compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

M. Daniel Gremillet,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental
Discussion générale (suite)

Conseil économique, social et environnemental

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi organique

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental
Question préalable (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au Conseil économique, social et environnemental (projet n° 129, résultat des travaux de la commission n° 203, rapport n° 202).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici de nouveau réunis pour discuter devant votre assemblée du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Sur les quinze articles de ce texte, sept ont été définitivement adoptés. En effet, plusieurs modifications d’importance proposées par le Sénat ont été entérinées en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale avec le soutien du Gouvernement, notamment en matière de déontologie.

Après des débats si complets en première lecture, il n’est plus nécessaire, je le crois, d’exposer de nouveau le détail de ce projet de loi organique qui a pour ambition de réformer le CESE, réforme que nous nous accordons tous à considérer comme nécessaire.

Je parle d’ambition, car ce projet de loi organique propose effectivement une réforme ambitieuse pour le CESE. Je pense par exemple à la possibilité qui sera offerte à de jeunes citoyens en devenir de prendre part à la réflexion et au débat publics, avec l’ouverture du droit de pétition à partir de l’âge de 16 ans.

Mais je voudrais aujourd’hui revenir plus précisément sur les points qui restent en débat et qui ont conduit votre commission à déposer une motion tendant à opposer la question préalable.

En premier lieu, ce projet de loi organique, en prévoyant la possibilité pour le CESE de recourir au tirage au sort, ne menace en rien la démocratie représentative.

Je l’ai déjà dit, il n’y a ni confusion ni encore moins concurrence entre, d’une part, l’intérêt de recueillir l’avis de citoyens tirés au sort et, d’autre part, l’exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation élus au suffrage universel et qui, seuls, ont la légitimité démocratique.

Renforcer la démocratie participative, ce n’est pas affaiblir la démocratie. Je crois au contraire que, plus nos concitoyens seront associés au débat public, plus la légitimité de ceux qu’ils éliront sera renforcée. C’est le vœu des Français, exprimé à maintes reprises ces dernières années. Nous devons les entendre.

Par ailleurs, et la commission l’a elle-même mentionné, le CESE a déjà eu l’occasion par le passé de procéder à des consultations, en recourant au tirage au sort. Pour autant, et que je sache, cela n’a pas suscité chez nos concitoyens de remise en cause de l’exercice du droit de vote pour élire leurs représentants.

En second lieu, l’article 6 du projet de loi organique, qui donne un effet substitutif à la consultation du CESE, ne va affaiblir en rien les études d’impact.

Nous sommes tous d’accord pour dire que le CESE n’est pas assez consulté, que ce soit par le Gouvernement ou d’ailleurs par le Parlement. Il nous semble que l’une des raisons qui expliquent ce délaissement est la multitude d’organismes consultatifs, qui sont autant de concurrents pour le CESE.

En accordant une place prépondérante au CESE, en cohérence avec celle qu’il tient dans nos institutions républicaines, nous allons lui redonner de l’attractivité. Et cela ne va en rien nuire à la richesse des consultations ou à la clarté de la répartition des compétences entre les différents organismes consultatifs.

Tout d’abord, nous avons la chance, avec le CESE, de regrouper, au sein d’une même institution, des profils et des compétences extrêmement variés qui seront pleinement de nature à assurer un avis d’une grande richesse, comme c’est d’ailleurs déjà le cas.

Ensuite, les discussions que nous avons eues en première lecture ont permis d’affiner le périmètre de l’effet substitutif de la consultation du CESE, tout en préservant la consultation d’instances éminentes comme le Comité des finances locales.

Enfin, la commission des lois de l’Assemblée nationale a apporté en nouvelle lecture une autre garantie qui me paraît essentielle : le CESE pourra toujours consulter, dans le cadre de l’élaboration de ses avis, les instances consultatives compétentes. L’expertise de ces divers organismes pourra donc nourrir les avis du CESE et enrichir nos réflexions sur les projets de loi concernés.

Pour toutes ces raisons, je crois que cette nouvelle rédaction de l’article 6 est de nature à atteindre nos objectifs, tout en répondant à vos craintes.

L’autre grand sujet de discussion que nous rencontrons concerne la composition du CESE.

D’abord, je m’inscris en faux avec l’analyse qui consiste à dire qu’en diminuant le nombre de membres du CESE, on l’affaiblirait. Ce nombre a augmenté depuis l’adoption de l’ordonnance de 1958 ; est-ce que le Conseil en a été renforcé ? Je ne le crois pas. Ce sont deux termes distincts de l’équation.

