Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame Borne, vous aviez dit, lors d’une audition qui avait eu lieu immédiatement après l’incendie, ici même, au Sénat, que la législation issue des accidents industriels Seveso et AZF notamment n’était pas complètement adaptée pour gérer le risque à moyen et à plus long terme ; je vous rejoins totalement sur ce point. Aucune obligation d’enquête de santé, par exemple, n’est prévue. Les enquêtes dont, en l’espèce, on a pu obtenir l’organisation, qui ont été confiées à Santé publique France, n’ont, pour l’une d’entre elles au moins, toujours pas démarré ! Et, selon toute vraisemblance, elle ne commencera finalement qu’un an après l’incendie.

Or le rapport relève très justement que le principe de précaution aurait dû prévaloir dès le départ, qu’il devrait guider le suivi sanitaire de la population et des salariés sur le long terme, l’ouverture de registres de morbidité étant notamment essentielle pour la connaissance des conséquences de cette catastrophe. En la matière, je viens d’entendre une ouverture, que je salue. Mais il ne me semble pas raisonnable ni sensé de se contenter d’attendre les prélèvements, dont je rappelle qu’ils sont, en outre, à la charge de l’industriel, pour déclencher la création de registres ou le lancement d’une enquête médicale.

Ne pourrait-on pas imaginer, par exemple, un dispositif législatif autorisant le déclenchement immédiat, après ce type d’accident, d’enquêtes sanitaires et environnementales rendant possible le suivi de ce qui se passe réellement ? Ce suivi permettrait également de veiller à la bonne indemnisation des préjudices subis. La contractualisation aujourd’hui en vigueur empêche tout recours ultérieur contre la société Lubrizol de la part des bénéficiaires des deux fonds d’indemnisation mis en place ; or, par définition, on ne connaît pas aujourd’hui les conséquences qui pourraient s’ensuivre de la catastrophe à long terme.

Je conclurai en insistant sur l’absolue nécessité d’une meilleure association des élus locaux, en particulier des maires, dans la gestion de crise, dans le contrôle des sites, dans les exercices de sécurité civile. Il est indispensable que l’État considère enfin les élus locaux comme des partenaires à part entière. Quelles consignes entendez-vous donner en ce sens ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Nelly Tocqueville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, nous aimerions tous pouvoir apporter des garanties aux populations. Force est de constater, néanmoins, que la démarche que nous avons à mettre en œuvre comporte des incertitudes, et qu’elle revient à avancer à l’aveugle, si vous me permettez cette expression. Les conséquences d’un incendie, en particulier lorsqu’il s’agit d’un incendie du type de celui de l’usine Lubrizol, sont très complexes à déterminer. La complexité peut certes être anxiogène, mais il faut pouvoir assumer, devant nos concitoyens, la nécessité d’objectiver la présence de contaminants dans les milieux avant de pouvoir mesurer l’incidence sanitaire potentielle.

Sans attendre les identifications que nous avons demandées à Santé publique France, nous avons réalisé notamment des suivis d’évaluation des activités des urgences, de SOS Médecins, de tout le corps médical et médico-social – nous avons aussi pris en compte les conséquences psychosociales de cet incendie. Nous devons, sur ces éléments particuliers, apporter des réponses. Nous avons commencé ce travail, qui est mené parallèlement aux études conduites par Santé publique France.

Sur certains points, des améliorations sont possibles – le rapport recense quelques pistes, et nous allons les étudier : notre objectif est bien de nous saisir des rapports des parlementaires pour améliorer le système en le rendant plus efficace et plus efficient. Et je partage votre souhait d’associer toujours davantage les élus locaux de proximité, auprès des services des préfectures notamment. Une telle association nous semble nécessaire dans la perspective de transmettre, ensuite, une information de très bonne qualité à nos populations et à l’ensemble de nos professionnels.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – Mmes Élisabeth Doineau et Nadia Sollogoub applaudissent également.)

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de saluer le caractère complet de ce rapport à l’occasion de son adoption par la commission d’enquête. Les propositions qu’il contient devront bien sûr être prises en compte. Je souhaite, mesdames les ministres, attirer votre attention sur l’importance du rôle de l’information, soulevée par ce rapport, et qui me semble primordiale.

