M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 38.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, confortant le respect des principes de la République (n° 455, 2020-2021).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Patrick Kanner, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, messieurs les ministres – je salue au passage Mme Marlène Schiappa, qui nous a quittés –,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Elle est partie à l’Assemblée nationale !

M. Patrick Kanner. Ce n’était pas du tout ironique !

… mes chers collègues, nous avons cherché en vain, dans ce projet de loi, l’équilibre du discours des Mureaux prononcé par le Président de la République le 2 octobre 2020.

Plus personne ne s’en étonne, le Président qui se prétend « de droite et de gauche » marche sur la seule jambe qu’il ait jamais eue : sa jambe droite. Celle qui confond autorité avec autoritarisme, fermeté avec fermeture. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Marques dindignation sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Non, nous ne cédons pas à la facilité consistant à se contenter d’une société dans laquelle chaque communauté cohabiterait, même pacifiquement, côte à côte, sur un modèle anglo-saxon perpétuant des différences de droit. Nous préférons créer les conditions du rassemblement, au travers duquel peuvent s’exprimer toutes les croyances.

Dans notre cité républicaine, la seule loi qui vaille est celle que les femmes et les hommes se donnent à eux-mêmes. La laïcité consiste non pas à nier la quête spirituelle chez l’être humain mais à refuser, au nom de l’unité et de la liberté, le statut politique dominateur que conférerait l’ascendant d’une religion sur la puissance publique.

Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est l’écart entre l’idéal républicain proclamé par le Président de la République et ce projet de loi. Non, l’exécutif ne peut pas dire, comme le fit Aristide Briand en son temps, que ce texte est un projet de loi de liberté. Du point de vue économique, les preuves d’ultralibéralisme de ce gouvernement ne sont plus à démontrer, certes, mais, du point de vue des libertés, nous ne constatons qu’un affaiblissement de nos conquêtes les plus chères.

Ce projet de loi est un texte de contraintes, une addition de mesures d’ordre public : nouveaux délits pénaux, contrôle des associations, fermeture des lieux de culte. Un tiers des articles du texte instaurent des procédures de contrôle et plus d’un quart des articles définissent des peines d’emprisonnement ; même le Défenseur des droits vous en fait le reproche !

Sont pourtant concernées la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, les lois du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques et du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire ainsi que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, déjà abîmée par le fameux article 24 de la proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés, dite « proposition de loi Sécurité globale »…

Sans doute, des avancées importantes en faveur du droit des femmes sont permises par le texte, je vous en donne acte, mais, pour le reste, c’est un projet de loi de contrôle, de police, de répression. Ce n’est pourtant pas en réglementant les cultes à l’excès que l’on parviendra au but…

La laïcité n’est pas l’ennemi de la religion ; c’est un cadre, une liberté – la liberté de croire ou de ne pas croire – ; la laïcité, c’est affirmer avec Hugo que l’État doit être chez lui et l’Église chez elle.

Dès que nous sentons l’expression d’une prétendue laïcité de combat contre la religion et non contre le fanatisme, nous la combattons. Dès que la religion est manipulée par des intégristes qui ne souhaitent pas que les convictions de leurs coreligionnaires soient compatibles avec la République, nous combattons également cette manipulation.

Toutefois, pour combattre cette dernière, il ne suffit pas d’employer la contrainte. L’exposé des motifs énonce que « la République demande une adhésion de tous les citoyens qui en composent le corps ». Je ne suis pas fin psychologue, mais croyez-vous que l’adhésion s’obtienne à coups de boutoir ? Je ne le crois pas. Il nous faut convaincre et non multiplier d’absurdes prohibitions ; l’universel doit être désiré…

Nous regrettons que ce projet de loi ne traite que les conséquences et non les causes du phénomène de radicalisation. Le phénomène dont nous parlons dépasse la question économique et sociale, mais il ne se situe pas hors du social. Il y a un séparatisme prêché par des religieux radicaux ; il y a aussi un séparatisme créé par le sentiment d’abandon de certains territoires.