Le Gouvernement tient donc à la réduction de 25 % du nombre de membres du CESE, pour l’établir à cent soixante-quinze, et à la refonte de sa composition en quatre grandes catégories, dont le détail sera fixé par voie réglementaire après avis d’un comité consultatif. Ces modifications permettent d’atteindre un équilibre entre tous les intérêts représentés.

La représentation de nos outre-mer au sein du CESE suscite par ailleurs, je le sais, une attention toute particulière et bien légitime de la part de votre assemblée. Je voudrais ici essayer de vous rassurer quant aux garanties qui ont été apportées.

Si le CESE ne représente pas les outre-mer, en revanche, la représentativité équilibrée de l’ensemble des composantes économiques et sociales de notre pays implique que les outre-mer y soient suffisamment représentés.

C’est dans cet esprit que le Gouvernement a déposé, en nouvelle lecture, un amendement à l’Assemblée nationale pour conforter la place donnée aux outre-mer, en les mentionnant expressément dans la troisième catégorie de membres du CESE relative notamment à la cohésion territoriale et en proposant une représentation des outre-mer à huit membres compte tenu des différents équilibres en cause. Cette nouvelle rédaction nous semble parvenir à un compromis équilibré.

Si j’ai bien conscience que nous n’aurons vraisemblablement pas l’opportunité de discuter de nouveau du fond de cette réforme, voilà les points que je tenais à souligner devant vous aujourd’hui. Et si vous me permettez de regretter l’absence d’accord sur la réforme d’une institution constitutionnelle, permettez-moi également, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en prenant acte de nos désaccords, de vous remercier pour la richesse de nos débats ; ils auront permis à n’en point douter de parfaire le texte, dont nous discutons une dernière fois ensemble.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons effectivement pour débattre, en nouvelle lecture, du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental.

Je crois que nous partageons les raisons pour lesquelles le Gouvernement a déposé ce texte : il s’agit de redonner une place prépondérante à une assemblée consultative constitutionnelle qui, reconnaissons-le, ne remplit pas tout à fait son rôle, puisque dans 80 % des cas le CESE travaille en autosaisine – autrement dit, seuls 20 % des rapports qu’il adopte résultent d’une consultation formelle.

Ce projet de loi organique inclut un certain nombre de mesures ayant justement pour objet, nous dit-on, de redonner une place prépondérante au CESE. Je crois malheureusement que ces mesures n’atteignent pas leur but.

La première série de mesures consiste à pérenniser dans la loi des pratiques qui sont, peu ou prou, déjà en vigueur. Je ne vois pas bien comment le fait d’inscrire dans la loi ce type de mesures pourra répondre à l’objectif que je viens d’indiquer.

La seconde série de mesures comprend des nouveautés.

La première de ces nouveautés est la diminution de 25 % du nombre de membres du CESE. Nous avons là-dessus un désaccord, monsieur le ministre : nous n’avons pas saisi et nous ne saisissons toujours pas comment le fait de diminuer le nombre de membres d’une assemblée peut rendre celle-ci plus efficace et lui permettre de mieux travailler. Encore aujourd’hui, j’avoue que je reste interrogative à ce sujet.

Je le reste d’autant plus que la deuxième mesure nouvelle consiste à remplacer, le cas échéant, une partie des membres du CESE par des personnes tirées au sort, dans des conditions que nous évoquerons tout à l’heure. Alors que le CESE est constitué de membres désignés par la société civile organisée, c’est-à-dire de personnes qui représentent certains intérêts, je ne vois pas comment le fait de tirer au sort d’autres personnes pourrait pallier un manque d’expertise, celle-ci étant précisément symbolisée par la composition actuelle du Conseil. Là encore, le tirage au sort ne paraît pas donner un lustre nouveau au CESE.

Troisième nouveauté, un des articles de ce texte prévoit que le CESE pourra être consulté par le Gouvernement en substitution de consultations prévues par ailleurs, certaines étant obligatoires. De nouveau, on comprend mal comment cela pourrait renforcer le rôle consultatif du CESE : en effet, alors que le Gouvernement peut déjà le consulter comme il l’entend, il ne le fait pas – je le répète, 80 % des travaux du CESE résultent d’une autosaisine.

Au total, aucune des mesures inscrites dans ce texte n’est de nature à redonner une place prépondérante au CESE, soit parce qu’elle existe déjà, soit parce qu’elle ne le renforce en aucune façon.

