Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Très bien !

M. Claude Malhuret. La France y échappe pour l’heure et c’est une bonne chose. Souhaitons qu’elle garde cette sagesse malgré les épreuves, malgré la profusion des Diafoirus télévisés qui se succèdent et se contredisent, malgré les fanatiques qui tuent au hasard et, sans doute, continueront de le faire.

Souhaitons que la corde tendue à l’excès ne vienne pas à se rompre. Il y faudra beaucoup d’efforts, de patience, de courage. Mais c’est l’avenir de notre société qui est en jeu, notre façon de vivre ensemble, notre démocratie. Puissions-nous, tous ensemble, en prendre soin. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nos premières pensées et nos premiers mots vont aux victimes du barbare attentat islamiste de Nice. Nous adressons toutes nos condoléances à leurs familles et à leurs proches.

Dans le climat particulièrement lourd qui pèse sur notre pays, monsieur le Premier ministre, vous vous livrez à un exercice quelque peu étrange. Vous venez consulter le Parlement sur des décisions déjà prises par le pouvoir exécutif. La concertation n’est décidément pas votre fort ! Le spectacle affligeant de la réunion avec les chefs de partis et les présidents de groupes parlementaires, mardi dernier, en est le triste exemple. Ce qui était compréhensible au printemps, dans l’urgence, ne l’est plus six mois plus tard.

Le 14 juillet dernier, le Président de la République déclarait lors de son interview : « Nous serons prêts en cas de deuxième vague de l’épidémie. » Force est de constater que nous ne sommes pas prêts, que vous n’êtes pas prêts.

Faute de plan de bataille, faute de réponse graduée, faute de stratégie, faute de transparence, faute de concertation, vous en êtes réduit à imposer de nouveau le confinement. Nous ne remettons pas en cause ce choix,…

M. Jean Castex, Premier ministre. Il faudrait savoir !

M. Guillaume Gontard. … car la situation sanitaire l’exige.

Il faut protéger les Françaises et les Français en limitant la propagation du virus. Il faut soulager nos soignantes et nos soignants, particulièrement éprouvés cette année.

Vous ne nous ôterez pas de l’esprit que ce reconfinement signe l’échec de la méthode de l’exécutif. Rares sont ceux qui rêvent de gouverner la France dans une telle période, et je ne peux prétendre que nous aurions mieux maîtrisé la propagation du virus si nous assumions ces responsabilités à votre place.

M. Jean Castex, Premier ministre. Bravo !

M. Guillaume Gontard. Mais ce dont je suis certain, monsieur le Premier ministre, c’est que nous ferions différemment.

L’union nationale ne se décrète pas, elle se construit. Dans les mois d’accalmie de la pandémie, vous auriez dû associer toutes les forces politiques à la prise de décision, à l’élaboration de la stratégie d’endiguement du virus. Le risque est élevé que la crise sanitaire dure au moins jusqu’à l’été. Après dix-huit mois de pandémie, rien ne reviendra totalement comme avant.

Il est indispensable d’associer la représentation nationale à la définition du cadre juridique pérenne permettant de faire face à la situation sanitaire, tout en protégeant les libertés individuelles. Il est indispensable d’en finir avec les ordonnances à répétition. Malheureusement, le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire que nous examinerons dans quelques heures ne va pas du tout dans ce sens.

Le Parlement doit retrouver toute sa place. Il est dans votre intérêt, dans notre intérêt collectif, d’associer réellement l’opposition aux prises de décisions. Encore moins que d’habitude, l’exécutif ne peut avoir raison tout seul.

La période actuelle illustre les fragilités de la VRépublique. Vous me permettrez de voir dans la meilleure résistance de l’Allemagne à la crise l’efficacité d’un régime parlementaire reposant sur un véritable équilibre des pouvoirs, sur la concertation et l’efficacité d’un régime fédéral associant réellement les territoires à la prise de décisions.

En la matière, vous auriez dû associer beaucoup plus étroitement les élus locaux. Le couple maire-préfet fonctionne inégalement selon les territoires et la coordination entre les différents échelons – État, villes, intercommunalités, régions, départements – reste à construire. En l’absence d’un État stratège, il est heureux que les associations d’élus, par exemple France Urbaine, aient permis d’assurer ce lien afin de favoriser les échanges et le partage d’expériences, indispensables à la gestion de la crise.