La gestion d’une crise de l’ampleur de celle de l’incendie de l’usine Lubrizol exige une meilleure fluidité d’échanges entre les différents acteurs, à savoir les préfets des régions et des départements concernés et voisins, les élus locaux, les acteurs de la santé, et, bien sûr, les citoyens. J’ai pu observer qu’une telle fluidité n’a malheureusement pas toujours été suffisamment à l’œuvre au mois de septembre dernier.

Je dis, sans rire, qu’à certains égards la Bresle, fleuve côtier qui sépare la Seine-Maritime de la Somme, a été à Lubrizol ce que fut le Rhin à Tchernobyl ! Compte tenu des vents d’ouest dominants dans notre région, les cultivateurs du département de la Somme riverains de la Seine-Maritime ont vu assez rapidement la suie issue de l’incendie commencer à se déposer sur leurs terres, et de nombreuses communes furent touchées. Cela pourrait avoir des conséquences multiples sur les terres cultivables et pâturables, ainsi que sur nos concitoyens ; d’où l’importance d’organiser une gestion sur le long terme des conséquences d’un tel accident, fondée sur le partage des informations.

Est-on sûr, aujourd’hui, qu’un véritable suivi épidémiologique sérieux a bien été mis en place ? Des prélèvements de carottes ont-ils été effectués ?

S’agissant de la réparation des préjudices, si la première phase s’est déroulée à peu près convenablement, cela ne semble pas être le cas de la deuxième phase : la paperasse a pris le dessus sur la fluidité. Le lait jeté, le temps passé, tout cela représente de l’argent, mais ne donne lieu à aucune indemnisation. Quid donc de l’indemnisation des préjudices indirects ?

Mesdames les ministres, le rapport de la commission d’enquête soulève la question de la mise en place d’une véritable culture du risque dans notre pays. Quelles réflexions menez-vous sur ce sujet ? Quelle place tient dans ces réflexions l’enjeu de la circulation d’une information claire et rapide entre l’État et les acteurs de terrain, administratifs et élus, ainsi qu’en direction de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – MM. Joël Bigot et Franck Menonville ainsi que Mme Nelly Tocqueville applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, je vous rejoins totalement sur la nécessité de prendre en compte tous les territoires qui peuvent être potentiellement affectés par un panache tel que celui de l’incendie de l’usine Lubrizol. Tel est le sens des préconisations qui figurent dans les référentiels professionnels publiés par mon ministère en matière de gestion d’un accident et de ses conséquences. Les exploitants ont bien pour obligation, d’ailleurs, de prendre en compte toutes les communes qui peuvent être concernées lorsqu’ils réalisent une étude de dangers.

Je précise également que l’Ineris met à disposition une cellule d’appui aux situations d’urgence qui permet de modéliser le panache d’un incendie dans les meilleurs délais. En l’occurrence, dans le cas de l’accident de l’usine Lubrizol, la première simulation du panache, et donc des communes potentiellement touchées, a été reçue par la préfecture le jour même de l’incendie, en fin d’après-midi. Deux modélisations ont même été réalisées, l’une par Météo France, l’autre par cette cellule de l’Ineris que je viens d’évoquer.

Je peux vous assurer également que les prélèvements conservatoires, c’est-à-dire portant sur l’eau potable et sur la chaîne alimentaire, et les prélèvements environnementaux ont été effectués dans l’ensemble des communes susceptibles d’avoir été affectées par le panache, indépendamment des limites administratives.

