M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, contre la motion.

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai extrêmement brève ; c’est pourquoi, si vous m’y autorisez, monsieur le président, je m’exprimerai depuis ma place et non à la tribune. Il me semble en effet que je n’aurai pas besoin d’exposer de nombreux arguments ni de m’exprimer trop longtemps pour convaincre la majeure partie de notre hémicycle de la nécessité d’examiner ce texte, qui dessine les conditions auxquelles nous pourrons sortir de la crise sanitaire actuelle.

Pour reprendre les propos de notre rapporteur Philippe Bas, il est important de tenir un discours de vérité et d’apporter à ce texte quelques précisions juridiques ; vous aurez saisi qu’il en manquait singulièrement.

M. Loïc Hervé. C’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Muriel Jourda. Il est également important d’apporter à nos concitoyens des garanties, notamment sur un sujet dont je crois qu’ils ont envie de nous entendre débattre : le pass sanitaire. Ce n’est pas un sujet anodin ; il me semble que nous devons être en mesure d’en débattre aujourd’hui.

C’est pourquoi nous devons, à mon sens, tenir tous ces propos et prendre des décisions conformes à ce que la commission des lois a adopté hier sur la demande de son rapporteur et qu’elle nous préconise d’adopter aujourd’hui. Le groupe Les Républicains souhaite en tout cas que ce débat se tienne ; il s’oppose donc à cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Bravo !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. La commission ne s’est pas encore réunie pour l’examen des amendements de séance, monsieur le président, mais vous aurez bien compris que son avis sur cette motion est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 60, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et les abstentionnistes ?

M. Patrick Kanner. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstient.

M. Loïc Hervé. Moi aussi !

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire
Article 1er (début)

M. le président. Mes chers collègues, à la demande de la commission des lois, la séance sera suspendue à l’issue de la discussion générale pour une durée de quarante-cinq minutes, afin de permettre à la commission de se réunir et d’examiner les amendements déposés sur ce texte.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hélas, nous ne pouvons encore perdre l’habitude pénible de nous réunir pour instituer ou proroger des régimes d’état d’urgence, ou de sortie d’état d’urgence, dont le caractère exceptionnel tend à s’étioler à force de se répéter.

Bien sûr, ces outils juridiques sont nécessaires. L’épidémie a imposé d’y recourir ; vous savez, monsieur le ministre, que le Sénat n’en a jamais nié la nécessité.

En dépit de ce fait, les semaines passées ont été éreintantes pour nos concitoyens. Je pense évidemment à ceux qui ont perdu des proches, je pense aussi à ceux qui ont été touchés par la maladie, mais je pense également à ceux qui, sans avoir souffert directement du virus, ont participé à l’effort collectif en suivant les consignes et restrictions sanitaires. Couvre-feu, interdiction des déplacements interrégionaux, fermeture des établissements recevant du public, obligation du port du masque : il n’y a pas besoin de lister l’ensemble des règles et interdits édictés pour saluer la grande solidarité dont notre Nation a fait preuve face à cette crise.

Aujourd’hui, on nous demande de poursuivre encore cet effort. Il n’en demeure pas moins que ce projet de loi suscite de vraies interrogations : comment qualifier ce nouveau régime ?

Aux termes du texte présenté par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale, le régime dit « de sortie de crise » ne différerait que de très peu du régime d’état d’urgence qui a servi pendant la crise.

Notre commission, suivant les propositions de son rapporteur Philippe Bas, s’est efforcée de mieux marquer la distinction entre ces deux régimes. Toutefois, ce serait au prix d’une nouvelle prorogation de l’état d’urgence ; certes, elle se justifie juridiquement, mais nous pouvons douter qu’elle soit bien accueillie par l’ensemble de nos concitoyens.

Il se dégage de ce débat une vraie difficulté. J’admets volontiers que, face au virus, nos institutions peuvent parfois se trouver dans des impasses, sans véritables bonnes solutions, mais avec seulement les moins mauvaises d’entre elles. Aussi, à l’image du Parlement, notre groupe est divisé sur ce point.

