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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

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Dette sociale et autonomie

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi organique et d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi organique et du projet de loi, adoptés par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatifs à la dette sociale et à l’autonomie (projets nos 655 et 656, résultats des travaux de la commission nos 660 et 661, rapport n° 659).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la ministre déléguée, à qui nous souhaitons la bienvenue dans cet hémicycle pour l’examen de son premier texte. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)

 
 
 

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de l’examen de ces textes en première lecture, députés et sénateurs se sont entendus pour créer une cinquième branche de la sécurité sociale et permettre à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) d’emprunter de nouveau. Néanmoins, malgré des rapprochements et un souci commun, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à s’accorder sur un texte identique.

Je reviens donc devant vous en nouvelle lecture. Même si je comprends que l’examen des deux projets de loi sera raccourci, je souhaiterais dire quelques mots sur l’ambition pour l’autonomie que porte ce projet de loi.

Cette ambition résulte en partie d’un amendement introduit par les parlementaires, qui visait à créer la cinquième branche de la sécurité sociale. J’ai suivi les débats qui se sont tenus dans cette chambre en première lecture et je comprends votre exigence visant à ce que cette disposition soit non pas seulement un effet d’annonce, mais bien la première pierre d’un grand projet.

Cette création était attendue depuis longtemps. Je pourrais même dire qu’elle était évoquée depuis maintenant trois législatures. Vous reconnaîtrez que c’est là un tournant dans l’histoire de la sécurité sociale.

Comme en 1945, quand il avait été décidé de créer une assurance sociale publique contre le risque de maladie ou d’accident du travail, le choix est aujourd’hui fait d’une nouvelle assurance publique contre ce qui est devenu un nouveau risque, auquel tous les Français peuvent être amenés à faire face.

Les chiffres sont sans appel, et je sais que sur ces travées vous les connaissez. Ils ont été récemment rappelés lors des travaux conduits l’année dernière par le sénateur Bernard Bonne et la sénatrice Michelle Meunier : en 2040, près de 15 % des Français, soit 10,6 millions de personnes, auront 75 ans ou plus. C’est deux fois plus qu’aujourd’hui !

La création de cette branche permettra, d’abord, de donner toute la visibilité aux parlementaires, dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, sur son équilibre financier – je comprends que vous y serez vigilants.

Pour autant, cette création n’est pas un point d’orgue, c’est bien le début du projet.

Une mission vient d’être lancée, et elle rendra son rapport en septembre pour que toutes les conséquences en termes de financement et de gouvernance de la branche puissent être tirées dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, au bénéfice de débats parlementaires éclairés.

Je salue d’ailleurs, à cette occasion, les amendements qui ont permis de clarifier les modalités de consultation permettant d’élaborer ce rapport. Il est en effet essentiel que l’ensemble des acteurs soient associés à la concertation, afin que soit trouvée une solution de consensus pour dégager au moins 1 milliard d’euros dès 2021, comme s’y est engagé le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, en première lecture.

Je ne veux pas être trop longue, mais il me faut rappeler que ce texte est aussi une opération de bonne gestion, qui permet à la sécurité sociale de se refinancer sans s’exposer à un risque de taux ou de liquidité sur les marchés financiers. C’était même là son objectif principal.

Avant de conclure, j’aimerais dire quelques mots sur la règle d’or, point sur lequel la commission mixte paritaire a échoué.

Le Gouvernement a bien entendu la volonté d’encadrer les finances sociales, pour éviter que ne se reproduisent des déficits qui seront, demain, la dette de nos enfants. Néanmoins, pour bien fonctionner, une règle d’or doit être crédible. Et pour assurer cette crédibilité, il faut un horizon d’équilibre. Aujourd’hui, et c’est la position que nous retenons, l’incertitude est trop forte et il est trop tôt.

Le deuxième point d’achoppement, c’est la reprise de la dette hospitalière. Elle a été supprimée lors de l’examen dans cette chambre en première lecture, ce qui réduit de 13 milliards d’euros la marge d’investissement qui a été annoncée dans le cadre du Ségur de la santé.