Hélas, la consultation des territoires préalablement à la prise de décisions d’ampleur nationale, comme celles que vous présentez aujourd’hui, est inexistante. Cela ne peut plus durer ! Pour faire face au virus et mobiliser toute la Nation, il faut définir collectivement notre cap et construire ensemble les solutions.

Sachez que les écologistes, au Parlement ou dans les territoires qu’ils dirigent, seront, dans ce contexte, toujours disponibles pour accompagner le Gouvernement, pour réfléchir collectivement aux meilleures solutions, pour construire du compromis et assumer des décisions prises collectivement. Dans cette perspective, nous formulons un certain nombre d’exigences.

Le confinement est avant tout la conséquence de la fragilité de notre hôpital public : 100 000 lits ont été supprimés en vingt ans. Le Ségur de la santé marque, certes, un coup d’arrêt à cette hémorragie, mais avec 4 000 lits annoncés, nous sommes encore très loin du compte.

Vous avez annoncé 15 000 créations d’emploi, là où les hôpitaux et les Ehpad auraient besoin de 200 000 recrutements supplémentaires.

À l’hôpital, les logiques comptables et managériales n’ont pas été remises en cause. Monsieur le Premier ministre, ce reconfinement vous oblige à revoir la copie du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Par ailleurs, il est plus que temps de mettre en œuvre un plan d’urgence sociale digne de ce nom. La crise économique résultant du confinement du printemps a mis près d’un million de Français au chômage et fait basculer dans la pauvreté des centaines de milliers de personnes.

Les mêmes causes produiront les mêmes effets et un effort d’une ampleur sans précédent doit être déployé. Il faut abroger la réforme de l’assurance chômage, augmenter les minimas sociaux, automatiser leur versement, élargir le revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans, déployer les chèques alimentaires, rétablir les contrats aidés, aider les associations et tendre demain vers un revenu universel.

M. Guillaume Gontard. Pour faire face à la crise, le secteur du réemploi solidaire est indispensable, et vous devez l’accompagner.

Nous vous demandons également de faire preuve d’une vigilance accrue à l’égard de tous les publics exposés par le confinement : les personnes seules, celles qui sont psychologiquement fragiles, les victimes de violences conjugales et tout particulièrement les femmes.

Le volet social était presque absent de l’effort de relance ; cela ne peut plus être le cas. La crise dure et votre réponse doit être à la hauteur, notamment pour l’éducation. Les professeurs et les instituteurs sont aussi en première ligne, et le dispositif semble insuffisant. Il faut des moyens humains, des équipements, des masques pour enfant, des outils pédagogiques pour construire la complémentarité entre distanciel et présentiel. Il convient également d’accompagner financièrement les communes dans ce casse-tête logistique.

Pour financer cet effort national sans précédent, les hauts revenus doivent être mis à contribution. Enfermé dans votre idéologie, vous vous y refusez depuis le printemps. Pourtant, c’est indispensable d’un point de vue comptable, car les dettes de l’État et des comptes sociaux ne peuvent pas être la seule source de financement de l’effort actuel. C’est également indispensable d’un point de vue moral pour garantir l’unité du pays.

Il convient de mettre en place une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, dont la richesse s’accroît encore malgré la crise. Comment comprendre que le CAC 40 verse encore 30 milliards d’euros de dividendes aux actionnaires d’entreprises quand celles-ci bénéficient d’aides publiques ? Il est nécessaire d’exiger des contreparties sociales et environnementales de la part de toutes les entreprises qui reçoivent des aides publiques ou bénéficient de réduction d’impôts. Il faut, aussi, une contribution exceptionnelle des grandes surfaces…

Mme Sophie Primas. N’importe quoi !

M. Guillaume Gontard. … et des géants de la vente en ligne au bénéfice des petits commerçants obligés de fermer pendant le confinement.

Enfin, et ma conclusion ne vous étonnera pas, il est impensable que la crise actuelle oblitère la crise écologique. Le Président de la République n’en a pas dit un mot hier, ce qui est à la fois révélateur et inquiétant. Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ne sauraient davantage être abandonnées, délayées ou diluées.

Cela est d’autant plus vrai que le projet écologiste est la réponse la plus probante à la crise actuelle. Relocaliser l’activité dans les territoires, accroître leur résilience, développer les circuits courts, réduire la pression démographique dans les métropoles sont autant de perspectives pour diminuer les inégalités, mieux respecter notre environnement et limiter la propagation du virus.