Ensuite, ce texte crée un nouveau dispositif : je pense évidemment au pass sanitaire. Sur ce sujet, le groupe RDSE est également partagé, entre l’espoir de trouver là une solution qui permette le retour à une vie normale et la crainte que ce pass n’ait que des effets très limités dans la lutte contre l’épidémie.

Il reste que nous étions unanimes sur un point : l’imprécision du texte initialement présenté quant à la notion de « grand rassemblement ». Je me souviens de l’avertissement qu’avait lancé en 2005 Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, dans ses vœux au Président de la République : « Clarté et normativité de la loi, cela ne veut pas dire que la loi dise tout. » Je souscris évidemment à sa remarque : la loi ne doit pas s’étendre au-delà de son rôle. En revanche, elle ne doit pas non plus demeurer si imprécise.

Qu’entendons-nous par « grand rassemblement » ? Cette question n’est pas seulement d’ordre réglementaire ou jurisprudentiel, elle ne peut être laissée à la discrétion de l’administration ni à l’appréciation des juges, en écartant la représentation nationale. Nous ne pouvons pas créer la notion de « grand rassemblement » sans dresser l’esquisse de ce qu’elle signifie. Bien sûr, il est difficile d’énumérer l’ensemble des critères pertinents, mais cette difficulté ne doit pas conduire à la facilité de n’en donner aucun !

Je salue donc les efforts déployés par notre commission dans son travail, qui a ajouté certaines dispositions venant mieux encadrer cette notion. Nous pourrons donc débattre de la nécessité d’aller encore au-delà des critères proposés.

Il reste un point sur lequel notre groupe demeure dubitatif : l’instauration d’une forme de passeport sanitaire qui viserait également les déplacements entre l’outre-mer et le territoire métropolitain. Si je comprends le sens de cette disposition, elle marque encore une fois une rupture entre nos territoires nationaux que nous peinons à admettre.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez donc qu’au regard de ces éléments le groupe RDSE n’ait pas une position unanime : chacun de ses membres sera libre de son choix, comme nous en avons l’habitude. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la huitième fois depuis mars 2020, le Sénat est sommé de valider dans des délais extrêmement brefs un projet de loi lié à l’état d’urgence sanitaire.

La présidente de notre groupe, Éliane Assassi, vient d’exposer pourquoi nous considérons que tout cela vient porter, une nouvelle fois, de graves coups à la démocratie et aux libertés publiques.

Nous l’avions dit d’emblée : de toute évidence, la gestion de moins en moins collective de cette pandémie a nui à l’efficacité de l’action. La défiance à l’égard des institutions locales et la mise à l’écart du Parlement par cet état d’exception qu’est l’état d’urgence n’ont pas permis de prendre les bonnes décisions dans la concertation nécessaire ; cela reste vrai pour les succédanés de l’état d’urgence, comme ce régime de sortie, qui maintiennent la toute-puissance de l’exécutif.

Que dire de l’avènement du conseil de défense ? Il a écarté le conseil scientifique, dont les avis furent occultés, comme en janvier dernier, voire méprisés. Le conseil des ministres, lieu de délibération, se trouve ravalé au simple rang d’exécutant de ce conseil de défense, qui masque mal les décisions individuelles du Président de la République, passé de chef des armées à épidémiologiste en chef.

Ce débat précipité aurait dû permettre de faire le bilan de la gestion de la crise sanitaire et non pas seulement d’organiser sa sortie.

Aucune anticipation, aucun enseignement : des phases de confinement et déconfinement, avec parfois des injonctions contradictoires. Tout dépend, d’une part, de capacités hospitalières mises à mal par des années d’austérité de notre système de santé, et, d’autre part, des grands errements de la stratégie vaccinale, avec notamment l’incapacité, au pays de Pasteur, de développer et produire son propre vaccin : l’annonce d’un futur vaccin de Sanofi ne saurait nous faire oublier le sacrifice fait de sa politique industrielle et scientifique pour accroître les profits de quelques actionnaires. Où va l’argent, si ce n’est pour soigner les populations ?

La majorité sénatoriale et son rapporteur constatent ces errements et dénoncent ce énième tour de passe-passe du Gouvernement, qui maintient sans le dire un nouvel état d’exception, mettant pour de longs mois encore la démocratie sous le boisseau.

