M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Refusant que le Parlement ne soit jamais en état de débattre d’une réforme aussi importante que celle de la haute fonction publique – suppression du corps des préfets, des inspections générales, de l’École nationale d’administration (ENA)… –, le Sénat a adopté, le 6 octobre 2021, une proposition de loi marquant son opposition à la ratification de l’ordonnance ayant trait à cette réforme.

Cela s’est traduit par le vote suivant : 225 voix contre la ratification, 32 voix pour. J’ai alors demandé à la ministre qui représentait ce jour-là le Gouvernement – demande que j’ai réitérée par la suite – quelles conclusions celui-ci entendait en tirer. Puisque je n’ai jamais obtenu de réponse, monsieur le ministre, je vous pose une nouvelle fois la question : quelles conclusions tirez-vous de ce vote du Sénat ?

J’en ajoute une seconde. Lors de sa séance du 4 novembre 2021, le Sénat a adopté, par 322 voix pour et 22 voix contre, une proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance. À la suite de ce vote massif, j’ai demandé à Mme la ministre chargée de la fonction publique quelles conclusions le Gouvernement en tirerait : elle n’a articulé aucune réponse. J’ai réitéré ma question : je n’ai toujours pas eu de réponse.

Par conséquent, je vous la pose une nouvelle fois, monsieur le ministre : quelles conclusions le Gouvernement tire-t-il de ce vote ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le sénateur Sueur, vous avez évoqué à la fois la ratification de l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État et la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance, adoptée par le Sénat.

S’agissant du premier point, si j’ai bonne mémoire, vous vous êtes saisis vous-mêmes de cette question au moyen d’une proposition de loi, texte que le Sénat a rejeté faute d’accord entre les parties.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous étions contre la ratification !

M. Marc Fesneau, ministre délégué. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la voie que vous avez choisie, étant entendu qu’il entre parfaitement dans les prérogatives du Sénat de demander que le Parlement examine une ratification d’ordonnance ; mais vous admettrez que le Gouvernement, après en avoir débattu, ait pu faire un choix différent de ce qui lui était proposé. Assumons nos différences sur ce sujet. (M. Jean-Pierre Sueur sexclame.)

S’agissant de votre second point, monsieur le sénateur, reconnaissons que le débat qui nous occupe présentement entre dans le champ démocratique.

Il ne m’a pas échappé que nous vivions un moment particulier de la vie politique, le moment joyeux des élections et du débat électoral, qui est tout à fait sain. Il appartiendra à chacun de formuler des propositions pour améliorer les voies et moyens du travail parlementaire. Je rappelle d’ailleurs que nous avions engagé un projet de loi constitutionnelle prévoyant un certain nombre d’évolutions en ce sens ; malheureusement, nous n’avons pu mener son examen à son terme. Ces questions demeurent donc devant nous.

Si vous me permettez cette remarque, je tiens tout de même à dire que c’est un peu plus compliqué qu’on ne le dit. En effet, si toutes les habilitations devaient être ratifiées en séance publique, puisque c’est ce que vous demandez en quelque sorte, il faudrait pouvoir inscrire ces textes à l’ordre du jour parlementaire.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous pouvons les adopter en commission !

M. Marc Fesneau, ministre délégué. Monsieur Sueur, sans qu’il soit forcément besoin d’en passer par une loi, c’est dans un dialogue sain et démocratique entre les assemblées et le Gouvernement – cette après-midi, je n’ai cessé de dire que c’est là une exigence à laquelle nous devons, en effet, nous astreindre –, qu’il nous faut, en pratique, améliorer le processus de recours aux ordonnances.

M. le président. Monsieur le ministre délégué, il est inhabituel qu’un président de séance prenne la parole à l’issue d’un débat, mais, en tant que président du Sénat, je veux vous dire qu’il est important que l’exécutif et le Parlement échangent et que les droits de ce dernier soient respectés. J’y suis pour ma part extrêmement attentif.

Je ne sais pas s’il faut une loi, ce sujet relevant plutôt de bonnes pratiques entre l’exécutif et les assemblées. En la matière, des progrès doivent être faits de part et d’autre, et nous jouerons tout notre rôle.