Nous avons évidemment discuté de l’ensemble de ces éléments, mais nous n’avons pas trouvé de compromis. C’est en retournant devant l’Assemblée nationale qu’une nouvelle discussion s’est engagée et que nous avons trouvé quelques points d’accord.

Je suis naturellement satisfaite d’entendre, monsieur le ministre, que ces accords portaient sur des points « d’importance » introduits par le Sénat, mais je ne le crois pas vraiment… En réalité, il s’agissait essentiellement de points de procédure, sur le détail desquels je ne reviens pas, car je n’en vois pas véritablement l’intérêt, et sur des questions liées à la déontologie – nos collègues députés avaient introduit des éléments, auxquels nous avons apporté des modifications qui ont été conservées par l’Assemblée nationale.

Pour le reste, nous sommes toujours clairement en opposition sur les éléments que j’ai indiqués tout à l’heure.

Tout d’abord, la baisse du nombre de membres du CESE. Pourquoi 25 % ? La réponse qui nous a été apportée est que le Président de la République en a décidé ainsi… J’imagine que le Président de la République a une motivation particulière, mais nous ne le saurons jamais, car l’explication ne nous a pas été donnée.

Nous avions proposé un critère objectif : supprimer les places réservées aux personnalités qualifiées, dont la nomination a toujours suscité, quel que soit le gouvernement en place, d’importants débats. Nous n’avons pas été suivis ; la baisse reste de 25 %.

Ensuite, le tirage au sort, qui est vraiment, je le dirai ainsi, la grande affaire de ce projet de loi organique. La majorité de cet hémicycle n’est pas d’accord sur ce sujet.

Le tirage au sort, ce n’est pas la démocratie. La démocratie, c’est soit la population qui s’exprime directement, soit la population qui choisit des représentants. Une fois élus, ces derniers ont le pouvoir de décider, mais ils doivent surtout répondre de leurs actes. Le pouvoir ne peut pas être dissocié de la responsabilité – telle est la caractéristique essentielle de la démocratie –, ce qui n’est pas le cas à la suite d’un tirage au sort.

De surcroît, on nous propose en fait un faux tirage au sort : tout d’abord, il y aura un redressement comme on le fait pour assurer la représentativité dans les sondages ; ensuite, les personnes tirées au sort devront accepter de siéger, il s’agit donc plutôt de volontariat ; enfin, leur nombre sera si faible que, pour reprendre les propos de Philippe Bas, la commission des sondages invaliderait à coup sûr un sondage réalisé ainsi, car il reposerait sur une proportion trop faible de la population.

Vous me direz que ces personnes n’auront pas de pouvoir de décision – elles seront consultées. Pour autant, nous savons bien, car la démocratie participative se pratique beaucoup au niveau local, qu’il est toujours assez difficile de faire comprendre aux gens qu’ils vont être consultés, mais que leur avis ne sera pas suivi d’effet. Dans la réalité, ces personnes demandent à avoir du pouvoir, sans jamais avoir de responsabilités.

Il suffit d’ailleurs de regarder l’actualité : aujourd’hui, le Président de la République doit, une fois encore, justifier ses choix de retenir ou non telle ou telle proposition de la Convention citoyenne pour le climat.

Soyons clairs, nous ne nous sentons pas menacés par le tirage au sort. Lorsque nous étions en poste en collectivité locale, nous avons consulté nos concitoyens à de nombreuses reprises. Il s’agit juste pour nous de rappeler que le pouvoir ne peut pas être dissocié de la responsabilité et que seuls les élus ont un pouvoir, dont ils répondent devant leurs électeurs.

Enfin, il y a ce fameux article 6, qui permet de substituer la consultation du CESE à celle d’organismes spécialisés prévue par la loi.

Nous avons fait valoir que cette disposition ne mettait pas fin au millefeuille administratif des organismes consultatifs, puisqu’ils perdurent. De surcroît, nous estimons que cette mesure pourrait aboutir, dans certains cas, à nous priver de l’avis d’organismes dont l’expertise très pointue est utile pour éclairer le travail du Gouvernement. Se passer de ces organismes spécialisés au profit d’un autre plus généraliste n’a pas beaucoup d’intérêt pour le travail gouvernemental, et donc pour le pays.

