Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

MM. Éric Bocquet, Yves Daudigny.

1. Procès-verbal

2. Éloge funèbre d’Alain Bertrand, sénateur de la Lozère

M. le président

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Suspension et reprise de la séance

3. Évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies. – Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission

Article unique

Vote sur l’ensemble

Mme Éliane Assassi

M. Bruno Retailleau

M. Patrick Kanner

M. Emmanuel Capus

Mme Noëlle Rauscent

Mme Jocelyne Guidez

M. Jean-Claude Requier

Adoption de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

4. Gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. – Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé

Débat interactif

Mme Céline Brulin ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.

M. Jérôme Bignon ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Pascal Martin ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Joël Labbé ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Joël Labbé.

Mme Françoise Cartron ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Jean-François Husson ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-François Husson.

Mme Nelly Tocqueville ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Catherine Morin-Desailly ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. René Danesi ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Gilbert-Luc Devinaz ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Guillaume Chevrollier ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Guillaume Chevrollier.

M. Jean-Claude Tissot ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-Claude Tissot.

M. Didier Mandelli ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Didier Mandelli.

Conclusion du débat

M. Hervé Maurey, président de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen

Suspension et reprise de la séance

5. Candidatures à des commissions

6. Fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi

M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères

M. Pierre Laurent

M. Joël Guerriau

M. Olivier Cadic

M. Rémi Féraud

M. Jean-Claude Requier

M. Richard Yung

Mme Jacky Deromedi

M. Christophe-André Frassa

Mme Hélène Conway-Mouret

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Claudine Lepage

M. Guillaume Chevrollier

Amendement n° 2 rectifié bis de M. Olivier Cadic et sous-amendement n° 5 rectifié de M. Christophe-André Frassa. – Adoption du sous-amendement et de l’amendement modifié.

Amendement n° 3 rectifié bis de M. Olivier Cadic et sous-amendement n° 6 de M. Christophe-André Frassa. – Adoption du sous-amendement et de l’amendement modifié.

M. Jean-Yves Leconte

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État

Adoption de l’article modifié.

Article additionnel après l’article 1er

Amendement n° 1 de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 2

Amendement n° 4 rectifié quater de M. Joël Guerriau. – Retrait.

M. Jérôme Bascher, rapporteur

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Yves Leconte

M. Pierre Laurent

M. Ronan Le Gleut

M. Jérôme Bascher, rapporteur

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

7. Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France. – Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective

Mme Françoise Cartron, rapporteure de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Débat interactif

M. Franck Menonville ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Anne-Catherine Loisier ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Sophie Primas ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Nelly Tocqueville ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Nelly Tocqueville.

Mme Maryse Carrère ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Didier Rambaud ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Cécile Cukierman ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Pierre Louault ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Laurent Duplomb ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Hervé Gillé ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Hervé Gillé.

M. Didier Mandelli ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Didier Mandelli.

M. Jean-Claude Tissot ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Jean-Claude Tissot.

Mme Catherine Dumas ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Patricia Morhet-Richaud ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Mme Marie Mercier ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Conclusion du débat

Mme Françoise Cartron, rapporteure

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur

8. Ordre du jour

Nominations de membres de commissions

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

M. Yves Daudigny.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Éloge funèbre d’Alain Bertrand, sénateur de la Lozère

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, chers membres de la famille d’Alain Bertrand, et vous qui les entourez, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 3 mars dernier, la disparition de notre collègue Alain Bertrand, sénateur de la Lozère, qui nous a quittés à l’âge de 69 ans, après avoir mené pendant de longs mois un combat courageux et digne contre la maladie. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de lagriculture et de lalimentation, se lèvent.)

Nous étions présents à ses obsèques, le 6 mars, à Mende, avec le président Requier, avec la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, et avec d’autres de nos collègues encore. Ce fut une émouvante cérémonie d’adieu, à laquelle assistaient nombre d’habitants de la Lozère et de personnalités politiques et d’élus de son département. Didier Guillaume, présent aujourd’hui et que je salue, lui a rendu un hommage empreint à la fois d’affection profonde et de grand respect.

Alain Bertrand a attaché son nom à « l’hyper-ruralité ». Souvenez-vous comme il prononçait ce mot avec sa pointe d’accent que je ne saurais imiter, moi qui suis du nord de la Loire. (Sourires.) Il en fut l’ardent avocat dans notre hémicycle tout au long de ses dix années de mandat.

Nous garderons de lui le souvenir d’un collègue fortement impliqué dans le travail parlementaire, particulièrement sur les questions concernant l’aménagement du territoire et l’agriculture, mais aussi d’un élu de terrain très attaché à son territoire et d’une personnalité chaleureuse, affable et pleine d’humour.

Né le 23 février 1951 à Saint-Juéry dans le Tarn, Alain Bertrand avait choisi la profession d’inspecteur des domaines après des études à l’École nationale des finances publiques de Clermont-Ferrand.

Il se fixa dans le département de la Lozère, qui devint sa terre d’adoption. C’est là qu’il s’engagea en politique en adhérant au parti socialiste, dont il devint premier secrétaire de la fédération départementale, et qu’il exerça de nombreux mandats locaux.

Il siégea au conseil régional du Languedoc-Roussillon de 1998 à 2011 et en devint à la fois vice-président et président de la commission « Montagne-élevage, chasse et pêche » de 2004 à 2011. À partir de 2001, il fut aussi conseiller municipal de Mende, puis maire de cette ville de 2008 à 2016. Au cours de cette période, il fut également président de la communauté de communes Cœur de Lozère.

Alain Bertrand a largement marqué de son empreinte la ville de Mende. Ainsi est-il à l’origine de bien des réalisations locales : il s’est notamment beaucoup investi pour doter l’hôpital de Mende Lozère des équipements les plus modernes.

En 2011, Alain Bertrand fit son entrée au Sénat, devenant le premier sénateur de gauche du département de la Lozère depuis la Seconde Guerre mondiale. Réélu lors des élections sénatoriales de 2017, il se consacra alors prioritairement à son mandat sénatorial. Il avait en effet choisi de conserver son mandat de sénateur « pour défendre fidèlement les intérêts de toute la Lozère ».

Au Sénat, c’était un membre particulièrement actif de la commission des affaires économiques, dont il était vice-président depuis 2014, après avoir été vice-président de la commission des affaires européennes. Il intervenait très régulièrement, en commission comme en séance, dans les débats concernant notamment l’aménagement du territoire et l’agriculture.

Alain Bertrand s’était en particulier illustré par son combat pour cantonner la présence du loup dans les seuls territoires inhabitables, considérant que le retour de ce grand prédateur semait le trouble et l’insécurité des biens et des personnes dans les campagnes, attaché qu’il était aussi au pastoralisme et à l’élevage.

La proposition de loi qu’il déposa, tendant à créer des « zones d’exclusion totale » au sein desquelles la présence du loup serait déclarée indésirable, répondait à ce dessein. Ce texte fut adopté ici même en 2013, et certaines de ses dispositions furent prises en compte par le Gouvernement dans le cadre du plan Loup 2013-2017.

En 2014, Alain Bertrand fut chargé par le gouvernement d’alors d’une mission temporaire sur les territoires hyper-ruraux qui a donné lieu à un rapport remarqué, dans lequel notre ancien collègue mettait l’accent sur la situation « critique, voire au seuil de l’effondrement » de ces territoires…

Selon lui – je cite les conclusions de son rapport –, « il ne peut y avoir de sous-territoire, de même qu’il ne peut y avoir de sous-citoyen et de minorité sacrifiée et interdite d’avenir au profit… non pas tant du bien-être de la majorité, mais plutôt du seul respect d’une vision dominante, nourrie par les habitudes, les indicateurs et la mécanique des processus de décision.

« La solidarité républicaine et la cohésion nationale doivent donc l’emporter, en s’appuyant sur un État modernisé et “vertébré”. »

Aussi formulait-il des propositions originales en ce sens, comme la création d’un « guichet unique hyper-ruralité » pour favoriser les initiatives, un droit à pérennisation pour les expérimentations efficientes et une règle de « démétropolisation », c’est-à-dire une « troisième décentralisation intelligente […] depuis les métropoles, les grandes villes et les capitales régionales vers les territoires hyper-ruraux ». Cette idée est à méditer en ces temps de propositions du Sénat sur une nouvelle étape de la décentralisation… Nous avons d’ailleurs mené un débat sur ces questions la semaine dernière.

Ces propositions ont permis l’éveil d’une prise de conscience au sein de l’exécutif. Des progrès ont été réalisés. Il reste encore beaucoup à faire.

La voix d’Alain Bertrand nous manque. La leçon de ce jour est aussi de rester fidèle au message qu’il a su porter ici avec tant de passion.

Au-delà de sa carrière politique brillante, de sa grande maîtrise de ses dossiers, de sa connaissance profonde du terrain, Alain Bertrand laissera le souvenir d’un homme convivial et bon vivant, amateur de rugby et de football.

Il avait une prédilection particulière pour la pêche – je puis le comprendre… Il fut ainsi longtemps – je n’ai jamais accédé à cette dignité ! (Sourires.) – président de la Fédération de pêche de son département. Cette activité, comme la chasse, le plongeait dans la nature riche et diverse et dans la beauté des paysages de la Lozère, dont il était si familier.

Je tiens à rendre hommage à ses qualités humaines et à saluer son empathie, sa générosité, son attention aux autres. Oui, il aimait la Lozère, et il aimait encore plus ses habitants, dont il aura défendu inlassablement les intérêts. Au-delà, il s’était engagé sans compter pour que des réponses adaptées soient apportées aux difficultés spécifiques des habitants de ces territoires si chers à son cœur.

À ses anciens collègues des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, à ses amis du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, j’exprime de nouveau notre sympathie.

À toute sa famille, à ses proches, à ses collègues qui lui ont succédé à Mende, à tous ceux à qui il était cher et qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire, en ce moment de partage et de recueillement, la part que le Sénat continue de prendre à leur deuil.

« Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille… Le courage, c’est d’aller à l’idéal », écrivait Jean Jaurès, qu’il admirait tant. Alain Bertrand a profondément aimé la vie. Sans doute a-t-il affronté la mort d’un regard tranquille ; nous sommes certains qu’il est aujourd’hui allé à l’idéal que décrivait Jean Jaurès.

La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice de Lozère, chère Guylène Pantel, monsieur le maire de Mende, cher Laurent, madame la présidente du département, mesdames, messieurs les membres de la famille, vous l’avez rappelé, monsieur le président, nous étions présents, avec la présidente Primas, avec le président Requier et avec de très nombreux autres élus, le 6 mars dernier, pour rendre un dernier hommage à Alain Bertrand.

Nous étions entourés de sa famille, de nombreux Mendois et Mendoises et de nombreux Lozériens et Lozériennes – celles et ceux qu’Alain Bertrand appelait les « vraies gens » et qui le rapprochaient de cette vie qu’il aimait tant –, pour rendre hommage à un élu de la Nation, à un républicain atypique et attachant, à un homme, tout simplement.

Le Gouvernement s’associe à l’hommage que vous venez de lui rendre, monsieur le président, un hommage – cela n’étonnera personne – plein de sincérité, d’amitié et de vérité.

Alain Bertrand nous a quittés au moment où la France et le monde entraient de manière inédite en confinement. Je m’imagine parfois comment Alain Bertrand, cet homme de dialogue et d’ouverture, aurait pu traverser cette période de deux mois et demi, lui qui ne vivait jamais aussi bien que dehors, au bord des cours d’eau, dans la forêt ou dans la montagne… Je me plais à penser que le bon sens qui le caractérisait nous aurait montré la voie, sans perdre de vue l’essentiel. Et l’essentiel, pour ce genre d’homme, c’est de savoir d’où l’on vient, pour comprendre où l’on va.

Tarnais comme Jean Jaurès, que vous avez cité, monsieur le président, Alain Bertrand découvre la Lozère à l’occasion d’un séjour de pêche avec son frère. Il tombe immédiatement et irrémédiablement amoureux de ce territoire dans lequel il va désormais puiser sa force.

Peu le savent : en 1983, alors que l’ENA lui tend les bras après sa réussite au concours d’entrée, il n’écoute que son cœur et devient inspecteur des impôts à Marvejols. Pour lui, les choses sont claires : aucun poste de haut fonctionnaire ne saurait être une source de bonheur équivalente à une vie en Lozère. Il s’y établira et ne la quittera plus.

Alain Bertrand fait de ce département son terrain de jeu et son terrain d’engagement politique. Il aimait raconter que, à la sortie d’une réunion publique, à Mende, il s’était précipité dans une cabine téléphonique pour appeler son père et lui dire : « J’ai rencontré un véritable leader politique, un visionnaire érudit d’une intelligence rare. Il voit loin et juste, et il est Tarnais ». Cet homme, c’était Georges Frêche, avec lequel il siégera au conseil régional et dont il deviendra un ami et un fidèle, avec notre ancien et regretté collègue, Christian Bourquin.

Je ne reviendrai pas sur son parcours politique, long et difficile dans cette terre lozérienne – vous l’avez très bien fait, monsieur le président –, mais je retiendrai deux événements.

Tout d’abord, le courage et la ténacité dont il fit preuve pour devenir maire de Mende en 2008. Une élection difficile, une victoire historique, une confiance renouvelée par ses amis administrés et un acquis solide revendiqué par l’actuelle équipe municipale, qui poursuit son œuvre – je veux saluer Laurent Suau, son successeur à la mairie de Mende, réélu dès le premier tour.

Ensuite, bien évidemment, sa bataille homérique pour le siège de sénateur face à Jacques Blanc. Pensez donc : ces deux hommes du terroir lancés face à face. Une bataille frontale d’hommes rusés, d’hommes forts, d’hommes aux forts accents. Âmes sensibles s’abstenir ! (Sourires.)

Je me souviens – je ne suis pas le seul ! – du jour de son arrivée dans cette belle institution : poursuivi par des huissiers qui lui demandaient de ne pas allumer sa « roulée » dans la salle des Conférences, il leur répondit, tabac gris en main, qu’il représentait la Lozère, le plus grand et important département français. Le ton était donné dès le premier jour de son arrivée.

Je veux également saluer la mémoire d’un homme, son engagement social, socle de ses convictions politiques les plus fortes, et surtout son engagement en faveur de la ruralité, de l’hyper-ruralité, source inépuisable d’idées pour apporter un nouvel élan à nos campagnes.

Qui aurait imaginé que le terme « hyper-ruralité » allait être créé ici même, au Sénat ? Et qui aurait osé affirmer, au moment où l’on va beaucoup parler des métropoles, comme vous l’avez souligné, monsieur le président, que les questions fondamentales de l’unité républicaine et de la vie commune se posent aussi dans la ruralité et dans l’hyper-ruralité ? Il ne faut jamais oublier les habitants de toute la France, de tous les territoires, les grands comme les plus petits.

« À Mende, on n’a pas le Fouquet’s, mais on a Hyper U ! », disait-il (Sourires.) Les services publics sont importants dans nos territoires. Nous savons toutes et tous combien ce genre d’homme est précieux pour la République.

Derrière ses engagements politiques, parfois durs, toujours chronophages, il y avait l’homme. Il chérissait sa famille, sa fille Sylvie. Il aurait tant aimé connaître Pablo, son petit-fils, né à peine un mois avant sa mort. Je veux saluer sa sœur, son frère et sa famille, qui comptaient beaucoup pour lui.

Il était heureux, bon vivant, souriant et surprenant. Un homme simple, bon, généreux, partageant ce qu’il aimait avec ceux qu’il aimait. Sa passion pour la pêche, vous l’avez rappelé, monsieur le président, l’a amené à découvrir tous les cours d’eau. Armé de patience, de mouches fabriquées maison, bien évidemment, de sa canne et de ses clopes roulées, il traquait la truite partout dans les ruisseaux de la Lozère. À d’autres saisons, il chassait les bécasses et les grives, arpentant des hectares de forêt lozérienne avec son chien à la recherche de cèpes, de girolles et de morilles. Il revenait alors, comme il le disait, « aux sources de la vraie vie ».

Il n’y a aucune fatalité pour qui se bat pour une cause juste et noble.

Il était l’homme du terroir, l’homme d’une région qu’il aimait plus que tout, mais aussi l’homme des idées de gauche qu’il ne lâcha jamais. Il savait écouter, respecter, discuter et débattre avec tous, sans distinction, parce qu’il aimait les gens, tout simplement. Alain Bertrand savait que, sans amour des gens, sans humilité et sans empathie, autrement dit sans humanité, il n’y a pas de vie politique digne.

Au nom du Gouvernement, je voudrais adresser toute ma sympathie à vous-même, monsieur le président, ainsi qu’à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs, aux commissions dont il a fait partie, ainsi qu’au groupe du RDSE, dont je salue le président, qu’il aimait tant pour la liberté de parole et la liberté de vote qui lui étaient autorisées.

Je veux de nouveau adresser à Mmes et MM. les membres de sa famille, à vous, Sylvie, à son gendre, à ses petits-enfants, à sa sœur, à son frère et à leurs conjoints, au maire de Mende et aux élus, mes plus sincères condoléances. La République perd un homme, un grand élu que nous regretterons longtemps.

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire d’Alain Bertrand. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, observent une minute de silence.)

Conformément à notre tradition, en signe d’hommage à Alain Bertrand, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants ; nous les reprendrons à quinze heures dix.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

3

 
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion
Article unique

Évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies

Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, présentée par le président du Sénat (proposition de résolution n° 512, texte de la commission n° 547, rapports nos 524 et 546).

proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

En application de l’article 51-2 de la Constitution et de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d’enquête, composée de 36 membres, pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

La commission des lois a déclaré cette proposition de résolution conforme aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Le Sénat a fixé les explications de vote à deux minutes trente par groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du Sénat et de son président de créer, au sein de la Haute Assemblée, une commission d’enquête sur les politiques publiques menées durant la pandémie de covid-19 pour en tirer toutes les conclusions pour l’avenir de notre pays.

Une telle commission d’enquête est indispensable pour comprendre les défaillances de notre système de santé, en particulier celles des missions des agences régionales de santé, mais aussi du pilotage national et de la gestion des stocks de médicaments et fournitures médicales.

Notre objectif doit être non pas de recopier le travail de nos collègues députés, mais d’y apporter un éclairage complémentaire sous le prisme de nos élus locaux qui ont été en première ligne durant la pandémie.

Nous espérons que cette commission sénatoriale permettra de mettre en lumière un certain nombre de fragilités de notre système de santé dont l’origine remonte aux gouvernements précédents et actuel.

La pandémie a apporté un terrible démenti aux politiques publiques qui ont œuvré avec obstination à l’affaiblissement de notre système de santé et des infrastructures publiques de soin. Elle a mis à mal notre souveraineté sanitaire, comme le révèlent de manière dramatique les difficultés de notre industrie pharmaceutique à éviter les ruptures de stock de médicaments. Par conséquent, elle a permis de démontrer l’erreur de ceux qui ont pensé profitable de soumettre à la logique du marché la production française et européenne de matériel médical.

Enfin, j’espère que la commission d’enquête soulignera l’importance de couvrir les dépenses de santé au niveau des besoins réels des hôpitaux. Sur ce point, la proposition de résolution ouvre la perspective d’une réorganisation d’ensemble de notre système de santé.

Je le rappelle, 5 milliards d’euros ont été supprimés du budget de la santé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, dont 1 milliard au détriment de l’hôpital public. En vingt ans, 100 000 lits ont disparu, dont 17 500 au cours des six dernières années.

Notre objectif n’est pas de faire le bilan politique de l’action gouvernementale. Les élections sont et seront seules juges de l’action menée par l’exécutif : les résultats des municipales de dimanche semblent nous donner un aperçu de ce jugement.

Sans esprit partisan, cette commission d’enquête permettra de faire la lumière sur les dysfonctionnements et leur origine, d’identifier les responsabilités et de mieux appréhender les moyens efficaces de lutte contre la pandémie qui nous frappe. Celle-ci risque en effet de perdurer et de se reproduire, comme nous l’assurent malheureusement nombre de spécialistes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, à mon tour, je veux vous remercier de l’initiative que vous avez prise en votre nom, mais aussi au nom de l’ensemble des présidents de groupe.

Les commissions d’enquête – je parle sous le contrôle de M. le président de la commission des lois – sont aussi anciennes que le régime parlementaire. C’est un droit constitutionnel qui nous est donné et dont nous devons nous saisir pour exercer notre mission de contrôle.

Cet après-midi, plutôt que de m’emparer de ce droit, je veux évoquer notre devoir, miroir de ce droit. Selon moi, la création de cette commission d’enquête est un devoir pour nous, d’abord vis-à-vis des Français : il y a eu plus de 30 000 décès et nos concitoyens ont le droit de savoir. Pour ce qui concerne la mortalité par tranche de 100 000 habitants, notre pays, par rapport aux autres pays occidentaux et peut-être aux autres pays du monde, est en tête.

C’est aussi un devoir démocratique. Je m’exprime aujourd’hui 48 heures après le scrutin de dimanche : la très faible participation a révélé l’importance de la crise démocratique. Au cœur de celle-ci se trouve la question de la terrible impuissance publique de l’État, qui est étouffé par la bureaucratie.

La bureaucratie fait primer l’accessoire, c’est-à-dire la procédure, sur l’essentiel, l’intérêt général, l’objectif à atteindre. Souvenez-vous, le Président de la République, le 13 avril dernier, a lui-même reconnu qu’il y avait eu des lourdeurs, des lenteurs et des failles.

La démocratie est également une question de légitimité. Le Président de la République et l’exécutif ont leur légitimité, tout comme le Parlement. En démocratie, nous sommes confrontés à des blocs de légitimités, en vertu de la séparation des pouvoirs. Et le Sénat, notamment sous votre présidence, monsieur le président, assume son rôle dans cette séparation des pouvoirs, pour notre démocratie.

J’ai entendu l’exécutif affirmer qu’il y aurait une contre-commission d’enquête. Comment, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, l’exécutif pourrait-il s’autocontrôler ? Cela ne correspond pas à notre définition de la démocratie. C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, je tiens de nouveau, au nom de mon groupe, à vous remercier de l’initiative que vous avez prise et que nous serons unanimes à voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, sans surprise, nous voterons votre proposition de résolution.

Le 16 février dernier, Olivier Véran est nommé ministre des solidarités et de la santé en pleine crise de la covid-19. Il succède à Agnès Buzyn, exfiltrée pour cause d’élections municipales, dont elle dira plus tard qu’il ne fallait pas les tenir. Nous connaissons désormais les résultats de ces élections…

Le 27 février, une première réunion se tient à Matignon autour du Premier ministre avec les chefs de parti et les chefs de groupe. Je la résumerai par cette phrase – permettez-moi l’expression : cela sera dur, mais tout est sous contrôle !

Le 16 mars, le Président de la République tient un discours de guerre, où il est question d’ennemi, d’armées, de champ de bataille, de morts au combat, de première ligne. La grandiloquence de ce langage guerrier est inadaptée. Certes, nous avons dû affronter une très grave crise sanitaire ; certes, la covid-19 a tué, tue et tuera des centaines de milliers de personnes dans le monde. Mais ce virus, mes chers collègues, n’a pas ni conscience, ni projet d’envahissement, ni histoire, ni, du moins je l’espère, avenir. Ses seuls alliés potentiels sont les hommes et les femmes qui le diffusent auprès de la population.

Monsieur le président, nous avons été frappés par une crise d’une violence inouïe. Celle-ci n’est pas encore derrière nous. Il faut donc comprendre, comme le disait Bruno Retailleau, ce que nous venons de traverser.

Dans son adresse aux Français du 13 avril dernier, le Président de la République a eu un moment de sincérité, pour ne pas dire de lucidité, en parlant de « failles » et d’« insuffisances » dans la gestion de la crise. Je n’aimerais pas être ministre dans de telles circonstances ! Le rôle du Sénat est de déceler ces failles et ces insuffisances pour les combler, les réparer et, surtout, les prévenir.

Nous nous félicitons que la Haute Assemblée ait pris cette décision extrêmement utile, d’une manière beaucoup plus fluide qu’à l’Assemblée nationale. Encore une fois, comme dans d’autres épisodes politiques récents, nous allons tenir notre rang. Nous estimons que la mission de contrôle du Parlement est essentielle pour notre démocratie.

Certes, une deuxième vague réduirait à néant les efforts fournis jusqu’à présent et viendrait heurter de plein fouet un système de santé déjà très affaibli par la première vague. À cet égard, je vous invite à écouter ce que nous disent les soignants qui sont dans la rue, à Paris, aujourd’hui.

Le groupe socialiste prendra toute sa part dans le travail collectif qui sera le nôtre durant ces prochains mois et comptera pour demain : audit de l’État, préparation de la France à la gestion de la crise sanitaire et esquisse des perspectives pour la suite, soit autant d’étapes nécessaires, car nos concitoyens ont le droit et même le devoir de savoir. Cet esprit animera notre présence au sein de la commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons s’inscrit dans le cadre de l’exercice par le Sénat de ses missions de contrôle de l’action du Gouvernement prévues par la Constitution.

Il ne s’agit ni d’un exercice de style qui mimerait la commission d’enquête ouverte à l’Assemblée nationale ni d’un procès politique à l’encontre de notre gouvernement.

L’esprit à la fois critique et constructif de cette commission d’enquête nous permettra d’établir, du moins je l’espère, un bilan de l’action publique de ces derniers mois, qui n’ont ressemblé à aucun autre.

Nous accorderons une attention toute particulière à la cohérence et à la clarté de la communication de crise, à la gestion des fausses informations dans un contexte de grandes incertitudes et à l’analyse de l’éthique des décisions. Seront mises au clair les raisons du manque de masques, les décisions relatives aux durées de confinement et à ses modalités, ainsi que les conséquences de l’épidémie sur la continuité des soins.

En tant que membre du groupe Les Indépendants, à l’origine de la mission d’information sur les pénuries de médicaments et de vaccins, j’accorderai une attention particulière au problème de la dépendance de la France à l’égard de la Chine en matière de produits de santé prioritaires, dans le prolongement du rapport de Jean-Pierre Decool, qui avait prédit ce danger dès le mois d’octobre 2018.

Cette commission sera avant tout un exercice pragmatique, qui servira à alimenter l’action future en matière de santé publique. En accordant une large part au débat contradictoire, elle complétera et approfondira utilement l’exercice réalisé par l’Assemblée nationale.

La France a trop longtemps négligé sa politique de prévention. Cet exercice de rigueur et d’humilité permettra à notre société d’avancer dans le bon sens. Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous voterons donc, avec détermination, la proposition de résolution de M. le président Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour explication de vote.

Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, mes chers collègues, dans ce contexte anxiogène, permettez-moi tout d’abord de saluer les professionnels, mais aussi les citoyens, nombreux à s’être investis par solidarité et responsabilité dans cette crise que personne n’avait prévue. Mes pensées vont vers ceux – résidents d’Ehpad, familles, soignants – qui ont vécu des drames familiaux et des décès brutaux, dans des circonstances plus que particulières.

La crise sanitaire actuelle est inédite par son ampleur. Elle a touché le monde entier et percuté tous les pans de la société. Il est donc logique que les institutions évaluent les politiques publiques à l’œuvre, mais également s’interrogent sur la gestion par les pouvoirs publics de cette crise. L’exigence de transparence est légitime pour discerner ce qui a fonctionné, ce qui a dysfonctionné et ce qui doit être amélioré.

C’est dans cet esprit que la mission d’information de l’Assemblée nationale, qui a entamé ses travaux en avril, s’est dotée des pouvoirs d’enquête dès le 16 juin dernier.

En parallèle, le Président de la République a installé, le jeudi 25 juin, la mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise du covid-19 et l’anticipation des risques pandémiques.

Je souhaite insister sur un point : cette mission n’empiétera pas sur les prérogatives du Parlement. Il s’agit d’un travail complémentaire des travaux des assemblées, multidisciplinaire, mené par des experts des champs scientifique, économique, administratif et sociétal. La mission rendra un rapport en fin d’année ; un rapport d’étape est prévu à l’automne.

Au regard de l’ampleur de la crise, il est opportun que chaque institution se dote d’outils appropriés pour évaluer la gestion de celle-ci et ainsi mieux anticiper les crises futures.

Par ailleurs, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a ouvert lundi 8 juin une vaste enquête préliminaire sur la gestion de la crise en France.

Si nous avons entendu des propos, sur certaines travées, qui semblaient ériger le Parlement en procureur, bien éloigné des missions premières d’une commission d’enquête, M. Alain Milon a su nous rassurer sur ce point en commission des affaires sociales.

Pour autant, la situation ne saurait être exploitée à des fins politiciennes. Nous voulons une analyse approfondie, lucide, rigoureuse, objective, totalement transparente, une analyse à laquelle nous procéderons, pour ce qui nous concerne, avec humilité, mais sans céder à des penchants politiciens.

Mes chers collègues, soyez rassurés, il n’y aura de notre part aucune complaisance à l’égard des choix faits par le Gouvernement avant et durant la crise sanitaire. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Cependant, les décisions prises devront être évaluées au regard des connaissances et du consensus scientifique du moment.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Noëlle Rauscent. Aussi, notre groupe est résolument favorable à toute initiative visant à comprendre, à prévenir et à améliorer la gestion des crises sanitaires, afin d’anticiper, dans les meilleures conditions, une éventuelle deuxième vague. Il votera donc en faveur de cette proposition de résolution.

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

Mme Jocelyne Guidez. Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat, tendant à créer une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.

L’intitulé de cette proposition de résolution engage la future commission d’enquête dans un travail de sagesse, dont la Haute Assemblée sait assurément faire preuve. Loin de transformer cette commission en tribunal, c’est un travail d’auditions, d’évaluations, d’analyses et de préconisations qui guidera sans nul doute ses membres.

Des sujets délicats devront être soulevés avec la plus grande prudence, mais également avec la plus grande détermination pour mettre en lumière ce qui a bien fonctionné, relever les initiatives locales qui pourraient être généralisées, mais aussi nos défaillances techniques et organisationnelles ou bien les potentiels conflits d’intérêts ayant pu déboucher, même indirectement, à des prises de décisions ni totalement libres ni totalement éclairées.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, le rappelait : sa génération aura connu le chômage de masse, la transition écologique, le sida et la covid-19.

Au moment du dépôt de ce texte, et depuis le 31 décembre dernier, cette crise a emporté la vie de 433 259 personnes à travers le monde, dont 29 436 en France.

La détermination de nos soignants et leur engagement sans faille dans un contexte de relative ignorance du mal qu’ils devaient combattre aux côtés des malades les ont plongés dans de nombreuses semaines de dévouement total, tout en les isolant de leurs proches. Les applaudissements quotidiens à vingt heures constituaient la reconnaissance des Français envers celles et ceux qui travaillaient sans relâche. Le Ségur de la santé apportera des réponses pour revaloriser leurs professions.

Aussi, il était du devoir des parlementaires de constituer à l’Assemblée nationale et ici, au Sénat, des commissions d’enquête, afin de tirer le bilan de cette crise, pour proposer ensuite des améliorations et des garanties pour une meilleure efficacité de notre système. Ainsi, celui-ci sera plus réactif et adaptable aux crises sanitaires majeures. Il s’agit enfin de lui donner la capacité de prendre avec assurance des décisions libres, éclairées, justes et les plus efficientes possible.

C’est pourquoi, mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste voteront unanimement en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, mes chers collègues, la pandémie de covid-19 a frappé de stupeur nos sociétés développées, alors que nous pensions que la technologie et l’hygiénisme avaient suffisamment mis à distance les angoisses créées par les grandes épidémies. Nous nous sommes crus à l’abri, sans doute parce que nous avons été habitués aux progrès de la science, qui repousse toujours les limites de la maladie, comme aux bienfaits de l’État-providence et de son administration protectrice.

Si cette crise est exceptionnelle, elle n’était pas non plus totalement imprévisible. Bien sûr, son ampleur a rendu nécessaire la prise de décisions très complexes, dans un temps extrêmement bref. Nul ne contestera dans cet hémicycle la difficulté d’agir dans de telles circonstances, y compris en créant en quelques jours un régime juridique ad hoc dérogatoire au droit commun.

Toutefois, sur le temps long, et sans faire affront au travail admirable des personnels soignants, la crise a été le révélateur des profonds dysfonctionnements de notre système de santé, qui se sont sédimentés au fil des gouvernements successifs.

Je pense ainsi à la lourdeur des circuits administratifs, à la situation des Ehpad, à la communication de crise, mais aussi à la gestion des stocks de masques, qui a conduit l’État à en restreindre l’usage pendant un temps, au moment où de nombreuses collectivités territoriales s’engageaient dans un effort logistique considérable.

La situation avait d’ailleurs incité Nathalie Delattre à proposer la création d’une commission d’enquête sur ce sujet. Grâce au soutien de MM. Larcher et Bas, cette problématique a été incluse dans le champ d’investigation de la présente commission d’enquête, ce dont nous nous réjouissons.

Il importe surtout que ce travail d’analyse en profondeur soit mené hors de toute polémique partisane, conformément à l’ADN du Sénat, dans la seule finalité de préparer notre pays aux futures pandémies, qui, malheureusement, surviendront.

C’est dans cet état d’esprit d’analyse, de responsabilité et de défense de l’intérêt général que le groupe du RDSE soutiendra unanimement la création de cette commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

M. le président. Je constate que cette proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.) C’est une joie d’auteur… (Sourires.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion
 

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Gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen

Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, sur les conclusions de son rapport.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions–réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur de la commission d’enquête auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur de la commission denquête chargée dévaluer la gestion des conséquences de lincendie de lusine Lubrizol à Rouen. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient la mission d’ouvrir notre débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. La multitude des problématiques posées par cet accident explique la présence dans cet hémicycle de plusieurs membres du Gouvernement, dont je tiens à saluer la disponibilité.

C’est vers vous que je me tourne, madame la secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, car mon intervention portera sur les enjeux sanitaires de cet incendie de très grande envergure.

Le 26 septembre dernier, au cœur d’une métropole, cet accident a provoqué la dispersion dans l’environnement de nombreux produits chimiques, dont le nombre et les effets demeurent encore, pour une large part, inconnus.

Neuf mois plus tard, notre rapport distingue clairement les questions qui relèvent de la réponse sanitaire immédiate apportée par les pouvoirs publics et celles qui entourent le sujet délicat du suivi sanitaire des populations exposées.

Avoir su éviter une catastrophe ne doit pas nous faire oublier les lacunes opérationnelles importantes dont souffre le pilotage local et central des catastrophes sanitaires. D’une certaine manière, l’accident de l’usine Lubrizol fait rétrospectivement figure de prélude à la crise sanitaire que nous traversons.

La réponse globale apportée sur le terrain, sous l’égide du préfet de département, a permis d’éviter une catastrophe. Pour autant, les interventions sporadiques et non coordonnées de plusieurs ministres, chacun dans leur secteur de compétences, ont pu donner l’impression d’une certaine cacophonie et, peut-être, d’un opportunisme purement politique.

Ainsi le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a-t-il décidé de lever la consigne sur les produits laitiers plusieurs jours avant que l’expert sanitaire rende publics les résultats des analyses des produits agricoles. Comment voulez-vous que la population s’y retrouve ?

Plus préoccupants ont été nos constats sur le suivi sanitaire des populations exposées au nuage de fumée. L’épidémie de covid-19 a contraint les décideurs publics à tenir compte de l’incertain dans la protection des populations d’un danger sanitaire. C’est exactement l’enseignement que nous tirons, Nicole Bonnefoy et moi-même, de l’analyse de la gestion de crise de l’accident de l’usine Lubrizol.

Très tôt, nous nous sommes rendu compte que le refus catégorique du ministère des solidarités et de la santé d’enclencher un suivi sanitaire, en raison de l’absence de certitude concernant l’existence d’un danger, entretenait l’inquiétude de la population quant aux effets de long terme de l’incendie sur la santé.

Effectivement, sans attendre qu’un danger soit strictement identifié, plusieurs risques nous paraissent justifier un suivi sanitaire d’envergure.

Tout d’abord, je pense aux lacunes persistantes des analyses réalisées sur les prélèvements d’air. Les décideurs publics semblent s’être un peu vite satisfaits de résultats partiels, alors que des incertitudes demeurent sur le délai de diffusion des dioxines et des furanes dans les sols ou sur les conséquences à plus long terme de certains composés du phosphore.

Ensuite se pose la question des effets cocktails des molécules contenues dans le panache de fumée, dont les interactions peuvent produire dans l’organisme humain des effets largement méconnus.

