M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Je vous remercie de vos observations, monsieur le sénateur Richard ; elles viennent corroborer ce que j’ai essayé de dire dans mon propos liminaire.

Premièrement, il y a en effet une certaine difficulté à réaliser une comptabilisation qui soit tout à fait précise, du point de vue numérique, mais aussi, parfois, juridique. Sans doute le présent exercice montre-t-il, monsieur le président, à quel point nous devons progresser sur ces sujets d’évaluation en matière d’ordonnances, afin de disposer de critères partagés entre le secrétariat général du Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous pourrons, alors, travailler sur des chiffres plus précis.

Deuxièmement, j’ai bien noté la remarque au sujet du code minier. Effectivement, c’est un travail très spécifique qui a été mené ; il est relativement atypique par rapport à nos pratiques habituelles.

Troisièmement, il ne m’appartient évidemment pas de m’immiscer dans le choix d’organisation des travaux du Sénat, mais le Gouvernement est disposé à réfléchir à la manière dont on pourrait identifier les ordonnances prioritaires ou justifiant un débat.

Je partage à cet égard votre sentiment, monsieur Richard : comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, dans un certain nombre de cas, pour ne pas dire la très grande majorité d’entre eux, la ratification ne nécessiterait pas un débat en séance. Mais c’est le travail que nous devons désormais mener ensemble.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Le nombre d’ordonnances publiées ne cesse d’augmenter, et cette tendance se poursuit. Même si la bataille des chiffres ne fait pas rage – au Sénat, il n’y a aucune bataille qui fasse rage ! (Sourires.) –, nous venons de constater, c’est un fait avéré, que ce nombre entre 2012 et 2018 dépasse celui des lois qui ont été adoptées selon la procédure ordinaire.

Cette progression s’est accentuée depuis le début de la crise sanitaire. Ainsi, au cours de la session parlementaire 2019-2020, ce sont 100 ordonnances qui ont été publiées, contre 59 durant la session précédente. Leur part au sein des textes relevant de la loi s’élève à 70 %.

Nous avons le désagréable sentiment que la loi n’est plus considérée comme le processus normal de législation et, par là même, que l’exécutif dépossède les parlementaires de leur pouvoir législatif. Quelques exemples ont été donnés par notre collègue Pascale Gruny, notamment sur la haute fonction publique. Un tel recours abusif aux ordonnances ne reflète pas l’esprit initial de la Constitution de 1958. D’exceptionnel, ce phénomène est désormais devenu habituel.

En outre, la ratification de la grande majorité des ordonnances s’effectue dans des conditions qui ne donnent pas la possibilité aux assemblées parlementaires d’examiner les mesures qu’elles instaurent.

Les projets de loi de ratification sont déposés par l’exécutif, afin qu’ils ne soient pas caducs, mais leur discussion n’est pas inscrite à l’ordre du jour.

C’est là une source d’inquiétudes bien légitimes, par ailleurs accentuées par la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel. En effet, dans une décision en date du 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a considéré que, si le projet de loi de ratification avait été déposé dans les délais, l’ordonnance non ratifiée acquerrait une valeur législative de façon rétroactive, dès la fin du délai d’habilitation.

Monsieur le ministre, l’inscription à l’ordre du jour des projets de loi de ratification des ordonnances revêt une importance cruciale pour la démocratie parlementaire. Envisagez-vous d’y porter une vigilance accrue ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Vous m’interrogez, monsieur le sénateur Alain Marc, sur le taux de ratification des ordonnances et les décisions du Conseil constitutionnel.

S’agissant tout d’abord de la référence que vous avez faite au nombre d’ordonnances sur la session parlementaire 2019-2020, reconnaissons que le premier semestre 2020 est inclus dans cette période. Pardonnez-moi de le dire ainsi, mais la comparaison n’est sans doute pas la meilleure quand on sait combien, au cours du printemps 2020, et souvent, d’ailleurs, avec le soutien et le concours du Sénat, nous avons dû recourir à des ordonnances pour faire face à un impondérable bien connu de toutes et de tous ici.