Nous avons été entendus, si je puis dire, par l’Assemblée nationale, puisqu’elle a prévu que dans de telles circonstances le CESE pourrait à son tour consulter d’autres organismes. « Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? », diraient les Shadoks… Nous aurons donc une double consultation : celle du CESE et celle des organismes spécialisés dont nous parlons ! Pourquoi ajouter de la complexité, là où les choses n’étaient déjà pas particulièrement simples ? C’est bien un autre élément, sur lequel nous ne sommes pas d’accord.

Vous l’aurez compris, les désaccords qui existaient persistent à ce stade de nos travaux.

J’ajoute un autre point, auquel M. le ministre a fait allusion : la composition du CESE.

À l’initiative de notre collègue Leconte et après avoir modifié le dispositif initialement proposé, nous avions prévu, au sein de l’un des collèges du CESE, la présence de onze représentants des outre-mer. Nous avions voulu fixer assez précisément la composition de ce collègue qui devait aussi réunir des représentants de fondations ou d’associations œuvrant notamment en faveur des personnes handicapées. Et vous avez raison, monsieur le ministre, de dire que ce point nous tient à cœur.

Or cette disposition a été modifiée par l’Assemblée nationale et vous estimez, monsieur le ministre, qu’un accord pourrait exister entre nous sur ce point, mais ce n’est pas le cas, parce que cette cote mal taillée ne nous convient pas. La disposition que nous avions adoptée nous semble bien plus pertinente, mais elle n’a pas été conservée.

Au vu de l’ensemble de ces éléments qui touchent les points les plus importants de ce texte, vous comprendrez qu’aucun accord n’est désormais possible. C’est pourquoi je présenterai tout à l’heure une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, notre démocratie vit une crise de confiance majeure. Ce texte est donc plus que bienvenu : il permet une reconnaissance accrue des corps intermédiaires – nous en avons besoin –, une expertise différente et une participation plus grande de la société civile à la vie démocratique.

Nous restons déçus du péché originel de ce texte : à droit constitutionnel constant, les possibilités pour le CESE de prendre toute sa place seront forcément limitées. Seule une réforme constitutionnelle nous aurait permis d’atteindre un niveau adéquat de transformation, pouvant inscrire dans le marbre pour le long terme le renforcement de la participation des citoyens et de la société civile.

Jusqu’à présent, le CESE est très peu visible, trop peu écouté et rarement pris en compte dans la fabrique de la loi. Pourtant, la tenue de la Convention citoyenne pour le climat a montré l’engouement que pouvaient susciter chez les citoyens les démarches de démocratie participative. En rénovant et en renforçant le CESE, ce texte aurait pu être l’occasion de lui donner pleinement la place que nous devrions lui permettre d’avoir.

Certaines des propositions que nous avions faites lors de la première lecture au Sénat ont finalement été satisfaites lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, permettant ainsi de renforcer le CESE, ce qui est nécessaire.

La prise en compte de ce long terme, qui permet à notre démocratie de donner enfin aux enjeux environnementaux la place qu’ils méritent dans l’agenda politique, doit être la marque du CESE.

Toutefois, je tiens à alerter sur certaines régressions importantes. Par exemple, l’article 6 supprime, sauf exception, les consultations obligatoires de certains organismes en cas de saisine du CESE. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’était opposé en première lecture à cette disposition ; il confirme son opposition. Le maintien de la procédure simplifiée reste une erreur et ne va pas dans le sens du long terme ni d’une réflexion approfondie que nous souhaitons pour le CESE. Nous proposions la suppression complète de cette disposition, très peu utilisée et sans réelle efficacité.

Ce texte contient donc des reculs, mais il est également porteur d’innovations bienvenues.

Je veux ici parler du tirage au sort qui, pour nous, est un moyen utile de compléter la démocratie représentative et de revitaliser le débat démocratique. Cette procédure ne nous paraît pas, contrairement à ce qui a pu être avancé dans cette assemblée et en commission, mener à une « démocratie de la courte paille ».

Nous appuyer, pour mener à bien notre mission de législateur, sur des assemblées de citoyens tirés au sort représentant une diversité de points de vue vient, selon nous, enrichir le processus de concertation et de prise de décision et renforcer notre légitimité de parlementaire par la création d’une confiance renouvelée avec les citoyens.

La Convention citoyenne pour le climat est une réussite par sa capacité d’appréhender la complexité des enjeux de société et de formuler des propositions, mais elle attend toujours la transformation de ses résultats qui était annoncée « sans filtre », ce qui ne sera pas le cas.

Nous saluons donc le processus de consultation par tirage au sort et de participation de personnes tirées au sort aux commissions du CESE.

