compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Pierre Cuypers.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Ouverture de la session ordinaire de 2021-2022

M. le président. En application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire de 2021-2022 est ouverte.

3

Élection de sénateurs

M. le président. J’ai reçu de M. le ministre de l’intérieur une communication de laquelle il résulte que, à la suite de l’élection complémentaire des sénateurs représentant les Français établis hors de France du dimanche 26 septembre 2021, M. Jean-Pierre Bansard, Mmes Mélanie Vogel et Samantha Cazebonne, et MM. Olivier Cadic, Yan Chantrel et Christophe-André Frassa ont été proclamés élus sénateurs et sénatrices.

Le mandat de nos collègues a débuté vendredi 1er octobre, à zéro heure. Nous les accueillons au Sénat avec plaisir et leur souhaitons un excellent mandat. (Applaudissements.)

Acte est donné de cette communication.

4

Éloge funèbre de M. Patrick Boré, sénateur des Bouches-du-Rhône

M. le président. Mes chers collègues, mesdames, messieurs, c’est une profonde tristesse qui nous a envahis quand nous avons appris, le 5 juillet dernier, la disparition de notre collègue Patrick Boré, sénateur des Bouches-du-Rhône. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.) Il a mené pendant de longs mois un combat courageux et digne contre la maladie, avec la même détermination qui l’a accompagné toute sa vie.

J’étais présent, avec de nombreux collègues, le 8 juillet à La Ciotat. Ce fut une très émouvante cérémonie d’adieu, à laquelle assistaient nombre de personnalités politiques et d’habitants des Bouches-du-Rhône. La ville entière était en deuil. Et c’est aussi dans les rues de cette cité, si chère à son cœur, que les habitants sont venus en masse le long du port lui rendre témoignage de leur affection et de leur reconnaissance, avec émotion, humanité et recueillement. Et les sirènes des bateaux « pleuraient » à l’unisson des cœurs.

Le service de l’intérêt général, le don de soi et l’amour du prochain guidèrent sans cesse la vie de Patrick Boré.

Né à Toulon le 9 novembre 1956, de parents commerçants, Patrick Boré exerça le beau métier de pharmacien, après des études à la faculté de médecine de Marseille. Installé à La Ciotat, entre ses clients et lui, c’était un attachement, une empathie, tout particulièrement pour les ouvriers des chantiers navals.

Engagé en politique depuis les années passées sur les bancs de l’université, il porta la flamme du gaullisme à La Ciotat et s’engagea dans une carrière politique en 1999, en devenant le suppléant du député des Bouches-du-Rhône Bernard Deflesselles.

Son élection, en mars 2001, à la mairie de La Ciotat est restée un moment privilégié de sa vie publique. Il allait redonner vie à une cité fortement affectée par la fermeture de ses chantiers navals. Réélu maire à trois reprises, en 2008, 2014 et 2020, il s’est consacré à sa ville pendant plus de dix-neuf ans, il l’a transformée et a mis toute son énergie et sa générosité au service des Ciotadens, tant il est vrai qu’un maire est comme un potier qui donne forme à la terre brute.

Cette ville lui doit notamment le renouveau des chantiers navals, devenus désormais l’un des fleurons de l’activité de réparation des grands yachts dans le monde, la création du parc du Domaine de la Tour, la rénovation du Port-Vieux ou encore le développement des zones d’activité dédiées aux industries innovantes, sans oublier une politique de l’habitat volontariste permettant aux Ciotadens de vivre et travailler chez eux.

Il permit à La Ciotat de renouer avec sa fierté industrielle, mais aussi culturelle, en redonnant vie à l’association La Ciotat Berceau du cinéma, créée pour illustrer la vocation cinématographique de cette ville, liée à la présence des frères Lumière.

Il s’est battu pour La Ciotat avec la fougue du rugbyman qu’il était. Renaud Muselier, son ami d’études, m’a confié au soir même de sa disparition : « Il était profondément gentil et bienveillant, jusqu’au coup d’envoi du match où il se transformait en beau diable. Ce trait de caractère du rugby, il l’avait aussi dans la vie politique : il adorait le combat. »

Je le revois, lors d’une visite des chantiers, en août 2018, effectuée à son invitation. J’ai en mémoire sa fierté et sa passion lorsque nous parcourions les différentes installations et ateliers, à la rencontre des entreprises et des salariés du site. Nous avions souligné le succès de la réindustrialisation du chantier naval, et insisté sur l’importance du travail collectif dans cette réussite.