Enfin, il y a la question controversée de la dispersion de particules d’amiante au moment de l’explosion du toit des entrepôts abritant les produits stockés.

Il nous paraît donc évident qu’à l’égard de certains risques ciblés l’inapplication d’un principe de précaution en matière de suivi sanitaire, au motif d’une absence de certitude scientifique, ne peut plus se justifier.

C’est pourquoi, outre la consécration d’un tel principe au rang législatif, nous recommandons que soient ouverts deux registres de morbidité, relatifs l’un aux cancers généraux et l’autre aux malformations congénitales. Je serais heureuse, madame la secrétaire d’État, de recueillir votre sentiment sur ce point.

S’il est une leçon que les événements récents, à défaut de ceux qui sont plus anciens, doivent désormais nous inspirer, c’est que la santé de nos concitoyens est un bien trop précieux pour que l’incertitude suffise à justifier l’inaction.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission denquête chargée dévaluer la gestion des conséquences de lincendie de lusine Lubrizol à Rouen. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’issue de huit mois de travaux quelque peu perturbés par la crise sanitaire, nous avons formulé une quarantaine de recommandations s’inscrivant dans six axes principaux, afin d’améliorer la prévention et la gestion des accidents industriels majeurs.

Je souhaite, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, que vous preniez ce rapport pour ce qu’il est, soit un outil destiné à éviter qu’une telle situation ne se reproduise, et non une dénonciation de votre politique, comme j’ai pu l’entendre ou le lire dans la presse.

Avant toute chose, nos travaux ont mis en évidence des angles morts importants dans la politique de prévention des risques, en particulier la difficulté de l’administration à accéder en temps réel à l’information relative à la localisation et à la composition des produits stockés dans un site Seveso. Le nombre réduit de sanctions prononcées à l’encontre des industriels après le constat de manquements aux obligations légales et réglementaires semble relever d’une certaine passivité en matière de contrôles, notamment pour ce qui concerne le risque incendie, première source d’accident industriel.

Ensuite, nous avons constaté que le public est le grand absent de la politique de prévention des risques : 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques industriels et technologiques et 10 % à peine affirment savoir comment réagir en cas d’accident.

Les élus et les associations de protection de l’environnement ont également formulé des critiques sur le fonctionnement des instances de concertation. L’accident de l’usine Lubrizol révèle donc, une fois encore, un manque de culture du risque et de la sécurité.

Pour tenir compte de ces fragilités, ma collègue rapporteure et moi-même demandons notamment l’augmentation de la fréquence des exercices, la diversification de la composition des structures de concertation, le renforcement des obligations des exploitants en matière de prévention du risque incendie et le développement des mutualisations entre opérateurs à l’échelle d’un bassin de risque. Plusieurs des mesures que vous avez soumises à consultation vendredi dernier, madame la ministre, reprennent ces recommandations, au moins pour partie. C’est une bonne chose.

Peut-être pourriez-vous également nous dire comment vous entendez faire en sorte que l’ensemble des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) soient approuvés d’ici à la fin de l’année.

La mise en place des nouveaux exécutifs locaux est une occasion privilégiée pour renforcer l’information des élus sur les risques industriels, mais aussi sur les risques sanitaires et sur les risques climatiques. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez contribuer à cette action qui nous semble tout à fait essentielle.

En matière financière, nous proposons de proroger le crédit d’impôt en faveur des ménages qui réalisent des travaux dans leur logement en lien avec un PPRT, mais aussi d’instituer une avance aux particuliers, car beaucoup d’entre eux ne paient pas d’impôt sur le revenu. Nous avons aussi affirmé la nécessité que les victimes de l’accident ne subissent aucune franchise. Cette mesure est tout sauf symbolique pour les personnes modestes touchées par l’incendie.

Je conclurai mon propos en vous interrogeant sur deux points, madame la ministre.

Comment comptez-vous tenir l’objectif que vous vous êtes fixé d’une augmentation de 50 % du nombre annuel de contrôles dans les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) d’ici à 2022 ? Comme vous le savez, depuis quinze ans, les effectifs de l’inspection des ICPE ont augmenté alors que le nombre de contrôles, lui, a été divisé par deux. Vous pouvez évidemment compter sur notre soutien s’il s’agit d’engager le combat contre Bercy pour atteindre cet objectif.

Surtout, comment comptez-vous mieux associer les citoyens à la politique de prévention des risques et renforcer l’information du public, en particulier les riverains des sites classés ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – M. Hervé Maurey, président de la commission denquête, applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite d’abord vous remercier de me donner de nouveau l’occasion d’échanger avec vous sur les suites de l’accident industriel de Lubrizol.

Je veux rappeler, à titre d’introduction, que le Gouvernement a fait face aux conséquences environnementales de cet accident avec une parfaite transparence. L’analyse complète de l’état des milieux du département de Seine-Maritime, fondée sur des prélèvements dans les 112 communes exposées aux retombées de suie, a été présentée au comité pour la transparence et le dialogue.

Les résultats obtenus révèlent uniquement des traces de plomb et de benzo[a]pyrène. On retrouvait déjà ces polluants dans certains sols de la région, du fait de son passé industriel ; leur présence ne peut donc être imputée à l’incendie. Des résultats complémentaires sont encore attendus pour les zones plus éloignées de l’incendie, dans l’Oise et le Nord.

Je le souligne, c’est la première fois qu’un protocole de surveillance aussi ambitieux est mis en œuvre.

Afin d’éviter qu’un tel accident ne se reproduise, j’ai présenté dès le 11 février 2020 un premier plan d’action.

Pour renforcer la transparence, si un accident industriel survient, la liste des produits concernés par l’incendie et des substances susceptibles d’être émises du fait de celui-ci sera désormais mise à disposition du public.

Par ailleurs, l’analyse des causes du développement rapide de l’incendie nous conduit à revoir les mesures de compartimentage, la disposition des stockages de produits et la conception des cuvettes de rétention.

Pour que les industriels soient mieux préparés à la gestion d’un accident, l’obligation de réaliser un plan d’opération interne, c’est-à-dire un plan de gestion de crise interne à l’établissement, sera désormais étendue à l’ensemble des sites Seveso. La mise en œuvre de ces plans d’urgence devra être testée lors d’exercices réguliers : tous les ans pour les sites Seveso seuil haut ; tous les trois ans pour les autres installations.

Les principaux textes d’application de ce plan d’action sont soumis à la consultation du public depuis vendredi dernier, et les autres le seront d’ici à la fin de l’été.

Je me suis engagée à renforcer les contrôles via une augmentation de 50 % du nombre d’inspections d’ici à la fin du quinquennat. Après avoir fait le bilan des possibilités d’allégements de tâches administratives, je vous annonce que j’ai décidé de renforcer l’inspection des installations classées en consacrant à cette mission cinquante postes d’inspecteurs supplémentaires à partir de 2021. Cette annonce répond, me semble-t-il, à vos interrogations.

Je viens par ailleurs de nommer le préfigurateur du futur bureau d’enquête accident (BEA) pour les risques industriels ; il s’agit de l’ancien directeur régional et interdépartemental de l’environnement et de l’énergie d’Île-de-France.

Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale m’a été remis, et je souhaite que ses propositions viennent enrichir le plan d’action du Gouvernement.

Pour ce qui concerne les PPRT, je peux vous confirmer que 385 plans sur 390 sont d’ores et déjà terminés, les cinq restants nécessitant une concertation avec les collectivités – il s’agit de sites complexes à propos desquels il me semble important de prendre le temps de la concertation. Quant au crédit d’impôt pour le financement des travaux prescrits dans le cadre d’un PPRT, il sera bien prolongé jusqu’en 2023.

Vous soulignez également, dans votre rapport, la nécessité de créer une véritable culture du risque industriel. On le sait, de nombreux dispositifs réglementaires visent à associer les élus et à informer les citoyens et les entreprises ; mais chaque événement nous rappelle que la portée réelle de ces dispositifs est encore trop limitée. Il ne s’agit donc pas d’empiler de nouveaux textes sur les textes existants, et j’ai décidé de lancer, à la rentrée, une mission pluridisciplinaire sur la modernisation de la culture du risque.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis bien sûr à votre disposition pour répondre à vos questions ; je laisse la parole à Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, sur les sujets relevant du périmètre de ce ministère.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’incendie de l’usine Lubrizol, site classé Seveso seuil haut, survenu dans la nuit du jeudi 26 septembre dernier, a suscité une profonde inquiétude dans l’ensemble de la population rouennaise et, plus largement, chez nos concitoyens concernés par les conséquences du panache de fumée, et soulevé de nombreuses interrogations légitimes sur les effets sur la santé de cet incident industriel grave.

La gestion de crise liée à ce type d’événement a impliqué plusieurs ministères et services de l’État à l’échelon territorial, comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure. Nous estimons que, en dépit de cette complexité, les services de l’État sont parvenus à mettre en œuvre une action coordonnée pour protéger les populations. Je souhaite en particulier rappeler la qualité et la diligence du système de soins et des autres services de l’État, ainsi que des expertises mobilisées.

En phase aiguë, dès la survenue de l’incendie, le 26 septembre, et dans les jours qui ont suivi l’événement, la stratégie de réponse du ministère des solidarités et de la santé et des agences régionales de santé (ARS) a visé à limiter l’exposition des populations aux polluants émis par l’incendie, notamment par l’édiction de recommandations sanitaires, et à surveiller les effets sanitaires immédiats, afin de déterminer les prises en charge adaptées et d’ajuster l’offre de soins si la situation l’exigeait. Aucun cas grave n’a été rapporté durant cette phase aiguë, dont le bilan sanitaire a été confirmé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Afin d’assurer une surveillance de la population dans les jours suivant l’incendie, Santé publique France a été saisie par le ministère des solidarités et de la santé pour la réalisation en urgence d’une synthèse concernant l’incidence sanitaire observée. Une surveillance renforcée de la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine a été mise en œuvre par l’ARS Normandie, qui a effectué des analyses tout de suite après l’incendie, en complément des analyses régulières du contrôle sanitaire des eaux.

Le ministère a suivi avec attention les résultats des analyses réalisées par les différents services de l’État pour caractériser la contamination dans les autres milieux, concernant notamment plusieurs substances préoccupantes, afin, le cas échéant, d’adapter les recommandations sanitaires diffusées auprès des populations. Une telle adaptation n’a pas été nécessaire. En effet, les analyses n’ont mis en évidence aucun résultat non conforme aux valeurs seuil.

Le ministère des solidarités et de la santé a par ailleurs procédé à l’évaluation précise des conséquences de l’incendie à moyen et à long terme sur l’environnement et sur la santé, via la saisine de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et de l’Anses. Ce travail rigoureux et complexe est en effet fondamental pour la prise en charge de la population.

La commission d’enquête a formulé plusieurs recommandations ; sept d’entre elles relèvent du champ du ministère des solidarités et de la santé. Nous aurons probablement l’occasion d’échanger, au cours de ce débat, sur les termes de ces recommandations. Nous partageons évidemment l’objectif qui consiste à améliorer la capacité à protéger les populations.

Deux questions m’ont été posées. Pour ce qui concerne la création de registres de morbidité, la mise en place de nouveaux registres ne nous semble pas opportune compte tenu du périmètre couvert par les registres existants. Néanmoins, des améliorations sont toujours possibles.

S’agissant des cancers, nous étudions la possibilité d’estimer leur incidence à l’échelon infradépartemental, ce qui répondrait à la préoccupation du Sénat. Quant aux malformations congénitales, plusieurs actions ont été engagées, notamment la création, en 2020, d’un septième registre de malformations sur une zone encore non couverte par les six registres existants. Concernant enfin le suivi sanitaire renforcé, nous vous rejoignons évidemment sur la nécessité de disposer d’un suivi à moyen et à long terme des conséquences sanitaires de l’incendie ; quatre approches ont été identifiées à cet effet par Santé publique France.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame Borne, vous aviez dit, lors d’une audition qui avait eu lieu immédiatement après l’incendie, ici même, au Sénat, que la législation issue des accidents industriels Seveso et AZF notamment n’était pas complètement adaptée pour gérer le risque à moyen et à plus long terme ; je vous rejoins totalement sur ce point. Aucune obligation d’enquête de santé, par exemple, n’est prévue. Les enquêtes dont, en l’espèce, on a pu obtenir l’organisation, qui ont été confiées à Santé publique France, n’ont, pour l’une d’entre elles au moins, toujours pas démarré ! Et, selon toute vraisemblance, elle ne commencera finalement qu’un an après l’incendie.

Or le rapport relève très justement que le principe de précaution aurait dû prévaloir dès le départ, qu’il devrait guider le suivi sanitaire de la population et des salariés sur le long terme, l’ouverture de registres de morbidité étant notamment essentielle pour la connaissance des conséquences de cette catastrophe. En la matière, je viens d’entendre une ouverture, que je salue. Mais il ne me semble pas raisonnable ni sensé de se contenter d’attendre les prélèvements, dont je rappelle qu’ils sont, en outre, à la charge de l’industriel, pour déclencher la création de registres ou le lancement d’une enquête médicale.

Ne pourrait-on pas imaginer, par exemple, un dispositif législatif autorisant le déclenchement immédiat, après ce type d’accident, d’enquêtes sanitaires et environnementales rendant possible le suivi de ce qui se passe réellement ? Ce suivi permettrait également de veiller à la bonne indemnisation des préjudices subis. La contractualisation aujourd’hui en vigueur empêche tout recours ultérieur contre la société Lubrizol de la part des bénéficiaires des deux fonds d’indemnisation mis en place ; or, par définition, on ne connaît pas aujourd’hui les conséquences qui pourraient s’ensuivre de la catastrophe à long terme.

Je conclurai en insistant sur l’absolue nécessité d’une meilleure association des élus locaux, en particulier des maires, dans la gestion de crise, dans le contrôle des sites, dans les exercices de sécurité civile. Il est indispensable que l’État considère enfin les élus locaux comme des partenaires à part entière. Quelles consignes entendez-vous donner en ce sens ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Nelly Tocqueville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, nous aimerions tous pouvoir apporter des garanties aux populations. Force est de constater, néanmoins, que la démarche que nous avons à mettre en œuvre comporte des incertitudes, et qu’elle revient à avancer à l’aveugle, si vous me permettez cette expression. Les conséquences d’un incendie, en particulier lorsqu’il s’agit d’un incendie du type de celui de l’usine Lubrizol, sont très complexes à déterminer. La complexité peut certes être anxiogène, mais il faut pouvoir assumer, devant nos concitoyens, la nécessité d’objectiver la présence de contaminants dans les milieux avant de pouvoir mesurer l’incidence sanitaire potentielle.

Sans attendre les identifications que nous avons demandées à Santé publique France, nous avons réalisé notamment des suivis d’évaluation des activités des urgences, de SOS Médecins, de tout le corps médical et médico-social – nous avons aussi pris en compte les conséquences psychosociales de cet incendie. Nous devons, sur ces éléments particuliers, apporter des réponses. Nous avons commencé ce travail, qui est mené parallèlement aux études conduites par Santé publique France.

Sur certains points, des améliorations sont possibles – le rapport recense quelques pistes, et nous allons les étudier : notre objectif est bien de nous saisir des rapports des parlementaires pour améliorer le système en le rendant plus efficace et plus efficient. Et je partage votre souhait d’associer toujours davantage les élus locaux de proximité, auprès des services des préfectures notamment. Une telle association nous semble nécessaire dans la perspective de transmettre, ensuite, une information de très bonne qualité à nos populations et à l’ensemble de nos professionnels.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – Mmes Élisabeth Doineau et Nadia Sollogoub applaudissent également.)

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de saluer le caractère complet de ce rapport à l’occasion de son adoption par la commission d’enquête. Les propositions qu’il contient devront bien sûr être prises en compte. Je souhaite, mesdames les ministres, attirer votre attention sur l’importance du rôle de l’information, soulevée par ce rapport, et qui me semble primordiale.

La gestion d’une crise de l’ampleur de celle de l’incendie de l’usine Lubrizol exige une meilleure fluidité d’échanges entre les différents acteurs, à savoir les préfets des régions et des départements concernés et voisins, les élus locaux, les acteurs de la santé, et, bien sûr, les citoyens. J’ai pu observer qu’une telle fluidité n’a malheureusement pas toujours été suffisamment à l’œuvre au mois de septembre dernier.

Je dis, sans rire, qu’à certains égards la Bresle, fleuve côtier qui sépare la Seine-Maritime de la Somme, a été à Lubrizol ce que fut le Rhin à Tchernobyl ! Compte tenu des vents d’ouest dominants dans notre région, les cultivateurs du département de la Somme riverains de la Seine-Maritime ont vu assez rapidement la suie issue de l’incendie commencer à se déposer sur leurs terres, et de nombreuses communes furent touchées. Cela pourrait avoir des conséquences multiples sur les terres cultivables et pâturables, ainsi que sur nos concitoyens ; d’où l’importance d’organiser une gestion sur le long terme des conséquences d’un tel accident, fondée sur le partage des informations.

Est-on sûr, aujourd’hui, qu’un véritable suivi épidémiologique sérieux a bien été mis en place ? Des prélèvements de carottes ont-ils été effectués ?

S’agissant de la réparation des préjudices, si la première phase s’est déroulée à peu près convenablement, cela ne semble pas être le cas de la deuxième phase : la paperasse a pris le dessus sur la fluidité. Le lait jeté, le temps passé, tout cela représente de l’argent, mais ne donne lieu à aucune indemnisation. Quid donc de l’indemnisation des préjudices indirects ?

Mesdames les ministres, le rapport de la commission d’enquête soulève la question de la mise en place d’une véritable culture du risque dans notre pays. Quelles réflexions menez-vous sur ce sujet ? Quelle place tient dans ces réflexions l’enjeu de la circulation d’une information claire et rapide entre l’État et les acteurs de terrain, administratifs et élus, ainsi qu’en direction de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – MM. Joël Bigot et Franck Menonville ainsi que Mme Nelly Tocqueville applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, je vous rejoins totalement sur la nécessité de prendre en compte tous les territoires qui peuvent être potentiellement affectés par un panache tel que celui de l’incendie de l’usine Lubrizol. Tel est le sens des préconisations qui figurent dans les référentiels professionnels publiés par mon ministère en matière de gestion d’un accident et de ses conséquences. Les exploitants ont bien pour obligation, d’ailleurs, de prendre en compte toutes les communes qui peuvent être concernées lorsqu’ils réalisent une étude de dangers.

Je précise également que l’Ineris met à disposition une cellule d’appui aux situations d’urgence qui permet de modéliser le panache d’un incendie dans les meilleurs délais. En l’occurrence, dans le cas de l’accident de l’usine Lubrizol, la première simulation du panache, et donc des communes potentiellement touchées, a été reçue par la préfecture le jour même de l’incendie, en fin d’après-midi. Deux modélisations ont même été réalisées, l’une par Météo France, l’autre par cette cellule de l’Ineris que je viens d’évoquer.

Je peux vous assurer également que les prélèvements conservatoires, c’est-à-dire portant sur l’eau potable et sur la chaîne alimentaire, et les prélèvements environnementaux ont été effectués dans l’ensemble des communes susceptibles d’avoir été affectées par le panache, indépendamment des limites administratives.

Aujourd’hui, nous avons pu exploiter tous les prélèvements de Seine-Maritime ; dans le courant du mois de juillet, nous disposerons des prélèvements de l’ensemble des départements des Hauts-de-France qui ont été touchés eux aussi. Les indemnisations, qu’il s’agisse des plus de 550 dossiers ouverts auprès du fonds d’indemnisation « généraliste » ou des plus de 1 100 dossiers d’exploitations agricoles, concernent indifféremment des communes, des exploitations, des entreprises, de Seine-Maritime et des départements des Hauts-de-France : nous avons bien pris en compte l’ensemble des communes et des territoires touchés par ce panache.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pascal Martin. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 26 septembre 2019, quand l’incendie hors norme de l’usine Lubrizol s’est déclaré, j’étais sur place en tant que président du conseil départemental de la Seine-Maritime, fonction que j’occupais à l’époque. Je peux témoigner à la fois de la violence du choc et du caractère exemplaire des premières réactions. L’engagement des salariés de l’usine a été sans faille. Il a été immédiatement relayé par le service départemental d’incendie et de secours de la Seine-Maritime, puis par les services homologues de six départements voisins. C’est sans doute grâce à cet engagement que le sinistre n’a fait ni morts ni blessés et n’a endommagé aucune habitation.

Pour autant, l’accident a révélé un certain nombre de faiblesses dans notre système de prévention et de prise en charge des accidents industriels. La prévention est l’un des enjeux majeurs que font ressortir les conclusions de notre commission d’enquête, dont je salue au passage l’excellence du travail. Je me félicite d’ailleurs que celle-ci ait élargi sa compétence à la dimension prévisionnelle du sujet, essentielle s’agissant de ce type d’accident.

Pour ce qui concerne la réaction des pouvoirs publics en cas d’accident, celui de Lubrizol a malheureusement prouvé que nous devions absolument remettre à plat nos protocoles. Pour que cette réaction soit optimale, il faut que toutes les autorités appelées à intervenir soient parfaitement coordonnées, en particulier la préfecture et les élus. Or tel n’est pas le cas. Le plan communal de sauvegarde élaboré par le maire n’est pas articulé avec le plan particulier d’intervention du préfet. Les élus locaux ne sont pas systématiquement associés aux exercices de sécurité, qui sont aujourd’hui trop peu nombreux. Quant aux conclusions des contrôles menés par les inspecteurs des installations classées, elles ne sont pas communiquées aux élus.

C’est tout le problème de l’articulation entre, d’une part, les pouvoirs de police générale exercés par le maire et, d’autre part, les pouvoirs de police spéciale exercés par le préfet. Cette situation crée la confusion dans l’esprit des administrés, lesquels, spontanément, s’adressent à leur maire dans l’urgence.

Madame la ministre, comment comptez-vous assurer l’articulation entre le préfet et le maire en cas de sinistre majeur, aux conséquences sanitaires, environnementales et économiques souvent considérables pour les habitants des territoires concernés ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-Marc Boyer et Vincent Segouin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, nous avons eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises sur place à la suite de l’accident de l’usine de Lubrizol. Je partage tout à fait l’idée que les communes ont un rôle décisif à jouer dans la prévention des risques. De fait, elles sont associées aux différentes étapes clés de la vie d’un site industriel.

Je rappelle que les élus sont associés dès la phase d’autorisation d’une installation industrielle : l’étude de dangers et l’étude d’impact sont réalisées dans le cadre du dossier de demande d’autorisation. Une enquête publique est organisée, et tous ces documents sont alors mis à disposition du public. En parallèle, un avis spécifique est demandé aux collectivités territoriales et à leurs groupements directement concernés par le projet.

Les élus sont aussi associés dans les instances de suivi de la vie d’une installation industrielle ; ils participent notamment aux commissions de suivi de site (CSS), qui sont obligatoires autour des sites Seveso seuil haut. Ils sont également représentés dans les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels, qui sont les structures de concertation locales autour des grandes plateformes industrielles. Les collectivités déclinent les dispositifs réglementaires visant à garantir la diffusion de la culture du risque sur leur territoire ; vous savez que le document départemental sur les risques majeurs est mis à disposition des élus par les préfectures ; c’est sur cette base que les élus élaborent les documents d’information communaux sur les risques majeurs.

Je pense, pour ma part, qu’il faut aller plus loin ; tout l’objet de la mission sur la modernisation de la culture du risque que je souhaite lancer à la rentrée sera là. On voit bien en effet qu’en définitive, malgré ces dispositifs d’information des élus, malgré les enquêtes publiques, malgré l’existence des commissions de suivi autour des sites industriels, la culture du risque n’est pas suffisante dans notre pays. Il s’agit donc de renouveler cette culture, de faire plus participer les citoyens, d’associer davantage les collectivités, par exemple lors des exercices qui sont réalisés dans le cadre des plans particuliers d’intervention. Nous avons vraiment, me semble-t-il, des marges de progrès sur ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier moi aussi la commission d’enquête de la qualité de son travail et de l’organisation de ce débat.

L’incident de l’usine Lubrizol a rappelé, les révélant au grand jour, les risques sanitaires et environnementaux liés à un développement mal contrôlé de l’industrie, et la nécessité de renforcer la prévention de ces risques a été soulignée.

À ce titre, les auteurs du rapport proposent, avec raison, de veiller au respect du principe de non-régression. Mais il faut, me semble-t-il, aller plus loin encore pour tirer les conséquences de cette recommandation.

Dans les faits, depuis 2009, on constate de multiples reculs et une instabilité du droit de l’environnement, constat partagé par nombre de juristes de l’environnement et responsables d’ONG. Au prétexte d’une simplification, ledit droit ne cesse de se complexifier, avec pour corollaire un affaiblissement de l’efficacité des normes et de la démocratie environnementale, mais aussi une insécurité juridique pour les porteurs de projets.

On peut notamment citer la création du régime de l’enregistrement, les relèvements de seuils, les dispenses d’évaluation environnementale des projets au cas par cas, les suppressions de consultations obligatoires.

Cette régression du droit de l’environnement est aggravée par la chute du nombre de contrôles effectués par l’administration, bien soulignée dans le rapport.

Dans un troisième volet du rapport, la prévention des risques en aval est pointée du doigt : la faiblesse des sanctions en cas de manquement les rend peu voire pas du tout dissuasives – elles sont en outre, on le sait, rarement appliquées. Les auteurs du rapport proposent de renforcer les sanctions administratives. C’est une bonne chose, mais, en cas de manquements graves, la réponse pénale doit être renforcée, en infligeant des amendes proportionnelles au chiffre d’affaires par exemple, et en se donnant les moyens d’appliquer le droit, via une justice spécialisée.

Aussi, madame la ministre, le Gouvernement prévoit-il de renforcer l’efficacité du droit de l’environnement et de mettre en œuvre une politique de sanction réellement dissuasive ? (M. Yvon Collin applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je pense qu’il ne faut pas confondre la simplification des démarches avec le degré de protection apporté. Vous avez raison de souligner que les gouvernements successifs, depuis une dizaine d’années, ont essayé de simplifier les procédures, afin d’améliorer la lisibilité et la transparence de celles-ci, de permettre une large participation du public et d’assurer le même niveau de protection pour les différents enjeux environnementaux, espèces protégées, paysages, incidence sur les milieux aquatiques.

Il ne s’agit évidemment pas de baisser le niveau des règles de sécurité applicables aux installations industrielles. Bien au contraire, le plan d’action que j’avais présenté au mois de février, dont une partie des textes a été soumise à consultation vendredi dernier, vise à renforcer la transparence sur les accidents et leurs conséquences, à prendre des dispositions supplémentaires pour empêcher la survenue de nouveaux incendies d’ampleur et à accroître les moyens de contrôle – j’ai eu l’occasion d’évoquer ce plan.

S’agissant des sanctions, je partage tout à fait l’idée qu’il faut s’assurer que les poursuites pénales ont bien lieu et que les sanctions sont réellement dissuasives. C’est bien tout le travail que nous avons engagé avec Mme la garde des sceaux, Nicole Belloubet, qui vise à la fois à revoir le niveau des sanctions et à créer des juridictions spécialisées en matière d’environnement. La création de telles juridictions dédiées à ces sujets laisse espérer un renforcement des poursuites pénales par rapport à la situation qui prévaut actuellement, dans laquelle les dossiers relatifs à ces questions figurent parmi d’autres dossiers de délits pénaux que les magistrats peuvent avoir tendance à considérer comme plus prioritaires.

Le renforcement de l’échelle des sanctions et la mise en place de juridictions spécialisées me semblent vraiment des leviers très importants pour mieux sanctionner, de manière plus dissuasive, les atteintes à l’environnement.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Dans l’actualité de cette semaine, la Convention citoyenne pour le climat a montré une attente forte des citoyens, afin de juger sévèrement les atteintes à l’environnement via la création d’un crime d’écocide. Il s’agit d’une idée majeure.

Sans trancher ici le débat de savoir si ce crime devrait être reconnu dans notre droit national ou à l’échelon international, cette proposition appelle à un véritable renforcement du droit pénal environnemental, qui prendrait notamment la forme d’un délit de mise en danger de l’environnement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les travaux de la commission d’enquête mise en place spécifiquement à la suite de l’incendie de l’usine Lubrizol ont poursuivi un objectif plus global : tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques partout sur notre territoire.

Sénatrice de la Gironde, je rappelle que sur les 1 312 installations classées Seveso en France, 157 se situent en Nouvelle-Aquitaine. Et mon département est celui qui en compte le plus.

Lors de votre audition, madame la ministre, j’avais abordé la problématique de la culture du risque en France, en lien avec les différentes visites que j’ai effectuées dans mon département où sont implantés 35 sites Seveso+, ainsi que le besoin des maires d’être accompagnés, notamment pour ce qui concerne la sensibilisation de leurs concitoyens. En fin d’année dernière, lors de son audition, le président de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs avait attiré notre attention sur l’importance d’une information plus transparente, mieux partagée entre les services de l’État, les entreprises concernées et les élus locaux. Cette information avait été, semble-t-il, défaillante dans la catastrophe survenue à Rouen. Quelle information allez-vous mettre en place demain à destination de nos concitoyens ? De quels moyens de communication en urgence disposerons-nous auprès des populations en cause, à l’heure des réseaux sociaux ?

Un chiffre est avancé dans le rapport : 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques.

Si notre pays est doté d’outils et de structures garantissant l’information et la participation du public, la question de la composition de ces structures a été posée – c’est un élément du rapport –, de même que le type de système d’alerte utilisé. De façon transversale, c’est la question de la coordination des actions de l’État et des collectivités territoriales dans la réponse opérationnelle à apporter dans l’urgence…

Mme la présidente. Il faut conclure !

Mme Françoise Cartron. … et pour renforcer l’appropriation de la gestion des risques industriels et technologiques par les élus sur le long terme qui vous est posée. Comment mieux associer les élus ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Comme je l’ai rappelé, de nombreux outils existent pour impliquer les populations et développer la culture du risque. Je pense aux commissions de suivi de site, aux secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels, au document départemental sur les risques majeurs.

Néanmoins, ces dispositifs paraissent aujourd’hui très formels et ne permettent pas d’assurer une sensibilisation large, efficace et pédagogique de la population face aux risques industriels.

C’est pourquoi j’ai décidé de lancer une mission pluridisciplinaire pour renforcer la culture du risque. Il s’agira, notamment, de poser un diagnostic partagé avec les parties prenantes pour redéfinir les enjeux et les attentes en matière d’information et d’acculturation au risque, d’examiner la pertinence des dispositifs existants et d’identifier les outils et les canaux les plus efficaces pour sensibiliser le grand public avec pédagogie. Il s’agira aussi de proposer des pistes d’approches participatives mobilisatrices pour mieux associer les élus.

Vous savez que la France est dotée d’un réseau national d’alerte composé d’environ 4 500 sirènes, sous le pilotage du ministère de l’intérieur. Ces sirènes sont testées le premier mercredi du mois dans les plus grandes villes.

Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux sont aussi largement utilisés par les préfectures, ce qui peut améliorer l’information. Par ailleurs, d’autres dispositifs sont à l’étude par le ministère de l’intérieur, notamment pour faire sonner les téléphones portables dans les zones en cause.

Il existe au demeurant une directive européenne de 2018 qui prévoit que les alertes publiques soient transmises aux utilisateurs finaux concernés par les fournisseurs de services mobiles de communication. Le Gouvernement se prépare à mettre en œuvre cette directive. Comme le recommande la commission d’enquête, le dispositif dit « Cell Broadcast » devrait être testé en grandeur réelle d’ici à la fin de l’année 2021.

Je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice, il est important d’impliquer les élus dans la gestion des crises et dans les bonnes pratiques. Il est essentiel de les associer aux exercices qui sont menés en application des plans particuliers d’intervention. Une telle association devrait être généralisée, afin que l’État et les élus agissent main dans la main, pour faire face à des catastrophes telles que celle que nous avons connue à Rouen.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’incident de Lubrizol en 2013, l’État, par la voix du préfet, s’était engagé publiquement à mettre en place des ateliers d’écriture en invitant les acteurs du territoire compétents à travailler ensemble pour que les informations transmises en cas d’incident industriel puissent être comprises et assimilées par les populations.

Ce travail d’écriture n’a jamais eu lieu et les mêmes erreurs de communication sur la qualité de l’état sanitaire de l’air ont été reproduites en 2019. Elles ont largement contribué à discréditer la parole des autorités, car celles-ci n’étaient pas « entendables ». Pensons simplement à la cacophonie qui a régné après la survenance de l’incident, avec six déplacements ministériels en une semaine pour autant de déclarations divergentes !

Que comprend le public lorsqu’on lui dit qu’il n’y a pas de toxicité alors même qu’il voit un incendie hors norme dégageant un impressionnant panache noir ?

Que comprend le public quand le préfet parle d’une qualité de l’air « habituelle » alors qu’il est, dans le même temps, soumis à des effluves extrêmement malodorants, qu’il ressent des irritations, des nausées et des maux de tête ?

Face aux crises, l’État ne peut pas avoir raison tout seul, notamment parce que ces crises sont complexes et que l’État central ne saurait, par nature, avoir une complète connaissance du terrain, au contraire des associations et des collectivités. Nous avons besoin de cette subsidiarité.

La France dispose d’associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, qui exercent une mission de service public aux côtés de l’État, et leur caractère professionnel est avéré. Pourquoi laisser de côté la parole de ces associations expertes ? Madame la ministre, que comptez-vous faire pour développer la culture du risque, notamment en intégrant mieux les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa), comme vous y invite la commission d’enquête ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Même si la gestion de crise ne relève pas directement de mon ministère, nous devons clairement progresser sur l’information et la communication, ce qui suppose sans doute également d’améliorer la prévention et la culture du risque hors événements de crise. Tel est l’objectif de la mission pluridisciplinaire, que je souhaite lancer à la rentrée.

Je partage tout à fait vos propos, monsieur le sénateur, sur l’importance d’associer les associations agréées à la surveillance de la qualité de l’air. C’est bien ce qui a été fait en l’occurrence puisque, lors de l’incendie, l’association régionale Atmo Normandie a été sollicitée pour participer à cette surveillance. Cette association a décidé de suspendre la diffusion de son indice qui, de fait, cible des polluants comme le dioxyde de soufre, le dioxyde d’azote, les particules PM10 et l’ozone, qui ne sont pas réellement représentatifs des substances émises pendant l’incendie. Je le conçois, cette décision a pu sembler inquiétante.

Le Gouvernement va continuer à travailler en lien étroit avec les Aasqa, afin de déterminer la meilleure voie pour communiquer sur la qualité de l’air en cas d’accident industriel. Je suis convaincue que ces associations ont un rôle important à jouer dans la mise en place de mesures spécifiques de prélèvements de l’air à la suite d’un incendie.

Vous savez que les exploitants de sites Seveso, qui ont un plan d’opération interne, seront appelés à identifier davantage les moyens permettant de mener des analyses précises sur des substances préidentifiées. Nous allons devoir renforcer le réseau des intervenants en situation post-accidentelle (RIPA), qui a pu effectuer rapidement des prélèvements, mais dont les résultats ont été connus assez tardivement. Je pense donc que les Aasqa auraient toute leur place et un rôle à jouer pour renforcer le RIPA.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Madame la ministre, vous n’avez commencé à répondre à ma question qu’à la toute fin de votre intervention !

À l’heure actuelle, les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air sont mises à l’écart. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.) Elles vous fournissent certes des informations, mais elles ne sont pas en première ligne, aux côtés de l’État, dans le temps de la communication. Vous levez les yeux au ciel : il s’agit pourtant d’un constat bien réel dont fait état le rapport de la commission d’enquête. Pour connaître également un peu ce dispositif, je puis vous garantir qu’il est temps de vous ressaisir !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.

Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, en 2013, une fuite de mercaptan s’est produite à l’usine Lubrizol. On constate alors une défaillance dans la communication, en direction des populations et des élus.

En 2019, les riverains de l’usine Lubrizol, à Petit-Quevilly, sont réveillés, le 26 septembre vers trois heures du matin, par des explosions, bien avant les premières alertes officielles, et sortent dans la rue, inquiets, s’exposant directement aux fumées et aux produits toxiques.

Enfin informée, Mme la maire de Petit-Quevilly déclenche le système d’alerte à six heures onze. Mais les populations et les élus des autres communes affectées, de la rive gauche comme de la rive droite, devront encore attendre. Ce n’est qu’à sept heures quarante-cinq que la préfecture déclenchera les sirènes d’alerte pour les informer. De nombreux élus vont protester contre ce traitement inadapté de l’information par les services de l’État.