J’en viens à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Si, dans sa décision du 28 mai 2020 relative à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dite « Force 5 », celui-ci a semblé assimiler une ordonnance non ratifiée à une disposition législative, dès lors que le délai d’habilitation était échu, il l’a fait uniquement au sens et pour l’application de l’article 61-1 de la Constitution, c’est-à-dire pour déclarer cette QPC recevable devant lui.

Le juge constitutionnel a d’ailleurs eu l’occasion d’apporter cette précision dans une décision du 3 juillet 2020. Il a également rappelé qu’une ordonnance non explicitement ratifiée devant le Parlement demeure un acte réglementaire, susceptible de recours devant le juge administratif. Cela peut être le cas, notamment, lorsque le pouvoir exécutif outrepasse les limites de l’habilitation.

En aucun cas les prérogatives du Parlement ne sont donc atteintes par cette jurisprudence, dont le Conseil d’État considère qu’elle ne modifie en rien son rôle de garant de la conformité de l’ordonnance à la loi d’habilitation. Elle permet simplement de transférer au Conseil constitutionnel l’intégralité du contrôle de la conformité des lois et des ordonnances aux droits et libertés fondamentales. Cela apporte de la lisibilité à notre état de droit et garantit une meilleure protection des libertés de nos concitoyens.

Dès lors, le Gouvernement n’a pas considéré que ces décisions devaient modifier sa pratique de ratification.

J’ai néanmoins rappelé les éléments de réflexion qui devaient être les nôtres en la matière, partant du constat que, s’il fallait ratifier l’ensemble des ordonnances, nous aurions un sujet d’organisation de l’ordre du jour assez difficile à traiter devant nous, mais que, en revanche, nous avions un travail à faire, avec le Sénat et l’Assemblée nationale, sur certaines ratifications d’ordonnances.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.

M. Stéphane Le Rudulier. Dans la droite ligne de mon collègue Alain Marc, et effectivement sans entrer dans une bataille de chiffres, j’observerai que l’on assiste indéniablement à une banalisation des ordonnances, avec, pour la plupart d’entre elles, une absence de toute procédure de ratification. Cela pose véritablement un problème quant à l’équilibre de nos institutions et, surtout, à la séparation des pouvoirs.

Un acte émanant du Gouvernement ne saurait, d’une manière ou d’une autre, avoir une valeur législative.

Il me semble que le dessaisissement du Parlement est désormais consacré. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, les décisions du Conseil constitutionnel des 28 mai et 3 juillet 2020, par lesquelles ce dernier se reconnaît compétent, une fois le délai d’habilitation expiré, pour examiner les dispositions des ordonnances non ratifiées intervenant dans le domaine de la loi, ont donné le coup de grâce à la protection des assemblées.

J’aimerais, si vous le permettez, revenir à la genèse de notre Constitution.

Toutes les dispositions portant sur la rationalisation du parlementarisme ont été inscrites avec un postulat : l’absence de fait majoritaire. C’est donc pour soutenir un gouvernement potentiellement fragile que la rationalisation du parlementarisme a été mise en place, avec un rôle spécifique dévolu au Conseil constitutionnel, celui de stabiliser le gouvernement en place et de lui permettre de faire adopter ses réformes.

Aujourd’hui, l’esprit de la Constitution est pratiquement inversé, avec la coexistence d’un gouvernement fort et d’un Parlement affaibli.

Pensez-vous réellement, monsieur le ministre, que l’on puisse réformer et gouverner notre pays par ordonnances, alors même que la confiance des Français dans nos institutions et dans notre fonctionnement démocratique s’étiole de jour en jour ? Ne faut-il pas donner un coup d’arrêt à cette évolution néfaste pour nos institutions ?

À cet égard, je déplore sincèrement que la proposition de loi dite « Sueur » n’ait pas prospéré à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Sueur. Et moi donc ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Vous posez plusieurs questions, monsieur le sénateur Le Rudulier.