Quoi qu’il en soit, je remercie encore une fois la vice-présidente chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances d’avoir organisé ce débat. Il faudra en tirer tous les enseignements, de sorte qu’il ne s’inscrive pas dans une forme de liturgie, mais qu’il réponde à cette exigence de progrès, en faveur d’une législation de qualité et d’une démocratie pleinement représentative.

Nous en avons terminé avec le débat sur le suivi des ordonnances.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cette après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

8

Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques

Débat sur les conclusions du rapport d’une mission d’information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, sur les conclusions du rapport Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que la mission d’information dispose d’un temps de présentation de huit minutes, le Gouvernement lui répondant pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, la mission d’information disposera d’un droit de conclusion de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est M. André Gattolin, rapporteur de la mission d’information qui a demandé ce débat.

M. André Gattolin, rapporteur de la mission dinformation sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quatre mois après l’adoption du rapport de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, je suis heureux que les conclusions de nos travaux fassent, ce soir, l’objet d’un débat public avec le Gouvernement.

Avant d’en venir aux constats et aux principales recommandations de la mission, je tiens tout d’abord à remercier mon groupe, le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, qui a accepté de consacrer son droit de tirage à ce sujet.

Je tiens aussi à remercier chaleureusement chacun des membres de cette mission de sa participation, en me félicitant de l’adoption à l’unanimité de ce rapport, tout particulièrement le président Étienne Blanc, dont la rigueur et l’ouverture d’esprit nous ont permis d’œuvrer ensemble dans une totale relation de confiance.

Enfin, madame la ministre, je vous remercie de votre présence parmi nous. Vous aviez accepté que vos services apportent leur contribution à nos travaux et vous nous avez livré plusieurs pistes de réflexion, dont certaines ont nourri nos recommandations.

L’intérêt de ce débat est à présent de vous entendre sur les suites que vous entendez leur donner. J’ai la conviction sincère que ce rapport a déjà fait bouger des lignes. Sur un sujet encore peu documenté en France, il aura au moins contribué à alerter assez largement sur un phénomène longtemps ignoré dans notre pays : celui des influences et des ingérences étrangères qui menacent notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques.

Lorsque nos travaux ont commencé, en juillet 2021, nous nous sommes appuyés sur des exemples étrangers, plutôt alarmants, notamment dans les pays anglo-saxons. En effet, les mondes académiques australien et britannique sont depuis plusieurs années en première ligne, notamment, il faut bien le dire, en raison de leur dépendance aux droits d’inscription des étudiants étrangers et des éventuelles pressions exercées par les pays dont ceux-ci sont originaires.

Il peut s’agir du contrôle des diasporas, de la censure qui s’exerce sur les chercheurs, du façonnage de l’image ou de la réputation d’un État en assurant la promotion d’un « narratif » officiel par l’instrumentalisation des sciences humaines et sociales.

Il faut noter que, dans ces États, c’est sous l’impulsion de leurs parlements, avec lesquels nous avons beaucoup échangé, que les universités et les gouvernements ont commencé à étudier la mise en œuvre d’un cadre juridique et de lignes directrices pour protéger leur enseignement supérieur et leur recherche.

Qu’en est-il de la situation en France ?

Notre premier constat est celui d’une menace bien réelle, mais encore largement sous les radars. Le monde académique français se caractérise par sa culture d’ouverture et par son niveau d’excellence. Ce qui fait de notre pays une cible de choix, c’est bien sûr le haut niveau de notre recherche scientifique – la France figure au troisième rang du classement de Shanghai –, mais aussi, malheureusement, le relatif manque de moyens de sa recherche, tant publique que privée.

Lors des auditions, il nous a été rapporté plusieurs exemples préoccupants d’ingérence, mais seulement dix cas jugés sérieux ont, semble-t-il, fait l’objet d’un signalement en 2020.

L’identification des tentatives d’influence reste cependant assez problématique : celle-ci est peu organisée et ne fait pas l’objet d’un recensement exhaustif.

Autre phénomène inquiétant et qui demeure largement hors des radars : celui de l’autocensure croissante des chercheurs, par crainte de mesures de représailles – je pense ici notamment au chantage au visa ou à l’interdiction d’accès à certaines sources.

Notre second constat concerne notre dispositif de protection de la recherche, qui demeure insuffisamment connu au sein même des institutions universitaires et académiques.

Pourtant, il existe bel et bien un dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation tout à fait structuré et organisé, qui s’articule entre, d’une part, le Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur, et, d’autre part, le réseau des fonctionnaires de sécurité et de défense désignés au sein de chaque établissement.