En réalité, le déficit de l’assurance maladie et celui de nos hôpitaux sont liés – les économies de l’une ne peuvent se transformer en déficits des autres. C’est aussi cela que la reprise de cette dette traduit aujourd’hui.

Enfin, le troisième point qui sera certainement abordé lors de la discussion générale concerne l’isolement de la « dette covid ». Le ministre l’avait dit lors de sa présentation, le traitement de cette dette est une question complexe, et encore largement débattue parmi les économistes, y compris les plus grands spécialistes des finances publiques. Le Premier ministre a indiqué lors de sa déclaration de politique générale vouloir en discuter avec les partenaires sociaux. Rien dans ce texte ne fait obstacle à l’isolement de la « dette covid », mais, en tout état de cause, il s’agit de répondre à l’urgence, ce qui a toujours guidé notre action.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais vous faire part de mon état d’esprit, deux semaines après ma nomination en tant que ministre déléguée chargée de l’autonomie.

Comme je le rappelais hier à l’Assemblée nationale, mon ambition, qui est celle du Gouvernement, est simple, mais elle se veut forte : préserver le libre choix et surtout la dignité de nos compatriotes âgés.

Vous en êtes conscients : la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées et le soutien dû à ces dernières nous concernent toutes et tous, soit parce que nous connaissons un proche, un parent, affecté par cette perte d’autonomie, soit parce que, avançant en âge, nous nous posons des questions légitimes liées à cette dernière tranche de vie. Ce qui est en jeu est assurément humain, affectif et moral. Car c’est dans le sort qu’elle réserve, dans la place qu’elle donne, dans la considération qu’elle porte aux plus humbles, aux plus vulnérables, aux plus fragiles, que se mesure la valeur morale et humaine d’une société.

Je suis convaincue que nous sommes en mesure de nous rassembler autour de cette belle ambition pour notre pays. Et je sais par avance que le Sénat, compte tenu de son lien charnel avec les territoires, de son expertise sur le sujet et surtout de l’exigence qui le caractérise, saura contribuer à enrichir ce beau projet par-delà les clivages partisans. Comptez donc sur moi, mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous y associer à chaque étape. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je suis heureux de vous saluer, madame la ministre, car, étant tous deux élus du même département, nous avons quelques accointances. Pour autant, je ne partage pas l’ensemble de vos propos, ce dont je vais m’expliquer.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous faut donc débattre à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun aux deux assemblées. Croyez bien que nous regrettons cet échec, lequel n’est pourtant pas la marque d’un désaccord global, puisqu’il y avait des convergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Pour ce qui concerne le volet relatif à l’autonomie, dont vous êtes chargée, les deux assemblées ont approuvé la création à venir d’une « cinquième branche » de la sécurité sociale. Néanmoins, le Sénat souhaite qu’il y ait un véritable contenu derrière ce nom, en termes tant financiers que d’organisation. Nous attendons donc avec impatience les conclusions du rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement avant le 15 septembre.

Nous notons également avec satisfaction que l’Assemblée nationale a retenu, en nouvelle lecture, les améliorations apportées par le Sénat afin de mieux encadrer le contenu du rapport et les consultations préalables à sa rédaction.

Pour ce qui concerne la dette sociale, je rappelle que le Sénat a approuvé l’essentiel du dispositif.

Nous avons ainsi approuvé, d’une part, le transfert à la Cades des dettes passées et à venir, jusqu’en 2023, de la sécurité sociale, dans la limite d’un montant de 123 milliards d’euros. Cela fait d’ailleurs plusieurs années – M. Jean-Noël Cardoux en est un témoin privilégié – que nous plaidons pour ce transfert, en soulignant qu’il n’est pas sain de laisser porter un déficit important par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) sous forme de découvert ; elle n’est en effet pas autorisée à emprunter autrement.

Nous avons approuvé, d’autre part, le report de la date limite d’extinction de la dette sociale au 31 décembre 2033, au lieu de 2024 comme cela était envisagé jusqu’à présent.