Or le premier se nourrit du second ; c’est pourquoi un double mouvement est nécessaire : lutter contre le rejet de la République, mais aussi lutter contre le rejet dans la République. Derrière Jaurès, nous, socialistes, affirmons que le combat laïque et le combat social sont indissociables. (Mme Martine Filleul et M. Jean-Michel Houllegatte applaudissent.)

Le Président de la République l’a affirmé : « partout où la République ne donne plus d’avenir, n’attendez pas que [ses] enfants l’aiment, malheureusement », mais quel avenir propose-t-il ? Rêver de devenir millionnaire ? Traverser la rue pour trouver un travail et s’acheter un costume ? Malheureusement, pour nombre d’entre nous, le fameux ruissellement est resté une chimère…

La contestation de la République se nourrit des signes d’hostilité et de relégation qu’adresse l’État. Il faut nous interroger sur le fait qu’une partie de nos concitoyens – une infime partie, rappelons-le – se détourne de notre modèle de société aussi facilement. Les discours hostiles à la République prospèrent le plus souvent dans des quartiers ghettoïsés, là où nous avons construit notre propre séparatisme, là où se concentrent la misère et la déréliction, dans des quartiers où la promesse républicaine n’est pas tenue, où le service public recule et où ce recul laisse place à des organisations privées, parfois religieuses.

La question n’est plus de savoir s’il faut moins d’État ou mieux d’État, un peu plus par-ci, un peu moins par-là ! Non, il faut, partout, plus, beaucoup plus d’État dans son rôle providentiel.

Il n’y a rien sur le volet social, dans ce projet de loi ; il n’y a rien pour lutter contre les discriminations, pour renforcer le tissu associatif, notamment l’éducation populaire, déjà fragilisée par la suppression, au début du quinquennat, des emplois aidés. Rien sur l’emploi, sur le logement ni sur la politique de la ville. Rien sur les services publics en tant que tels ni sur le déficit de cohésion territoriale. Rien sur nos structures d’accueil ni sur l’évolution de notre modèle d’intégration. Rien de ce qui, en somme, correspond à notre conception de la concorde civile.

Le Gouvernement ne s’est pourtant pas fait faute de le promettre maintes fois…

Nous partageons pourtant le diagnostic ; il existe un problème, que nous ne nions pas. Oui, il y a des réseaux religieux qui s’infiltrent de façon organisée dans la société, en France et dans une partie du monde, un projet politico-religieux qui conteste nos valeurs démocratiques, un projet qui vise à persuader certains de nos concitoyens de se soustraire aux lois de la République. Cela peut se manifester par la déscolarisation d’enfants, par une communautarisation de pratiques sportives ou associatives de façon générale, par des démonstrations de foi à l’intérieur d’entreprises, même chargées d’une mission de service public. Malheureusement, nous le constatons aussi, comme vous, messieurs les ministres.

Nous connaissons le visage du fanatisme – ma famille politique n’a jamais fait preuve de complaisance ou de compromission lors des attentats qui ont émaillé le quinquennat précédent –, mais nous prétendons que le défi est encore à relever, sans angélisme, sans amalgame, sans ambiguïté face à ces forces centrifuges.

Oui, certaines dispositions auraient pu emporter notre adhésion ; des sanctions plus sévères ou des mécanismes plus efficaces de contrôle des financements peuvent produire des effets bénéfiques, mais ils ne peuvent pas le faire seuls. Ce n’est pas ainsi que l’on confortera les principes de notre République.

Il est facile, à l’approche d’échéances électorales importantes, de ressusciter les passions tristes. En pénétrant sur le terrain du séparatisme, le Président de la République veut apporter la preuve qu’il lutte concrètement contre ce phénomène, qu’il n’est pas naïf ; il est vrai qu’il est régulièrement accusé par la droite et par l’extrême droite d’en faire trop peu sur ce sujet. Je ne sais pas si l’extrême droite s’amollit ou si le Gouvernement s’affermit ; toujours est-il que, sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui, on ne distingue plus guère la copie de l’original…