Toutefois, ces différents échelons nous sont apparus peu connus des principaux intéressés, à savoir les chercheurs, et insuffisamment coordonnés.

Par ailleurs, le dispositif actuel de protection se limite au domaine des sciences et technologies, et sur des niveaux de risques particulièrement élevés. De fait, les menaces qui pèsent sur les sciences humaines et sociales sont exclues de la vigilance et de la chaîne de remontée d’information vers le ministère. Cela explique l’incapacité actuelle à fournir un état des lieux et une cartographie exhaustive du problème.

Venons-en à présent nos principales recommandations.

Compte tenu du temps qui m’est imparti, j’irai à l’essentiel des objectifs majeurs que nous avons identifiés, qui se déclinent en vingt-six propositions.

Le premier objectif est de promouvoir la question des interférences étrangères au rang de priorité politique. C’est une étape indispensable, à notre sens, pour dresser un état des lieux et surtout coconstruire avec le monde universitaire des réponses adaptées. Il est essentiel que les réponses et les procédures à mettre en œuvre soient largement acceptées par le monde universitaire, soucieux de son indépendance et de son autonomie.

Nous préconisons la constitution d’un comité scientifique, prenant la forme d’un « Observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l’enseignement supérieur et la recherche ». Il associerait universitaires et spécialistes des ministères pour élaborer une étude scientifique de référence récurrente sur l’état des menaces constatées en France.

Le deuxième objectif est d’aider les universités à protéger leurs valeurs de libertés académiques et d’intégrité scientifique dans le respect de leur autonomie. Il ne s’agit nullement de brimer la recherche ou de décourager les partenariats, mais d’ériger, au niveau national, la transparence et la réciprocité en principes cardinaux de toute coopération universitaire internationale.

Enfin, il nous faut promouvoir aux niveaux national et international – en particulier au niveau européen – l’adoption d’un référentiel de normes et de lignes directrices pour encadrer la compétition toujours plus forte qui s’établit au détriment de l’Europe dans le domaine de la recherche et de la propriété intellectuelle.

Pour conclure, je veux indiquer que ce rapport n’a pas épuisé le sujet. C’est un « rapport vigie » destiné à alerter la communauté universitaire et les pouvoirs publics.

Nos travaux ont été très largement relayés dans la presse française. À l’étranger, une vingtaine de sites d’information turcs ont lancé une campagne de presse très virulente contre une chercheuse qui avait accepté de témoigner devant la mission sur des tentatives d’intimidation. Nous avons dû alors effectuer un signalement au Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Enfin, ce rapport a contribué à accélérer le calendrier de plusieurs ministères sur le sujet des ingérences étrangères.

Le Premier ministre a ainsi lancé une mission interministérielle, tandis que le ministère de l’intérieur, à travers la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le ministère des affaires étrangères, ainsi que l’inspection générale de l’enseignement supérieur et de la recherche (IGESR) se sont beaucoup intéressés à notre rapport.

Je gage, madame la ministre, que votre ministère s’est également emparé du sujet et qu’il mettra en œuvre les mesures appropriées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, cher Étienne Blanc, monsieur le rapporteur, cher André Gattolin, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cet été, sur l’initiative du groupe RDPI, le Sénat a décidé de consacrer une mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde académique.

C’est une question évidemment cruciale et, à cet égard, permettez-moi de me réjouir que nous puissions avoir ce débat en séance publique au Sénat, tant la question qui est posée est déterminante à la fois pour notre souveraineté et nos libertés.

La recherche et l’enseignement supérieur sont par essence ouverts sur l’international, et la science ne doit pas connaître de frontière. Pour autant, les établissements d’enseignement supérieur et le monde académique sont au cœur d’échanges internationaux nombreux. Cette richesse, nous devons la développer avec ambition, mais sans naïveté face à d’éventuelles menaces. C’est également vrai s’agissant de l’innovation, avec un enjeu supplémentaire : celui de la compétition économique internationale.

Nos établissements sont désormais beaucoup plus visibles sur les radars d’acteurs dont les intentions ne sont pas conformes à nos valeurs, ce qui doit nous inciter à une plus grande vigilance.