Néanmoins, notre commission a dû constater qu’à côté de ces points d’accord, l’Assemblée nationale avait rétabli en nouvelle lecture sa version sur les deux points majeurs de divergence qui ont conduit à l’échec en commission mixte paritaire.

Ainsi, à l’article 1er du projet de loi ordinaire, l’Assemblée nationale a réintroduit la prise en charge par la Cades d’une fraction de la dette des hôpitaux représentant un montant de 13 milliards d’euros.

Or le Sénat s’était fermement, et presque unanimement, opposé à ce dispositif pour des raisons de fond que je rappelle brièvement : les hôpitaux ne sont pas la propriété de l’assurance maladie – on peut le regretter, mais c’est un autre sujet –, qui n’assure pas davantage la gestion de ces établissements. En outre, l’essentiel de la dette hospitalière provient d’investissements immobiliers lancés, notamment dans le cadre des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, sur l’initiative de l’État.

Une telle situation créerait enfin, à nos yeux, un précédent dangereux qui pourrait être utilisé à l’avenir pour transférer n’importe quoi à la Cades, ce qui n’a pas échappé, semble-t-il, au Gouvernement, à en croire certains articles de presse. Il pourrait d’ailleurs être utile que le Conseil constitutionnel précise si un tel transfert de dette d’une personne autre que la sécurité sociale est bien compatible avec le principe constitutionnel d’équilibre financier de la sécurité sociale.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des affaires sociales et le Sénat dans son ensemble ont considéré qu’il appartenait à l’État d’assumer lui-même le coût de sa promesse, de l’automne dernier, de reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux, que nous ne contestons pas, et non à la sécurité sociale par l’intermédiaire de la Cades.

Par ailleurs, au sein du projet de loi organique, l’Assemblée nationale a supprimé l’article 1er bis, que nous avions introduit afin d’encadrer les lois de financement de la sécurité sociale par une « règle d’or » à compter du projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2025. Vous avez dit que c’était « prématuré ». Non ! Si une règle d’or glissant sur cinq ans devait être prématurée en 2025, ce serait à désespérer de la capacité de notre pays à se redresser dans les cinq ans qui viennent… Au contraire, nous donnions au Gouvernement la possibilité de réguler les dépenses de la sécurité sociale avec un atout maître, le retour à l’équilibre entre 2025 et 2029.

Sans en détailler de nouveau le mécanisme, je vous rappelle qu’il s’agissait de poser le principe d’un équilibre des comptes sociaux. Nous trouvons très regrettable que, en refusant ce principe, dont nous étions prêts à débattre des modalités pratiques, l’Assemblée nationale ait suivi le Gouvernement.

On peut en effet se demander si l’extinction de la dette sociale demeure réellement un objectif pour l’Assemblée nationale. Je ne mets pas en cause le Gouvernement. Il semble en effet paradoxal que le Premier ministre ait réaffirmé devant le Sénat, la semaine dernière, son souhait que les partenaires sociaux se saisissent, avec l’État, « des questions liées à l’équilibre de l’ensemble des régimes de protection sociale ». Si ce n’est pas une règle d’or, qu’est-ce donc ?

Dans ces conditions, la commission des affaires sociales n’a pu que constater le caractère irréconciliable des divergences qui subsistent entre les deux assemblées et proposera donc au Sénat d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable aux deux projets de loi dont nous débattons. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la première lecture, j’avais eu l’occasion de présenter au nom de mon groupe une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité constitutionnelle, car ce texte remet en cause l’autonomie de la sécurité sociale.

Nous continuons à penser que ces deux projets de loi, organique et ordinaire, remettent en cause les fondements de la sécurité sociale. Cette étape supplémentaire vers une transformation de la « sécu » en filet de sécurité dépourvu de lien avec notre pacte social républicain est extrêmement grave.

Derrière ces textes de loi, nous avons en réalité deux lois budgétaires à examiner.

Tout d’abord, sur le transfert de 136 milliards d’euros à la Cades, nous contestons, avec la majorité du Sénat, le choix du Gouvernement de faire prendre en charge par cette caisse le financement d’un tiers de la dette des établissements de santé. Selon nous, la sécurité sociale n’a pas à assumer la dette des hôpitaux, qui provient principalement des investissements immobiliers.