Aujourd’hui, nous avons pu exploiter tous les prélèvements de Seine-Maritime ; dans le courant du mois de juillet, nous disposerons des prélèvements de l’ensemble des départements des Hauts-de-France qui ont été touchés eux aussi. Les indemnisations, qu’il s’agisse des plus de 550 dossiers ouverts auprès du fonds d’indemnisation « généraliste » ou des plus de 1 100 dossiers d’exploitations agricoles, concernent indifféremment des communes, des exploitations, des entreprises, de Seine-Maritime et des départements des Hauts-de-France : nous avons bien pris en compte l’ensemble des communes et des territoires touchés par ce panache.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pascal Martin. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 26 septembre 2019, quand l’incendie hors norme de l’usine Lubrizol s’est déclaré, j’étais sur place en tant que président du conseil départemental de la Seine-Maritime, fonction que j’occupais à l’époque. Je peux témoigner à la fois de la violence du choc et du caractère exemplaire des premières réactions. L’engagement des salariés de l’usine a été sans faille. Il a été immédiatement relayé par le service départemental d’incendie et de secours de la Seine-Maritime, puis par les services homologues de six départements voisins. C’est sans doute grâce à cet engagement que le sinistre n’a fait ni morts ni blessés et n’a endommagé aucune habitation.

Pour autant, l’accident a révélé un certain nombre de faiblesses dans notre système de prévention et de prise en charge des accidents industriels. La prévention est l’un des enjeux majeurs que font ressortir les conclusions de notre commission d’enquête, dont je salue au passage l’excellence du travail. Je me félicite d’ailleurs que celle-ci ait élargi sa compétence à la dimension prévisionnelle du sujet, essentielle s’agissant de ce type d’accident.

Pour ce qui concerne la réaction des pouvoirs publics en cas d’accident, celui de Lubrizol a malheureusement prouvé que nous devions absolument remettre à plat nos protocoles. Pour que cette réaction soit optimale, il faut que toutes les autorités appelées à intervenir soient parfaitement coordonnées, en particulier la préfecture et les élus. Or tel n’est pas le cas. Le plan communal de sauvegarde élaboré par le maire n’est pas articulé avec le plan particulier d’intervention du préfet. Les élus locaux ne sont pas systématiquement associés aux exercices de sécurité, qui sont aujourd’hui trop peu nombreux. Quant aux conclusions des contrôles menés par les inspecteurs des installations classées, elles ne sont pas communiquées aux élus.

C’est tout le problème de l’articulation entre, d’une part, les pouvoirs de police générale exercés par le maire et, d’autre part, les pouvoirs de police spéciale exercés par le préfet. Cette situation crée la confusion dans l’esprit des administrés, lesquels, spontanément, s’adressent à leur maire dans l’urgence.

Madame la ministre, comment comptez-vous assurer l’articulation entre le préfet et le maire en cas de sinistre majeur, aux conséquences sanitaires, environnementales et économiques souvent considérables pour les habitants des territoires concernés ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-Marc Boyer et Vincent Segouin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, nous avons eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises sur place à la suite de l’accident de l’usine de Lubrizol. Je partage tout à fait l’idée que les communes ont un rôle décisif à jouer dans la prévention des risques. De fait, elles sont associées aux différentes étapes clés de la vie d’un site industriel.

Je rappelle que les élus sont associés dès la phase d’autorisation d’une installation industrielle : l’étude de dangers et l’étude d’impact sont réalisées dans le cadre du dossier de demande d’autorisation. Une enquête publique est organisée, et tous ces documents sont alors mis à disposition du public. En parallèle, un avis spécifique est demandé aux collectivités territoriales et à leurs groupements directement concernés par le projet.

Les élus sont aussi associés dans les instances de suivi de la vie d’une installation industrielle ; ils participent notamment aux commissions de suivi de site (CSS), qui sont obligatoires autour des sites Seveso seuil haut. Ils sont également représentés dans les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels, qui sont les structures de concertation locales autour des grandes plateformes industrielles. Les collectivités déclinent les dispositifs réglementaires visant à garantir la diffusion de la culture du risque sur leur territoire ; vous savez que le document départemental sur les risques majeurs est mis à disposition des élus par les préfectures ; c’est sur cette base que les élus élaborent les documents d’information communaux sur les risques majeurs.