Ainsi, après ses vaines polémiques sur « l’ensauvagement » supposé de la société française, sur les rayons halal dans les supermarchés, sur le floutage des interventions de police et à la suite d’un essai personnel parsemé d’approximations historiques, voici le ministre de l’intérieur qui revient, avec tambour et trompette, pour expliquer aux électeurs de droite que le bulletin Macron sera plus utile que celui d’un candidat Les Républicains face à la candidate du Rassemblement national. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Patrick Kanner. M. le ministre de l’intérieur serait-il d’obédience « sondagière » ? Avec vous, monsieur le ministre, les choses sont simples, finalement : soit on est contre le terrorisme, soit on est pour l’islamo-gauchisme. Comme il doit être reposant de considérer les choses avec cette vision binaire et simplificatrice !

Nous ne souhaitons pas participer à cette hystérisation du débat. Nous ne céderons pas à la facilité qui consiste à utiliser des abstractions pour frapper les esprits, dans une période où la politique est dominée par des objectifs de communication.

Tel est le sens de cette motion tendant à opposer la question préalable, déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

En conclusion, je vous laisser méditer, mes chers collègues, cette phrase de Clemenceau (Ah ! sur de nombreuses travées.), prononcée à cette tribune même, le 9 avril 1916 : « Inutile de demander une loi pour avoir l’air de vouloir faire ce qu’on aurait pu faire jusqu’à présent sans aucun texte nouveau ». Puisque j’en ai le temps, je serais tenté de la répéter, en la modifiant quelque peu : il est inutile de demander une loi pour avoir l’air de vouloir faire ce que l’on aurait faire jusqu’à présent sans aucun texte nouveau… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel. Et vous, qu’avez-vous fait ?

M. Patrick Kanner. Mes chers collègues, je vous invite donc à voter cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

(Mme Laurence Rossignol remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vous proposons de ne pas adopter la motion déposée par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et de poursuivre, ainsi, la délibération sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.

L’objet de cette motion peut surprendre. Il s’appuie sur une référence, quasi mythique, au discours prononcé aux Mureaux, le 2 octobre 2020, par le Président de la République, afin de considérer que le projet de loi qui nous est proposé n’y est pas fidèle et n’est donc pas fidèle à l’« écosystème » de notre modèle. Il est paradoxal d’accorder une telle foi aux promesses d’un discours, si solennel fût-il…

Il y a beaucoup de complaisance ou de naïveté dans cet argument. Nous avons tous observé, depuis 2017, l’angle mort que constituaient, pour le Gouvernement, les questions régaliennes et de l’autorité de l’État. Vous considérez, monsieur Kanner, que c’est dans la question sociale que réside cet angle mort et que cette question est absente du texte qui nous est proposé ; puis, vous en déduisez l’inutilité de l’examen de ce dernier. Toutefois, vous nous permettez de retrouver ici le clivage gauche-droite.

En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas dupes du calendrier politique et des manipulations que celui-ci peut engendrer. Nous ne sommes pas restés béats devant ce discours, dont l’équilibre fourre-tout n’a satisfait que les admirateurs d’un « en même temps » illusoire et inaccessible.

Mes chers collègues, votre refus semble se réfugier dans l’euphémisme et il s’apparente à un véritable déni. Il est tellement difficile à expliquer qu’il masque mal vos contradictions et votre gêne. Vous voyez dans ce texte des insuffisances et des manques ; nous y voyons le moyen d’échanger, de proposer et de compléter, conformément au rôle du Sénat, sans excès, caricature ni surenchère, en veillant au respect de toutes les sensibilités de la Haute Assemblée, en constatant et en réparant les oublis volontaires de l’exécutif ainsi que les insuffisances que celui-ci a programmées.

Oui, votre motion s’apparente à un déni, car ce n’est pas nous qui faisons preuve, à Strasbourg, d’une irresponsabilité coupable devant l’ingérence d’un État étranger et qui fermons les yeux sur le refus de signer une charte d’adhésion aux valeurs de la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Cazabonne applaudit également.) Ce n’est pas nous qui flirtons avec les thèses de l’islamisme radical.