Considérant tout à la fois les manques de votre plan, l’absence de concertation et les exigences de la situation, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires choisira une abstention exigeante. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je veux que mon intervention soit sobre et confiante.

Je ne suis pas convaincu que les nombreuses critiques entendues depuis ce matin soient à la hauteur de la gravité de la situation que nous connaissons. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. C’est facile !

M. François Patriat. Qui a dit ici que la France était le pays qui avait le mieux traité les plus faibles pendant la crise du covid ? Personne ne l’a rappelé, et c’est pourtant la vérité !

Permettez-moi, d’abord, d’exprimer au nom de mon groupe un message de soutien ému aux familles des victimes de l’attentat terroriste survenu à Nice. J’adresse également mes pensées aux forces de l’ordre prises pour cible à Avignon, ainsi qu’à nos représentations diplomatiques, l’une d’entre elles ayant été attaquée ce matin. Je le disais hier, ces terroristes ne mettront jamais à terre ce à quoi nous croyons : nos valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité.

Mes chers collègues, nous vivons le temps de l’angoisse, de l’incertitude économique et sanitaire ainsi que du risque terroriste. Le sang-froid de la Nation est mis à rude épreuve. Le Gouvernement nous invite à réagir et à agir : nous le ferons, la France le fera.

Cette période inédite, l’exécutif, avec l’ensemble des Français, l’affronte et continuera de l’affronter avec détermination et pragmatisme. La gravité de la situation exige retenue, responsabilité et engagement.

Chacun a rappelé l’état dramatique de la situation sanitaire. Le virus se multiplie partout à grande vitesse, personne ne le conteste. Plus de la moitié des lits de réanimation sont occupés par des concitoyens touchés par le covid. Si rien n’est fait, les services de réanimation connaîtront dans quinze jours le même niveau de saturation qu’au printemps dernier, et nous aurons peut-être à déplorer près de 400 000 morts.

L’Europe tout entière est victime d’une nouvelle déferlante. L’ampleur de cette vague a surpris tout le monde, y compris la communauté scientifique.

Je n’ai jamais entendu les prédicateurs de tout poil prévoir ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui. Certains disaient qu’il y aurait une deuxième vague, mais beaucoup d’autres qu’elle ne surviendrait jamais, que le virus avait muté, qu’il était moins toxique et moins dangereux, que les traitements étaient meilleurs… De nombreuses opinions contradictoires ont été émises, mais je n’ai pas entendu beaucoup de propositions !

Partout sur notre continent, y compris dans les pays qui semblaient mieux résister à la reprise épidémique, les gouvernements sont contraints de prendre des mesures draconiennes pour casser sans attendre la chaîne de transmission. L’Irlande, le Pays de Galles, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et bien d’autres sont concernés.

Hier soir, la décision de mettre en place un nouveau confinement a été prise avec lucidité par le chef de l’État. J’ai entendu dire que nos concitoyens n’avaient plus confiance… Mais j’ai lu aussi, ce matin, que sept Français sur dix approuvaient les propos du Président de la République et les soutenaient !

La seule mesure à même de protéger les Français est le confinement. Vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, quand la circulation du virus augmente massivement, le Gouvernement réagit massivement. Les décisions proposées s’inscrivent dans cette démarche, avec trois objectifs principaux : la préservation de la santé des Français, l’aide aux plus vulnérables, le soutien à l’activité économique.

Préserver la santé des Français, en évitant la saturation des services hospitaliers ; aider les plus vulnérables, en prolongeant les dispositifs mis en place depuis le début de la crise ; soutenir l’économie en maintenant l’activité partielle et en amplifiant le fonds de solidarité, dispositifs indispensables au maintien de nombreux emplois dans une période incertaine. Certains d’entre nous ont rappelé que ces mesures avaient été importantes. Elles seront amplifiées, le Gouvernement s’y est engagé.

Mes chers collègues, nous partageons le constat fait sur l’ensemble de ces travées : nous devons mieux anticiper l’évolution de la circulation du virus. Mais je ne saurais dénombrer ici les contrevérités que j’ai entendues sur ce sujet…

Prenons les décisions nécessaires, mais sachons faire preuve d’humilité et ne pas exprimer de certitudes sur l’avenir ! Nous devons nous hisser, toutes et tous, à la hauteur des circonstances. Nous ne pouvons transiger avec la vie humaine. C’est la raison pour laquelle, depuis le début de la crise, il a été décidé de placer l’humain avant toute chose.

