potentiels de certaines activités industrielles. À l’heure où l’on prône légitimement la réindustrialisation stratégique de la France, il ne faudrait pas que ce genre de catastrophe entraîne la délocalisation de ces industries.

Dans le cas d’activités impliquant des matières dangereuses, il faut donc des standards élevés de sûreté. C’est pourquoi l’État doit assurer le contrôle et être le garant du respect des standards auprès des grandes et surtout des petites entreprises.

La France dispose d’entreprises industrielles performantes, formées techniquement, soumises à des réglementations exigeantes, comme le classement Seveso seuil haut. Faisons confiance à ces professionnels ! Il faut également un contrôle de l’application des réglementations. Plus c’est technique et dangereux, plus il faut contrôler.

L’incendie de l’usine Lubrizol a révélé aussi la nécessité d’une meilleure coordination entre l’État et les collectivités territoriales.

Aux côtés des services de l’État, les collectivités territoriales ont de nombreuses responsabilités en matière de risques industriels : sensibilisation du public, délivrance des autorisations d’urbanisme, participation à la gestion de crise, assistance et information des citoyens en cas d’accident. Mais les élus locaux, en première ligne lors d’une catastrophe de grande ampleur, ne disposent pas toujours des moyens et des informations nécessaires. Or ils doivent répondre aux besoins et aux inquiétudes de la population.

La commission d’enquête a formulé plusieurs recommandations pour assurer une meilleure coordination entre l’État et les collectivités territoriales. Il faudra notamment renforcer l’articulation entre plan particulier d’intervention (PPI) et plan communal de sauvegarde (PCS) pour améliorer la réponse opérationnelle et renforcer l’appropriation de la gestion des risques industriels et technologiques par les élus.

Madame la ministre, il faut faire confiance aux élus locaux, car ce sont eux qui ont la confiance des habitants. Quel est votre avis sur cette recommandation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je suis convaincue que les communes ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention des risques, y compris en cas de survenance d’une crise telle que l’incendie de Lubrizol.

Les élus ont ainsi un rôle de premier plan à jouer pour informer et rassurer les populations. Telle est, logiquement, la fonction du dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM), élaboré par le préfet et sur la base duquel les collectivités doivent rédiger leur document d’information communal sur les risques majeurs. Ce dispositif doit permettre aux élus d’organiser une communication de proximité sur les risques identifiés sur le territoire communal.

Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, au-delà de l’enjeu d’information, les élus rédigent les plans communaux de sauvegarde ; les préfets doivent évidemment être à leurs côtés pour les y aider. Ces plans anticipent le rôle que devra jouer la commune en cas de crise et recensent les moyens dont elle dispose. Par exemple, dans le cas de risques naturels, il convient de prévoir dans quel gymnase héberger la population, ainsi que les mesures de sauvegarde et de protection des personnes à mettre en place.

Il s’agit donc d’un travail main dans la main, le préfet ayant pour rôle d’identifier les risques et de les faire connaître aux élus, ces derniers reportant ces données dans le Dicrim. Les PPI et les PCS doivent être élaborés de concert par les services de l’État et les collectivités. L’action sera ainsi plus efficace en termes d’information et de prévention, et la réaction plus rapide en cas de crise.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Il convient en effet de développer une culture du risque. Face aux catastrophes industrielles, il faut rassurer rapidement les populations. Ainsi nos concitoyens auront-ils davantage confiance dans les industries situées sur leur territoire. Les élus locaux, du fait de leur proximité avec les administrés, sont des acteurs clés.

Une meilleure articulation entre l’État et les collectivités locales est véritablement nécessaire. Pour réindustrialiser la France, il faut une société de confiance, et les élus locaux peuvent contribuer à l’édifier.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la commission d’enquête a constaté que les pouvoirs publics avaient prêté peu d’attention aux incidences de l’incendie de l’usine Lubrizol sur l’environnement, en dehors des préoccupations immédiates pour la santé humaine. Les éléments disponibles relatifs aux conséquences de l’accident sur l’eau, les sols, les milieux naturels et la biodiversité sont ainsi limités.