Ancré à sa ville, Patrick Boré l’était aussi à son département. Il fut élu conseiller général du canton de La Ciotat en 2004, réélu en 2011 et 2015, et siégea au total plus de seize années au sein de l’assemblée départementale.

Il devint en 2015, aux côtés de la présidente Martine Vassal, premier vice-président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, chargé des relations internationales et européennes, ainsi que des interventions humanitaires.

Il fut un élu apprécié de tous, tant au sein de cette assemblée qu’à la Métropole d’Aix-Marseille-Provence, dont il fut vice-président de 2016 à 2020.

En juin 2019, il s’engagea dans la campagne des élections européennes.

Mais notre assemblée l’attirait depuis longtemps. Son arrivée au Sénat, au début du mois d’août 2020, en remplacement de Sophie Joissains, a marqué un tournant dans sa vie.

Il mena la liste « Cap sur l’avenir de nos villes et de nos villages », lors des élections sénatoriales qui suivirent, aux côtés de nos collègues Valérie Boyer, Stéphane Le Rudulier et Brigitte Devésa, qui lui a maintenant succédé parmi nous. Il fut, comme à son accoutumée, un acteur de rassemblement et d’apaisement. J’ai le souvenir d’une réunion et d’un déjeuner de campagne sénatoriale particulièrement chaleureux, à Aix-en-Provence, en septembre 2020.

Il sillonna les Bouches-du-Rhône au cours de cette campagne, allant de mairie en mairie. Élu sénateur, il a gardé la passion de sa ville et de son département. Lorsqu’il passa le flambeau de la mairie de La Ciotat à Arlette Salvo, il déclara : « En choisissant le Sénat, je choisis La Ciotat, car je ne quitte pas La Ciotat. […] Avoir deux parlementaires dans un conseil municipal, je crois que c’est important pour une ville aussi. »

Dès son arrivée parmi nous, nous avons apprécié cet homme particulièrement chaleureux. Souvenez-vous de sa silhouette émaciée, de sa gentillesse et de son affabilité. Ses premières interventions dans l’hémicycle furent écoutées avec attention. Il avait une voix forte !

Sa profession de pharmacien l’avait tout naturellement conduit à rejoindre la commission des affaires sociales. Au cours de la crise sanitaire, il eut à cœur d’alerter le Gouvernement, comme beaucoup d’entre nous, sur la nécessité de « territorialiser » les mesures prises. Il avait ainsi appelé à « réfléchir, en collaboration avec les élus locaux, les fédérations et les organisations professionnelles, à des protocoles sanitaires sûrs et réalisables », pour éviter de nouvelles fermetures et permettre notamment aux gérants des restaurants et des bars « d’avoir une véritable visibilité et à leur foyer de sortir de l’angoisse du lendemain ».

Membre du groupe d’amitié France-Arménie, il déposa, en avril 2021, une proposition de résolution par laquelle il invitait le Gouvernement « à exiger de la République d’Azerbaïdjan, sous peine de sanctions, […] la libération sans délai des prisonniers civils et militaires qu’elle détient toujours et la restitution immédiate des corps des soldats arméniens tués au combat ». Ces mots parlent aux présidents des groupes qui m’ont accompagné, un 24 avril 2021, en Arménie.

En mai 2021, il questionna le Gouvernement sur ce même sujet, déplorant le silence et l’inaction de la France, « pourtant liée à l’Arménie par des liens séculaires d’amitié », « face aux multiples exactions commises par la Turquie et ses alliés, notamment à l’encontre de l’Arménie ».

Il fut aussi membre du groupe France-Saint-Siège. Quoi de plus naturel pour celui qui fit en sorte que les reliques de Saint-Césaire d’Arles puissent être envoyées aux musées du Vatican ? Selon ce saint du VIe siècle, il faut courir sur ses deux pieds, « l’humilité et la charité ».