Nous soutenons également les dispositions visant à faciliter la saisine du CESE par voie de pétition dès l’âge de 16 ans, et ce sans critères géographiques.

Enfin, nous souhaitons par ce texte renforcer la place des enjeux environnementaux au sein du CESE. Vous le savez toutes et tous, mes chers collègues, ces enjeux sont de plus en plus présents dans nos vies. Les effets du changement climatique se font très concrètement ressentir aujourd’hui : tensions sur l’utilisation de la ressource en eau, difficultés agricoles, augmentation du nombre et de l’ampleur des catastrophes naturelles, accélération de la perte de biodiversité, etc.

Dans ce contexte d’urgence climatique et écologique, renforcer la place des acteurs de la protection de la nature au CESE nous semble relever du simple bon sens.

Nous ne voterons pas la motion tendant à opposer la question préalable, car nous souhaitons poursuivre l’étude de ce texte. Nous pourrions le voter, éventuellement enrichi par nos propositions, car il permet malgré tout d’améliorer le fonctionnement du CESE.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à la suite de l’adoption en commission des lois d’une motion de notre rapporteure, nous examinons aujourd’hui le projet de loi organique tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Nous ne le déplorons pas sur le fond, puisque ce texte intègre certains apports utiles du Sénat, ainsi que des dispositions qui nous apparaissent toujours très bienvenues pour redonner au CESE la place qui lui revient aux termes de la Constitution. Ces dispositions sont aussi de nature à faire du CESE le « carrefour des consultations publiques » et de la participation citoyenne.

Nous pouvons toutefois le regretter sur la forme.

Je ne m’attarderai pas sur le constat, partagé sur toutes les travées, du déficit de visibilité de cette assemblée consultative, qui ne fait pas justice à la qualité de ses travaux. La proportion croissante des autosaisines – elle atteint 80 % en 2020 – parle d’elle-même.

À ce titre, plusieurs dispositions ont fait l’objet d’un accord à l’issue de la première lecture entre les deux assemblées. Elles manifestent un objectif partagé d’accroissement du nombre de saisines du CESE et de renforcement de sa capacité à y répondre.

Je pense à l’article 5 relatif à l’extension de la procédure simplifiée pour l’adoption des avis.

Je pense également aux articles relatifs à la déontologie des membres du CESE, dont notre rapporteure a parfait la rédaction en première lecture.

S’agissant du renforcement de la saisine du CESE par voie de pétition, les deux chambres ont consenti non seulement au dépôt des pétitions par voie électronique, mais également à la faculté, pour les mineurs de plus de 16 ans, d’en être signataires. Je sais votre attachement, monsieur le garde des sceaux, à cette disposition, animée par l’ambition de préparer ce groupe d’âge à l’exercice de sa citoyenneté.

D’autres dispositions sont marquées par un désaccord de fond ; je pense aux articles 4, 6, 7 et 9. Force est de reconnaître que l’Assemblée nationale a entendu certaines de nos réserves.

Vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues, que j’évoque ici la question de la composition du CESE.

À la différence du projet de loi organique initial, la rédaction actuelle maintient une garantie chiffrée sur la représentation des outre-mer au titre de la cohésion sociale et territoriale, présente dans le droit en vigueur et que notre Haute Assemblée avait utilement rétablie.

Je salue cette garantie spécifique, dérogeant au renvoi à un décret opéré pour la composition des autres catégories. Bien sûr, nous pourrions discuter du chiffre, ramené à l’Assemblée nationale de onze à huit. Il est proportionnel à la réduction globale de 25 % du nombre de membres. Et vous l’aviez rappelé, monsieur le garde des sceaux, il reste sans préjudice de la présence de représentants des outre-mer au sein d’autres catégories. J’y serai bien sûr attentif et le comité de suivi rétabli à l’Assemblée nationale n’apparaît, en ce sens, pas dénué d’intérêt.

Pour terminer, je ne peux qu’exprimer un regret sur le désaccord de principe, acté par notre rapporteure dès le commencement des débats, sur la question du tirage au sort.

Il a été dit que l’inscription dans la loi organique de ce procédé fragiliserait les fondements de notre démocratie et, pire, qu’il acterait l’avènement d’une « démocratie de la courte paille ». Pourtant, il n’est en aucun cas question de substituer des membres tirés au sort aux représentants de la société civile. Il ne s’agit pas non plus, puisque le caractère consultatif est bien précisé, de substituer le tirage au sort à la légitimité de l’élection qui, seule, peut asseoir par le mandat la décision souveraine.