La première concerne le Conseil constitutionnel et s’inscrit, comme vous l’avez indiqué, dans la prolongation de la précédente. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit, mais j’insiste sur le fait que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne change ni la méthode ni la pratique relative aux ordonnances, et qu’il n’y a rien de tel dans les intentions du Gouvernement.

Vous évoquez par ailleurs la « banalisation » – c’est le terme, je crois, que vous avez employé – du recours aux ordonnances. Même si nous devons prendre notre part, il faut tout de même reconnaître que, hors crise du covid, l’usage des ordonnances a été assez important sur les trois derniers quinquennats. Celui qui est en cours ne fait pas exception à la règle.

La réalité, c’est que la France est un pays qui légifère beaucoup, que ce soit par le biais d’ordonnances ou par la voie classique des projets ou propositions de loi. C’est peut-être sur cet aspect des choses que nous devrions rechercher une meilleure régulation. C’est le ministre chargé des relations avec le Parlement qui le dit, mais aussi l’ancien président de groupe à l’Assemblée nationale que je suis. J’ai vu comment les choses se passaient et, selon moi, c’est un axe de travail.

J’entends bien, monsieur Le Rudulier, votre appel à la vigilance sur le véhicule utilisé, à savoir l’ordonnance. Mais nous devons aussi réfléchir au fait que, dans notre pays, on cherche toujours à régler par la loi des questions qui pourraient l’être autrement.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Nous légiférons même sur le menu des cantines !

M. Marc Fesneau, ministre délégué. Ce n’est pas le seul fait de cette majorité ou de ce gouvernement ; on peut se le dire entre nous, c’est une sorte de mal français !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Je vais poursuivre dans la même veine et, à mon tour, rappeler brièvement les chiffres : sous le quinquennat Macron, 345 habilitations par ordonnances ont été accordées, et ce nombre a doublé en dix ans – sans doute est-ce d’ailleurs sur ce doublement qu’il faut insister… La part d’ordonnances ratifiées est, elle, en chute libre, atteignant un taux de 20 % sur le quinquennat. Cela doit aussi nous alerter.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la décision du Conseil constitutionnel du 3 juillet 2020, précisant qu’une ordonnance non ratifiée avait valeur législative, est venue jeter le trouble. On peine encore à comprendre cette décision, qui entre en conflit avec le deuxième alinéa de l’article 38 de la Constitution, selon lequel les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse ».

Le Conseil d’État conteste explicitement cette jurisprudence et se considère comme compétent pour juger d’une ordonnance non ratifiée. Le Sénat la conteste également. Il faut dire que cette décision achève de priver le Parlement de son pouvoir législatif.

La législation déléguée a été mise en œuvre pour faire face à l’instabilité gouvernementale des IIIe et IVe Républiques et au besoin d’accélérer les temps parlementaires, dans un contexte de révolution industrielle, de mondialisation et d’évolution de la société.

Quand la Constitution de la Ve République est venue encadrer cette pratique, jamais ses rédacteurs n’imaginaient qu’un gouvernement puisse disposer d’une majorité nette et fidèle à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, la conjugaison du fait majoritaire et de la rationalisation du parlementarisme réduit la Représentation au rang de faire-valoir et la prive donc de son rôle de législateur. L’actuel gouvernement innove en la matière, en ne faisant même plus semblant de mettre les formes.

Comment, monsieur le ministre, expliquez-vous un tel recours aux ordonnances et l’abandon des procédures de ratification ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. J’avais espéré, monsieur le sénateur Gontard, que mes précédentes réponses au sujet du Conseil constitutionnel soient de nature à vous convaincre.

Elles n’émanent pas de moi, personnellement ; à plusieurs reprises, d’éminents juristes ont souligné que la décision du Conseil constitutionnel ne changeait pas fondamentalement la question du recours aux ordonnances ni la manière dont celui-ci devait être apprécié.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais d’autres éminents juristes ont dit le contraire !

M. Marc Fesneau, ministre délégué. Il s’agissait simplement d’acter que, en cas de recours, notamment par le biais d’une QPC, le Conseil constitutionnel se saisirait du dossier. Pour le reste, on se devait bien de suivre la voie habituellement choisie.