M. Jacques Grosperrin. Ce n’est pas nous qui voulons financer ceux qui refusent la République. Ce n’est pas nous, enfin, qui soutenons les dévoiements militants fétichisant la race… (Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, applaudit.)

Quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty et au moment de l’anniversaire de celui du colonel Arnaud Beltrame, commis le 24 mars 2018 à Carcassonne, alors que le souvenir de tous les attentats islamistes et de ses victimes nous hante – il nous poursuivra longtemps –, vos arguments convoqués à l’appui de votre motion ne sont pas à la hauteur de la situation que nous vivons et que la crise de la covid-19 ne masque pas.

Vous prétendez vous appuyer sur un modèle idéal pour refuser de défendre celui-ci ou – cela revient au même – vous acceptez l’idée que ce modèle n’est plus capable de se défendre lui-même. Le texte aborde une multitude de sujets, il est incomplet et le Gouvernement a peut-être la main qui tremble ; mais n’êtes-vous pas concernés par les thèmes qu’il aborde : les services publics, les discriminations, l’égalité pour lutter contre différentes formes d’une inégalité homme-femme moyenâgeuse, la vie associative, les discours de haine, le libre exercice du culte, la préservation de l’ordre et de l’autorité des pouvoirs publics ?

Ne voyez-vous pas que le sport, que l’on a longtemps cru protégé de tout prosélytisme religieux, est désormais le théâtre de pratiques inadmissibles et qu’il perd son rôle d’intégrateur républicain ? Ne voyez-vous pas que l’éducation subit des pratiques communautaristes qui portent gravement atteinte à ses missions et à la sécurité des enseignants ?

Mes chers collègues, nous ne reconnaissons pas, dans votre refus de débattre, l’identité laïque et républicaine de certains d’entre vous, dont les partis ont dirigé la France…

Un mot résume votre gêne : l’émancipation. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, approuve.) Ce mot fut longtemps, pour vous, intégré à l’idéal républicain, une émancipation souvent partagée et porteuse de progrès et de justice.

Votre motion démontre que vous vous éloignez de votre propre histoire. Vous êtes à la recherche de nouvelles synthèses mobilisatrices pour votre électorat alors que vous devriez constater avec nous qu’il faut s’émanciper soi-même, à l’intérieur de la République et non être sous l’emprise de l’extérieur et d’une religion totalitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. La République ce sont des droits, ce sont des devoirs, c’est une identité, c’est la sécurité pour tous. La France doit se battre contre tous les séparatismes, notamment contre le séparatisme islamiste.

L’État ne cultive aucun racisme vis-à-vis des musulmans, nous ne laisserons personne affirmer cela. Le racisme, sous toutes ses formes, doit être combattu avec fermeté. L’universalisme des Lumières nous unit pour faire progresser des valeurs communes, jamais séparées.

Il faut nommer les choses. C’est l’une des grandes difficultés de l’exécutif, pris dans ses propres contradictions. Constatons ensemble que nous sommes bien en présence d’une volonté hégémonique religieuse et politique, d’un communautarisme exacerbé, dont l’endoctrinement est la matrice et le grignotage idéologique l’outil quotidien. Une religion ne peut prétendre que ses lois sont supérieures à celles de la République. Lutter contre les séparatismes n’est pas lutter contre les religions, qui doivent rester dans l’intimité de la conscience de chacun.

Nous ne nous laisserons pas enfermer ou intimider et nous refuserons les débats qui veulent « cornériser » les défenseurs intransigeants de la République, les acculer dans le camp des archaïques, des anciens ou des conservateurs.

Aucun tabou culpabilisateur ne s’immiscera dans nos réflexions ; l’intégration républicaine de nouveaux venus sur notre territoire, dans un contexte migratoire massif et non maîtrisé, pose des difficultés insurmontables, chacun le sait. (Murmures sur les travées du groupe SER.) Là encore, nous vous proposons la sagesse de la lucidité devant les faits.

Mes chers collègues, ne vous faites pas les représentants d’une prétendue modernité, complaisante et servile ; la racialisation des problèmes sociaux et l’assignation identitaire ne représentent pas l’avenir de notre nation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Très bien !