Sportif de haut niveau et adepte du rugby, marcheur patenté sur les chemins de Corse, chers à son cœur, Patrick Boré était un homme réservé, à l’écoute de la détresse humaine. Il l’a prouvé en accueillant, ce qui n’est pas si facile, de jeunes migrants érythréens. Ses convictions l’ont toujours porté vers l’autre.

Nous garderons de Patrick Boré le souvenir d’un sénateur chaleureux, bienveillant et sincère, d’un élu de proximité profondément attaché aux Bouches-du-Rhône et à sa commune de La Ciotat, et aussi d’un humaniste doté d’une grande empathie, d’une personnalité d’une grande droiture et particulièrement agréable dans ses relations avec autrui.

À ses anciens collègues de la commission des affaires sociales, à ses amis du groupe Les Républicains, j’exprime notre sympathie attristée, que nous ressentons encore quelques mois après son décès.

Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre profonde compassion, mais aussi notre gratitude, à sa mère, à son épouse, Nadine, que je salue aujourd’hui, à ses enfants Julien et Alicia, et à toute sa famille, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. Patrick Boré était un exemple et « s’accompagnait lui-même ». J’ai le souvenir de nos dernières conversations téléphoniques, à un moment où l’espérance se faisait peut-être plus lointaine. Il continuait à être ce qu’il était, un homme profondément humain. Patrick restera à jamais présent dans nos mémoires. Nous ne l’avons pas accueilli très longtemps dans cet hémicycle, mais il est des femmes et des hommes, qui nous marquent de leur empreinte, malgré la brièveté de leur rencontre.

Je vous invite à partager un moment de recueillement, avec la pensée que Patrick, qui avait sa vision de l’éternité, est peut-être, en cet instant, parmi nous. (Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Candidature aux fonctions de secrétaire du Sénat

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour remplacer, en qualité de secrétaire du Sénat, Mme Patricia Schillinger, qui a démissionné de cette fonction à compter du 1er octobre 2021.

La candidature de M. Dominique Théophile a été publiée et la désignation aura lieu conformément à l’article 2 bis du règlement.

6

Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et de la commission des affaires européennes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

7

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

8

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme
Discussion générale (suite)

Lutte contre toutes les formes d’antisémitisme

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 701 [2020-2021]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme
Discussion générale (fin)

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà presque quarante et un ans jour pour jour – c’était le 3 octobre 1980 –, une bombe explosait rue Copernic à Paris. Elle visait une synagogue et fit des dizaines de blessés, ainsi que des morts, bien sûr. Si une telle attaque antisémite était une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on peut malheureusement dire, rétrospectivement, que ce ne fut pas une dernière. Les crimes antisémites se sont en effet multipliés depuis lors.

Je voudrais citer les crimes abominables de Mohammed Merah, mais aussi les victimes suppliciées que furent Ilan Halimi, Sarah Halimi, Mireille Knoll. Pour prendre la mesure du phénomène, il faut avoir en tête ces chiffres d’une étude de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), qui révélait voilà peu que sept Français sur dix de confession juive disaient avoir fait l’objet d’un acte antisémite : sept sur dix, mes chers collègues !…

Oui, désormais, de nouveau, la question de l’antisémitisme se pose en France.

Mais elle se pose d’une façon radicalement renouvelée. Hier, ces actes antisémites étaient principalement le fait d’une idéologie, celle de l’extrême droite. Aujourd’hui, un autre écosystème s’est mis en place, dans des territoires perdus de la République, gagnés par l’islamisme, des territoires où l’on ne peut plus enseigner la Shoah à l’école, des territoires où trop souvent nos compatriotes de confession juive se voient cracher au visage les mots de « sale juif » – aujourd’hui, au XXIe siècle !

Dans ces territoires, dans nos écoles publiques, nos écoles de la République, combien reste-t-il d’élèves de confession juive ? Combien de familles ont dû s’exiler, la peur au ventre ?