Je pense, pour ma part, qu’il faut aller plus loin ; tout l’objet de la mission sur la modernisation de la culture du risque que je souhaite lancer à la rentrée sera là. On voit bien en effet qu’en définitive, malgré ces dispositifs d’information des élus, malgré les enquêtes publiques, malgré l’existence des commissions de suivi autour des sites industriels, la culture du risque n’est pas suffisante dans notre pays. Il s’agit donc de renouveler cette culture, de faire plus participer les citoyens, d’associer davantage les collectivités, par exemple lors des exercices qui sont réalisés dans le cadre des plans particuliers d’intervention. Nous avons vraiment, me semble-t-il, des marges de progrès sur ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier moi aussi la commission d’enquête de la qualité de son travail et de l’organisation de ce débat.

L’incident de l’usine Lubrizol a rappelé, les révélant au grand jour, les risques sanitaires et environnementaux liés à un développement mal contrôlé de l’industrie, et la nécessité de renforcer la prévention de ces risques a été soulignée.

À ce titre, les auteurs du rapport proposent, avec raison, de veiller au respect du principe de non-régression. Mais il faut, me semble-t-il, aller plus loin encore pour tirer les conséquences de cette recommandation.

Dans les faits, depuis 2009, on constate de multiples reculs et une instabilité du droit de l’environnement, constat partagé par nombre de juristes de l’environnement et responsables d’ONG. Au prétexte d’une simplification, ledit droit ne cesse de se complexifier, avec pour corollaire un affaiblissement de l’efficacité des normes et de la démocratie environnementale, mais aussi une insécurité juridique pour les porteurs de projets.

On peut notamment citer la création du régime de l’enregistrement, les relèvements de seuils, les dispenses d’évaluation environnementale des projets au cas par cas, les suppressions de consultations obligatoires.

Cette régression du droit de l’environnement est aggravée par la chute du nombre de contrôles effectués par l’administration, bien soulignée dans le rapport.

Dans un troisième volet du rapport, la prévention des risques en aval est pointée du doigt : la faiblesse des sanctions en cas de manquement les rend peu voire pas du tout dissuasives – elles sont en outre, on le sait, rarement appliquées. Les auteurs du rapport proposent de renforcer les sanctions administratives. C’est une bonne chose, mais, en cas de manquements graves, la réponse pénale doit être renforcée, en infligeant des amendes proportionnelles au chiffre d’affaires par exemple, et en se donnant les moyens d’appliquer le droit, via une justice spécialisée.

Aussi, madame la ministre, le Gouvernement prévoit-il de renforcer l’efficacité du droit de l’environnement et de mettre en œuvre une politique de sanction réellement dissuasive ? (M. Yvon Collin applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je pense qu’il ne faut pas confondre la simplification des démarches avec le degré de protection apporté. Vous avez raison de souligner que les gouvernements successifs, depuis une dizaine d’années, ont essayé de simplifier les procédures, afin d’améliorer la lisibilité et la transparence de celles-ci, de permettre une large participation du public et d’assurer le même niveau de protection pour les différents enjeux environnementaux, espèces protégées, paysages, incidence sur les milieux aquatiques.

Il ne s’agit évidemment pas de baisser le niveau des règles de sécurité applicables aux installations industrielles. Bien au contraire, le plan d’action que j’avais présenté au mois de février, dont une partie des textes a été soumise à consultation vendredi dernier, vise à renforcer la transparence sur les accidents et leurs conséquences, à prendre des dispositions supplémentaires pour empêcher la survenue de nouveaux incendies d’ampleur et à accroître les moyens de contrôle – j’ai eu l’occasion d’évoquer ce plan.

S’agissant des sanctions, je partage tout à fait l’idée qu’il faut s’assurer que les poursuites pénales ont bien lieu et que les sanctions sont réellement dissuasives. C’est bien tout le travail que nous avons engagé avec Mme la garde des sceaux, Nicole Belloubet, qui vise à la fois à revoir le niveau des sanctions et à créer des juridictions spécialisées en matière d’environnement. La création de telles juridictions dédiées à ces sujets laisse espérer un renforcement des poursuites pénales par rapport à la situation qui prévaut actuellement, dans laquelle les dossiers relatifs à ces questions figurent parmi d’autres dossiers de délits pénaux que les magistrats peuvent avoir tendance à considérer comme plus prioritaires.