L’organisation de la surveillance et la prévention des éventuelles influences étatiques étrangères au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche est articulée avec la structuration des acteurs qui en constituent le paysage. Des acteurs de l’administration centrale sont chargés de la stratégie et de la vigilance, qui se déclinent au sein de chaque établissement et opérateur autonome dans sa gouvernance, avec l’ensemble des acteurs territorialement compétents.

On ne saurait prétendre protéger notre potentiel et notre patrimoine scientifiques sans y associer pleinement les chercheurs et les enseignants-chercheurs eux-mêmes, qui doivent s’approprier ces enjeux et être, à leur niveau, acteurs de la préservation tant des établissements que des activités de recherche et d’enseignement.

L’intégrité scientifique constitue un formidable levier en la matière. C’est pourquoi notre action a aussi porté sur cette dimension.

Grâce aux remontées spontanées des chercheurs, des directeurs de laboratoire ou des 160 fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD) ou FSD adjoints, le ministère est constamment informé des principales interactions internationales, ainsi que des éventuelles menaces et risques d’ingérence qui pourraient affecter l’écosystème de l’enseignement supérieur.

Le dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation est piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il vise à protéger les savoirs, les savoir-faire et les technologies les plus sensibles des établissements localisés sur le territoire national.

Nous sommes également acteurs du dispositif de gouvernance interministérielle de la politique de sécurité économique, au travers notamment du comité de liaison en matière de sécurité économique (Colisé).

Régionalement, l’accompagnement des référents et l’animation de ce réseau sont copilotés par les délégués à l’information stratégique et à la sécurité économiques (Disse) et les délégués régionaux académiques à la recherche et à l’innovation (Drari).

Le déploiement de ces dispositifs se poursuivra en 2022 au sein des pôles de compétitivité, puis dans toutes les autres structures d’écosystèmes de valorisation de l’innovation.

Au-delà des structures, le Gouvernement est animé d’une ferme volonté : renforcer le dispositif de protection de notre potentiel scientifique et notre souveraineté dans les technologies clés, et cela dans tous les champs qui bénéficient d’un soutien financier de l’État.

Certains financements publics sont désormais explicitement soumis à la prise en compte des impératifs de souveraineté nationale face aux risques d’ingérence. Tel est le cas, par exemple, des soutiens aux projets de France Relance. La protection du potentiel scientifique et technique de la Nation (PPST) est également une exigence pour la mise en œuvre des programmes prioritaires de recherche du programme d’investissements d’avenir (PIA).

Qu’il s’agisse de la recherche ou de l’enseignement supérieur, nous avons poursuivi et amplifié ce travail depuis la publication du rapport de votre mission d’information.

Tout d’abord, la circulaire du Premier ministre du 11 octobre 2021, relative au renforcement de la transparence des actions d’influence étrangère conduites auprès des agents publics de l’État, a été relayée auprès de chaque établissement.

Ensuite, le 28 janvier dernier, les modalités pratiques de communication au ministère des projets d’accords de partenariats internationaux des établissements d’enseignement supérieur français ont été rappelées et réaffirmées à tous les chefs d’établissement et présidents d’organisme de recherche par voie de circulaire.

Affirmer ces règles, établir des process et des procédures est une chose ; les faire vivre et permettre aux acteurs de se les approprier est un autre travail. Nous le conduisons notamment avec la DGSI, dans le cadre de sa mission de sécurité économique.

Ainsi, un certain nombre de préconisations établies conjointement ont été adressées aux établissements, assorties d’exemples pratiques permettant à chacun de mieux identifier et comprendre les tentatives d’ingérence ou les points de vulnérabilité constatés. Il s’agit là de réponses opérationnelles face aux risques d’influence et d’ingérence étrangères.

En cohérence avec la réaffirmation des priorités gouvernementales, nous avons aussi porté une attention toute particulière aux enjeux de sécurité numérique.

Un travail conjoint avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et le ministère de l’éducation nationale nous a permis de nous doter d’une feuille de route stratégique et opérationnelle dans le domaine de la sécurité numérique. Un comité stratégique de sécurité numérique sera ainsi installé au cours de ce mois de février.

J’ai récemment rencontré le directeur général de l’Anssi pour traiter avec lui de l’état de la menace cyber et lui exposer les avancées du ministère dans la réponse aux risques y afférents. De son côté, il est intervenu au début de cette année devant l’ensemble des recteurs et des délégués régionaux académiques à la recherche et à l’innovation (Drari). Nous le savons : une réponse appropriée aux risques passe nécessairement par une compréhension commune des enjeux et implique donc des actions de sensibilisation sur le terrain.