Cet antisémitisme est radicalement nouveau, disais-je : hier – c’était avant la guerre –, il faisait la une d’un certain nombre de journaux, des journaux antidémocratiques, qui affichaient leur antiparlementarisme ; aujourd’hui, malheureusement, cette idéologie se déploie, se cache, à l’ombre de discours prétendument antiracistes. Et ce que nous entendons relève parfois d’un stupéfiant renversement des valeurs : désormais, les coupables s’affichent comme des victimes au motif qu’ils appartiendraient à des groupes de « dominés », des groupes de déshérités.

Mes chers collègues, hier comme aujourd’hui, un antisémite est un antisémite. Et face à l’antisémitisme, nous ne devons rien céder.

Ne rien céder, c’est aussi adopter une définition nouvelle, à la hauteur de cette exigence. Car on ne combat bien que ce que l’on nomme bien. Tel est l’objet de la proposition de résolution que j’ai cosignée avec mon collègue Hervé Marseille : consacrer la définition qui a été adoptée par la France et par les nombreux pays membres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.

Cette définition – vous aurez pu le constater – est suffisamment large pour prendre en compte l’ensemble des manifestations et expressions de l’antisémitisme. Parfois la frontière est ténue, mes chers collègues, entre l’antisémitisme et l’antisionisme. En tout cas, elle est beaucoup moins nette que certains ne voudraient le faire accroire.

Si cette définition est conçue pour être assez large, elle doit être aussi suffisamment stricte pour ne pas blesser la liberté d’opinion : on a le droit, dans notre pays comme dans toutes les démocraties, de critiquer la politique d’Israël, comme on a le droit de critiquer la politique de n’importe quel État de la planète.

Voici ce qu’en conclusion je veux répéter : la résolution proposée n’est pas une résolution pour nos compatriotes de confession juive ; c’est une résolution pour la France. Les actes antisémites sont bien sûr des actes dirigés contre des Français en particulier ; mais ils sont d’abord et avant tout dirigés contre la République française, contre ce que nous sommes, contre notre histoire, contre notre projet civique, contre l’essence même de notre beau pays, la France. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le président Retailleau a commencé son propos en évoquant les événements de la rue Copernic ; plus près de nous, le 11 août dernier, les habitants de Perros-Guirec ont découvert la stèle érigée en hommage à Simone Veil sur le parvis de la mairie recouverte de tags représentant des croix gammées. Après un nettoyage, cette même stèle sera de nouveau souillée trois jours plus tard. Durant le mois d’août 2021, elle sera abîmée à quatre reprises.

Ces actes inacceptables ne sont pas isolés et j’aurais pu, comme vient de le faire mon ami Bruno Retailleau, multiplier les exemples dans tous nos départements…

Si de tels actes se font sous le couvert de l’anonymat, nous assistons également à la résurgence d’un antisémitisme de plus en plus décomplexé, parfois même pratiqué à visage découvert. En témoignent certaines pancartes aperçues cet été dans des manifestations anti-passe sanitaire.

L’antisémitisme s’exprime dans la rue, sur les murs des lieux de culte et dans nos cimetières, mais aussi, beaucoup, sur les réseaux sociaux. Pour des milliers de Français, il se traduit par des injures, des intimidations, des discriminations.

Comment accepter qu’en France, en 2021, des élèves soient contraints de quitter leur école en raison de leur religion ?

Depuis les années 1970, l’opinion publique paraissait pourtant globalement vaccinée contre l’antisémitisme, en France et dans le monde.

Mais peu à peu a émergé un nouvel antisémitisme qui, protéiforme, prend souvent pour prétexte la situation au Proche-Orient pour condamner non seulement les Israéliens, mais aussi, sur cette base, un « lobby juif » auquel sont assimilés les juifs de France.

Les chiffres du ministère de l’intérieur l’attestent : en 2019, pas moins de 687 faits antisémites ont été comptabilisés par les services de police, ce qui représente une hausse de 27 % par rapport à l’année 2018, s’ajoutant, de surcroît, à une augmentation qui avait déjà été de 74 % au cours de ladite année 2018.

Derrière ces chiffres, il y a l’horreur. Car l’antisémitisme tue : Mireille Knoll, Sarah Halimi, les victimes de l’Hyper Cacher, les enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, Ilan Halimi, autant de noms et de visages dans nos consciences, des femmes, des hommes et des enfants sauvagement arrachés à l’affection des leurs par une violence et une haine barbares.