Le rapport de la commission d’enquête pointe du doigt une réelle défaillance de communication de la part de ces derniers dans la gestion de cette crise. À vouloir éviter la panique, ils ont créé un vide propice à l’inquiétude et à l’angoisse.

De plus, la sous-exploitation des réseaux sociaux par ces mêmes services n’a pas permis de diffuser des explications sur le déroulement des événements ni d’informer les populations sur les conduites à tenir. Contrairement à d’autres préfectures, celle de Seine-Maritime n’a pas signé de convention qui lui aurait permis d’analyser la crise médiatique et de détecter, en amont, les activités sur les réseaux sociaux, pour mieux les maîtriser.

Or, au cours d’une visite par la commission dans la vallée de la chimie, à Lyon, nous avons constaté qu’il est possible aux grands acteurs, publics et privés, de travailler en concertation sur les stratégies de communication de crise. Ne faudrait-il pas faire de cette initiative une règle sur notre territoire ?

Chez nous, le 26 septembre, il fut bien difficile de faire la part des choses entre mesures de mise à l’abri, de confinement, voire absence totale de consignes.

Madame la ministre, vous avez mentionné le système d’alerte du Cell Broadcast et vous avez annoncé qu’il serait mis en place en 2021. Pourquoi ne pas déployer dès maintenant de tels moyens ? Faudra-t-il qu’un autre accident grave survienne pour que notre pays se décide enfin à tirer rapidement les leçons de la gestion pour le moins insatisfaisante de cette crise, afin de protéger nos concitoyens ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Un retour d’expérience sur la communication de crise, dont je rappelle qu’elle ne relève pas directement de mon ministère, s’imposait. Il est donc en cours pour clarifier et moderniser la doctrine de communication de l’État, à l’échelle centrale comme à l’échelle locale.

Il s’agit aussi d’avoir un meilleur suivi de l’activité des réseaux sociaux de façon à identifier très en amont les attentes du public et de prévenir, le cas échéant, la diffusion de fausses nouvelles. Il importe d’adapter le contenu des messages pour répondre davantage aux attentes du grand public.

Nous devons pouvoir nous appuyer, pour la communication de crise comme pour l’information et l’alerte des populations concernées, sur des moyens plus modernes. Nous allons passer du système actuel des sirènes au dispositif du Cell Broadcast. Le ministère de l’intérieur travaille à la généralisation de celui-ci en 2021, comme le prévoit la directive européenne.

S’agissant de la décision prise durant la crise d’attendre le matin pour déclencher les sirènes, les analyses des missions interministérielles confirment qu’il aurait été finalement inapproprié de faire sortir de chez eux les riverains la nuit en déclenchant la sirène avant d’avoir mis en place les moyens permettant de maîtriser l’incendie.

Le ministère de l’intérieur est en train de se pencher sur tous ces sujets, qu’il s’agisse des outils de communication ou des outils d’alerte des populations. En tout état de cause, il importera de tirer toutes les leçons de cet accident.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, ma question porte sur la reconnaissance et, par voie de conséquence, sur la place que l’État compte accorder à l’avenir aux élus dans la gestion de crises et de catastrophes industrielles ou environnementales.

En effet, comme d’autres dans cette enceinte, élue directement de ces territoires, présente dans les heures et jours qui ont suivi l’incendie, je peux porter témoignage, comme je l’ai fait dès le lendemain en posant une question d’actualité au Gouvernement, de la gestion de cette crise et de l’absence regrettable d’information claire et immédiate délivrée aux maires des communes limitrophes, mais également aux maires des 112 communes, voire davantage, affectées par le nuage de fumée.

Est-il normal que le système Gestion de l’alerte locale automatisée (GALA) n’ait fonctionné que dans l’après-midi ? Est-il normal que ce soient les gendarmes qui soient venus informer les maires pour leur demander s’ils avaient remarqué quelque chose d’étrange dans leur commune ?

Dès lors, comment les élus peuvent-ils répondre aux inquiétudes de leurs administrés ? Comment peuvent-ils relayer les bonnes consignes ?

C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à inscrire dans le marbre, par voie d’amendement, dans la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique l’obligation d’informer les élus en cas d’événement grave. Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que cette disposition ne restera pas lettre morte ?

Autre problème, selon la commission d’enquête, « 62 % des élus font part d’un manque d’information sur les risques industriels et 78 % sont peu ou pas associés aux exercices de sécurité civile ». Ces chiffres sont très mauvais. Comment comptez-vous concrètement développer à travers la formation une vraie culture du risque, ainsi qu’une capacité à prévenir et à anticiper ?

Alors que vont s’installer les nouvelles intercommunalités, êtes-vous prête à accompagner les élus, humainement et financièrement, dans des zones à risque telles que les nôtres pour l’élaboration des plans communaux de sauvegarde ? Je pense, notamment, aux communes rurales particulièrement démunies qui ont pu mesurer, hélas !, les conséquences sur l’environnement et l’agriculture.

Enfin, cet épisode montre l’obsolescence du système d’information de l’État. Vous avez évoqué le dispositif du Cell Broadcast. Êtes-vous prête à faire confiance aux élus directement concernés dans notre département ? Je pense à la maire de Port-Jérôme-sur-Seine, qui milite de longue date pour que sa commune puisse expérimenter la diffusion cellulaire que nous préconisons dans notre rapport. Elle n’a, semble-t-il, jusque-là reçu aucune réponse ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, je suis convaincue que les élus des communes voisines d’un établissement classé Seveso doivent être associés à la fois en termes d’informations préalables, mais aussi en cas de situation de crise. Cette démarche mérite d’être systématisée, sur un périmètre pertinent en fonction de la nature de l’installation et de l’accident. En l’occurrence, tous les élus concernés par le panache pouvaient légitimement souhaiter être informés de la situation et de son évolution. Cela fait partie du retour d’expérience que nous allons analyser.

Pour ce qui concerne le ministère de la transition écologique et solidaire, je rappelle que les élus sont associés à nos réflexions dans les commissions de suivi de site et dans les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels. Ils ont également communication du document départemental sur les risques majeurs, document sur la base duquel ils élaborent leur propre document d’information communal sur les risques industriels majeurs. Tout cela est sans doute trop formel. Il est donc important de réfléchir à un moyen de mieux les associer, de façon plus interactive, à la préparation, à la prévention et à la gestion des crises.

Le ministère de l’intérieur, de son côté, réfléchit à la manière dont les élus pourraient systématiquement être sollicités, notamment dans le cadre des exercices sur les plans particuliers d’intervention. Il est essentiel que les élus et l’État puissent travailler main dans la main face à ce type d’accident. Il est effectivement très important de développer cette culture du risque chez nos concitoyens, mais aussi de la partager avec les élus.

À cet égard, j’ai fait parvenir à l’ensemble des élus une boîte à outils pour les informer de tous les moyens à leur disposition sur ce sujet des risques, notamment en termes de transition écologique.

Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi.

M. René Danesi. Madame la ministre, l’excellent rapport de la commission d’enquête relève que notre organisation de la gestion de crise est inadaptée aux risques industriels et technologiques majeurs. La réglementation et les contrôles auxquels sont soumises les entreprises classées Seveso apparaissent insuffisants au regard des risques pris par certaines d’entre elles.

Selon le journal Le Monde du 7 février dernier, les dirigeants de Lubrizol étaient alertés depuis 2014 par les rapports de risques établis annuellement par leur assureur, FM Global, sur les failles de leur dispositif anti-incendie. Mais ils n’ont pas estimé utile de réagir, car selon eux « les équipements de Rouen étaient, au jour de l’incendie, conformes à la réglementation en vigueur » !

Le rapport du Sénat souligne non seulement l’insuffisance des contrôles de l’administration, mais aussi la mauvaise information des pouvoirs publics par certaines entreprises. Ainsi, l’administration n’avait pas connaissance de tous les produits stockés ni de leur quantité.

Certes, l’instruction du Gouvernement du 31 décembre 2019 recommande « de confronter les éléments présentés par l’exploitant dans des documents, comme les études de dangers, avec la réalité du terrain ».

Certes, le rapport sénatorial suggère prudemment d’établir « d’éventuelles passerelles entre l’administration et les assureurs, au-delà de la synthèse réalisée par l’exploitant ».

Mais cela ressemble à des vœux pieux. Ma question est la suivante : le Gouvernement envisage-t-il de contraindre, par voie réglementaire ou législative, les exploitants d’usines de type Seveso haut à communiquer immédiatement à l’administration compétente les rapports complets de leurs assureurs ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Effectivement, monsieur le sénateur, on ne peut pas se satisfaire du délai qui a été nécessaire pour obtenir la liste précise des produits affectés par l’incendie.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, dès le mois de février, faire évoluer la réglementation pour demander aux exploitants, en cas d’incendie, de fournir la liste non pas de tous les produits présents sur le site, mais de ceux qui se trouvaient sur la partie du site ayant brûlé. J’ai également souhaité qu’ils fournissent la liste des composés pouvant être formés en cas d’incendie.

Les textes adéquats seront soumis à consultation au cours de l’été de telle sorte que nous puissions disposer rapidement, si un nouvel incendie devait se produire, de la liste des produits à rechercher dans le cadre des différents prélèvements.

Comme vous le soulignez, les missions des inspecteurs des ICPE et des experts d’assurance sont complémentaires, car elles ont toutes deux un objectif commun : prévenir les accidents de grande ampleur. Du côté des inspecteurs des installations classées pour la protection de l’environnement, il s’agit de prévenir les atteintes à la santé humaine et à l’environnement, alors que pour les assurances, il s’agit davantage de prévenir les dommages économiques graves à l’outil de travail et au stock de valeurs, comme les produits finis.

La mission d’information de l’Assemblée nationale nous avait recommandé d’imposer aux exploitants des sites Seveso de mettre à la disposition du service des installations classées les rapports de visite des experts d’assurance. Nous avons engagé des concertations avec les assureurs et les fédérations professionnelles pour y travailler.

Dans le cadre des arrêtés soumis à consultation, il est prévu d’imposer aux exploitants d’entrepôts ou de sites Seveso de mettre à disposition les rapports des assureurs lorsqu’ils traitent de constats ou de recommandations relatifs à la sécurité industrielle. Nous allons donc bien, monsieur le sénateur, dans le sens que vous préconisez.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, je regrette que vous n’ayez pas apprécié le ton de notre rapport. Est-ce si désagréable que le Parlement fasse son travail ? Pour autant, le sujet ne peut prêter à polémique. Le risque zéro n’existe pas. Nous devons, en coproduction, faire face aux accidents lorsqu’ils se produisent.

Cela étant, j’ai mené des entretiens avec les maires du Rhône et de la métropole de Lyon, notamment avec ceux de la vallée de la chimie. À chaque fois, le constat est le même. Les communes dont le territoire dispose d’une usine classée Seveso ont connaissance des risques ; elles ont développé des compétences en interne et disposent d’une expertise. Néanmoins, elles ne sont pas toujours reconnues à leur juste place par les services déconcentrés de l’État. Sur ce point, notre rapport appelle à un changement de regard de la part de ces services.

Ma deuxième remarque concerne les exercices grandeur nature et inopinés. Ce point fait l’objet de l’une de nos propositions importantes et aussi peut-être l’une des plus difficiles à mettre en œuvre.

L’ensemble de la commission a insisté sur la nécessité d’une formation permanente des citoyens pour mieux les sensibiliser aux risques. Cela passe aussi par des exercices inopinés, qui ne sont pas sans conséquence puisqu’ils perturbent la vie quotidienne de nos concitoyens.

Madame la ministre, comment le Gouvernement peut-il favoriser l’organisation des exercices grandeur nature, dans un esprit de concertation avec l’ensemble des acteurs du territoire ? Seriez-vous favorable à la création d’un fonds dédié aux coûts des exercices inopinés ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, je suis totalement convaincue que les communes jouent un rôle clé en termes de prévention des risques. Il est nécessaire que l’État les associe aux différentes étapes de la vie d’un site industriel.

De fait, comme je l’ai souligné, les élus sont associés à la procédure dès l’autorisation d’une installation industrielle. Les études de danger et l’étude d’impact, qui sont systématiquement réalisées dans le cadre du dossier de demande d’autorisation, font ensuite l’objet d’une enquête publique, ce qui permet de porter ces informations à la connaissance du public. En parallèle de l’enquête publique, un avis spécifique est demandé aux collectivités territoriales et à leurs groupements qui sont directement concernés par le projet.

Les élus sont aussi associés aux instances de suivi d’une installation. Ils participent aux commissions de suivi de site, obligatoires autour des sites Seveso. Ils sont également représentés dans les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels, qui organisent des concertations locales autour des grandes plateformes industrielles.

Par ailleurs, les collectivités territoriales déclinent les dispositifs réglementaires pour garantir la diffusion de la culture du risque sur leur territoire. À l’échelle des départements, les préfets élaborent un document départemental sur les risques majeurs, qui est mis à disposition des élus. Sur cette base, les élus rédigent leur document d’information communal sur les risques majeurs, le Dicrim.

Dans le cadre de la mission sur la culture du risque que je lancerai à la rentrée, je souhaite que le rôle des élus dans l’élaboration d’une culture du risque soit renforcé. On pourrait peut-être organiser une journée nationale dédiée à la prévention des risques, comme cela se pratique au Japon. Chaque collectivité pourrait alors, en lien avec les services de l’État, mettre en place une campagne de sensibilisation adaptée aux enjeux de son territoire.

Je terminerai en soulignant que les collectivités ont aussi un rôle très important à jouer dans la gestion des risques. Je pense, notamment, à l’élaboration des plans communaux de sauvegarde grâce auxquels les collectivités se préparent en cas de survenance d’un risque technologique ou naturel.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Vous ne répondez pas tout à fait à ma question, madame la ministre, qui était de savoir comment vous comptiez favoriser l’organisation des exercices grandeur nature.

Je ne doute pas qu’il existe des textes. Je ne doute pas non plus qu’un certain nombre d’élus soient au courant des procédures. Mais quand vous allez sur le terrain, quand vous rencontrez des maires concernés, vous vous apercevez que souvent on ne leur a pas communiqué les éléments dont disposent les services déconcentrés.

La réalisation des exercices pose problème. Le nerf de la guerre étant l’argent, si l’on ne prévoit pas d’aider demain les collectivités ou les territoires à supporter ce coût, on continuera certes à lire sur le papier des choses bien écrites, mais dans la réalité rien ne se passera.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Gilbert-Luc Devinaz. Or les exercices sont fondamentaux pour former une culture commune ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’incendie de l’usine Lubrizol a remis sur le devant de la scène les dangers potentiels de certaines activités industrielles. À l’heure où l’on prône légitimement la réindustrialisation stratégique de la France, il ne faudrait pas que ce genre de catastrophe entraîne la délocalisation de ces industries.

Dans le cas d’activités impliquant des matières dangereuses, il faut donc des standards élevés de sûreté. C’est pourquoi l’État doit assurer le contrôle et être le garant du respect des standards auprès des grandes et surtout des petites entreprises.

La France dispose d’entreprises industrielles performantes, formées techniquement, soumises à des réglementations exigeantes, comme le classement Seveso seuil haut. Faisons confiance à ces professionnels ! Il faut également un contrôle de l’application des réglementations. Plus c’est technique et dangereux, plus il faut contrôler.

L’incendie de l’usine Lubrizol a révélé aussi la nécessité d’une meilleure coordination entre l’État et les collectivités territoriales.

Aux côtés des services de l’État, les collectivités territoriales ont de nombreuses responsabilités en matière de risques industriels : sensibilisation du public, délivrance des autorisations d’urbanisme, participation à la gestion de crise, assistance et information des citoyens en cas d’accident. Mais les élus locaux, en première ligne lors d’une catastrophe de grande ampleur, ne disposent pas toujours des moyens et des informations nécessaires. Or ils doivent répondre aux besoins et aux inquiétudes de la population.

La commission d’enquête a formulé plusieurs recommandations pour assurer une meilleure coordination entre l’État et les collectivités territoriales. Il faudra notamment renforcer l’articulation entre plan particulier d’intervention (PPI) et plan communal de sauvegarde (PCS) pour améliorer la réponse opérationnelle et renforcer l’appropriation de la gestion des risques industriels et technologiques par les élus.

Madame la ministre, il faut faire confiance aux élus locaux, car ce sont eux qui ont la confiance des habitants. Quel est votre avis sur cette recommandation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je suis convaincue que les communes ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention des risques, y compris en cas de survenance d’une crise telle que l’incendie de Lubrizol.

Les élus ont ainsi un rôle de premier plan à jouer pour informer et rassurer les populations. Telle est, logiquement, la fonction du dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM), élaboré par le préfet et sur la base duquel les collectivités doivent rédiger leur document d’information communal sur les risques majeurs. Ce dispositif doit permettre aux élus d’organiser une communication de proximité sur les risques identifiés sur le territoire communal.

Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, au-delà de l’enjeu d’information, les élus rédigent les plans communaux de sauvegarde ; les préfets doivent évidemment être à leurs côtés pour les y aider. Ces plans anticipent le rôle que devra jouer la commune en cas de crise et recensent les moyens dont elle dispose. Par exemple, dans le cas de risques naturels, il convient de prévoir dans quel gymnase héberger la population, ainsi que les mesures de sauvegarde et de protection des personnes à mettre en place.

Il s’agit donc d’un travail main dans la main, le préfet ayant pour rôle d’identifier les risques et de les faire connaître aux élus, ces derniers reportant ces données dans le Dicrim. Les PPI et les PCS doivent être élaborés de concert par les services de l’État et les collectivités. L’action sera ainsi plus efficace en termes d’information et de prévention, et la réaction plus rapide en cas de crise.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Il convient en effet de développer une culture du risque. Face aux catastrophes industrielles, il faut rassurer rapidement les populations. Ainsi nos concitoyens auront-ils davantage confiance dans les industries situées sur leur territoire. Les élus locaux, du fait de leur proximité avec les administrés, sont des acteurs clés.

Une meilleure articulation entre l’État et les collectivités locales est véritablement nécessaire. Pour réindustrialiser la France, il faut une société de confiance, et les élus locaux peuvent contribuer à l’édifier.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la commission d’enquête a constaté que les pouvoirs publics avaient prêté peu d’attention aux incidences de l’incendie de l’usine Lubrizol sur l’environnement, en dehors des préoccupations immédiates pour la santé humaine. Les éléments disponibles relatifs aux conséquences de l’accident sur l’eau, les sols, les milieux naturels et la biodiversité sont ainsi limités.

Durant nos travaux, je me suis attaché à éclaircir la question de l’effet sur l’eau non seulement de l’incendie, mais également des procédés déployés pour l’extinction de ce dernier.

Lors de son audition au mois de novembre, le ministre de l’intérieur nous confirmait que la pollution de la Seine avait été inévitable, dans la mesure où les eaux d’extinction s’étaient tout d’abord écoulées par les sols. Selon lui, un système de sécurité aurait néanmoins été mis en œuvre avant que des pollutions manifestes de la Seine aient lieu, par le confinement des eaux d’extinction dans un bassin, ou darse.

Le 18 février dernier, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a rendu les résultats de sa campagne de suivi de la qualité des eaux de cette darse. Les analyses ont confirmé qu’il n’y avait pas de trace de pollution hors de la darse. En revanche, elles font ressortir que l’incendie a eu une incidence certaine sur la qualité des sédiments dans la zone de la darse.

Lors de votre audition du 26 février, vous avez évoqué, madame la ministre, la destruction de la faune liée à la sous-oxygénation dans ce bassin. À ce jour, la question du traitement des eaux dans cette darse reste entière.

Parallèlement à nos travaux, je me suis intéressé de près aux sites Seveso seuil haut de mon département, la Loire, notamment à l’usine SNF. J’ai ainsi rencontré sa direction, les associations de riverains et de préservation de l’environnement, et les élus des communes proches. Si une telle catastrophe devait survenir dans cette usine, installée non loin du fleuve Loire dans sa partie amont, je n’ose imaginer les conséquences pour tous les territoires situés en aval !

L’eau est notre patrimoine commun. Cette ressource indispensable à la vie est de plus en plus fragilisée par les activités humaines courantes. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quelle réponse vous envisagez d’apporter à cette question essentielle de la préservation de l’eau en cas de catastrophe industrielle ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur : nous nous sommes évidemment préoccupés, dès la survenance de l’incendie, de l’ensemble de ses effets sur l’air, l’eau, les sols et les milieux naturels. J’avais notamment mobilisé l’Office français de la biodiversité (OFB) et les agences de l’eau pour surveiller les surmortalités piscicoles susceptibles d’apparaître et les alertes transmises. Par ailleurs, plus de 1 000 prélèvements de sols ont été effectués pour vérifier l’incidence sur l’environnement.

De façon générale, la première priorité de mon ministère est d’empêcher la survenue de nouveaux incendies de cette ampleur. Les mesures que j’ai mentionnées portent donc sur les conditions de stockage des produits, notamment la rétention et l’organisation sur les sites.

Un autre point sera pris en considération dans les nouveaux textes, qui font actuellement l’objet d’une consultation : il s’agit d’éviter les effets dominos avec les sites voisins, lesquels seront désormais systématiquement inspectés.

Nous sommes particulièrement vigilants quant à la protection des cours d’eau. Les produits dangereux pour les milieux aquatiques sont ainsi pris en compte dans le classement sous le régime Seveso des sites industriels.

J’ai également demandé qu’en cas d’accident les moyens mis à disposition par les industriels pour remettre en état les milieux affectés soient renforcés. Il convient en effet d’identifier en amont les moyens matériels et humains sur lesquels pourra s’appuyer l’exploitant pour restaurer ces milieux naturels dans les meilleurs délais. Par ailleurs, tous les frais engagés en urgence par l’État pour compenser d’éventuelles défaillances d’un exploitant pendant la gestion de crise pourront être imputés à ce dernier.

Nous sommes donc totalement mobilisés en vue de transmettre au ministère des solidarités et de la santé les informations nécessaires au suivi d’éventuels effets sanitaires et d’assurer la meilleure protection possible des milieux.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.

M. Jean-Claude Tissot. J’ai bien entendu votre réponse, madame la ministre, mais je ne vois pas comment on pourrait réparer a posteriori les perturbations consécutives à un sinistre industriel. Prenons l’exemple d’un fleuve : l’eau court !

Ma question était plus précise. Contraindrez-vous les industriels à organiser une politique concernant la rétention de l’eau et l’eau d’extinction ? Ces volumes sont en effet très importants ; je n’en suis pas revenu moi-même… Il faut donc pouvoir disposer de darses et d’étangs de rétention étendus.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Claude Tissot. La pression foncière subie par ces industries étant très forte, que proposez-vous ?

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen a créé, en quelques heures, un climat de panique bien compréhensible dans la ville et bien au-delà.

Cette catastrophe, hormis le volet sanitaire, largement évoqué dans ce débat, a mis en avant un réel problème touchant notre dispositif de gestion et de communication en matière de crise lorsque survient un incident, en l’occurrence un incendie, dans un site industriel classé.

La commission d’enquête, dont je salue le travail, a notamment mis en lumière le manque d’information des Français sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques situées à proximité de leur habitat, ainsi que sur la réaction à adopter en cas d’incendie de ce type.

Durant les jours qui ont suivi l’incendie, la gestion de l’information par le Gouvernement a été approximative. J’en veux pour preuve les déclarations contradictoires ou imprécises des ministres qui s’étaient rendus sur place, ceux de l’agriculture, de l’intérieur, des solidarités et de la santé, de l’éducation nationale et vous-même, madame la ministre de la transition écologique et solidaire. Or, de même que le PCS désigne le maire comme interlocuteur unique, je pense que le Gouvernement devrait s’exprimer d’une seule voix, en l’occurrence la vôtre.

Cette gestion hasardeuse de la communication de crise à l’heure des réseaux sociaux n’a fait qu’accentuer la défiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics.

Comme l’a souligné le rapport, les sirènes d’alerte pour avertir la population sont totalement dépassées à l’heure où le Gouvernement peut informer directement nos concitoyens via la radio, la télévision et les téléphones portables.

Je souhaiterais donc connaître les dispositions qu’a prises et qu’entend prendre le Gouvernement afin d’améliorer la communication de crise en direction de la population, mais également des élus locaux, dans le cas d’un nouvel incident de ce type. Vous avez répondu en partie à cette question, madame la ministre. C’est le lot du dernier intervenant d’être quelque peu redondant…

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous confirme, monsieur le sénateur, qu’un retour interministériel est en cours s’agissant de la communication de crise, en vue de clarifier qui doit être l’interlocuteur entre l’échelon central et l’échelon déconcentré, en fonction de la nature de la crise – locale ou nationale – et des compétences de chacun.

Ce retour d’expérience doit aussi nous permettre de mieux suivre l’activité des réseaux sociaux pour lutter contre la diffusion de fausses nouvelles.

Une observation étroite de ces réseaux a pour objectif de détecter précocement les fausses nouvelles et d’adapter les messages, afin de rétablir les faits. Tel le sens du travail mené conjointement par l’inspection de mon ministère, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGE), l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection du ministère de l’agriculture, dont les conclusions devraient être rendues dans les prochains jours. Ainsi pourrons-nous moderniser la doctrine de l’État en termes de communication.

S’agissant de l’interlocuteur unique, il me semble indispensable qu’en cas de crise locale la communication soit coordonnée par le préfet de département. Le renforcement ponctuel par une task force nationale est tout aussi indispensable. Cela a été le cas lors de la crise de Lubrizol, mais de façon non anticipée. Cet appui a sans doute permis de renforcer la communication préfectorale.

Il conviendra désormais d’anticiper davantage à froid, pour déployer cette communication plus efficacement. Je reste par ailleurs convaincue de la nécessité de l’information des élus et des professionnels de santé pour faire parvenir les messages jusqu’aux citoyens.

Il faut mobiliser non pas la seule communication préfectorale, mais aussi celle de tous les acteurs locaux, élus et professionnels de santé.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Je me réjouis que cette discussion interministérielle ait pour objet l’élaboration d’une doctrine visant à répondre aux attentes de nos concitoyens, lesquels souhaitent que l’information soit la plus claire et la plus transparente possible. Bien entendu, dans le feu de l’action, les choses sont compliquées parce que l’on ne dispose pas forcément de toutes les informations et qu’il faut attendre les retours de l’entreprise concernée.

Au-delà du préfet, qui est le représentant de l’État localement, il serait beaucoup plus pertinent dans ce genre de situation qu’une seule voix s’exprime, au niveau ministériel ou interministériel.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission d’enquête.

M. Hervé Maurey, président de la commission denquête chargée dévaluer la gestion des conséquences de lincendie de lusine Lubrizol à Rouen. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je me réjouis tout d’abord que ce débat ait eu lieu à peine un mois après que nous ayons rendu nos conclusions.

Je tiens de nouveau à remercier Mmes les rapporteurs de leur travail, Mmes les ministres de leur présence, et l’ensemble de mes collègues qui se sont exprimés et ont posé des questions.

Nous avons formulé dans notre rapport quarante propositions regroupées autour de six axes : la culture du risque ; la prévention ; la gestion de crise ; la coordination entre l’État et les collectivités locales ; l’indemnisation ; le principe de précaution.

Je me réjouis également que le Gouvernement ait retenu un certain nombre de nos propositions dès le mois de février, et que certaines propositions complémentaires aient été émises aujourd’hui.

Je salue ainsi l’annonce par Mme la ministre de la transition écologique et solidaire de la création de cinquante postes d’inspecteurs en vue de renforcer les contrôles. Nous avions en effet émis des doutes sur l’ambition de doubler le nombre de contrôles sans augmenter le nombre d’inspecteurs.

J’ai bien noté l’annonce de la création du bureau d’enquête accident, que nous appelions de nos vœux, ainsi que celles qui sont relatives à l’augmentation des exercices et à la meilleure information sur les stocks – un point très important de notre rapport.

Vous avez également exprimé le souhait, madame la ministre, que les sanctions pénales soient plus sévères et surtout mieux appliquées.

Nous serons très attentifs à l’élaboration des décrets et des textes pris en application de ces annonces. Vous nous avez indiqué que la phase de concertation était en cours. Nous verrons avec les rapporteurs, une fois ces textes publiés, s’il y a lieu de les compléter, par exemple en présentant une proposition de loi.

Sur la question sanitaire, nous sommes restés davantage sur notre faim, puisque vous n’avez pas véritablement répondu aux attentes de la rapporteur, madame la secrétaire d’État.

Vous avez jugé qu’il n’était pas utile de disposer de registres supplémentaires. Il ne serait pas non plus utile, selon vous, de mettre en place un suivi épidémiologique, que nous appelons de nos vœux dans le rapport, sur une cohorte représentative des populations les plus impliquées dans la lutte contre l’incendie et ses conséquences. Vous avez simplement évoqué l’éventualité d’une adaptation des registres existants.

Je trouve que c’est un peu court, sachant que la question sanitaire est tout à fait essentielle pour nos concitoyens ; je parle sous le contrôle des élus de Seine-Maritime, notamment de ma collègue élue de Rouen. Ce qui préoccupe le plus la population aujourd’hui, ce sont les conséquences sanitaires de cette catastrophe à moyen et long terme.

Il est très important de prévoir une simplification au niveau des organismes intervenant en la matière.

Selon Santé publique France, « les données sont très nombreuses, les formats restitués sont variés et il devient complexe d’avoir une analyse globale en vue d’en réaliser une synthèse ». Il convient de regrouper un certain nombre d’organismes. Entre le service départemental d’incendie et de secours (SDIS), ATMO, Bureau Veritas, l’ARS, les laboratoires spécialisés, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), l’Anses, et j’en oublie, il y a de quoi y perdre son latin ! Et il est difficile dans ces conditions de parvenir à une solution satisfaisante…

Telles sont les réflexions que je voulais formuler à l’issue de notre débat. Je vous remercie, mes chers collègues, d’y avoir participé en grand nombre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Candidatures à des commissions

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de trois commissions ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs
Discussion générale (suite)

Fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi portant création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues (proposition n° 312, texte de la commission n° 466, rapport n° 465).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « des personnes en détresse, des enfants d’âge scolaire et des personnes ayant perdu tous leurs biens durant les événements des derniers jours à Abidjan » : c’est dans ces termes que le Quai d’Orsay décrivait les Français évacués de Côte d’Ivoire lors des dramatiques événements politiques de 2004.

Un coup d’État, un tremblement de terre, un tsunami, la prise de pouvoir par un groupe djihadiste, une pandémie sont des tragédies qui peuvent frapper les Français établis à l’étranger. Or aucun fonds d’urgence n’existe spécifiquement pour eux. C’est d’autant plus grave que l’on assiste à une lente, mais constante paupérisation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous savons aujourd’hui que nos consulats, partout dans le monde, n’ont plus les moyens de faire face.

La pandémie de covid-19 n’a fait que mettre en exergue à l’échelle mondiale une situation déjà connue depuis longtemps à l’échelon local, à savoir que nos compatriotes à l’étranger peuvent se retrouver du jour au lendemain dans un état de grand danger. C’est un révélateur. Le Gouvernement a réagi, mais en l’absence d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger, il aura fallu aller chercher l’arbitrage de Bercy, ce qui nous a fait perdre un temps précieux.

Cette proposition de loi, si elle était adoptée, pérenniserait ce qui a été mis en œuvre cette année, afin que dorénavant, lors d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, ou lors d’un coup d’État, la réaction de la France soit immédiate pour venir en aide en urgence à nos compatriotes.

Pourquoi un tel fonds ?

Quand un Français s’établit à l’étranger, il n’a souvent aucune garantie, aucun filet de sécurité. En cas de catastrophe, le retour en France se fait dans la précipitation, avec une valise, sans emploi, sans logement, et fréquemment avec des enfants. Une aide ponctuelle permet de rester sur place ou de retourner dans le pays après une évacuation temporaire vers la France, ce qui est la plupart du temps le souhait de nos compatriotes établis à l’étranger.

Je me souviens avec émotion des images, en novembre 2004, des 359 premiers Français évacués d’Abidjan, fuyant les violences en Côte d’Ivoire, arrivés à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle avec une valise et des tongs au pied. Puis d’autres vols ont suivi pour évacuer plusieurs milliers de nos compatriotes, de manière temporaire ou définitive.

Cette crise ivoirienne avait été précédée de nombreuses autres sur le continent africain. Ce sont notamment les guerres civiles des années 1990 en Afrique centrale, où les Français vivaient nombreux, qui avaient motivé les sénateurs des Français de l’étranger de l’époque pour tenter de créer un fonds de garantie.

Les tremblements de terre frappent aussi nos compatriotes à l’étranger. Je pense, par exemple, aux séismes survenus en 1999 à Izmit en Turquie, en 1988 en Arménie, ou encore, plus récemment, en 2016 en Équateur. Enfin, nous avons tous gardé en mémoire le tsunami de décembre 2004. Tous ces exemples issus du passé sont riches d’enseignements.

À l’avenir, il faudra également rester très vigilant pour les Français vivant dans les pays du G5 Sahel – Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie et Tchad –, et qui sont confrontés au terrorisme islamiste. Le risque potentiel est immense pour nos communautés françaises, et un tel fonds d’urgence permettrait d’y faire face.

La situation internationale ne prête pas à l’optimisme, car les conflits et les tensions se multiplient. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, parle de « chaos ».

Enfin, le dérèglement climatique et ses conséquences en termes de catastrophes naturelles font courir des risques nouveaux et de plus en plus nombreux.

La baisse continue des moyens du Quai d’Orsay pèse sur les capacités d’action des consulats et des ambassades. Lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, Alain Juppé disait déjà que le budget du ministère était à l’os. Avec les baisses intervenues depuis lors, on doit être à la moelle !

Les consulats, par manque de moyens, doivent faire appel aux réseaux associatifs pour venir en aide à des familles en difficulté, car l’État ne le fait plus. J’ai été président d’une association de Français de l’étranger pendant dix ans et j’ai été sollicité plusieurs fois pour cela. Et pourtant c’était à Berlin… Imaginez un instant la situation dans des pays qui subissent des crises dramatiques, comme le Venezuela ! Je me souviens d’un consul général m’expliquant qu’il avait dû héberger chez lui un Français, car le consulat ne pouvait lui payer une nuit d’hôtel.

La crise de la covid-19 a été un révélateur de ce manque de moyens. Il a fallu intégrer un volet spécial pour les Français de l’étranger au plan global d’action visant à faire face à la crise sanitaire, mais on a perdu un temps précieux. Si le fonds d’urgence avait existé, les moyens auraient pu être mobilisés plus rapidement.

Finalement, l’adoption de cette proposition de loi nous permettrait de ne plus connaître de tels retards à l’allumage à l’avenir.

Cela dit, l’idée d’un tel fonds n’est pas nouvelle. Elle remonte au moins à la commission Bettencourt, au milieu des années 1970, comme me le rappelait le président de l’Union des Français de l’étranger.

Nos anciens collègues Paulette Brisepierre, Jacques Habert, Charles de Cuttoli, Paul d’Ornano ou Xavier de Villepin, dans les années 1990, ont également fait des travaux sur cette question. Jacky Deromedi et moi-même avons la chance d’avoir des collaborateurs qui ont travaillé pour certains de ces sénateurs et qui connaissent l’historique de ce projet, sur lequel ils ont déjà planché à l’époque.

Comme me l’a rappelé Richard Yung, le groupe socialiste du Sénat avait lui aussi déposé une proposition de loi, sur l’initiative de notre ancienne collègue Monique Cerisier-ben Guiga. Joëlle Garriaud-Maylam en 2008 et encore à la fin du mois de mars cette année, ainsi qu’Olivier Cadic le 24 mars dernier, ont eux aussi déposé des propositions de loi.

Notre ancien collègue Christian Cointat me rappelait également le rôle crucial qu’ont joué le Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE) et Jean Ricoux, rapporteur de la commission des lois et réassureur, dans les années 1990.

Lors des élections sénatoriales de 2017, grâce à Régine Prato, désormais présidente de la commission de la sécurité et de la protection des personnes et des biens de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE),…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Excellente présidente !