Durant nos travaux, je me suis attaché à éclaircir la question de l’effet sur l’eau non seulement de l’incendie, mais également des procédés déployés pour l’extinction de ce dernier.

Lors de son audition au mois de novembre, le ministre de l’intérieur nous confirmait que la pollution de la Seine avait été inévitable, dans la mesure où les eaux d’extinction s’étaient tout d’abord écoulées par les sols. Selon lui, un système de sécurité aurait néanmoins été mis en œuvre avant que des pollutions manifestes de la Seine aient lieu, par le confinement des eaux d’extinction dans un bassin, ou darse.

Le 18 février dernier, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a rendu les résultats de sa campagne de suivi de la qualité des eaux de cette darse. Les analyses ont confirmé qu’il n’y avait pas de trace de pollution hors de la darse. En revanche, elles font ressortir que l’incendie a eu une incidence certaine sur la qualité des sédiments dans la zone de la darse.

Lors de votre audition du 26 février, vous avez évoqué, madame la ministre, la destruction de la faune liée à la sous-oxygénation dans ce bassin. À ce jour, la question du traitement des eaux dans cette darse reste entière.

Parallèlement à nos travaux, je me suis intéressé de près aux sites Seveso seuil haut de mon département, la Loire, notamment à l’usine SNF. J’ai ainsi rencontré sa direction, les associations de riverains et de préservation de l’environnement, et les élus des communes proches. Si une telle catastrophe devait survenir dans cette usine, installée non loin du fleuve Loire dans sa partie amont, je n’ose imaginer les conséquences pour tous les territoires situés en aval !

L’eau est notre patrimoine commun. Cette ressource indispensable à la vie est de plus en plus fragilisée par les activités humaines courantes. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quelle réponse vous envisagez d’apporter à cette question essentielle de la préservation de l’eau en cas de catastrophe industrielle ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur : nous nous sommes évidemment préoccupés, dès la survenance de l’incendie, de l’ensemble de ses effets sur l’air, l’eau, les sols et les milieux naturels. J’avais notamment mobilisé l’Office français de la biodiversité (OFB) et les agences de l’eau pour surveiller les surmortalités piscicoles susceptibles d’apparaître et les alertes transmises. Par ailleurs, plus de 1 000 prélèvements de sols ont été effectués pour vérifier l’incidence sur l’environnement.

De façon générale, la première priorité de mon ministère est d’empêcher la survenue de nouveaux incendies de cette ampleur. Les mesures que j’ai mentionnées portent donc sur les conditions de stockage des produits, notamment la rétention et l’organisation sur les sites.

Un autre point sera pris en considération dans les nouveaux textes, qui font actuellement l’objet d’une consultation : il s’agit d’éviter les effets dominos avec les sites voisins, lesquels seront désormais systématiquement inspectés.

Nous sommes particulièrement vigilants quant à la protection des cours d’eau. Les produits dangereux pour les milieux aquatiques sont ainsi pris en compte dans le classement sous le régime Seveso des sites industriels.

J’ai également demandé qu’en cas d’accident les moyens mis à disposition par les industriels pour remettre en état les milieux affectés soient renforcés. Il convient en effet d’identifier en amont les moyens matériels et humains sur lesquels pourra s’appuyer l’exploitant pour restaurer ces milieux naturels dans les meilleurs délais. Par ailleurs, tous les frais engagés en urgence par l’État pour compenser d’éventuelles défaillances d’un exploitant pendant la gestion de crise pourront être imputés à ce dernier.

Nous sommes donc totalement mobilisés en vue de transmettre au ministère des solidarités et de la santé les informations nécessaires au suivi d’éventuels effets sanitaires et d’assurer la meilleure protection possible des milieux.