Nous regrettons ce point de crispation initial, qui a d’ailleurs animé nos débats. S’agissant des consultations publiques, une position commune aurait pu émerger. Il nous apparaît que, plus que le seul procédé, c’est la question du processus qu’il faut examiner. Les garanties procédurales, renforcées à l’Assemblée nationale par la nomination de garants, conforteront la pertinence et la qualité de cette participation citoyenne.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’opposera à la motion déposée par la rapporteure.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, annoncée dès juillet 2017 comme l’un des chantiers institutionnels majeurs du Président de la République, la réforme du Conseil économique, social et environnemental devait laisser place à la « Chambre du futur », à un « trait d’union entre le monde politique et la société civile ».

L’attente suscitée par le Gouvernement laissait penser que nous aurions à débattre de propositions novatrices, que la réforme de 2008 serait à reléguer au rang de simple dépoussiérage avant la grande rénovation de 2020.

Vous le sentez, j’ai du mal à cacher ma déception, aujourd’hui, devant cette occasion manquée.

Pour avoir commencé ma carrière professionnelle dans un conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), je connais bien cette institution, la qualité de son travail de recherche, de consultation et d’analyse des problématiques, ainsi que la pertinence de ses avis. Face aux critiques récurrentes qui lui sont adressées, je m’accorde avec vous, monsieur le ministre, sur la nécessité de la réformer pour que son travail puisse être nourri par une plus grande participation citoyenne, et ainsi reconnu à sa juste valeur.

Mais pensez-vous pouvoir construire une « chambre pour et par la société civile », pour reprendre vos propos, en vous attachant à multiplier le nombre de pétitions et à systématiser la pratique du tirage au sort ?

Le pouvoir démocratique d’une pétition ne réside pas dans le simple fait d’interpeller directement une institution décisionnelle et d’avoir, rapidement, une prise de position de cette dernière. C’est le débat que la pétition réussira à imposer sur le devant de la scène publique qui fera d’elle le garant efficace de la décision démocratique. Pour cela, elle doit coller à notre réalité nationale, et les critères de représentativité géographique et temporelle proposés par la commission des lois auraient permis de s’en assurer.

Sur le droit de tirage, je rejoins les réserves émises par notre rapporteure Muriel Jourda, dont je salue au passage l’excellence de l’implication, sur le risque de voir apparaître le CESE comme un banal institut de sondage d’opinion. Dans un système représentatif comme celui de la France, nous devons tenter de renforcer la participation citoyenne en encourageant des actions responsables, dont nos compatriotes pourraient avoir l’initiative, et non en demandant leur avis à des citoyens qui n’ont pas été désignés par leurs pairs pour prendre la parole en leur nom.

Nous soutenons néanmoins la simplification de la subrogation de la consultation des avis exprimés dans le cadre de l’élaboration d’une loi. Le CESE a la capacité de recueillir ces avis émanant d’instances représentatives locales et d’en faire la synthèse.

De plus, le RDSE se réjouit de la suppression conforme de l’article 2. Comme nous l’avons exprimé lors de la précédente lecture, nous estimons que le contrôle de l’application des lois fait partie des prérogatives du Parlement depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Permettre à une minorité de parlementaires de requérir l’aide du CESE en demandant un avis sur la bonne application de la législation ne nous semble pas utile, mais plutôt redondant.

Quant à l’organisation du CESE, nous soutenons le remplacement des personnalités qualifiées du collège 4 par des personnalités extérieures directement nommées par le Gouvernement. Elles pourraient être mobilisées au coup par coup sur un sujet particulier, pour plus de pertinence, et donc d’efficience.

Au nom de mon collègue Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, je tenais aussi à vous faire part de nos inquiétudes quant à la représentativité de nos territoires d’outre-mer au sein du CESE. J’espère que vous aurez à cœur, monsieur le ministre, de corriger cet écueil.

Enfin, je déplore que les relations des entités régionales que sont les Ceser avec le CESE restent inchangées et qu’il n’y ait eu aucune recherche de synergie. La prise en compte des territoires et de leur représentation est décidément bien difficile pour les gouvernements successifs du Président de la République…

Les membres du groupe RDSE sont en total accord avec le travail mené par la commission des lois du Sénat pour tenter d’enrichir ce texte. En revanche, ils sont opposés, par principe, au recours à la question préalable, en raison de leur attachement viscéral au débat démocratique. Nous voterons donc majoritairement contre la motion.