En effet, lorsque le précédent gouvernement avait annoncé une reprise de la dette, il n’avait pas mentionné que la dette reprise serait transférée à la Cades.

La confusion que vous organisez, de plus en plus, entre le budget de l’État et celui de la sécurité sociale nous pose problème. Elle conduit en tout cas à un changement de l’organisation institutionnelle de notre pays, et cela mérite un débat plus poussé que celui que nous avons eu. La dette créée par la crise du covid-19 aurait dû appeler un débat budgétaire plus approfondi.

De la même manière, je rappelle notre opposition à la tentative de la droite sénatoriale d’insérer une « règle d’or » dans les comptes sociaux pour les prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Alors que nous avons pu constater l’importance de notre modèle de protection sociale lorsqu’il a fallu prendre en charge le chômage partiel des entreprises, mais également les faiblesses des hôpitaux auxquels on a imposé depuis vingt ans des budgets inférieurs aux dépenses, imposer une règle d’or reviendrait à sanctuariser l’austérité dans les dépenses sociales et donc à grignoter encore davantage sur les droits acquis.

En exonérant les entreprises du paiement des cotisations sociales, d’un côté, et en limitant les dépenses, de l’autre, vous allez réduire mécaniquement les prestations sociales versées dans notre pays. Alors même que l’Union européenne a décidé, face à la crise, de laisser de côté les déficits des États, la droite sénatoriale veut transposer le modèle européen d’austérité dans notre sécurité sociale.

Non seulement c’est complètement décalé, mais en outre, la droite sénatoriale devra assumer ce choix politique qui consiste à réduire les prestations de santé, les prestations familiales et les pensions de retraite et, plus généralement, l’ensemble des droits pour lesquels nos concitoyens ont cotisé. C’est elle qui sera responsable, demain, des lits supprimés, et des services fermés à cause de sa règle d’or !

Alors que le ralentissement économique entraîne une chute des rentrées de cotisations sociales, il y a urgence à dégager de nouvelles recettes plutôt que de fermer le robinet des prestations sociales.

Nous avons de nombreuses propositions de recettes, mais vous refusez d’ouvrir le débat sur l’efficacité des exonérations de cotisations sociales.

Plutôt que de faire peser le remboursement des 136 milliards d’euros sur les assurés sociaux par la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), on aurait pu imaginer un financement de la perte d’autonomie par les entreprises, en particulier celles qui font des milliards d’euros de bénéfices sur le dos de nos aînés.

Le deuxième volet de la réforme est une véritable opération de communication.

Alors que la crise sanitaire a démontré l’importance d’une intervention publique pour les personnes en perte d’autonomie dans les Ehpad ou à domicile, vous proposez une cinquième branche de la sécurité sociale sous-financée, qui ne permettra pas de réduire le reste à charge des familles.

En effet, la perte d’autonomie des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées devrait être prise en charge à 100 % par la sécurité sociale et gérée par la branche assurance maladie.

Selon nous, il y a véritablement urgence à créer un grand service public national de la perte d’autonomie et de l’accompagnement, incluant les établissements médico-sociaux et les aides à domicile, qui aurait vocation à revaloriser tous ces métiers effectués majoritairement par des femmes dans une grande précarité.

En 1945, gaullistes et communistes ont décidé de créer la sécurité sociale ; soixante-quinze ans plus tard, ce système a encore démontré toute sa pertinence.

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans surprise, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 8 juillet dernier n’a pu s’accorder sur les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale et à l’autonomie.

On peut relever deux points de divergences majeurs, l’un concernant la reprise d’un tiers de la dette hospitalière par la Cades, pour un montant de 13 milliards d’euros, et l’autre la règle d’or appliquée aux finances de la sécurité sociale.

En première lecture, le Sénat a validé une grande partie de la reprise de la dette sociale par la Cades. Ce transfert nécessite une prolongation de neuf ans du versement de la CRDS pour résorber les déficits des comptes sociaux. Reporté de 2024 à 2033, du fait de la crise, il devrait produire 90 milliards d’euros.