Le renforcement de l’échelle des sanctions et la mise en place de juridictions spécialisées me semblent vraiment des leviers très importants pour mieux sanctionner, de manière plus dissuasive, les atteintes à l’environnement.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Dans l’actualité de cette semaine, la Convention citoyenne pour le climat a montré une attente forte des citoyens, afin de juger sévèrement les atteintes à l’environnement via la création d’un crime d’écocide. Il s’agit d’une idée majeure.

Sans trancher ici le débat de savoir si ce crime devrait être reconnu dans notre droit national ou à l’échelon international, cette proposition appelle à un véritable renforcement du droit pénal environnemental, qui prendrait notamment la forme d’un délit de mise en danger de l’environnement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les travaux de la commission d’enquête mise en place spécifiquement à la suite de l’incendie de l’usine Lubrizol ont poursuivi un objectif plus global : tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques partout sur notre territoire.

Sénatrice de la Gironde, je rappelle que sur les 1 312 installations classées Seveso en France, 157 se situent en Nouvelle-Aquitaine. Et mon département est celui qui en compte le plus.

Lors de votre audition, madame la ministre, j’avais abordé la problématique de la culture du risque en France, en lien avec les différentes visites que j’ai effectuées dans mon département où sont implantés 35 sites Seveso+, ainsi que le besoin des maires d’être accompagnés, notamment pour ce qui concerne la sensibilisation de leurs concitoyens. En fin d’année dernière, lors de son audition, le président de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs avait attiré notre attention sur l’importance d’une information plus transparente, mieux partagée entre les services de l’État, les entreprises concernées et les élus locaux. Cette information avait été, semble-t-il, défaillante dans la catastrophe survenue à Rouen. Quelle information allez-vous mettre en place demain à destination de nos concitoyens ? De quels moyens de communication en urgence disposerons-nous auprès des populations en cause, à l’heure des réseaux sociaux ?

Un chiffre est avancé dans le rapport : 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques.

Si notre pays est doté d’outils et de structures garantissant l’information et la participation du public, la question de la composition de ces structures a été posée – c’est un élément du rapport –, de même que le type de système d’alerte utilisé. De façon transversale, c’est la question de la coordination des actions de l’État et des collectivités territoriales dans la réponse opérationnelle à apporter dans l’urgence…

Mme la présidente. Il faut conclure !

Mme Françoise Cartron. … et pour renforcer l’appropriation de la gestion des risques industriels et technologiques par les élus sur le long terme qui vous est posée. Comment mieux associer les élus ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Comme je l’ai rappelé, de nombreux outils existent pour impliquer les populations et développer la culture du risque. Je pense aux commissions de suivi de site, aux secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels, au document départemental sur les risques majeurs.

Néanmoins, ces dispositifs paraissent aujourd’hui très formels et ne permettent pas d’assurer une sensibilisation large, efficace et pédagogique de la population face aux risques industriels.

C’est pourquoi j’ai décidé de lancer une mission pluridisciplinaire pour renforcer la culture du risque. Il s’agira, notamment, de poser un diagnostic partagé avec les parties prenantes pour redéfinir les enjeux et les attentes en matière d’information et d’acculturation au risque, d’examiner la pertinence des dispositifs existants et d’identifier les outils et les canaux les plus efficaces pour sensibiliser le grand public avec pédagogie. Il s’agira aussi de proposer des pistes d’approches participatives mobilisatrices pour mieux associer les élus.

Vous savez que la France est dotée d’un réseau national d’alerte composé d’environ 4 500 sirènes, sous le pilotage du ministère de l’intérieur. Ces sirènes sont testées le premier mercredi du mois dans les plus grandes villes.

Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux sont aussi largement utilisés par les préfectures, ce qui peut améliorer l’information. Par ailleurs, d’autres dispositifs sont à l’étude par le ministère de l’intérieur, notamment pour faire sonner les téléphones portables dans les zones en cause.