L’esprit de la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont donc clairs sur ce point : le Parlement habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, à des fins bien précises et dans un champ déterminé.

Le Conseil constitutionnel censure, comme il l’a d’ailleurs fait l’an passé, à l’occasion de sa décision sur la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, toute rédaction qui permettrait au Gouvernement de poursuivre d’autres finalités que les finalités prévues par la loi d’habilitation. Nous sommes bien dans l’épure et dans les objectifs de la législation par ordonnances.

Par ailleurs, pardon de le répéter, un grand nombre d’ordonnances prises récemment sont liées à la gestion de la crise sanitaire. Cela signifie, non pas que le recours aux ordonnances est réduit, mais, comme j’ai essayé de le démontrer dans mes propos liminaires, qu’il n’est pas significativement plus important lors de ce quinquennat que lors des précédents. Par conséquent, oui, l’usage des ordonnances s’amplifie de manière continue depuis plusieurs quinquennats, mais celui-ci ne fait pas exception à la règle.

Enfin, s’agissant des ratifications, la solution pourrait être de chercher à identifier, parmi les lois d’habilitation, les ordonnances qui nécessiteraient un débat, selon les voies et moyens que décideraient le Sénat et l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Cela a déjà été dit, le recours aux ordonnances a dangereusement augmenté. Je ne ferai que répéter les chiffres : pas moins de 345 habilitations depuis 2017, soit une hausse de 106 % par rapport au quinquennat de Nicolas Sarkozy et de 6 % par rapport à celui de François Hollande ; en parallèle, seulement 20 % d’ordonnances ratifiées, contre 60 % et 80 % pour les prédécesseurs de l’actuel Président de la République.

J’ai bien entendu vos réponses, monsieur le ministre, mais je crois que, même en dehors du motif du covid, et pour reprendre les termes du rapport sénatorial, nous nous situons toujours à un « niveau exceptionnel ».

L’usage débridé de cet outil, combiné à la récente jurisprudence du Conseil constitutionnel, devient forcément source d’inquiétudes.

Ainsi, allant à l’encontre de la révision constitutionnelle de 2008, qui impose une ratification expresse des ordonnances, les juges ont considéré qu’il n’était pas nécessaire que celles-ci soient ratifiées pour obtenir valeur législative, une fois qu’est passé le délai d’habilitation, exonérant ainsi le Gouvernement d’un examen devant le Parlement.

Les inquiétudes sont d’autant plus grandes qu’un récent article du journal Marianne, faisant état du programme d’un futur candidat potentiel, actuellement Président de la République, précisait que l’objectif était de réduire le travail législatif et le temps consacré à l’examen des textes de loi…

On voit bien là comment l’exécutif pourrait s’engouffrer dans la brèche de l’évitement du débat démocratique, piétinant la légitimité du travail parlementaire. Finalement, la verticalité du pouvoir se renforce jour après jour.

Nous aimerions donc connaître la position du Gouvernement sur la question de la ratification expresse des ordonnances et savoir s’il souhaite aller plus loin dans le transfert du pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif, avec un Parlement qui n’écrirait plus la loi.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Vous me pardonnerez de me répéter, madame la sénatrice Cukierman : c’est sans doute inhérent à l’exercice de ce débat interactif…

Je rappelle donc que le recours aux ordonnances est certes important, mais que ce quinquennat ne fait pas exception à la règle. Voilà plusieurs années que ces niveaux sont constatés, et cela pour les raisons que j’ai tenté d’expliquer dans mon propos liminaire.

Par ailleurs, il suffit d’examiner les textes concernés par le recours aux ordonnances pour observer que la crise du covid, qu’on le veuille ou non, a tout de même imposé d’élaborer un certain nombre de textes de loi dans l’urgence. Mme la sénatrice Gruny l’a souligné, bien qu’elle ne partage pas tout à fait les mêmes données que le Gouvernement – comme j’ai également eu l’occasion de le dire, disposer de données communes participera de la bonne évaluation du recours aux ordonnances.