Les projets de loi que nous examinons prévoient de transférer 136 milliards d’euros de dette à la Cades, dont 92 milliards au titre des déficits prévisionnels des quatre ans à venir et 13 milliards de dette hospitalière.

Dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons, nous comprenons la prolongation de la résorption des déficits sociaux. La reprise d’un tiers de la dette hospitalière a été annoncée par l’État avant la crise sanitaire.

Nous partageons l’avis du président et du rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, selon lesquels il s’agit essentiellement d’une dette liée à des investissements immobiliers, tandis que le rôle de la Cades concerne l’apurement des déficits de la sécurité sociale ; on sort donc là du champ de prérogatives de cette caisse.

Par ailleurs, nous sommes opposés au détournement de la CRDS, dont l’existence n’a pas vocation à être pérennisée au-delà des conséquences économiques de la crise sanitaire que nous traversons.

Autre point clivant, la règle d’or instaurée par le Sénat à partir de 2024 devrait permettre de garantir un solde cumulé positif ou nul sur cinq ans, pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Dans la mesure où il s’agit d’un système souple autorisant les dépassements en cas de circonstances exceptionnelles, nous y sommes favorables.

Il nous faut néanmoins rappeler que les efforts de maîtrise des dépenses demandés aux hôpitaux ces dernières années étaient trop importants au regard des objectifs fixés par l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam).

Ce texte permet aussi d’ouvrir la voie à la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale consacrée à la perte d’autonomie et à la dépendance, que l’on appelle le « cinquième risque ».

La remise, fin septembre, au Parlement d’un rapport relatif à la dépendance des personnes âgées et handicapées permettra d’inscrire cette réforme dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. C’est la consécration d’un fléchage financier spécifique de la sécurité sociale pour la dépendance.

Force est de constater que les besoins financiers en la matière sont grandissants. Il faut donc les anticiper. En 2040, selon les prévisions, 14,6 % de la population aura plus de 75 ans, contre un peu plus de 9 % en 2015. Bâtir cette cinquième branche relève d’une nécessité humaine et sociale. C’est même un véritable enjeu pour nos sociétés que d’accompagner le vieillissement et la dépendance. Il s’agit d’une véritable mesure de solidarité intergénérationnelle.

En parallèle se pose désormais la question de son financement. Il est proposé dans le rapport Libault de prolonger la CRDS au-delà de 2024 pour financer la politique du grand âge et la perte d’autonomie.

Monsieur le rapporteur général, s’il comprend la position de la commission des affaires sociales, le groupe Les Indépendants est cependant rarement favorable à l’adoption d’une motion de rejet préalable, laquelle nous prive du débat parlementaire. Aussi nous abstiendrons-nous sur cette motion.

Par ailleurs, je vous souhaite, madame la ministre, une pleine réussite dans vos nouvelles fonctions.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Noël Cardoux. Madame la ministre, en écoutant votre première intervention, que je salue également, je me suis demandé si l’on n’avait pas changé de texte ! (Sourires.) En effet, la première chose que vous nous avez dite était que le Sénat avait adopté une cinquième branche de la sécurité sociale. Or, au départ, ce sujet n’avait rigoureusement rien à voir avec les textes que nous étudions aujourd’hui. C’est encore une façon d’afficher des intentions, sans qu’il y ait grand-chose derrière !

Par ailleurs, vous dites que le Sénat a approuvé la création de la cinquième branche, mais il l’a fait du bout des lèvres. J’avais présenté un amendement visant à moduler cette dimension d’affichage, qui a été rejeté de justesse. En effet, les sénateurs se sont entendus pour affirmer que cette cinquième branche n’était qu’une coquille vide, dotée, à l’automne, d’une aumône de 1 milliard d’euros, le transfert de CRDS étant reporté de trois ans ; bref, on n’en connaissait ni le support ni le financement.

Je voulais donc rétablir, dans mon propos introductif, la vérité. L’objet du texte n’était pas, à l’origine, de créer une cinquième branche de la sécurité sociale ; il s’agissait tout simplement – le rapporteur général l’a rappelé – de prolonger la Cades et de transférer à cette dernière une dette de 123 milliards d’euros.