Mais elle ne va guère plus loin que ce constat, qui apparaît somme toute comme de l’affichage, puisque, finalement, mes chers collègues, vous prolongez d’un mois l’état d’urgence.

N’est-il pas temps d’affirmer clairement que nous ne sommes plus dans la situation d’urgence qui justifie l’état d’exception, mais que la gravité de la situation peut être prise en charge par la démocratie, c’est-à-dire, en premier lieu, par le Parlement ? Celui-ci peut délibérer, voter, refuser. Nous ne pouvons plus accepter cette infantilisation des institutions de la République.

Le pass sanitaire, sur lequel nous reviendrons dans la discussion des articles, exprime une précipitation dangereuse pour les libertés et préjudiciable d’un point de vue éthique. Le Parlement est une nouvelle fois mis devant le fait accompli, ou presque, et même le Conseil d’État a été écarté dans un domaine touchant aux libertés publiques.

Ce pass sanitaire, sous couvert de son encadrement dans le temps et l’espace, est une étape de plus dans les mesures de restriction des libertés publiques, alors que ce sont essentiellement les mesures sanitaires, et non juridiques, qui font reculer l’épidémie. Comment être sûr que ce pass ne sera pas, par la suite, élargi à d’autres usages, en prétextant l’urgence sanitaire ?

Je terminerai mon propos par l’organisation des élections départementales et régionales.

Nous nous retrouvons, quasiment un mois avant ces élections, à devoir examiner des dispositions qui auraient pu figurer dans la loi du 22 février dernier portant report de mars à juin 2021 de ces élections locales.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !

Mme Laurence Cohen. Nous savions déjà, à cette date, que ces élections seraient différentes des précédentes et que la situation sanitaire impliquait des adaptations et des moyens nouveaux pour répondre à l’exigence démocratique du maintien des élections malgré tout.

Un consensus s’est fait en février dernier sur la tenue des élections en juin ; ce choix impliquait l’organisation de ces scrutins et de cette campagne singulière.

Au Sénat, en février dernier, de nombreuses mesures de bon sens ont été adoptées sur l’organisation du scrutin et de la campagne, comme l’obligation pour les services audiovisuels d’informer les citoyens sur le rôle et le fonctionnement des conseils régionaux et départementaux. Elles ont été conservées en commission mixte paritaire, à l’inverse de la mesure concernant la diffusion de spots de campagne pour les candidats aux élections régionales.

Le Premier ministre semblait sur la bonne voie lorsqu’il nous annonçait, le 14 avril dernier, qu’un débat entre les candidats aux élections régionales serait organisé et diffusé sur les services audiovisuels avant chaque tour. Cette mesure était bien dans le texte original du projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Pourtant, la majorité présidentielle l’a fait disparaître en commission.

Il faut rétablir ces débats. On sait que les Françaises et les Français sont actuellement bien loin de ces enjeux, préoccupés qu’ils sont par la crise sociale, économique et sanitaire, las qu’ils sont des confinements. L’abstention risque d’être très importante ; il est de notre responsabilité d’aider à populariser ces élections.

En conclusion, ce texte privilégie fondamentalement un état d’exception qui met en péril l’organisation démocratique de notre société. Le Parlement et le peuple doivent pouvoir reprendre en main la gestion du pays. Nous voterons donc contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pays reste vulnérable et nos concitoyens sont atteints d’une grande lassitude. Ajoutons qu’à ce stade des débats le Parlement est échaudé.

Il est échaudé par le défaut de confiance dont il a fait l’objet de la part de l’exécutif, qui a certes accepté de l’informer, mais sans lui laisser une capacité de décider et sans partager d’une manière réellement collective les responsabilités face à cette crise.

Il est aussi échaudé par une autre forme de défaut de confiance, au regard de la banalisation de l’état d’urgence. Chacun sait que nous en sommes à treize déclarations d’un état d’urgence depuis 2015 : cinq pour des motifs terroristes et huit pour des motifs sanitaires. Cela signifie que, pour l’essentiel, notre pays a vécu ces dernières années sous le régime de l’état d’urgence.