M. Ronan Le Gleut. … nous avons proposé d’aborder cette idée ancienne sous un angle nouveau.

Le 10 février de cette année, Christophe Frassa, Jacky Deromedi et moi-même avons apporté notre modeste contribution à tous ces travaux en prenant en compte les effets de la pandémie, mais aussi en nous écartant des logiques précédentes, qui étaient assurantielles ou visaient à créer un fonds doté de la personnalité morale. Notre démarche s’inspire plutôt du Fonds de secours pour l’outre-mer ou du fonds d’extrême urgence pour les sinistrés des inondations, respectivement créés en 2012 et 2016.

Et si l’idée d’un tel fonds, antérieure à ma naissance, est pour la première fois aujourd’hui en discussion dans notre assemblée, c’est non seulement parce que la pandémie de covid-19 a fait prendre conscience de sa nécessité, mais aussi, et surtout, parce que le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, a fait le choix d’inscrire notre texte à l’agenda du Sénat. Il démontre ainsi, une fois encore, sa compréhension des enjeux pour nos compatriotes établis hors de France, mais aussi pour la France.

Je souhaite également rendre hommage au rapporteur de la commission des finances, Jérôme Bascher, dont la finesse d’analyse n’a d’égale que la capacité d’écoute.

Cela étant, la création de ce fonds est dans l’intérêt de la France. Ce n’est absolument pas un cadeau fait aux expatriés.

Contrairement aux idées reçues, les 3,4 millions de Français de l’étranger ne sont pas les abominables milliardaires déserteurs de la France et de sa fiscalité que l’on présente parfois. Si notre pays comptait 3,4 millions de milliardaires en exil, cela se saurait ! La réalité est tout autre : il s’agit souvent de modestes retraités vivant dans des pays où le coût de la vie est moins élevé qu’ici. La précarisation de nombreux Français de l’étranger est une réalité tangible.

Or la contribution des Français de l’étranger au dessein et au destin national est immense, que ce soit dans le domaine de la francophonie, de la diplomatie, de l’économie ou en termes d’emploi. Pour que nos produits s’exportent, nous avons en effet besoin de ces Français. Ils œuvrent pour le commerce extérieur, car ils connaissent la langue, les us et coutumes du pays où ils vivent, et réalisent un pont avec la France. Leur contribution est donc absolument essentielle pour l’emploi dans notre pays. Nombre de ces Français paient des impôts et taxes – il existe d’ailleurs une direction des impôts des non-résidents – et leur participation au budget de l’État est tout à fait substantielle.

Ajoutons, pour ceux qui craindraient qu’un tel fonds ne plombe les finances de notre pays, que permettre à des expatriés de faire face provisoirement à une tragédie en restant dans le pays où ils sont établis, ou d’y retourner après un séjour provisoire en France, coûterait bien moins cher aux finances de l’État que leur réinstallation définitive en France, sans ressources, ni emploi, ni logement.

Aucune politique de puissance n’existe sans le relais de compatriotes établis à l’étranger, qui œuvrent pour le commerce extérieur, l’influence diplomatique ou le rayonnement culturel de leur pays. Nos compatriotes font partie intégrante de la Nation, même lorsqu’ils ne vivent plus en France.

Et comme l’a dit le Général de Gaulle en 1967 : « Dans ce monde d’aujourd’hui, on ne peut dissocier le sentiment et la politique. » La France doit démontrer le même attachement et le même amour à tous ses enfants, où qu’ils soient. Si les Français de l’étranger sont parfois loin des yeux, ils sont toujours près du cœur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cadic et Joël Guerriau applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de Ronan Le Gleut portant création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs.

Il s’agit du second texte que nous étudions en deux mois pour les Français de l’étranger, après celui de Jacky Deromedi et Christophe-André Frassa. Je le dis très haut : nous ne faisons pas assez attention à notre communauté nationale, la seule que je connaisse d’ailleurs. Je pense aussi à nos compatriotes ultramarins, que nous oublions parfois un peu trop lors de nos débats.

Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée de nombreuses autres, comme Ronan Le Gleut l’a rappelé. Depuis plusieurs décennies, toutes ont plus ou moins le même objet. Soutenir les Français de l’étranger en cas de crise majeure est une nécessité, nous le savons pour avoir trop souvent vécu une telle situation. Très récemment encore, Olivier Cadic et Joëlle Garriaud-Maylam, que je salue, ont défendu des propositions de loi similaires. Ces textes visaient à instituer un fonds de solidarité en faveur des Français de l’étranger victimes d’événements graves.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit, elle, la création non pas d’un fonds de solidarité, mais d’un fonds d’urgence, car il s’agit de sortir de la logique assurantielle des fonds d’indemnisation et de choisir la voie du secours.

Une telle distinction n’a rien de rhétorique. Il s’agit bien en l’occurrence d’aider sans délai les Français de l’étranger à faire face à la menace à laquelle ils sont exposés ou à subvenir à leurs besoins essentiels auxquels ils ne peuvent plus répondre, grâce à une aide financière ou matérielle.

Est-ce une originalité, une bizarrerie législative ? Que nenni !

Certains fonds existants permettent déjà de venir en aide immédiatement aux Français les plus démunis faisant face à une crise majeure : le Fonds de secours pour l’outre-mer, qui aide financièrement les sinistrés ultramarins à la suite d’un événement naturel d’une intensité exceptionnelle, ou encore les secours d’extrême urgence aux victimes d’accident, de sinistre ou de catastrophe de grande ampleur, mobilisés lors du passage de l’ouragan Irma ou des inondations dans l’Aude, par exemple. Nous n’écrivons donc pas sur une page vierge.

Rien n’est en revanche actuellement prévu pour les Français de l’étranger se trouvant dans une situation similaire. Or il importe de traiter tous nos compatriotes, toute la communauté nationale, de la même façon.

Face à la crise sanitaire de la covid-19, à la crise économique et sociale qui en résulte, nombre de Français de l’étranger se trouvent en difficulté. Le Gouvernement a mis en place un plan de soutien de 240 millions d’euros, que vous avez défendu, monsieur le secrétaire d’État, et qui a été adopté sans difficulté lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Ce plan prévoit 50 millions d’euros d’aides d’urgence, calquées sur le dispositif d’aides annoncé le 15 avril par le Président de la République lors d’une allocution télévisée pour les foyers les plus modestes en France, soit une aide de 150 euros par ménage, plus 100 euros par enfant à charge.

Le fonds dont cette proposition de loi prévoit la création permettrait d’éviter des interventions par à-coups et au cas par cas et d’instaurer une doctrine d’attribution des aides d’urgence mobilisées lorsque les circonstances le nécessitent.

Le texte permet également d’établir clairement une distinction entre les aides sociales existantes, notamment pour les personnes âgées. Elles sont nombreuses, mais souvent méconnues des Français de l’Hexagone, comme dirait le Président de la République – je préfère pour ma part parler de la métropole.

Ce fonds n’a, espérons-le, pas vocation à être souvent mobilisé. C’est la raison pour laquelle les conséquences budgétaires de sa création seraient, à la vérité, modestes : ses crédits pourraient être, pour partie, ouverts en loi de finances initiale. Je rappelle que la loi organique relative aux lois de finances prévoit une réserve de précaution, dont la création, je m’en souviens, avait suscité des débats dans cette enceinte. Il s’agit donc non pas d’inscrire des crédits supplémentaires, mais d’utiliser la réserve de précaution selon sa destination.

Nous pourrions aussi avoir besoin de prévoir des crédits supplémentaires au fur et à mesure, pour que la trajectoire de ce fonds soit soutenable. Pour l’heure, avançons pas à pas, à ce pas de sénateur, de sénateur romain, qui est le pas de la paix, afin de n’avoir jamais à nous servir de ce fonds et d’éviter bien des querelles ici et là. La sagesse romaine rappelle toutefois que si vis pacem, para bellum : il nous faut donc réarmer notre pays budgétairement face à ces crises. Tel est l’objet de ce fonds.

Enfin, les amendements qui ont été déposés reposent tous sur la même logique : il s’agit de faire place aux consultations des instances des Français de l’étranger. Le Sénat, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État, défend les corps intermédiaires et la démocratie représentative. C’est pour cela que mon avis, exprimé plus en tant que sénateur républicain, au sens noble du terme – le sens partisan fonctionnerait aussi – qu’en tant que commissaire des finances, sera plutôt ouvert et reflétera mon attachement à la démocratie représentative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cadic et Joël Guerriau applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est effectivement la deuxième fois que nous nous réunissons en quelques semaines pour examiner un texte d’initiative sénatoriale relatif aux Français établis hors de France. C’est chose heureuse.

J’adresse mes remerciements aux sénateurs Ronan Le Gleut, Christophe-André Frassa, Jacky Deromedi, Robert del Picchia, Damien Regnard et Évelyne Renaud-Garabedian, notamment, auteurs de cette proposition de loi, ainsi qu’aux auteurs d’autres textes dans le passé. Je pense à Richard Yung en 2008, à Olivier Cadic, à Joëlle Garriaud-Maylam cette année. Ronan Le Gleut a évoqué ces nombreuses propositions de loi.

Je n’oublie pas dans cet hommage le rapporteur de la commission des finances. C’est méconnu, mais il fut romain avant d’être sénateur ! (Sourires.) Il est devenu un véritable spécialiste des Français de l’étranger en quelques mois.

Cette proposition de loi vise donc à instituer un mécanisme d’urgence pérenne, inspiré d’ailleurs de fonds existant déjà en France pour venir en aide aux Français victimes de catastrophes naturelles, de menaces sanitaires graves, telle la pandémie que nous connaissons, ou encore d’événements politiques majeurs, comme les guerres civiles ou les conflits. Ce texte est fondé sur le principe du secours, expression naturelle de la solidarité nationale, plutôt que sur le principe assurantiel, dont on sait que la mise en œuvre peut être difficile ou tardive.

Je tiens également à saluer le travail de la commission des finances, qui a contribué à améliorer la proposition de loi qui vous est présentée aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs.

La crise sanitaire mondiale que nous traversons nous a rappelé combien la solidarité envers nos compatriotes établis hors de France était un devoir, mais aussi un réflexe. Nous répondons présents depuis l’évacuation d’un certain nombre d’entre eux de Wuhan au mois de janvier. La crise allant se poursuivre encore plusieurs mois partout dans le monde, nous continuerons de répondre présents.

Dans ce contexte, l’examen de cette proposition de loi nous donne l’occasion de porter un regard à la fois sur la réponse rapide, massive et conjoncturelle que nous avons apportée à la crise, mais aussi sur les réponses structurelles que le Gouvernement souhaite apporter à long terme, afin de venir en aide aux Français en difficulté, réponses que vous n’avez eu de cesse, mesdames, messieurs les sénateurs, de chercher à améliorer.

J’évoquerai d’abord la réponse immédiate.

Le Parlement, singulièrement le Sénat, ayant pour rôle le contrôle de l’action du Gouvernement, j’en profiterai pour vous communiquer un certain nombre de données sur la mise en œuvre du plan de soutien, afin que vous disposiez des toutes dernières informations sur ce sujet.

Cette réponse immédiate a pris la forme, cela a été rappelé, d’un plan massif d’assistance à nos compatriotes comprenant plusieurs volets, présenté par Jean-Yves Le Drian, Gérald Darmanin et moi-même.

D’un point de vue sanitaire d’abord, 20 millions d’euros ont été mobilisés pour déployer plusieurs dispositifs dans 80 pays, par exemple pour suivre et conseiller nos compatriotes vulnérables dans leur pays de résidence. Des mécanismes de télésuivi et de téléconsultation ont été mis en place, cinquante-quatre médecins ayant été formés. Aujourd’hui, soixante patients bénéficient de ces dispositifs.

L’acheminement de certains médicaments, en cas de rupture de stocks, étant un problème, 4 tonnes de médicaments ont d’ores et déjà été prépositionnées. Ces médicaments permettent, en cas de pénurie dans les pays concernés, de traiter la plupart des pathologies de médecine générale, qu’elles soient aiguës ou chroniques, y compris en pédiatrie.

Par ailleurs, 79 postes ont été équipés de lots comportant du matériel d’oxygénothérapie et des équipements de protection individuelle, afin de permettre la prise en charge de patients ayant besoin d’oxygène lorsque ce matériel est peu ou pas disponible. Au total, 11 générateurs et 128 extracteurs d’oxygène avec les consommables nécessaires ont été envoyés. Cela mérite d’être signalé. Une cinquantaine de postes sont à ce jour dotés de tous ces matériels.

En outre, un mécanisme d’évacuation sanitaire a été mis en place, avec des avions dédiés, disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, prêts à évacuer soit une personne seule, soit un groupe, petit ou grand. À ce jour, 18 évacuations sanitaires ont été organisées pour nos compatriotes par le Centre de crise et de soutien (CDCS), dont je salue l’action précieuse durant la crise, auprès non seulement de nos compatriotes établis hors de France, mais également d’un certain nombre de Français de passage bloqués lorsque les frontières ont été fermées.

Pour répondre aux besoins accrus des plus démunis de nos compatriotes, des moyens supplémentaires dédiés à l’enveloppe d’aides sociales ont été mis à disposition des ambassades et consulats, à hauteur de 50 millions d’euros.

Où en est-on dans la mise en œuvre de ces aides ?

À ce jour, 2 727 personnes ont été aidées, pour un montant global de 390 000 euros, soit une somme moyenne de 150 euros par personne, comme l’a rappelé le rapporteur.

Pour faire face à certains besoins à long terme, je rappelle, certains dispositifs étant méconnus, qu’il existe une allocation à durée déterminée. Le conseiller consulaire Jean-Hervé Fraslin m’a ainsi alerté sur le fait que celle-ci était insuffisamment connue à Madagascar, où son montant s’élève à 168 euros par mois pendant six mois. Je le signale, car ce dispositif est effectivement peu mobilisé, alors qu’il n’est pas qu’une simple réponse ponctuelle.

Ces 50 millions d’euros d’aides sociales ont été inscrits en abondement du programme 151 dans le projet de loi de finances rectificative qui sera examiné ici même dans quelques jours. Parole tenue !

Enfin, je dirai un mot de la préservation de notre réseau d’enseignement français à l’étranger, même si nous avons déjà eu l’occasion d’en parler lors de précédents débats.

Le troisième projet de loi de finances rectificative sera l’occasion de soumettre à votre vote 50 millions d’euros supplémentaires destinés à aider les établissements et à bonifier les bourses scolaires, ce qui permettra de porter cette enveloppe à 155 millions d’euros.

Ces 50 millions d’euros supplémentaires seront utiles, car l’ensemble de l’enveloppe a déjà été consommé alors que nous ne sommes que fin juin, en raison des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. Vous le savez, nous avons autorisé des critères dérogatoires pour tenir compte de la situation des parents d’élèves en 2020. Je précise d’ailleurs que ces décisions ont été prises dans le cadre d’un dialogue fécond avec les parlementaires représentant les Français établis hors de France lors de différentes séances de travail.

J’en viens maintenant aux réponses structurelles que le Gouvernement souhaite apporter à long terme.

Dans un premier temps, nous nous sommes focalisés sur les réponses urgentes à la crise, mais, et Ronan Le Gleut l’a dit, cela fait déjà plus de quarante ans que la France apporte une aide substantielle à ses ressortissants installés à l’étranger. Elle est ainsi le seul pays de l’OCDE à avoir mis en place un système aussi complet, dont nous n’avons pas à rougir, car il permet une véritable solidarité nationale, grâce à un certain nombre d’allocations, une aide au rapatriement, un soutien aux associations françaises locales de bienfaisance à l’étranger.

Chaque année, près de 17 millions d’euros sont consacrés à nos compatriotes les plus en difficulté, à travers une gamme d’allocations ciblées. Je pense à l’allocation de solidarité pour nos aînés, aux allocations adulte et enfant handicapés, à l’allocation à durée déterminée que je viens d’évoquer, au secours mensuel spécifique en faveur des enfants en détresse, aux prestations d’assistance consulaire, aux secours occasionnels ou aux aides ponctuelles. Ces outils très précieux permettent de prendre en compte des situations parfois très diverses, mais très précaires.

L’aide au rapatriement permet de faciliter chaque année le retour de 200 de nos compatriotes qui se retrouvent dans l’incapacité de revenir en France. Cette année est extraordinaire de ce point de vue, compte tenu de ce qu’il se passe depuis le mois de mars.

J’évoquerai enfin les aides aux associations. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères soutient un réseau d’organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES), qui sont des partenaires de l’action de l’État. Certains gèrent des maisons de retraite. Ils jouent tous un rôle précieux et complémentaire de nos consulats en faveur de nos compatriotes. C’est à ce titre que des subventions leur sont octroyées.

Nous soutenons 78 OLES. Cette année, nous avons pu venir en aide à ces associations grâce aux crédits du dispositif de soutien associatif des Français à l’étranger (Stafe). Au total, 632 000 euros ont été versés, soit 240 000 euros de plus que ce qui était prévu.

Par ailleurs, 188 000 euros ont également été versés aux centres médico-sociaux (CMS). Dix-huit dossiers ont d’ores et déjà été examinés. Ces aides sont tout à fait précieuses pour nos compatriotes établis hors de France.

Ce système, s’il est perfectible, a le mérite d’exister. Je porterai donc, au nom du Gouvernement, un regard tout à fait bienveillant sur la proposition de loi, laquelle devrait, je pense, faire l’unanimité. Tel est en tout cas le vœu que je forme. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. MM. Joël Guerriau, Olivier Cadic et M. le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Ronan Le Gleut, qui a été déposée au tout début de la crise sanitaire mondiale et qui fait suite à d’autres propositions du même type, a pris depuis une résonance toute particulière, la pandémie ayant démontré qu’elle pouvait toucher doublement nos compatriotes établis à l’étranger.

Nos compatriotes de l’étranger sont en effet tributaires aujourd’hui d’une situation sanitaire et de moyens de santé publique extrêmement inégaux selon l’endroit où ils se trouvent. Leur éloignement géographique de la France peut les priver d’un certain nombre de dispositifs de protection devenus indispensables et mis en œuvre dans notre propre pays. L’État, comme l’a dit Ronan Le Gleut, leur doit pourtant la protection, comme à tout citoyen français, surtout face à un péril aussi exceptionnel que le covid.

Même lorsqu’ils sont résidents d’un pays dont le système de protection est d’un niveau comparable au nôtre, ils ne peuvent pas toujours aisément prétendre aux dispositifs de protection qui y sont disponibles.

La mobilisation de l’État pour tous les Français installés à l’étranger est donc essentielle, d’autant plus que la crise liée au covid-19 pourrait être longue, que ses effets économiques sont imprévisibles et que l’évolution de la situation sera probablement différente selon les zones géographiques et les choix politiques locaux.

À titre d’exemple, même si ce n’est pas le premier auquel on pense spontanément, nombre des 158 000 Français établis aux États-Unis pourraient se trouver dans les mois qui viennent dans une situation inquiétante en termes d’accès aux soins, de conditions d’emploi, de revenu d’existence. Ainsi, même un pays développé peut devenir un territoire d’insécurité, tout comme d’autres zones géographiques où la précarité et l’instabilité sont beaucoup plus évidentes. Certaines d’entre elles ont été citées.

Le Gouvernement a déployé des efforts exceptionnels pour les Français qui étaient à l’étranger au début de la crise, mais les rapatriements ont visé principalement les Français de passage, alors que les résidents installés sont, eux, restés sur place. C’est à ceux-là que s’adresse la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Ce texte est donc le bienvenu. Il doit compléter dans des circonstances exceptionnelles les dispositifs existants. Nous en soutiendrons le principe.

Je ferai toutefois quelques remarques.

Ce dispositif d’urgence, et j’y insiste, ne peut en aucun cas conduire à réduire le nécessaire renforcement des dispositifs de soutien permanents aux Français de l’étranger. Il s’agit de mettre fin à ce que Ronan Le Gleut a appelé la paupérisation de notre présence et du soutien à notre présence à l’étranger.

Le projet de loi de finances rectificative que nous examinerons au mois de juillet, vous venez de le dire, monsieur le secrétaire d’État, prévoit 150 millions d’euros dédiés aux aides sociales, aux bourses scolaires, à l’appui aux établissements du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). C’est un premier geste, mais il doit être pérennisé et renforcé, car il sera probablement insuffisant, tous les crédits ayant déjà été consommés, vous l’avez indiqué.

Nous devons veiller à ce que le dispositif figurant dans la proposition de loi ne complexifie pas l’accès aux aides, lequel doit au contraire être renforcé et simplifié. Il faut pour cela que les crédits de la mission « Action extérieure de l’État » soient mis à niveau, cette mission ayant besoin de moyens et de clarté.

Il sera donc utile, mais nous y reviendrons lors de l’examen des amendements, de préciser la place donnée aux conseillers consulaires et à l’Assemblée des Français de l’étranger pour avancer vers l’efficacité, la transparence et le ciblage des aides.

Les aides exceptionnelles ne devront pas se substituer aux dispositifs permanents, lesquels doivent être renforcés. Nous sommes évidemment attachés à cette question, car les renforcements annoncés récemment risquent d’être insuffisants pour supporter le choc actuel. Ils ne permettront pas non plus de faire face à d’autres crises de même nature qui surviendraient en plus de la pandémie de covid.

Ma dernière remarque portera sur le champ d’application du fonds d’urgence. Nous devons veiller à ne pas utiliser de définitions trop vagues dans le texte. Il y est question de « catastrophes naturelles », de « guerres », de « violences généralisées ». Le champ prévu est déjà très large, complet. La définition des événements politiques exceptionnels est plus vague. Il a été question d’« émeutes », avant que ce terme ne soit écarté, ou encore de « révolutions ». Or ces termes ne sont pas définis de manière suffisamment précise. Pour que le fonds d’urgence fonctionne efficacement, les définitions doivent être lisibles par tous et applicables.

Sous ces réserves, nous soutiendrons cette proposition de loi, qui doit, selon nous, s’inscrire dans un plan général de revalorisation et de renforcement de nos dispositifs d’aide et de soutien aux Français de l’étranger. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la sagesse populaire nous dit que c’est dans le besoin que l’on reconnaît ses amis.

Je crois que c’est également à cette aune que les Français jugent l’action publique : c’est dans le besoin que l’on reconnaît le véritable rôle de l’État. De ce point de vue, la crise sanitaire a fait l’effet d’un révélateur : les Français ont ainsi reconnu, si besoin en était, l’importance d’un État fort et robuste. De fait, l’État a tenu bon, malgré des conditions économiques et sanitaires extrêmes.

Cela vaut pour tous les Français, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières. Aider nos concitoyens à l’étranger s’avère aussi nécessaire que délicat, en temps de crise plus encore que de coutume. La puissance publique doit constituer pour eux un appui et une garantie sans faille, d’autant plus lorsque les relations internationales se crispent face aux tensions sanitaires.

Nombre de nos concitoyens établis hors de France ont pu compter sur un État réactif et agile, qui a su s’adapter à des contextes étrangers très variés. Je crois que ce sentiment est très largement partagé, et je tiens à le signaler. Le crédit en revient en partie au Gouvernement, mais aussi, pour une grande part, à notre réseau diplomatique, qui a de nouveau fait la preuve de son efficacité et de ses compétences.

Lorsqu’une crise survient, qu’elle soit sanitaire, sociale ou politique, on est en droit d’attendre que le Gouvernement prenne les mesures adaptées, car il échoit à l’exécutif de répondre à l’urgence d’une situation par l’action.

Mais cette intervention ne se déploie jamais que dans le cadre voté par le Parlement. C’est pourquoi je salue l’initiative de Ronan Le Gleut, qui vise à construire le cadre d’une intervention adaptée à des situations d’urgence par la création d’un fonds destiné à cette finalité. Il s’agit d’une bonne solution pour préparer aujourd’hui les interventions de demain, qui devront nécessairement pouvoir avoir lieu sans attendre.

À l’heure où nous examinons ce texte, la menace sanitaire n’a pas disparu, mais nous aurions tort d’aborder cette proposition de loi comme un texte de circonstance. D’ailleurs, la création de ce fonds est une idée qui a fait son chemin. La crise aura donc tout au plus joué le rôle de catalyseur dans le processus législatif.

En effet, la crise actuelle, avec toutes ses spécificités, a prouvé l’utilité d’un tel dispositif. Non que les Français de l’étranger ne bénéficient pas de dispositifs de solidarité adaptés à leur situation, qu’il s’agisse d’aides sociales ou indirectes – vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État –, mais ces dispositifs ne sont bien évidemment pas calibrés pour des situations exceptionnelles comme celle que nous avons connue.

Aussi, je crois utile que nous instaurions un mécanisme général destiné, par nature, à subvenir à des besoins particuliers. Je n’y vois aucune contradiction : c’est le principe même de tout mécanisme assurantiel. Le chiffre annoncé de 30 millions d’euros d’abondement annuel semble raisonnable, compte tenu des montants mobilisés lors des dernières interventions d’urgence auprès de nos concitoyens à l’étranger.

Des ressources complémentaires pourraient également être puisées dans la réserve de précaution en cas de crise majeure, ce qui permettra d’articuler prévoyance et souplesse.

Je vous proposerai une autre source de financement alternative, avec l’augmentation de la taxe sur les nuisances sonores aériennes. Nous aurions pu également envisager la majoration de 10 % du tarif des passeports. J’espère que le débat nous permettra d’identifier ensemble le modèle de financement le plus adapté.

En tout état de cause, cette proposition de loi contribue à rendre plus lisibles les efforts réalisés par la Nation en faveur de nos concitoyens établis hors de France. À cet égard, il semble pertinent de distinguer les aides exceptionnelles d’urgence versées en cas de crise majeure des aides de droit commun. C’est l’une des ambitions de ce fonds, que les membres du groupe Les Indépendants partagent pleinement.

Dans la même logique, bien définir les cas de figure où il pourra être enclenché revient à sécuriser le dispositif au plan juridique.

C’est pourquoi les amendements qui ont été adoptés sur le texte initial par la commission des finances vont dans le bon sens. Ils visaient non pas à restreindre le champ d’application du fonds, mais bien à préciser les situations dans lesquelles celui-ci pourrait être mobilisé. Mon groupe s’y montre également favorable.

De la même manière, nous considérons qu’il est plus pertinent de ne pas caractériser de façon superfétatoire les aides qui pourraient être versées par le biais du fonds. Encore une fois, il ne s’agit en rien de restreindre la portée de l’action de celui-ci : l’objectif est bien d’en sécuriser les interventions. C’est, je crois, soutenir son ambition initiale.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants apporte son soutien à cette proposition de loi. Améliorer l’efficacité de l’action publique, clarifier l’emploi des ressources publiques, renforcer le rôle de l’État en France comme à l’étranger, agir en prévention des catastrophes à venir, en prenant notamment les devants face au dérèglement climatique : nous partageons ces objectifs. Notre rôle consiste à nous donner les moyens de les atteindre. Ce texte y contribue. (M. le rapporteur applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Christophe-André Frassa applaudit également.)

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je félicite chaleureusement Ronan Le Gleut pour son initiative, qui nous amène à débattre de la création d’un fonds d’urgence pour les Français établis à l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques graves.

Depuis des décennies, l’Assemblée des Français de l’étranger l’appelle de ses vœux. De nombreuses questions écrites ont été posées sur ce sujet. Notre ancien collègue Christian Cointat a été évoqué. Je pourrais aussi citer, à la suite de Ronan Le Gleut, les nombreuses propositions de loi déposées en ce sens, dont celle de Joëlle Garriaud-Maylam, en 2008, destinée à concrétiser la promesse du candidat à l’élection présidentielle de 2007 Nicolas Sarkozy.

Jusqu’à présent, tous ces efforts se sont révélés vains. Les gouvernements successifs, quelle que soit leur appartenance politique, ont toujours opposé des motifs budgétaires pour justifier l’impossibilité de créer un fonds public d’indemnisation faisant appel à la solidarité nationale.

Je veux donc saluer l’action de notre rapporteur pour trouver une solution, afin de rendre possible ce que tant attendent.

Ne pas disposer d’un fonds pour aider nos compatriotes établis à l’étranger victimes de catastrophes naturelles nous condamne à l’impuissance lorsqu’un drame survient.

Tannya Bricard, conseillère consulaire en Équateur, l’a constaté lorsqu’elle recherchait du soutien pour nos compatriotes affectés par le tremblement de terre de 2016, qui a fait plus de 1 000 victimes dans son pays d’adoption et qui a notamment ravagé la ville de Manta, dans laquelle elle vit.

Je me suis rendu à Manta l’an dernier. J’y ai rencontré ces Français, qui m’ont dit qu’ils avaient été oubliés par notre pays. Tous nos compatriotes déploraient que la France ne leur ait offert aucune assistance pour faciliter le redémarrage de leurs activités. Chacun témoignait que seule l’aide de leur famille et de leurs amis leur avait permis de se relancer le cas échéant.

Au moment de soutenir le texte présenté ce jour, je pense à Tannya et à nos compatriotes de Manta.

Je pense à Martine, productrice de crevettes. Ses bassins et diverses infrastructures s’étalaient sur 100 hectares. Tout a été dévasté.

Je pense à Thierry, capitaine de pêche thonier, qui m’a accueilli dans le restaurant de sa femme en me faisant observer que le restaurant péruvien situé à proximité avait reçu, lui, une aide du Pérou pour redémarrer.

Je pense à Christian, qui avait ouvert un bar-restaurant en Équateur et qui, après le séisme, ne savait plus où habiter.

Je pense à Émilie, qui avait démarré une usine de purification d’eau pour pallier un problème sanitaire.

Je pense à Jean-Baptiste, jeune boulanger pâtissier qui s’était lancé à Manta deux ans plus tôt. Pendant une année, il n’a pas pu travailler, passant son temps à remplir de la paperasse pour décrocher un prêt bancaire ou une aide d’un organisme qui avait recueilli, lui, des fonds de l’Agence française de développement (AFD). En vain…

On imagine le triste sentiment qu’ils éprouvaient, celui de ne pas avoir été pris en compte par leur pays et de ne devoir alors compter que sur eux-mêmes et sur leurs proches.

En ce moment, je pense également à Jean-Louis Mainguy, conseiller consulaire Liban-Syrie, qui, en décembre 2019, alertait sur l’impérieuse nécessité de venir en aide aux Français du Liban. La crise exceptionnelle traversée par ce pays a plongé 45 % de la population au-dessous du seuil de pauvreté, dont nombre de Français. Le 17 mars dernier, Jean-Louis Mainguy, également vice-président de l’UFE Monde et administrateur de la Caisse des Français de l’étranger, a d’ailleurs décidé d’écrire au Président de la République pour lui demander justement d’instaurer un fonds permanent de solidarité et d’entraide.

Au mois de février dernier, tandis que j’étais en Égypte, la conseillère consulaire Régine Prato, présidente de la commission de la sécurité et de la protection des personnes et des biens à l’Assemblée des Français de l’étranger, me rappelait combien ce sujet lui tenait à cœur et que la nécessité d’un tel fonds restait une priorité pour l’AFE.

Voilà pourquoi, pressé par la pandémie naissante, j’avais intégré la création d’un tel fonds à ma proposition de loi relative à la solidarité en faveur des Français établis à l’étranger en période de crise, déposée le 24 mars dernier. Il n’y a aucune raison que la solidarité nationale s’arrête à nos frontières.

À l’époque, l’urgence était de faire face à la crise sanitaire mondiale. J’avais donc proposé que les Français expatriés bénéficient eux aussi du fonds de solidarité créé par la loi d’urgence du 23 mars 2020 tout spécialement pour faire face à l’épidémie de covid-19. C’était l’objet de l’article 1er de ma proposition de loi, qui, je dois le dire, a été pleinement satisfait.

En effet, le 30 avril dernier, par votre voix, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement annonçait un plan de soutien de 220 millions d’euros en faveur de nos compatriotes résidant à l’étranger. Le ministre de l’action et des comptes publics avait précisé que les montants évoqués étaient immédiatement mobilisables, via le fonds d’urgence mis en place dans le cadre du covid-19. Je vous remercie de nous avoir fait un point sur leur exécution.

Mais, si l’article 1er de ma proposition de loi concernait le court terme, l’article 2 visait à créer un fonds d’urgence et de solidarité pour secourir nos compatriotes victimes de circonstances graves. C’est pourquoi je me retrouve pleinement dans l’initiative de Ronan Le Gleut et de ses cosignataires.

Il est important que nous soyons rassemblés au-delà des clivages pour être efficaces et faire aboutir ce texte. Je remercie tous les parlementaires qui se sont associés à ma démarche, en particulier les sénateurs représentant les Français établis hors de France Robert del Picchia, Damien Regnard et Richard Yung.

Si, sur le plan des intentions, rien ne me sépare de l’auteur de la proposition de loi, j’ai déposé deux amendements de précision.

Le texte précise, à l’article 1er, alinéa 3, que « les conseils consulaires se prononcent sur les décisions d’attribution de ces aides. » Cela va sans dire ! Pour moi, la question est : quand ? Avant leur attribution ? Après celle-ci, comme nous l’observons actuellement dans la procédure d’attribution des 50 millions d’aide sociale d’urgence ?

Comme j’ai eu l’opportunité de le dire par le passé, le Gouvernement sera aussi jugé sur sa capacité à répondre à l’urgence sociale que vivent nos compatriotes à l’étranger. Il cherche à se donner les moyens d’y répondre vite, et c’est heureux. Reste à garantir que ces moyens seront tous orientés vers la finalité recherchée.

Il est donc impératif que les postes diplomatiques s’appuient instamment sur les conseillers consulaires pour construire les plans de soutien et organiser l’attribution des aides directes ou indirectes. Il en irait de même dans l’organisation de l’attribution de l’aide émanant du fonds proposé.

Cela étant, le groupe Union Centriste votera bien évidemment en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Jacky Deromedi, MM. Damien Regnard et Richard Yung applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les Français de l’étranger font pleinement partie de la communauté nationale, comme le rappelait Jérôme Bascher. Même loin des yeux, ils ne sont jamais loin du cœur.

Tout comme ceux qui résident sur le territoire national, ils ont été durement touchés par la crise sanitaire que nous sommes encore en train de vivre.

Cette situation a révélé un manque, dans nos outils de politique publique, pour faire face à une situation exceptionnelle. Bien évidemment, je le dis sans remettre en cause le travail admirable effectué par les services du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour venir en aide à nos compatriotes.

Pour pallier ce manque d’un outil de politique publique, qui est relevé depuis longtemps, le texte dont nous discutons aujourd’hui, sur l’initiative de Ronan Le Gleut, prévoit l’institution d’un mécanisme d’urgence pour aider des Français qui peuvent, n’importe où dans le monde, être confrontés à des catastrophes naturelles ou à une menace sanitaire.

Il est vrai qu’aucun fonds spécifique n’existe à cet effet. Nous devrons voter des crédits dans le cadre du projet de loi de finances rectificative dans quelques jours.

Si elle est retenue, la présente initiative montrerait la volonté de la France de secourir tous ses ressortissants, où qu’ils se trouvent. Si sa mise en œuvre reste encore assez floue, disons-le clairement, nous partageons cette volonté.

Nos collègues représentant les Français établis hors de France nous alertent depuis longtemps déjà sur le manque de moyens alloués aux consulats et ambassades pour venir en aide à nos concitoyens à l’étranger. Ils ne manquent pas d’exemples pour montrer la nécessité d’accroître nos moyens d’intervention.

Voilà quelques semaines à peine, nous avons déjà travaillé sur la situation des Français de l’étranger, en adoptant la proposition de loi présentée par Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains. Nous n’avons manifestement pas épuisé le sujet pour autant, surtout, si vous me le permettez, mes chers collègues, à l’approche d’élections consulaires et sénatoriales finalement reportées de quelques mois…

La période que nous traversons actuellement, avec la crise sanitaire, qui, dans la plus grande partie du monde, est bien loin d’être terminée, montre à quel point la préoccupation qui nous anime est légitime. La pandémie a obligé l’État à dégager des moyens exceptionnels, que nous allons être amenés à inscrire dans la loi de finances : 50 millions d’euros pour aider les familles ayant connu une baisse importante de leurs revenus et ne pouvant plus payer les frais de scolarité ; 50 millions d’euros pour permettre aux ambassades, consulats et associations de venir en aide aux Français de l’étranger les plus démunis, qui ne reçoivent pas d’aide de la part de leur pays de résidence ; 20 millions d’euros pour suivre et conseiller au niveau médical les expatriés français les plus vulnérables ; 20 millions d’euros, déjà mobilisés, pour faciliter le retour des Français en voyage à l’étranger, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État. Il y va donc, au total, de 140 millions d’euros, qui n’avaient pas été inscrits dans la loi de finances initiale.