Je rappelle en outre que ce recours n’est pas un moyen de contournement du Parlement et que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne remet rien en cause de ce point de vue. (Mme Cécile Cukierman sexclame.)

Enfin, et c’est un point sur lequel je puis aller dans votre sens, nous devons examiner la question de la ratification des ordonnances. Il s’agirait, je l’ai dit, de déterminer la raison de repérer les ordonnances justifiant l’organisation de débats à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Voilà un élément sur lequel nous pourrions travailler, car, admettons-le, toutes les ordonnances n’ont pas le même degré d’importance. Il faut pouvoir distinguer une simple codification de mesures telles que celles qui ont été prises, par exemple, dans le cadre de l’ordonnance des mineurs et qui, pour le coup, ont donné lieu à des débats de qualité au Sénat et à l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. La Haute Assemblée est en pointe sur le suivi des ordonnances. Comme cela a été rappelé, la dernière réforme de notre règlement a renforcé le suivi des ordonnances publiées sur le fondement de l’article 38 de la Constitution. On trouve ainsi sur le site du Sénat un tableau de bord détaillé, ainsi qu’une analyse synthétique pour chaque trimestre.

Si l’année 2020 a représenté un record absolu en termes de publication d’ordonnances, celui-ci s’explique partiellement par le recours massif aux ordonnances pour répondre aux conséquences de la pandémie de covid-19 : quelque 67 % d’entre elles ont été publiées dans ce cadre. Bien qu’il soit en recul, le nombre d’ordonnances publiées en 2021 se maintient à un niveau exceptionnel.

On voit donc à quel point les récents outils de contrôle introduits par le Sénat sont d’actualité. Ils permettent notamment de constater, au-delà de la hausse du recours aux ordonnances, jamais très satisfaisant pour le parlementaire qui se trouve relégué au rang de spectateur d’un travail législatif hors les murs, une plus inquiétante chute du taux de ratification de ces ordonnances.

Les statistiques du dernier trimestre de 2021 font apparaître que ce taux de ratification est sensiblement plus faible qu’au cours des deux quinquennats précédents. Cela a d’ailleurs été dit par notre collègue vice-présidente Pascale Gruny en début de séance.

Monsieur le ministre, comment expliquer ce phénomène ? Cela n’est évidemment pas satisfaisant et cela pose un véritable problème au Parlement. Je ne ferai que rappeler des chiffres déjà mentionnés : environ 100 ordonnances pour la session 2019-2020 et un nombre moyen d’ordonnances publiées par an passé de 14 avant 2007 à 64 depuis 2017.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Le recours aux ordonnances a effectivement augmenté de manière significative à partir de 2020.

Toutefois, rappelons certains chiffres : avec 28 ordonnances prises en 2017, 27 en 2018 et 57 en 2019, la tendance avant la crise sanitaire est tout à fait comparable à celle qui a été observée durant les précédents quinquennats, même si les mêmes remarques de fond s’imposent sur chacune de ces périodes. Les 124 ordonnances prises en 2020 représentent 38 % du total des ordonnances comptabilisées durant le présent quinquennat.

Le sujet que vous évoquez, madame la sénatrice Billon, est précisément celui qui doit appeler notre vigilance, et c’est d’ailleurs aussi toute l’utilité du débat de ce jour, rendu possible par le choix du Sénat de modifier son règlement. Il s’agit, bien évidemment, de la question des ratifications.

C’est sur ce point que nous devons travailler, et le Gouvernement, par l’intermédiaire de son secrétariat général, entend bien le faire, afin d’améliorer le taux de ratification, tout en veillant à dresser le bon diagnostic et à évaluer correctement les ratifications nécessitant un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il y a là un point de vigilance particulier, car – en cette matière, nous nous rejoignons sur les chiffres – nous constatons comme vous la faiblesse du taux de ratification.

Voilà ce sur quoi nous devons travailler, monsieur le président. Cet exercice d’évaluation doit permettre, au même titre que celui sur l’application des lois, de disposer d’éléments tangibles et précis et d’améliorer, sur ce fondement, le taux de ratification des ordonnances.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous connaissez le peu d’appétit que le groupe du RDSE nourrit pour le recours aux ordonnances.