Il existe au demeurant une directive européenne de 2018 qui prévoit que les alertes publiques soient transmises aux utilisateurs finaux concernés par les fournisseurs de services mobiles de communication. Le Gouvernement se prépare à mettre en œuvre cette directive. Comme le recommande la commission d’enquête, le dispositif dit « Cell Broadcast » devrait être testé en grandeur réelle d’ici à la fin de l’année 2021.

Je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice, il est important d’impliquer les élus dans la gestion des crises et dans les bonnes pratiques. Il est essentiel de les associer aux exercices qui sont menés en application des plans particuliers d’intervention. Une telle association devrait être généralisée, afin que l’État et les élus agissent main dans la main, pour faire face à des catastrophes telles que celle que nous avons connue à Rouen.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’incident de Lubrizol en 2013, l’État, par la voix du préfet, s’était engagé publiquement à mettre en place des ateliers d’écriture en invitant les acteurs du territoire compétents à travailler ensemble pour que les informations transmises en cas d’incident industriel puissent être comprises et assimilées par les populations.

Ce travail d’écriture n’a jamais eu lieu et les mêmes erreurs de communication sur la qualité de l’état sanitaire de l’air ont été reproduites en 2019. Elles ont largement contribué à discréditer la parole des autorités, car celles-ci n’étaient pas « entendables ». Pensons simplement à la cacophonie qui a régné après la survenance de l’incident, avec six déplacements ministériels en une semaine pour autant de déclarations divergentes !

Que comprend le public lorsqu’on lui dit qu’il n’y a pas de toxicité alors même qu’il voit un incendie hors norme dégageant un impressionnant panache noir ?

Que comprend le public quand le préfet parle d’une qualité de l’air « habituelle » alors qu’il est, dans le même temps, soumis à des effluves extrêmement malodorants, qu’il ressent des irritations, des nausées et des maux de tête ?

Face aux crises, l’État ne peut pas avoir raison tout seul, notamment parce que ces crises sont complexes et que l’État central ne saurait, par nature, avoir une complète connaissance du terrain, au contraire des associations et des collectivités. Nous avons besoin de cette subsidiarité.

La France dispose d’associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, qui exercent une mission de service public aux côtés de l’État, et leur caractère professionnel est avéré. Pourquoi laisser de côté la parole de ces associations expertes ? Madame la ministre, que comptez-vous faire pour développer la culture du risque, notamment en intégrant mieux les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa), comme vous y invite la commission d’enquête ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Même si la gestion de crise ne relève pas directement de mon ministère, nous devons clairement progresser sur l’information et la communication, ce qui suppose sans doute également d’améliorer la prévention et la culture du risque hors événements de crise. Tel est l’objectif de la mission pluridisciplinaire, que je souhaite lancer à la rentrée.

Je partage tout à fait vos propos, monsieur le sénateur, sur l’importance d’associer les associations agréées à la surveillance de la qualité de l’air. C’est bien ce qui a été fait en l’occurrence puisque, lors de l’incendie, l’association régionale Atmo Normandie a été sollicitée pour participer à cette surveillance. Cette association a décidé de suspendre la diffusion de son indice qui, de fait, cible des polluants comme le dioxyde de soufre, le dioxyde d’azote, les particules PM10 et l’ozone, qui ne sont pas réellement représentatifs des substances émises pendant l’incendie. Je le conçois, cette décision a pu sembler inquiétante.

Le Gouvernement va continuer à travailler en lien étroit avec les Aasqa, afin de déterminer la meilleure voie pour communiquer sur la qualité de l’air en cas d’accident industriel. Je suis convaincue que ces associations ont un rôle important à jouer dans la mise en place de mesures spécifiques de prélèvements de l’air à la suite d’un incendie.

Vous savez que les exploitants de sites Seveso, qui ont un plan d’opération interne, seront appelés à identifier davantage les moyens permettant de mener des analyses précises sur des substances préidentifiées. Nous allons devoir renforcer le réseau des intervenants en situation post-accidentelle (RIPA), qui a pu effectuer rapidement des prélèvements, mais dont les résultats ont été connus assez tardivement. Je pense donc que les Aasqa auraient toute leur place et un rôle à jouer pour renforcer le RIPA.