M. Jacques Grosperrin. La France est le fruit d’une longue histoire, sa pensée est d’une formidable richesse. Cette richesse est aujourd’hui mise à la disposition de réinterprétations, poussées à outrance, destinées à modifier nos idéaux. Les modèles venus d’ailleurs ne sont pas les nôtres ; la laïcité n’est pas négociable.

Michelet l’a bien dit : « la France est une personne ». Cette personne doit être respectée ; nous sommes un seul peuple, à qui il arrive même de se croire une exception dans l’histoire universelle. Ce peuple est aujourd’hui constitué en un État dont l’unité s’est faite par l’égalité et par le mérite républicain. Notre tâche consiste à empêcher que se défassent les valeurs qui nous fondent.

Mes chers collègues, la République est une volonté et une transmission. Elle est indivisible. Elle est le rempart contre l’affirmation bruyante de toutes les minorités. Elle est fondée sur ce qui rapproche les hommes et non sur ce qui les divise.

Défendons la République. C’est la poursuite de la promesse démocratique qui est en jeu. À défaut, la France se condamnera à l’impuissance, au déclin, et nos concitoyens ne l’accepteront pas.

Nous vous proposons donc de rejeter la motion opposant la question préalable, présentée par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. En premier lieu – c’est une question de fond –, certes, le texte ne règle pas tous les problèmes, n’aborde pas tous les sujets, mais il a le mérite d’affirmer clairement, dans nos débats, les valeurs de la République et la nécessité de lutter contre le séparatisme.

En deuxième lieu, la commission a travaillé ; les rapporteures ont analysé chacun des articles, elles ont fait des propositions et ont veillé tant à protéger les libertés qu’à concourir au projet visé par ce texte.

En troisième lieu, enfin, s’il advenait que le Sénat vote cette motion, il n’y aurait plus de débat, le texte repartirait vers l’Assemblée nationale, privant ainsi la Haute Assemblée de discussions et de l’adoption d’avancées importantes.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le président Kanner, j’ai eu envie, en vous écoutant, de rappeler en substance cette phrase du maréchal de Lattre de Tassigny : un naïf, c’est un homme qui plante deux glands, qui s’achète un hamac et qui attend… (Rires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

D’abord, vos leçons de « social » me paraissent quelque peu étonnantes, car, quand vous étiez ministre, j’ai pu constater, comme maire, la diminution sanglante des aides de la politique de la ville destinées aux quartiers difficiles – ceux-là mêmes que vous dénoncez –,…

M. Patrick Kanner. C’est faux !

M. Gérald Darmanin, ministre. … au travers notamment du carroyage, que vous aviez inventé avec M. Lamy – lequel a rejoint ensuite notre chère collectivité de Lille –, diminuant de ce fait ce qui faisait la mixité sociale, en concentrant les dotations là où l’on concentrait la misère. Et, ensuite, on s’étonne qu’il y ait des ghettos…

Ensuite, monsieur le président Kanner, je ne sais pas ce que je trouve le plus étonnant dans vos propos.

Peut-être est-ce le fait que vous trouviez ce texte horrible pour la République, alors que, voilà à peine quelques semaines, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale s’est abstenu sur ce projet de loi de façon constructive, selon les mots de Boris Vallaud ; mais sans doute ce dernier s’est-il trompé et sans doute fait-il, lui aussi, la courte échelle à Mme Le Pen, pour reprendre votre expression…

Ou bien peut-être est-ce le fait que vous nous donniez, toute la journée, des leçons d’opposition à l’extrémisme alors que vous-même êtes capable d’entretenir, avec les pires extrémistes sur votre gauche, des liens étroits, ce qui me semble être un drame absolu pour la démocratie. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Je pensais à la France insoumise, madame la présidente Assassi, je n’ai jamais douté, ne serait-ce qu’un instant, que les communistes fussent républicains, vous le savez bien. L’accusation d’alliance extrémiste, proférée par M. Kanner en lien avec la France insoumise, me paraît donc étonnante. Sans doute, on peut donner des leçons de République au Sénat, mais peut-être y a-t-il aussi du militantisme politique ailleurs…

Surtout, monsieur Kanner, où est passée la gauche qui défendait l’école publique ? Qui défendait la laïcité ?