Comment allons-nous nous positionner par rapport à cette situation et au texte qui nous est soumis ?

Je tiens immédiatement à préciser que les sénateurs centristes vont soutenir la réécriture de ce projet de loi issue des travaux de la commission des lois. C’est pour moi l’occasion, monsieur le rapporteur, de vous remercier, non seulement de la qualité du travail de réécriture dont vous êtes l’auteur, mais aussi, plus généralement, de votre travail de recadrage au regard des exigences juridiques, mais surtout de l’exigence de vérité.

L’objet du texte qui nous est présenté serait de sortir de l’état d’urgence ; on nous demande de supposer que cela est exact. Les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune nous ont pourtant déjà expliqué que ce texte reconduit en réalité jusqu’au 1er octobre la quasi-totalité des pouvoirs énumérés dans la loi du 23 mars 2020 relative à l’état d’urgence sanitaire : couvre-feu jusqu’au 30 juin, reconfinement possible pour 10 % de la population avec saisine du Parlement à l’expiration d’un délai de deux mois, régime de quarantaine durci.

Vous savez également que le Président de la République a déjà annoncé le calendrier jusqu’à la fin du mois de juin. Un couvre-feu est prévu jusqu’alors. Cela signifie en réalité que nous serons bien dans un état d’urgence jusqu’à la fin de ce mois. Il s’agit donc, si vous me passez l’expression, d’un « coup parti » : nous savons que l’Assemblée nationale ne désavouera pas le Président de la République.

Dès lors, soit nous sommes dans l’état d’urgence, soit nous sommes dehors. Soit nous en gardons les mesures, comme le Gouvernement nous le propose, et cela s’appelle un état d’urgence, soit nous en sortons, en écartant les mesures que l’on nous propose.

La seule issue honorable face à cette situation est celle que nous propose notre rapporteur : c’est dire que, le calendrier annoncé comportant un couvre-feu jusqu’à la fin juin, ce mois sera un mois d’état d’urgence.

Cela signifie également, en contrepartie, qu’à partir du 1er juillet nous serons hors de l’état d’urgence, et non dans un état transitoire qui en serait une forme déguisée.

C’est pourquoi, à compter de cette date, les établissements recevant du public devront être ouverts, sous réserve de règles propres et du respect des gestes barrières. Pour le dire autrement, il ne peut pas y avoir un état d’urgence de précaution qui serait conservé à l’intérieur du régime de sortie.

Nous vous proposons donc, pour la période allant du 1er juillet au 15 septembre, ou au 30 septembre dans la version de l’Assemblée nationale, une vraie sortie de l’état d’urgence, sans interdiction de circulation des personnes ni fermeture des établissements recevant du public.

On sait aussi que, s’il y avait une quatrième vague, ce que personne ne peut souhaiter, le Premier ministre aurait toujours la possibilité de déclarer l’état d’urgence ; le Parlement en serait saisi après un délai d’un mois.

À l’intérieur du régime de vraie sortie de l’état d’urgence que nous vous proposons se pose la question du pass sanitaire ; c’est une question redoutable, car c’est une question de principe qui taraude nombre d’entre nous.

Le Gouvernement a prévu des modalités d’encadrement, avec un dispositif temporaire jusqu’au 30 septembre ; il serait réservé aux manifestations de plus de 10 000 personnes et ne s’appliquerait pas aux besoins de la vie quotidienne.

Notre commission des lois nous propose des garanties supplémentaires : le pass sanitaire ne s’imposerait que dans les lieux qui ne permettent pas d’assurer les gestes barrières, sous forme d’un document numérique ou sur papier justifiant, par exemple, d’une double vaccination ; un décret en définirait les modalités et préciserait quelles personnes seraient aptes à effectuer des contrôles.

Sur ce sujet, on peut se demander s’il y a pour nous un risque à admettre le pass sanitaire. Effectivement, on nous habitue à un système anormal, on nous habitue à l’inacceptable. Voici le risque : à l’avenir, dans des situations qui seraient différentes, mais pourraient sembler équivalentes, on pourrait se parer de l’intérêt général et de notre acceptation dans le passé d’un tel mécanisme pour le réintroduire. En face, vous avez les besoins de la vie, qu’elle soit culturelle ou sportive : chacun souhaite que la vie reprenne.