Ce texte a l’ambition de donner un cadre pérenne à ces dépenses, dans un monde de plus en plus incertain. Notons cependant qu’il apparaît d’abord comme une intention, en définissant un cadre très général plus qu’un contenu, notamment dans sa dimension budgétaire.

Cette proposition de loi a, par conséquent, un défaut : nous ne connaissons pas, à ce stade, le coût qu’elle représenterait pour les finances publiques. Le mois dernier, nous avions déjà soulevé cette absence d’évaluation chiffrée des mesures contenues dans la proposition de loi du groupe Les Républicains.

Cela dit, est-il possible de faire différemment ? Le vote d’un budget relève de toute façon d’une loi de finances annuelle.

Nous approuvons la création de l’outil, celui d’un fonds d’urgence, et non d’un fonds d’indemnisation. Cette dimension de secours, qui ne relève pas d’une logique assurantielle, a été clarifiée par la suppression, en commission des finances, du deuxième alinéa de l’article 1er. Je pense que c’est une bonne chose.

Le devenir de cette proposition de loi reste bien sûr encore assez aléatoire. Toutefois, elle a d’ores et déjà un mérite : nous inviter et inviter le Gouvernement à pérenniser des réponses qui doivent être trouvées en urgence cette année face à la crise sanitaire.

C’est pourquoi, sous réserve des conclusions de notre débat, les membres du groupe socialiste et républicain approuveront très probablement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis d’une proposition de loi, présentée par Ronan Le Gleut et inspirée par une préoccupation qui n’est pas totalement nouvelle quant à son objectif, mais que la crise du covid-19 a remise en lumière. Il s’agit de répondre, par l’institution d’un instrument pérenne, aux situations d’urgence qui peuvent affecter nos concitoyens établis hors de France.

Certains de nos collègues ont déjà, par le passé, pris des initiatives pour créer un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger.

On doit bien comprendre que l’action de l’État peut se diluer avec la distance. Bien que les expatriés disposent de droits et d’institutions à leur service, l’isolement et l’éloignement du pays d’origine ne facilitent pas l’assistance en cas de crise.

Si la situation de confinement a été une épreuve pour nous tous, elle a parfois été plus violente dans certains pays, en fonction des règles adoptées par ceux-ci. C’est pourquoi plusieurs problèmes spécifiques se sont posés pour nos concitoyens éloignés.

Je pense, en particulier, à l’incidence de la fermeture des frontières et d’espaces aériens, qui a coupé les relations familiales. Je songe aussi à la dégradation de la situation économique, qui a plongé des foyers français dans la détresse. La crise sanitaire a également mis les établissements d’enseignement français à l’étranger en grande difficulté, des parents ne pouvant plus payer les frais de scolarité. Enfin, je n’oublie pas la question des frais médicaux qu’a pu soulever l’épidémie de façon inattendue.

Monsieur le secrétaire d’État, nous savons bien que l’État n’est pas resté sourd à ces difficultés.

On peut, en particulier, saluer l’action des postes consulaires, qui se sont démenés pour faire face, avec des moyens limités. Dans l’urgence, le Gouvernement a mis sur pied un plan de soutien de 50 millions d’euros, engagés au sein du programme budgétaire consacré aux Français à l’étranger et aux affaires consulaires. Par ailleurs, la revalorisation de l’enveloppe des aides à la scolarité a permis d’assurer la continuité pédagogique pour des milliers d’élèves.

À la lumière de cet événement et des retours de terrain qu’ont pu avoir nos collègues élus de l’étranger, il apparaît clairement nécessaire de créer un fonds suffisamment alimenté et réactif pour éviter un secours désordonné ou trop tardif.

Contrairement aux idées reçues, nos concitoyens vivant hors de nos frontières ne sont pas que de riches expatriés ou des exilés fiscaux, comme l’ont d’ailleurs rappelé les orateurs précédents. Parmi ces 2,5 millions de Français, il y a des gens modestes et des retraités aux petites pensions, dont la situation peut vite se dégrader.

M. le rapporteur a rappelé le système actuel d’aides directes ou indirectes pour les personnes socialement ou économiquement fragilisées. Existent, en particulier, des aides ponctuelles. Ces dernières, qu’il s’agisse de l’allocation à durée déterminée, de l’aide sociale à l’enfance ou des secours occasionnels, permettent d’apporter des réponses à petite échelle, mais s’avèrent insuffisantes en cas de crise ou de catastrophe de grande ampleur. On l’a constaté notamment à l’occasion de la crise du covid-19.

Aussi, mon groupe est favorable à la création d’un fonds d’urgence qui serait complémentaire des dispositifs actuels et surtout mobilisable en cas de menaces sanitaires graves, de catastrophes naturelles, de guerres civiles ou étrangères et de révolutions. Cet instrument s’inspire du fonds pour l’outre-mer. C’est une bonne chose.

La commission des finances a apporté quelques correctifs à la marge, en particulier la suppression de la subrogation pour l’État dans les droits de tout bénéficiaire. J’approuve cette démarche. En effet, toute action récursoire à l’encontre d’un État ou d’une personne privée de droit étranger serait vaine et, en tout cas, très compliquée, à moins d’un accord bilatéral.

S’agissant de la procédure d’attribution, l’inscription, dans le marbre de la loi, de la condition de ressources est nécessaire pour mieux conforter le caractère solidaire du fonds.

À ce stade demeure toutefois une inconnue. Quel type de financement apporter et à quel niveau ? J’espère que le présent débat permettra de lever quelques-unes des interrogations sur la mécanique financière de ce fonds d’urgence.

En attendant, mes chers collègues, le RDSE approuvera la proposition de loi, car, au-delà de son objet, elle contribue au soutien global que nous devons apporter à la communauté des expatriés qui font le rayonnement de la France et de sa culture à travers le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un vrai plaisir de venir au Sénat par les temps qui courent, puisque l’on y parle, presque chaque semaine, des Français de l’étranger.

J’ignore si c’est de notre propre fait, en raison de l’action du Gouvernement, qui a beaucoup œuvré, ou pour d’autres motifs. Quoi qu’il en soit, cela doit être signalé. Ceux d’entre nous qui siègent depuis un certain temps dans cet hémicycle ne peuvent que s’en réjouir : pendant longtemps, on n’en parlait pas.

Je remercie Ronan Le Gleut et ses cosignataires d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée, nous donnant ainsi l’occasion de témoigner notre solidarité à l’égard des Français établis hors de France, qui, en particulier en ce moment, sont nombreux à subir de plein fouet la pandémie et ses conséquences.

Je veux aussi remercier le Gouvernement des mesures de soutien qu’il a prises pour faire face à cette pandémie, que le troisième projet de loi de finances rectificative va nous permettre d’adopter.

L’abondement de l’enveloppe des aides sociales consulaires et l’augmentation des crédits vont nous permettre de répondre aux besoins.

Le redéploiement des crédits en faveur des organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES), que l’on appelait autrefois « associations de bienfaisance » et qui réalisent un excellent travail, permettra d’aider les Français établis hors de France.

Deux mois jour pour jour après la présentation du dispositif de soutien, nos collègues de la majorité sénatoriale proposent que les mesures de soutien aujourd’hui financées par un collectif budgétaire ou un redéploiement de crédits soient, à l’avenir, mises en œuvre via la mobilisation d’un fonds d’urgence, alimenté par le budget de l’État et qui, contrairement aux autres fonds de même nature, disposerait d’un fondement législatif.

L’idée de créer un fonds de soutien pour les Français établis hors de France confrontés à une crise, quelle qu’elle soit, ne date pas d’hier. Au cours des années 2000, il y a eu plusieurs tentatives pour concrétiser cette idée, le plus souvent sous l’angle de l’indemnisation des dommages subis à l’étranger. L’objectif était alors de tirer les conséquences d’événements tragiques, comme la crise ivoirienne ou le conflit israélo-libanais. Je rappelle ainsi que le rapatriement de 8 000 Français de Beyrouth avait été une grande opération. Les mécanismes d’indemnisation proposés reposaient soit sur le principe de la solidarité nationale, soit sur celui de l’assurance.

Pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, j’ai souvenir d’avoir entendu Nicolas Sarkozy proposer la création d’un « fonds d’assurance indemnisation des Français spoliés » – je reprends son appellation – lors de conflits ou de catastrophes naturelles, mais cette promesse n’a pas été suivie d’effet.

J’avais alors déposé une proposition de loi visant à améliorer le régime d’indemnisation des dommages subis à l’étranger. Le dispositif que j’avais en tête était mixte. J’avais en effet proposé de faire appel à la solidarité nationale pour l’indemnisation des dommages corporels et de conjuguer la solidarité nationale et l’assurance pour l’indemnisation des dommages matériels. Il s’agissait concrètement de rajouter 0,01 % aux primes d’assurance qui servent à financer le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions. J’avais également pour objectif d’obliger les entreprises d’assurance françaises à proposer des contrats couvrant les dommages matériels subis à l’étranger. En revanche, ma proposition de loi ne couvrait pas les menaces sanitaires graves – nous n’en avions pas encore conscience.

La crise que nous traversons montre la nécessité de subvenir rapidement aux besoins de première nécessité. C’est pourquoi je trouve judicieuse l’idée d’emprunter la voie du secours que propose Ronan Le Gleut et de créer un vecteur pérenne de l’aide d’urgence.

Ce mécanisme relève du bon sens. Il permettra de réduire les délais dans lesquels les crédits d’urgence sont mobilisés et complétera le dispositif de gestion de crise du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dont nous avons pu constater la grande efficacité durant la dernière crise.

Par ailleurs, subordonner l’accès au fonds à une inscription au registre des Français établis hors de France, qui se trouve dans chaque consulat et sur lequel nos compatriotes peuvent s’inscrire – un certain nombre d’entre eux ne le font pas,…

M. Jérôme Bascher, rapporteur. C’est une erreur, il faudrait rendre cette inscription obligatoire !

M. Richard Yung. … ce qui fait que l’on ne sait pas où ils sont –, serait de nature à inciter nos ressortissants à s’enregistrer auprès de leur consulat, à commencer par ceux qui se trouvent dans des pays difficiles.

Pour que ce fonds d’urgence puisse rapidement être activé, il conviendra de lui allouer une dotation en loi de finances. C’est ce qu’a excellemment prévu et développé le rapporteur, et je fais mienne sa proposition d’une dotation d’au moins 30 millions d’euros, soit 20 millions d’euros de plus que la dotation du fonds de secours pour l’outre-mer.

Permettez-moi enfin d’appeler votre attention sur la nécessité de placer cette réflexion dans le cadre européen. Selon moi, il serait utile d’étudier la possibilité d’élargir le champ d’application du Fonds de solidarité de l’Union européenne, qui a été créé pour faire face à ces grandes catastrophes.

Sous le bénéfice de ces observations, le groupe LaREM votera en faveur de cette proposition de loi. (MM. Jean-Claude Requier et Christophe-André Frassa applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacky Deromedi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est bien la maison des Français de l’étranger. Nous en avons eu un très bel exemple le 19 mai dernier, lors de l’adoption de la proposition de loi de Bruno Retailleau, dont j’étais rapporteur, qui a trait à la plupart des sujets que nous défendons tous sur ces travées de façon transpartisane depuis un bon nombre d’années.

Il fallait cependant aller plus loin pour que les Français résidant hors de France soient rétablis dans leur appartenance à leur patrie, pour qu’ils soient des Français à part entière et plus jamais des citoyens de seconde zone. La proposition de loi de Ronan Le Gleut, cosignée par Christophe-André Frassa et plusieurs de nos collègues – dont moi-même –, prévoit la création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles, de crises sanitaires ou d’événements politiques majeurs.

Les sénateurs représentant les Français de l’étranger ont toujours répondu présent, quel que soit leur groupe politique, pour soutenir nos compatriotes expatriés lors des nombreuses catastrophes naturelles et crises qu’ils ont dû affronter.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. C’est vrai !

Mme Jacky Deromedi. Ils l’ont toujours fait en lien étroit avec les acteurs de terrain que sont les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, les conseillers des Français de l’étranger, les délégués consulaires. Merci à Ronan Le Gleut d’avoir encore une fois pensé à eux.

Dans le monde très agité où nous vivons, où le terrorisme n’a pas désarmé, où, parfois, la nature s’emballe, où des conflits surgissent, nous essayons depuis longtemps de trouver une solution qui puisse être immédiatement activée sans avoir à attendre des décisions souvent trop longues à se mettre en place. Cette proposition de loi ouvre un champ très large sur les événements concernés : crise sanitaire ou économique, catastrophes naturelles, guerre civile ou étrangère, toutes les situations sont visées.

À ce jour, il existe plusieurs fonds d’urgence spécifique en France et en outre-mer. Jusqu’à présent, les Français établis hors de France ont seulement droit au fonds de garantie des victimes du terrorisme, qui s’applique indifféremment à tous les Français. Les Français résidant hors de France ne peuvent prétendre à aucun autre soutien, contrairement à leurs compatriotes de métropole et d’outre-mer.

Il est donc urgent de créer un fonds pour eux qui, partout dans le monde, portent les belles couleurs de notre drapeau, qui sont fiers d’être Français, qui ont fait la preuve qu’ils étaient courageux, qui ne bénéficient pas des aides sociales – chômage, retraite, sécurité sociale, école gratuite… – et tant d’autres avantages réservés aux Français qui vivent dans l’Hexagone ou outre-mer. Ils ne souhaitent qu’une chose, ne jamais avoir à tendre la main, mais il y a des circonstances où la nature, la politique, les virus vous font trébucher et, sans une main qui se tend, on ne peut pas se relever et on s’effondre. Ils n’auront besoin de notre solidarité que pour les aider à passer une vilaine vague, quelques mois seulement, et ils repartiront et seront de nouveau ces gens courageux dont nous sommes si fiers.

Ce fonds est un fonds de secours qui n’a vocation à être utilisé que dans des circonstances très particulières. Cette proposition de loi pose des principes de base et renvoie les mesures d’application au Gouvernement, lequel, sur le fondement des informations des postes diplomatiques et consulaires, dont le dévouement est unanimement reconnu, et des informations des élus des Français de l’étranger, est le plus à même de trouver les solutions les plus adaptées.

Je me réjouis que le rapporteur, Jérôme Bascher, ait proposé un amendement reprenant l’objet de celui que j’avais déposé sur les conseils consulaires et l’ait fait adopter par la commission des finances. Il vise à prévoir la consultation des conseils consulaires pour l’octroi des aides dans le cadre du fonds d’urgence. (M. le rapporteur acquiesce.)

Mes chers collègues, pour la deuxième fois en quelques semaines – ce qui n’était pas arrivé depuis si longtemps –, tous ensemble, redisons à nos compatriotes qui vivent loin de nous que nous ne les abandonnerons pas, où qu’ils soient, quoi qu’il leur arrive. Nous continuerons à marcher côte à côte.

Ceux qui vivent à l’étranger aiment la France, ils y ont leurs racines, leur famille, leurs amis. Pour ceux qui vivent en France, dans l’Hexagone ou en outre-mer, les Français résidant à l’étranger sont leurs dignes représentants, ceux qui portent notre voix aux quatre coins du monde. Ils font connaître notre langue, notre culture, nos produits.

Tous ensemble, nous sommes la France dans sa plus belle diversité, avec nos accents, nos coutumes, nos paysages tous différents, mais rassemblés et unis sous le même drapeau.

En résumé, il n’y a dans cette proposition de loi que de bonnes mesures. C’est pourquoi je remercie encore une fois Ronan Le Gleut de l’avoir déposée. Je la voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues,

« Oh ! combien de Lorrains et combien d’Aquitaines

« Qui sont partis joyeux pour des contrées lointaines,

« Dont les rêves d’un coup se sont évanouis !

« Combien ont tout perdu, dure et triste fortune ! »

Notre lointain prédécesseur, qui siégeait dans cet hémicycle il y a un siècle et demi, l’immense poète Victor Hugo, me pardonnerait, je l’espère, le détournement de son magnifique poème Oceano Nox. Il comprendrait peut-être, lui qui vécut l’exil, mon désir de rendre hommage à tous ces femmes et hommes qui vivent loin de leur mère patrie, tout en y restant profondément attachés.

Il nous faut casser l’image totalement fausse du Français de l’étranger exilé fiscal, image complaisamment entretenue dans les bureaux feutrés de certains ministères – pas le vôtre, monsieur le secrétaire d’État (Sourires.) – ou véhiculée par des journaux à sensation qui nous exhibent les photos de la luxueuse villa de telle star du show-business ou du football, partie vivre sous des cieux fiscalement plus cléments que le nôtre. Sur les 3,5 millions de Français établis hors de France, combien sont-ils, ces exilés fiscaux, sinon quelques centaines, quelques milliers tout au plus ?

Les autres, tous les autres, sont aussi divers que les Français de France ! Fort de toutes ces années à voyager et à les rencontrer, je peux en témoigner. De l’enseignant au restaurateur, du jeune qui a raté ses études et qui est parti comme serveur dans un pub au cadre d’entreprise, du retraité à l’avocat, du boulanger au médecin, en passant par le responsable d’ONG, ils sont la France et font rayonner notre pays dans le monde.

Comme les Français de France, ils peuvent subir de plein fouet les tragédies de la vie, mais, contrairement aux Français de France, ils n’ont aucune garantie et peuvent se retrouver du jour au lendemain dans la détresse la plus absolue, sans chômage, sans aide, sans rien ! De constat en constat, d’intervention en intervention, les urgences affluent.

Tout a été dit sur un sujet aussi brûlant que celui de l’aide d’urgence à apporter à nos compatriotes en cas de crise. Ce qui nous rassemble aujourd’hui, c’est la volonté de trouver un mécanisme permanent de réponse aux situations d’urgence comme celle que nous vivons en ce moment.

La proposition de loi que, sous l’impulsion de Ronan Le Gleut, nous avons déposée le 10 février dernier se situe dans la lignée de précédentes initiatives. Je me souviens avec émotion que nos anciens collègues Paulette Brisepierre, Charles de Cuttoli, Jacques Habert et tant d’autres avaient déjà déposé en 1990 et en 1998 une proposition de loi portant création d’un fonds de solidarité.

Joëlle Garriaud-Maylam a également déposé une proposition de loi portant création d’un fonds de solidarité en 2008, puis, le 30 mars dernier, une proposition de loi sur la création d’un fonds de solidarité.

Enfin, Olivier Cadic a lui aussi déposé le 24 mars dernier une proposition de loi relative à la solidarité en faveur des Français établis à l’étranger, considérant l’état d’urgence sanitaire mondial.

La mobilisation est donc générale. Il faut la saluer – aucune rivalité ni ego.

Il revient cependant à notre collègue Ronan Le Gleut d’avoir compris le premier cette année le désastre qui se préparait à l’échelle mondiale, avec ses conséquences pour les Français de l’étranger, et combien il devenait nécessaire de mettre en place un mécanisme d’urgence pérenne. Cette proposition de loi a le mérite d’être la première à s’inspirer de ce qui existe déjà en France, à savoir le fonds d’urgence pour l’outre-mer ou encore le fonds d’extrême urgence pour les inondations, avec un mécanisme souple pouvant être activé sans délai.

Il s’agit ici de mettre en place, dans les cas de catastrophe naturelle, de menace sanitaire grave ou d’événement politique majeur, ce même type de dispositions pour nos compatriotes de l’étranger, qui, je vous le rappelle, sont par ailleurs contribuables et participent eux aussi, par diverses contributions, à la solidarité nationale.

Un formidable travail de remodelage a été réalisé par notre rapporteur Jérôme Bascher, dont je salue l’intérêt et la compréhension envers les sujets touchant les Français de l’étranger.

Je tiens aussi à remercier chaleureusement le président Bruno Retailleau, grâce auquel nous examinons aujourd’hui, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe Les Républicains, cette proposition de loi.

Cette proposition de loi est désormais une évidence et l’actualité justifie amplement son adoption. Un plan d’urgence a été mis en place pour nos compatriotes de l’étranger, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État. Les fonds débloqués ont tardé à venir, car le mécanisme n’existait pas. Si le fonds avait déjà existé, je pense que nous aurions gagné du temps.

Pensons à l’avenir et aux prochaines crises sanitaires, naturelles ou politiques, qui, hélas, ne manqueront pas de survenir.

La proposition de loi de Bruno Retailleau qui a été votée voilà quelques jours a consacré un certain nombre de mesures dont nous souhaitions depuis plusieurs années qu’elles se concrétisent. Cette proposition de loi que je vous appelle à voter aujourd’hui, mes chers collègues, se fixe le même objectif.

Monsieur le secrétaire d’État, il ne s’agit pas de sommes astronomiques, qui viendraient grever lourdement le budget de l’État. Il ne s’agit pas d’un « quoi qu’il en coûte ». Au contraire, ce fonds est lié au texte que nous venons d’adopter visant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure.

Si tant de mesures sont prises en France, aujourd’hui, pour répondre aux situations imprévues et aux catastrophes, pourquoi ne pas les étendre de manière durable à nos compatriotes de l’étranger, qui, un jour, ont été, sont ou seront victimes d’événements aussi violents qu’imprévus et qui méritent, eux aussi, la solidarité de la Nation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les Français établis hors de France, dont nous parlons beaucoup au Sénat depuis quelques mois, alors que notre rendez-vous annuel est généralement au mois de novembre lors de la discussion budgétaire, représentent une population aussi diverse dans ses origines et sa composition que celle de la France. Chaque histoire est différente, les motifs de l’expatriation sont intimes à chacun d’entre eux.

Plus que d’autres, ces Français établis hors de France ne peuvent se résumer en une catégorie qui rassurerait et en faciliterait la compréhension. Avec eux, il est difficile de cocher des cases, parce qu’ils n’y entrent pas facilement. Chaque parcours, chaque histoire est irréductible à l’autre. Par-delà la caricature facile et injuste, ces Français de l’étranger nous disent cependant tous quelque chose de nous-mêmes et de la France. Vus d’ailleurs, notre identité, notre influence, nos qualités et nos défauts apparaissent ou se relativisent, se grandissent et se fondent.

Partis trop longtemps ou nés à l’étranger, mais revendiquant toujours leur identité française, ils sont confrontés au choc culturel ressenti à chaque changement de lieu parce qu’ils sont devenus « l’autre » et sont perçus comme tels par leurs compatriotes. Mal connus et mal aimés, la stigmatisation dont ils sont les cibles relève d’une méconnaissance de cette communauté hétérogène et repose sur les clichés d’une autre époque d’une population oisive et fortunée.

Il est par ailleurs intéressant de noter que nombre de Français vivant à l’étranger refusent le terme d’expatriés,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. C’est vrai !

Mme Hélène Conway-Mouret. … qui ne correspond pas à leur statut, en tout cas à ce qu’ils perçoivent être la définition de ce terme auquel sont associés des privilèges. Cet état de fait sémantique est révélateur de son évolution, qui a introduit une dimension humaine fondamentale. Elle nie également pour ces derniers le mérite d’une démarche qui, au contraire, atteste que la France s’inscrit dans le monde : on semble avoir oublié que l’envie de se déplacer a toujours existé pour aboutir à la découverte de nouveaux mondes et jusqu’à celle de l’espace.

Son accélération est une réalité dont les Français font aujourd’hui partie : la mondialisation ne s’est pas arrêtée aux frontières de la France et la crise que nous traversons nous le rappelle quotidiennement. Plus de 3,5 millions de Français vivent aujourd’hui à l’étranger, montrant ainsi que nous sommes une nation ouverte, reconnue et appréciée. En outre, où qu’ils soient sur la planète, les Français se sentent toujours des Français à part entière.

Représentant 5 % de la population française, il est légitime qu’ils soient représentés au Parlement et localement. La loi du 7 juin 1982 introduisant le suffrage universel dans la représentation de nos compatriotes expatriés avait été défendue avec passion et résolution par Claude Cheysson. Trente ans plus tard, animée des mêmes sentiments, j’avais repris cette réforme modifiant la représentation politique des Français de l’étranger dans le sens d’une plus grande équité, d’une plus grande proximité et d’une plus grande vitalité citoyenne. Tel a été mon objectif en 2013.

Grâce à l’élection de 443 conseillers consulaires au mois de mai 2014, les Français de l’étranger disposent désormais de l’écoute et de la reconnaissance qu’ils sont en droit d’attendre. La crise actuelle montre combien leurs élus locaux sont précieux dans l’information et le soutien qu’ils apportent aux plus vulnérables. Ils connaissent parfaitement la situation des familles. S’il est adopté, l’amendement déposé par mon groupe leur accordera la place qui doit leur revenir dans un dispositif d’octroi d’une nouvelle aide financière qui complétera les aides accordées par l’État. Celles-ci sont actuellement allouées par les conseillers consulaires sur la base de critères bien définis et sont restreintes à l’éducation et au social.

Les crises politiques, climatiques ou sanitaires sont nombreuses ; elles précarisent bon nombre de nos compatriotes, notamment nos entrepreneurs implantés de longue date dans leur pays d’accueil, présents dans le monde entier. Souvent travailleurs indépendants dans des microentreprises, ils montrent beaucoup de résilience, mais ne bénéficient aujourd’hui d’aucune aide qui leur permettrait de rebondir, notamment ceux qui se trouvent hors Union européenne.

Je salue donc le texte qui nous est soumis aujourd’hui par notre collègue Ronan Le Gleut et son groupe et qui vise à venir en aide à nos compatriotes établis hors de France. Si le concept n’est pas nouveau, cela a été rappelé, il est cependant bienvenu et tombe à point. Nous ne sommes pas habitués à voir les crédits du ministère augmenter, en tout cas à avoir des crédits supplémentaires, cela est bien sûr dû à la crise, mais je crois que nous pouvons pérenniser cette aide exceptionnelle grâce à l’outil qui est proposé.

La France a encore des difficultés à valoriser son implantation planétaire hors du commun. Elle doit chercher toujours plus à accompagner ses compatriotes et à faire preuve de solidarité. Ce fonds montrera vite sa grande utilité, notamment pour les recrutés locaux et les contractuels, quel que soit leur domaine d’activité dans nos ambassades, établissements scolaires, alliances françaises, instituts français, ou nos entrepreneurs et artisans, pour leur permettre de traverser les crises qui frappent leur pays de résidence sans être forcés à le quitter.

Comme l’a mentionné Rémi Féraud, mon groupe soutiendra ce texte et cette initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, étant la toute dernière intervenante dans ce débat,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Last but not least ! (Sourires.)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … avec le plus petit temps de parole – quatre minutes seulement –, je ne répéterai pas ce qui a été dit et redit par tous mes collègues pour louer nos compatriotes de l’étranger. Bien évidemment, je partage leurs propos et tiens à remercier notre ministre des affaires étrangères de son action inlassable en faveur des Français de l’étranger pendant cette crise.

Je regrette cependant que ma proposition d’aide aux tout petits entrepreneurs français de l’étranger dans le cadre du fonds de solidarité aux entreprises ait été refusée non par le Gouvernement, mais par la commission des finances du Sénat, au titre de l’article 40 de la Constitution, qui, vous le savez, interdit à tout parlementaire de créer de nouvelles dépenses. C’est bien un paradoxe qu’une proposition de loi puisse appeler à nombre d’investissements, mais pas un amendement.

Bien évidemment, je voterai cette proposition de loi, puisqu’elle reprend une idée que je défends depuis très longtemps, que nous avions proposée au président Sarkozy en 2007 – cela a été rappelé – et que nous avions matérialisée dans la proposition de loi que j’ai rédigée en 2008, cosignée par tous les sénateurs du groupe UMP.

Je n’ai cependant pas cosigné la proposition de loi de Ronan Le Gleut. Soucieuse de vérité et d’authenticité, je regrette que celle-ci contienne un certain nombre d’informations erronées. C’est pourquoi je me dois d’apporter quelques précisions.

Ainsi, l’exposé des motifs indique que, depuis plus de deux décennies, des sénateurs des Français de l’étranger ont rédigé des propositions de loi tendant à créer des fonds d’indemnisation pour les Français résidants à l’étranger dans une logique assurantielle. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais c’est faux : notre proposition de loi, qui date de 2008, cosignée par tous les sénateurs de l’UMP d’alors, et que j’ai reprise en 2016, je tiens à le préciser parce que cela a été oublié dans les interventions, après la crise en Équateur mentionnée par Olivier Cadic et pour laquelle j’avais mobilisé ma réserve parlementaire (Murmures.), ne prévoyait pas un tel mécanisme.

Dans l’exposé des motifs de ce texte, je rappelais alors par honnêteté intellectuelle les efforts de nos collègues de l’UMP dans les années 1980 pour mettre en place une assurance indemnisation spécifique – j’avais participé à ces travaux dès 1988 au sein du Conseil supérieur des Français l’étranger (CSFE). Cela s’était fait pour les expatriés suisses, j’avais trouvé les documents afférents à l’époque, mais cela s’était révélé impossible en France.

Je tiens à le répéter : si une proposition de loi sur l’assurance volontaire des Français de l’étranger a été déposée par Monique Cerisier-ben Guiga et Richard Yung, qui l’a rappelé, il n’a jamais été question pour nous de créer un fonds de solidarité sur une base assurantielle, contrairement à ce qui a été indiqué. La proposition de loi que j’ai déposée en 2016 n’en parlait même pas : elle parlait bien sûr de soutien à nos ressortissants expatriés, de solidarité en fonction du principe d’égalité et elle devait être alimentée par des dons et legs, fractions et produits des successions en déshérence et taxes sur les passeports.

C’est celle-ci qui, de toute évidence, a inspiré Ronan Le Gleut, puisque, en 2017, alors qu’il était candidat dissident avec le soutien de l’UDI contre moi, il intégrait cette proposition de fonds de solidarité dans ses promesses électorales. Vous pourrez comparer ces propositions de loi, puisque les archives ne mentent jamais, et vérifier la véracité de mes dires, mes chers collègues.

Je relève deux différences entre ces deux propositions de loi.

D’une part, l’expression « fonds d’urgence » a remplacé celle de « fonds de solidarité ». Qu’est-ce qu’un fonds de solidarité sinon un fonds destiné à travailler à l’urgence et à soutenir nos collègues ? Comme l’a dit avec humour une collègue de la commission des finances lors de l’examen du rapport : ces deux textes, ce sont un peu les mêmes raviolis, c’est juste l’étiquette de la boîte qui change ! (Sourires.)

D’autre part, j’avais proposé un autre financement que celui qui a été indiqué par Ronan Le Gleut. Pour le reste, son texte est identique en tout point à ce que j’ai fait figurer dans ma propre proposition de loi.

En tout cas, je remercie le président Retailleau d’avoir inscrit l’examen de ce texte à l’ordre du jour de nos travaux, même si je regrette…

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  … que des propositions de loi quasi identiques – celle d’Olivier Cadic, la mienne ou celle de Ronan Le Gleut – n’aient pas été examinées ensemble, comme le veut la tradition, à ce que l’on m’a toujours dit.

M. Jean-Yves Leconte. Merci pour ce moment !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi portant création d’un fonds d’urgence pour les français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 1

Article 1er

Il est institué un fonds d’urgence en faveur des Français résidant habituellement hors de France et régulièrement inscrits au registre des Français établis hors de France qui, dans leur pays de résidence, sont exposés à des menaces sanitaires graves ou sont victimes de catastrophes naturelles ou de guerres civiles ou étrangères, de révolutions. Les crédits de ce fonds sont inscrits au budget général de l’État après consultation de l’Assemblée des Français de l’étranger.

Ce fonds a pour mission d’aider sans délai ses bénéficiaires à faire face à la menace à laquelle ils sont exposés ou à subvenir à leurs besoins essentiels auxquels ils ne peuvent répondre en raison de circonstances mentionnées au premier alinéa. Les aides de ce fonds peuvent être financières ou matérielles et sont accordées sous condition de ressources.

Les conseils consulaires se prononcent sur les décisions d’attribution de ces aides.

Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. Il précise les conditions dans lesquelles sont accordées et calculées les aides.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l’article.

Mme Claudine Lepage. « Vous êtes les ambassadeurs de la France. » C’est en ces termes que les Présidents de la République, tous bords confondus, les ministres des affaires étrangères et autres ministres saluent la communauté française lors de leurs déplacements à l’étranger. Aucun d’entre eux ne manque d’évoquer devant les entrepreneurs français, les représentants d’association et les membres de la communauté française présents l’importance des Français établis hors de France pour le rayonnement de notre pays.

Cependant, si une catastrophe naturelle survient – séisme, éruption volcanique, tsunami –, si une crise politique grave surgit, amenant son lot d’exactions et de pillages, si une crise sanitaire se déploie, rien n’est prévu pour les aider, eux qui ont perdu leurs biens, leur outil de travail, et qui se retrouvent démunis.

Le Conseil supérieur des Français de l’étranger, devenu Assemblée des Français de l’étranger en 2004, avait en son temps, comme vous l’avez déjà entendu, travaillé sur le sujet pour proposer la mise en place d’un fonds de solidarité afin d’aider nos ressortissants en cas de catastrophe. Deux voies étaient possibles : la piste assurantielle ou la création d’un fonds d’urgence garanti par l’État.

La solution via l’assurance s’est vite révélée trop onéreuse pour nos compatriotes et les gouvernements successifs n’ont pas voulu s’engager sur la voie d’un fonds garanti par l’État. La proposition de loi de Ronan Le Gleut va donc dans le bon sens et je l’en remercie.

Certes, le Gouvernement a déployé des efforts importants pour faire face aux difficultés liées à la crise du covid-19 pour les Français de l’étranger, mesures que nous devrons voter prochainement, mais la création d’un fonds d’urgence permettra de réagir rapidement à toute situation d’urgence pour faire face à la précarité dans laquelle nos compatriotes peuvent tomber, lorsqu’aucun filet social n’est là pour les soutenir.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la place d’un pays sur la scène internationale est étroitement dépendante de sa capacité à exploiter et valoriser les atouts économiques, sociaux, culturels et humains dont il dispose. La présence de nos compatriotes français à l’étranger est l’une des conditions évidentes du rayonnement international de la France. La France rayonne à l’international grâce à cette présence française sur tous les continents. Nous avons une chance inouïe : c’est un magnifique réseau.

Pour le général de Gaulle, la politique étrangère et donc, une certaine manière, la présence française à l’étranger était l’expression même de la Nation sur la scène internationale : participer à la vie du milieu extérieur est pour toute nation plus qu’un droit, c’est un devoir, c’est l’expression normale de l’existence nationale.

Il semble donc essentiel de soutenir et consolider ce réseau international de Français qui sont fondamentalement attachés à notre beau pays, la France. D’ailleurs, d’autres grandes puissances savent très bien soutenir leur diaspora, leurs compatriotes à l’étranger, pour prendre l’ascendant dans ce jeu d’influence, puisque nous vivons dans un monde de grande compétition. Il nous faut faire de même.

C’est pourquoi je soutiens cette proposition de loi, fruit du travail de mon collègue sénateur des Français de l’étranger Ronan Le Gleut et de ses collègues, qui vise à créer un fonds d’urgence de soutien des Français de l’étranger se trouvant en difficulté du fait d’une situation exceptionnelle, qu’il s’agisse d’une crise sanitaire ou politique – je pense notamment à nos compatriotes en Afrique, qui se trouvent dans des zones de conflit.

Le contexte actuel de pandémie renforce également la nécessité de venir en aide à nos compatriotes à l’étranger. C’est la raison pour laquelle je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par M. Cadic, Mme Billon, MM. Canevet, Cigolotti, del Picchia, Delahaye et Détraigne, Mmes Férat et Guidez, MM. Lafon, Louault, Moga et Regnard, Mmes Saint-Pé, Sollogoub et Garriaud-Maylam, M. Cazabonne et Mme de la Provôté, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

sur les décisions

par les mots :

préalablement à toute décision

La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Pourquoi cet amendement ? En guise de réponse, je lirai un extrait de la lettre adressée par le député Frédéric Petit au ministre de l’Europe et des affaires étrangères portant sur la façon de répartir l’aide sociale : « J’ai été très surpris de constater que les élus consulaires n’ont pas été associés à la procédure d’aide sociale d’urgence accordée aux Français de l’étranger sans ressources. Ce dispositif annoncé le 30 avril marque la solidarité de la Nation avec nos compatriotes à l’étranger les plus fragiles.