Encore une fois, la situation requiert la plus grande responsabilité de la part de chacun d’entre nous : de la part de tous les élus, pour que nous ayons des débats constructifs, mais aussi de chaque citoyen, pour que nous ralentissions efficacement la circulation du virus.

Sortons des vaines polémiques ! Refusons les postures dogmatiques et regardons le réel. Nous parlons de la vie et de notre capacité à poursuivre le travail. Cette nouvelle phase doit être préparée avec toutes les inconnues propres à ce fléau sanitaire. La pire des attitudes serait de céder à la critique facile.

Mme Sophie Primas. Il faut dire amen à tout ?

M. François Patriat. La tâche est immense, et c’est la raison pour laquelle ce débat est organisé au sein de la Haute Assemblée.

Loin de « bouder » la représentation nationale, comme je peux l’entendre ici et là, vous l’écoutez et la considérez, monsieur le Premier ministre. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

La règle « des 3 C » – concertation, cohérence, cohésion – doit être appliquée à la lettre.

J’ai entendu moquer la concertation à laquelle j’ai moi-même participé, mardi soir. J’ai entendu beaucoup de critiques sur des sujets qui n’étaient pas à l’ordre du jour, mais aucune proposition autre que celles formulées par le Gouvernement. Aucune ! (Protestations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.) J’y étais et pas vous, mes chers collègues !

La cohérence, ensuite, c’est d’assumer les positions que vous avez défendues depuis le début de la crise, sans changer de braquet par opportunisme, comme certains commentateurs l’ont fait. Jamais votre discours n’a varié.

Il est important de rappeler que, cet été, face à un certain relâchement, la majorité et le Gouvernement, par la voix du ministre de la santé, avaient inlassablement averti du risque de rebond épidémique. Ils ont été peu entendus.

La cohésion, j’y faisais référence précédemment. Sachez, mes chers collègues, que nous serons jugés, quelle que soit notre sensibilité, sur notre capacité à entendre le message délivré par les Français, celui de l’unité nationale. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. L’unité n’est pas l’union !

M. François Patriat. Les réflexes politiciens ne feront qu’ajouter de la crise à la crise, soyez-en tous conscients. Finalement, il convient de rappeler ici à ceux qui nous écoutent que, loin des critiques caricaturales, vous avez œuvré à préparer notre pays à cette reprise épidémique, monsieur le Premier ministre.

Non content d’avoir inlassablement alerté, vous avez reconstitué notre stock de masques et de matériel médical, revalorisé massivement les rémunérations de nos soignants et préparé l’augmentation de nos capacités en réanimation. Il y a aujourd’hui des doses de curare pour 29 000 patients.

Ceux qui affirment aujourd’hui le contraire, par opportunisme politique, ne sont pas à la hauteur. Nous préparons non pas une élection, mais la lutte contre la crise ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Notre groupe sait pouvoir compter sur vous, monsieur le Premier ministre, pour mener notre pays sur la voie du redressement sanitaire, économique et social. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au nom du groupe du RDSE, je voudrais tout d’abord exprimer aux familles des victimes de l’acte ignoble commis ce matin à Nice notre solidarité et notre soutien dans cette épreuve.

Je tiens aussi à exprimer notre reconnaissance et notre soutien sans faille à tous les personnels des hôpitaux et des Ehpad, en première ligne depuis plusieurs mois pour soigner et accompagner les plus vulnérables. Nous connaissons les conditions éprouvantes dans lesquelles ils doivent travailler, avec des moyens limités, mais toujours avec humanité.

Nous leur devons cet hommage car, au-delà des mots bienveillants, ces personnels totalement dévoués et épuisés sont en droit d’être dépités au vu de la situation catastrophique d’aujourd’hui. Le 11 mai dernier, dans cet hémicycle, monsieur le Premier ministre, votre prédécesseur nous expliquait que notre pays était sur un « fil », à quelques jours de la mise en œuvre du déconfinement que vous avez d’ailleurs supervisé. Un fil fragile, dont la solidité dépendait tout autant de notre capacité à tester massivement que des moyens supplémentaires dispensés à notre système de soin ou que du sens civique de chacun.

Cinq mois plus tard, le déconfinement est un échec.