C’est ce qui nous conduit à accepter le pass sanitaire, dès lors que le support numérique et le support papier sont tous deux offerts, mais strictement dans la limite du 15 septembre ; autrement dit, si vous me passez l’expression, mes chers collègues, un pass sanitaire le temps d’un été !

Cela suppose de recevoir du Gouvernement la garantie que le pass sanitaire disparaîtra au 15 septembre et qu’il ne reviendra pas sur ce sujet. Une saisine du Conseil constitutionnel est assez probable ; il sera intéressant de voir s’il valide le pass sanitaire nonobstant le principe de respect des libertés, ou s’il introduit une réserve d’interprétation, dans laquelle il indiquerait ne considérer un pass sanitaire comme proportionnel aux besoins nés de la crise sanitaire que dans la limite d’une certaine date, qui pourrait correspondre au 15 septembre. Dans cette hypothèse, on disposerait de toutes les garanties requises.

Reste le problème de la conservation des données de santé. On nous avait dit qu’elle serait très limitée et se ferait dans des fichiers très spécialisés. Nous savons aujourd’hui que nous partons, dans le projet du Gouvernement, sur le fichier général et sur une durée de vingt ans. Nous avons des doutes quant à la pseudonymisation proposée et sur le respect de l’anonymat, si nous voulons que la recherche puisse se dérouler dans des conditions normales.

Enfin, pour les organisateurs de festivals, reste à savoir qui va contrôler l’identité des membres du public : si vous contrôlez les éléments de vaccination, il faut aussi vérifier les éléments d’identité. Enfin, j’avoue une incompréhension : si tout le monde bénéficie du pass sanitaire, alors pourquoi limiter la jauge, puisque les conditions de sécurité sont assurées ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Bonnecarrère. J’en termine, monsieur le président, en invitant le Gouvernement à bien vouloir répondre à tous les organisateurs d’événements culturels qui se posent cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis pour un énième débat sur l’état d’urgence sanitaire. Dans ce domaine, quels qu’aient été nos désaccords et nos divergences, quelles qu’aient été les contestations que les méthodes du Gouvernement aient pu nous inspirer, nous avons toujours considéré au Sénat que notre devoir était d’être aux côtés des Français pour faire en sorte que les décisions du Gouvernement soient aussi adaptées que possible à la crise qui s’est abattue sur notre pays.

Ce que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, est un peu différent des nombreux cas de figure que vous nous avez présentés au fil des derniers mois. Il s’agit en partie d’une répétition du texte qui nous avait été soumis l’été dernier, c’est-à-dire l’instauration d’un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence, un régime qui n’est ni un état d’urgence ni le droit commun.

Ce texte est en fait un trompe-l’œil ; plusieurs orateurs l’ont déjà relevé. Il l’est d’abord – je veux le souligner encore – parce que tout a été annoncé. Les Français croient que la loi est déjà en vigueur, ils croient que les étapes du déconfinement auront lieu à telle date puis à telle autre, ils croient que le pass sanitaire sera en place dans les établissements de plus de 1 000 personnes, alors que rien de cela n’a été voté et que tout n’est pas exact.

C’est aussi un trompe-l’œil parce que le Premier ministre va conserver des prérogatives considérables. Le texte déposé au Sénat contenait des restrictions de circulation, des interdictions de rassemblement, des fermetures d’établissements recevant du public jusqu’au 30 septembre. Une confusion certaine y était entretenue quant au couvre-feu : dans un même article, deux alinéas indiquaient des horaires différents ! Cela montre bien, comme l’a relevé notre rapporteur tout à l’heure, la précipitation et, parfois, l’approximation dont ont fait montre le Gouvernement et l’Assemblée nationale.

Il y a ensuite le fameux pass sanitaire, sur lequel reviendra ma collègue Sylvie Robert, qui est d’ailleurs commissaire de la CNIL, tout comme Loïc Hervé.