« À l’heure actuelle, les agents de l’administration consulaire attribuent cette aide sur leur seule évaluation. L’avis des élus est facultatif ou informel et leur rôle devrait se limiter à la possibilité de faire connaître ce dispositif. »

En référence figure votre lettre, monsieur le secrétaire d’État, adressée aux parlementaires. Voilà donc le problème, et il est intéressant que vous soyez présent dans l’hémicycle pour donner votre avis sur cet amendement, parce que, au-delà du texte, ce sont bien les modalités de la répartition de l’aide sociale qui sont en cause. Les élus, qui sont pourtant cités dans le décret de création de la fonction de conseiller consulaire et qui sont normalement tenus de participer aux sessions, deviennent spectateurs, engagés, mais spectateurs.

Il faut donc impérativement que ces élus puissent donner un avis préalable sur l’attribution de l’aide.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Frassa, est ainsi libellé :

Amendement n° 2, alinéa 5, au début

Insérer les mots :

, dans un délai de huit jours francs,

La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Je soutiens bien évidemment la démarche de mon collègue Olivier Cadic ; je serai donc bref, puisqu’il a dit l’essentiel.

Mon sous-amendement vise tout simplement à encadrer un peu plus la consultation préalable des conseils consulaires. Comme le disait l’un des brillants prédécesseurs de M. Le Drian, M. de Talleyrand, même si cela va sans dire, cela va encore mieux en le disant et j’ajouterais : « en l’écrivant ».

C’est pour cette raison que cet amendement tend à fixer un délai de huit jours francs pour réunir et consulter les conseillers consulaires.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bascher, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur ce sous-amendement et sur l’amendement ainsi sous-amendé.

Je veux toutefois préciser une chose : je l’ai indiqué précédemment, nous voulons respecter le parallélisme des formes avec la proposition de loi précédente et mieux associer les uns et les autres. Néanmoins, il s’agit bien d’un avis. Ne confondons pas l’avis, la décision et l’exécution ; nous sommes très attachés, ici, au respect des rôles de chacun.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Levons d’emblée le suspense insoutenable : le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat pour ce qui concerne le sous-amendement et il émet un avis favorable sur l’amendement.

Sur le principe, cette association des élus est bien entendu importante, elle est nécessaire. Néanmoins, j’appelle votre attention sur un point : dans le cadre tant du courrier du député Frédéric Petit que du fonds d’urgence, qui a, comme son nom l’indique, vocation à intervenir dans les cas d’urgence, il faut arriver à concilier la consultation des conseillers consulaires avec la nécessité de ne pas retarder les décisions qui se prennent au fur et à mesure que les situations se présentent. Vous saisissez bien l’enjeu, je pense.

Par ailleurs, les membres des conseils consulaires ont des activités et le fait de réunir, selon un rythme hebdomadaire, ces conseils peut poser des problèmes à certains.

Bref, je le répète, je suis favorable à cette mesure sur le principe, parce que l’association des élus est importante, mais, dans l’exécution en période de crise, il faut parfois aller vite.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour explication de vote.

M. Christophe-André Frassa. J’entends bien votre avis favorable sur l’amendement et votre avis de sagesse sur la question des délais, monsieur le secrétaire d’État, mais la visioconférence et les consultations électroniques permettent de réunir différentes instances, sans les assembler physiquement. Nous en avons fait la preuve avec le groupe de travail que vous avez mis en place ; les conseils consulaires se sont réunis en visioconférence, en conférence téléphonique ou en consultation par internet.

Nous voulons instaurer un délai de huit jours francs pour que les choses ne traînent pas ; telle est l’idée de notre sous-amendement, qui tend à encadrer la procédure et à éviter toute perte de temps. Cela permet de souligner l’urgence.

Davantage que d’une explication de vote, il s’agissait d’une explication d’explication ; je vous prie de m’en excuser, madame la présidente.

Mme la présidente. Je vous en prie, mon cher collègue.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 5 rectifié.

(Le sous-amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié bis, modifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Cadic, Mme Billon, MM. Canevet, Cigolotti, del Picchia, Delahaye et Détraigne, Mmes Férat et Guidez, MM. Lafon, Louault, Moga et Regnard, Mmes Saint-Pé, Sollogoub et Garriaud-Maylam, M. Cazabonne et Mme de la Provôté, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

après consultation de l’Assemblée des Français de l’étranger

La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Conformément à la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, l’Assemblée des Français de l’étranger a vocation à être consultée sur les modalités d’application des aides d’urgence aux Français résidant hors de France, avant que celles-ci ne soient fixées par décret. Ainsi, en toute logique, sachant combien ce dispositif est important pour les membres de cette assemblée, il me semble essentiel que ses membres soient associés au processus jusqu’à son terme. On vient de le voir avec l’amendement précédent, il est toujours dommage de consulter après plutôt qu’avant.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 6, présenté par M. Frassa, est ainsi libellé :

Amendement n° 3, alinéa 3

Après le mot :

consultation

insérer les mots :

, dans un délai de quinze jours,

La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Toujours dans le souci de ne pas perdre de temps, je souhaite que soit prévu un délai, de quinze jours cette fois, pour la consultation de l’Assemblée des Français de l’étranger, avant que ce décret ne soit pris.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bascher, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement de M. Cadic et sur le sous-amendement.

Le sous-amendement que nous venons d’adopter tendait à prévoir un délai de huit jours, parce qu’il s’agissait de mesures d’urgence : donner un avis sur les aides. Il s’agit, avec cette disposition, d’émettre un avis sur un décret ; un délai de quinze jours paraît tout à fait envisageable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Pas de problème pour la consultation de l’Assemblée des Français de l’étranger ; le Gouvernement émet donc un avis favorable sur l’amendement et le sous-amendement.

D’ailleurs, si j’étais taquin, je dirais qu’on pourrait pousser la logique jusqu’à envisager de consulter également cette assemblée lorsqu’une proposition de loi doit être examinée par le Parlement. Je verse cette réflexion au débat. (Sourires sur diverses travées.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. L’amendement d’Olivier Cadic me semble aller dans le bon sens ; il est tout à fait utile que l’Assemblée des Français de l’étranger se prononce sur le projet de décret qui mettra en œuvre les dispositions de cette proposition de loi, si la navette parlementaire ne s’arrête pas en chemin.

En revanche, demander que cette consultation ait lieu dans un délai très court me semble un peu plus compliqué. Si l’on veut que la consultation soit faite correctement, il vaut quand même mieux le faire lorsque cette assemblée est réunie plutôt que d’envoyer le projet à son président, qui consulterait rapidement le bureau.

Sur un sujet aussi important, il me semble préférable de poser le principe proposé par Olivier Cadic, sans confondre vitesse et précipitation. Je l’ai déjà dit lors d’autres séances ; dès lors que l’on demande que l’Assemblée des Français de l’étranger soit consultée, il faut lui en donner le temps et l’idéal est de le faire quand elle est réunie en assemblée plénière.

Je propose donc de ne pas fixer de délai ; l’essentiel est de fixer le principe de la consultation dans la loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour explication de vote.

M. Christophe-André Frassa. L’Assemblée des Français de l’étranger s’est dotée, dans son règlement, d’outils permettant de se réunir entre les sessions et d’être consultée pour émettre un avis sur différents textes que lui soumet le Gouvernement, projets de décret ou d’arrêté.

Je ne vois donc pas pourquoi on devrait, tout à coup, mettre un terme à cette pratique, qui a fonctionné, puisque figurent, sur le site de l’Assemblée des Français de l’étranger, les avis motivés sur les textes réglementaires soumis par le Gouvernement. Nous ne confondons pas vitesse et précipitation ; au contraire, nous utilisons les outils que l’Assemblée des Français de l’étranger utilise elle-même pour rendre des avis entre les sessions, qui, je le rappelle, ne sont pas nombreuses : il y en a deux par an.

On prendrait donc un certain retard si l’on ne devait utiliser que ces deux sessions pour rendre un avis « sur le siège » de l’Assemblée des Français de l’étranger.

Par ailleurs, pour répondre à la balle de fond de court envoyée par le secrétaire d’État, l’avis de l’Assemblée des Français de l’étranger existe déjà, puisque nous entendons régulièrement en audition les membres de cette assemblée,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Pas toujours !

M. Christophe-André Frassa. … à l’occasion de l’examen de textes dont le Sénat s’enorgueillit de débattre, comme la proposition de loi relative aux Français établis hors de France, du président Retailleau, et la présente proposition de loi.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. C’est un peu différent !

M. Christophe-André Frassa. Cela dit, je retiens votre suggestion et je réfléchirai aux moyens de la mettre en œuvre.

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 6.

(Le sous-amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié bis, modifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.

M. Jean-Yves Leconte. Beaucoup d’orateurs l’ont dit, ce débat procède d’une bonne initiative du groupe Les Républicains ; cela nous permet de faire un peu le point sur la question et vous avez commencé de le faire en évoquant les mesures d’urgence mises en place pour faire face à la situation et pour accompagner les Français de l’étranger frappés par la crise du covid-19.

Je vous ai adressé, monsieur le secrétaire d’État, un courrier sur le sujet, parce que, en matière d’action sociale, il vaut mieux aider les gens qui ont des difficultés quand ils se tiennent encore debout et qu’ils savent que leurs revenus vont baisser, plutôt que d’attendre qu’ils ne soient à terre.

Or les conditions de mise en place de l’action sociale dans le cadre du plan d’aide me semblent particulièrement restrictives et l’aide me paraît extrêmement faible. Pour le propriétaire d’un petit restaurant, une aide de 150 euros par mois au maximum ne suffira pas, surtout si, pour pouvoir la recevoir, il faut en plus ne pas être éligible à une aide locale.

Prenons un exemple. À Madagascar, une famille était éligible au rapatriement sanitaire à cause du confinement ; en raison d’une aide de 25 euros du gouvernement malgache, cette famille n’est plus éligible au dispositif d’aide sociale mis en place dans le cadre de l’aide de 50 millions d’euros. Voilà où nous en sommes avec les conditions actuelles ! Avec de telles conditions, l’enveloppe de 50 millions d’euros ne sera pas dépensée !

Si vous voulez vraiment aider les Français qui font face à des difficultés sociales majeures, vous devez faire sauter cette condition d’inéligibilité aux dispositifs du pays d’accueil. Sans doute, il y a, dans certains pays d’accueil, des dispositifs suffisants, voire meilleurs que les nôtres, mais lorsqu’un dispositif représente 20 euros par mois pour l’ensemble d’une famille, ça ne tient plus !

Second point, nous avons demandé que les entreprises et les Français qui contribuent à la présence internationale de la France puissent bénéficier de certaines dispositions mises en place pour les entreprises en France, des garanties bancaires.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Jean-Yves Leconte. La moitié des entreprises créées par des Français de l’étranger engendrent plus de quatre emplois en France ; c’est bon pour les Français en difficulté et c’est bon pour notre économie.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. L’intervention du sénateur Leconte mérite réponse.

Je suis sensible à cette argumentation, c’est pourquoi j’ai tenu, à l’occasion de cette séance, à mettre les chiffres sur la table ; cela permet de faire un retour d’expérience de la mise en œuvre de ce plan.

La montée en puissance du plan de 50 millions d’euros se fait de façon très progressive ; on le mesure en rapportant ses 2 700 bénéficiaires à l’ensemble des Français établis hors de France. Nous sommes dans le cadre d’un dispositif validé à l’échelon interministériel et la commission des finances, qui est en contact étroit et régulier avec le 139 rue de Bercy, sait quels types de contraintes peuvent provenir de ce côté-là…

Toutefois, instruit de ce retour d’expérience, je suis, je l’avoue, plutôt favorable à l’idée d’une réflexion prochaine sur un assouplissement de certains critères, afin de prendre en compte plus de situations ; cela me semble aller plutôt dans le bon sens. Je ne vous dis pas que tous les combats seront gagnés, mais ils doivent tous être menés, et j’ai envie que nous menions celui-ci ensemble.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs
Article 2

Article additionnel après l’article 1er

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par MM. Leconte et Féraud, Mmes Conway-Mouret, Lepage et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les conseils consulaires sont consultés avant toute décision relative au versement d’une subvention de l’État versée à un organisme local d’entraide et de solidarité ou à un centre médico-social particulièrement en période de crise sanitaire, de catastrophe naturelle ou de crise politique grave. L’avis du conseil consulaire porte sur le montant et l’usage de la subvention.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Je profite de l’occasion qui nous est donnée par le groupe Les Républicains pour demander, au travers de cet amendement, plus de concertation avec les conseils consulaires dans un certain nombre de cas.

Il y a, cela a été évoqué, des conseils consulaires en format « action sociale », qui, dans un cadre précis, peuvent accorder, même hors crise, un certain nombre de prestations aux personnes de plus de 65 ans, aux adultes ou aux enfants handicapés ou encore aux enfants en détresse. Mais il y a aussi des subventions versées à des organismes locaux d’entraide et de solidarité.

Le problème est que ces subventions ne font pas l’objet du même contrôle des conseils consulaires que celui auquel sont assujetties les aides accordées directement auprès des Français. Finalement, les subventions accordées aux organismes locaux d’entraide et de solidarité sont évoquées en conseil consulaire et sont, ensuite, versées, de manière discrétionnaire, par la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE), sans que le conseil permanent pour l’action sociale puisse se prononcer.

C’est la raison pour laquelle nous proposons d’inscrire dans la loi que les conseils consulaires seront consultés avant toute décision relative au versement d’une subvention de l’État versée à un organisme local d’entraide et de solidarité ou à un centre médico-social, particulièrement en période de crise. L’avis du conseil consulaire portera sur le montant et l’usage de la subvention de manière à éviter que ces subventions ne soient versées de manière discrétionnaire par la DFAE, sans avoir obtenu un avis précis et déterminé pour chaque subvention et pour chaque organisme local d’entraide et de solidarité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bascher, rapporteur. Tout d’abord, je veux le dire à M. Leconte et au groupe socialiste et républicain : j’ai été très embêté par cet amendement, qui présente, avec le périmètre adopté par la commission des finances concernant l’application de l’article 45 de la Constitution, des « points d’adhérence ». Il a donc fallu toute la bienveillance de la commission des finances et du bureau du Sénat pour que cet amendement puisse être examiné en séance.

Toutefois, soyons républicains : n’hésitons pas à consulter les instances représentatives.

Eu égard au caractère un peu ambigu de cet amendement, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement émet un avis de sagesse bienveillante, car nous nous inscrivons déjà dans cette philosophie ; l’avis des conseils consulaires est systématiquement recherché concernant les 78 organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES) et nous nous efforçons de le respecter.

Néanmoins, quand un avis est donné pour un montant de, disons, 700 000 euros et qu’il n’y a finalement que 400 000 euros à répartir, il faut ajuster les choses ; c’est là qu’il peut y avoir quelques nuances. Toutefois, sur le principe, cet avis doit être recherché et je n’ai pas de problème à ce que ce soit inscrit dans la loi.

Cet avis a d’ailleurs été recherché pour les subventions complémentaires liées à la crise du covid-19. Je vais donc vous transmettre la liste de l’ensemble des demandes de subventions destinées aux organismes locaux d’entraide et de solidarité, que nous avons transmise à la commission nationale du soutien au tissu associatif des Français de l’étranger (Stafe). J’en ai les tableaux sous les yeux et je les ferai parvenir à tous les parlementaires représentant les Français de l’étranger. Vous aurez ainsi toutes les informations à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour explication de vote.

M. Ronan Le Gleut. L’objet de cet amendement est de prévoir une consultation du conseil consulaire pour tout versement d’une subvention de l’État à un organisme local d’entraide et de solidarité ou à un centre médico-social.

Il s’agit, selon moi, d’une très bonne disposition, qu’il faut soutenir ; cela correspond tout à fait à la vocation de ces élus au suffrage universel direct que sont les conseillers consulaires.

Je suis tout à fait favorable à cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 1
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

Les conséquences financières résultant pour l’État de l’article 1er sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié quater, présenté par MM. Guerriau, Frassa, Laufoaulu, del Picchia, Decool, Bignon, Chasseing, A. Marc, Capus, Lagourgue et Menonville, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les conséquences financières résultant pour l’État de l’article 1er sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus à l’article 1609 quatervicies A.

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Cet amendement, que j’ai déposé avec Christophe-André Frassa, vise à ouvrir des pistes pour le financement de ce fonds d’urgence destiné aux Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs.

Il s’agirait de financer ce fonds par une augmentation de la taxe sur les nuisances sonores aériennes, en lieu et place du gage habituel. En effet, plutôt que le gage classique consistant en une augmentation des droits et taxes sur les alcools et tabacs, nous avons recherché quelques idées, plus liées à l’international.

Les différentes taxes sur l’aviation sont de vraies pistes, sans jeu de mots. Nous avons donc été écologistes avant le résultat des élections municipales ; nous pensons qu’une augmentation de la taxe sur les nuisances sonores aériennes serait opportune, d’autant plus qu’elle repose sur tous les gros avions, quelle que soit leur nationalité. L’intérêt d’une telle mesure réside dans le fait que l’État disposerait immédiatement d’un fonds pour intervenir, dans les plus brefs délais, en faveur des Français de l’étranger en temps de crise. L’affectation de crédits, par le Parlement, constitue nécessairement une étape de la réponse étatique, mais elle est moins immédiate.

Initialement, nous souhaitions prévoir l’augmentation de 10 % du tarif des passeports, mais cette proposition n’était malheureusement pas recevable au regard de l’article 40 de la Constitution. Nous nous sommes donc limités à la hausse de la taxe sur les nuisances sonores aériennes.

Tel est l’objet de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bascher, rapporteur. Je ne voudrais pas que l’on me croie coupable de laxisme budgétaire ; je ne suis pas connu pour cela et je n’ai pas l’intention de changer.

Le laxisme budgétaire consisterait à inscrire, dans ce fonds d’urgence, des dépenses par trop importantes. J’ai proposé des modalités, comme l’inscription de la réserve de précaution, qui est faite pour cela, et l’abondement progressif, d’année en année, de ce fonds, selon une trajectoire budgétaire dont nous discuterons dans environ deux semaines, dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques.

Il y a, à ce stade, peu de crédits donc peu de gages nécessaires. Monsieur Guerriau, vous proposez un gage qui semble logique, en affectant une taxe qui concerne les Français de l’étranger à la création de ce fonds d’urgence, dans une forme de solidarité. Je reste toutefois perplexe, parce que ce gage est hypothétique ; surtout, il constitue un mauvais signal pour nos aéroports et nos compagnies aériennes, qui, chacun peut le reconnaître, ne se portent pas bien.

La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat, mais c’est un avis de sagesse à tout le moins dubitative, voire défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Je rejoindrai le rapporteur dans son avis de « sagesse dubitative ».

On traite ici d’une taxe qui n’est pas du tout soumise, pour l’instant, à un tel fonctionnement. Celle-ci est affectée à la lutte contre les nuisances sonores et il faudrait toucher au mécanisme de la taxe pour rendre le dispositif opérationnel. Il existe des mécanismes traditionnels de gage, qui paraissent plus opérants.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour explication de vote.

M. Christophe-André Frassa. Vous l’aurez compris, mon collègue Joël Guerriau et moi-même avons essayé de trouver un gage qui ne soit pas l’éternel, pour ne pas dire le sempiternel, gage reposant sur les taxes additionnelles sur les produits d’alcool et de tabac.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. On reconnaît l’amateur ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa. En effet, merci de le souligner, c’est un amateur qui vous le dit ; un amateur de tabac, de cigares, je tiens à le préciser pour le compte rendu, pour ne pas être sujet, dans les générations futures, à certains sous-entendus… (Nouveaux sourires.)

Évidemment, il aurait été plus logique de penser à une taxe sur les passeports ; c’était notre idée première, mais nous avons dû passer sous les fourches caudines de l’article 40 de la Constitution. Le passeport touche tant les Français qui vivent à l’étranger que les Français qui partent en voyage et qui figurent – vous en conviendrez – parmi les premiers candidats quand il s’agit de faire rentrer en France près de 300 000 Français bloqués à l’étranger en cas de catastrophe sanitaire, ce qui coûte aussi de l’argent. Cela aurait peut-être été la solution la plus satisfaisante, mais nous n’avons pas pu le faire.

Il y a une autre solution, monsieur le secrétaire d’État : lever le gage, tout simplement. Cela vous appartient ; cela appartient au Gouvernement. Sinon, celui-ci peut déposer un amendement pour introduire cette taxe sur les passeports, qui semble plus logique.

Ce que mon collègue Joël Guerriau et moi-même avons souhaité, c’est avoir ce débat avec vous, monsieur le secrétaire d’État, et avec la commission, afin de cheminer vers une solution plus pérenne. Pour ma part, je ne suis pas un jusqu’au-boutiste de la taxe sur les nuisances sonores aériennes, mais c’était la solution la plus commode et, Joël Guerriau l’a souligné, c’était une piste.

Cela dit, si elle ne recueille pas l’assentiment de la commission, le vôtre ni celui de nos collègues, je laisse le soin à Joël Guerriau d’en tirer les conséquences.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Cela fait des dizaines d’années que les parlementaires gagent leurs velléités de dépenses en faisant payer les fumeurs. Tout le monde le comprend, d’ailleurs ; on sait très bien que ce n’est pas pour les faire payer, c’est une manière d’équilibrer les recettes.

Ce gage est donc un peu dérangeant.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Il constituerait un précédent !

M. Jean-Yves Leconte. Si l’on change le gage, de manière exceptionnelle, cela sera le signe que nous souhaitons financer le fonds ainsi.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Yves Leconte. Par conséquent, je ne suis pas sûr que ce soit franchement utile, surtout dans la période que nous vivons, puisque l’industrie aéronautique ne se porte pas bien. Je ne suis pas sûr que ce soit le moment de remplacer les cigares par les réacteurs, cher Christophe-André Frassa…

On pourrait évidemment réfléchir à d’autres recettes spécifiques pour financer le fonds. Nous avons essayé de le faire ; c’est difficile, d’autant que l’affectation de taxes plutôt que le recours au budget global de l’État n’est pas nécessairement la meilleure solution.

Il me paraît donc préférable d’en rester au gage classique, et d’adresser un message en ce sens au Gouvernement. L’objectif n’est pas de mettre particulièrement à contribution les fumeurs. Simplement, la Constitution est ainsi faite : quiconque a des velléités de dépenses doit prévoir un gage. Or il s’agit systématiquement d’un gage sur le tabac.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Je suis assez perplexe. J’ignore ce qu’est un avis de « sagesse dubitative » et quelle peut en être la traduction au moment d’un vote.

Je souscris aux propos de mon collègue Jean-Yves Leconte : en France, le transport aérien est déjà soumis à de nombreuses taxes, bien plus que dans d’autres pays ; je ne crois pas que ce soit le moment d’en créer de nouvelles.

Le gage sur le tabac revêt une dimension morale : chacun peut décider de fumer ou non. Mieux vaut, me semble-t-il, en rester là.

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je suis également opposée à une telle taxe sur le transport aérien, qui ne me paraît absolument pas opportune.

Je ne me prononcerai pas sur le gage sur le tabac, cette tarte à la crème que l’on nous sort sur quasiment chaque proposition de loi.

Dans mes propositions de loi de 2008 et 2016, j’avais suggéré, outre la taxe sur les passeports – d’autres l’ont fait ensuite –, un gage relatif aux successions en déshérence, qui représentent des montants considérables. À mon sens, cela pourrait constituer une bonne source de financement pour un tel fonds.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Alors que nous essayons de faire repartir le transport aérien régional – je pense aux petites lignes, par exemple au départ des aéroports de Brive-la-Gaillarde ou d’Aurillac – et que les compagnies veulent se retirer, il ne me paraît pas judicieux d’instituer une telle taxe.

Ma collègue Josiane Costes vous dirait que le trajet entre Aurillac et Paris en train prend sept heures, contre une heure dix minutes en avion ; avouez que c’est tout même plus commode !

Pourquoi pas, en effet, une taxe sur les passeports ?

Si tous les gages sur le tabac qui sont proposés étaient adoptés, le paquet de cigarettes serait à 100 euros ou 200 euros ; bien entendu, ce ne sont que des simulations ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

M. Joël Guerriau. Vous savez dans quelle direction je vais me diriger…

J’ai entendu les arguments des uns et des autres. Je pense que ce débat devait avoir lieu. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui a été dit.

Premièrement, notre proposition vise à élargir le spectre, afin de ne pas en rester à un financement strictement national. En l’occurrence, cela concernerait aussi l’étranger. Entre parenthèses, cher Christophe-André Frassa, dès lors que les cigares viennent de l’étranger, il n’est pas illogique de recourir à la taxation du transport aérien !

Deuxièmement, il y a, je le crois, un peu d’exagération. Soyons sérieux ! Le montant que nous proposons ne va pas empêcher les compagnies aériennes de poursuivre leur activité. C’est un montant ridicule au regard du trafic aérien auquel nous sommes habitués au quotidien !

M. Jean-Pierre Grand. Il est presque nul aujourd’hui !

M. Joël Guerriau. Ne faisons pas comme si toutes les compagnies allaient s’effondrer demain matin !

Troisièmement, comment peut-on dire que la question n’est pas d’actualité ? Regardez le message que les électeurs ont envoyé sur l’écologie lors des municipales !

Envisager une taxation aérienne qui ne soit pas strictement nationale s’agissant d’un sujet qui concerne l’international ne me paraît donc ni choquant ni en décalage avec l’actualité du moment !

Je pense que c’est une mesure écologique et qu’il n’y avait pas forcément lieu de la balayer d’un revers de main, à plus forte raison au regard de ce qui vient de se passer dans les urnes.

Cela étant, même si nous avons souhaité ouvrir un tel débat, nous allons retirer notre amendement, afin de pouvoir aboutir à un vote unanime sur cette excellente proposition de loi déposée par notre collègue Ronan Le Gleut. (Mme Jacky Deromedi applaudit.)

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié quater est retiré.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Bascher, rapporteur. Je remercie M. Guerriau d’avoir suscité ce débat. Le sujet du gage est une ritournelle. En tant que rapporteur sur ce texte, je ne me voyais pas entrer dans une discussion qui mériterait des modifications législatives organiques, voire constitutionnelles, puisqu’il s’agit de l’aggravation des charges publiques. Nous devons pouvoir débattre de la question ; ce n’est pas la première fois qu’elle est soulevée.

Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat doivent retrouver la plénitude de leur droit d’amendement pour décider des recettes et des dépenses. L’existence des parlements se fonde, je le rappelle, sur la création et le vote de l’impôt.

Je remercie M. Guerriau de son esprit d’unanimité, qui a dominé tous nos débats.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 2
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je remercie Ronan Le Gleut. Ce débat a été utile, et il a permis de préciser certaines évolutions possibles du plan d’urgence en faveur des Français de l’étranger.

Monsieur le secrétaire d’État, puisque nous sommes le 30 juin, pouvez-vous nous apporter quelques éléments sur le rapport relatif à la fiscalité qui doit être présenté au Parlement ?

Nous n’avons pas épuisé les sujets concernant les Français de l’étranger… Merci pour ce moment (Rires sur les travées du groupe SOCR.), mais nous avons encore besoin de précisions sur les intentions du Gouvernement en matière de fiscalité, s’agissant notamment de la retenue à la source. Serait-elle ou non libératoire ? Vous connaissez notre position sur le sujet ; nous souhaiterions connaître celle du Gouvernement.

Mme la présidente. Monsieur Jean-Yves Leconte, ce n’était pas vraiment une explication de vote. (Sourires.)

La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Notre groupe soutiendra la présente proposition de loi, qui va visiblement tous nous rassembler aujourd’hui.

J’ai été particulièrement sensible à la conviction de MM. Olivier Cadic, Christophe-André Frassa et Jean-Yves Leconte quant à la nécessaire consultation préalable des premiers concernés sur l’utilisation des fonds d’urgence. En ce moment, nous votons beaucoup de fonds d’urgence face à la crise ; nous allons encore le faire dans le projet de loi de finances rectificative qui s’annonce à la mi-juillet. Puisse l’idée de la consultation des salariés – nous débloquons beaucoup d’argent en faveur des entreprises – bénéficier du même soutien que lorsqu’il s’agit des Français de l’étranger !

J’espère que l’idée de la consultation préalable des premiers intéressés a de l’avenir. Pour notre part, nous continuerons de faire des propositions dans ce sens. Vous aurez des occasions de soutenir ce principe, comme nous soutenons aujourd’hui la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. Jérôme Bascher, rapporteur. Bien vu !

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour explication de vote.

M. Ronan Le Gleut. C’est avec une certaine émotion que je vois une idée ayant traversé les décennies se concrétiser aujourd’hui. Dans les travaux préparatoires, j’ai eu l’occasion de discuter avec nombre d’anciens parlementaires qui en avaient connu la genèse.

Le général de Gaulle déclarait : « La France ne peut être la France sans la grandeur. » Or cette grandeur, c’est-à-dire le message universel que la France porte à travers le monde, ne peut pas exister sans les Français qui vivent à l’étranger, qu’il s’agisse de notre commerce extérieur, c’est-à-dire de notre capacité à exporter nos produits et notre savoir-faire, de notre langue, l’une des plus grandes du monde, ou de notre diplomatie.

Je pense donc que nous vivons un moment important.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Bascher, rapporteur. Je tiens à remercier les fonctionnaires de la commission des finances qui ont travaillé à mes côtés, ainsi que vos services, monsieur le secrétaire d’État. Vous nous aviez répondu rapidement. Certes, du temps a passé depuis l’examen du texte en commission.

Je me réjouis de l’intérêt de nos collègues pour le sujet. D’aucuns pourraient croire que les textes relatifs à l’outre-mer n’intéressent que les sénateurs ultramarins et que les textes relatifs aux Français de l’étranger n’intéressent que les sénateurs des Français de l’étranger. Pour ma part, à l’instar de notre collègue Ronan Le Gleut, je me référerai au général de Gaulle, qui, dans une très belle expression, déclarait ne connaître que la communauté nationale !

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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7

Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France

Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions du rapport d’information Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Françoise Cartron, rapporteure de la délégation sénatoriale auteur de la demande. (Applaudissements.)

Mme Françoise Cartron, rapporteure de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que près de 10 milliards d’êtres humains pourraient peupler le monde d’ici à trente ans, les systèmes alimentaires qui se sont développés dans les pays occidentaux au XXe siècle, et largement diffusés depuis sur la planète, sont aujourd’hui problématiques. Ils posent en effet des questions en termes de santé, de consommation de ressources naturelles, d’impacts sur le climat et de préservation de la biodiversité. Ils sont d’ailleurs de plus en plus contestés, soulevant des oppositions croissantes sur les plans éthique, social et politique, mais aussi quant à leur soutenabilité et à leur efficacité économique réelle.

De manière accrue aujourd’hui, la problématique de l’indépendance protéique de la France et de l’Europe devient centrale, alors que la crise du covid-19 a mis en exergue les effets désastreux pour les populations que pourrait provoquer la rupture des circuits mondiaux d’approvisionnement.

Nous avons pu constater pendant le confinement, notamment dans nos départements, le succès des circuits court, le rôle de premier plan joué par les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), le désir de manger sain et, plus globalement, l’importance de définir des plans territoriaux en matière d’alimentation. Le rôle de premier plan des collectivités locales est ainsi souligné.

Il est donc aujourd’hui nécessaire de rechercher quelles inflexions et quelles ruptures pourraient permettre de faire émerger des systèmes alimentaires plus durables.

Cela a été l’objet du long travail que j’ai mené avec mon collègue sénateur du Finistère, Jean-Luc Fichet, pendant près de six mois, donnant lieu, le 28 mai dernier, à la présentation d’un rapport contenant vingt propositions. Je remercie le président de la délégation sénatoriale à la prospective, M. Roger Karoutchi (Applaudissements.),…

M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Je n’ai rien fait ! (Sourires.)

Mme Françoise Cartron, rapporteure. … d’avoir accepté ce thème et d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour.

Les conclusions du rapport s’inscrivent dans un agenda national et international très dense dans les mois qui viennent. Nous défendons plusieurs objectifs.

Premièrement, nous voulons remettre la sécurité d’approvisionnement alimentaire au cœur des politiques publiques et assurer un meilleur équilibre des apports animaux et végétaux, notamment par le développement des légumineuses, visant ainsi une autonomie protéique.

Deuxièmement, nous souhaitons associer plus étroitement éducation, santé et environnement, à travers des déclinaisons nationales d’un programme européen Nutrition santé et environnement. Il s’agit de prévenir, d’une part, les maladies de pléthore, c’est-à-dire manger trop et mal, et les risques de dénutrition, c’est-à-dire ne pas manger assez, et, d’autre part, s’adapter au réchauffement climatique en préservant la biodiversité. Je rappelle à ce propos que l’alimentation, du champ à l’assiette, représente près de 25 % de l’empreinte carbone des ménages français.

Troisièmement, il s’agit de lutter contre les inégalités sociales d’accès à une alimentation de qualité, en actionnant les leviers financiers, à travers les aides et les fonds européens, les leviers éducatifs, et ceux de la formation et de la recherche.

Quatrièmement, nous voulons encourager le développement de la filière des légumineuses, qui semble être la clé de voûte du type de transition alimentaire souhaitable et souhaitée aujourd’hui, plus sobre et plus végétale.

Le 20 mai 2020, la Commission européenne a présenté aux institutions européennes sa stratégie « De la ferme à la fourchette ». Les recommandations clés de ce plan portent cette ambition forte de bâtir une « chaîne alimentaire bénéfique pour les producteurs, les consommateurs, l’environnement et le climat », dans le cadre du Pacte vert européen, et en lien avec la défense de la biodiversité.

Le rapport partage au final la plupart des conclusions de la Commission, mais il entend apporter quelques précisions et avancer certaines pistes concrètes. Nous allons en débattre ce soir. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. (Applaudissements.)

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat sur les conclusions de notre rapport, qui a reçu un écho important et des retours très positifs à la suite de sa publication, le 28 mai dernier.

L’une de nos principales propositions pour aller vers une alimentation plus durable est de renforcer la lutte contre les inégalités sociales face à l’alimentation.

Les études montrent que c’est surtout dans les milieux modestes que l’on retrouve les régimes ayant le plus d’effets négatifs sur la santé et l’environnement. Il existe donc aujourd’hui un véritable clivage social en la matière : le taux d’obésité parmi les ménages les plus modestes est ainsi plus de quatre fois supérieur à celui qui est observé au sein des ménages les plus aisés.

Outre les causes économiques de ces inégalités, sur lesquelles je vais revenir, il nous faut également tirer les leçons du bilan mitigé des politiques de recommandations nutritionnelles menées depuis vingt ans.

Il est temps de passer à une véritable éducation au mieux manger, qui associe un dépistage et un suivi nutritionnels renforcés, afin d’accompagner les ménages pour mieux choisir, mieux acheter, mieux préparer.

Compte tenu du coût des pathologies liées à une alimentation non saine, cette éducation à l’alimentation durable sera un investissement plus que profitable pour la collectivité.

Il est en outre indispensable d’accompagner l’éducation et la responsabilisation individuelle des consommateurs par un réel effort d’assainissement de leur environnement alimentaire.

On ne peut pas à la fois financer des campagnes d’information et tolérer que les aliments les plus aisément accessibles soient les plus déséquilibrés sur le plan nutritionnel. Nous attendons de véritables engagements de tous les professionnels de l’alimentation, et il faut avoir le courage de défendre certaines mesures concrètes.

Nous devons par exemple aller sans ambages vers la reformulation des recettes des plats industriels. Certaines entreprises ou marques ont déjà pris ce virage. Mais les aliments transformés restent dans l’ensemble beaucoup trop gras, beaucoup trop sucrés et beaucoup trop salés. Ils regorgent aussi trop souvent d’additifs dont les effets de long terme sur la santé sont source d’inquiétudes.

Soyons clairs : il ne s’agit pas de diaboliser l’industrie agroalimentaire. Compte tenu de nos modes de vie, les aliments transformés industriellement garderont une place centrale. Mais c’est une raison de plus pour assainir cette offre sur le plan nutritionnel !

Nous préconisons par ailleurs de rendre obligatoire l’étiquetage nutritionnel et environnemental des aliments. C’est un dossier de niveau européen, et la France doit se mobiliser à ce sujet ! Le Nutriscore est en effet un outil puissant pour aider les consommateurs à identifier les aliments les plus sains et inciter les producteurs à assainir leur offre.

Le combat contre une alimentation qui nuit à la santé et à l’environnement ne peut pas négliger la question des prix. Les aliments qui composent un régime sain sont en effet généralement les plus onéreux. Les fruits et les légumes frais coûtent plus cher que le sucre et la graisse. Le poisson frais n’est pas accessible à de nombreuses bourses. Idem pour les aliments bio. Comment espérer que nos concitoyens les plus modestes leur donneront plus de place alors qu’ils sont déjà ceux qui consacrent à l’alimentation l’effort budgétaire le plus important ?