Les annonces du Président de la République, auxquelles nul n’aurait cru en début de semaine, en prennent la mesure, avec des conséquences sur notre mode de vie difficiles à accepter. La circulation du virus est cependant hors de contrôle : les chiffres dépassent le pic du mois de mars ; le nombre de cas, sous-estimé, suit une courbe de progression fulgurante ; le taux d’incidence a atteint des niveaux inédits en très peu de temps. Les projections sont alarmistes, avec une hausse potentielle des hospitalisations de 30 % par semaine selon Santé publique France, alors que les services de réanimation sont déjà pratiquement saturés.

Il faut donc agir, et vite, pour casser cette épidémie qui fait plier bon nombre de sociétés, partout dans le monde. Il sera toujours temps, lorsque nous retrouverons des heures plus apaisées, d’identifier les dysfonctionnements, de souligner les responsabilités et d’en tirer les leçons pour le long terme, mais, pour le moment, je serai très claire, monsieur le Premier ministre : mon groupe estime que la gravité de la situation sanitaire exige d’agir avec force et détermination pour donner à l’État les moyens d’intervenir efficacement.

Notre soutien est commandé par l’intérêt général et l’absolue nécessité de préserver l’unité de la Nation, quels que soient nos attaches partisanes, les régions où nous vivons, ou notre âge, car pointer la responsabilité de nos jeunes dans la résurgence pandémique ou exiger une assignation à domicile quasi permanente des plus âgés n’est pas acceptable. Nous devons faire corps, comme vous l’avez dit.

Bien sûr, cette unité ne signifie ni unanimité irréfléchie ni blanc-seing. Autant il était concevable que les pouvoirs publics fussent dépassés au printemps dernier devant un phénomène inédit, autant cette argumentation n’est plus recevable aujourd’hui. La gravité des mesures annoncées hier soir tient aussi à la tardiveté de décisions qui auraient pu être prises il y a plusieurs semaines.

Partout, dans nos territoires, remontent des informations surprenantes montrant une véritable impréparation des services hospitaliers, malgré des signaux inquiétants depuis plusieurs semaines et les leçons du printemps. Pourquoi certaines ARS ont-elles ainsi attendu le dernier moment pour réarmer des lits de réanimation ? Pourquoi ne pas avoir davantage mobilisé la réserve sanitaire ? Pourquoi ne pas avoir alloué plus tôt les moyens matériels et humains adéquats ?

Monsieur le Premier ministre, par-delà le décompte funeste des contaminations, des admissions en réanimation ou des décès, notre groupe craint que cette crise systémique ne se transforme en une crise historique de confiance des citoyens. La colère a dépassé la résignation, vous ne pouvez l’ignorer. Le terreau, hélas, est déjà fertile. Le fossé entre nos concitoyens et nos institutions ne cesse de se creuser depuis longtemps, sur fond d’angoisses économiques et sociales majeures.

Le flottement ayant précédé les annonces du Président de la République y a encore contribué. Quand cessera donc ce feuilleton quotidien des rumeurs ballons-sondes, décortiquées sur les chaînes d’information par des experts autoproclamés ayant un avis définitif sur tout et n’importe quoi ?

M. Jean Castex, Premier ministre. Il n’y a pas qu’eux !

Mme Maryse Carrère. Nos concitoyens, en particulier ceux qui sont durement touchés sur le plan économique et social, n’en peuvent plus de ce flot de propos anxiogènes et irrationnels qui minent la cohésion nationale. Voyez comment en Italie le mécontentement s’exprime dans la violence !

Ce qui est aussi en jeu, c’est la crédibilité de la puissance publique. Les extrémismes se nourrissent depuis toujours de la perte de confiance envers l’autorité légitime. En ces temps troublés, où le fanatisme religieux nous met au défi et où l’actualité semble sans fin, nous avons besoin d’un État solide, sûr de ses valeurs et de son autorité, dans lequel notre société se reconnaît. À l’évidence, l’impuissance des pouvoirs publics a provoqué l’effet inverse, au moment même où l’exercice de nos libertés publiques est une question fondamentale.

Rebâtir cette confiance passe par un renforcement de la subsidiarité des décisions, en laissant davantage de marges aux préfets et en continuant à faire des élus locaux des interlocuteurs incontournables : ils ont été à la hauteur de la situation ! Cela passe aussi par la restauration d’un dialogue de qualité avec le Parlement en amont des décisions, afin que du débat démocratique et de la concertation jaillisse une meilleure acceptation de décisions aussi lourdes de conséquences.