M. Jean-Noël Cardoux. En effet, pendant des années, on a accumulé, à l’Acoss, un stock de dette et nous avons attiré, à maintes reprises, l’attention des différents ministres sur le risque que ce genre de pratique pouvait occasionner. Malheureusement, avec la crise sanitaire, la bulle a explosé et nous ne pouvions pas faire autrement que d’approuver cette opération de pure gymnastique d’orthodoxie financière, afin de rétablir les comptes de l’Acoss. Voilà pourquoi le Sénat a suivi le Gouvernement ; c’était incontournable.

De là à dire que la commission mixte paritaire a échoué de justesse, je pense qu’il s’agit, là encore, d’une extrapolation un peu osée. Les précédents orateurs l’ont souligné – je n’y reviendrai donc pas –, les deux sources principales de désaccord sont ce transfert de 13 milliards d’euros de dette hospitalière et la non-approbation de la règle d’or.

Je reviens rapidement sur la dette hospitalière. Le rapporteur général a expliqué pourquoi, selon lui, ce n’était pas à la Cades, c’est-à-dire à la sécurité sociale, de l’absorber et je partage son opinion. Je constate simplement que, depuis nos débats, le Ségur de la santé, qui devait trouver des solutions, tout à fait justifiées et que tout le monde attendait, concernant la revalorisation des rémunérations des soignants, qui l’avaient amplement méritée, s’est pour l’instant soldé par des conclusions purement financières en faveur de ces agents.

Ainsi, même si le ministre Véran a affiché 30 ou 33 propositions relatives à la réforme du système de santé, on reste, pour l’instant, dans l’expectative. Pourtant, je le rappelle, la réforme de la santé implique des réformes de fond, car notre système est certainement le plus administré d’Europe, puisqu’il est suradministré. Par conséquent, les mesures qu’il faudrait prendre consisteraient à donner un gros coup de balai dans les tâches totalement inutiles et administratives, qui avalent 25 % du temps du personnel.

Or, pour l’instant, on n’a que des promesses, des projections, alors que la reprise de cette dette hospitalière de 13 milliards d’euros aurait dû être la contrepartie d’une proposition ou d’un projet de votre gouvernement, reposant sur une réforme en profondeur du système de santé. Naturellement, si vous nous aviez convaincus de la pertinence de cette réforme, nous aurions approuvé que l’on cantonne ces 13 milliards d’euros au sein de la « dette covid », comme le Premier ministre l’a envisagé lors de son discours de politique générale ; mais nous attendons un peu plus de précisions…

Pour ce qui concerne la règle d’or, à laquelle nous tenons et qui est, telle que nous l’avons conçue, relativement souple, on nous répond que c’est très bien, mais on ajoute toujours « plus tard ! » J’appelle l’attention des uns et des autres sur le fait que, dans le troisième projet de loi de finances rectificative, qui a été approuvé, figurent des mesures d’exonération de charges sociales sur les salaires supérieurs à 1,6 SMIC, si ma mémoire est bonne.

Or cela va, encore une fois, amputer les recettes de la sécurité sociale et on ne sait pas si le Gouvernement prendra l’engagement de les compenser. Nous attirons l’attention des gouvernements sur ce problème depuis des années. Bien sûr, on nous dira : « on verra », mais, dans l’immédiat, j’affirme que cette règle d’or était, avec l’ampleur des marges de manœuvre qu’elle offrait, de nature à éviter le risque d’absence de remboursement par l’État des exonérations de cotisations, qui sont du reste tout à fait justifiées par la crise économique que nous vivons.

Ainsi, sur cette cinquième branche de la sécurité sociale, sur cette restructuration du système de santé, sur la règle d’or et sur l’équilibre des comptes sociaux, nous vous écoutons, madame la ministre, car les déclarations comportent de bonnes intentions, mais nous attendons toujours les actes.

Compte tenu de ces observations et des propos du rapporteur général, le groupe Les Républicains votera pour la motion de la commission tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)