Lutter contre les inégalités face à l’alimentation durable est une question de justice, mais aussi de pragmatisme. Pousser les consommateurs à manger durable, c’est en effet inciter agriculteurs, industriels et distributeurs à transformer leur offre.

La transition alimentaire du XXIe siècle, qui est la clé d’une population et d’un environnement en meilleure santé, sera tirée par la demande.

Démocratiser l’alimentation durable, c’est dynamiser la transformation du système productif. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la présidente, monsieur le président Roger Karoutchi, qui avez reçu tout à l’heure l’hommage unanime du Sénat pour le travail que vous effectuez au sein de la délégation à la prospective, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2017, les États généraux de l’alimentation ont tracé une voie et permis à l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire de se rencontrer, de discuter, d’échanger et de définir des perspectives reconnues de tous.

L’année suivante, la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, qui, pour certains, est une déception, mais qui, pour beaucoup, a été une réussite, a permis d’introduire de grandes orientations dans le droit, qu’il s’agisse de son titre Ier, portant sur les questions économiques, ou de son titre II, plus centré sur les problématiques sociétales.

En 2019, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, vous avez mis le sujet de l’alimentation durable au cœur des travaux de la délégation à la prospective.

En 2020, tout récemment, hier matin, la Convention citoyenne pour le climat, dont le Président de la République a reçu les membres, a mis au cœur de sa réflexion trois items : alimentation, environnement et transition agroécologique.

Depuis plus de dix-neuf mois, à chacune de mes interventions, je n’ai de cesse de promouvoir une alimentation saine, sûre, durable et tracée, une alimentation accessible au plus grand nombre – Mme Cartron et M. Fichet ont eu raison de le rappeler –, une alimentation qui ne peut pas être discriminante économiquement et qui doit jouer un rôle majeur pour la santé. N’ayons pas peur des mots : cette alimentation doit s’appuyer sur le patriotisme. Oui, le patriotisme français permet de faire rayonner notre agriculture !

Mais, soyons honnêtes, avant cette crise dramatique du covid-19, que nous avons traversée et que nous traversons encore, nul ne pouvait imaginer que l’alimentation serait autant au cœur des préoccupations de la société et de nos concitoyens. Tant mieux ! À quelque chose malheur est bon. Le covid aura permis de mettre l’alimentation en exergue. Nous avons vu des Français faire la queue dans les grandes surfaces. C’est peut-être parce qu’ils avaient peur de manquer. Mais cette peur, nous pouvons la comprendre.

La chaîne alimentaire a été performante. Elle a tenu. Les Françaises et les Français se sont alimentés. Nos agriculteurs ont travaillé sans relâche, parfois dans des conditions difficiles ; il faut les saluer et les remercier. Nos PME de l’agroalimentaire, qui sont parfois décriées, ont été là pour transformer, pour nourrir et pour approvisionner nos concitoyens. Nos enseignes de distribution, qu’il est facile de critiquer, ont été à la hauteur. Elles se sont adaptées et ont permis à leurs clients, c’est-à-dire à nos concitoyens, d’acheter les denrées alimentaires qu’ils souhaitaient.

Après la peur des premiers jours, nos concitoyens se sont adaptés ; ils ont trouvé de nouveaux moyens d’achat par internet ou par drive, car les acteurs – paysans, PME de l’agroalimentaire, distributeurs – ont été à la hauteur, faisant preuve d’agilité.

Nous devrons pérenniser ces innovations et développer toutes les bonnes pratiques qui ont vu le jour. Ne considérons pas que tout cela soit acquis : il est possible que, demain, cette nouvelle façon de s’alimenter se perde un peu dans les limbes, et nous devrons continuer de la promouvoir.

Finalement, cette crise a révélé la nécessité de garantir la résilience de notre agriculture et la souveraineté de notre alimentation, comme vous l’avez très bien dit, madame Cartron. Votre rapport et le débat de ce soir tombent à pic !

Un énorme travail a été accompli par la délégation à la prospective, présidée par Roger Karoutchi, en particulier par les deux corapporteurs.

Les quatre enjeux que vous identifiez sont cohérents et absolument essentiels, à commencer par l’indépendance. S’il est indispensable de renforcer notre souveraineté alimentaire, il ne s’agit pas pour autant de promouvoir une société qui vivrait en autarcie.

Vous avez couplé les enjeux économique et écologique, et vous avez bien fait. Trop souvent, on parle d’écologie et l’on oublie l’économie. La transition agroécologique doit aller de pair avec la compétitivité de nos entreprises agricoles et de transformation.

La transition agroécologique est aujourd’hui irréversible. Les mesures prises par le gouvernement précédent et par celui-ci pour placer notre agriculture sur une trajectoire lui permettant, à terme, de se séparer définitivement des produits phytosanitaires portent leurs fruits. (Mme Sophie Primas sexclame.) Les derniers chiffres sont sans appel : entre 2017 et 2019, on enregistre une baisse de 44 % de l’utilisation des produits phytosanitaires.

M. Laurent Duplomb. Ça ne suffit pas ?

M. Didier Guillaume, ministre. En ce qui concerne le glyphosate, 6 000 tonnes ont été vendues en 2019, soit une diminution de 35 % par rapport à 2018 et de 28 % par rapport à 2017. La transition agroécologique est définitivement en route.

L’enjeu social et culturel que vous avez évoqué est absolument indispensable – je pense en particulier à l’éducation à l’alimentation –, tout comme l’enjeu de la santé, qui passe naturellement par l’équilibre nutritionnel.

Permettez-moi à présent de revenir sur sept des vingt propositions de votre rapport qui me semblent particulièrement importantes.

Vous évoquez longuement les légumineuses, et vous avez raison ! L’autonomie en protéines végétales est un enjeu fort pour la France et l’Union européenne. Nous en parlons à chaque conseil des ministres de l’agriculture, et nous l’avons encore fait hier. Cette autonomie, vers laquelle nous devons tendre, est cruciale pour l’ensemble de la chaîne alimentaire et l’environnement. C’est par ailleurs un engagement du Président de la République. J’ai dû reporter à la rentrée, en raison de la crise du covid, la présentation du plan français pour l’autonomie protéique, qui sera intégré dans le plan de relance.

Les projets alimentaires territoriaux (PAT) doivent être renforcés pour servir de fondement, demain, à l’équilibre de l’alimentation dans nos territoires, notamment dans la restauration collective scolaire.

Il est évident également qu’il faut une vraie politique foncière, qui offre la possibilité à des jeunes ou des moins jeunes de s’installer et empêche des sociétés financières de mettre le grappin sur les terres. Nous y travaillerons dans les semaines et les mois qui viennent. Se réapproprier les bonnes terres agricoles est un objectif absolument prioritaire aujourd’hui.

Les services agrosystémiques sont absolument essentiels dans les aides à la PAC. Les « écoschémas » du premier pilier et les paiements pour services environnementaux apparaîtront dans la réforme de la politique agricole commune. Il y aura finalement une phase de transition de deux ans. La France aurait préféré que la nouvelle politique agricole commune puisse s’appliquer dès 2021, mais les négociations de cet après-midi ont finalement conclu à une entrée en vigueur en 2023.

Vous évoquez également les filières de l’élevage et le fait de manger moins de viande, mais de meilleure qualité. Vous êtes de véritables flexitariens ! La filière Interbev communique depuis longtemps sur ces sujets. Nous devons assumer un élevage français de qualité, et en aucun cas nous ne pouvons l’abandonner, car il joue un rôle majeur d’aménagement du territoire et fournit une alimentation carnée indispensable à tous nos concitoyens, notamment aux plus jeunes.

Sur les chèques alimentaires, le Gouvernement s’interroge. À qui seront-ils adressés, et pour acheter quoi ? Des produits français, des produits étrangers, des produits qui pourraient faire concurrence à d’autres ?

Mme la présidente. Il va falloir conclure, monsieur le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Nous devons encore travailler sur ce sujet.

Enfin, vous évoquez évidemment la malnutrition et la précarité économique et sociale. Aujourd’hui, nous savons qu’il y a une alimentation à deux vitesses dans notre pays, entre ceux qui ont les moyens de manger certains produits et ceux qui ne les ont pas. Nous devons vraiment lutter contre cette discrimination alimentaire. C’est la raison pour laquelle je soutiens vos propositions en la matière.

Votre rapport, dense, constitue une base solide de réflexion collective. L’alimentation et l’agriculture vont de pair et nous partageons tous ici le même objectif : une agriculture de qualité, mieux rémunérée, avec une juste répartition de la valeur, et surtout accessible à tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Indépendants.)

Débat interactif

Mme la présidente. Dans la suite du débat, chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’un des leviers pour concrétiser l’objectif d’alimentation durable tracé dans les lignes de ce rapport consiste sans doute à valoriser l’agriculture française et son excellence, notamment la proximité, lorsque cela est possible. La crise que nous venons de traverser ne fait que conforter cette affirmation. Les secteurs agricole et alimentaire sont à la croisée de plusieurs domaines dont l’importance est grandissante.

Je veux bien sûr parler d’une alimentation saine et de qualité pour tous nos concitoyens, d’un niveau de vie décent pour nos agriculteurs, mais aussi, entre autres, de l’impact du changement climatique, de la modernisation des méthodes grâce au numérique ou encore des progrès techniques et technologiques.

Cela me conduit donc à vous interroger, monsieur le ministre, sur l’incorporation de critères favorisant le recours aux circuits de proximité et à l’approvisionnement local dans les commandes publiques, tout en garantissant le principe de non-discrimination.

Il est certes nécessaire de respecter les grands principes de la commande publique, mais il faut aussi simplifier les règles d’accès aux marchés publics pour valoriser l’agriculture durable locale et permettre aux agriculteurs de saisir toutes les opportunités de marché, de proximité et de valeur ajoutée.

Dans le contexte actuel, quelle est donc votre position sur la révision et la simplification des normes en faveur d’un approvisionnement plus local dans la commande publique, notamment celle des collectivités ?

Sachant que certaines normes sont d’origine européenne, et que des discussions sont en cours sur la réforme et le budget de la PAC, quelle est la position de la France sur le soutien à l’approvisionnement local ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Je partage votre interrogation, monsieur le sénateur Franck Menonville. Nous sommes tous d’accord, il nous faut avancer vers une simplification des marchés publics pour l’achat local.

Je ne crois pas, toutefois, qu’il faille opposer les modèles. Nous ne pouvons pas exclusivement nous nourrir en circuits courts et en produits locaux. Il faut le répéter, nous avons aussi besoin de circuits longs, d’importer et d’exporter. Nous ne serons pas autonomes dans toute la filière agricole et alimentaire.

Pour répondre précisément à votre question sur le code des marchés publics, il faut avancer. La France porte ce sujet à l’échelle européenne, car c’est à ce niveau qu’il peut être réglé. Dans le cadre de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, nous avons pris des mesures de simplification pour permettre un approvisionnement plus local. Mais nous aurons évidemment besoin de faire évoluer les règles des marchés publics. Le Gouvernement y est favorable, et il faudra sans doute engager un travail commun entre le Parlement européen et le Parlement français.

Pendant la crise, nous avons déjà facilité les choses pour les fromages, les pommes de terre, le chevreau ou le canard, en autorisant des achats plus rapides pour les produits en stock.

Mais vous avez raison, monsieur le sénateur, il faut avancer dans cette direction.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer nos collègues rapporteurs.

Le modèle d’agriculture à la française, par ses multiples visages qui ont été évoqués – petites fermes, grandes fermes, intensif et extensif –, est celui de l’équilibre le plus soutenable et le plus résilient. The Economist l’a dit en classant, trois années durant, le modèle d’agriculture français comme le plus durable.

Fondé sur un savoir-faire et une transmission des valeurs, un lien avec le terroir, le bétail et un sens des responsabilités du producteur, ce modèle auquel nous sommes attachés est aussi fragile. Saurons-nous le préserver alors qu’il est durement concurrencé par les ouvertures de marchés qui favorisent toujours et encore les prix bas, négligeant les considérations sanitaires, sociales et environnementales pourtant imposées aux nationaux ?

De nombreux agriculteurs qui nous nourrissent sont à bout de souffle, en particulier les éleveurs bovins, dont les revenus figurent parmi les plus bas, et qui se débattent toujours contre une concurrence déloyale imposée par les accords de libre-échange, notamment l’accord économique et commercial global (CETA).

Pouvez-vous donc nous expliquer, monsieur le ministre, en quoi le CETA est compatible avec nos objectifs de souveraineté, de résilience alimentaire et de neutralité carbone ?

Partout en France, nos agriculteurs cultivent la terre. C’est la singularité de notre pays. Pourtant, il existe des territoires où la terre est moins fertile. Quelle PAC demain pour ces agriculteurs des zones dites intermédiaires, ceux qui s’épuisent à cultiver et à entretenir des zones à faible rendement, contribuant ainsi à une agriculture de proximité et à l’animation des territoires ? À ce jour, les aides qu’ils touchent de la PAC sont parmi les plus faibles d’Europe. Que proposez-vous donc, monsieur le ministre, pour soutenir l’agriculture de terroir des zones intermédiaires ?

Enfin, les PAT sont en effet stratégiques pour atteindre les objectifs de la loi Égalim. Pourtant, selon le Réseau national des projets alimentaires territoriaux, on en dénombre seulement 50 à ce jour.

Comment envisagez-vous de les soutenir pour respecter les engagements pris dans la loi Égalim ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – M. Joël Labbé applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, 200 programmes alimentaires territoriaux sont aujourd’hui en place, mais leur élaboration prend en effet beaucoup de temps, certains ayant en outre du mal à comprendre à quoi ils peuvent servir.

Nous allons bientôt travailler avec les métropoles, les communautés de communes et les régions dans le cadre du cofinancement et des aides du deuxième pilier.

Ces projets alimentaires territoriaux sont essentiels si nous voulons relocaliser notre agriculture et notre alimentation à l’échelle d’une région.

Sur les zones intermédiaires, nous sommes en pleine discussion. Nous avions un conseil lundi, et nous allons faire en sorte que la PAC soit encore plus dynamique. Mon objectif est de faire en sorte que les zones intermédiaires soient mieux aidées. En effet, elles ne l’ont pas été, ou très peu, dans la précédente politique agricole commune, et votre région est directement concernée, madame la sénatrice.

Je souligne toutefois que nous avons réussi à obtenir un montant exceptionnel – personne ne croyait ici que nous l’obtiendrions. J’ai tellement entendu, ici et ailleurs, qu’on ne se battait pas, qu’on n’aurait pas les moyens nécessaires… Le débat est clos désormais, nous disposons de ces moyens et il va falloir à présent les partager au terme d’une concertation avec la profession agricole, qui reste relativement divisée sur le sujet. (M. Laurent Duplomb sexclame.) Nous allons regarder comment les choses se passent entre le bassin allaitant, les zones intermédiaires, les grandes cultures et les céréales.

Enfin, vous évoquiez des accords de libre-échange, et notamment du CETA, qui soumettraient nos éleveurs à une rude concurrence. Je suis au regret de vous le dire, mais, dans les restaurants parisiens, si vous trouvez de la viande allemande ou irlandaise plutôt que française, vous ne trouvez pas de viande en provenance des pays avec lesquels nous avons conclu des accords de libre-échange.

Au demeurant, le Président de la République a dit hier très clairement que, s’agissant du Mercosur, c’était terminé. Quant au CETA, s’il s’avère, au regard des dernières informations, que les élevages canadiens ne sont pas à la hauteur, nous reviendrons sur la position que la France avait prise, en faisant jouer la clause de sauvegarde. (M. Didier Rambaud applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise nous a rappelé que, pour relever le défi de l’alimentation durable, nous devions renforcer notre résilience alimentaire.

Or, depuis 2000, vous le savez, notre alimentation sous toutes ses formes dépend de plus en plus d’importations. C’est le cas par exemple de la viande de volaille, importée pour un tiers aujourd’hui, essentiellement de Pologne, contre 13 % il y a vingt ans. Et sur des produits stratégiques comme les protéines – Mme Cartron l’a souligné –, nous sommes dépendants à 60 %.

Faire venir du poulet de l’autre bout de l’Europe, nourri avec des protéines qui contiennent des OGM américains ou brésiliens, alors que la France était un producteur majeur voilà quelques années : on marche sur la tête ! (M. Joël Labbé applaudit.)

Contre cette politique, oui, il faut relocaliser nos productions, mais il faut pour cela être en capacité de rendre notre alimentation accessible à tous les consommateurs, quel que soit leur pouvoir d’achat. Or, si la France a aujourd’hui un modèle agricole qui permet de garantir des denrées alimentaires de grande qualité, accessibles à tous, c’est parce que la PAC, dès sa constitution, a souhaité soutenir les agriculteurs pour leur permettre d’être compétitifs, parfois en vendant au-dessous des coûts réels de production, au travers de ces fameuses aides à l’hectare. N’oublions jamais cela, et n’affaiblissons pas le premier pilier !

Aujourd’hui, nous changeons de modèle, et c’est très bien. Mais plaider uniquement la montée en gamme et ne plus aider, ou moins aider, les agriculteurs sur les productions d’entrée de gamme, c’est prendre le risque de ne réserver les produits français, à forte valeur ajoutée, qu’à certains, condamnant les plus modestes aux produits importés, moins chers, mais sans aucune garantie de cohérence avec nos normes de production. C’est aussi priver nos producteurs de la plus grosse partie du marché.

L’alimentation durable ne peut pas s’opposer à une alimentation accessible à tous.

Ma question est donc simple, monsieur le ministre : que compte faire le Gouvernement pour la compétitivité de notre agriculture sur les produits d’entrée de gamme ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Vous évoquez tout d’abord la volaille, madame la sénatrice. Ce n’est pas 30 %, mais 50 % d’importations ! Les Français mangent 50 % de volailles françaises et 50 % de volailles importées.

Évidemment, la volaille importée est plutôt un produit bas de gamme, consommé par ceux qui ont le moins d’argent, alors que la volaille française s’apparente généralement à un produit de qualité, souvent labellisé, réservé à ceux qui ont les moyens. C’est un vrai problème.

Pour la PAC, l’enjeu n’est pas tant le changement de modèle que l’irréversibilité de la transition agroécologique. Le contrat d’objectifs et de performance (COP) de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) est centré sur cette question, de même que les propositions des syndicats agricoles pour l’après-covid.

La question que vous posez est cependant indispensable, madame Primas. Y a-t-il deux types d’alimentation pour deux types de population ? L’épidémie de covid a montré une discrimination alimentaire très forte entre ceux qui ont les moyens et les autres.

Je ne voudrais pas toutefois que l’on oppose les produits d’entrée de gamme et les produits segmentés. Les secteurs agricole et agroalimentaire français, quel que soit le niveau de gamme, fournissent des produits de grande qualité.

Jamais je ne stigmatiserai nos entreprises agroalimentaires – vous ne l’avez pas fait ! Il est facile de les montrer du doigt, mais c’est grâce à elles que les Français ont mangé pendant la crise.

L’agriculture française doit être encore plus compétitive. Nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus aujourd’hui en termes de fiscalité. La perte de compétitivité entre l’agriculture française et l’agriculture européenne n’est pas liée à la main-d’œuvre, mais à un problème de compétitivité de notre modèle agricole. Nous lancerons ce débat à la rentrée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise économique et sociale due à la crise sanitaire nous oblige à repenser nos modes de production et de consommation.

Les enjeux sont nombreux et tous primordiaux, au nombre desquels s’impose le devoir de tendre vers un système plus vertueux, plus soucieux de l’environnement, de la biodiversité et de la qualité des sols.

Au cours d’enquêtes, nos concitoyens expriment clairement ces préoccupations et revendiquent l’accès à une alimentation de qualité, durable et locale.

Les nombreuses auditions que j’ai coanimées sur ce thème au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable démontrent, de façon évidente, qu’il faut repenser notre modèle agricole. La crise pandémique a révélé la fragilité de la chaîne alimentaire et notre dépendance à certains produits, posant la question non seulement de la sécurité alimentaire, mais aussi de la souveraineté.

Répondre à ces deux priorités, sécurité et souveraineté, c’est poser aussi la question du bien manger. Cela suppose de reconsidérer les pratiques agricoles, mais aussi de bâtir une vraie politique alimentaire à l’échelle des territoires.

Il est indispensable d’accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique et numérique. Il est indispensable aussi de relocaliser l’agriculture, de soutenir les producteurs locaux et de développer une polyculture urbaine. Il faut aider à l’installation de jeunes agriculteurs, alors qu’un agriculteur sur deux va partir à la retraite dans les dix ans.

Mais cela ne peut s’envisager qu’au moyen d’une politique foncière volontariste, permettant l’accès à la terre. Cela justifie la grande loi sur le foncier que le Président de la République lui-même avait appelée de ses vœux au salon de l’agriculture en 2019. Vous venez, monsieur le ministre, de l’évoquer et d’en confirmer la nécessité. Pourquoi repousser cette loi foncière à 2022, alors que cette réforme permettrait de redéployer de façon cohérente les activités agricoles dans les territoires, en prenant en compte leurs besoins spécifiques, tout en répondant aux urgences environnementales et en garantissant notre indépendance agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Joël Labbé applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, vous avez évoqué la sécurité et la souveraineté alimentaires, ainsi que la dépendance de notre chaîne d’approvisionnement.

Pendant l’épidémie de covid, il n’y a pas eu de problème de sécurité alimentaire. Certains ont essayé de le faire croire, mais ce n’est pas vrai. La sécurité alimentaire a été assurée à chaque instant et à tous les niveaux de la chaîne alimentaire.

Quant au problème de souveraineté, nous le connaissions bien avant. Ces dix dernières années, nos excédents commerciaux ont fondu comme neige au soleil, passant de plus de 12 milliards d’euros à 6 milliards d’euros. Nous avons perdu des parts de marché à l’extérieur et avons été de plus en plus dépendants en matière d’alimentation pour le plus grand nombre, comme le rappelait Mme Primas.

Nous devons nous battre contre cette tendance, et il apparaît en effet indispensable de définir une politique alimentaire – c’est d’ailleurs le thème du présent rapport, que je soutiens de toutes mes forces.

En revanche, ce doit être, me semble-t-il, une politique alimentaire européenne, et non régionale. La concurrence de l’agriculture française n’est pas internationale ; elle est à 95 % ou 98 % européenne. Tant que nous ne réglerons pas le problème du dumping social et fiscal qui creuse les différences de compétitivité avec les pays de l’Union européenne, nous ne tiendrons pas le coup ! Les légumes allemands coûtent moins cher sur le marché de Strasbourg que les légumes français. De même, les melons espagnols sont meilleur marché sur le marché de Carpentras que les melons de Carpentras. C’est un problème.

Nous devons donc travailler sur cette dimension européenne, mais aussi sur les projets alimentaires territoriaux que nous évoquions, afin que, régionalement, nous arrivions à des orientations qui nous permettent de nourrir les habitants avec l’agriculture de cette région. Il faut repenser notre modèle.

Enfin, oui, la politique foncière doit être revue. Nous essaierons d’y travailler dans le cadre du plan de relance. Le Président de la République l’a évoqué hier devant les membres la Convention citoyenne pour le climat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville, pour la réplique.

Mme Nelly Tocqueville. J’aurais aimé avoir plus de précisions sur la refonte de la loi foncière. Est-elle repoussée jusqu’en 2022 ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Joël Labbé applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (M. Pierre Louault applaudit.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France de l’alimentation durable passera indéniablement par les territoires.

Cette opinion, partagée sur les travées du RDSE, se concrétise notamment dans le travail effectué par notre collègue Françoise Laborde dans sa proposition de résolution sur la résilience alimentaire, déposée en décembre dernier.

Dans ses travaux, elle souligne le caractère indispensable à la vie de la Nation du foncier agricole, mais aussi la nécessité de renforcer la capacité d’anticipation et de prévention des pénuries. Elle fait également le lien entre résilience alimentaire et sécurité nationale, en proposant une révision de la loi de programmation militaire pour réfléchir à l’intégration de la production alimentaire et du foncier agricole nourricier comme secteur d’activité d’importance vitale.

Pour revenir à des considérations plus locales, le problème qui se pose aux territoires ruraux, c’est une double mécanique qui voit, d’une part, la réduction des terres agricoles et, de l’autre, la hausse du prix du foncier, deux vrais freins à l’installation de nouvelles exploitations, et donc à la construction de notre souveraineté alimentaire.

Qu’on le veuille ou non, la crise que nous venons de vivre nous a rappelé que cette idée de souveraineté alimentaire française, voire européenne, était assez difficile à intégrer, avec un nombre conséquent de produits que nous importons.

Oui, monsieur le ministre, il faudra continuer le travail de pédagogie sur la nécessité de manger local et de saison, mais cela sera vain sans une véritable impulsion donnée par l’État.

Récemment, et je m’en réjouis, le Président de la République a fait sien le terme de souveraineté alimentaire. Aussi, monsieur le ministre, comment comptez-vous adapter la PAC pour vous donner les moyens de vos ambitions ? Quels moyens financiers comptez-vous dégager et quel cap entendez-vous fixer pour garantir, demain, une alimentation fondée sur une production locale et accessible à tous ? Enfin, quelle gouvernance prévoyez-vous entre l’État, les régions et les territoires ? (M. Joël Labbé et Mme Michèle Vullien applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, vous avez raison de dire que la gouvernance doit être partagée.

Lorsque l’on parle de projets alimentaires territoriaux, de souveraineté alimentaire, d’alimentation à l’intérieur d’une région, on doit envisager une coconstruction entre les régions, les métropoles et, évidemment, l’État.

Seuls, les territoires ne pourront pas y arriver. Quant à l’État, il n’a évidemment pas une connaissance assez précise des réalités locales. C’est la raison pour laquelle nous lançons une grande réflexion : les structures, organismes, associations, ONG et syndicats agricoles nous ont envoyé des documents pour préparer l’après.

L’agriculture française correspond-elle aujourd’hui à ce qu’il faudra cultiver demain, avec le réchauffement climatique, pour alimenter les territoires et les régions ? Je ne suis pas sûr que la réponse soit si évidente, et c’est pourquoi nous devons y travailler.

Le sujet du foncier est essentiel. Madame Tocqueville, pour vous répondre avec un peu de décalage, je ne sais pas s’il y aura une loi foncière. Il faut arrêter de dire et de répéter « loi foncière, loi foncière… ». (Mme Nelly Tocqueville et M. Joël Labbé sexclament.) Ce qui me semble le plus urgent, aujourd’hui, c’est un plan de relance pour éviter qu’il y ait des centaines de milliers de chômeurs d’ici à la fin de l’année. C’est la priorité du Gouvernement.

Sur le foncier, le Président de la République s’est exprimé hier – il suffit de l’écouter –, rappelant qu’il s’agissait d’un enjeu primordial. Ce qui m’importe, c’est que nous aboutissions, à la rentrée de septembre, à une coconstruction entre associations, syndicats, organisations, partis politiques et gouvernement pour traduire, dans un arrêté, un décret ou une loi, le fruit de ces réflexions.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire sans précédent que nous connaissons nous rappelle toute l’importance de la sécurité alimentaire et du besoin de savoir que l’on pourra s’alimenter en qualité et quantité suffisantes.

Cette question, la plus ancienne du monde, c’est celle posée par Stéphane Linou dans son ouvrage Résilience alimentaire et sécurité nationale. Il est donc plus qu’urgent de donner à l’alimentation un véritable statut et d’en faire définitivement un secteur d’activité d’importance vitale. Sécurité alimentaire, souveraineté alimentaire, garantie d’un accès à une alimentation de qualité pour nos concitoyens, notamment les plus précaires, préservation de la biodiversité, voilà les piliers qui doivent inspirer des contrats alimentaires territoriaux passés avec les collectivités.

Vous allez peut-être m’objecter que les projets alimentaires territoriaux, dont vous avez parlé il y a quelques instants, sont la réponse à cette question. Ils en sont un élément et constituent une avancée, mais leur prisme un peu trop restrictif – ils sont articulés autour de la question de la restauration collective –, leur caractère facultatif et la faiblesse des moyens financiers et humains rendent leur portée par trop limitée, même si de belles réalisations sont à mettre à leur crédit.

Pour réussir, ce contrat alimentaire territorial doit revêtir un caractère obligatoire et passer à une autre échelle territoriale, celle des EPCI qui sont les véritables bassins de vie, à un horizon raisonnable, 2022. Ils doivent aussi faire l’objet de révisions régulières.

Monsieur le ministre, pourquoi ne pas faire des EPCI des autorités organisatrices de l’alimentation durable et locale ?

Le contrat territorial doit affirmer le primat de l’alimentation durable et de notre sécurité alimentaire comme outil de développement par tous et pour tous. Les collectivités territoriales en ont la volonté et elles ont montré ces dernières semaines à quel point elles étaient essentielles pour la vie quotidienne de nos concitoyens.

N’attendons pas 2050 pour repenser notre alimentation ! C’est ce à quoi nous ont invités les cent cinquante membres de la Convention citoyenne pour le climat, qui ont fait de l’alimentation durable et locale l’un des axes de leurs propositions.

Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que le contrat alimentaire territorial doit être, demain, un outil essentiel pour cultiver ensemble notre jardin et faire vivre notre exception alimentaire aujourd’hui plus qu’essentielle ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Didier Rambaud, j’ai envie de vous dire : pourquoi pas ? Nous devons en effet nous appuyer sur toutes les intelligences territoriales et je pense que demain il faudra aller plus loin. Aujourd’hui, l’alimentation est devenue une question de vie quotidienne et une préoccupation pour nos concitoyens qui veulent savoir ce qu’ils mangent, d’où les produits proviennent, comment les animaux ont été abattus, etc.

M. Laurent Duplomb. Ça l’a toujours été !

M. Didier Guillaume, ministre. Cette évolution est irréversible et soit on se braque, soit on essaye d’avancer ensemble.

L’idée de désigner des autorités organisatrices de l’alimentation durable et locale est intéressante, il faut simplement regarder ce qui peut être fait concrètement avec les collectivités locales. Lors de son intervention télévisée, le Président de la République a annoncé une nouvelle décentralisation – je l’appelle de mes vœux ! – et je crois savoir que, sur l’initiative de son président, la Haute Assemblée va travailler sur cette question.

Là encore, nous devons coconstruire le modèle alimentaire de demain et je ne suis pas défavorable à ce que cela passe par des contrats alimentaires territoriaux, car les Français ne mangeront pas nécessairement la même chose selon la région où ils habitent.

Cependant, nous pouvons déjà avancer, en promouvant les PAT – Mme Loisier en a parlé. Il en existe aujourd’hui 200. Créons-en dans tous les départements et dans toutes les agglomérations. Nous verrons ensuite le mode de contractualisation. Dans cette perspective, votre idée est tout à fait intéressante !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je veux saluer le travail réalisé par la délégation à la prospective et ses deux rapporteurs. Ce rapport a été préparé avant la crise et il prend une dimension singulière à la suite de celle-ci.

En effet, cette crise renforce l’urgence d’une interrogation sur les problématiques de l’alimentation à court, moyen et long terme pour apporter des réponses concrètes à nos concitoyens. Notre agriculture ne doit pas sombrer dans le productivisme ; elle doit trouver un équilibre, délicat il est vrai, entre l’objectif de nourrir la population et la nécessité de respecter l’environnement, au sens large, dans lequel elle s’insère – les hommes, les territoires, les paysages, etc.

Bien évidemment, manger est une nécessité absolue pour chacun d’entre nous. Or, quand il s’agit de se nourrir de manière saine et équilibrée, les inégalités sociales sont très fortes dans notre pays. Il y a donc grand besoin de repenser notre modèle agricole qui doit tout à la fois nourrir chacune et chacun et permettre aux producteurs de vivre dignement de leur travail.

Monsieur le ministre, je voulais initialement vous interroger sur la question du foncier, mais vous vous êtes déjà exprimé plusieurs fois ce soir sur cette question et nous avons compris que nous n’aurions pas une grande loi sur le foncier agricole, seulement des consultations…

Je vous interrogerai donc sur un autre sujet : comment comptez-vous lutter contre les inégalités sociales liées aux coûts de l’alimentation ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, la question de la discrimination alimentaire que vous posez est essentielle. Cette discrimination est de plus en plus prégnante et nous devons absolument veiller à ce qu’une alimentation saine, sûre, durable et tracée soit accessible à toutes les catégories de la population – beaucoup d’entre vous en ont parlé ce soir. Or ce n’est pas encore le cas aujourd’hui et nous devons repenser notre modèle agricole en ce sens. Je l’ai dit, notre modèle est excellent, mais il doit être plus compétitif pour nourrir aussi nos concitoyens qui ont moins de moyens.

Mme Cartron et M. Fichet proposent de distribuer des chèques alimentaires et je rappelle que, pendant la crise du covid-19, le Gouvernement a versé à un certain nombre de familles une somme de 150 euros augmentée de 100 euros par enfant, mais ce n’est pas avec de telles compensations que nous allons rééquilibrer durablement les choses. Il n’est pas acceptable que les poulets qui viennent d’outre-Atlantique – traités au chlore et nourris aux OGM ! – soient moins chers que ceux produits en France. Nous devons donc travailler à une réorientation profonde.

Je voudrais tout de même dire un mot sur le foncier, madame Cukierman. Je ne voudrais pas que l’on considère que cette question passe à la trappe ! Les grandes orientations que j’avais évoquées ici même lors d’une séance consacrée à ce sujet restent les mêmes : préservation des espaces agricoles, régulation du foncier, statut de l’agriculteur et du fermage, transmission, portage…

L’objectif du Gouvernement est clair : zéro artificialisation ! Nous devons partir à la reconquête des terres. Demain, les grandes zones commerciales qui sont à l’extérieur des villes devront laisser la place à des terres agricoles, mais à plus court terme nous pouvons déjà avancer sur la transparence des marchés fonciers ruraux pour éviter l’accaparement des terres. Il faut notamment interdire aux sociétés financières d’acheter des terres agricoles, décourager l’agrandissement excessif, mettre en place un véritable statut de l’agriculteur, permettre aux jeunes de s’installer, etc.

Tous ces sujets seront à l’ordre du jour de la future politique agricole commune.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Stéphane Cardenes applaudit également.)

M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Françoise Cartron et Jean-Luc Fichet pour le travail qu’ils ont réalisé. Même si leur constat peut apparaître à certains un peu ringard, les vingt propositions qu’ils ont présentées sont toutes pertinentes et je les en félicite.

Deux points me semblent essentiels.

La France et l’Europe doivent se doter d’un véritable plan Protéines qui passe par une relance de la production de la luzerne pour la nourriture animale. Une telle nourriture permet de produire de la viande et du lait riches en carotène et en oméga 3, ce qui est bon pour la santé des Français. Il faut en finir avec le lobby anglo-saxon du soja ; cette industrie agroalimentaire est responsable de l’obésité généralisée.

Les protéagineux sont naturellement riches en protéines, alors que nous achetons du soja transgénique en masse en provenance d’Asie et d’Amérique du Sud. Favoriser leur développement permettrait d’avoir des produits plus sains et éviterait de les importer de l’autre bout du monde, ce qui réduirait l’empreinte carbone. De plus, ils s’intègrent facilement dans la cuisine traditionnelle française qui fait notre renommée internationale.

Une alimentation durable ne passe pas uniquement par du bio, mais avant tout par une alimentation diversifiée, équilibrée et de proximité.

Par ailleurs, nous connaissons les désastres écologiques et la déforestation massive provoqués par la culture du soja au Brésil.

Monsieur le ministre, il est urgent de mettre en place un véritable plan Protéines pour la consommation animale et humaine en Europe et en France. Comment comptez-vous agir pour avancer en ce sens ? (MM. Franck Menonville et Joël Labbé, ainsi que Mme Nadia Sollogoub applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Pierre Louault, vous avez raison, un véritable plan Protéines national et européen est indispensable pour que nous soyons autonomes en termes de nourriture animale et humaine. Vous allez l’obtenir !

M. Pierre Louault. Dans trois mois ?

M. Didier Guillaume, ministre. La nécessité d’un tel plan est une évidence pour le développement de la bioéconomie dans nos territoires et pour réduire nos importations d’engrais. Nos agriculteurs n’importent pas des tourteaux de soja par plaisir ; cela leur coûte cher et on n’a jamais vu une entreprise américaine perdre de l’argent sur ce marché… Nous devons supprimer cette dépendance ; c’est un enjeu géopolitique et économique.