Finalement, quelles différences y a-t-il entre ce qui était proposé dans le texte transmis au Sénat par l’Assemblée nationale et l’état d’urgence sanitaire ? Je n’en vois qu’une : l’impossibilité à venir de prononcer un confinement généralisé, alors même que le Gouvernement peut le faire par un simple décret.

Vous proposiez même d’aller plus loin, monsieur le ministre, en se passant de l’avis du Parlement durant l’été, sans doute pour préserver ce que vous pensez être de longues semaines de désarroi des parlementaires. Sur ce point, nous allons vous rassurer : la commission des lois va proposer que nous puissions statuer plus rapidement lorsque ce serait nécessaire.

Notre groupe a toujours proposé des solutions pour mieux encadrer les restrictions apportées aux libertés publiques. En effet, si la situation est grave, le droit commun est protecteur et le droit d’exception problématique. Certes, les Français ont envie de reprendre une vie plus normale, mais acceptent-ils avec facilité les entraves considérables imposées depuis plus d’un an à leurs libertés, notamment à la liberté d’aller et venir ? Je ne le crois pas : ils les ont acceptées, comme nous, parce qu’ils n’avaient pas le choix. Nous avons, tous ensemble, fait des efforts, mais il est d’autant plus difficile d’accepter que vous dénommiez désormais ces mêmes efforts « sortie de l’état d’urgence sanitaire ».

Nous continuons donc de vous demander, monsieur le ministre, comme nous le faisons depuis un an, de vous appuyer sur les élus, qui ont tout de même montré, jusque dans la phase vaccinale, l’utilité de leur présence, et nous vous faisons des propositions.

Sur ce point, la commission des lois a trouvé – ce n’est pas la première fois ! – des points de convergence avec nos propositions. Peut-être serait-il plus courtois de dire que nous avons trouvé des points de convergence avec son rapporteur. (Sourires.) En tout cas, une convergence politique s’est trouvée sur la préservation des libertés publiques et, par exemple, sur la limitation de la durée de ce régime dit « de sortie de l’état d’urgence » au 15 septembre. Certaines garanties supplémentaires ont également été apportées par la commission sur le pass sanitaire ; elle a également interdit de se préoccuper de manière intrusive de la façon d’occuper les lieux d’habitation et a introduit des mesures de protection des données personnelles.

Certains de nos amendements ont été adoptés en commission, par exemple la suppression de l’activation de l’état d’urgence territorialisé pour deux mois sans consultation du Parlement, la suppression du relèvement de six à huit jours du nombre de jours de congé pouvant être imposés aux salariés, ou encore l’obligation pour le service public audiovisuel de mener des débats électoraux.

Toutefois, le texte issu des travaux de la commission n’est toujours pas satisfaisant à nos yeux, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il prévoit la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 30 juin plutôt que jusqu’au 2 juin : en sortant de cet hémicycle, nous allons dire aux Français que les sénateurs souhaitent prolonger l’état d’urgence d’un mois, ce qui est très contradictoire avec la démarche que nous voulons adopter. Nous proposerons donc la suppression de cette disposition.

Nous nous opposerons également à la possibilité offerte au préfet de s’opposer au lieu de quarantaine choisi. Nous proposerons l’anonymisation des données personnelles et nous défendrons les droits sociaux qui ont été préservés pendant cette période, notamment au travers de la prolongation de la trêve hivernale.

Enfin, sur les élections, notre groupe fera plusieurs propositions. Elles n’ont pas encore recueilli l’assentiment de la commission des lois, mais nous gardons espoir !

C’est évidemment sur le pass sanitaire que nous serons les plus vigilants et les plus exigeants. Les modifications apportées par la commission ne sont pas suffisantes, comme vous l’expliquera Sylvie Robert.

Nous proposerons donc au Sénat des modifications importantes, voire essentielles, de ce texte. Nous ne doutons pas que vous les écouterez avec intérêt. C’est en fonction des positions adoptées par notre assemblée sur nos exigences, notamment en matière de pass sanitaire, que nous déterminerons notre vote sur l’ensemble, car nous ne considérons pas qu’il faille donner par principe donner un blanc-seing au Gouvernement dans cette affaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)