Lors de mon audition, j’ai aussi évoqué la désignation de référents de sécurité économique par le président de chaque société d’accélération du transfert de technologies (SATT). Ces nominations sont désormais effectives.

Enfin, la protection de notre potentiel scientifique n’est évidemment pas d’ordre strictement national : c’est un véritable enjeu de souveraineté européenne, qui suppose une cohérence communautaire. À cet égard, la Commission européenne a présenté le 18 janvier dernier une boîte à outils à destination de l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne. Il s’agit, une nouvelle fois, de les aider à se prémunir des influences étrangères.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris : le sujet traité par votre mission d’information est pris au sérieux, non seulement en France, par l’ensemble des autorités de l’État, mais à l’échelle européenne. Cette question fait l’objet de travaux continus, et je tiens à féliciter la Haute Assemblée, qui, par ce rapport, a mis en lumière un enjeu majeur pour notre souveraineté et le respect de nos valeurs. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certaines vérités sont d’une évidence telle que l’on a tendance à les oublier. Ce soir, je tiens à rappeler l’une d’elles : il n’y a pas de grande nation qui ne soit une nation scientifique.

Nombre d’entre nous en sont convaincus dans cet hémicycle : pour une large part, la souveraineté d’une nation se fonde sur ses performances scientifiques, c’est-à-dire sur sa capacité à découvrir, à créer des savoirs, à les transmettre, à les convertir en atouts économiques et en innovations industrielles.

La mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, l’a rappelé, et je remercie son rapporteur, André Gattolin, d’avoir placé ce sujet stratégique au cœur de nos débats.

L’un des nombreux volets abordés me tient particulièrement à cœur : mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques, c’est avant tout mieux valoriser la recherche et les chercheurs.

La recherche doit redevenir la filière d’excellence qu’elle était, sans quoi nous financerons sur les deniers publics les futures innovations industrielles des États-Unis et de la Chine. Mais elle ne doit surtout pas devenir une autoroute, imposant un sens unique et n’offrant que de rares sorties. Au carrefour des universités, des laboratoires et des industries, la recherche se protège aussi en devenant un tremplin vers l’entrepreneuriat et le marché.

À cet égard, la loi de programmation de la recherche (LPR) a fixé un cadre ambitieux. Elle renforce l’attractivité de la recherche en rehaussant les rémunérations et en donnant aux chercheurs des moyens plus importants pour conduire leurs travaux.

Madame la ministre, le chemin tracé me paraît bon. Nous devons désormais nous y engager à vive allure, et encore plus massivement, pour rester dans la course. Au-delà des crédits votés, quels indicateurs avez-vous mis en place pour évaluer l’attractivité des métiers de la recherche, à court et moyen termes ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous avez raison : nous devons réinvestir en faveur d’une recherche d’excellence, pour transformer ses résultats dans le domaine de l’innovation au bénéfice de la société tout entière. C’est précisément l’un des objectifs de la connaissance : améliorer, grâce au progrès, les conditions de vie de chacun.

Vous avez mentionné les crédits prévus à cette fin par la loi de programmation de la recherche. S’y ajoutent les fonds du plan France Relance. D’ailleurs, pas plus tard que cette après-midi, j’assistais au côté du Premier ministre à l’installation du comité de suivi du plan France 2030.

Ce comité associe l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des parlementaires, bien entendu, des responsables d’entreprises ou encore des collectivités territoriales : c’est ensemble que nous devons reconstruire notre souveraineté économique et industrielle, en la fondant sur la recherche.

En parallèle, il faut creuser beaucoup plus en profondeur la question des compétences.

Bien sûr, le sujet de l’évaluation a été abordé à cette occasion. Quand on parle d’innovation, on ne saurait présupposer que l’échec est forcément négatif : au contraire, il faut le considérer comme une expérience. Nous développons d’ores et déjà l’esprit d’entreprise chez les jeunes étudiants via le plan « L’esprit d’entreprendre ». Nous devons évidemment continuer à le soutenir.

Notre nation est déjà scientifiquement forte : en matière de recherche et d’enseignement supérieur, la France figure au troisième rang mondial. Toutefois, plus nous serons forts,…