Cette haine, la haine des juifs, on la pensait d’un autre temps.

Par son caractère violent et meurtrier, cette nouvelle haine antisémite, apparue dans les années 2000, est sans précédent.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais en France on n’avait assassiné des juifs, encore moins des enfants, du seul fait de leur religion.

En 1990, la loi tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite loi Gayssot, a condamné la négation des crimes contre l’humanité, preuve de l’engagement de la France dans ce combat qui l’honore.

Depuis, de nombreux plans interministériels ou nationaux sont venus compléter cette loi. Le dernier en date couvrait les années 2018 à 2020.

Cet antisémitisme, né au XXe siècle et avançant la plupart du temps sous le masque de l’antisionisme, ne saurait nous laisser indifférents ou démunis.

Nous devons le décrire, le définir, le caractériser pour mieux le dénoncer ; c’est là tout le but de la définition proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, organisation intergouvernementale à laquelle appartient la France, comme la quasi-totalité des pays de l’Union européenne.

La proposition de résolution que nous vous soumettons aujourd’hui, mes chers collègues, n’est pas juridiquement contraignante et n’a pas vocation à l’être : il n’est pas question de modifier le code pénal ni la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Il s’agit de caractériser l’antisémitisme par une définition plus précise et de permettre ainsi aux forces de l’ordre, aux magistrats et aux enseignants de mieux appréhender un phénomène qui prend parfois, aussi, les traits de l’antisionisme.

Je remercie tous mes collègues signataires de cette proposition de résolution pour leur engagement.

Il ne s’agit pas non plus d’empêcher toute critique de l’État d’Israël. L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste le précise d’ailleurs dans ses travaux, indiquant que « critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme ».

La définition que nous vous soumettons a par ailleurs été adoptée par de nombreux pays, dont la France, et par plusieurs villes importantes, comme Paris ou Nice. Elle le fut également par le Parlement européen au printemps 2017.

Réaffirmer dans cet hémicycle notre attachement à cette lutte essentielle pour le bien vivre ensemble relève d’une nécessité impérieuse au moment où certains cherchent à réhabiliter le pétainisme et dénient aux enfants tués à Toulouse le droit d’être enterrés en Israël.

Parce qu’on ne construit pas une société sûre, pacifique et solidaire sur la haine de l’autre, c’est l’honneur du Sénat que d’adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la période que nous vivons est particulièrement violente et anxiogène pour tous les citoyens de notre pays.

Les actes racistes et les actes dirigés contre la communauté musulmane se sont multipliés de façon alarmante ; ils deviennent des faits divers ; ils ne nous révoltent plus, ou presque plus. Quant aux actes antisémites, forme la plus ignoble du racisme, ils se multiplient eux aussi, et nous inquiètent. Ils inquiètent la communauté nationale, car ils sont une atteinte aux valeurs de la République.

Je suis petite-fille de déportés ; mon père s’est échappé du Vel d’Hiv grâce à un gendarme français qui a eu pitié de ma grand-mère et a ainsi épargné son fils… mon père.

Penser qu’en France, en 2021, on peut attaquer des personnes au seul motif qu’elles sont juives, et tuer des enfants pour les mêmes motifs, me glace le sang.

Penser que certains abrutis utilisent les symboles de la Shoah pour manifester contre le passe sanitaire me donne la nausée.

Comment expliquer que certains osent utiliser l’étoile jaune « porte-malheur » ? Comment expliquer à nos parents, qui l’ont portée, ces dérapages insupportables ?

Penser que certains promeuvent une théorie suggérant qu’il y aurait de bons et de mauvais antisémites, comme il y a du bon et du mauvais cholestérol, me consterne, car ce discours est insidieux et pervers.

Les faussaires de l’histoire, qui affirment dans un même élan que Vichy aurait protégé les juifs, justifiant l’injustifiable pour des raisons politiques, m’horrifient.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Nathalie Goulet. Penser qu’en 2021, en France, terre des Lumières, de l’émancipation des juifs, il faut que nos synagogues soient gardées jour et nuit et que les gardes soient doublées les jours de fête, au point que ma fille a peur d’y emmener ses enfants, me désespère ; et je ne vois pas comment nous inverserons la tendance, madame la ministre.

C’est pourquoi je remercie le Gouvernement et le ministre de l’intérieur pour les mesures de sécurité qu’ils consacrent à la protection des lieux de culte – de tous les lieux de culte.

C’est pourquoi, aussi, je remercie Hervé Marseille et Bruno Retailleau d’avoir fait inscrire cette proposition de résolution à l’ordre du jour.

Nous vivons avec nos morts et avec notre histoire tragique.

C’est pour éviter que celle-ci ne se reproduise que je voterai, avec les membres du groupe Union Centriste, cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ». Cette citation de Frantz Fanon sonne comme un rappel : le combat contre l’antisémitisme est un combat permanent, un combat pour nous, pour nos enfants et pour nos compatriotes de confession juive, qui font évidemment partie intégrante de la communauté nationale et méritent le même respect que les autres.

Hélas, Mireille Knoll, Sarah Halimi, les victimes de l’Hyper Cacher et bien d’autres nous rappellent qu’aujourd’hui, en France, l’antisémitisme est un fléau tenace. La population juive suscite encore des fantasmes, des préjugés, qui conduisent certains à commettre l’irréparable par haine ou simplement par bêtise.

Si, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on pouvait légitimement penser que le pire était derrière nous, l’antisémitisme est encore prégnant. L’augmentation de 27 % des actes de ce type en 2019 en témoigne. Ce chiffre doit être cité pour objectiver la haine visible en un phénomène comptable.

Mais il y a aussi ce que l’on ne voit pas, parce que certains ne portent pas plainte ou simplement parce que l’on s’y est habitué, par mithridatisation des esprits. Ce peut-être une phrase, une remarque ou un sous-entendu stigmatisant – autant d’éléments qui chaque jour nous rappellent que l’antisémitisme reste une réalité à combattre, car il est en mutation.

Cette proposition de résolution retient la définition suivante : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »

Cette définition promue par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, approuvée par le Président de la République et par l’Assemblée nationale en 2019, fait débat.

Si nous sommes tous d’accord sur le regain que connaît en France l’antisémitisme et sur le fait que nombreux sont les antisémites qui se drapent derrière les drapeaux de l’antisionisme, nous ne devons pas occulter que la définition qui nous est proposée ne fait pas consensus, à l’Assemblée nationale notamment, mais aussi et y compris parmi les intellectuels juifs.

Le RDSE n’a pas de position de principe a priori sur ce sujet, sinon celle qui consiste à observer l’étendue du droit existant et les effets qu’engendrerait l’adoption de cette proposition de résolution.

Force est de constater qu’entre la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, la loi Gayssot et, surtout, la réforme du code pénal de 1992, qui a aggravé les sanctions en la matière, notre ordre juridique offre une réponse pénale suffisante et complète face aux actes racistes et xénophobes, qui plus est antisémites.

On peut difficilement affirmer, comme cela a pu être fait lors des débats à l’Assemblée nationale, que ce texte permettra de mieux qualifier les actes antisémites, pour la simple et bonne raison que cette définition ne fera pas l’objet d’une traduction pénale.

Je ne vous rappellerai pas quelle est la force juridique des résolutions, mes chers collègues ; j’entends néanmoins la portée hautement symbolique du texte que nous soumettent les présidents Retailleau et Marseille.

Cette définition doit être avant tout perçue comme un outil éducatif, notamment à destination des plus jeunes, visant à leur faire comprendre que le désaccord avec la politique de l’État israélien et la critique de celle-ci sont légitimes et légaux, mais que l’amalgame entre ledit État et l’ensemble de la population de ce pays – laquelle, d’ailleurs, n’est pas uniquement juive – est, lui, illégal, condamnable et inacceptable.

Conscients que cette proposition de résolution est avant tout symbolique et souhaitant réaffirmer leur attachement à la lutte contre toutes les formes de discrimination, les membres du RDSE voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger et M. Joël Guerriau applaudissent également.)