Rebâtir la confiance, c’est encore ne pas sacrifier le long terme. Oui, la priorité est de vaincre le virus – aujourd’hui, nous en sommes convaincus –, mais pas au prix du sacrifice de notre économie, qui est déjà durement touchée. Je pense en particulier aux petits commerces dits « non essentiels », dont beaucoup ne se relèveront pas ; aux professions indépendantes ; aux salariés qui ne peuvent télétravailler et qui ont été en première ligne durant le printemps. Nous devons tout faire pour les soutenir au nom de l’équité économique et de la justice sociale. Comment peut-on laisser aux grandes surfaces le droit de vendre des produits non essentiels, alors que les petits commerces spécialisés doivent fermer ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Maryse Carrère. Cette iniquité n’est pas acceptable.

Aussi, monsieur le Premier ministre, c’est un soutien de responsabilité que mon groupe vous apportera dans sa grande majorité. De nombreuses questions se posent, et nous souhaitons que le Parlement soit pleinement associé à la définition des réponses que vous apporterez, au nom de la clarté, mais aussi au nom de l’exigence démocratique inhérente à notre État de droit, si durement éprouvé aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en préalable, je souhaite faire part de l’émotion profonde et de l’horreur qui ont saisi les sénatrices et sénateurs de mon groupe à l’annonce de l’attentat commis dans l’église Notre-Dame de Nice.

Face à cet acte barbare, nous apportons notre soutien aux familles, aux proches des victimes, aux élus et à la population de la ville de Nice, une nouvelle fois confrontés à cette violence terroriste. Nous pensons à eux, nous sommes à leurs côtés.

La deuxième vague de l’épidémie est là. Elle est haute, très haute, et si rien n’est fait, elle pourrait nous submerger. Il faut agir vite et fort, c’est une certitude.

Nous ne sommes pas surpris comme en mars dernier, car nombreux furent les scientifiques éminents, à commencer par le président du conseil scientifique, qui avaient annoncé ce risque comme étant une quasi-certitude.

Aujourd’hui, des milliers de nos concitoyens souffrent. Chaque jour, des centaines de personnes décèdent ; chaque jour des centaines d’autres entrent en réanimation à l’hôpital. L’inquiétude est grande dans notre peuple face à cette épidémie mondiale. Mes pensées vont aussi à nos anciens, si exposés au risque, en particulier dans les Ehpad.

Comme en mars, je lance un appel fort à la prudence. Je dis à nos concitoyennes et concitoyens : protégez-vous, respectez les consignes, restez solidaires.

Mes premiers mots iront aussi une nouvelle fois aux soignants. Eux non plus ne sont pas surpris. Ils seront là pour faire face à l’épidémie, car leur sens du devoir est immense, mais ils sont amers. Ils sont en colère car, de toute évidence, ils sont les derniers remparts avec leur fatigue, leur angoisse, face à la maladie qui les frappe durement. Tenez bon, faites votre possible, même si nous savons que votre appel à la reconstruction de l’hôpital et de notre système de santé n’a pas été entendu.

Enfin, alors qu’un nouveau confinement aux contours imprécis a été décidé par le Président de la République, notre pays tiendra. Il tiendra grâce à l’engagement au quotidien de ces salariés de première ligne, ces « premiers de corvée » si peu reconnus par la société, alors qu’ils la tiennent à bout de bras en ces circonstances.

Monsieur le Premier ministre, comment ne pas s’interroger sur le sens de notre débat de cet après-midi ?

Le Président de la République a décidé seul, hier soir, d’une stratégie face à l’épidémie. Mardi dernier, vous nous avez réunis pour entendre vos réflexions, mais sans annoncer la moindre mesure, renvoyant à l’intervention de mercredi soir. Le 16 octobre, je vous avais écrit pour demander un débat sur le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire par décret et la mise en œuvre du couvre-feu. Vous avez répondu par la négative.

Pire, chacun l’a constaté, les mesures annoncées par Emmanuel Macron ont été imprécises sur bien des points et vous devez les détailler lors d’une conférence de presse ce soir à dix-huit heures trente, après avoir fait débattre et voter le Parlement. Ainsi, le Parlement est mis devant le fait accompli. Les erreurs successives ne vous ont pas servi de leçon, pas plus qu’au Président de la République.