Plusieurs sénateurs du groupe SER. Nous sommes là !

M. Gérald Darmanin, ministre. Qui condamnerait, avec l’ensemble des forces politiques, les élus municipaux réservant aux femmes, pour des raisons religieuses, des créneaux horaires dans l’accès à certains services publics, organisant des soirées burkini et considérant, avec des candidats ou des élus, que, quand on a une certaine couleur de peau, on doit se taire ? Où donc est passée la gauche ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – Huées sur les travées du groupe SER.)

M. Gérald Darmanin, ministre. Plutôt que de citer Jaurès et Clemenceau, soyez fidèle à Manuel Valls, à Bernard Cazeneuve, à Clemenceau lui-même, à Chevènement !

M. Patrick Kanner. Et vous, à Sarkozy ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Mais oui, je préfère avoir comme modèle M. Sarkozy que M. Mélenchon, ne vous en déplaise ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Monsieur Kanner, pour terminer, je reprendrai un bon dicton populaire. Vous avez laissé partir les électeurs de gauche au Front national (Huées sur les travées du groupe SER.) – vous le savez bien – et vous avez préféré écouter la voix incroyable des beaux salons parisiens et de Terra Nova plutôt que celle du peuple et des ouvriers (Mêmes mouvements.) ; eh bien, quand on voit ce qu’on voit dans nos territoires, quand on sait ce qu’on sait et quand on a entendu ce qu’on a entendu, on a bien raison de penser ce qu’on pense en vous regardant… (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre de l’intérieur, il est invraisemblable de prétendre conforter les principes de la République en les bafouant ainsi.

Au travers d’un seul texte, mal écrit, alternant dispositions inutiles et dispositions liberticides, quand ce n’est pas l’un et l’autre, vous foulez aux pieds les grandes lois fondatrices de la République française.

Je pense d’abord à la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Vous muselez cette dernière, en réintroduisant le funeste article 24, masqué derrière l’article 18 du présent texte.

Je pense également à la loi du 28 mai 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire, qui a instauré l’instruction obligatoire, que vous dévoyez en supprimant la liberté d’instruction en famille.

Je pense ensuite à la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, que vous écrasez sous, au mieux, une innommable lourdeur bureaucratique ou, au pire, un serment d’allégeance à la norme politique dominante.

Je pense enfin à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, car vous entravez la liberté de croire ou de ne pas croire en déployant des moyens inédits de contrôle du culte.

Ces lois ont été bâties grâce au compromis républicain de la fin du XIXe siècle, qui avait enfin permis d’installer durablement la République dans notre pays. Elles ont été si parfaitement écrites que leur colonne vertébrale est restée inchangée depuis plus d’un siècle. Quelle arrogance, quel mépris que de vouloir en modifier ainsi la substance, sans aucun mandat du peuple !

Relisez les Lettres persanes de Montesquieu, monsieur le ministre : « il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante ». Votre texte fait exactement l’inverse ; semblable à un marteau qui chasse une mouche, il manquera immanquablement sa cible et causera d’inutiles destructions. Il ne renforce aucun des principes républicains que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Il ne répond à aucune des problématiques qui déchirent le pacte social et nourrissent le communautarisme. Exit la mixité sociale dans le logement ; exit la mixité scolaire ; exit tout ce qui permettrait de lutter contre la principale forme de séparatisme qui gangrène notre pays : le séparatisme social.

Puisque vous l’appréciez, je citerai Jean Jaurès, qui déclarait : « Je n’ai jamais séparé la République des idées de justice sociale, sans laquelle elle n’est qu’un mot. » Voilà le seul et unique chemin pour conforter la République, a fortiori quand la France compte 10 millions de pauvres et qu’elle semble se préparer à un reconfinement dramatique.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera donc cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)