M. Jean-Yves Roux. La récente jurisprudence du Conseil constitutionnel ne nous rassure pas, puisque, le délai d’habilitation passé, certaines dispositions pourront être considérées comme législatives.

Nous assistons bien à une banalisation de l’article 38 de la Constitution. Certains y verront le signe d’une utilisation outrancière ; j’y vois, pour ma part, le fait que nous légiférons trop précipitamment, au risque que les mesures que nous votons ne tombent dans des abysses ou soient potentiellement dévoyées par quelques représentants d’intérêt. Ce risque est évidemment majoré lorsque nous arrivons en fin de législature et que les majorités nouvelles n’auront pas forcément pour priorité de les proposer au débat parlementaire.

J’en viens à une question concrète.

Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, sur lequel nous avons passé quelques heures de débat, comprend de nombreuses ordonnances : création des établissements publics locaux pour réaliser des projets d’infrastructures – c’est l’article 9 quater –, clarification des compétences des organismes fonciers solidaires ou encore, à l’article 48, dispositions relatives au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et aux conditions de la participation des collectivités territoriales au financement de ses missions de règles relatives à la publicité foncière.

Je pense aussi à l’amélioration de la prise en charge des conséquences dues aux situations de sécheresse ou, excusez du peu, l’habilitation pour adapter les dispositions de la loi en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

De même, mes chers collègues, nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. Deux dispositions, les articles 7 et 9, prévoient encore des ordonnances relatives à l’assurance contre les aléas climatiques en agriculture, ainsi qu’à l’organisation du fonds de secours pour l’outre-mer.

Or le dépôt des projets de loi d’habilitation doit intervenir avant trois mois. Est-il bien raisonnable de procéder ainsi ? Monsieur le ministre, en cette toute fin de législature, quel sort réservez-vous à ces ordonnances, présentes et futures, qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi à leur égalité devant la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Vous m’interrogez, monsieur le sénateur Roux, sur certaines habitations, notamment celles qui figurent dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

Je ne vous ferai pas l’injure de rappeler que l’examen de ce texte est en cours d’achèvement. La commission mixte paritaire, qui s’est tenue hier, est parvenue à un accord, ce dont le Gouvernement se félicite. Le texte devrait être définitivement adopté en séance publique au début du mois de février.

Le projet de loi initial comportait 12 mesures d’habilitation. Ce nombre ne devrait pas varier sensiblement – il n’y a pas eu d’inflation sur ce point – dans le texte issu de la commission mixte paritaire.

En outre, depuis le 1er janvier 2022, deux lois portant chacune une mesure d’habitation ont été adoptées par le Parlement.

Vous m’interrogez sur le fait que certaines mesures d’habilitation sont présentées en fin de quinquennat.

Ce fut la même chose, pardonnez-moi de le dire, pour les quinquennats précédents : autant que je me souvienne, des mesures d’habilitation avaient été proposées en fin de quinquennat, que ce soit sous François Hollande ou sous Nicolas Sarkozy.

Je ne vois pas comment on pourrait faire grief au Gouvernement, à une majorité et, au fond, à un Parlement de se saisir de problématiques par voie d’habilitation à légiférer par ordonnance à quelques mois ou quelques semaines d’un débat démocratique à venir. Si tel était le cas, nous figerions les positions de nombreux mois avant l’échéance. Jusqu’au dernier moment, me semble-t-il, il faut assumer que le Gouvernement gouverne et que le Parlement légifère, y compris au travers d’habilitations à légiférer par ordonnances.

En outre, il existe tout de même une forme de continuité républicaine… Le Parlement continue de siéger à l’issue de ces échéances démocratiques, même s’il peut y avoir interruption au moment des élections, et le travail d’évaluation de ces habilitations se poursuit.

Nous pouvons nous féliciter de cette continuité démocratique. Si, à chaque épisode électoral, nous devions cesser d’habiliter à légiférer par ordonnance, nous risquerions un phénomène d’embouteillage ou de blocage aux conséquences néfastes.