C’est pour cette raison que le Président de la République a annoncé la mise en place d’un plan Protéines végétales visant à notre autonomie. Ce plan devait être présenté il y a deux mois ; il le sera à la rentrée et, dans le cadre du plan de relance, plusieurs dizaines de millions d’euros seront mis sur la table dès la première année. Notre objectif – le Président de la République l’a dit lors de sa visite au salon de l’agriculture – est une autonomie protéinique totale. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui en combien d’années nous atteindrons cet objectif, mais je peux vous dire que nous voulons avancer vite dans cette direction.

Vous avez raison de dire, comme Mme Cartron et M. Fichet l’écrivent dans leur rapport, que nous devons incorporer davantage de protéines végétales et de légumineuses dans notre nourriture. C’est une question d’équilibre alimentaire. Je parlerais bien des lentilles du Puy, mais M. Duplomb me reprendrait… En tout cas, je le redis, l’ensemble des légumineuses, y compris la luzerne bien sûr, doivent être davantage utilisées dans notre alimentation. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, je pourrais parler des lentilles vertes du Puy pendant largement plus de deux minutes, mais je ne le ferai pas… Je voudrais plutôt revenir sur le débat qui nous occupe aujourd’hui.

La résilience de notre modèle agricole et agroalimentaire pendant la crise sanitaire du coronavirus devrait nous pousser à remercier et à respecter nos agriculteurs, qu’ils soient cultivateurs, éleveurs ou les deux. Au lieu de cela, certains ont des agissements d’enfants gâtés qui cherchent par tous les moyens à casser leur jouet. Ils devraient au contraire remercier, respecter et reconnaître ces femmes et ces hommes qui travaillent plus de soixante-dix heures par semaine dans un pays qui ne cesse de travailler moins – il n’y a pas si longtemps, certains proposaient même de ne travailler que vingt-huit heures par semaine…

Une fois de plus, ce débat participe à la critique, absurde et totalement démagogique, de ceux qui travaillent d’arrache-pied. On pourrait croire que le seul but est de détruire l’agriculture française !

Pour cela, nous ne sommes pas à une contradiction près. Quand vous proposez de végétaliser l’assiette des Français, en demandant de manger moins de viande et donc plus de fruits et légumes, et quand dans le même temps vous souhaitez que la France retrouve plus d’autonomie alimentaire, vous ignorez – plutôt, encore plus grave, vous faites semblant d’ignorer – que nous sommes autosuffisants en viande, alors que nous importons un fruit et un légume sur deux, que ces denrées sont soumises à des normes différentes des nôtres et que des produits interdits en France sont utilisés pour leur production.

Au lieu de fermer les yeux sur ces évidences pour servir le bal médiatique d’une parole politique à la mode bobo-écolo, ne croyez-vous pas que, à force de taper sur nos paysans, comme vous le faites, vous allez les dégoûter de nous nourrir ? Je peux vous assurer que, dans nos campagnes, le sentiment de lassitude est grand. À force de critiques, vous aurez bientôt gain de cause, si tel est votre objectif, car il ne restera plus de paysans dans notre pays !

Je vous le dis, monsieur le ministre, l’heure est grave. Je le vois dans mon département et dans ma famille – tous mes beaux-frères sont agriculteurs…

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Laurent Duplomb. Si nous continuons de stigmatiser les agriculteurs comme nous le faisons, si nous continuons de critiquer notre modèle agricole qui est vertueux – il l’est, il n’a pas besoin de le devenir… – et qui est reconnu dans le monde entier, vous compterez les agriculteurs sur les doigts de quelques mains ! Ce n’est pas ainsi que nous retrouverons notre souveraineté alimentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Duplomb, je n’ai pas compris à qui s’adressait l’agressivité de votre question…

M. Laurent Duplomb. Il n’y avait pas de question !

M. Didier Guillaume, ministre. De votre intervention, alors.

En tout cas, elle ne peut pas s’adresser au Gouvernement, puisque je partage une partie de ce que vous avez dit, notamment sur le dénigrement. Mettre toujours davantage de boulets aux pieds de nos agriculteurs est insupportable et ne peut que nuire à la compétitivité de notre agriculture.

Pour autant, nous devons aussi répondre à la demande sociétale et se braquer, s’arc-bouter, est contre-productif. Ce serait une erreur de voir le monde rural et le monde métropolitain comme deux TGV qui roulent l’un vers l’autre sur la même voie ! Nous avons bien vu pendant le mouvement des « gilets jaunes » que les campagnes en avaient assez. Si nous ne voulons pas que ce mouvement reparte, nous devons nous adresser différemment à la ruralité et aux agriculteurs et nous devons simplement aider ces derniers à faire leur métier.

Monsieur Duplomb, l’agriculture française a effectivement répondu présent pendant la crise du covid-19 et a nourri l’ensemble de la population, mais on ne peut pas opposer la viande et les légumes comme vous le faites. Vous dites que nous sommes autosuffisants en viande, mais en réalité une grande partie de nos concitoyens ne mangent pas de viande française. (M. Laurent Duplomb proteste.) Aujourd’hui, 80 % des restaurants parisiens se fournissent en viande étrangère et, dans la restauration collective, il n’y a pas de viande française. J’ai d’ailleurs réuni – c’était la première fois – l’ensemble des acteurs de la restauration pour que les choses changent.

En ce qui concerne les fruits et les légumes, nous ne produisons effectivement que la moitié de notre consommation. Nous devons progresser pour atteindre 60 % ou 65 %. C’est tout l’enjeu des mois qui viennent.

M. Laurent Duplomb. Il faut remettre les Français au boulot, alors !

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Hervé Gillé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’opportunité de ce débat proposé par la délégation à la prospective sur la manière de se nourrir sainement, équitablement et durablement est indéniable dans le contexte actuel.

La révélation de nos dépendances nous interroge sur les autonomies minimales nécessaires en période de crise, surtout en termes alimentaires. Elle nous interroge aussi sur nos proximités de solidarité, nos modes de production et de consommation et leurs impacts environnementaux.

L’approche territoriale semble évidente pour partager une stratégie, définir en commun les objectifs et s’en donner les moyens. Les programmes alimentaires territoriaux, portés notamment par les syndicats mixtes, de type pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), sont de bons vecteurs. Pourtant, au cours de nos auditions, ils ont souvent montré des insuffisances et des fragilités qui les empêchent de jouer un réel rôle de levier. En outre, en matière d’aménagement foncier et de politique d’urbanisme, la singularité alimentaire est négligée et le manque de spécifications est à noter.

Au même titre que les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), ne serait-il pas souhaitable de généraliser la mise en œuvre de plans d’alimentation durable au sein des EPCI qui pourraient ainsi les déléguer, par intégration territoriale, dans les PAT ? Dans ce cas, un axe logistique est forcément nécessaire afin d’organiser les circuits locaux et compléter les approvisionnements de proximité pour livrer les donneurs d’ordre dans les meilleures conditions.

Parallèlement, ne faudrait-il pas renforcer les schémas de cohérence territoriale (SCOT) intégrateurs, en se fixant un cap d’autonomie alimentaire, modeste ou non ? Ils déclineraient des objectifs de développement et de préservation de surfaces dédiées ou pourraient, en cas d’impossibilité, instaurer un principe de compensation territoriale en relation de proximité.

Ces propositions s’appuient sur l’existant et contribuent à renforcer la territorialité. L’appropriation de ce sujet et son acceptabilité par les acteurs seraient a priori acquises – le département de la Gironde est par exemple prêt à accompagner les collectivités sur ces questions.

Qu’envisagez-vous concrètement sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Gillé, je l’ai dit, nous devons absolument coconstruire la politique de l’alimentation au niveau des territoires avec les collectivités locales. La définition de ces territoires peut varier selon les endroits : il peut parfois s’agir de la région tout entière, mais elle est parfois trop vaste pour cela – c’est par exemple le cas de la Nouvelle-Aquitaine –, il peut aussi s’agir d’une agglomération, comme celle de Bordeaux, ou d’un département, par exemple la Creuse.

Le projet de loi de décentralisation, différenciation et déconcentration, dit 3D, doit justement nous permettre de mettre en place une nouvelle étape de la décentralisation pour gérer ce pays différemment, y compris en matière alimentaire. Les choses sont nécessairement gérées différemment dans la métropole parisienne, en Vendée ou en Lozère – je veux de nouveau rendre hommage à Alain Bertrand comme le Sénat l’a fait en début d’après-midi.

Je l’ai dit, l’objectif du Gouvernement est zéro artificialisation, mais au-delà nous devons reconquérir des terres agricoles. C’est le seul moyen de réussir ! Si nous ne sommes pas capables de récupérer du foncier pour le mettre à la disposition de jeunes agriculteurs, nous n’arriverons pas à gagner notre pari. Le sol, le foncier, doit être considéré comme un bien public. Trop longtemps, nous avons sacrifié des terres agricoles : il fallait agrandir les villages, aménager des lotissements et des déviations, ouvrir des grandes surfaces, construire des autoroutes, etc.

Nous ne pouvons évidemment pas revenir sur le passé et regarder avec les yeux d’aujourd’hui ce qui a été fait dans les années 1970, mais forts de cette expérience, nous ne devons pas commettre les mêmes erreurs. C’est la reconquête du foncier qui nous permettra de fournir une alimentation de proximité à nos concitoyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.

M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre, j’ai le sentiment que vous n’avez pas bien écouté mon intervention. Je vous ai fait des propositions concrètes sur les compétences des EPCI, sur les SCOT et sur la fixation d’objectifs territoriaux qui permettraient de travailler avec les Safer et les établissements publics fonciers locaux (EPFL) pour reconquérir du foncier.

Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut développer les coopérations entre les collectivités. Pour les métropoles comme pour les PCAET, il faut trouver des compensations sur d’autres territoires.

Il est essentiel d’avancer sur ces sujets dès maintenant et de manière concrète, sans repousser de nouveau aux calendes grecques la résolution de ces problèmes, à l’image de la loi foncière que vous nous aviez annoncée… (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a près de soixante ans, ici même au Sénat, le ministre de l’agriculture, Edgard Pisani, présentait la loi d’orientation agricole qui porte son nom et qui faisait suite à d’autres dispositifs importants adoptés deux ans plus tôt. Élaborée en lien avec Michel Debatisse, leader des jeunes agriculteurs, cette loi devait répondre aux faiblesses relevées à l’époque : « bas niveau de vie, absence d’espoir, vie difficile pour les femmes, inaptitude à la vie économique moderne ». Elle devait aussi répondre à un objectif : nourrir le monde – vaste programme et belle ambition !

Aujourd’hui, la véritable question, monsieur le ministre, n’est pas de savoir si ces objectifs ont été atteints – ce n’est visiblement pas le cas ! –, mais de savoir quelle agriculture nous voulons encourager et développer, quelle politique agricole commune nous voulons mettre en place et quels accords internationaux nous voulons conclure.

En France, nous avons la chance d’avoir un patrimoine naturel exceptionnel qui valorise nos territoires grâce à des femmes et des hommes passionnés et avec, entre autres, des démarches de qualité – IGP, AOP, AOC, agriculture biologique, label rouge, etc. – qui rassurent les consommateurs et sont le fer de lance de notre industrie agroalimentaire, si puissante à l’export.

Monsieur le ministre, le Président de la République a parlé hier de souveraineté alimentaire. Par conséquent, envisagez-vous de proposer une nouvelle loi d’orientation agricole qui permette aux agriculteurs et éleveurs de réellement vivre de leur métier et en même temps d’assurer à nos concitoyens une alimentation de qualité la plus locale possible ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Mandelli, je vous remercie d’avoir cité Edgard Pisani qui restera sûrement le meilleur ministre de l’agriculture de la Ve République ; tout était alors à construire et il s’est montré visionnaire, vous l’avez dit, en faisant voter la première loi d’orientation.

Aujourd’hui, plusieurs questions se posent à nous.

Une partie de l’agriculture souffre, mais ce n’est pas le cas de tous les secteurs. Pendant la crise, les revenus de certaines filières ont augmenté de 30 % à 40 %, car – évidemment ! – les gens ont continué à manger et les modes de consommation ont évolué.

En tout état de cause, notre agriculture doit muter en matière de développement durable et de transition agroécologique et sa compétitivité et sa productivité – ce ne sont pas des gros mots – doivent s’améliorer. Le New Green Deal proposé par la Commission européenne va dans ce sens et la France l’accepte. En particulier, nous soutenons les écoschémas du premier pilier obligatoires pour les États – ils sont indispensables. Nous devons lutter contre les différences d’approche entre les États membres de l’Union européenne, sans quoi nous ne nous en sortirons pas.

Nos concitoyens attendent de nouvelles pratiques, comme le bio, les labels ou tous les autres dispositifs que vous avez cités. Il faut d’ailleurs savoir que la France est le premier pays d’Europe en matière de reconnaissance de la qualité des produits. Cependant, ces nouvelles pratiques sont parfois en contradiction avec l’objectif de nourrir le plus grand nombre.

C’est pourquoi nous devons travailler à trouver un nouvel équilibre entre des standards de qualité qui soient le plus haut possible, des prix abordables pour nos concitoyens et des rémunérations décentes pour nos agriculteurs. Or, depuis vingt ans, le coût du panier moyen des Français reste le même : les produits alimentaires représentent toujours 11 % de leurs achats en grande surface.

M. Laurent Duplomb. Et avec vous, ça ira mieux ?

M. Didier Guillaume, ministre. Pour que les choses changent, nous devons absolument faire porter l’effort sur l’éducation à l’alimentation. Si nous ne le faisons pas, nous courons à la catastrophe.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de suivre des démarches engagées par l’institut du goût qui organise des « classes du goût » dans les écoles auprès d’élèves de CM1 et de CM2. C’est ce type d’initiative qu’il faut encourager.

M. Didier Guillaume, ministre. Exactement !

M. Didier Mandelli. Ensuite, on ne peut pas opposer les différents types d’agriculture, vous l’avez dit, et la priorité des priorités est que nos agriculteurs vivent décemment de leur métier, quelle que soit leur production. D’ailleurs, les grandes entreprises de l’agroalimentaire commercialisent plusieurs gammes : certains de leurs produits sont labellisés – bio ou autre –, quand d’autres sont destinés à nourrir le plus grand nombre dans de bonnes conditions.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre système alimentaire n’est pas soutenable, que ce soit en termes d’impact sur la santé, de consommation des ressources naturelles ou d’implication dans le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité.

Pour aller vers une alimentation durable, ce rapport nous invite, en premier lieu, à répondre à l’enjeu de l’autonomie alimentaire que notre pays a perdue au fil des dernières décennies. La crise due au covid-19 a permis de mesurer notre état de dépendance à l’égard d’acteurs lointains dans de nombreux secteurs stratégiques, particulièrement en matière d’alimentation.

Cette indépendance est une question vitale, non seulement pour l’humanité, mais aussi pour notre planète. Elle doit être un objectif de court terme pour préparer dès aujourd’hui les grands défis qui s’imposent à nous à l’horizon de 2050 : atteindre la neutralité carbone et nourrir une population de 10 milliards d’êtres humains en quantité et en qualité suffisantes.

Cet objectif de souveraineté alimentaire est bien entendu incompatible avec les traités commerciaux, tels que le traité de libre-échange transatlantique (Tafta) et l’accord économique et commercial global avec le Canada (CETA), qui s’emploient à faire tomber nos normes protectrices de l’environnement et de la santé humaine.

Cette relocalisation de l’agriculture doit aussi se faire dans sa dimension infranationale. En décembre dernier, notre collègue Françoise Laborde a soutenu une proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires qui soulevait la question de l’autonomie alimentaire. Elle pointait du doigt la grande dépendance de nos territoires qui ne maîtrisent qu’une partie infime des ressources agricoles consommées directement par leur population : 2 % en moyenne dans les cent premières aires urbaines. Pourtant, ces aires urbaines disposent localement des moyens pour couvrir plus de 54 % des besoins de la consommation alimentaire de leurs habitants.

Si l’autarcie alimentaire complète des territoires n’est pas réalisable ni même souhaitable, l’objectif d’un degré d’autonomie de 50 % est tout à fait atteignable. Il ne manque aujourd’hui que la volonté politique pour organiser la reconnexion entre production et consommation de produits agricoles.

Le rapport préconise ainsi de soutenir et d’encourager les projets alimentaires et agricoles de territoire afin d’accroître la part des approvisionnements locaux dans la consommation régulière. Monsieur le ministre, quelles sont les réponses que vous entendez apporter à la question de la nécessaire relocalisation de notre production agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Tissot, j’organiserai à l’automne une grande conférence pour parler de ces sujets. Pour autant, nous devons nous mettre d’accord sur les termes de la discussion : que signifient précisément souveraineté agricole, relocalisation, impact sur la santé, durabilité, etc. ? Tout le monde ne met pas la même chose derrière ces mots.

L’agriculture n’a jamais eu autant d’impact sur la santé ni fait autant d’efforts en matière de transition et, pour lutter contre le dénigrement, il faut aussi mettre en avant ce qui se passe bien.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur Duplomb, je passe mon temps à le faire et à répondre à des gens qui pensent que rien ne se passe bien. Tout à l’heure, vous disiez vous-même que personne ne réussissait à s’en sortir et que tout allait mal…

S’agissant de la souveraineté alimentaire, si l’on veut être très objectif, la France est très peu dépendante des autres pays du monde en matière d’alimentation. Bien évidemment, nous sommes dépendants pour les fruits exotiques, le cacao, bref, tout ce que l’on ne peut pas faire pousser chez nous. Notre dépendance est liée surtout aux intrants,…

M. Laurent Duplomb. Et pas aux cours des produits agricoles ?

M. Didier Guillaume, ministre. … et nous devons lutter contre cela. On l’évoquait tout à l’heure à propos des protéines végétales, et c’est un de nos objectifs.

Il faut définir le modèle agricole agroalimentaire que l’on veut pour notre pays, mais cela ne peut pas se faire uniquement à l’intérieur de la France. Notre pays est un timbre-poste à l’échelle de la planète. Certes, notre agriculture est saine, sûre, durable, tracée ; c’est une des meilleures du monde, si ce n’est la meilleure, mais il nous faut travailler à une harmonisation européenne en matière d’alimentation. C’est absolument indispensable, mais ce débat essentiel sera mené à la rentrée.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, vous avez avoué être satisfait du budget de la PAC. Vous avez raison, il a été sanctuarisé pour ces prochaines années. Vous avez aussi dit que vous alliez maintenant vous tourner, pour faire le partage au niveau national, vers la profession.

Permettez-moi d’insister sur le fait que cette dernière se compose d’un large éventail, et qu’il y a différents modèles. Bien sûr qu’il ne faut pas opposer les modèles agricoles, mais reconnaissez qu’il y a des visions différentes. Force est de constater que, sur ces travées, on ne défend pas tous le même modèle. Il faut donc écouter tout le monde, et c’est vous qui allez faire l’arbitre.

Je suis souvent en opposition avec Laurent Duplomb, et pourtant nous sommes voisins, géographiquement parlant, mais je le rejoins pour vous demander de prendre le temps de regarder les exploitations qui ne sont pas montrées du doigt, celles qui gagnent de l’argent, parce qu’il y en a. Toutes les exploitations ne sont pas moribondes, et tous les agriculteurs n’ont pas envie de se suicider. Surtout, ils ne sont pas tous victimes de l’agribashing.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Claude Tissot. Regardez les systèmes qui marchent et encouragez les autres à s’en rapprocher. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Joël Labbé applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas.

Mme Catherine Dumas. Je veux tout d’abord remercier et féliciter nos collègues Cartron et Fichet pour la qualité de leur rapport. Pour ma part, j’aimerais profiter de ce débat en faveur d’une alimentation durable pour attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le grave problème de dénutrition, qui est devenu un véritable enjeu de santé publique dans notre pays. On parle de dénutrition lorsque les apports alimentaires sont insuffisants pour couvrir les besoins nutritionnels des personnes. En France, on estime à 2 millions le nombre de cas.

J’étais hier en réunion de travail avec des chefs, comme Christian Têtedoie, Michel Guérard, mais aussi des parlementaires, engagés comme moi sur les dossiers liés à la table française, des médecins nutritionnistes ou exerçant auprès des personnes âgées ou de grands malades. Il ressort de nos discussions que ce que l’on peut baptiser « malbouffe » à l’hôpital touche 10 % des enfants malades, 20 % des adultes hospitalisés, et ce chiffre grimpe à 40 % chez les patients cancéreux, et plus de 50 % chez les personnes âgées hospitalisées. Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), un tiers des résidents auraient besoin de mieux se nourrir.

La dénutrition a des conséquences concrètes mesurables. On constate une augmentation de la durée de séjour à l’hôpital, des réadmissions non programmées et de la mortalité.

La dénutrition à l’hôpital, c’est d’abord un problème de budget : on dispose rarement de plus 4 euros de coût matière pour préparer le petit-déjeuner, le déjeuner, un goûter et le dîner. C’est aussi un problème de formation : les personnels qui travaillent en restauration collective ne sont pas toujours sensibilisés aux problématiques.

Enfin, ce problème sanitaire, social et environnemental est bien identifié, puisqu’il a fait l’objet, on le sait, de nombreux rapports. Dès lors, monsieur le ministre, comment passer aux actes ? Une semaine nationale relative à la dénutrition est prévue au mois de novembre. Quels sont les objectifs que vous lui assignez ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, vous êtes une des spécialistes de l’alimentation dans cette assemblée. Vous êtes engagée depuis longtemps sur ce sujet.

Vous avez bien fait d’évoquer un problème dont on ne parle pas assez : la dénutrition ou la malnutrition. On la constate chez les personnes âgées, les jeunes, dans les quartiers difficiles, en grande pauvreté.

Il faut faire attention quand on parle de « malbouffe », qui est surtout attachée à la restauration rapide. C’est un peu différent de la malnutrition ou de la dénutrition. (Acquiescements sur plusieurs travées.)

Cependant, vous avez raison, on s’aperçoit que, pour une raison ou une autre, en Ehpad, à l’hôpital, on mange moins ou on mange moins bien. Certes, cela peut être parce que l’on n’a pas envie de manger ou que l’on a envie de moins manger, mais on sait quand même qu’il y a un problème avec l’alimentation à l’hôpital. Je me bats pour y remédier.

J’ai rencontré l’ensemble de ceux qui travaillent dans la restauration collective pour évoquer le prix des repas. L’hôpital a globalement des difficultés aujourd’hui. Je ne sais pas si le sujet est à l’ordre du jour du Ségur de la santé, mais il est indispensable de pouvoir augmenter le coût matière du repas à l’hôpital et dans les Ehpad, afin de permettre de mieux y manger. Une augmentation de 10 centimes d’euros seulement permettrait de changer du tout au tout, mais pour arriver à cela, la décision est plus du ressort du ministère de la santé.

Pour répondre plus précisément à votre question, dans le cadre du pacte productif que nous avons lancé l’année dernière, et qui sera intégré dans le plan de relance, l’un des volets porte sur l’alimentation durable pour la santé. Il rejoint totalement ce que dit le rapport de Mme Cartron et de M. Fichet au sujet des produits durables et de la qualité nutritionnelle.

Dans la loi Égalim, nous avons travaillé pour mettre en place le Nutriscore. Un tel dispositif n’existe pas pour les hôpitaux et les Ehpad, et il faut que nous y travaillions, en relation avec le ministère de la santé. Vous avez tout à fait raison, madame la sénatrice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport d’information de nos collègues dresse un état des lieux du système alimentaire français et formule des propositions pour faire émerger une alimentation plus durable.

L’une de ces propositions consiste à promouvoir un discours équilibré et apaisé sur la consommation de produits animaux : il faut en manger moins pour manger des produits de meilleure qualité. C’est une volonté qui fait son chemin chez bon nombre de nos concitoyens.

Comme vous le savez, l’élevage extensif répond parfaitement à ce double objectif du moins et du plus. En montagne, par exemple, les animaux élevés en plein air rejoignent les alpages aux beaux jours pour redescendre dès les premières gelées. Ils entretiennent l’espace, contribuent à la biodiversité et les produits qui en sont issus, la viande, le lait et le fromage, ont un intérêt nutritionnel incontestable.

Pourtant, la présence des grands prédateurs, en particulier le loup et l’ours, contraint les éleveurs à modifier leurs techniques d’élevage, ce qu’ils déplorent. En effet, les bergers sont contraints de parquer leurs troupeaux, de les rentrer le plus souvent possible dans les bergeries, et de réduire, d’année en année, la période d’estive.

Alors, forcément, la qualité de la viande s’en ressent. C’est bien dommage pour les amateurs de l’agneau de Sisteron, par exemple, car il pourrait bientôt disparaître de nos boucheries.

L’Union internationale pour la conservation de la nature précisait, en 2014, dans son rapport sur les écosystèmes montagnards : « La labellisation implique des normes de qualité et de fabrication qui imposent de conserver les procédés traditionnels d’élevage et les méthodes artisanales de production à la ferme. Elle favorise ainsi souvent les pratiques de parcours qui permettent de maintenir ou de créer des paysages agricoles ouverts, favorables à la biodiversité. »

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si l’élevage extensif a encore un avenir en France. Quelles sont les perspectives d’avenir crédibles pour ces éleveurs, pour leur métier, pour leur savoir-faire et pour leurs produits ? (MM. Joël Labbé et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, je réponds « oui », trois fois « oui », là encore. L’élevage extensif a un avenir, et c’est même le modèle. Nous devons privilégier la polyculture et l’élevage extensif dans notre pays. Il ne s’agit pas de l’opposer à l’autre mode d’élevage, dont on a aussi besoin. Ce n’est pas mon discours. D’ailleurs, dans le titre II de la loi Égalim, il y a des avancées s’agissant de la construction de nouveaux bâtiments d’élevage.

Cependant, la question que vous posez est essentielle. Aujourd’hui, on sait très bien que l’élevage extensif joue un rôle environnemental essentiel, dans la lutte contre le changement climatique ou pour l’entretien des paysages.

Je veux absolument continuer à parler dans la PAC des parcours peu productifs et prévoir des aides favorisant l’élevage extensif. Cependant, vous le savez, puisque vous êtes une spécialiste, se pose le problème des prédateurs. Nous avons vu ce qui s’est passé récemment dans les Pyrénées. Nous savons ce qui se passe chez vous, dans le massif des Hautes-Alpes, avec le loup, qui attaque des troupeaux de brebis. Personne ne veut éradiquer les ours et les loups ; tout le monde est favorable à la biodiversité. D’ailleurs, le plan Loup est encore monté en puissance cette année pour faire en sorte que la cohabitation se passe bien.

Cependant, on sait que c’est très difficile. Vous avez vu, comme je l’ai vu lorsque j’étais élu local, des bergers, des femmes, des hommes pleurer en constatant les dégâts faits par le loup sur leur troupeau de brebis. Ce n’est pas leur métier : ils sont là pour nourrir en produisant soit du lait, soit de la viande. C’est un vrai problème sur lequel nous devons avancer.

De plus, cette forme d’élevage correspond tout à fait, je le crois, aux aspirations de la société. Les touristes, les citadins qui viennent à la campagne aiment bien voir paître un troupeau de brebis en se promenant au cœur de paysages entretenus. Madame la sénatrice, je peux vous assurer que je ferai tout pour promouvoir et défendre le plus possible l’élevage extensif et trouver la bonne formule de cohabitation entre l’éleveur et le prédateur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier.

Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, je voudrais saluer nos deux corapporteurs et l’ensemble de la délégation à la prospective, avec son président, qui nous a permis de bénéficier d’un rapport d’une aussi grande qualité.

En 2050, il y aura 10 milliards d’humains sur terre. Les besoins alimentaires vont donc être multipliés par deux. Face à cette réalité, notre pays doit être responsable, innovant et exemplaire.

Cette notion d’alimentation durable est à la croisée de nombreuses préoccupations, environnementales – réduction de l’empreinte écologique, lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, préservation des espaces verts et des terres arables –, sociales – réduction du gaspillage alimentaire, dont on n’a pas beaucoup parlé ce soir, accès à une alimentation de qualité pour tous –, économiques – juste rémunération de toute la chaîne alimentaire, agriculteurs et producteurs locaux, partout en France – et de santé publique. À ce dernier titre, je pense à l’industrie agroalimentaire, avec laquelle nous devons travailler pour lutter contre la malnutrition, le surpoids et l’obésité.

Pour chapeauter tout cela, Mme Cartron l’a bien dit, une éducation, de la maternelle au lycée, est indispensable afin que l’activité physique, les règles hygiénodiététiques, dont on connaît les vertus, couplées à une alimentation saine, équilibrée et diversifiée, se diffusent.

Il faut avoir à l’esprit que cette alimentation est délivrée par les collectivités, qui fournissent plus de 4 milliards de repas chaque année. Ce sont donc des acteurs clés du secteur. Depuis la loi Égalim, l’idée d’une gouvernance territoriale partagée par l’ensemble des acteurs du système agricole et alimentaire reste un concept assez mal défini, et les élus locaux s’interrogent toujours sur la forme concrète que va prendre ce dispositif, qui doit s’appuyer sur les collectivités.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer comment cela va se matérialiser ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice, en répondant à votre question, c’est la dernière fois que je vais prendre la parole ce soir devant vous.

Ce qui doit nous guider, et ce qui caractérise l’ensemble des contributions que j’ai reçues à la suite de l’épidémie de covid pour préparer la rentrée, ce sont trois points généraux sur lesquels tout le monde se retrouve.

Premièrement, les États généraux sont actés, mais nous devons les prolonger, car nous ne sommes pas arrivés au bout du sujet.

Deuxièmement, il est essentiel de bien voir que la transition agroécologique est irréversible. Tous les syndicats agricoles, toutes les structures l’ont intégré.

Troisièmement, il faut être attentif à la souveraineté alimentaire.

Ma grand-mère disait : « À toute chose, malheur est bon. » Force est de constater, malheureusement, que nous avons fait un grand pas, malgré tous ces morts pendant la crise, car nos concitoyens ont ouvert leurs yeux.

Cela veut dire que nous devons être ensemble, et pas les uns contre les autres. Ce n’est pas la société face aux agriculteurs ; c’est la société avec les agriculteurs, parce que, sans eux, on ne mangera pas. Moins il y aura d’agriculteurs, plus nous importerons et moins la qualité sera au rendez-vous. Forcément, parce que c’est nous qui produisons ce qu’il y a de meilleur.

Vous avez raison, madame la sénatrice, c’est dans l’éducation que tout se joue, l’éducation au « manger bien », ce qui ne veut pas forcément dire « manger cher », l’éducation à l’équilibre nutritionnel. C’est indispensable.

Enfin, nous devons vraiment mener la réflexion suivante : quelle agriculture résiliente pour demain ?

Aujourd’hui, on voit bien qu’une partie du secteur est parfois dans l’impasse. Comme le disait le sénateur Tissot, certains agriculteurs gagnent plutôt bien leur vie. Il faut analyser tout cela pour avancer.

S’il y a un sujet essentiel, c’est que la santé devient la priorité de nos concitoyens, et, dans ce cadre, c’est l’alimentation qui les préoccupe. L’alimentation ne doit pas être discriminante en fonction de la situation économique, sociale ou géographique. Elle doit être la même pour tous, et c’est ce que je nous engage à viser collectivement. Réfléchissons à une souveraineté alimentaire européenne, qui passe d’abord par une souveraineté alimentaire française, une agriculture résiliente, avec des agriculteurs, à proximité des consommateurs, qui arrivent à nous nourrir.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la rapporteure.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. Merci, madame la présidente. Quelques mots de remerciement, d’abord à nos collègues, présents nombreux ce soir pour débattre de ce sujet, qui, de toute évidence, est essentiel et parle à chacun d’entre nous. Je remercie également, avec Jean-Luc Fichet, l’équipe d’administrateurs qui nous a accompagnés. Si ce rapport est de qualité, c’est aussi grâce à eux.

Je veux dire aussi que ce rapport n’a pas été fait pour être à la mode, dans l’air du temps. Comme je l’ai déjà dit, la délégation à la prospective s’est lancée dans ce travail en décembre, alors que le sujet n’était pas forcément d’actualité, mais cette dernière nous a rattrapés avec le covid-19. Nous nous sommes alors aperçus que tout ce que nous avions abordé rejoignait les préoccupations des Français.

Je fais enfin remarquer que, dans notre rapport, nous faisons beaucoup de propositions qui sont en convergence avec celles de la Convention citoyenne. Aussi, nous nous étonnons, Jean-Luc Fichet et moi-même, que l’on dise que cette dernière a été réunie parce que les parlementaires et les élus sont un peu coupés du terrain et ne perçoivent pas les choses. En l’espèce, pourtant, nous avons bien perçu ce que des citoyens lambda ont pu pointer du doigt.

Monsieur le ministre, vous avez compris que nous attendons beaucoup du Gouvernement pour ce qui est des suites à donner à toutes les propositions de notre rapport. Il faut que le Gouvernement joue un rôle d’impulsion pour que naissent des propositions concrètes. Nous attendons aussi beaucoup de l’Europe. Pour l’agriculture, il importe de marcher sur ces deux pieds.

Enfin, monsieur Duplomb, nous n’avons absolument pas stigmatisé les agriculteurs ou un mode d’agriculture. D’ailleurs, nous avons auditionné les représentants de tous les syndicats agricoles, et beaucoup nous ont dit que les agriculteurs qui se sentaient mal attendaient une évolution. Ils veulent bouger pour être reconnus dans leur travail, en produisant du bon et à proximité. Avec ce rapport, nous adressons un message d’encouragement pour une meilleure alimentation : manger sain et durable, et que nos producteurs locaux puissent trouver à s’épanouir. Je vous remercie toutes et tous d’avoir participé à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. Je m’associe bien évidemment aux remerciements de Mme Cartron, tant aux administrateurs qu’à vous tous qui êtes présents ce soir, pour ce débat sur un sujet central dans nos préoccupations quotidiennes.

Il y a deux mots clés dans notre rapport, qui, en fait, n’ont pas émergé ce soir, et pourtant, Dieu sait s’ils sont importants : la sobriété et le végétalisme. La sobriété, c’est manger différemment, réduire le salé, le sucré, le gras. Le végétalisme, c’est moins de viande et plus de légumineuses. Tout cela permet aussi à nos agriculteurs de préserver leurs revenus et de mieux vivre et travailler, pour la satisfaction des consommateurs. Nous y croyons beaucoup et nous l’avons souligné tout au long de nos travaux.

Un autre point important, c’est l’Europe, avec la réforme de la PAC. Aujourd’hui, nous proposons d’arrêter les aides financières à la surface. Si l’on veut faire la transition écologique, il faut la financer, et, pour ce faire, que les financements de la PAC aillent au travail.

M. Didier Guillaume, ministre. Oui !

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. C’est un point essentiel. Bien entendu, quand on parle de réforme de la PAC, on mesure l’immensité de la tâche.

Le troisième volet, qui nous paraît très important, c’est la question de l’accès au foncier, que l’on n’a pas fini de régler. C’est un goulet d’étranglement pour toutes nos réflexions sur l’agriculture et l’alimentation. On regrette la diminution du nombre d’agriculteurs. Aujourd’hui, la gestion du foncier repose sur une réglementation qui a plusieurs dizaines d’années. Il faut absolument la revisiter, la réinterroger pour permettre l’installation de jeunes agriculteurs, hors cadre familial. Si l’on ne permet pas cela, toutes nos belles paroles resteront vaines.

Enfin, nous devons mettre l’accent sur l’innovation, la recherche, mais aussi la formation et l’éducation à travers l’école. Tout un programme, qu’il est difficile d’aborder en détail en une heure et demie. En tout cas, je vous remercie tous de la qualité du débat et des interventions. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, LaREM, RDSE et UC. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France.

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 1er juillet 2020 :

À quinze heures :

Ouverture de la session extraordinaire de 2019-2020 ;

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures et le soir :

Désignation des trente-six membres de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion ;

Projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la dette sociale et à l’autonomie (texte de la commission n° 557, 2019-2020) et projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la dette sociale et à l’autonomie (texte de la commission n° 558, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)

 

nominations de membres de commissions

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des finances.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Vincent Segouin est membre de la commission des finances.

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des lois.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Catherine André est membre de la commission des lois.

La Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste daucun groupe a présenté une candidature pour la commission de laménagement du territoire et du développement durable.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Stéphane Cardenes est membre de la commission de laménagement du territoire et du développement durable.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication