Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Jacques Grosperrin, Mme Victoire Jasmin.

1. Procès-verbal

2. Hommage à Olivier Léonhardt, sénateur de l’Essonne

3. Questions d’actualité au Gouvernement

situation au mali (i)

M. Patrick Kanner ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.

prix de l’énergie

Mme Véronique Guillotin ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.

participation de la france aux jeux olympiques de pékin

M. Thomas Dossus ; Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; M. Thomas Dossus.

lisibilité de la réforme de la fiscalité locale

M. Alain Marc ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

situation au mali (ii)

M. Christian Cambon ; M. Jean Castex, Premier ministre.

lutte contre l’islam radical

Mme Nathalie Goulet ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Nathalie Goulet.

situation dans les ehpad (i)

Mme Céline Brulin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Céline Brulin.

varenne agricole de l’eau

Mme Marie Evrard ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

accès gratuit aux soins pour les personnes non vaccinées

Mme Catherine Deroche ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Catherine Deroche.

situation dans les ehpad (ii)

Mme Monique Lubin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Monique Lubin.

impact des prix de l’énergie sur les collectivités territoriales

M. Bruno Rojouan ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Bruno Rojouan.

augmentation des tarifs des péages autoroutiers

Mme Annick Jacquemet ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

séparatisme islamiste à roubaix

Mme Jacqueline Eustache-Brinio ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Jacqueline Eustache-Brinio.

lutte contre la pédopornographie

Mme Laurence Rossignol ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Laurence Rossignol.

filière des véhicules électriques

M. Stéphane Sautarel ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Stéphane Sautarel.

retrait des ordonnances de la fonction publique communale en polynésie française

Mme Lana Tetuanui ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne ; Mme Lana Tetuanui.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

4. Communication d’un avis sur un projet de nomination

5. Énergie et pouvoir d’achat : quel impact de la politique du Gouvernement ? – Débat d’actualité

M. Jean-François Husson

M. Guillaume Gontard

M. Fabien Gay

M. Hervé Maurey ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Hervé Maurey.

Rappel au règlement

M. Fabien Gay

Suite du débat d’actualité

Mme Guylène Pantel

M. Jean-Claude Tissot

M. Didier Rambaud

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Daniel Gremillet

M. Jean-Pierre Moga

M. Thierry Cozic

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics

Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Suspension et reprise de la séance

6. Organisation des travaux

7. Caractère universel des allocations familiales. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Olivier Henno, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Laurence Cohen

Mme Annick Jacquemet

Mme Nathalie Delattre

Mme Corinne Féret

M. Dominique Théophile

Mme Colette Mélot

Mme Christine Lavarde

M. Dominique de Legge

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Stéphane Demilly

M. Olivier Paccaud

Mme Martine Filleul

Mme Valérie Boyer

M. Franck Menonville

Amendement n° 2 rectifié ter de Mme Colette Mélot. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 2 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

8. Amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention. – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste

Mme Laurence Cohen

Mme Annick Jacquemet

Mme Véronique Guillotin

Mme Corinne Féret

M. Xavier Iacovelli

M. Daniel Chasseing

Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.

M. Philippe Mouiller

Mme Florence Lassarade

M. François Bonhomme

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées

Conclusion du débat

Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Jacques Grosperrin,

Mme Victoire Jasmin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage à Olivier Léonhardt, sénateur de l’Essonne

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec une grande tristesse que nous avons appris ce matin le décès de notre collègue Olivier Léonhardt, sénateur de l’Essonne depuis 2017. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)

Maire pendant seize ans de la commune de Sainte-Geneviève-des-Bois, il fut également président de la communauté d’agglomération du Val d’Orge, devenue Cœur d’Essonne Agglomération, jusqu’à son élection au Sénat.

Olivier Léonhardt voyait dans le mandat parlementaire une occasion de poursuivre ses combats locaux, notamment celui en faveur des départements de la grande couronne, dont il voulait conforter la place.

Au sein de notre assemblée, il appartenait au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. J’ai aujourd’hui une pensée particulière pour les membres de son groupe. Membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable à son arrivée au Sénat, il a notamment pu s’investir dans les travaux sur la loi d’orientation des mobilités, plaidant pour un rééquilibrage des investissements en transport au sein de la région Île-de-France.

Depuis 2020, il était membre de la commission des affaires sociales. J’ai le souvenir d’un entretien avec lui au sujet de l’égalité d’accès à la santé, qui était pour lui essentielle.

Investi dans la lutte contre le racisme, il était un des fondateurs de SOS Racisme. Je l’avais nommé à l’Observatoire de la laïcité, lui qui était un défenseur de nos valeurs républicaines, dont nous partagions l’universalisme.

Pour Olivier Léonhardt, comme pour beaucoup d’entre nous, le mandat de maire était au cœur de l’engagement républicain.

À l’occasion de son départ de la mairie de Sainte-Geneviève-des-Bois, il exprimait avec beaucoup de justesse ce qu’incarne la fonction de maire : une « passion pour l’intérêt général », « l’amour de sa ville » et aussi le « dévouement total pour nos concitoyens, dans tous les moments qui ponctuent leur quotidien ».

Au nom du Sénat tout entier – je sais que ses collègues de l’Essonne, dans leur diversité, s’associent particulièrement à mon propos –, je veux assurer celle qui l’a accompagné, ses trois filles et tous ceux qui l’ont entouré de notre sympathie et de nos pensées, et leur présenter nos condoléances les plus sincères.

Je vous demande d’observer quelques instants de recueillement en la mémoire de notre collègue Olivier Léonhardt, qui a mené un rude et courageux combat contre la maladie. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, observent une minute de silence.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect de son temps de parole et au respect des uns et des autres

situation au mali (i)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, je tiens d’abord à m’associer à l’éloge funèbre que vous avez rendu à notre collègue Olivier Léonhardt.

Monsieur le Premier ministre, en ayant une pensée particulière pour le brigadier Alexandre Martin, décédé le 22 janvier dernier, je veux rendre hommage aux 57 autres militaires français morts au Sahel depuis 2013.

La déliquescence des relations entre la France et le Mali est aujourd’hui plus que préoccupante. L’expulsion de notre ambassadeur, M. Joël Meyer, en est la dernière illustration. Vous ne pouvez pas faire endosser au seul Mali cette dégradation de la situation, tout comme vous ne pouvez revendiquer seul les succès mais mutualiser les échecs. La France est en première ligne. Il faut l’assumer.

Certes, l’instabilité de la région ne relève pas de l’unique responsabilité de la France. Mais le constat est simple : les menaces sont difficilement contenues, la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest se poursuit. Après le Burkina Faso, c’est aujourd’hui le tour de la Guinée-Bissau.

Le Président de la République n’a pas cessé de fixer des lignes rouges, qui ont toutes été franchies. Force est de constater aujourd’hui que, face à son impuissance, la France n’a plus grand-chose à proposer.

Le Président de la République a choisi de conduire cette politique en solitaire, au point que, dans la situation actuelle, les ministres des affaires étrangères et de la défense naviguent à vue dans l’attente de la parole présidentielle.

Les Français ne peuvent se satisfaire de cette méthode de gouvernance brouillonne. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une information fractionnée, donnée au fil des interviews des ministres concernés : il nous faut des réponses claires sur la stratégie de notre pays aujourd’hui dans cette partie du monde.

Monsieur le Premier ministre, je vous le demande : quand allez-vous associer les Français par la voie de leurs représentants et consulter le Parlement sur notre engagement au Mali pour clarifier la position de la France ? Vous disposez notamment de l’article 50-1 de la Constitution pour cela. Allez-vous vous en servir ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, permettez-moi, au nom du Gouvernement, de m’associer tout d’abord aux condoléances et à la peine que vous avez exprimées à la suite du décès du sénateur Olivier Léonhardt.

Monsieur le président Kanner, vous avez raison, la situation au Mali, au Sahel et, en général, dans cette partie de l’Afrique est extrêmement préoccupante. Je n’ai pas besoin de rappeler ici, au Sénat, que l’engagement de la France dans ces territoires depuis plusieurs années est lié à la volonté de notre pays de participer à la lutte contre le terrorisme, qui sévit dans cette partie du monde et menace directement nos intérêts.

S’agissant de la situation plus particulière du Mali, vous dites que ce pays n’est pas le seul responsable. Mais si, monsieur le président Kanner ! Vous le savez toutes et tous, mesdames, messieurs les sénateurs, un coup d’État, qui a porté au pouvoir une junte, a eu lieu au Mali à l’été 2020. La France et la communauté internationale ont condamné ce coup d’État.

Cette même communauté internationale, à commencer par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et les États africains, a demandé que la junte s’engage le plus vite possible à mettre en œuvre un processus aboutissant à des élections, pour rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics maliens.

Après s’y être engagée et avoir fixé des délais, la junte malienne, vous le savez aussi, est revenue sur sa parole.

C’est cette même junte qui a sollicité un groupe dont je n’ai pas ici besoin de citer le nom, mais qui s’est déjà illustré dans d’autres États africains par des exactions totalement condamnables.

C’est cette même junte qui a fait l’objet d’une condamnation unanime, notamment de la Cédéao, pour la gestion de son processus démocratique.

C’est cette même junte qui a expulsé notre ambassadeur et le représentant de la Cédéao, ainsi que le Danemark de la force Takuba.

Le pays s’isole et cherche la confrontation. Vous m’interrogez sur la position de la France : elle a été rappelée par le Président de la République. C’est d’abord, comme toujours, la recherche d’une réponse multilatérale avec les États africains principalement concernés, et c’est ce à quoi nous nous employons avec l’Union européenne. Je vous rappelle que, depuis l’engagement initial de la France, nous avons su fédérer autour de nous plusieurs États européens – sans parler du rôle joué par les Nations unies.

Monsieur le président Kanner, avec votre autorisation, je compléterai ma réponse dans un instant lorsque je répondrai à la question du président Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République et votre gouvernement n’ont manifestement aucune responsabilité dans ce qui se passe au Mali. Nous étions dans ce pays en responsabilité depuis 2013. Aujourd’hui, la situation se dégrade, mais vous ne voulez pas constater le double échec, diplomatique mais aussi militaire, du Président de la République. L’heure du bilan va bientôt sonner.

Je tiens à vous le dire très simplement : ce que nous vous demandons, et vous ne m’avez pas répondu sur ce point, c’est un débat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, pour nous permettre d’avoir dans cet hémicycle une discussion de fond sur la question du Sahel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

prix de l’énergie

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin. Merci, monsieur le président, pour ce bel et mérité hommage à Olivier Léonhardt. Les membres du RDSE se joignent à moi pour exprimer leur tristesse et présenter leurs condoléances à la famille de notre collègue.

Madame la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, la journée d’hier a été synonyme de mauvaises nouvelles pour de nombreux Français, avec l’augmentation des prix de l’électricité et des péages. L’inflation est bien là : elle pèse sur le budget et le moral de nos compatriotes.

S’agissant du gaz, après une augmentation de près de 50 % sur les dix premiers mois de 2021, un gel des tarifs réglementés a été mis en place depuis octobre dernier pour bloquer les prix. Sans ce bouclier tarifaire, le tarif réglementé aurait augmenté de 73 % depuis octobre et encore de 22 % en février.

Néanmoins, cette brutale augmentation reste une réalité pour un certain nombre de Français, car le bouclier fiscal contient malheureusement des brèches.

J’ai rencontré ce lundi les habitants d’une résidence de Longuyon, dans mon département. Facturée comme une grande entreprise, cette copropriété de plus de 400 logements dispose d’un chauffage collectif, qui entraîne une consommation de gaz trop élevée pour la rendre éligible au bouclier tarifaire.

Aussi, après avoir déjà subi des augmentations difficilement supportables, la copropriété a dû relever son budget prévisionnel pour 2022 de 600 000 euros, ce qui représente une dépense mensuelle supplémentaire d’une centaine d’euros par ménage. Dans cette résidence de 1 200 habitants, sur les 5 000 que compte la commune, beaucoup ne peuvent déjà plus régler leurs factures.

S’il concerne 5 millions de ménages ayant souscrit individuellement un contrat avec un fournisseur, le blocage des prix exclut les foyers du parc privé et du parc social qui sont chauffés collectivement au gaz et règlent ce poste de dépense via leurs charges. Pour eux, des régularisations douloureuses, qu’ils vivent légitimement comme une véritable injustice, sont à venir.

Madame la secrétaire d’État, votre ministre de tutelle a affirmé vouloir « protéger tous les consommateurs ». Aussi, ma question est simple : que comptez-vous faire pour limiter la hausse des prix du gaz pour ces millions de ménages, souvent modestes, qui font face à une augmentation insupportable de leurs dépenses ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Guillotin, nous avons effectivement à cœur de répondre au sujet sur lequel vous m’interpellez et sur lequel travaille également le député Paluszkiewicz.

Vous le savez, l’État a déployé des aides sans précédent pour amortir ces hausses du prix de l’énergie, notamment du gaz.

Il s’agit, d’abord, du chèque énergie supplémentaire de 100 euros, envoyé à presque 6 millions de foyers, qui s’est ajouté au chèque énergie de 150 euros en moyenne versé au printemps dernier.

Il s’agit, ensuite, du bouclier tarifaire, destiné à limiter l’augmentation des prix réglementés de vente d’électricité et à geler le prix du gaz. Les tarifs du gaz auraient augmenté de 66 % depuis octobre dernier si nous n’avions pas mis en place ce dispositif.

Il s’agit, enfin, de la prime inflation de 100 euros, versée à 38 millions de Français.

Au total, ce sont 15 milliards d’euros d’aides qui ont été déployés par l’État pour soutenir le pouvoir d’achat des Français dans cette période difficile. Ces aides sont, vous en conviendrez, sans précédent.

Nous agissons également de manière plus structurelle, en rénovant les logements et en faisant baisser la facture énergétique avec MaPrimeRénov’ : 660 000 dossiers ont été engagés pour un montant de près de 2 milliards d’euros.

Vous avez rappelé la situation des grandes copropriétés – les petites étant déjà concernées par le bouclier tarifaire –, pour lesquelles nous devons trouver des réponses. Le Premier ministre nous a demandé de réfléchir à des dispositifs d’aide, car, vous le savez, le bouclier tarifaire nécessite une mesure législative.

Nous travaillons donc à cette question, sachant que les grandes copropriétés sont dans des situations très hétérogènes. Elles sont régies par des contrats les liant à des fournisseurs de gaz ou à des prestataires. Nous devons donc trouver des solutions au cas par cas. À la demande du Premier ministre, nous y répondrons dans les jours ou semaines qui viennent. (MM. François Patriat et Dominique Théophile applaudissent.)

participation de la france aux jeux olympiques de pékin

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Ma question s’adresse à Mme la ministre des sports et porte sur les jeux Olympiques de Pékin, dont l’ouverture aura lieu ce vendredi.

Je tiens tout d’abord à adresser tous mes vœux de médailles à la délégation de sportives et sportifs français, et particulièrement à celles et ceux d’Auvergne-Rhône-Alpes, grande région de sports d’hiver. (Très bien ! sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-François Husson applaudit.)

M. Thomas Dossus. Mais ce n’est clairement pas la passion des sports d’hiver ou l’envie de faire découvrir au monde son formidable domaine skiable qui anime la Chine. On a pu voir les pistes de ski chinoises 100 % artificielles installées sur des montagnes arides en plein milieu d’une réserve naturelle.

En réalité, la Chine affirme sa toute-puissance au monde grâce à l’esprit olympique, tout en accentuant sa politique brutale de répression des droits humains : c’est le « en même temps » chinois.

Cette politique s’applique à Hong Kong, où depuis juin 2020 la presse est mise sous coupe réglée et où les jeunes démocrates sont traqués, à Taïwan, sous menace permanente pour sa sécurité et sa souveraineté, et bien évidemment contre les Ouïghours. Entre 1,8 et 3 millions d’entre eux sont internés dans des camps de rééducation, les femmes de ce peuple sont victimes d’une campagne de stérilisation forcée et la pratique de leur religion est fortement réprimée par le gouvernement de Pékin.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale, avec l’appui de la majorité, a reconnu que les violences exercées contre ces populations sont constitutives de crimes contre l’humanité et d’un génocide. Si un génocide est en cours, alors se pose a minima la question du boycott diplomatique des jeux. C’est la voie adoptée par les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada ou encore l’Australie. Le 20 janvier dernier, Franck Riester déclarait : « Face à la gravité de la situation […], la France dénonce avec force, de manière constante […] ces pratiques inqualifiables et injustifiables. »

Ma question est donc la suivante : madame la ministre, cette force et cette constance s’arrêtent-elles à la porte des tribunes officielles des jeux de Pékin ? Allez-vous par votre présence légitimer la brutalité du régime chinois ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly et André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des sports.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Dossus, vous le savez, au niveau bilatéral, la France mène un dialogue exigeant en matière des droits de l’homme avec la Chine. (Marques de dénégation sur les travées du groupe SER. – Rires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous sommes convaincus que c’est par ce biais que nous parviendrons à faire connaître nos positions.

J’ai rencontré récemment la présidente d’Amnesty International France (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.), Mme Coudriou, pour évoquer les jeux de Pékin, mais aussi la Coupe du monde de football au Qatar. Nous avons abordé l’impératif qui est le nôtre : responsabiliser davantage le Mouvement sportif international sur différents sujets.

En effet, le Mouvement sportif international doit être pleinement conscient des enjeux de société sur lesquels ses représentants ne peuvent plus aujourd’hui plus faire l’impasse lorsqu’il faut attribuer l’organisation de compétitions sportives dans le monde.

M. Rachid Temal. Alors, Pékin ou pas ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. Il s’agit – vous l’avez évoqué – du respect des droits de l’homme, mais aussi du combat contre les discriminations et les violences, de l’égalité entre les femmes et les hommes, et de l’attention portée à la lutte contre le terrorisme. Sans oublier, pour évoquer un enjeu qui vous est cher, le développement durable, bénéfique à la fois pour la planète et pour les populations des pays qui organisent les événements sportifs. (Exclamations sur diverses travées.)

M. Guy Benarroche. Alors, Pékin ou pas ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. Le Gouvernement et l’État français pensent que la politique de la chaise vide n’est pas une solution efficace (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) pour avancer et accompagner le Mouvement sportif sur ces questions.

Je vous rassure, monsieur le sénateur : ma présence pour soutenir notre délégation à Pékin n’affecte en aucune manière la position de la France sur le sujet des droits de l’homme (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.), comme sur tous les autres.

Si je vais à Pékin, c’est pour soutenir nos athlètes. Vous avez évoqué les sportifs de votre région. Jeudi prochain vont commencer les compétitions de ski de bosses : Perrine Laffont, qui va tenter de défendre son titre olympique, Camille Cabrol, Benjamin Cavet et Sacha Theocharis. (Exclamations sur diverses travées.)

M. Vincent Éblé. Citez plutôt les noms des Ouïghours !

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. Autant de sportifs qui s’entraînent depuis quatre ans. Ces jeux sont l’objectif de leur vie, et nous leur devons le respect.

Ma mission en tant que ministre des sports est d’être à leurs côtés : je compte la remplir avec responsabilité et en toute conscience que, comme ministre, je porte la parole de la France lorsque je serai en Chine. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Élisabeth Doineau et M. Jean-Paul Prince applaudissent également. – Protestations sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour la réplique.

M. Thomas Dossus. Alors qu’à l’Assemblée nationale votre majorité dénonce un génocide, vous le légitimez par votre présence là-bas. Madame la ministre, arrêtez le slalom, prenez des décisions et assumez vos positions ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Cabanel et André Gattolin applaudissent également.)

lisibilité de la réforme de la fiscalité locale

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, je m’associe à mon tour, au nom de notre groupe, à l’hommage que vous avez rendu à Olivier Léonhardt.

Monsieur le ministre chargé des comptes publics, il y a plus de deux ans, nous avions dans cet hémicycle de longs débats sur la suppression progressive de la taxe d’habitation. Depuis, cette mesure a produit ses effets, mais, pour de nombreux maires, les choses sont beaucoup moins simples et les bénéfices nettement moins évidents.

Sur le terrain, les maires – et cette question m’a d’ailleurs été suggérée par le président de l’association des maires de l’Aveyron – essayent toujours de comprendre le système de compensation mis en place par le Gouvernement, qui se révèle d’une très grande complexité.

Pour les communes, la perte de recettes de taxe d’habitation a été compensée par le transfert de la part départementale de taxe foncière. Pour s’assurer qu’aucune commune ne serait perdante, un coefficient correcteur a été mis en place.

Si cette part départementale excédait les recettes de taxe d’habitation, les communes ont été surcompensées. C’est le cas de la totalité des communes de l’Aveyron, à une exception près. Je vous le concède, monsieur le ministre : sur le plan comptable, aucune commune aveyronnaise n’est sortie perdante de l’opération.

Mais c’est sur le terrain que les choses se compliquent.

En effet, les contribuables voient, sur leur avis de taxe foncière, une augmentation importante de la part revenant à la commune. Or nous savons tous que le consentement à l’impôt est important en démocratie. Il y a donc là un problème de transparence et de lisibilité.

Car les contribuables, notamment en zone rurale, pourraient croire que leur commune a augmenté son taux, alors même que leur argent alimente en fait un fonds de péréquation et qu’il profite donc à des communes situées hors du département.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous améliorer la lisibilité de la fiscalité locale afin de ne pas mettre nos maires dans une situation délicate vis-à-vis de leurs administrés ? Il est urgent, je le crois, de renforcer la pédagogie sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Marc, je voudrais d’abord reprendre deux points que vous avez évoqués.

Premièrement, cela fait effectivement deux ans que nous avons eu de longs débats, souvent très argumentés, sur la suppression de la taxe d’habitation. J’avais eu l’occasion de souligner devant vous que cette suppression rapporterait en moyenne un peu plus de 700 euros par ménage : il s’agissait d’une volonté du Gouvernement de rendre du pouvoir d’achat aux Français et de supprimer un impôt injuste entre particuliers. (Mme Sophie Primas sexclame.)

Deuxièmement, vous avez dit avec une grande honnêteté en posant votre question, et je le salue, que l’intégralité des communes de votre département – et c’est vrai pour toutes les communes de France – n’avaient pas perdu d’argent dans cette opération : elles ont en effet bénéficié d’une compensation, même si vous regrettez, comme vous l’avez dit, la complexité des modes de compensation.

J’en viens à ce dernier point. Nous avons perfectionné le dispositif de compensation de la perte de recettes : en effet, vous vous en souvenez certainement, nous avons fait voter dans le cadre du dernier projet de loi de finances un amendement permettant d’intégrer au calcul les rôles complémentaires, et donc de parfaire la compensation versée aux collectivités. Cette disposition a d’ailleurs été saluée par la plupart des associations d’élus.

Vous m’interrogez sur le nouveau taux de taxe foncière qui est appliqué et que l’on découvre sur la feuille d’imposition.

Il est vrai qu’il a augmenté, puisqu’il s’agit du cumul de l’imposition communale précédente et départementale, mais il est aussi accompagné de la suppression du taux départemental, ce qui signifie que le taux global reste le même. S’il faut améliorer les outils de communication afin de permettre une meilleure lisibilité du dispositif, je le ferai bien volontiers.

Au-delà, votre question me permet de souligner que les modalités de compensation que nous avons mises en place garantissent une liberté de taux et une autonomie fiscale aux collectivités que sont les communes. En revanche, pour les autres collectivités, nous avons compensé la perte de recettes par de la TVA.

La reprise économique que nous connaissons se traduira en 2022 par une augmentation des compensations versées aux collectivités de 6 %, ce qui représente plus de 800 millions d’euros supplémentaires pour les régions, plus de 800 millions pour les départements et plus de 400 millions pour les intercommunalités.

Cela souligne que, indépendamment de la reprise que nous connaissons, les recettes de TVA sont généralement plus dynamiques que les recettes précédemment obtenues de la fiscalité locale, ce qui donne de la visibilité à celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Bernard Fialaire et Jean-Paul Prince applaudissent également.)

situation au mali (ii)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, le groupe Les Républicains, auquel j’appartiens, s’associe à l’hommage que vous avez rendu à notre regretté collègue Olivier Léonhardt, qui était élu de la région Île-de-France.

Monsieur le Premier ministre, « malheur et honte aux oppresseurs du peuple malien » : voilà bien ce qu’on entend maintenant régulièrement dans les manifestations hostiles à la France au Mali, alors que nous y sommes présents depuis plus de huit ans, que 58 de nos soldats y ont laissé la vie et que des centaines de blessés en garderont une marque pour toujours.

Dans cette fuite en avant, la junte malienne a manifestement décidé de faire jouer à la France le rôle de bouc émissaire de toutes ses propres difficultés.

La liste des humiliations que le Mali nous fait actuellement subir est suffisamment longue pour que notre gouvernement y apporte une véritable réponse.

En effet, nos accords militaires ont été dénoncés : ils nous liaient depuis des années. Une très grande partie de l’espace aérien du Mali nous est interdit à la demande des milices Wagner. Ces milices, qui sont de véritables soudards des temps modernes, s’installent définitivement dans la perspective de nous chasser et de prélever un tribut sur les ressources et les moyens financiers de ce malheureux pays, ce dont il n’avait guère besoin. Dernier événement en date, le Danemark, qui avait manifesté sa volonté de contribuer à l’effort que nous portons avec Takuba, a été éconduit et ses soldats ont dû rentrer chez eux. Humiliation suprême, notre ambassadeur a été rappelé sous 72 heures, ce qui donne plutôt l’impression qu’il a été expulsé.

Face à ces provocations délibérées, la France ne peut rester impuissante. Sinon, la crédibilité de notre pays en subira les conséquences non seulement en Afrique, mais aussi en Europe. Le temps de tirer le bilan des échecs, des erreurs et de tout ce qui a pu être mal fait dans cette affaire viendra plus tard.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Respectez votre temps de parole !

M. Christian Cambon. Ma question est très simple : que comptez-vous faire ? Allez-vous décider de rester au Mali contre la volonté de ses dirigeants, au risque de pénaliser nos soldats et de risquer leurs vies ? Souhaitez-vous vous installer au Burkina Faso, qui sort très affaibli d’un coup d’État ? Convient-il d’aller au Niger, alors qu’il ne veut pas accueillir Takuba ? Ou bien au Tchad, qui est distant de 2 600 kilomètres ? Voilà le véritable problème. (Marques dimpatience sur les travées du groupe SER, où lon signale que le temps de parole de lorateur est écoulé.)

Monsieur le Premier ministre, dites au Sénat ce que vous comptez faire par respect pour nos concitoyens et pour les 58 soldats qui ont fait pour nous le sacrifice de leur vie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel ainsi que MM. Philippe Bonnecarrère et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président Cambon, je reprends la parole sur ce sujet après avoir répondu au président Kanner.

Vous avez parlé d’humiliation. Il y a incontestablement une très grave crise politique avec le Mali.

Que vouliez-vous que notre pays fît d’autre ?

La France, dont je réponds devant vous de l’action, a très fermement condamné – elle n’est d’ailleurs pas la seule – tout ce que vous avez précisément décrit et qui doit être imputé à la seule junte militaire malienne. Effectivement, ce régime a, entre autres, décidé de renvoyer notre ambassadeur.

Je vous rappelle que le représentant de la Cédéao au Mali a également été renvoyé, et que le Danemark a été éconduit, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président Cambon.

Mais permettez-moi de dire qu’il ne s’agit pas d’une humiliation !

Je le redis, que vouliez-vous que notre pays fît d’autre ?

Auriez-vous voulu que l’on approuve le coup d’État ? Le fait que le régime malien renvoie notre ambassadeur montre que nous avons parfaitement bien fait en condamnant les événements avec la fermeté dont nous avons fait preuve ! (Exclamations sur plusieurs travées.)

Certes, le renvoi de notre ambassadeur est un élément nouveau dans la stratégie globale de notre présence dans cette région du monde. Nous devons faire évoluer notre dispositif opérationnel pour lutter contre le terrorisme, non seulement au Mali, mais aussi dans d’autres pays de la région, comme le Niger.

J’insiste sur ce point : le problème concerne non pas uniquement les relations entre la France et le Mali, mais la lutte contre le terrorisme international. L’Europe est au rendez-vous : les ministres des affaires étrangères des pays de l’Union européenne, réunis le 24 janvier, vont prendre des sanctions contre le Mali. La Cédéao s’est également réunie, comme vous le savez. Dans ce cadre multilatéral, nous travaillons pour déterminer la nature de notre réaction et faire évoluer notre dispositif.

Je reviens à la question qu’a posée le président Kanner. Le Parlement mérite évidemment d’être parfaitement informé de cette situation. Je le dis : sur ce sujet extrêmement important, en plus des travaux des commissions parlementaires, le Gouvernement organisera un débat sur la base de l’article 50-1 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot ainsi que MM. Pierre Louault et Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

lutte contre l’islam radical

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, notre groupe tient évidemment à s’associer à l’hommage que vous avez rendu à notre collègue Olivier Léonhardt.

Ma question s’adresse à Mme Schiappa, puisque M. le ministre de l’intérieur est absent.

La diffusion d’un documentaire sur les dérives de l’islam radical à Roubaix a déchaîné les haines et les menaces contre la journaliste Ophélie Meunier, désormais placée sous surveillance policière.

Cette situation nous rappelle l’assassinat de Samuel Paty, le cas de la jeune Mila, sans parler des journalistes de Charlie Hebdo, qui sont toujours sous surveillance policière sept ans après les faits.

Dans ce pays, les journalistes, les enseignants et les autres citoyens devraient être libres d’exprimer des opinions sur l’islam sans crainte de représailles. Sinon, nous tombons dans la soumission…

La réponse faite hier à l’Assemblée nationale par Mme la ministre des sports sur la question du respect de la laïcité et du port des signes religieux dans les manifestations sportives n’a rien eu de véritablement rassurant.

Madame la ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire – enfin – pour que la peur change de camp ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je veux d’abord réaffirmer le soutien du Gouvernement à Mme Ophélie Meunier, menacée parce qu’elle a présenté un reportage télévisé ne montrant ni plus ni moins que la réalité de l’action des islamistes en France, ainsi que les réponses des services de l’État.

À elle comme à tous les journalistes, je veux dire que nous sommes totalement mobilisés pour leur liberté. Pour cette raison, M. le ministre de l’intérieur a décidé de placer Mme Ophélie Meunier, ainsi que certaines personnes qui ont témoigné dans ce documentaire, sous protection policière.

Sur le plan de l’action, vous savez à quel point le Gouvernement est résolu à mieux lutter contre l’islamisme. Nous sommes venus devant vous défendre un projet de loi, qui a été enrichi par nos débats, et que vous avez voté. Ce texte, devenu la loi confortant le respect des principes de la République, est aujourd’hui appliqué.

Ma collègue Sarah El Haïry et moi-même avons ainsi présenté à Beauvais le contrat d’engagement républicain, selon lequel pas un euro d’argent public ne doit aller aux ennemis de la République. Nous l’avons voté, il est dans la loi et permet désormais de mieux lutter contre les associations qui sont les faux-nez de l’islamisme.

Par ailleurs, nous avons renforcé nos moyens de lutte contre le terrorisme. Je salue d’ailleurs l’action de nos services, qui ont permis de déjouer 37 attentats islamistes depuis le début de 2017.

Nous avons doublé le budget de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Nous avons ouvert près de 2 000 emplois supplémentaires en rapport avec ces sujets.

Nous avons expulsé plus de 700 étrangers radicalisés, qui étaient inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Nous avons mené plus de 24 000 opérations de contrôle sur des établissements soupçonnés de radicalisation. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Voix sur les travées du groupe Les Républicains. C’est du vent !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Dans chaque département se trouvent maintenant les cellules locales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR), qui permettent de mener ces actions.

Madame la sénatrice, je partage pleinement votre constat. Le Gouvernement est entièrement mobilisé pour agir concrètement contre la menace islamiste, qui pèse face à notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je ne trouve pas que le bilan du Gouvernement soit aussi positif.

Vous traitez les effets, mais n’attaquez jamais les causes. Je vous rappelle que des associations, en particulier à Roubaix, ont perçu des subventions publiques alors qu’elles sont proches des Frères musulmans.

Il y a quelques semaines, j’avais posé au Gouvernement une question au sujet des subventions accordées par l’Union européenne à des organisations islamistes, qui réagissait également à cette scandaleuse campagne du Conseil de l’Europe en faveur du hijab, menée avec des fonds européens.

Aujourd’hui, la France préside l’Union européenne. Allez-vous interdire les Frères musulmans, et les mettre sur la liste des organisations terroristes ? Allez-vous passer au crible les financements des associations, contrôler les rescrits fiscaux de celles qui perçoivent des subventions publiques et des dons ?

Les dispositions dont vous avez parlé ne sont absolument pas efficaces, alors que ces dérives doivent être sérieusement dénoncées. Je le dis encore une fois : des démarches doivent être menées à l’échelon européen. Je compte sur la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour mettre un terme à ces dérives, notamment en matière de financements. Et surtout, madame la ministre, faisons interdire les Frères musulmans : inscrivons ce groupe sur la liste des organisations terroristes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

situation dans les ehpad (i)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, notre groupe s’associe à l’hommage que vous avez rendu à notre collègue Olivier Léonhardt.

Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, après de nouvelles révélations concernant les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) privés, vous avez annoncé un renforcement des contrôles et un travail sur la certification des établissements.

Quels seront les objectifs de ces contrôles ? Seront-ils menés par les agences régionales de santé (ARS), qui, je le rappelle, fonctionnent en « dialogue de gestion » avec les Ehpad, attendent des « améliorations de la performance », ou prônent « l’efficience dans la dépense publique », alors que nos aînés ont besoin de soins, d’accompagnement et d’humanité ?

Envisagez-vous de refuser leur agrément à des établissements dont le modèle économique est axé sur la rentabilité, au profit d’Ehpad publics ou associatifs à but non lucratif ?

Entendez-vous avancer, comme le réclament les salariés depuis des années, vers un taux d’encadrement d’un personnel pour un résident ?

Au-delà des scandales révélés par Victor Castanet dans Les Fossoyeurs, nos Ehpad connaissent un problème structurel de sous-effectifs, au point que les agents, qui font pourtant de leur mieux au quotidien, évoquent une maltraitance institutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Je veux redire à quel point je suis bouleversé par ce qui a pu être écrit et dit : cela traduit la réalité de la situation dans certains établissements chargés d’accompagner et de soigner des personnes âgées fragiles en perte d’autonomie, qui leur ont été confiées par leurs familles parce qu’il leur était trop difficile de rester à domicile.

Je suis bouleversé pour les soignants, pour les blouses blanches, mais aussi pour les directeurs d’établissement, qui se mobilisent au quotidien.

Madame la sénatrice, j’ai fait ce métier pendant trois ans : j’ai été aide-soignant en Ehpad ; je connais l’engagement constant, jour et nuit, des équipes au lit des personnes âgées, parfois dans des salles collectives, qui animent et rendent le quotidien moins insupportable alors que la vie décline progressivement.

Je suis bouleversé pour les familles, qui ont fait un choix ne pouvant souvent plus être repoussé, celui de confier un proche ou un parent à des équipes professionnelles, afin de permettre aux leurs de passer les derniers moments de leur vie dans les meilleures conditions possible.

Je ne parlerai pas des statuts publics ou privés, car il y a une constante entre eux. Fort de mon expérience – j’ai travaillé dans des Ehpad tant publics que privés –, je vous rejoins pour dire qu’il n’y a pas suffisamment de professionnels pour bien prendre en charge les résidents. La nuit, nous étions deux pour quatre-vingt-dix lits. Que l’établissement soit public ou privé, les choses ne changent pas ! (Mme Sophie Primas et M. Pascal Savoldelli protestent.)

Il ne faut pas confondre deux problèmes.

Le premier concerne l’organisation des Ehpad, sujet auquel nous travaillons. Nous avons fait de la dépendance le cinquième risque de la sécurité sociale ; nous avons consacré 2,5 milliards d’euros supplémentaires par an à la branche autonomie ; nous avons créé 10 000 postes de soignants dans les Ehpad, et 40 000 autres postes sont en cours de création ; nous développons le numérique ; nous reconstruisons 3 000 établissements médico-sociaux et hospitaliers dans notre pays. Au travers des investissements réalisés dans le cadre du Ségur de la santé, nous avons pris le taureau par les cornes bien avant que ce sujet devienne polémique.

Le second problème confine à de la maltraitance institutionnelle, si ces faits devaient être avérés. Il concerne un ou plusieurs Ehpad, qui appartiennent à un ou plusieurs groupes. C’est l’objet des enquêtes que nous menons, ce travail ayant été confié à Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie, qui le mène avec beaucoup de courage. (MM. François Patriat et Didier Rambaud applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, je ne vous rejoins que sur un seul point : il est difficile de travailler dans les Ehpad aujourd’hui, quelle que soit la catégorie professionnelle à laquelle on appartient.

Mais nous apprenons que le futur ex-PDG d’Orpea a engrangé 600 000 euros en vendant des actions « au bon moment ». Voilà ce que ce groupe vante sur son site : « Le secteur Ehpad est réglementé par l’ARS et l’État et permet d’avoir une excellente lisibilité de ce secteur dans les années à venir. Ces dernières années ce placement s’est entièrement démocratisé […]. L’investissement en Ehpad vous permettra de diversifier votre portefeuille en investissant dans un actif immobilier sécurisé, avec un rendement attractif et des conditions de gestion optimisées par le gestionnaire. »

Au pays de la sécurité sociale, il est temps de construire un service public de la dépendance plutôt que d’embarquer les PDG de ces groupes financiers gestionnaires d’Ehpad en voyage présidentiel, comme cela a très récemment été le cas en Chine ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Bernard Fialaire et Bernard Bonne applaudissent également.)

varenne agricole de l’eau

M. le président. La parole est à Mme Marie Evrard, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Marie Evrard. Monsieur le président, notre groupe s’associe à l’hommage que vous avez rendu à notre collègue Olivier Léonhardt.

Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Nous ne pouvons pas le nier, le changement climatique va affecter de plus en plus nos vies et notre avenir.

Les événements climatiques imprévus se révèlent de plus en plus violents et réguliers, avec des pluies diluviennes lors des épisodes cévenols, des sécheresses qui s’éternisent et des canicules qui s’intensifient. Que dire également de l’épisode de gel du printemps dernier, qui a ravagé 30 % de nos vignes, notamment dans l’Yonne !

C’est pour anticiper et se préparer à cet avenir que le Président de la République a demandé la tenue du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique.

Monsieur le ministre, l’accès à l’eau est un enjeu vital de toute société. Vous le dites régulièrement : il n’y a pas d’agriculture sans eau, et pas de France forte sans agriculture forte.

Il nous fallait sortir des postures dans lesquelles les conflits d’usages nous avaient enlisés, au moyen de la concertation et de l’échange transpartisan, avec l’ensemble des acteurs concernés.

C’est cette méthode que vous avez employée, avec Bérangère Abba, lors des travaux du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, auxquels, me semble-t-il, 1 400 personnes ont participé ces six derniers mois.

Les conclusions de ces travaux ont été rendues hier matin en présence du Premier ministre, qui a tenu à les clore, en un acte politique fort et volontariste que nous devons saluer.

Monsieur le ministre, à l’heure où le Sénat examine un des volets de votre plan d’action avec votre projet de loi Assurance climatique (portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture), quel consensus se dégage de ces propositions ? Quel est le calendrier que vous envisagez ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice Marie Evrard, vous évoquez la question ô combien cruciale de l’eau dans le domaine agricole, au sujet de laquelle je salue l’action et l’implication du Sénat, quels que soient les bords politiques auxquels vous appartenez.

Comme vous, madame la sénatrice, je considère que cette question de l’eau emporte la question de notre souveraineté agroalimentaire, car une agriculture sans eau n’est pas possible et ne sera jamais possible.

Face à ce constat, j’ai effectivement organisé, avec Bérangère Abba, sous l’égide du Premier ministre, ce moment politique du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique.

Il s’agissait d’un vrai moment politique, car cet événement a suscité un énorme engouement de la part de nombre de ses participants.

Ses travaux se sont organisés autour de trois groupes thématiques élaborant des solutions très concrètes, concernant d’abord la protection de nos cultures – nous aurons l’occasion de discuter dès la semaine prochaine du projet de loi sur l’assurance récolte –, ensuite l’adaptation de nos cultures, et enfin la gestion et le stockage de l’eau.

Sur ces trois sujets importants, le Premier ministre a fait plusieurs annonces concrètes hier. Un investissement de 215 millions d’euros sera consacré à l’adaptation de nos cultures et aux mesures de stockage de l’eau. Les textes réglementaires seront revus, afin de faciliter les approches de ces questions. Un soutien sera apporté aux projets territoriaux, car la question de l’eau se joue évidemment à l’échelon territorial.

Comme vous le voyez, le Gouvernement fait preuve d’une véritable détermination pour avancer avec méthode, dans la concertation, sur ce sujet.

Monsieur le président, permettez-moi de conclure mes propos en citant un ancien sénateur, qui a également été ministre de l’agriculture, Edgard Pisani. En une très belle phrase, il disait que le drame en politique, c’est de sombrer dans le détail et d’oublier l’essentiel. Revenons à l’essentiel, traitons la question de l’eau dans le domaine agricole ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. Merci, monsieur le ministre, de cette référence.

accès gratuit aux soins pour les personnes non vaccinées

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, permettez que je rende hommage, au nom de la commission des affaires sociales, à notre collègue Olivier Léonhardt.

Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé. Elle concerne les propos tenus la semaine passée par le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, qui a indiqué s’interroger sur la fin de la gratuité des soins pour les non-vaccinés admis en hospitalisation et en service de réanimation.

Quelle est la position du Gouvernement sur une telle proposition ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Laurence Cohen et M. Éric Bocquet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente Catherine Deroche, je vous remercie de votre question.

Vous connaissez ma position, et c’est celle du Gouvernement. Ou plutôt, c’est dans l’autre sens : vous connaissez la position du Gouvernement, et c’est la mienne ! (Rires.) Ne me mettez pas en difficulté vis-à-vis du Premier ministre, ce n’est pas le moment ! (Mêmes mouvements.)

Madame la sénatrice, nous en avons déjà débattu dans cet hémicycle. Je vous réponds en tant que médecin, citoyen et ministre des solidarités et de la santé : il n’est évidemment pas question, ne serait-ce qu’une seconde, d’envisager de différencier la nature du remboursement des soins des personnes malades, selon qu’elles sont vaccinées ou non vaccinées.

On ne fait pas cela avec les gens atteints de cancer, selon qu’ils fument ou ne fument pas ; on ne fait pas cela avec les gens qui sont greffés du foie, selon qu’ils ont continué à boire ou non malgré les conseils de leur médecin ; et on soigne les traumatisés de la route selon qu’ils ont ou non porté la ceinture de sécurité !

Notre conviction, notre combat – madame la présidente Deroche, je vous remercie de le mener à nos côtés, car votre apport est précieux –, c’est de convaincre celles et ceux qui ne sont pas encore vaccinés.

Ils sont de moins en moins nombreux, ce dont nous pouvons nous féliciter, car ceux qui sont vaccinés sont protégés. Mais il reste encore des Français à convaincre, et il reste encore à convaincre certains de recevoir leur troisième dose de rappel.

Je rappelle que, le 15 février prochain, les règles du passe vaccinal vont évoluer. Nous ne voulons certainement pas que des millions de nos concitoyens se retrouvent contraints de se faire vacciner parce qu’ils auraient oublié l’échéance.

J’ai profité des secondes qui me restaient pour sortir un peu du cadre de la réponse, tant la réponse à la question est évidente. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.

Mme Catherine Deroche. En effet, monsieur le ministre, prendre une telle décision ouvrirait la boîte de Pandore, vous en avez détaillé certaines conséquences possibles. On ne peut pas créer un cadre éthique propre à la pandémie, comme le président du Comité consultatif national d’éthique, Jean-François Delfraissy, nous l’a rappelé hier.

Néanmoins, j’ai été surprise de voir le directeur de l’AP-HP entrer dans un débat aussi politique. Il laisse croire que la surcharge des hôpitaux est le fait des non-vaccinés.

La commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dont je suis rapporteure, auditionne des personnalités depuis des semaines. Nous voyons bien que la situation de l’hôpital n’est pas uniquement liée à la pandémie et aux non-vaccinés. J’ai dont trouvé que les propos de Martin Hirsch, en plus d’être quelque peu saugrenus, n’étaient pas corrects.

Même s’ils sont épuisés du travail fait dans les services de réanimation, certains médecins se sont élevés contre ces propos, rappelant leur serment d’Hippocrate.

Si j’ai posé cette question, c’est que j’ai également entendu le porte-parole du Gouvernement expliquer que, s’il y a des droits, nous allons vers une société où il y a davantage de devoirs.

Je ne le pense pas : il y a des droits et il y a des devoirs. Nous ne souhaitons pas cette dérive allant vers davantage de devoirs et une réduction des droits. Tout cela doit être médité dans la période actuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Raymonde Poncet Monge et M. Thomas Dossus applaudissent également.)

situation dans les ehpad (ii)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, depuis la sortie du livre Les Fossoyeurs, chaque jour apporte son lot de témoignages à peine croyables et totalement insoutenables.

Vous avez annoncé des inspections de l’IGAS et de l’IGF (inspections générales des affaires sociales et des finances). Dont acte.

En 2020, la presse épinglait déjà des Ehpad appartenant à un groupe financier bien connu sur le marché du vieillissement. Entre ces deux épisodes, deux années se sont écoulées.

Dans ce laps de temps, quels contrôles avez-vous mandatés dans ce type de structures ? Quelles décisions avez-vous prises ? Faut-il que l’horreur soit à ce point documentée pour que vous réagissiez enfin ?

Par ailleurs, ce dossier met en lumière les agissements de ces groupes financiers et les moyens employés. Rendements compris entre 5 % et 9 %, rémunérations extravagantes de leurs dirigeants, fortunes colossales amassées : avec quelles méthodes ?

Moins de personnels que dans les Ehpad publics : je m’inscris en faux contre les propos que vous avez tenus tout à l’heure, car, si dans le public il y a 70,6 agents pour 100 résidents, le taux d’encadrement n’est même pas de 55 % dans le privé ; rationnements des soins apportés aux résidents, induisant la captation d’une partie de l’argent public versé par l’assurance maladie et les départements ; rétrocessions versées par des fournisseurs ; rémunérations d’apporteurs d’affaires afin d’obtenir des agréments ; primes versées aux gestionnaires en fonction des résultats financiers de la structure, c’est-à-dire des économies réalisées.

Tout cela a un but : rémunérer des actionnaires, qui par ailleurs peuvent déduire jusqu’à 300 000 euros de leurs impôts sur neuf ans, grâce à une niche fiscale généreusement octroyée en 2009 !

Monsieur le ministre, maintenant que tout est connu de tous, allons-nous continuer à verser de l’argent public à ce type d’investisseurs et à leur donner des agréments ? Aurez-vous le courage d’annoncer que, dorénavant, le grand âge ne pourra plus être confié qu’au secteur privé non lucratif ou au secteur public ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Monique de Marco applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, comme je l’ai dit tout à l’heure, les faits exposés sont extrêmement graves et bouleversants.

J’ai signé ce midi la saisine de l’inspection générale des affaires sociales, qui va diligenter une enquête massive globale sur l’ensemble du groupe incriminé. Je ne suis pas sûr qu’il ne faille pas d’ailleurs étendre le champ de l’inspection au-delà de ce groupe ; nous verrons. Nous menons également cette enquête avec l’ensemble des agences de santé dans les territoires et dans les départements.

De la même manière, comme vous le savez, une enquête de l’inspection générale des finances est diligentée, tenant compte tant du comportement allégué du dirigeant du groupe Orpea que des mécanismes fiscaux ou financiers qui seraient à l’œuvre. Évidemment, nous voulons mettre ces faits en plein jour, surtout s’ils devaient être condamnables, moralement ou par la loi.

Madame la sénatrice, vous pouvez donc compter sur notre engagement total.

Le débat peut éternellement être refait sur la différence entre les établissements publics et privés, Ehpad ou hôpitaux, entre les médecins salariés et les médecins libéraux. Mais les soignants, quel que soit leur secteur, travaillent avec conviction, leur vocation chevillée au corps, et s’engagent au service des malades et des personnes âgées en perte d’autonomie.

Je vous garantis que les soignants du secteur privé sont très fiers d’aller travailler le matin. En revanche, il leur faut des moyens pour travailler dans de bonnes conditions.

Ils partagent avec les salariés du public une revendication juste et légitime, que le Gouvernement et la majorité entendent depuis maintenant plusieurs années, d’où la mise en place de la cinquième branche de l’assurance maladie. (MM. Vincent Éblé et Pascal Savoldelli protestent.) L’ensemble de ces salariés demande des moyens et davantage de personnel pour mieux soigner et mieux prendre en charge.

M. Olivier Véran, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je rappelle que nous travaillons sur la gouvernance dans les Ehpad, que nous y avons créé 10 000 postes médicalisés et facilité le recours à des infirmières de nuit au sein des réseaux de santé.

M. Vincent Éblé. Il ne s’agit pas des salariés des Ehpad mais des dirigeants !

M. Olivier Véran, ministre. Pour faire tout cela, nous n’avons pas attendu la parution d’un livre. Ce sont les actions que nous déclinons depuis des années maintenant.

Madame la sénatrice, j’ai été socialiste, vous êtes socialiste. Je me souviens comme vous du rapport de la Cour des comptes de 2017, qui indiquait qu’il y avait eu, sous la présidence socialiste et notamment dans les départements dirigés par les socialistes, un très fort boom des Ehpad privés. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Martine Filleul. Ce n’est pas le sujet !

M. Vincent Éblé. Vous étiez où, à l’époque ?

M. Olivier Véran, ministre. Si vous changiez vos convictions, peut-être qu’un jour vous auriez également l’occasion de changer la politique que vous avez menée jusqu’ici ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Nouvelles protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.

Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre, votre exemple est fort mal choisi. Je suis l’élue d’un département dont vous avez bien connu le président, Henri Emmanuelli, et où tous les Ehpad sont publics ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Laurence Cohen et Marie-Claude Varaillas applaudissent également.)

M. Olivier Véran, ministre. C’est le seul !

impact des prix de l’énergie sur les collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Rojouan. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

En pleine préparation de leur budget pour 2022, de nombreuses collectivités territoriales tirent le signal d’alarme : l’augmentation des prix de l’électricité de près de 35 % a des répercussions importantes sur les finances locales. On assiste à une hausse brutale des prix, sauf pour les collectivités bénéficiant d’offres à prix fixe ; celles dont le contrat arrive à échéance éprouvent des difficultés à passer de nouveau marché à des prix raisonnables.

L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) estiment que cette augmentation des prix s’échelonne de 30 % à 300 %, et que neuf communes sur dix seraient affectées.

L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) évaluait à 4 milliards d’euros leurs dépenses en énergie en 2017. Le surcoût dépasse cette fois un milliard d’euros. L’addition est salée !

La crise covid a nécessité beaucoup d’efforts pour suppléer l’État. Les collectivités vont être contraintes de renoncer à certains investissements.

Il est vrai que certaines collectivités sont en partie préservées grâce à des contrats au tarif réglementé de vente, mais la plupart ne sont plus éligibles à de tels contrats. Monsieur le ministre, faisons en sorte que toutes les collectivités locales puissent de nouveau accéder à ce tarif réglementé.

J’ai entendu le Gouvernement s’inquiéter du sort des ménages et des entreprises confrontées à ces difficultés. N’oubliez pas que tous les échelons locaux sont également fortement affectés. Si la hausse de l’inflation va entraîner une revalorisation des bases locatives, l’augmentation des recettes fiscales sera très loin de compenser celle du prix de l’énergie.

Monsieur le ministre, quel message adressez-vous aux collectivités territoriales, qui s’inquiètent une fois de plus de la réduction de leur capacité financière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Demilly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, voici quelques éléments pour apporter des réponses à votre interrogation, sur un sujet qui concerne tant les collectivités que l’État.

Vous m’interrogez en tant que ministre chargé des comptes publics. Avec Mme la ministre de la transition écologique, à l’automne dernier, nous avons dû réviser un certain nombre de contrats d’énergie, du fait des difficultés rencontrées par nos propres fournisseurs. L’État a dû lui aussi faire face à une augmentation des tarifs représentant un coût non négligeable. Cela nous amène, avec le Premier ministre, à faire preuve d’une grande attention au sujet du coût de l’énergie pour l’ensemble des acteurs, privés comme publics.

Aujourd’hui, je veux porter à votre attention deux éléments, qui, à ce stade, peuvent être rassurants.

Premier élément : certaines dispositions que nous avons prises s’appliquent aux collectivités locales. Comme les particuliers, ces dernières bénéficient de la baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), notamment lorsque leurs activités ne sont pas de nature commerciale, et ne sont pas assujetties à la TVA. Concernant leurs activités qui relèvent d’un assujettissement à la TVA, les collectivités sont en revanche considérées comme des entreprises.

Deuxième élément : la décision prise avec Bruno Le Maire de relever le volume d’électricité produite au titre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) bénéficie aussi aux collectivités. Là où des hausses de prix de 40 % auraient pu être constatées, l’augmentation du volume de l’Arenh ramène ces hausses à 20 %.

En outre, comme vous l’avez dit, les collectivités de plus petite taille, celles qui ont une section de fonctionnement avec un budget de moins de 2 millions d’euros ou qui emploient moins de 10 équivalents temps plein, bénéficient du tarif réglementé. L’augmentation du prix de l’électricité est ainsi pour elles limitée à 4 %, et celle du prix du gaz limitée aux montants du mois d’octobre.

Monsieur le sénateur, vous vous inquiétez de la capacité des collectivités à faire face. J’ai indiqué tout à l’heure à M. le sénateur Marc que, par le biais d’une augmentation des recettes de TVA, les compensations versées à l’ensemble des collectivités vont augmenter de 2 milliards d’euros par rapport à 2021.

Par ailleurs, la dynamique des recettes fiscales liées à l’évolution des bases locatives est certaine. Elle tient au développement des collectivités. La révision forfaitaire des valeurs locatives à hauteur de 3,4 % représente de manière cumulée entre quatre et cinq fois l’augmentation crainte et non encore constatée du prix de l’énergie pour les collectivités.

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Cela reste rassurant à ce stade, mais n’empêche pas le Gouvernement de faire preuve de la plus grande vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.

M. Bruno Rojouan. Monsieur le ministre, protégez les finances des collectivités locales ! N’oubliez jamais que ces dernières réalisent 70 % de l’investissement public en France. Pour elles, un milliard d’euros représentent une baisse de leurs investissements de 2 %, avec autant d’impacts sur l’emploi et l’économie générale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Stéphane Demilly et Daniel Chasseing applaudissent également.)

augmentation des tarifs des péages autoroutiers

M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Jacquemet. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’économie, mais c’est M. le ministre délégué chargé des comptes publics qui le représente.

Monsieur le ministre, une fois encore, les tarifs des péages d’autoroute augmentent. Il y a de quoi exaspérer nos concitoyens, dont le pouvoir d’achat fond comme neige au soleil. Entre cette nouvelle hausse et les prix de l’énergie qui flambent, les Français sont pressurés de toutes parts. La situation est d’autant plus explosive qu’il est bien difficile d’expliquer pourquoi les tarifs des péages augmentent encore, puisque les sociétés concessionnaires sont « hyper-rentables ».

La seule justification de cette hausse est proprement scandaleuse : les prix augmentent parce que cela était prévu dans les contrats de concession. Cela conduit donc, une fois de plus, à remettre ces contrats en cause.

C’est ce que le Sénat a fait, sur l’initiative de notre collègue Vincent Delahaye, que j’associe à ma question. Sous la houlette de ce dernier, la Haute Assemblée a constitué une commission d’enquête, qui a rendu ses conclusions en septembre 2020, sans susciter la moindre réaction de la part du Gouvernement. Elle a pourtant fait des propositions concrètes pour sortir du statu quo, qui n’est plus tenable, sans verser dans la fausse bonne solution de la renationalisation, qui coûterait plus au contribuable qu’elle ne lui rapporterait.

Les plus importantes de ces propositions consistent à ne plus prolonger la durée des concessions et à organiser un sommet des autoroutes, pour enfin définir quel doit être l’équilibre économique de ces contrats et identifier les marges d’investissement dont bénéficieraient les usagers, sans nouvelle augmentation tarifaire.

Monsieur le ministre, allez-vous prendre en compte ces propositions ? Plus globalement, comment allez-vous reprendre en main les concessions autoroutières ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous évoquez l’augmentation annoncée des tarifs d’un certain nombre de concessions autoroutières ou plutôt l’augmentation de certains tarifs de presque toutes les concessions autoroutières.

Vous l’avez dit, nous sommes liés par le droit des contrats. Ces concessions ont été signées sur le fondement d’un décret de 1995, qui définit les modalités par lesquelles les tarifs des péages d’autoroute peuvent être révisés par les sociétés titulaires. Selon ce décret, l’augmentation des tarifs doit être limitée à 70 % de l’inflation, ce qui explique la hausse de 2 % qui intervient en ce moment.

À cet égard, je tiens à saluer les sociétés concessionnaires d’autoroutes qui ont fait le choix – ce n’est pas le cas de toutes – de geler les tarifs sur les trajets dits du quotidien, c’est-à-dire sur les trajets les plus courts.

Devons-nous remettre brutalement en cause le modèle des concessions ? Je ne le crois pas, car cela mériterait un débat beaucoup plus approfondi. D’abord, le modèle concessif a connu certains progrès au cours des dernières décennies : l’augmentation du nombre de kilomètres aménagés ainsi que, entre 2006 et 2018, 50 milliards d’euros de recettes fiscales pour l’État et 20 milliards d’euros d’investissement sur le patrimoine.

Dans quelques années, nous devrons réinterroger collectivement le modèle de la concession à l’aune de tous les éléments, puisque, vous l’avez dit, toutes les concessions se terminent entre 2031 et 2036.

Ce serait une folie budgétaire que de vouloir renationaliser brutalement les concessions ; cela représenterait un coût de 47 milliards d’euros et, tout le monde en conviendra, l’État doit financer d’autres priorités avant celle-ci au cours de la période qui vient. Nous allons y travailler, dans un cadre très particulier : celui de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, portée par le ministre de l’industrie de l’époque, Emmanuel Macron. En vertu de ce texte, l’État ne peut plus accorder la prolongation de concessions en contrepartie de la réalisation de travaux ; en outre, la remise en cause des concessions doit être le modèle de droit commun. C’est dans ce cadre que nous allons travailler.

Par ailleurs, je vous renvoie à l’ensemble des éléments de réponse apportés par ma collègue Bérangère Abba sur les actions de l’État pour aider les Français face à la hausse du coût de l’énergie. (MM. François Patriat et Julien Bargeton applaudissent.)

séparatisme islamiste à roubaix

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Madame la ministre, le dimanche 23 janvier dernier, M6 diffusait un reportage sur les dangers de l’islam radical, au cours duquel de nombreux Français ont dû découvrir, avec effroi, la réalité de ce qui se passe sur notre territoire.

Depuis lors, la journaliste Ophélie Meunier et le juriste Amine Elbahi, auxquels nous apportons évidemment tout notre soutien, ont dû être placés sous protection, en raison des nombreuses menaces dont ils sont victimes. En France, trente-cinq personnes seraient ainsi placées sous protection policière, pour des propos jugés par certains hostiles à l’islam.

Madame la ministre, trouvez-vous normal qu’il faille vivre caché ou protégé lorsque l’on dénonce une idéologie mortifère, qui n’a pas sa place dans notre pays ? Ou bien faut-il, pour vivre tranquille, se taire sur certains sujets ?

Qu’avez-vous fait concrètement, depuis cinq ans, pour faire taire ces pressions ? Pour dénoncer l’islamisme et lutter contre cette idéologie et contre l’entrisme des Frères musulmans, qui continuent de mettre en place leur projet, inlassablement, inexorablement, sur notre territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Si vous me le permettez, madame la sénatrice, je souhaite commencer par saluer votre engagement sur ces sujets. (Marques de satisfaction sur des travées du groupe Les Républicains.) Vous avez été très impliquée à nos côtés quand nous avons, ensemble, examiné le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Nous avions alors partagé le constat, mais également l’objectif et l’urgence de lutter contre la menace islamiste dans notre pays.

Cette loi, qui a été enrichie puis adoptée ici, par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a justement permis de nous doter d’un certain nombre d’outils plus pratiques, plus utiles, plus concrets. Cela répond, madame la sénatrice, à votre question sur ce que nous avons fait : nous avons élaboré et fait adopter cette loi, qui manquait. Ce texte s’inscrit dans la droite ligne du discours des Mureaux du Président de la République, Emmanuel Macron, qui a enfin décidé de nommer la menace – le séparatisme – et de dire la réalité de ce que nous vivons en France.

Cette loi nous a permis de nous doter du « contrat d’engagement républicain », que j’évoquais précédemment, mais également de renforcer notre protection face aux menaces qui peuvent exister, en particulier sur les réseaux sociaux. Voilà à peine quelques semaines, le Premier ministre, le garde des sceaux et moi-même avons visité Pharos (plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements) et le parquet de lutte contre la haine en ligne, qui protègent et mettent en œuvre les dispositifs de la loi confortant les principes de la République.

Ainsi, vous le voyez, le Gouvernement agit. (M. Roger Karoutchi proteste.) Nous faisons fermer les établissements qui représentent une menace, grâce à l’action des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR) et grâce à la loi qui a été renforcée, ce dont je vous remercie encore. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour la réplique.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Des mots, encore des mots, toujours des mots…

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Non, c’est une loi !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Et toujours cette ambiguïté !

En novembre 2019, le Sénat mettait en place une commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et, pour la première fois, le 24 janvier 2020 – juste après la constitution de notre commission, comme par hasard –, le Président de la République parlait enfin de séparatisme.

Le Sénat a voulu vous tendre la main à plusieurs reprises, au travers d’amendements que certains d’entre vous, mes chers collègues, qualifient hypocritement d’« amendements textiles » : interdiction de signes religieux ostentatoires lors des accompagnements scolaires et lors des compétitions sportives – on l’a encore vu récemment – ou encore interdiction du burkini.

Or vous avez toujours renoncé, refusé,…

M. Roger Karoutchi. Absolument !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. … préférant subir les pressions de minorités agitées par peur de combattre ces dernières, par lâcheté et au moyen d’accommodements qui s’apparentent, selon moi, à du clientélisme.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. C’est faux !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Pendant ce temps, la base arrière des Frères musulmans, l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon et celui de Saint-Denis, participerait à la formation des imams dans le cadre du Conseil national des imams.

Madame la ministre, les Français en ont assez des paroles.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ils veulent des actes, des preuves et vous ne leur en donnez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

lutte contre la pédopornographie

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, je souhaite tout d’abord m’associer aux hommages rendus à Olivier Léonhardt. Il était mon ami et il était, je le rappelle, un maire aimant passionnément sa ville, Sainte-Geneviève-des-Bois, ainsi qu’un irréductible militant de la lutte contre le racisme et contre l’antisémitisme. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et UC.)

Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Voilà une dizaine de jours, l’association Osez le Féminisme ! a procédé à 200 signalements de milliers de vidéos pornographiques, dont au moins la moitié constituaient une infraction au code pénal.

L’industrie pornographique et les sites, comme celui de Jacquie et Michel, répondent aux pires fantasmes. Je vous prie, mes chers collègues, de garder votre calme malgré ce que je vais dire, qui va certainement vous choquer : « beurette des cités prise dans une cave », « grosse salope qui revient du bled », « viol collectif d’ado enceinte »… Tout cela est accessible sur le Net, pour peu que l’on saisisse les bons mots clés : les viols sont de vrais viols, les tortures, de vraies tortures.

Toutes ces vidéos constituent des infractions pénales – apologie de la haine, apologie de crimes de guerre, incitation à la haine raciale, viol en réunion, proxénétisme, homophobie –, mais toutes demeurent accessibles.

En réalité, seule la lutte contre le terrorisme est vraiment traquée sur internet. Si une vidéo montrait un violeur en train de sodomiser une femme en criant « Allahu Akbar ! À mort les kouffars ! », je n’ai aucun doute, elle serait retirée dans l’après-midi même. Mais s’il viole une femme en disant juste « Salope ! », la vidéo restera indéfiniment.

Madame la ministre, quelles suites ont été données aux signalements faits à Pharos ? Combien de vidéos ont-elles été retirées ? Combien de sites ont-ils été fermés ?

M. Jean Castex, Premier ministre. C’est n’importe quoi !

M. David Assouline. Non, ce n’est pas n’importe quoi !

Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas n’importe quoi, monsieur le Premier ministre ! Je conçois que vous ne connaissiez pas bien le dossier et je ne vous en fais pas grief, il y a un tel tabou sur la question, mais ne dites pas que je dis n’importe quoi. Ce que je dis est la triste réalité… (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Nathalie Delattre et M. Bernard Fialaire applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je m’inscris en faux contre le « deux poids, deux mesures » que vous décrivez ; je vais vous expliquer pourquoi.

Auparavant, je veux dire que le constat que vous faites est évidemment très choquant ; le Gouvernement condamne évidemment ces pratiques. C’est un sujet grave et différents ministres ont présenté, de manière coordonnée, le 15 novembre dernier, le premier grand plan national de lutte contre la prostitution des mineurs, afin de mieux protéger ces jeunes filles et ces jeunes hommes qui sont exploités par des filières dans un tel cadre.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On ne parle pas de prostitution !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Si, il y a parfois de la prostitution sur ces sites.

Par ailleurs, nous avons renforcé et amélioré la coordination des unités judiciaires, de la police nationale et de la gendarmerie nationale, qui contribuent à lutter au quotidien contre ces pratiques. Ainsi, nous avons créé un réseau d’enquêteurs spécialisés : le réseau CyberGend. Je rends hommage à ces gendarmes, qui font un travail extrêmement difficile : toute la journée, ils prennent en pleine figure ces images, ces vidéos. Quelque 300 enquêteurs ont été formés en 2021 à l’enquête sous pseudonyme, afin de mettre en place des actions de traque, pour confondre les auteurs d’infraction. Nous comptons ainsi 310 enquêteurs spécialisés et 6 100 correspondants.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il faut retirer les vidéos !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. En outre, nous avons mis en place et diffusé la cellule nationale de lutte contre les images de pédopornographie, qui administre la base de données Caliope, comparant et analysant les logiciels des images d’origine pédopornographique afin de mieux lutter, notamment dans le travail avec Interpol, puisque ces actes ont parfois une dimension internationale.

En 2021, Pharos a reçu 20 000 signalements relatifs à des contenus pédopornographiques. Quand M. le Premier ministre, M. le garde des sceaux et moi-même avons visité cette plateforme, les agents nous ont très clairement présenté leur activité comme visant tant le terrorisme que la pédopornographie.

C’est aussi pour cette raison que Pharos est désormais ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, afin de recueillir les signalements jusques et y compris pendant la nuit.

Enfin, je veux rendre hommage aux agents de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), qui, au sein du ministère de l’intérieur, travaillent jour et nuit. Ces agents nous ont expliqué à quel point les enquêtes qu’ils menaient pouvaient être traumatisantes pour eux-mêmes. Ce sont eux qui sont à l’origine des récents coups de filet ayant permis, notamment pendant le confinement, d’arrêter des centaines de pédocriminels, grâce à leur action délicate en ligne. Je les salue. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Bien sûr que c’est traumatisant de traquer ces vidéos, madame la ministre ! Mais ça l’est également pour les citoyens qui font ces signalements et qui n’en dorment pas la nuit !

Comment expliquez-vous donc que, malgré tout ce que vous venez de nous dire, les citoyens doivent tout de même porter plainte, saisir la justice, faire des signalements à Pharos ? Pourquoi les dispositifs que vous nous décrivez n’entraînent-ils pas la fermeture de ces sites et le retrait de ces vidéos ?

M. le président. Il faut conclure !

Mme Laurence Rossignol. Malgré tout ce que vous venez de nous dire, les vidéos que j’ai décrites sont toujours sur le Net. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, UC et Les Républicains.)

filière des véhicules électriques

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. À l’occasion d’une déclaration récente, un grand chef d’entreprise lanceur d’alerte a cassé les idées reçues sur les voitures électriques. Nous vivons un moment de transformation, enthousiasmant à certains égards, inquiétant à d’autres. Cela me conduit à vous interroger, monsieur le ministre chargé des comptes publics, autour de cinq préoccupations : environnementale, énergétique, sociale, budgétaire et industrielle.

D’abord, en raison de la mauvaise empreinte carbone liée à la fabrication des batteries, sans même parler de leur recyclage, un véhicule électrique doit rouler 70 000 kilomètres pour commencer à être positif sur le plan environnemental. Cela soulève déjà des interrogations.

Ensuite – ce n’est pas tout –, pour faire rouler une voiture électrique, il faut de l’électricité. Si nous continuons de refuser d’engager une stratégie claire en faveur du nucléaire, devrons-nous produire de l’électricité avec des centrales à charbon, comme nous le faisons cet hiver, les sources d’énergie non pilotables ne suffisant pas à satisfaire nos besoins croissants, alors même que vous fragilisez EDF ? Il faut en outre organiser l’avitaillement.

Le sujet du coût est également majeur. La production d’un véhicule électrique est plus onéreuse, d’environ 50 %, que celle d’un véhicule thermique, entraînant un prix minimal de 30 000 euros, sans parler du marché de l’occasion. La différence n’est pas l’épaisseur du trait ! Les classes moyennes françaises mais aussi les collectivités et les entreprises ont-elles vraiment les moyens de supporter cette différence ? Nos finances publiques, déjà bien fragiles, ont-elles encore les moyens de compenser ?

Enfin, il y a le sujet de l’emploi et de la mutation profonde et rapide de notre industrie automobile. Pouvez-vous démentir la rumeur insistante, entraînant une crainte répandue, relative à l’imminence d’un gigantesque plan social dans l’industrie automobile française ?

Dans un moment d’inflation galopante et de report de l’entrée en vigueur de la zone à faibles émissions (ZFE) du Grand Paris, que compte faire le Gouvernement pour arrêter de nuire aux classes moyennes, pour défendre nos entreprises et nos emplois, et pour définir une trajectoire réaliste de notre transition énergétique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Sautarel, vous m’interrogez sur la situation de l’industrie automobile, sur sa transition vers des modèles plus respectueux de l’environnement ou, en tout cas, qui sortent des énergies fossiles et sur la manière dont nous pouvons accompagner cette transition, tant pour les territoires et les salariés du secteur que pour les ménages.

D’abord, je vous l’affirme, le Gouvernement s’emploie avec énergie, depuis 2017, à accompagner la filière automobile. C’est une filière à laquelle nous croyons fort : à nos yeux, les 400 000 salariés de celle-ci méritent de la considération, tout comme les groupes industriels qui font la fierté de l’industrie française.

C’est la raison pour laquelle nous avons mis en œuvre, dès 2017, un certain nombre de plans visant à accompagner la compétitivité, la diversification et les trajectoires de décarbonation, en orientant particulièrement nos aides vers les petites et moyennes industries et les petites et moyennes entreprises (PMI et PME), dont l’emploi maille nos territoires.

Dès le début de la crise puis au travers du plan de relance, nous avons consacré 8 milliards d’euros à un plan spécifiquement articulé autour de la filière automobile. Cela nous a permis de soutenir 400 projets d’investissement, dont 70 % étaient portés par des PME.

Dans le même temps, parce que nous savons qu’il y a une trajectoire vers la décarbonation, vers des véhicules électriques, nous travaillons à des plans de déploiement des bornes, afin de faciliter les usages, en ayant en tête que c’est une des énergies les moins chères à l’usage, bien moins coûteuses que les énergies carbonées aujourd’hui utilisés.

Pour autant, le tout électrique est-il la solution ? Non. C’est la raison pour laquelle nous misons beaucoup, dans le cadre du plan de relance et de France 2030, sur le développement d’une filière hydrogène. Nous avons la conviction que l’hydrogène est une énergie du futur, utile, efficace, sur laquelle nous devons nous appuyer.

Nous travaillons également à la structuration de la filière des batteries et du recyclage. Le Président de la République a ainsi annoncé récemment des implantations industrielles en la matière.

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Enfin, mais je n’aurai pas le temps d’aller dans le détail, il faut accompagner les ménages. L’importance et le nombre des systèmes d’aides à l’achat de ces véhicules pour les ménages démontrent l’attention du Gouvernement sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre, mais la trajectoire de transition énergétique mériterait d’être accompagnée et il faudrait veiller à l’équilibre de notre balance commerciale ; cette industrie, majeure pour notre pays, en a bien besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

retrait des ordonnances de la fonction publique communale en polynésie française

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ia ora na.

Ma question s’adressait à M. le ministre des outre-mer, qui est absent…

Le 13 août 2020, le haut-commissaire de la République de Polynésie française adressait pour avis au président du Conseil supérieur de la fonction publique des communes de Polynésie un projet d’ordonnance étendant et adaptant à la fonction publique communale certaines dispositions de toilettage des textes. Le 19 juillet 2021, les élus de l’assemblée de la Polynésie française étaient à leur tour saisis pour avis, sous la mention « Urgence signalée », du nouveau projet, dans sa version « Paris ».

Le Gouvernement a alors inscrit à l’ordre du jour du 8 février prochain du Sénat un projet de loi de ratification de ladite ordonnance, après engagement de la procédure accélérée.

Dès lors s’est dégagé, entre élus et organisations syndicales, un consensus inédit pour porter quelques revendications légitimes, et non des moindres, qui manquaient et qui devaient être validées en concertation avec les services techniques du ministère et la commission des lois du Sénat. Pourtant, d’un revers de la main, vous avez décidé, en fin de semaine dernière, de retirer ce texte de l’ordre du jour de notre honorable assemblée, sans aucune explication.

Monsieur le ministre, pourquoi ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement sur le retrait de l’ordre du jour de la Haute Assemblée du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

L’objectif de cette ordonnance est d’attirer davantage de personnes dans la fonction publique communale au service de ces collectivités et de nos concitoyens.

Nous savons tous ici combien ces agents sont, là plus qu’ailleurs, importants et d’une grande valeur. Il n’est donc pas question de remettre en cause l’ambition du Gouvernement en la matière, que vous avez bien décrite.

Le retrait de ce projet de loi de votre ordre du jour tient à une raison somme toute très simple : contrairement à ce qui avait était initialement envisagé, il n’a pas paru possible d’achever le processus de ratification de cette ordonnance avant la suspension des travaux du Parlement en séance publique, dans trois semaines.

Dès lors, le choix a été fait de consacrer ce temps supplémentaire à la prolongation des concertations, à l’association des acteurs, afin de travailler sur cette ordonnance et sur ses décrets d’application. Ces concertations ont d’ailleurs commencé ; une réunion a déjà eu lieu autour de Sébastien Lecornu, avec vous, madame la sénatrice, mais également avec le sénateur Rohfritsch, la députée Maina Sage et le maire de Tumaraa. Cette réunion a permis d’identifier certains sujets sur lesquels un consensus doit encore être dégagé. Une autre réunion de travail est prévue, comme le ministre s’y est engagé dans un courrier adressé au président Fritch.

Ce projet de loi reste soumis à l’approbation du Parlement. L’exigence constitutionnelle et spécifique de le faire sous dix-huit mois découle de l’article 74-1 de notre Constitution. Cet examen a d’ailleurs commencé en commission des lois aujourd’hui même et il se poursuivra prochainement en séance publique, de la manière la plus apaisée et la plus constructive possible. Je prends cet engagement au nom du Gouvernement, qui le tiendra. C’est une marque de respect pour nos concitoyens de Polynésie française. (M. Ludovic Haye applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour la réplique.

Mme Lana Tetuanui. Monsieur le ministre, je prends acte de votre réponse. Sur la forme, convenez-en, la saisine de l’assemblée de la Polynésie sous la mention « Urgence signalée », l’inscription jeudi dernier du texte à l’ordre du jour du Sénat dans le cadre de la procédure accélérée, le retrait de cet ordre du jour, puis, cerise sur le gâteau – ou plutôt sur la crêpe, en ce jour de Chandeleur (Rires et applaudissements sur diverses travées.) –, le courrier envoyé aujourd’hui à midi vingt-cinq au président Fritch, tout cela est bien irrespectueux pour les élus communaux du fenua, qui ont leurs entités respectives et qui ont travaillé sur ce texte pendant plus de deux ans.

En outre, c’est irrespectueux pour le Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – M. Daniel Salmon applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 9 février prochain, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de la culture a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable par vingt-huit voix pour, et aucune contre, à la reconduction de M. Antoine Petit à la présidence du Centre national de la recherche scientifique.

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Énergie et pouvoir d’achat : quel impact de la politique du Gouvernement ?

Débat d’actualité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité sur le thème : « Énergie et pouvoir d’achat : quel impact de la politique du Gouvernement ? »

Sur la proposition du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, la conférence des présidents a décidé qu’un débat d’actualité se tiendrait lors de chaque semaine de contrôle, après la séance de questions d’actualité au Gouvernement.

Nous inaugurons donc aujourd’hui ce nouvel outil de contrôle.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté – j’y insiste, la faculté, non l’obligation (Sourires.) –, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Madame la secrétaire d’État, monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cela fait de longs mois que le pouvoir d’achat des Français et de nos entreprises est touché par l’envolée des prix de l’énergie.

Au-delà de cette flambée conjoncturelle, tous les experts s’entendent pour dire que les prix de l’énergie ne seront plus ce qu’ils ont été et qu’ils seront structurellement plus élevés. C’est peu de dire que les bouts de sparadrap ou les chèques électoraux que le Gouvernement propose, pour ne pas dire distribue depuis plusieurs mois ne seront pas à la hauteur de cet enjeu.

Avançant sans boussole ni anticipation, au gré des hausses les plus récentes des prix du gaz, de l’électricité ou encore des carburants, le Gouvernement a déployé une série de mesures sans véritable cohérence entre elles, complètement dépourvues de vision d’ensemble ou de stratégie.

Pour chacune d’entre elles, il a tâtonné jusqu’au dernier moment pour finir par concevoir des dispositifs aux insuffisances multiples, tentant de répondre au mécontentement grandissant de nos concitoyens dans une vision de court terme, et aux conséquences inquiétantes pour nos finances publiques, le coût total de l’opération s’élevant à 20 milliards d’euros.

Le Gouvernement, pour un montant de quelque 600 millions d’euros, a d’abord majoré de 100 euros le chèque énergie, dont bénéficient près de 6 millions de foyers modestes. Cette décision, prise en urgence, s’est vite révélée insuffisante.

En ce qui concerne la flambée des prix du gaz, qui explique en grande partie la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, le Gouvernement, dans la crainte peut-être d’un retour du mouvement des gilets jaunes et à quelques mois d’échéances électorales importantes, s’en est remis à la bonne vieille méthode du blocage des prix et de l’économie administrée. Il a opté pour la procrastination avec un blocage très temporaire, dont la facture, soyez-en sûrs, sera in fine présentée aux consommateurs. En revanche, rien ou presque n’est prévu pour les entreprises, grandes oubliées du dispositif.

Les tergiversations du Gouvernement, ses mesures successives sans cohérence d’ensemble et son absence de vision à plus long terme sont tout aussi manifestes en ce qui concerne la hausse des prix de l’électricité.

Alors que le Premier ministre s’était engagé, dès septembre dernier, à limiter à 4 % l’augmentation à venir des tarifs réglementés de l’électricité, le Gouvernement a attendu les débats en séance à l’Assemblée nationale pour déposer, bien évidemment sans étude d’impact, un amendement au projet de loi de finances pour 2022 ne prévoyant rien de moins qu’une minoration de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE).

Cette minoration, d’abord estimée à 4 milliards d’euros, a été réévaluée une première fois à 6 milliards d’euros ; aujourd’hui, on sait que la suppression quasi totale de la TICFE coûtera 8 milliards d’euros et qu’elle ne permettra même pas de faire la moitié du chemin pour honorer l’engagement du Premier ministre.

Si le Gouvernement ne fait pas d’efforts pour contenir les dépenses, c’est bien le contribuable d’aujourd’hui, au travers d’une hausse de la fiscalité, ou bien celui de demain, avec une dette qui s’accroît, qui devra payer !

Face à cette mesure fiscale insuffisante, le Gouvernement a déposé un autre amendement, en nouvelle lecture du projet de loi de finances, permettant de bloquer les tarifs réglementés de l’électricité et de faire payer la facture aux consommateurs en 2023.

À cela s’ajoute désormais le relèvement de 20 térawattheures de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), mesure par laquelle le Gouvernement se défausse sur EDF d’environ – excusez du peu ! – 8 milliards d’euros.

J’ai l’impression d’assister à une interminable partie de mikado, avec des dispositifs qui s’enchevêtrent et ébranlent la confiance des Français. Par ailleurs, le Gouvernement est incapable d’estimer les conséquences concrètes de cette hausse des prix de l’énergie pour nos entreprises. Cette forme d’improvisation, qui tend vers l’amateurisme, n’est plus tenable.

L’exemple le plus criant de cette improvisation du Gouvernement et de sa faculté à concocter en catastrophe des solutions bancales, et néanmoins très coûteuses pour nos finances publiques, reste sa réaction face à l’envolée des prix des carburants.

Je pense tout d’abord à l’indemnité inflation, dont j’ai déjà eu l’occasion de détailler les nombreux inconvénients. Soucieux d’afficher une réaction devant les Français, et faute d’anticipation, le Gouvernement a annoncé dans l’urgence une mesure qui aurait vocation à couvrir non plus la seule augmentation des prix des carburants, mais plutôt l’inflation en général.

De ce tour de passe-passe a résulté un dispositif d’abord électoraliste, mais aussi largement inefficace, visant à saupoudrer sans beaucoup de discernement 4 milliards d’euros d’argent public.

À l’inverse, le Gouvernement propose aujourd’hui un relèvement du barème kilométrique, c’est-à-dire une mesure très ciblée mais qui ne règle pas les problèmes que rencontrent les Français vivant en zones rurales ou périurbaines, dépourvues d’offres de transports organisés ou collectifs.

De façon générale, les experts, la Commission de régulation de l’énergie, mais également la direction générale de l’énergie et du climat sont tous d’accord pour considérer que les prix de l’énergie, après cet acmé, resteront structurellement plus élevés qu’avant la crise.

Or cette hausse des prix alimente bien évidemment l’inflation, laquelle pèse à son tour fortement sur le pouvoir d’achat des Français et renforce les difficultés des plus modestes – travailleurs pauvres, foyers à petites retraites, étudiants… Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, est-ce là l’objectif de votre gouvernement ? Sachez-le, ce n’est pas le nôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 12 millions : c’est le nombre de Françaises et de Français qui passent l’hiver sans pouvoir chauffer leur logement correctement ; 12 millions de Françaises et de Français qui subissent une précarité énergétique.

Bien plus nombreux encore sont ceux qui doivent consacrer exceptionnellement une part plus élevée de leur revenu dans les énergies – électricité, gaz, carburant… Or l’énergie n’est pas un bien de consommation comme un autre : c’est un bien de première nécessité, indispensable pour s’éclairer, cuisiner, se chauffer, se rendre au travail, se déplacer…

Parce que c’est un bien de première nécessité, la puissance publique a un devoir de régulation, de contrôle et de planification. Un devoir de rendre ce bien accessible à chacune et à chacun.

Nous nous en faisons l’écho depuis des mois : le coût de l’énergie pèse de plus en plus. L’augmentation simultanée des prix de l’énergie appelle des réponses à la hauteur, entre l’électricité en hausse à cause d’un mode de calcul européen désuet, se fondant en partie sur le coût des centrales à charbon ou au gaz, et les prix des carburants qui poursuivent leur montée et atteignent de nouveaux records, plus élevés que lors de la mobilisation des gilets jaunes.

Certes, le Gouvernement a pris des mesures. Sont-elles suffisantes et adaptées ? Non.

Le chèque énergie est revalorisé de 100 euros ? Nous voulons le porter à 400 euros pour les bénéficiaires actuels et en faire bénéficier 16 millions de foyers supplémentaires pour un montant de 100 euros.

Le relèvement de 10 % du barème kilométrique de l’impôt sur le revenu ne changera absolument rien pour la moitié des Français qui ne s’acquittent pas cet impôt.

Le Gouvernement mène une politique du pouvoir d’achat hypocrite. Ce qui est donné d’une main est repris de l’autre : vous augmentez ponctuellement le chèque énergie, mais vous appauvrissez durablement les demandeurs d’emploi avec votre réforme de l’assurance chômage. Le seul pouvoir d’achat que le Gouvernement a fait croître pendant ce quinquennat est celui des plus riches.

La situation de la jeunesse est à cet égard alarmante : 1,5 million de jeunes sont touchés par la pauvreté, ce qui entraîne des conséquences sur leur accès aux produits énergétiques. Or aucune politique viable de sortie de la pauvreté n’est mise en place. Ce ne sont pas deux ou trois aides ponctuelles et bien maigres qui permettront aux jeunes de s’émanciper et de devenir autonomes.

C’est la raison pour laquelle les écologistes défendent un revenu citoyen automatique de 920 euros dès 18 ans. (Mme Sophie Primas sexclame.) Nous le devons à notre jeunesse. La métropole lyonnaise a d’ailleurs déjà mis en place un tel dispositif.

Surtout, au-delà d’aides ponctuelles et disparates, le Gouvernement ne mène aucune politique de transformation profonde de la consommation énergétique. Là encore, l’écologie constitue une solution aussi bien pour le climat que pour le pouvoir d’achat : une politique écologiste de l’énergie permettrait à toutes et à tous de vivre dignement dans son logement et de se déplacer, tout en assurant la souveraineté énergétique de la France.

Le meilleur moyen de soutenir le pouvoir d’achat des Françaises et des Français est de réduire leur consommation d’énergie. Cela passe d’abord par une politique ambitieuse de rénovation thermique globale des habitations : il faut consacrer 10 milliards d’euros par an à l’isolation des bâtiments. Et pour que les populations les plus précaires puissent accéder à la rénovation énergétique de leur logement, il faut mettre en place un reste à charge zéro.

Parce que l’électricité est un bien commun, EDF doit être nationalisée pour reconstruire un vrai service public de l’énergie. L’État ne peut opérer un juste accès à l’énergie et une transition écologique sans avoir la main sur cet outil industriel puissant et stratégique.

Cela passe également par le soutien de filières françaises qui assureront notre autonomie énergétique. Je pense non seulement à la filière silicium-photovoltaïque, qui menace de disparaître, mais aussi à la filière hydroélectrique.

Si se déplacer est un droit, il peut se révéler contraint. Une politique systémique des mobilités se doit d’offrir des alternatives favorables au pouvoir d’achat.

Le rail demande des investissements massifs : au moins 4 milliards d’euros par an pour moderniser le réseau ferroviaire et développer les trains du quotidien. Dans les zones rurales, l’État doit accompagner les initiatives locales qui se mettent en place et qui offrent des alternatives à l’automobile. Une politique de tarification des transports est indispensable : il n’est ainsi pas acceptable que se déplacer en transport en commun soit toujours plus coûteux qu’en voiture individuelle.

Conduire une politique énergétique bénéfique pour le climat et favorable au pouvoir d’achat des Françaises et des Français est donc possible. Les écologistes portent des propositions en ce sens, alliant justice sociale et souveraineté énergétique. Le Gouvernement, lui, a baissé les armes sur le front des inégalités sociales et perpétue la dépendance énergétique envers les puissances étrangères.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de l’impact de la politique du Gouvernement en matière d’énergie et de pouvoir d’achat. La réponse, mes chers collègues, nous semble assez évidente : le bilan est globalement négatif.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, votre gouvernement, avec ceux des libéraux qui vous ont précédé, est responsable de la situation dégradée de l’accès à l’énergie. Nous payons la note de la dérégulation, de la privatisation et de la libéralisation du secteur de l’énergie, dont vous refusez de faire le bilan. Vous préférez en faire reposer les conséquences sur les citoyens. Vous le faites d’ailleurs avec mépris : à une retraitée qui touche 8 euros par jour, une ministre a conseillé avec la plus grande indifférence de « changer de système de chauffage » !

Voici votre credo : faire peser la charge de la facture d’électricité sur les usagers, tout juste bons à payer, dépecer EDF et surtout sauvegarder les revenus et les dividendes des acteurs alternatifs !

Pourtant, la situation n’est pas inéluctable. La grande différence entre nous, c’est que vous placez à l’échelle individuelle ce qui relève en réalité de choix politiques. Dans une logique concomitante, vous confiez ce qui relève du service public au secteur privé, au nom de votre dieu, le marché, et de son apôtre, la concurrence. Au sein d’une Union européenne conçue par et pour le marché.

La libéralisation du secteur de l’énergie a des résultats pourtant évidents.

Elle entraîne, tout d’abord, un manque d’investissements et une perte de compétences, qui engendrent des défauts d’entretien et des risques pour les salariés et la population.

Elle se traduit, aussi, par un manque de prévoyance : le Gouvernement abandonne le projet Écocombust de reconversion de la centrale à charbon de Cordemais en octobre dernier, puis réalise qu’il faudra encore compter sur la centrale pour passer l’hiver et va signer dans quelques jours un décret pour 2 000 heures supplémentaires. La centrale devra fonctionner encore des années. Dès lors, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, entamons sa transition : les essais avec les pellets ont été concluants.

Elle provoque, en outre, une inaction dans la rénovation thermique des logements, pourtant essentielle aux yeux de nos concitoyens et indispensable pour lutter contre le changement climatique. En 2017, vous annonciez que la moitié des passoires thermiques seraient supprimées en 2022 : seulement 70 000 rénovations globales sont effectuées par an, quand il en faudrait 370 000 pour respecter la stratégie nationale bas-carbone.

Elle entraîne, enfin, une hausse constante des tarifs de l’énergie : 57 % d’augmentation pour le gaz sur la seule année 2021, soit 400 euros en moyenne sur la facture annuelle ; plus de 52 % de hausse continue depuis plus de dix ans pour l’électricité. Et les prix continuent de flamber !

Tout cela nous amène à votre dernière trouvaille. Il faut reconnaître au libéralisme une certaine créativité pour arriver à ses fins et préserver à tout prix le marché.

Pour endiguer cette augmentation des tarifs de l’électricité – de manière provisoire – tout en préservant les fournisseurs alternatifs, on demande à l’État, donc aux usagers et à EDF, de se saigner en relevant le plafond de l’Arenh !

Ce dernier dispositif devait permettre aux fournisseurs alternatifs – les entreprises privées – d’acheter à bas coût de l’électricité produite par EDF au lieu de s’approvisionner sur le marché de gros, plus cher, afin d’investir dans le développement de leurs propres moyens de production, ce qu’ils n’ont bien évidemment pas fait : pourquoi dépenser quand la manne tombe si aisément ?

Cette fois-ci, vous exigez d’EDF, qui a déjà vendu son électricité par anticipation, qu’elle vende davantage d’électricité dans le cadre de l’Arenh. Elle devra donc racheter sur le marché de gros sa propre électricité à plus de 200 euros le mégawattheure pour la revendre à ses concurrents au prix de 46 euros. Tout cela pour un coût de 8 milliards d’euros ! On frôle le génie !

EDF étant publique à plus de 80 %, elle appartient à nos concitoyens. Nous serons donc doublement perdants, et comme usagers et comme citoyens.

Parallèlement à ce racket organisé, l’énergie est devenue un luxe pour 12 millions de Françaises et de Français. Or elle ne devrait être ni un luxe ni un avantage à conquérir : l’énergie est un bien de première nécessité, qui conditionne nos vies.

L’accès à l’énergie pour toutes et tous doit être reconnu comme un droit fondamental réel. Baissons immédiatement la TVA à 5,5 % sur le gaz et l’électricité et, surtout, sortons l’énergie des griffes du marché. Nous pourrons alors renationaliser EDF et Engie : disposant d’un monopole et de moyens suffisants, elles pourront non seulement se mettre au service des usagers et de nos entreprises, mais aussi œuvrer pour la planète avec la nécessaire transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Mes chers collègues, si chacun d’entre vous pouvait s’en tenir à son temps de parole, ce serait merveilleux…

La parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays est affecté par une inflation qu’il n’avait pas connue depuis des années. La hausse des prix de l’énergie représente à elle seule la moitié de cette inflation : les prix du litre de gazole et d’essence atteignent des niveaux historiques, supérieurs à ceux qui ont conduit à l’émergence du mouvement des gilets jaunes en janvier 2018. De même, le tarif du gaz a augmenté de 40 % en 2021 et celui de l’électricité, malgré les mesures prises, a encore augmenté hier matin de 4 %.

Face à ces hausses, le Gouvernement n’est pas resté immobile. Malheureusement, les mesures prises sont largement insuffisantes, souvent inadaptées, quand elles ne sont pas purement et simplement néfastes.

Elles sont insuffisantes et inadaptées de par leur caractère général et peu ciblé. Le chèque inflation, d’un montant de 100 euros, attribué uniformément, quelles que soient les situations, en témoigne.

Une fois de plus, le Gouvernement semble ignorer que les habitants des territoires ruraux sont particulièrement affectés par ces hausses de prix. Un logement en zone rurale consomme 33 % d’énergie de plus qu’un logement en centre-ville. Le surcoût moyen des dépenses de carburant des ménages en milieu rural est de 40 % par rapport à la moyenne nationale.

Pourquoi ne pas avoir institué un dispositif qui intègre cette réalité ?

Au-delà de cette question, pourquoi, alors que plus de la moitié du prix du litre d’essence à la pompe revient aujourd’hui à l’État, par le biais de la fiscalité, le Gouvernement n’a-t-il pas souhaité utiliser ce levier pour alléger la charge qui pèse sur nos concitoyens ? Comment ne pas être choqué de voir les recettes de l’État augmenter grâce à la hausse des prix de l’énergie ?

La fiscalité énergétique représente 900 euros par an pour les ménages et 1 165 euros pour les ménages en milieu rural. Cette situation est d’autant plus insupportable que ces ressources, malgré les demandes réitérées de notre assemblée depuis un certain nombre d’années, ne sont pas affectées à la transition écologique ni aux économies d’énergie.

Je souhaite également attirer votre attention sur une question importante, dont le Gouvernement ne semble pas jusqu’à présent se préoccuper, à savoir les conséquences de la hausse du prix de l’énergie pour les collectivités locales.

Ces dernières, notamment les communes, voient leur facture énergétique augmenter fortement. Elles seront très certainement obligées, à un moment donné, soit de répercuter ces dépenses supplémentaires sur la fiscalité locale, soit d’abandonner des projets d’intérêt local.

Que compte faire le Gouvernement pour éviter la double peine de l’augmentation et des prix de l’énergie et de la fiscalité locale ?

Autre question : qu’en est-il du rattrapage du blocage des prix de l’électricité, qui a été évoqué par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à horizon 2023 ?

Enfin, je voudrais dénoncer à mon tour les décisions néfastes et irresponsables qui ont été prises concernant EDF. L’augmentation du volume d’électricité d’origine nucléaire vendu à prix réduit coûtera 8 milliards d’euros à EDF, soit l’équivalent du prix estimé d’un nouveau réacteur EPR 2.

Ce choix est tout simplement insupportable, alors qu’EDF est endettée à hauteur de 40 milliards d’euros et qu’elle doit faire face à un mur d’investissements de 80 à 100 milliards d’euros dans les années qui viennent.

Ces décisions viennent malheureusement parachever un quinquennat de politique erratique en matière de nucléaire, qui a fragilisé l’un des plus beaux fleurons de notre industrie.

De toute évidence, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les choix du Gouvernement ne sont pertinents ni pour les ménages ni pour EDF. Il est donc grand temps de revoir ces décisions, pour répondre réellement aux attentes et aux besoins de nos concitoyens ainsi qu’aux enjeux énergétiques de notre pays.

M. le président. Vous avez parfaitement respecté votre temps de parole, mon cher collègue : impeccable !

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Je voudrais réagir à cette dernière intervention et à celles qui ont précédé.

Il est faux de prétendre que le Gouvernement n’a pas eu recours à la fiscalité pour amortir la hausse du coût de l’énergie pour les ménages : l’une des principales mesures que nous avons prises a consisté à abaisser la TICFE de 21,5 % à 0,5 %, ce qui représente un manque à gagner de 8 milliards d’euros pour l’État.

Par ailleurs, face à une augmentation des cours encore plus importante, nous avons effectivement demandé à EDF de produire davantage au titre de l’Arenh, pour un nouveau coût de 8 milliards d’euros.

J’entends les interventions de ceux qui s’inquiètent des conséquences de cette décision pour EDF.

Tout d’abord, c’est une décision que nous avons prise en pesant l’ensemble des avantages et des inconvénients.

Ensuite, je n’ai pas entendu de contre-propositions destinées à éviter aux ménages d’avoir à faire face à une augmentation de 40 % de leur facture d’électricité au mois de février. Or c’est ce qui se serait produit si nous n’avions pas pris les décisions que nous avons prises, qu’il s’agisse de la minoration de la TICFE ou de l’augmentation des volumes de l’Arenh.

Enfin, pour ce qui concerne les collectivités, que vient d’évoquer à l’instant M. Maurey, je rappelle que 30 000 communes environ bénéficient du tarif réglementé, celui-ci s’appliquant à toutes les collectivités ayant une section de fonctionnement inférieure à 2 millions d’euros ou comptant moins de 10 équivalents temps plein.

Quant aux autres communes, je l’ai indiqué précédemment, le bénéfice de la baisse de la TICFE leur est acquis, tout comme les conséquences de l’augmentation du volume de l’Arenh.

Je l’ai dit également, en 2022, la fiscalité augmentera mécaniquement de 3,4 % du fait de la révision des valeurs locatives, en application de la formule arrêtée à la fin de l’année 2017 lors du vote du projet de loi de finances pour 2018. Par ailleurs, la part de TVA dont bénéficient les collectivités augmentera de plus de 800 millions d’euros pour les régions, de plus de 800 millions d’euros pour les départements et de plus de 400 millions d’euros pour les intercommunalités.

Un sénateur du groupe LR a souligné que les différentes associations estimaient le surcoût engendré par la hausse des prix de l’énergie à 1 milliard d’euros. Les quelques chiffres que je viens de rappeler montrent, et c’est rassurant, que les collectivités devraient pouvoir y faire face, ce qui ne nous empêche pas de rester extrêmement attentifs à cette question.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.

M. Hervé Maurey. J’ai bien écouté vos propos, monsieur le ministre.

En ce qui concerne EDF, vous n’apportez aucun élément concret. Hier, en commission des finances, M. le ministre Bruno Le Maire nous a dit : « Nous serons aux côtés d’EDF pour l’avenir ! » Qu’est-ce que cela signifie ? Rien de concret n’est dit sur l’effort que le Gouvernement demande à EDF. Je le répète, alors que cette entreprise est un fleuron important de notre industrie, on la met aujourd’hui en difficulté.

Enfin, je ne suis pas le seul à m’inquiéter des conséquences de l’augmentation du prix de l’énergie pour les collectivités locales. Toutes les associations d’élus, notamment les maires ruraux, l’ont dit, elles seront extrêmement difficiles à supporter.

Malheureusement, monsieur le ministre, vous ne m’avez pas pleinement rassuré.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour un rappel au règlement.

Je n’ose vous demander, mon cher collègue, sur quel article de notre règlement vous vous fondez pour prendre la parole. (Sourires.)

M. Fabien Gay. L’article qui vous sied le mieux, monsieur le président ! (Rires.)

Nous essayons aujourd’hui une nouvelle forme de débat.

Monsieur le ministre, soit vous répondez à chaque intervenant, ce qui permet à chacun de bénéficier d’un temps de parole supplémentaire pour la réplique, soit vous ne répondez à personne ! M. Husson, M. Gontard et moi-même méritons, nous aussi, une réponse. Il me paraît incohérent, politiquement, de choisir les intervenants à qui l’on répond et, ce faisant, d’interdire aux autres de reprendre la parole.

M. le président. Peut-être conviendra-t-il en effet, mon cher collègue, de revoir l’organisation de ce type de débat. Chaque orateur devrait peut-être bénéficier d’une minute supplémentaire lorsque le ministre ne répond qu’à un orateur sur quatre, par exemple, mais il ne m’appartient pas d’en décider en cet instant. Je transmettrai votre demande, monsieur Gay.

Suite du débat d’actualité

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les prix de l’énergie s’emballent dans le monde.

Après deux ans de pandémie, la reprise de l’économie et, donc, de la demande en gaz, combinée à la faiblesse des stocks et aux crises géopolitiques, crée des tensions sur les marchés de gros de l’énergie, entraînant une forte inflation, au détriment du pouvoir d’achat des Français.

Selon la note de conjoncture publiée par l’Insee en décembre, les prix de l’énergie ont augmenté de 18,6 % dans l’ensemble : 41 % pour le gaz, 21 % pour l’essence et 4 % pour l’électricité. Alors que la précarité énergétique touche 5,6 millions de ménages en temps normal, cette envolée des prix risque malheureusement d’en faire basculer beaucoup d’autres.

Nous payons, à l’instar de nos voisins européens, le prix de notre dépendance aux énergies fossiles. Nous payons, en ce qui concerne le prix de l’électricité, l’application du principe du « coût marginal », que la France souhaiterait, semble-t-il, réviser dans le cadre d’une éventuelle réforme du marché européen de l’énergie.

Il faut le reconnaître, le Gouvernement a réussi pour l’instant à contenir l’inflation au-dessous de la moyenne européenne et à préserver une partie du pouvoir d’achat des Français, grâce à plusieurs mesures : le chèque énergie supplémentaire de 100 euros, l’indemnité de 100 euros pour environ 38 millions de personnes ; le bouclier tarifaire avec le gel des tarifs réglementés du gaz et la limitation de la hausse des tarifs réglementés de vente de l’électricité ; la baisse de la taxe sur l’électricité, la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité étant à son niveau minimum ; enfin, la revalorisation de 10 % du barème de l’indemnité kilométrique.

Au total, l’addition pour éteindre les étincelles d’une crise sociale s’élève à plus de 15 milliards d’euros.

Jusques à quand pourra-t-on tenir ainsi ? Ces mesures ne sont que des pansements à faible adhérence, face à une évolution structurelle. De surcroît, elles ratent une partie de leur cible, puisque les aides versées ont été saupoudrées sans tenir compte des critères d’éloignement, ce qui pénalise de fait les territoires hyper-ruraux. Aussi, quid des mesures de soutien aux collectivités territoriales, qui souffrent tout autant de ces hausses des prix ?

Notre groupe a régulièrement l’occasion de le dire, les particularités géographiques et climatiques de ces territoires doivent être prises en compte à leur juste mesure. À l’heure où s’achève la législature, monsieur le ministre, nous déplorons la faiblesse de votre engagement en la matière, et ce malgré nos nombreuses interpellations. Il est encore temps de reconnaître que ces dépenses pèsent plus lourdement sur les Français des zones rurales.

J’en conviens, une réduction des taxes énergétiques ou de la TVA est complexe à appliquer, notre pays étant très dépendant de ces taxes. En outre, de telles réductions ne permettraient pas de viser spécifiquement les ménages modestes ou issus de certains territoires.

La transition énergétique ne pourra malheureusement se faire qu’au moyen d’un effort considérable et n’aura pas pour effet de réduire la facture de nos concitoyens.

Les prix de l’énergie continueront inévitablement leur ascension, car l’énergie a un prix. Les investissements massifs dans la décarbonation, le développement des réseaux intelligents, ou encore le stockage auront un coût, que ce soit pour le consommateur ou le contribuable. Nous sommes véritablement sur le fil du rasoir.

Parallèlement, il est urgent de redoubler d’efforts en matière d’économies d’énergie. Nous le savons, l’une des principales causes de la précarité énergétique réside dans la mauvaise isolation des logements. Accélérons donc leur rénovation, notamment dans les territoires hyper-ruraux !

Si l’État doit tout faire pour préserver le pouvoir d’achat des Français et les finances des collectivités locales, quelles réponses durables envisagez-vous d’apporter ? Comment comptez-vous vous coordonner avec nos partenaires, les États membres de l’Union européenne ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, dans un profond désarroi, les Françaises et les Français sont confrontés à une hausse continue du prix des produits du quotidien et à une explosion de leurs factures énergétiques.

Selon la note de conjoncture du mois de décembre 2021 de l’Insee, les prix à la consommation du gaz, des carburants et de l’électricité ont respectivement augmenté de 41 %, 21 % et 3 % entre décembre 2020 et octobre 2021.

D’après cette même étude, la hausse des prix depuis le début de l’année 2021 a conduit à un surcroît des dépenses mensuelles d’énergie d’un peu plus de 40 euros en moyenne par ménage, dont 20 euros pour les carburants.

Toutefois, ces moyennes cachent de fortes disparités entre les foyers, selon les lieux de résidence. En deux ans, la facture énergétique a grimpé en moyenne de 43 euros dans les communes rurales, contre 30 euros dans l’agglomération parisienne.

De même, la facture énergétique pèse plus lourdement sur le budget total des ménages à faibles revenus. Cette dépense contrainte ne fait donc que renforcer les inégalités sociales et territoriales.

De plus, dans un contexte de relance progressive de notre économie, cette flambée des prix des énergies a de très lourdes conséquences sur la compétitivité de nos entreprises. Elle vient s’ajouter à l’augmentation du coût des matières premières, qui se répercute indéniablement sur le prix d’achat pour les consommateurs.

Face à ce constat, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement a fait le choix de prendre des décisions court-termistes, sans s’attaquer aux réelles difficultés et aux enjeux du marché de l’énergie. Le bouclier tarifaire, l’augmentation du chèque énergie et la création de l’indemnité inflation sont des premières mesures pertinentes pour soulager le budget des ménages. Si nous ne contestons pas le bien-fondé de ces mesures, nous nous interrogeons sur le ciblage et le niveau de chacune de ces aides.

Dans une récente étude, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) recommandait de fixer le montant du chèque énergie à 710 euros afin de le rendre réellement utile pour les foyers en situation de précarité énergétique.

L’envoi d’un chèque énergie de 100 euros durant le mois de décembre a certainement été un soulagement pour les ménages concernés, mais ce n’est pas assez pour les foyers qui ont vu leurs dépenses d’énergie augmenter de 40 euros par mois en 2021.

Vous me répondrez très certainement que l’indemnité inflation et l’augmentation du barème de l’indemnité kilométrique, récemment annoncée par le Premier ministre, viennent compléter ce dispositif. Malheureusement, leur ciblage est lui aussi incertain.

L’indemnité inflation crée des inégalités entre des salariés d’une même entreprise, parfois au sein d’un même foyer. Le rehaussement de 10 % de l’indemnité kilométrique est également une demi-mesure. Elle ne concerne que les Français imposables qui peuvent déclarer leurs frais professionnels.

En vous concentrant sur les gros rouleurs, vous semblez malheureusement oublier les 17 millions de Français contraints de prendre tous les jours leur voiture pour aller travailler, tout simplement parce qu’ils n’ont pas accès à des transports en commun. Sur ces 17 millions, la moitié gagne moins de 1 700 euros net par mois. Face aux prix record que les carburants ont atteints ces dernières semaines, le Gouvernement doit impérativement agir pour ces Français, qui sont les premiers de cordée.

Face à la hausse des prix des énergies depuis plusieurs mois, notre groupe, ainsi que nos collègues socialistes de l’Assemblée nationale, vous a proposé plusieurs mesures à effet immédiat : la création d’un bouclier tarifaire énergétique permettant l’accès à un volume minimal de gaz, de fioul ou d’électricité à un tarif très bas, le doublement du chèque énergie, qui serait versé automatiquement, afin de mettre fin au non-recours.

Malheureusement, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, cette crise met en lumière les impensés et l’impréparation du Gouvernement en matière énergétique. Cette situation était pourtant prévisible.

Dès le début de la pandémie de la covid-19, nous vous alertions, avec mes collègues de la commission des affaires économiques du Sénat, sur le risque inflationniste en sortie de crise. Nous avions dit que les prix pourraient flamber si l’offre d’énergie ne parvenait pas à accompagner la demande.

Cette impréparation, comme celle des gouvernements précédents, conduit aujourd’hui à dépenser au moins 15 milliards d’euros dans des mesures d’urgence plutôt que dans des projets de long terme.

Sans critiquer le montant consacré, nous nous étonnons davantage, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que vous ne tiriez pas des enseignements de cette crise.

La libéralisation à l’extrême du marché de l’énergie, qui se trouve tiraillé entre injonctions européennes et influences géopolitiques, est la cause de cette crise profonde.

Le relèvement du plafond de l’Arenh, décidé en ce début d’année, est un nouvel exemple de votre orientation ultralibérale. Cette mesure bénéficiera uniquement aux fournisseurs, au détriment de l’opérateur historique EDF, qui a pourtant besoin de fonds pour investir durablement.

Vous refusez votre rôle d’État actionnaire et vous préférez sacrifier une entreprise publique, qui est pourtant indispensable à la planification énergétique pour les décennies à venir.

Pourtant, dans un rapport de novembre 2021 sur les choix de production électrique, la Cour des comptes a rappelé la nécessité d’anticiper le renouvellement de notre mix énergétique.

Ainsi, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, pour qu’une telle crise ne se reproduise plus et n’ait plus d’effets aussi durs sur nos concitoyens, permettez-nous de vous donner trois conseils afin d’anticiper les évolutions à long terme.

Premièrement, revenons à une politique énergétique volontariste de l’État et du Gouvernement, avec une puissance publique assumée investissant massivement dans ses entreprises publiques.

Deuxièmement, réformons le marché européen de l’énergie. Le Gouvernement doit profiter de la présidence du Conseil de l’Union européenne pour imposer une nouvelle direction.

Troisièmement, planifions à très long terme, après avoir conduit une large concertation citoyenne et parlementaire, pour assurer un bouquet énergétique permettant la nécessaire transition écologique, la préservation du pouvoir d’achat des Français et la souveraineté énergétique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’inflation est là, c’est vrai ! Elle touche particulièrement le secteur de l’énergie. Malheureusement, à bien observer les dernières nouvelles, elle est en train de s’installer dans le quotidien des Français et des Françaises.

Selon la dernière estimation provisoire de l’Insee, les prix de l’énergie ont bondi de 19,7 % sur une période d’un an ! Gaz, électricité, carburants : aucune énergie n’est épargnée.

Alors, si la situation est à prendre au sérieux, est-elle pour autant catastrophique ? Est-ce que tout va mal, comme certains le clament à longueur de journée depuis quelques semaines ? Je ne le pense pas. Si la situation actuelle est difficile pour un certain nombre de Français, de telles descriptions ne me paraissent pas conformes à la réalité.

En effet, la situation économique doit être vue dans sa globalité. Peut-on évoquer ici un taux de croissance de 7 %, du jamais-vu depuis 1969 ?

Mme Sophie Primas. Après 8 % de décroissance ? Soyons sérieux !

M. Didier Rambaud. Avec une telle croissance, la France devrait signer l’une des meilleures performances de la zone euro : deux points au-dessus du taux de croissance moyen, estimé à 5 %. Cette croissance se traduit par un taux de chômage historiquement faible, proche du plein-emploi. (M. Patrick Kanner sexclame.)

Saluons au passage la politique du « quoi qu’il en coûte », reconnue pas les observateurs économiques, qui a permis de sauvegarder nos entreprises et nos emplois.

Pour autant, qui dit croissance dit inflation par la demande, surtout dans le contexte international et sanitaire que nous connaissons. Après une année 2020 de paralysie économique en raison du covid-19, le rebond de la consommation des ménages et la reconstitution des stocks des entreprises ont fait exploser la demande, entraînant une hausse du cours de nombreuses matières premières.

Le contexte international est certes pour beaucoup dans l’explosion des prix de l’énergie, mais n’oublions pas qu’un retour de l’inflation est la conséquence d’un retour de la croissance.

Aussi, le Gouvernement s’est penché sur chaque problème pour y apporter une solution. Dans chaque secteur énergétique touché par l’inflation, le Gouvernement est intervenu et a créé des dispositifs ciblés et adaptés, il a travaillé à des solutions concrètes, tant sur l’inflation que pour le porte-monnaie de nos concitoyens.

J’évoquerai d’abord la question du gaz. Le 30 septembre dernier, le Premier ministre a annoncé le gel des tarifs réglementés du gaz. Autrement dit, il a été décidé de bloquer les prix jusqu’en avril 2022. Je parle bien entendu du bouclier tarifaire, dont l’objet est de protéger l’ensemble des ménages de la flambée historique que nous connaissons en ce moment. Sans ce bouclier tarifaire, l’inflation aurait été insupportable, les prix du gaz auraient aujourd’hui augmenté de 66 % ! Financièrement, la mesure permet d’éviter une hausse de la facture de gaz d’environ 900 euros.

Pour ce qui concerne l’électricité, qui, vous le savez, est un secteur intimement lié à celui du gaz, le bouclier tarifaire porte ses fruits : sans ce dispositif, le prix de l’électricité, en hausse de 4 % aujourd’hui, aurait augmenté de 44 %.

Mes chers collègues, rendez-vous compte ! Nous limitons autant que possible les dégâts. Observez un instant la situation de nos voisins européens. En Espagne, la facture d’électricité passe de 1 000 euros à 1 700 euros ; en Italie, de 1 000 euros à 2 290 euros ; en France, le gel des prix permet d’éviter en moyenne une hausse de 300 euros des factures d’électricité.

Je m’interroge : à combien s’élèveraient aujourd’hui les factures de gaz et d’électricité des Français sans le bouclier tarifaire ? La mesure était donc nécessaire et adaptée pour protéger le pouvoir d’achat et les fins de mois.

Mieux encore, le Gouvernement ne s’est pas contenté de ce bouclier. Il a ensuite été question de créer des dispositifs ciblés pour accompagner les ménages les plus modestes dans la situation délicate que nous vivons.

Je pense, d’une part, au chèque énergie exceptionnel, un chèque de 100 euros versé à 6 millions de ménages en décembre dernier. Je pense, d’autre part, à l’indemnité inflation de 100 euros versée aux 38 millions de Françaises et de Français qui gagnent moins de 2 000 euros net par mois.

L’objectif est clair : limiter les effets de l’inflation sur le porte-monnaie. Le résultat semble également clair : les mesures sont saluées par bon nombre de Français.

Enfin, je reviens sur un sujet explosif : le prix des carburants. Incontestablement, la hausse est impressionnante. Depuis le mois de septembre dernier, les prix du litre de l’essence sans plomb 95, sans plomb 98 ou du gazole frôlent en ce moment les 2 euros. Ce montant est peut-être déjà atteint dans certains territoires.

Face à cela, le Gouvernement a décidé de prendre une mesure supplémentaire, large et protectrice, pour celles et ceux qui utilisent quotidiennement leur voiture pour travailler, alors qu’ils ne bénéficient pas toujours d’un réseau de transports en commun.

Telle est la raison d’être de la revalorisation du barème kilométrique de 10 %. Cette mesure volontairement ciblée permettra à chaque bénéficiaire de réaliser une économie moyenne de 150 euros. Toutefois, il convient d’examiner la situation de celles et ceux qui ne payent pas l’impôt sur le revenu.

Mes chers collègues, toutes ces mesures adaptées ont déjà des effets sur le quotidien de nos concitoyens, alors que la baisse des taxes proposée par certaines oppositions aurait sans doute été plus longue à mettre en place. Cette dernière aurait donc été inefficace aux yeux de l’opinion publique, déraisonnable d’un point de vue économique et particulièrement peu sage d’un point de vue environnemental.

Enfin, je veux le souligner, le Gouvernement n’a attendu ni l’inflation ni la crise sanitaire pour se préoccuper du pouvoir d’achat des Français, comme en témoignent la suppression de la taxe d’habitation, les baisses des impôts sur les sociétés comme sur les ménages, la revalorisation des retraites agricoles, la mise en place des dispositifs Pass’Sport et pass Culture, la défiscalisation des heures supplémentaires, la revalorisation de la prime d’activité et des salaires des soignants dans le cadre du Ségur de la santé.

Depuis 2017, le Gouvernement a fait ce qu’aucun autre n’a été capable de faire sur la même période en matière de pouvoir d’achat, comme en témoignent les mesures concrètes qui produisent leurs effets sur la vie des Français.

Lorsqu’on ajoute à ce tableau le rebond de croissance de 7 %, qui n’est en rien automatique, on peut, me semble-t-il, regarder l’avenir avec vigilance, certes, mais surtout avec optimisme !

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2020, le monde s’est arrêté. Le trafic aérien a chuté de 66 %. Le prix du pétrole s’est tant réduit qu’il est devenu négatif : le baril de Brent s’est échangé à – 38 dollars. La lutte contre la pandémie a gelé l’activité humaine.

Comment croire que, moins de deux ans plus tard, nous soyons confrontés à une flambée des prix de l’énergie ? Il s’agit en vérité du revers d’une même médaille. Des vaccins efficaces ont été mis au point et le virus a muté moins dangereusement ces derniers mois. Nous avons pu revivre à peu près normalement et reprendre le chemin du travail. La reprise économique, en entraînant une forte demande, a renchéri les prix de nombreuses matières premières, notamment ceux de l’énergie.

Tout au long de la crise sanitaire qui se poursuit, le Gouvernement et le Parlement ont travaillé à protéger au mieux la santé de nos concitoyens. Nous avons également veillé à préserver le tissu économique de notre pays, pour amortir le choc de la pandémie dans nos territoires.

Ces mesures de soutien, indispensables pour bon nombre d’acteurs, présentent toutefois des biais importants : elles favorisent l’inflation et augmentent la dette de notre État. Ces deux épées de Damoclès menacent l’ensemble de nos concitoyens.

Le chemin de crête est étroit, car l’énergie est l’un des postes de dépenses les plus importants de nos concitoyens. Nous avons tous en mémoire les conséquences, teintées de jaune fluo, de la hausse de la fiscalité sur les hydrocarbures en 2018. Parce qu’ils ont besoin d’énergie pour se chauffer, se déplacer et travailler, nos concitoyens sont à la merci des variations de prix.

Ne rien faire, c’est prendre le risque de ralentir la reprise et de laisser nombre de nos concitoyens en difficulté ; compenser les hausses, c’est tirer davantage sur l’élastique déjà bien tendu de nos finances publiques.

De décembre à février, les moins aisés recevront un chèque inflation de 100 euros. Voilà quelques jours, le Gouvernement a annoncé une revalorisation de 10 % du barème de l’indemnité kilométrique, au bénéfice de quelque 2,5 millions de foyers français. Ces mesures visent à contrer les effets d’une inflation que nous espérons tous provisoire et s’adressent à ceux qui en ont le plus besoin.

Turgot, dont la statue nous surplombe dans cet hémicycle, nous observe sans doute depuis quelque temps avec une plus grande sévérité, car la santé de nos finances publiques le préoccupe. L’État ne peut pas tout et il ne faut donc pas tout attendre de lui. Turgot disait qu’un des plus grands obstacles à l’économie des finances publiques était la multitude des demandes, justifiée par la facilité de ses prédécesseurs à les accepter, et dont Louis XVI était continuellement assailli.

S’il nous faut agir face à l’urgence, nous devons également examiner avec lucidité ce que le futur nous réserve. La fin du recours aux énergies fossiles et le dérèglement climatique renchériront probablement encore les prix de l’énergie. Une telle perspective doit nous inciter à travailler et à investir davantage dans la recherche et le développement de solutions de remplacement. Le champ des possibles est vaste.

Nous devons œuvrer à produire plus efficacement une énergie plus durable. Il convient d’étudier attentivement les moyens de renforcer l’efficacité énergétique de nos bâtiments, notamment via la rénovation thermique, mais aussi grâce à l’autoconsommation collective et au stockage. Il faudra agir de même pour ce qui concerne nos véhicules. La transition écologique est une nécessité au regard du dérèglement climatique. Il est essentiel que notre pays cultive et renforce sa souveraineté en ce domaine.

« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité ; un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté », disait Winston Churchill. Nous pouvons faire le choix de voir dans le défi climatique d’immenses opportunités de développement pour notre économie.

Le Gouvernement a annoncé des investissements considérables dans le cadre du plan France 2030. Certains concernent des filières d’avenir comme l’hydrogène vert, la décarbonation de notre industrie ou encore la production du premier avion bas carbone. Je continuerai, dans l’Aube, à soutenir les projets allant en ce sens.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est attaché à la bonne gestion des finances publiques. Si les mesures conjoncturelles sont incontournables, il faut veiller à ne pas les multiplier. Nous pensons en effet que les fonds publics sont bien mieux employés lorsqu’ils sont investis dans des secteurs novateurs susceptibles de contribuer à la souveraineté de notre pays et au développement de son économie. Si la France conçoit les technologies durables de demain, nos finances publiques et le pouvoir d’achat de nos compatriotes s’en ressentiront favorablement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le savons tous ici, la France est confrontée à une crise sans précédent des prix des énergies. Entre le printemps 2020 et hier, les prix de marché ont été multipliés par 2,5 pour le pétrole, par 3 pour le gaz et par 10 pour l’électricité. Certes, la situation est européenne et mondiale.

La hausse s’est répercutée sur les prix à la pompe, qui s’élèvent à 1,70 euro par litre pour l’essence et le gazole et à 1,10 euro par litre pour le fioul. Elle s’est aussi répercutée sur les tarifs réglementés de vente : l’augmentation a été de 13 % pour le gaz en octobre dernier et de 4 % pour l’électricité en ce mois février.

Cette flambée était prévisible : dès juin 2020, la commission des affaires économiques, dans son plan de relance, avait alerté sur un « effet inflationniste en sortie de crise ». Nous avions même proposé une revalorisation du chèque énergie !

Lors de nos travaux budgétaires, nous avions également dénoncé, en novembre dernier, un bouclier tarifaire « tardif et incomplet », regrettant un « manque d’écoute et d’évaluation ». Nous avions alors suggéré de relever les aides aux ménages, entreprises et collectivités et d’accélérer l’application des fournisseurs de recours et des correspondants solidarité-précarité.

Cette flambée des prix met sous tension l’ensemble du secteur énergétique. Elle érode le pouvoir d’achat des ménages, l’énergie représentant 10 % de leur budget. À terme, une hausse de la précarité énergétique est à craindre : 3,5 millions de ménages sont déjà touchés.

Par ailleurs, la flambée des prix empêche la reprise durable de notre économie, car l’énergie représente 7 % de notre produit intérieur brut. Les entreprises énergo-intensives, mais aussi nos PME et TPE, sont touchées. Au-delà des prix des énergies, ceux de leurs coproduits augmentent : l’ammoniac pour nos agriculteurs et l’aluminium pour nos industriels. Et que dire des métaux rares, indispensables à la transition énergétique ?

La flambée des prix pèse sur les contrats de fourniture des collectivités. Selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), les hausses observées sur plusieurs milliers de points de livraison varient entre 30 % et 300 %.

La flambée des prix désorganise le secteur de l’énergie. C’est vrai, au premier chef, pour le groupe EDF, qui évalue à 8 milliards d’euros le coût du relèvement du plafond de l’Arenh et de l’action sur les tarifs réglementés de vente de l’électricité. L’annonce de ce relèvement a constitué un choc pour le PDG de l’entreprise. Elle a entraîné une dégradation de sa notation et l’organisation d’une grève. De plus, certains fournisseurs alternatifs ont cessé leur activité, à l’instar de Leclerc Énergies, qui a laissé sur le bord du chemin 140 000 abonnés.

Dans ce contexte, la politique énergétique à court terme du Gouvernement me semble erratique.

En premier lieu, le bouclier tarifaire est mal calibré. C’est le cas de son montant : l’attribution, à l’automne, de 100 euros via le chèque énergie ou de l’indemnité inflation ont été rattrapée depuis lors par la hausse des prix. C’est le cas de son champ d’application, ensuite, car les tarifs réglementés de vente, sur lesquels se focalisent les blocages ou les compensations, ne concernent que 7,5 % de la consommation de gaz et 28 % de celle d’électricité.

En deuxième lieu, le bouclier tarifaire est mal évalué. Dans le projet de loi de finances, le Gouvernement avait estimé à 6 milliards d’euros la baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité. On en est à 8 milliards d’euros aujourd’hui. Jusqu’où ira-t-on ?

En troisième et dernier lieu, l’avenir du bouclier tarifaire est mal anticipé. Aucune mesure n’est prévue au-delà de 2022. Or la flambée des prix des énergies pourrait bien durer. Par ailleurs, l’action sur les tarifs réglementés pourrait se répercuter in fine sur les ménages et les entreprises. On le sait, la mesure proposée pour le gaz n’est qu’un dispositif de lissage, courant jusqu’en janvier 2023. Par ailleurs, les tarifs réglementés de vente de gaz disparaîtront dès juillet 2023. Ainsi de graves difficultés sont-elles à prévoir ! En outre, aucune conséquence financière n’est tirée de ces mesures pour le groupe EDF.

On relève le plafond de l’Arenh de 100 térawattheures à 120 térawattheures, mais son prix stagne à 46,50 euros le mégawattheure, contre 42 euros actuellement. C’est dérisoire, au moment où le prix de marché de l’électricité s’envole à plus de 200 euros !

Au-delà, la politique énergétique à long terme du Gouvernement me semble indigente.

Si les mesures d’urgence sont indispensables, leur modèle de financement érode nos capacités d’investissement : les 8 milliards d’euros perdus pour le groupe EDF sont autant de moins pour ses projets. Or le Grand Carénage suppose 50 milliards d’euros au total et la transition énergétique 10 milliards d’euros annuels ! Comment, dans ces conditions, financer la construction de nouveaux réacteurs, trois EPR coûtant 46 milliards d’euros ?

Pis, le Gouvernement élude les véritables décisions. Or il faut dire la vérité aux Français !

Tout d’abord, la fermeture des réacteurs existants fragilise notre sécurité d’approvisionnement. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) a ainsi relevé, dans son bilan prévisionnel, une « situation de vigilance pour les trois prochains hivers ».

Plus encore, l’atteinte des objectifs de décarbonation du paquet « Ajustement à l’objectif 55 » n’est possible qu’en intégrant l’énergie nucléaire à la taxonomie verte.

Enfin, l’immobilisme n’est plus tenable s’agissant de la relance de la filière nucléaire. RTE a ainsi indiqué dans son rapport Futurs énergétiques 2050 qu’« il y a urgence à se mobiliser ».

Au total, la crise des prix des énergies agit comme un révélateur des insuffisances de la politique du Gouvernement.

Pour ma part, je suis convaincu que le soutien au pouvoir d’achat des ménages passe par un soutien à la production d’énergie nucléaire afin de limiter notre dépendance aux importations d’hydrocarbures et de garantir un prix de l’électricité faible et identique pour tous les Français, sur tout le territoire.

En définitive, un véritable bouclier tarifaire devrait consister non pas en une fuite en avant des finances publiques, mais en une relance de la filière nucléaire, colonne vertébrale de la souveraineté énergétique de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise actuelle a démontré notre forte dépendance aux énergies fossiles, qui grève le pouvoir d’achat des Français et les ambitions économiques de nos entreprises.

Rappelons, en effet, que si le nucléaire représente 70 % de l’électricité produite en France, il constitue moins de 20 % de l’énergie finale utilisée par les Français.

La prépondérance du nucléaire dans la production d’électricité ne doit pas occulter la dépendance de la France et, plus généralement, de l’Europe aux énergies fossiles importées pour ses besoins en énergie.

La crise actuelle a rappelé la nécessité de réformer le marché européen de l’énergie afin de protéger le consommateur des variations d’un coût marginal qui fixe le prix unique de marché du mégawattheure. Je salue ainsi la position française consistant à défendre un prix de marché plus fidèle au coût domestique moyen de production et aux efforts de décarbonation des mix.

Sans une telle réforme, et alors que le prix des énergies fossiles sera inévitablement amené à augmenter, la France ne bénéficierait pas de ses choix. Or nos choix collectifs ont conduit à faire de notre pays le champion du monde des pays décarbonés. Nous produisons, avec notre électricité, dix fois moins de gaz à effet de serre que notre voisin allemand grâce à nos centrales et à nos barrages.

Il est temps d’accélérer l’électrification de nos usages et la décarbonation de l’économie en découplant le prix de l’électricité du prix des énergies fossiles.

Cela m’amène à défendre la logique additive rappelée par RTE, c’est-à-dire la complémentarité, non seulement possible, mais aussi nécessaire, entre des énergies renouvelables intermittentes et une énergie nucléaire pilotable, la seconde permettant en réalité d’accompagner l’essor des premières. Le nucléaire est non pas un problème, mais une partie de la solution pour la transition énergétique. Il permettra également d’assurer aux Français la stabilité des prix de l’électricité.

Si les coûts bruts des centrales nucléaires sont élevés, la flexibilité que permet cette énergie, l’amortissement des réseaux, bref, le coût complet du système fait dire au gestionnaire du réseau que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinente du point de vue économique. Elle permettra d’éviter l’explosion des factures énergétiques alors que la hausse du prix des énergies fossiles est assurée, le tout en renforçant notre indépendance énergétique.

À cet égard, j’ai déposé avec mon collègue Jean-François Longeot une proposition de résolution tendant à accompagner l’essor du nouveau nucléaire en France.

Tout d’abord, les mini-réacteurs permettent d’envisager de nouveaux usages du nucléaire contribuant à la décarbonation de notre économie : production de chaleur, d’hydrogène, d’électricité pour les industriels, etc.

Ensuite, la quatrième génération de réacteurs pour laquelle notre pays doit redéfinir ses ambitions permettra de répondre aux deux principales critiques adressées au nucléaire en permettant une sûreté accrue et un multirecyclage des déchets nucléaires. En tout état de cause, un effort de recherche et de développement est nécessaire.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, qu’en est-il des propositions françaises de réforme du marché européen de l’énergie ? La France a-t-elle l’ambition d’utiliser le nucléaire comme levier d’une diminution des tarifs de l’énergie et comme amortisseur de la crise que nous vivons ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes amenés à débattre aujourd’hui de l’énergie, car, disons-le franchement, nous traversons une crise que personne n’avait vu venir.

Cette crise est provoquée par une conjonction d’événements et de facteurs imprévus qui se sont additionnés pour provoquer une explosion des prix du gaz, laquelle gagne de proche en proche tous les marchés de l’énergie et révèle la faillite de l’Europe dans ce domaine.

C’est cette même Europe qui, bâtie sur la seule concurrence, a choisi d’exposer l’ensemble de l’économie et des ménages à la volatilité des marchés. Soyons clairs, la crise que nous connaissons n’est liée ni à une hausse de la consommation ni à une augmentation des coûts de production : c’est à la libéralisation du secteur que nous devons la situation dans laquelle nous sommes.

De fait, le système actuel ne permet même pas de financer les investissements nécessaires, car il n’offre aucune visibilité.

Un changement de cap doit être rapidement décidé, faute de quoi il pourrait être impossible de conduire une transition écologique acceptée par l’ensemble des populations.

L’origine de cette dépendance énergétique est multiple. Si la faiblesse de la politique européenne de l’énergie est une des causes de cet état de fait, la crise économique de 2008 a aussi découragé certains États membres d’investir dans les infrastructures énergétiques ou dans la rénovation de leurs infrastructures vieillissantes.

Dans ce contexte morose, de nombreux pays hors Union européenne ont aussi profité de l’absence d’autoroutes de l’énergie entre les Vingt-sept pour signer des partenariats d’approvisionnement avec certains d’entre eux.

Confrontée à l’hystérie des marchés, l’Europe avance en ordre dispersé. Chaque gouvernement tente de limiter la casse pour sa population. Depuis le milieu de l’été, une poignée de pays européens, notamment l’Espagne, l’Italie, mais aussi la France, ont déjà adopté des mesures pour tenter d’aider les consommateurs à faire face à l’envolée des prix : allégement de la fiscalité indirecte, mise en place d’un chèque énergie pour les ménages les plus pauvres, gel provisoire des hausses, surtaxation des profits des électriciens et des gaziers, etc.

L’ensemble de ces dispositifs représenterait quelque 18 milliards d’euros rien que pour la France. Ces aides n’ont pu être octroyées qu’en tordant le bras à Bruxelles, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne n’étant pas étrangère à ce tour de passe-passe budgétaire, comme cela est rappelé dans un article du Canard enchaîné paru aujourd’hui. Mais ces mesures sont tout bonnement insuffisantes et les consommateurs peinent à en voir la traduction concrète sur leur pouvoir d’achat.

Par ailleurs, les dispositions prises se font au détriment du contribuable. De ce point de vue, la situation française est quelque peu ubuesque et éclairante des dérives de la libéralisation à outrance du marché de l’énergie.

Lors des questions d’actualité au Gouvernement du 19 janvier dernier, j’ai interrogé le ministre de l’économie sur la situation d’EDF. Comment se fait-il que cette entreprise soit contrainte de vendre sa production d’énergie à bas prix à ses concurrents, qui eux peuvent la revendre à des prix exorbitants ? J’attends encore une réponse, mais je ne doute pas que vous pourrez me la donner aujourd’hui.

Des questions financières et monétaires de plus en plus pressantes se posent. Cette crise énergétique place la Banque centrale européenne dans une position difficile. Contre cette flambée, contre cette inflation importée, elle ne peut rien faire. Combien de temps pourra-t-elle maintenir sa politique monétaire et les taux faibles ?

Ne nous leurrons pas, la crise risque de durer bien plus longtemps que vous ne l’escomptez. Les hausses sur le marché du gaz se sont propagées au marché de l’électricité, du charbon, du pétrole. Elles ont maintenant gagné les marchés des futures.

Les contrats d’approvisionnement d’électricité pour 2022, voire pour 2023, se négocient au prix de 150 euros le mégawattheure, contre 39 euros en moyenne en 2019, signe que les intervenants de marché n’anticipent pas de baisse rapide.

Inéluctablement, ces prix se répercuteront à un moment ou à un autre sur les factures des ménages. Vos bricolages conjoncturels ne changeront pas la donne et risquent de provoquer un malaise social encore plus grand. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. En écho à nombre de vos interventions, le Gouvernement revendique une modernisation et une réforme du marché européen de l’énergie, notamment pour dissocier le marché des particuliers du marché de gros.

En effet, les consommateurs français n’ont pas à subir une augmentation aussi forte des prix de l’énergie quand, dans le même temps, la France est en mesure de produire de l’énergie à un coût maîtrisé, en particulier grâce à ses investissements passés dans le parc nucléaire et à l’avance prise en la matière.

Pour défendre le pouvoir d’achat des Français, le Gouvernement a agi de trois manières.

Premièrement, il a mis en œuvre un certain nombre de mesures depuis le début du quinquennat. Qu’il s’agisse de la revalorisation de la prime d’activité et de certains minima sociaux, de la défiscalisation des heures supplémentaires ou de la diminution d’un certain nombre de cotisations, toutes ces mesures ont permis une hausse moyenne annuelle du pouvoir d’achat des Français évaluée entre 1,8 % et 1,9 % au cours des cinq dernières années, soit une augmentation deux fois plus rapide que durant les dix années précédentes. Pour mémoire, l’augmentation s’est élevée à 1,4 % de 2007 à 2012 et à 0,4 % de 2012 à 2017.

Deuxièmement, il a fait le choix de répondre à la crise par la mobilisation de l’activité partielle. L’année 2020 a permis de protéger le pouvoir d’achat des Français puisque celui-ci a augmenté en moyenne de 0,4 % alors que nous connaissions une récession de 8 %. C’est la démonstration que les amortisseurs sociaux et l’activité partielle ont permis d’atténuer les conséquences de la crise sur le pouvoir d’achat des Français.

Enfin, troisièmement, nous avons fait face à la crise de l’énergie en mettant en place un certain nombre d’outils, qui ont été évoqués : le chèque énergie à hauteur de 100 euros pour les 5,8 millions de ménages bénéficiaires habituellement ; l’indemnité inflation, déjà perçue par 20 millions de bénéficiaires sur les 38 millions qui la percevront d’ici à la fin du mois de février ; les plafonnements de l’augmentation ou des tarifs par le jeu sur la fiscalité ou le volume de l’Arenh.

Ces mesures représentent un engagement de 15 milliards d’euros, cela a été dit et répété, face auquel l’augmentation de 2 à 3 milliards d’euros des recettes fiscales propres de l’État ne fait évidemment pas la maille, si vous me permettez cette expression, puisque le coût net pour l’État s’élèvera à 12 milliards d’euros. C’est la démonstration que nous déployons des moyens considérables pour défendre le pouvoir d’achat de nos concitoyens. En outre, nous demandons à EDF de faire également des efforts en ce sens.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de le souligner mon collègue Olivier Dussopt, des mesures extrêmement protectrices ont été mises en place pour faire face à la hausse des prix du gaz et de l’électricité.

Pour autant, nous ne remettons pas en cause le fait de devoir repenser notre mix énergétique pour atteindre nos objectifs en matière de décarbonation et pour faire face à la montée en puissance des besoins en électricité. Il nous faut également revoir le modèle économique, le modèle financier et le modèle industriel français, tout en garantissant évidemment notre sécurité d’approvisionnement, et donc la souveraineté énergétique européenne.

Pour ce qui concerne l’électricité, cela a été rappelé, la hausse des prix a été limitée à 4 %. Nous avons donc atteint notre objectif, car les tarifs auraient pu augmenter – il faut le redire – de 30 % à 40 %. Les réponses d’urgence que nous avons mises en place étaient donc nécessaires, même si elles sont moins structurelles et davantage ponctuelles.

Nous avons ainsi été amenés à déclencher des aides. Le Parlement a accompagné cette démarche en approuvant la décision de baisser la fiscalité sur l’électricité grâce à une diminution de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité.

Par ailleurs, pour protéger les entreprises qui n’ont pas accès au tarif réglementé, nous avons demandé à EDF d’augmenter de 20 térawattheures le volume d’électricité nucléaire à prix régulé.

Cette électricité moins chère sera rétrocédée. Il faut l’envisager comme un retour aux consommateurs, aux ménages, aux entreprises, aux collectivités via des tarifs de vente, tant d’EDF que de ses concurrents, qui tiendront compte de ces électrons moins chers.

Nous demandons à EDF de participer à cette lutte contre la hausse des prix au titre de sa mission de service public. C’est elle qui commande de se mettre aujourd’hui au service de l’intérêt général et de l’ensemble des Français, au moment où notre pays traverse une crise aussi exceptionnelle qu’imprévisible, comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné. Quel analyste aurait pu anticiper une telle crise des prix de l’énergie ?

Il importe donc de trouver des solutions pour réguler les marchés de l’énergie à l’échelon européen et de renforcer les liens entre États membres. Cette régulation doit être pensée avant la transition énergétique comme un modèle à reconstruire, en redessinant la corrélation entre le prix payé, le coût de la production et celui de la décarbonation du mix.

Cette crise des énergies fossiles se vit à l’échelle de l’Europe. Le conseil informel des ministres de l’énergie, qui s’est tenu à Amiens la semaine passée, nous a permis de constater qu’une majorité se dégageait en faveur d’une évolution de la réglementation à l’échelon européen. Nous porterons donc au marché de détail de l’électricité toute notre attention et nous centrerons sur lui nos travaux, a fortiori dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Je le rappelle, le Gouvernement a décidé d’accorder 15 milliards euros d’aides afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages. Certes, quelques failles ont été repérées dans le dispositif, elles ont été soulignées lors des questions d’actualité au Gouvernement cet après-midi. Nous apporterons des réponses plus ciblées dans les prochains jours pour les grosses propriétés et les logements chauffés grâce à des réseaux de chaleur fonctionnant au gaz. Il s’agit de préciser le dispositif et de répondre à tous les besoins : plus de 30 000 des 35 000 communes françaises bénéficient déjà de ce bouclier tarifaire. Le dispositif est donc très large.

Je salue la réactivité dont vous avez su faire preuve au cours des semaines passées, mesdames, messieurs les sénateurs, en votant les dispositions législatives que nous avons présentées afin de ne pas laisser les Français seuls face à cette crise des prix de l’énergie.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « Énergie et pouvoir d’achat : quel impact de la politique du Gouvernement ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Organisation des travaux

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents avait prévu que nous suspendions nos travaux entre vingt heures trente et vingt-deux heures.

En accord avec le Gouvernement et le groupe Union Centriste, nous pourrions prolonger notre séance au-delà de vingt heures trente pour examiner les deux points de l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe Union Centriste, sans avoir à suspendre.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'universalité des allocations familiales
Discussion générale (suite)

Caractère universel des allocations familiales

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'universalité des allocations familiales
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales, présentée par M. Olivier Henno et plusieurs de ses collègues (proposition n° 181, texte de la commission n° 400, rapport n° 399).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Henno, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Olivier Henno, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à supprimer la modulation des allocations familiales en fonction des revenus du foyer.

Les allocations familiales occupent une place à part parmi les prestations de la branche famille. En 2020, elles représentaient 12,7 milliards d’euros, soit 41 % des dépenses liées aux prestations légales de la branche. Elles étaient versées à plus de 5 millions de familles, ce qui en fait la première des prestations familiales.

Prestations historiques et majeures, les allocations familiales ont une portée symbolique. Conçues pendant l’entre-deux-guerres, elles furent, après la Libération, au cœur de la politique nataliste mise en œuvre en France, qui alors « n’était qu’un pays statique et clairsemé », pour reprendre les mots du général de Gaulle.

La loi du 22 août 1946 étendit leur bénéfice aux personnes dans l’incapacité de travailler et aux femmes élevant seules plus de deux enfants. Elle posa ainsi les fondements de leur universalité, définitivement consacrée à partir de 1978, lorsque toute condition d’activité professionnelle pour l’ouverture des droits aux prestations familiales fut supprimée.

Alors qu’elles ont été versées à de nombreux foyers depuis soixante-dix-sept ans, les allocations familiales sont régies par des conditions d’attribution bien connues des Français. Elles sont ainsi dues à partir du deuxième enfant jusqu’à l’âge de 20 ans, à l’exception des départements et des régions d’outre-mer dans lesquels les allocations familiales sont ouvertes dès le premier enfant. Leur montant à taux plein varie selon le nombre d’enfants à charge : 132 euros pour deux enfants, 301 euros pour trois et 470 euros pour quatre.

L’Assemblée nationale a introduit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, par la voie d’un amendement parlementaire, une modulation des allocations familiales selon les revenus de la famille à compter du 1er juillet 2015. Cette modulation concerne les allocations familiales, la majoration versée pour les enfants de plus de 14 ans, ainsi que l’allocation forfaitaire accordée lorsqu’un enfant à charge atteint l’âge limite de 20 ans.

En conséquence, le montant des allocations familiales a été réduit pour 10 % de leurs bénéficiaires, soit un demi-million de familles. Le versement est ainsi divisé par deux pour les familles dont les ressources dépassent le plafond de 5 800 euros pour deux enfants et par quatre pour celles dont les revenus excèdent 7 800 euros pour deux enfants.

L’objectif assumé de cette réforme était de réaliser des économies budgétaires. Sur ce point, la mesure a tenu ses promesses : dès 2016, 760 millions d’euros ont été économisés au détriment des familles. D’autres mesures d’économies se sont d’ailleurs ajoutées comme la réduction du plafond du quotient familial ou, plus récemment, en 2019 et en 2020, la sous-revalorisation des prestations familiales.

La modulation des allocations familiales a produit des effets secondaires qui ne sont pas difficiles à observer. Elle a affaibli la lisibilité de la prestation, en introduisant de la complexité dans sa gestion et de l’incertitude pour les ménages concernés. Les ressources prises en compte étant jusqu’à présent celles de l’année n-2, des événements imprévus peuvent affecter les revenus des ménages sans que le montant des allocations ne soit adapté afin de soutenir le budget des familles pour l’éducation des enfants.

Cependant, les conséquences néfastes de la réforme dépassent la seule question du paramétrage d’une prestation familiale et justifient que cette proposition de loi soit débattue aujourd’hui.

Cette modulation a tout d’abord écorné le principe d’universalité des allocations familiales. Si celles-ci demeurent versées à toutes les familles dès le deuxième enfant à charge, l’universalité n’est plus que de façade étant donné les montants modiques versés à certaines familles. Ainsi, lorsque les ressources du foyer se situent dans la troisième tranche du barème, le montant de l’allocation s’établit à 33 euros pour deux enfants à charge.

La modulation des allocations familiales, en portant atteinte au principe d’universalité, comporte le risque de saper l’acceptabilité de la politique familiale pour les foyers concernés par la modulation. Ces derniers contribuent au financement d’une politique toujours qualifiée d’universelle, mais dont ils sont paradoxalement exclus.

En outre, cette modulation d’une prestation universelle en fonction du revenu interpelle. Si cet « universalisme progressif » venait à s’étendre, c’est tout notre modèle de sécurité sociale qui pourrait être remis en cause. À cet égard, il est assez révélateur que cette réforme ait affecté les allocations familiales et non, jusqu’à présent, les prestations d’assurance maladie. À l’évidence, la politique familiale n’a pas constitué une priorité pour les derniers gouvernements.

Plus encore, cette modulation introduite en 2015 a dévoyé le sens des allocations familiales qui ont été conçues pour porter l’ambition de redistribution horizontale de la politique familiale. Quelles que soient les ressources du foyer, la prestation compensait une partie du coût de l’éducation des enfants, témoignage de la solidarité de la collectivité envers les familles. C’est pourquoi le montant des allocations ne variait que selon le nombre d’enfants.

Au contraire, l’introduction d’une logique de redistribution verticale a brouillé les objectifs assignés à cette prestation.

Il ne s’agit pas là de nier les nouveaux enjeux que la politique familiale doit relever. Depuis les années 1970, la nécessité d’aider particulièrement les familles les plus vulnérables explique la création de prestations sous condition de ressources ou modulées selon les revenus du ménage. Complément familial, allocation de rentrée scolaire, prime à la naissance ou à l’adoption, allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant : nombreuses sont les prestations qui ciblent les familles aux revenus les plus modestes ou les publics spécifiques.

Cependant, en perdant de vue l’objectif de redistribution horizontale, la réforme de 2015 a consacré la transformation de la politique familiale en une politique de soutien aux familles les plus précaires, sans pour autant être une mesure de justice sociale. La modulation des allocations familiales ne produit aucun bénéfice pour les familles aux revenus modestes.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, à l’article 1er de la proposition de loi, adopté par la commission, de supprimer la modulation des allocations familiales selon les ressources de la famille. L’article 2 gage cette mesure, dont le coût est estimé à 830 millions d’euros par an. Cette dépense supplémentaire serait soutenable pour la branche famille, dont les comptes devraient afficher un excédent de 1,7 milliard d’euros en 2022.

Surtout, dans un contexte où la natalité est préoccupante dans notre pays, l’adoption de cette proposition de loi serait un investissement pour le renouvellement des générations.

Depuis 2012, la France présente le taux de fécondité le plus élevé d’Europe. Pourtant, il est difficile de nous targuer de cette place tant la dynamique de la fécondité est désormais défavorable. Le taux de fécondité conjoncturel, qui oscillait autour de 2 enfants sur la période 2005-2015, a diminué constamment pour atteindre 1,82 enfant par femme en 2020. Ce déclin, combiné à la diminution du nombre de femmes en âge de procréer, a provoqué une chute de 80 000 naissances annuelles entre 2014 et 2020.

Si l’année 2021 marque une stabilisation du taux de fécondité à 1,83 en raison d’un phénomène de rattrapage après la crise sanitaire, les chances d’une remontée durable du taux de fécondité sont minces. L’exception démographique française en Europe est à terme menacée.

Certes, aucune étude n’a pu mettre en évidence un lien entre la modulation des allocations familiales et la chute de la fécondité observée depuis quelques années. L’effet d’une mesure isolée de la politique familiale est en tout état de cause difficile à mesurer et les seules considérations financières ne suffisent pas à déterminer le choix des familles et leur projet de parentalité.

Toutefois, comment ne pas penser que cette modulation a envoyé un mauvais signal aux familles, leur faisant craindre une réorientation de la politique familiale et un affaiblissement de la solidarité en leur faveur ? Cette mesure d’économies budgétaires a demandé un effort aux familles avec au moins deux enfants, effort qui n’était pas exigé des ménages sans enfant aux revenus identiques.

Pour que leurs projets de parentalité se concrétisent, les familles ont besoin d’être soutenues par une politique familiale cohérente et pérenne. Cette proposition de loi vise précisément à mettre fin aux distinctions, voire aux stigmatisations induites par un barème de ressources, à redonner du sens aux allocations familiales et à réaffirmer l’engagement de la société aux côtés des familles.

La sécurisation de l’environnement familial exige bien entendu d’autres mesures et de nombreux chantiers restent à engager, qu’il s’agisse de développer davantage l’offre d’accueil de la petite enfance ou de favoriser une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, grâce à des congés parentaux plus pertinents.

La fin de la modulation des allocations familiales selon les revenus du foyer ne constituerait donc que la première étape d’un renouveau plus profond de la politique familiale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales dans l’objectif, selon l’exposé des motifs de ce texte, de « relancer la natalité dans notre pays et redonner du sens à notre politique familiale ».

La période est sans doute propice aux débats sur ce type de sujet et – il faut le craindre – aux propositions faciles, démagogiques ou caricaturales, ce qui n’est toutefois pas le cas de cette proposition de loi.

Pour autant, je ne partage ni la démarche ni l’esprit de ce texte qui nous donne malgré tout l’occasion – je vous en remercie – de débattre de sujets importants. Je considère essentiel de le faire sur des fondements précis.

À l’approche d’échéances importantes, les propositions se polarisent, les totems sont brandis en programme, traduisant parfois une difficulté à avancer des idées qui ne soient pas que des pensées toutes prêtes. Faut-il soumettre les allocations à des plafonds de revenus, au risque de porter atteinte au principe d’universalité ? Le plafond du quotient familial doit-il être relevé ? Le calcul des parts doit-il être modifié ?

Ces questions sont bien sûr importantes, car les effets des aides monétaires sur le quotidien des familles françaises ne sont pas neutres. Mais il faut que les choses soient claires : la modulation, qui remonte – vous l’avez dit – à la mandature précédente et que vous remettez ici en question, non seulement préserve le principe d’universalité des allocations familiales, mais permet surtout de répondre à un objectif de justice sociale.

Je rappelle que la modulation ne touche qu’une faible part des bénéficiaires des allocations familiales, puisque seuls 10 % des allocataires étaient concernés en 2019. Et j’insiste sur le terme de modulation, puisque toute famille, quel que soit son niveau de revenu, peut toujours bénéficier des allocations familiales à compter du deuxième enfant.

Cette modulation répond surtout à un objectif de justice sociale. Il s’agit bien de concentrer l’effort de solidarité nationale sur ceux qui en ont le plus besoin et de réduire les inégalités à deux niveaux, horizontal et vertical. Selon des travaux de l’Insee, la modulation a en effet permis en 2021 une réduction de 9,4 % des inégalités verticales de niveau de vie, c’est-à-dire entre familles aisées et modestes, et de 20 % en faveur des familles monoparentales et nombreuses dans une redistribution que l’on qualifie d’horizontale.

Je souligne par ailleurs que, contrairement aux affirmations de l’exposé des motifs de la présente proposition de loi – vous les avez relativisées dans votre présentation, monsieur le rapporteur –, l’impact des allocations familiales sur la natalité n’est pas démontré, en France comme dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Il n’y a donc pas de corrélation évidente entre leur modulation et la baisse de la natalité, d’autant que cette baisse a été constatée dans la plupart des pays de l’OCDE ces dernières années, la France restant en tête parmi ces pays, son taux de fécondité étant de 1,83 enfant par femme. J’ajoute que le taux de fécondité a progressé dans notre pays en 2021.

Un candidat à l’élection présidentielle, qui n’est pas celui que vous soutenez, monsieur le rapporteur, a déclaré que toute la politique familiale française a prouvé qu’en mettant de l’argent, on obtient un accroissement de la natalité. C’est bien mal connaître, d’une part, les ressorts contemporains de la politique familiale, d’autre part, les aspirations et les besoins des familles françaises aujourd’hui – c’est peut-être cela qui est plus grave pour ce candidat…

La baisse de la fécondité observée depuis 2015 touche en réalité tous les groupes de niveau de vie. Ce constat va bien sûr à l’encontre de l’idée que la natalité diminuerait chez les plus aisés en raison de la modulation des allocations familiales instituée en 2015.

En fait, les études disponibles montrent plutôt que la diminution de la natalité résulte de différents facteurs.

Elle s’explique par des facteurs démographiques : le nombre de femmes en âge de procréer est en diminution notable dans notre pays et l’âge moyen de la maternité est en recul.

Elle résulte également de facteurs sociétaux. Les parents aspirent de plus en plus à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale pour ne plus avoir à choisir entre l’une et l’autre – je reviendrai sur ce sujet.

Enfin, elle s’explique par des facteurs économiques, c’est vrai, liés aux incertitudes pesant sur la conjoncture et, plus récemment, à l’impact de la crise sanitaire sur la confiance des ménages.

C’est donc bien l’ensemble de ces leviers qu’il faut actionner. C’est ce que fait le Gouvernement depuis 2017. Il s’agit de rompre ainsi avec trente années de débats réduits à la seule question des aides monétaires. Ces débats nous empêchaient de prendre pleinement conscience des nouvelles aspirations et difficultés des parents.

Ce qui compte, c’est d’assurer un environnement global le plus favorable possible à l’accueil du jeune enfant, c’est de prendre en compte les spécificités des parcours, de proposer des solutions précises et adaptées pour mettre parents et futurs parents dans les meilleures conditions d’accueillir leur enfant.

Telle est la vision que nous avons de la politique familiale, laquelle repose sur deux piliers : il s’agit de bâtir une société globalement plus accueillante pour les enfants et leur famille, mais aussi de lutter contre les inégalités de destin qui touchent encore trop d’enfants dans notre pays.

Pour cela, il faut dépasser la question de l’universalité par les seules prestations et bâtir une universalité des services pour toutes les familles.

Cela suppose simplement de reconnaître qu’être parent n’est pas forcément chose aisée et d’agir pour accompagner les parents dans ce rôle. C’est indispensable et cela signifie agir dès les premiers temps de la parentalité. C’est d’autant plus vrai que la moitié des parents français estiment aujourd’hui qu’il est dur d’être parent, que les femmes disent qu’elles se sentent seules pendant et après leur grossesse et que près de 20 % d’entre elles, probablement plus, sont touchées par la dépression post-partum.

C’est tout le sens de la politique des 1 000 premiers jours de l’enfant, période fondatrice « où tout commence », pour reprendre l’expression de Boris Cyrulnik, même si tout ne se joue pas là, de l’attachement entre parents et enfants à l’apprentissage des premiers gestes, des premiers mots, et sur laquelle aucun gouvernement n’avait jamais autant investi que le nôtre.

Nous faisons également le choix de la prévention dès le quatrième mois de grossesse et pour toute cette tranche de vie, notre ambition étant de prévenir les risques psychosociaux dès l’instant où le projet parental se forme et de privilégier une approche systémique tenant compte de l’environnement dans lequel évolue l’enfant – on l’a dit, les 1 000 premiers jours sont essentiels.

Désormais, toutes les femmes et leur conjoint bénéficient d’un parcours « 1 000 premiers jours », qui s’articule autour de plusieurs éléments : un entretien prénatal précoce obligatoire dès le quatrième mois de grossesse, remboursé par la sécurité sociale ; un meilleur accompagnement en maternité et par la suite, notamment grâce à la création de 200 postes médico-sociaux dans les maternités prioritaires ; une meilleure articulation entre la ville et l’hôpital pour éviter les ruptures de parcours dont les femmes disent souffrir ; enfin, un entretien postnatal cinq semaines après l’accouchement et un second à la douzième semaine, si besoin, pour lutter contre la dépression post-partum. Cet entretien postnatal est désormais obligatoire et remboursé par la sécurité sociale, comme le prévoit la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Il convient également de reconnaître chacune des spécificités des familles et de répondre à leurs besoins, voire aux détresses singulières. L’arrivée d’un enfant, si elle doit être accompagnée pour toutes les familles, quelle que soit leur forme ou leur fortune, n’entraîne pas exactement les mêmes charges ou ne soulève pas les mêmes problèmes pour les unes et pour les autres. C’est pourquoi nous avons mis en place des parcours spécifiques, par exemple pour l’arrivée d’un enfant prématuré, d’un enfant en situation de handicap ou d’un enfant adopté.

Nous accordons depuis le début du quinquennat une attention particulière aux familles monoparentales. Nous avons par exemple majoré de 30 % le plafond de l’allocation garde d’enfant pour ces familles ou déployé le service public des pensions alimentaires pour le recouvrement des impayés.

Construire une universalité des services aux familles, c’est ensuite répondre aux attentes et aux préoccupations généralisées des parents en matière de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, toutes ces vies que nous cumulons dans une même journée : vie de parent, vie de travailleur, vie de professeur.

Pour tous les conjoints qui souhaitaient depuis bien longtemps pouvoir s’investir davantage dans ces premiers jours heureux, nous avons doublé la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, en le faisant passer de 14 à 28 jours et en le rendant en partie obligatoire. C’est là une transformation sociétale majeure.

Nous devrons certainement aller plus loin et mener une réflexion globale sur l’ensemble des congés familiaux, notamment le congé parental. J’avais d’ailleurs missionné Christel Heydemann et Julien Damon pour réfléchir à une meilleure articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Les modes d’accueil du jeune enfant font partie des enjeux de notre politique de services universels. Dans ce domaine aussi, nous menons une action résolue. Depuis le début de la mandature, nous bâtissons pierre après pierre un véritable service public de la petite enfance dans notre pays.

Nous avons ainsi inscrit dans la loi la charte nationale pour l’accueil du jeune enfant. Nous avons aussi créé un comité de filière de la petite enfance pour mettre autour de la table l’ensemble des professionnels et avancer sur les questions de formation, de carrière, de passerelle ou encore de rémunération.

Nous avons alloué des moyens supplémentaires pour créer des places et pour encourager la formation des professionnels. Ainsi, 45 millions d’euros ont été mobilisés dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté pour la formation des professionnels de la petite enfance.

Nous devons encore intensifier la dynamique à l’œuvre pour avancer, comme l’a récemment annoncé le Président de la République, sur la voie d’un droit garanti à un accueil du jeune enfant à un prix raisonnable et similaire, que l’enfant soit accueilli en individuel ou en collectif. Il nous faudra pour cela nous poser la question des compétences, dont nous aurons, je l’espère, l’occasion de débattre dans cet hémicycle.

Bâtir l’universalité des services, c’est aussi proposer un accompagnement à la parentalité sur d’autres sujets et à d’autres moments de la vie de l’enfant. Je pense en particulier à la question de la parentalité numérique : beaucoup de parents disent en effet que le rapport de leurs enfants aux écrans et les usages numériques sont pour eux des sources de préoccupation majeures. Le numérique offre des potentialités aux enfants, mais il fait aussi peser des risques et des menaces sur eux. Mardi prochain aura lieu le Safer Internet Day – je vous prie de m’excuser pour cet intitulé en anglais. Cette journée internationale sera l’occasion pour le Gouvernement de faire de nouvelles annonces en la matière.

Je rappelle que nous avons déjà agi, puisque nous avons notamment créé le site internet jeprotegemonenfant.gouv.fr, qui regroupe un certain nombre de ressources afin d’aider et d’accompagner les parents sur la question de la relation de leur enfant avec les écrans et le numérique.

Le second pilier de notre politique familiale, parfaitement complémentaire du premier que je viens d’exposer, c’est l’affirmation du rôle d’investissement social de la politique familiale et d’outil de lutte contre les inégalités de destin qui affectent encore trop de nos enfants dans notre pays.

La politique familiale est un levier d’émancipation majeur. Elle permet de lutter contre les inégalités de destin, d’autant plus qu’elle s’y attaque au moment où elles se forment, plutôt que d’attendre qu’elles s’accroissent.

Dans notre pays, près de 3 millions d’enfants continuent de vivre sous le seuil de pauvreté. C’est inacceptable et cela a constitué notre première urgence. Quelques mois après son élection, le Président de la République présentait la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté dans un objectif aussi clair qu’inédit : agir le plus tôt possible pour briser le cercle de la transmission de la pauvreté de génération en génération. Les familles sont au cœur de cette stratégie, parce que, comme vous le savez, il faut six générations pour sortir de la pauvreté.

Les engagements pris alors devant les Français ont été tenus : aider davantage les communes plus pauvres à créer de nouvelles places de crèche ; offrir à chaque enfant qui arrive à l’école le ventre vide un petit-déjeuner gratuit ; lui proposer un déjeuner équilibré à la cantine pour un euro ; dédoubler les classes de CP afin que l’apprentissage de la lecture, fondement de l’éducation, de la connaissance et de l’égalité des chances, se déroule dans les meilleures conditions.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les principes historiques de la sécurité sociale, au premier rang desquels l’universalité, doivent être confrontés à la vie de nos compatriotes, tout simplement. C’est d’ailleurs la force de notre protection sociale que de ne pas être figée.

La famille a eu toute sa place dans les ambitions du quinquennat qui s’achève et les éléments de bilan que je viens d’évoquer ne me font pas rougir – bien au contraire !

Fermes sur les principes, nous avons su regarder la famille dans ce qu’elle avait de divers et de complexe. L’universalité, c’est aider toutes les familles, mais ce n’est pas forcément les aider toutes de la même façon. C’est au contraire écouter et prendre en compte leurs attentes, leurs besoins, leurs incertitudes. Nous le faisons depuis 2017. Il nous faut encore aller plus loin pour tous les parents et tous les enfants de notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordonnance du 4 octobre 1945 créant la sécurité sociale repose sur un principe fondamental : chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

Ce principe se déclinait pour chacun des risques et le lien entre cotisations variables et prestations universelles fondait le contrat social de solidarité. Ce lien a été distendu, voire rompu, par la fiscalisation en 1991, via la CSG, qui a conduit au transfert d’une partie du financement de la protection sociale vers l’impôt.

Il en était alors ainsi pour la branche famille, dont la pièce maîtresse – les allocations familiales – servait des prestations universelles et sans condition de ressources à toutes les familles ayant à charge au moins deux enfants de moins de 20 ans, afin de compenser la perte de niveau de vie, et ce par rapport aux familles sans enfant. Il s’agissait donc d’un mécanisme de compensation et de solidarité horizontales.

Nous rejoignons nos collègues auteurs de cette proposition de loi pour défendre ce principe fondateur d’universalité, sans toutefois partager le lien qu’ils établissent entre modulation des allocations familiales et inflexion de la natalité. Ici, une corrélation n’est pas une causalité.

Nous ne pensons pas que la modulation pour les familles aisées – pour l’Insee, ce sont bien les déciles supérieurs qui sont ici concernés – ait pu les décourager d’avoir des enfants, d’autant que les aides fiscales restent très favorables à ces familles. Ainsi, les 10 % ayant les plus hauts revenus concentrent 31 % des gains nets liés aux quotients familial et conjugal, là où les 30 % les plus modestes ne bénéficient que de 6,5 % de ces gains.

L’erreur de la modulation, en supposant que la justice sociale en ait jamais été une motivation sincère, est bien d’assigner aux prestations familiales un objectif de redistribution verticale à la place d’un impôt dont c’est réellement l’objet principal, à savoir l’impôt sur le revenu.

Ainsi, plutôt que d’attaquer le risque famille et le principe d’universalité de ces prestations, il aurait été plus pertinent de questionner un angle mort de la politique familiale au regard de la justice sociale : le quotient familial à l’effet fortement anti-redistributif. En effet, comme le relevait déjà le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport publié en 2011, l’économie d’impôt due au quotient familial croît plus que proportionnellement au revenu.

La raison budgétaire – restaurer l’équilibre de la branche, en rabotant le droit à prestations selon les revenus – a donc primé sur le principe fondateur et il n’est pas contestable que la porte de la modulation selon les revenus, et non selon les besoins, est ainsi ouverte pour d’autres risques, fragilisant l’attachement au modèle social.

Nous restons donc attachés au principe de redistribution horizontale entre ménages selon leur composition afin d’amortir la baisse de niveau de vie induite par la naissance des enfants et leur éducation. Le budget moyen pour un enfant de sa naissance à ses 3 ans s’élèverait à 490 euros par mois.

Ce budget est supérieur pour le premier enfant. C’est pourquoi il est temps d’élargir la prestation au premier enfant, moment où les risques de décrochage financier par rapport aux ménages sans enfant sont les plus grands et peuvent effectivement, pour les ménages modestes, retarder un projet d’enfant.

De plus, la décision de modulation n’a pas été soutenue en 2015 par un accompagnement renforcé pour les ménages modestes. C’était donc une pure mesure d’économie et il aurait fallu l’assumer ! Nous sommes donc favorables à l’idée de revenir sur cette modulation, mais en consolidant la politique familiale.

En conclusion, pour répondre à l’objectif de la politique familiale de soutenir les parents dans l’accueil et l’éducation des enfants, notre groupe préconise l’allocation par enfant d’un montant fixe d’allocations familiales, et ce dès le premier enfant, mesure soutenue par 60 % de nos concitoyens selon le dernier baromètre de la Drees, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Raymonde Poncet Monge. L’article 1er de la proposition de loi n’aurait de sens que dans le cadre d’une réforme plus ambitieuse de la politique familiale faisant droit à la justice sociale.

Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe Union Centriste, portée par notre collègue Olivier Henno, tend à rétablir l’universalité des allocations familiales, supprimée en 2015 durant le quinquennat de François Hollande et remplacée par une modulation pour les familles les plus aisées, au nom du redressement des comptes publics.

Alors que l’arrivée au pouvoir d’un Président de la République et d’une majorité parlementaire de gauche, en 2012, était porteuse d’espoirs et laissait entrevoir des progrès sociaux, la remise en cause de l’universalité des prestations familiales en 2014 a été l’un des symboles du refus de rupture du gouvernement de l’époque avec les restrictions budgétaires appliquées aux politiques sociales.

La modulation des allocations familiales n’a certes pas mis fin à l’universalité de l’accès aux prestations familiales, mais elle a entraîné la disparition de l’universalité du montant des prestations versées aux familles. Dès 2014, nous avions dénoncé la remise en cause du principe d’universalité de la protection sociale, hérité du Conseil national de la Résistance et pierre angulaire de notre politique familiale.

Contrairement à la fiscalité, qui remplit un rôle de redistribution verticale, les prestations familiales jouent un rôle de redistribution horizontale en faveur des familles ayant des enfants à charge, sans considération de leur milieu social ou de leurs ressources. Cette participation de chacune et chacun à notre système de protection sociale est fondamentale pour son existence. Or, en modulant les prestations familiales, on prend le risque que les plus aisés refusent de continuer de participer au financement de la sécurité sociale et préfèrent le système assurantiel. Ainsi, la modulation porte une atteinte à la cohésion sociale en renforçant le sentiment d’illégitimité des prélèvements.

En outre, il existe un lien entre la baisse de la natalité et la politique familiale menée.

Selon le rapport du Haut-Commissariat au plan du 15 mai 2021 consacré à la démographie, l’augmentation de la population française se poursuit, mais à un rythme moins important qu’entre 2008 et 2013. Sont en cause, toujours selon ce rapport, dans cette baisse quasi mécanique de la natalité, le vieillissement de la population et l’entrée plus tardive sur le marché du travail des nouvelles générations. Ainsi, la fécondité serait également un révélateur des difficultés à concilier vie familiale et vie professionnelle.

La politique familiale ne se résume donc pas au financement des prestations familiales. Bien d’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme les congés accordés aux parents ou encore les moyens consacrés à l’accueil de la petite enfance. Or, vous le savez, nous connaissons des retards en la matière. Pour ce qui nous concerne, nous défendons depuis longtemps le principe d’un grand service public de la petite enfance.

Enfin, même si je sais que nous sommes très contraints par le périmètre de nos propositions de loi, je regrette que le présent texte ne rétablisse pas le versement des cotisations patronales à la branche famille. En effet, depuis la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2013, les employeurs étaient exonérés de ces cotisations. Depuis 2019, les cotisations des employeurs à la branche famille ont été purement et simplement supprimées et remplacées par l’affectation d’une part du produit de la TVA. C’est profondément injuste. C’est la raison pour laquelle nous continuons de plaider en faveur du rétablissement des cotisations sociales patronales.

Tout en ayant parfaitement conscience de l’intérêt politique pour le groupe Union Centriste de s’adresser aux familles les plus aisées à quelques mois des élections présidentielle et législatives, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront en faveur du rétablissement de l’universalité des allocations familiales, en parfaite cohérence avec notre opposition, en 2014, à la modulation des prestations familiales. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, UC, INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à apporter une première solution pour ralentir, voire inverser la baisse de natalité qu’a connue notre pays ces dernières années. Ainsi, elle a pour objet de supprimer la modulation des allocations familiales selon le revenu de la famille, qui a été introduit voilà six ans.

Alors que la question démographique était absente des débats chez la plupart de nos voisins européens, la France s’est distinguée dans les années 1930 en mettant en place une politique volontariste pour les familles. Cette politique sera renforcée, dès 1945, autour d’un principe : la solidarité envers les familles ayant des enfants à charge. Ce fut un véritable succès, puisque le taux de natalité de la France fut l’un des plus importants du continent.

Pierre angulaire de la politique familiale en France, les allocations familiales ont un caractère universel, c’est-à-dire qu’elles sont versées à toutes les familles, dès la naissance de leur deuxième enfant. Il s’agit d’inciter les parents à avoir plusieurs enfants afin de renouveler les générations. Notons, au demeurant, qu’il s’agit d’un élément majeur pour soutenir notre système de retraite par répartition.

Les allocations familiales permettent de faire partiellement face aux coûts engendrés par ces naissances. Elles étaient d’un même montant, quel que soit le revenu des familles, et elles étaient majorées lorsque naissait un enfant supplémentaire. Le principe de modulation mis en place sous le quinquennat Hollande constitue ainsi une remise en cause du principe égalitaire qui régissait les allocations familiales. Lorsque leur montant était identique pour tous les foyers, elles avaient pourtant une signification symbolique importante : les charges de famille devaient avoir le même sens politique et social pour l’ensemble de la population. La remise en cause de leur caractère égalitaire et universel fait à cet égard peser un risque majeur de délitement de la cohésion sociale entre les familles.

La famille centriste a toujours été attachée à ce principe d’universalité et nous regrettons qu’il ait été remis en question voilà quelques années. Philosophiquement, ces allocations se justifient par les éléments précités. Il ne s’agit pas de compenser une quelconque disparité de moyens financiers entre les familles. Pour cela, il existe d’autres compensations.

Avec cette modulation, le principe d’universalité, s’il n’a pas été supprimé, a toutefois vu sa portée limitée. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, et avec l’aval du Gouvernement, qui cherchait certainement à faire des économies, les députés ont adopté des amendements socialistes tendant à prévoir que, à compter de juillet 2015, les allocations familiales de base pour les foyers comptant deux enfants seraient divisées par deux à partir de 6 000 euros de revenus mensuels et par quatre à partir de 8 000 euros.

Cette modulation avait alors suscité des débats entre les différentes familles politiques, au Sénat notamment. La majorité sénatoriale a voté sa suppression, au motif qu’elle tendait à exclure des familles plutôt qu’à se recentrer sur l’enfant. Elle a toutefois été rétablie à l’Assemblée nationale.

Dans un contexte de natalité en baisse, il était important de remettre le sujet sur la table. À cet égard, je remercie notre collègue Olivier Henno d’avoir déposé cette proposition de loi. Je note qu’un seul amendement est d’ailleurs porté à notre discussion. Je salue le travail de notre collègue, qui, en sa qualité de rapporteur de la branche famille de la sécurité sociale, est parfaitement en mesure d’anticiper la soutenabilité de cette mesure.

Cependant, dire que la natalité dépendrait d’une allocation familiale reviendrait à considérer que les parents faisant le choix d’avoir plusieurs enfants le font uniquement pour obtenir une contrepartie financière. Tel n’est évidemment pas le cas. Ce serait de toute façon difficile à mesurer.

Nous ne pouvons toutefois pas ignorer que le contexte actuel joue un rôle dans le choix d’un couple d’avoir un premier enfant, un deuxième ou plus. Il ne faut pas oublier que ces dernières années n’ont pas été faciles à maints égards : attentats, crise sanitaire, inquiétudes pour l’avenir.

Une baisse de la natalité a ainsi été constatée en France et en Europe. Une étude menée par The Lancet a d’ailleurs fait ressortir que 40 % des 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans interrogés remettaient en question leur désir d’enfant par crainte du réchauffement climatique. Ces chiffres interpellent, même si avoir des enfants n’est pas la préoccupation première de cette tranche d’âge.

Pour autant, le parallélisme entre la baisse de la natalité et la modulation des allocations familiales dans notre pays en 2015 est indéniable. Nous sommes ainsi passés de 818 000 naissances en 2014 à 753 000 naissances en 2019. Il y a donc réellement matière à s’interroger. Le lien avec ce tournant de notre politique familiale ne peut être occulté.

L’article 1er de la proposition de loi supprime donc la modulation du montant des allocations familiales en fonction du revenu du foyer.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Annick Jacquemet. En réaffirmant le soutien de l’État à l’égard des familles, nous ferions un premier pas pour renforcer la politique familiale, socle de notre modèle social.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue ! Vous avez dépassé votre temps de parole de vingt secondes.

Mme Annick Jacquemet. Notre collègue Olivier Henno propose un texte court et efficace. C’est pour cette raison que notre groupe le votera à la quasi-unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pourquoi soutenons-nous la natalité en France ? Pourquoi la famille a-t-elle toujours été, dans notre pays, au cœur de l’action publique ? C’est parce que notre politique familiale vise le renouvellement des générations. C’est aussi parce qu’elle a pour but de maintenir le niveau de vie des familles, malgré les coûts induits par la naissance et l’éducation des enfants. Elle participe, de fait, à la lutte contre la précarité et la pauvreté sur notre territoire. C’est enfin parce que notre modèle vise à favoriser la meilleure articulation possible entre vie familiale et professionnelle. Il s’agit donc d’un pilier essentiel pour garantir une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans notre pays.

Depuis l’ordonnance du 4 octobre 1945, différentes aides ont été mises en place pour atteindre ces objectifs, mais, ces dernières années, de nombreuses réformes isolées ont été menées sans véritable réflexion sur ce qui signifie « faire famille » au XXIe siècle ou même sans réelle cohérence globale. Nos mesures de soutien ont par conséquent perdu en lisibilité et leur mode de versement s’en est retrouvé plus complexe que jamais.

La modulation du versement des allocations familiales, dont nous débattons aujourd’hui, a par exemple été adoptée par amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale, sans étude d’impact ni concertation avec les acteurs concernés. Cette réforme fut une véritable double peine pour nos classes moyennes, qui avaient déjà subi l’abaissement du plafond du quotient familial en 2013 et en 2014.

Or les allocations familiales ont historiquement été mises en place pour soutenir tous les citoyens français désireux d’avoir un enfant, indépendamment de leurs ressources. Face aux pays anglo-saxons, nous nous enorgueillissions de ce modèle d’équité fondé sur une solidarité horizontale, les ménages sans enfant reversant aux familles avec enfants.

Notre démographie, dynamique, semblait y répondre plus que favorablement : nous restons le pays le plus fécond d’Europe. Cependant, depuis 2014, 2015, l’indice conjoncturel de fécondité n’a fait que baisser, passant même au-dessous du seuil de renouvellement des générations en 2018.

La naissance d’un enfant engendre nécessairement des coûts qui rendent le niveau de vie des ménages avec enfants plus faible que celui des ménages n’en ayant pas. D’après un rapport de la direction générale du Trésor de 2015, l’écart entre les familles sans enfant et celles avec trois enfants et plus s’élèverait à 26 %.

Le principe d’universalité des allocations familiales n’est pas qu’une mesure symbolique. Nous ne pouvons exclure systématiquement une tranche de la population de nos systèmes de redistribution sociale si nous souhaitons que cette solidarité perdure.

Notre dispositif d’aides comprend un volet important de redistribution verticale pour soutenir les foyers les plus vulnérables : je pense notamment à l’allocation de rentrée scolaire, aux primes de naissance ou d’adoption et au complément familial. Depuis 2015, d’autres réformes importantes ont permis de soutenir tout aussi efficacement le niveau de vie des ménages les plus pauvres, comme la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA), dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, et la création de la prime d’activité.

Il importe de rappeler que la réforme de 2015 sur la modulation n’a pas bénéficié aux ménages les plus fragiles. Il s’agissait uniquement de réduire le déficit de la branche famille. Or le versement des allocations familiales ne peut et ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire.

Mon groupe parlementaire conditionnera son vote à l’adoption de l’amendement de notre collègue Colette Mélot, qui vise à supprimer l’exonération d’impôt sur le revenu dont bénéficient les allocations familiales.

Pour ma part, je voterai la proposition de loi visant à renforcer l’universalité des allocations familiales, présentée par notre collègue Olivier Henno, dont je salue le travail.

Je profite de cette occasion, monsieur le secrétaire d’État, pour vous interpeller sur la nécessité de redonner un cap stratégique à notre politique familiale face à la diminution du nombre d’enfants par ménage, à l’augmentation du nombre de familles monoparentales et à la multiplication des schémas familiaux. Il est indispensable de lancer un Family Act à la française. Un tel appel a déjà été lancé par une mission d’information parlementaire, mais est malheureusement resté sans réponse jusqu’à ce jour. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’un texte remettant en cause un principe fort auquel le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est particulièrement attaché : la justice sociale.

Oui, c’est lors du quinquennat de François Hollande, et plus précisément lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, que la modulation du montant des allocations familiales et de ses deux composantes, en fonction des ressources du ménage ou de la personne qui a la charge des enfants, a été instituée.

Certes, cette mesure s’est traduite par une meilleure maîtrise des finances publiques, à un moment où les comptes de la branche famille étaient déficitaires, mais, surtout, elle a permis, tout en respectant le principe d’universalité, d’aider davantage les familles modestes, qu’il s’agisse des familles nombreuses ou monoparentales.

Oui, cette modulation, qui avait avant tout un objectif de justice sociale, a permis de dégager des marges de manœuvre pour revaloriser l’allocation de rentrée scolaire, l’allocation de soutien familial ou encore le complément familial. Nous avions l’ambition non seulement de réduire la pauvreté, mais également de la prévenir et d’en limiter la reproduction d’une génération à l’autre, ce qui justifiait un soutien accru aux familles modestes et à leurs enfants.

Nous considérions, et c’est toujours le cas aujourd’hui, qu’une politique en direction des familles ne doit pas avoir pour unique finalité d’améliorer un taux, en l’espèce celui de la fécondité par femme. Il s’agit plutôt de déployer toute une série de mesures, que ce soit par l’État, les collectivités territoriales ou les organismes de sécurité sociale, pour aider les familles à élever leurs enfants, à faire face aux charges financières qu’entraînent leur naissance et leur éducation.

Ces mesures peuvent prendre la forme de prestations financières versées aux parents ou d’aides publiques en direction d’infrastructures qui facilitent la garde des enfants ou l’exercice des fonctions parentales.

Tout ne passe donc pas par les prestations familiales et c’est bien pour cela que nous plaidons toujours pour la mise en place d’un véritable service public de la petite enfance.

C’est bien pour cela, aussi, qu’il est erroné d’affirmer que la modulation des allocations familiales aurait constitué une remise en cause d’un des principes fondamentaux de notre solidarité nationale. Il n’y a pas de plus grande solidarité que d’aider les plus vulnérables.

Il est tout aussi excessif d’affirmer que la réforme introduite en 2015 serait responsable d’une baisse de la natalité. L’Insee vient d’indiquer que la France restait en tête des pays européens en la matière. On peut tordre les chiffres dans tous les sens, les faits sont là !

Évoquer les conséquences du rallongement des études et de l’entrée tardive sur le marché du travail permettrait, bien plus que la modulation des allocations familiales, d’expliquer la baisse du taux de fécondité selon les tranches d’âge.

Pour encourager la natalité dans notre pays, je note qu’il est de bon ton, ces derniers temps, de faire des propositions démagogiques, voire populistes, comme le versement de 10 000 euros pour chaque nouvelle naissance dans une famille « de la France rurale ».

Revenons plutôt à des mesures qui ont fait leurs preuves pour encourager les femmes à avoir des enfants : augmentation des solutions d’accueil et de garde, politiques volontaristes en matière de logement ou pour la sécurisation des parcours professionnels. Permettre aux femmes d’avoir des enfants et de travailler, de conserver un emploi stable : voilà qui devrait davantage occuper certains candidats à la présidentielle !

Enfin, nous trouvons dommage que cette proposition de loi ne s’appuie sur aucune donnée chiffrée précise. Compte tenu des enjeux, notamment budgétaires, une étude d’impact aurait permis de lever bien des doutes.

À titre personnel, j’avoue ne pas avoir non plus compris les sous-entendus de M. le rapporteur, pour qui la modulation des allocations familiales conduirait à s’interroger sur la possibilité que d’autres prestations, jusqu’ici universelles, comme les prestations d’assurance maladie, soient elles aussi modulées, ce qui remettrait en cause notre modèle social. Il n’en a évidemment jamais été question lors de la réforme de 2015 et il ne me semble pas que cela soit à l’ordre du jour. C’est donc hors sujet ! Je le dis, car, à l’imprécision, il ne faudrait pas ajouter des contrevérités.

Vous l’avez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi, d’autant que la France traverse une période difficile, dans un contexte sanitaire instable qui est venu encore fragiliser nos compatriotes les plus vulnérables, notamment les enfants mineurs de familles monoparentales, dont 40 % vivent au-dessous du seuil de pauvreté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Olivier Henno tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales repose sur la thèse selon laquelle leur modulation, introduite en 2015, a précipité la baisse des naissances dans notre pays.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a, je le rappelle, posé le principe d’une modulation des allocations familiales, des majorations pour âge et de l’allocation forfaitaire en fonction des ressources du ménage.

Cette réforme, souhaitée par le gouvernement d’Alain Juppé, par celui de Lionel Jospin, et mise en œuvre par celui de Manuel Valls, a été menée dans un souci assumé de maîtrise des dépenses publiques, alors que les comptes de la branche famille de la sécurité sociale étaient déficitaires.

Concrètement, cette réforme fait porter sur les familles les plus aisées un effort de solidarité en divisant par deux le montant des allocations familiales qui leur sont versées lorsqu’elles perçoivent des revenus supérieurs à 6 000 euros par mois ou par quatre lorsque leurs revenus dépassent 8 000 euros. En 2016, environ 450 000 familles étaient concernées, soit moins de 10 % du nombre total d’allocataires.

Permettez-moi, dans le peu de temps qui m’est accordé, de revenir sur certains des arguments qui ont été avancés par notre rapporteur.

Le premier d’entre eux revient à confondre, à mon sens, causalité et corrélation.

Il est vrai que la France enregistre depuis quelques années une baisse de sa natalité. En 2014, elle comptait 818 000 bébés ; en 2019, on en dénombrait 753 000, soit une baisse de 8 %. Peut-on affirmer pour autant que la réforme des allocations familiales en est l’une des causes principales ? À vrai dire, nul ne le sait.

Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’ensemble des pays de l’OCDE connaissent une baisse de leur natalité. La France, qui avait fait longtemps figure d’exception, n’échappe plus à la règle. Elle demeure pourtant, avec 1,8 enfant par femme, contre 1,56 enfant en moyenne, à la première place des pays européens.

Le second argument consiste à dire que la modulation des allocations familiales est une remise en cause des principes d’universalité et de solidarité.

Mes chers collègues, entendons-nous bien : il s’agit non pas de remettre en cause le caractère universel des allocations, mais bien de fixer un principe de répartition. Au-delà du fait que l’ensemble des prestations liées à la politique familiale fonctionnent selon ce principe, c’est justement parce que cette mesure d’économie repose uniquement sur les foyers les plus aisés qu’elle a un sens.

En 2019, les familles monoparentales représentaient près d’un quart des familles avec enfants. Elles sont, vous le savez, plus souvent en situation de précarité que les autres. Dans la majorité des cas, le parent seul est une femme. Par ailleurs, 40 % des enfants mineurs élevés dans ces familles vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire. Comment accepter, dans ce contexte, que les 830 millions d’euros que coûterait ce retour en arrière bénéficient uniquement aux familles les plus aisées ?

Comment expliquer demain à nos concitoyens qu’une famille dont les parents gagnent le SMIC percevra le même montant qu’une famille de cadres, alors même que celle-ci bénéficie déjà largement de notre politique familiale ?

Ce constat, que nous sommes nombreux à partager dans ce pays, ne signifie pas pour autant que la situation actuelle est satisfaisante.

Beaucoup pourrait être fait pour rendre les allocations familiales plus justes, qu’il s’agisse d’en modifier les seuils ou de renforcer le soutien aux familles monoparentales, mais cela fera peut-être l’objet d’un prochain débat.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nos priorités étant différentes, notre groupe votera résolument contre cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Bruno Belin applaudit également.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà deux siècles, Malthus nous disait en substance qu’il fallait restreindre la croissance démographique d’une nation pour ne pas mettre en péril son avenir. Nous savons aujourd’hui qu’une population nombreuse est l’une des conditions de la puissance.

La période révolutionnaire et napoléonienne nous a démontré très tôt que le nombre faisait bien souvent la force. La démographie dynamique de la France a longtemps nourri sa puissance, sans d’ailleurs que des allocations soient alors distribuées. Mais celle-ci s’est émoussée !

Plusieurs initiatives privées ont débouché sur la mise en place d’allocations destinées aux parents au sortir de la Première Guerre mondiale, mais c’est le gouvernement d’André Tardieu qui a le premier mené une politique familiale volontariste, avec la loi du 11 mars 1932.

L’objectif visé par le versement d’allocations familiales est de contribuer au renouvellement des générations par une politique de soutien à la natalité et de maintenir le niveau de vie des familles. Cela explique que ces allocations aient longtemps été décorrélées des ressources des parents.

Le gouvernement de Manuel Valls a réussi là où celui de Lionel Jospin avait échoué, en parvenant à faire adopter la modulation du montant des allocations familiales en fonction des revenus des parents. La politique nataliste s’est alors teintée de justice sociale.

Notre collègue Olivier Henno, rapporteur et auteur du texte, nous invite à revenir sur cette corrélation, pour que le montant des allocations familiales ne soit plus lié aux ressources des bénéficiaires.

Si nous sommes tous attachés à la politique familiale menée par la France depuis plusieurs décennies, beaucoup, en revanche, sont partagés sur le sujet de cette décorrélation. Nombreuses, monoparentales ou recomposées, les familles françaises ont beaucoup évolué durant ces soixante-dix dernières années.

Les ménages ont ainsi vu leur taille moyenne se réduire de près d’une personne. Ce changement est dû à plusieurs facteurs : augmentation des séparations et développement de la monoparentalité, baisse du nombre moyen d’enfants par famille, vieillissement de la population, augmentation du nombre de personnes vivant seules. Sur la question qui nous intéresse aujourd’hui, il est important de tenir compte de l’augmentation du nombre de familles monoparentales et du risque de précarité associé à cette situation.

Les deux positions peuvent se justifier.

D’un côté, la politique familiale ne vise pas, a priori, un objectif de justice sociale. Elle a pour vocation non pas de corriger une différence de revenus, mais bien d’encourager à avoir des enfants. Les allocations devraient donc être fonction des enfants et non pas des ressources.

D’un autre côté, il peut apparaître tout à fait légitime de ne pas revenir sur la modulation des allocations en fonction des revenus. La valeur incitative de leur montant se justifie difficilement pour les parents ayant des revenus élevés.

À titre personnel, j’ai déposé deux amendements sur ce texte.

Le premier a pour objet d’intégrer ces allocations dans l’assiette de l’impôt sur le revenu. Il me semble cohérent que celles-ci soient traitées comme des revenus.

Mon second amendement a été jugé contraire à l’article 40 de la Constitution par la commission. Il visait à permettre le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Le seuil de deux enfants encourage en effet les familles à atteindre, si ce n’est à dépasser, le seuil fatidique du renouvellement de la population, à savoir 2,1 enfants par femme. Il me semble néanmoins que cette incitation ne justifie pas qu’aucune allocation familiale ne soit versée pour le premier enfant.

Je note d’ailleurs que les fonctionnaires ont droit au supplément familial de traitement dès leur premier enfant. Je constate également que les allocations familiales sont versées dès le premier enfant dans l’intégralité des autres pays de l’Union européenne, ainsi qu’au Royaume-Uni.

À l’heure où la population européenne vieillit, il nous faut continuer d’inciter nos concitoyens à avoir des enfants. Si nous ne voulons pas voir notre population décroître, et notre puissance avec elle, nous devons surtout donner aux Français des raisons de croire que demain sera mieux qu’aujourd’hui.

Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront selon leurs convictions.

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit, notamment sur la chute drastique de la natalité. Pourtant, le désir d’enfant est toujours là, constant, puisqu’en 2020, comme en 2010, les Français aspirent à avoir 2,39 enfants par famille.

Récemment, le Haut-Commissariat au plan a énoncé clairement que la politique familiale avait vocation à soutenir la natalité, tout en relevant que l’orientation générale des décisions prises ces dernières années n’avait pas été dans ce sens.

Selon une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED), publiée en novembre 2021, « les politiques familiales et les conditions économiques conjoncturelles jouent un rôle majeur sur les niveaux de fécondité ».

Depuis 2013, la politique familiale a été détricotée. Le mouvement, engagé lors du quinquennat de François Hollande, n’a pas été corrigé avec l’arrivée d’une nouvelle majorité, même si le Président de la République, en avril 2019, a donné à la famille le statut de « permanence » de la société et a indiqué vouloir rétablir « la force d’une politique familiale ».

Ce détricotage s’est opéré sous l’effet de deux mouvements de transfert.

Tout d’abord, on est passé de prestations universelles à des prestations ciblées, majoritairement délivrées sous conditions de ressources. Le quotient familial a été abaissé en 2013, puis encore en 2014. Cette même année, les allocations familiales ont été modulées et le seuil d’attribution de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) a été modifié. Il s’agissait de mesures de restriction financière et non de mesures de redistribution : il n’y a pas eu plus d’argent pour les familles les plus modestes ; il y en a juste eu moins pour les familles moins modestes ou aisées.

Ces changements ont eu un effet sensible sur les familles affectées. Ainsi, l’Union nationale des associations familiales (UNAF) a chiffré les pertes que la modulation des allocations familiales a entraînées pour les familles de trois enfants à 34 000 euros pour le premier plafond et à 51 000 euros pour le second plafond. Avec la modulation, on a demandé un effort aux familles aisées ayant des enfants, mais non aux célibataires aisés ou aux couples n’ayant pas ou plus d’enfants à charge ; cela confirme le caractère strictement budgétaire de la mesure.

La branche famille est excédentaire : elle sert à financer des déficits créés ailleurs. D’ailleurs, en novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, le Sénat a supprimé le transfert d’un milliard d’euros de la branche famille vers la branche maladie ; il entendait ainsi dénoncer le manque de mesures prises par ce gouvernement durant cinq ans en faveur de la famille. Une véritable politique familiale consisterait à revaloriser les prestations à leur juste niveau !

Le second transfert ayant contribué à ce détricotage est une modification de la nature de ces dépenses : alors qu’elles relevaient de la politique familiale, elles sont essentiellement devenues des dépenses de politique sociale. On peut en prendre pour exemple la hausse de 138 euros par mois de l’allocation pour garde d’enfants pour les familles monoparentales déshérités, la création de places en crèche soutenue uniquement dans les quartiers défavorisés, ou encore les repas à un euro à la cantine.

Cette confusion apparaissait d’ailleurs clairement, monsieur le secrétaire d’État, dans le discours que vous avez prononcé en octobre dernier devant la Conférence de la famille…

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Des familles !

Mme Christine Lavarde. Vous avez raison : la Conférence des familles, la première à s’être réunie depuis quinze ans. Mais vous venez aussi de réaffirmer cette position, en déclarant que vous ne partagiez ni la démarche ni l’esprit de cette proposition de loi.

Pour autant, nous estimons pour notre part que cette proposition de loi permet d’ouvrir un débat sur la définition d’une véritable politique familiale, au-delà de la seule question de la redistribution. En novembre 2017, Olivier Véran, qui était alors rapporteur général du budget de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale, constatait l’existence d’une vingtaine de prestations familiales entre lesquelles personne ne se retrouve : voilà ce qu’il faut être capable d’analyser dans un ensemble, au-delà du débat sur l’universalité des prestations.

Le constat a été posé, mais rien n’a été fait depuis lors pour simplifier. Une politique familiale efficace repose sur une diversité d’outils – compensations de charges ou encore aides spécifiques –, qui offrent des réponses adaptées à chaque famille, quels que soient sa composition et son lieu de vie, et qui ne s’arrêtent pas aux 20 ans de l’enfant. La joie, mais aussi les contraintes et les responsabilités liées à l’accueil d’un enfant ne dépendent pas du niveau des revenus, et chacun connaît l’adage : « petits enfants, petits soucis ; grands enfants, grands soucis ».

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je confirme !

Mme Christine Lavarde. Quelles solutions permettraient de favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes par l’aide apportée aux familles ? Comment supprimer ces effets de seuil injustes et incohérents, si pénalisants pour le travail des femmes ? Au-delà de la petite enfance, quelles pratiques de conciliation peuvent être promues tout au long de la vie pour favoriser l’exercice des solidarités familiales ? Comment permettre à toutes les familles d’offrir un logement décent et des possibilités d’études à leurs enfants ? Beaucoup de sujets sont ouverts. Qu’inscrira-t-on dans la prochaine convention d’objectifs et de gestion de la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales) ? Quelle forme prendra le futur service public de la petite enfance, que vous appelez de vos vœux, monsieur le secrétaire d’État ?

Le déclin démographique de la France obère l’avenir, car l’équilibre de notre régime de retraite dépend non pas uniquement de l’augmentation de la durée des cotisations, mais aussi du nombre de cotisants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier notre collègue Olivier Henno d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi.

L’abandon régulier et progressif de l’universalité des allocations familiales, entamé depuis plusieurs années, mais érigé en principe en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, et poursuivi sous celui d’Emmanuel Macron me semble être une triple erreur.

C’en est une, bien sûr, parce qu’il s’agit d’un détournement des principes fondamentaux de la sécurité sociale selon lesquels, à revenu égal, les familles ayant charge d’enfants voient en partie compensés les coûts liés à leur éducation. L’idée, amorcée dès l’avant-guerre par certains patrons, consistait à verser, sur la base d’une rémunération égale pour un travail identique, ce qu’il était convenu d’appeler un sursalaire dont l’ouverture était exclusivement fondée sur la présence ou non d’enfants et non pas, bien évidemment, sur le revenu.

Mais je ne souhaite pas tant rappeler ce principe fondateur que réfléchir avec vous quelques instants sur l’erreur qui consiste à confondre politique familiale et politique d’assistance aux ménages les plus modestes : on court alors le risque d’assimiler les familles à des cas sociaux.

L’erreur première consiste donc, au fond, à ne voir dans l’aide aux familles qu’une seule branche de la sécurité sociale, en oubliant que la politique familiale ne constitue pas une dépense de fonctionnement récurrente comme la maladie ou la vieillesse : la famille ne relève pas d’une logique assurantielle, car elle ne constitue pas un risque à couvrir ; bien au contraire, elle relève d’un investissement. En cela, elle participe de la pérennité de la société, de notre dynamisme démographique et économique, ainsi que de notre rayonnement culturel.

La vitalité démographique conditionne bien sûr la solidarité entre les générations, comme en témoigne l’explosif dossier des retraites : je ne puis que déplorer que les excédents réguliers de la branche famille, en partie dus à la réduction des bénéficiaires, soient systématiquement détournés de leur objet pour financer d’autres branches.

Je rappelle que la modulation imposée aux familles en 2015 n’a réduit les inégalités qu’à la marge et a pénalisé les familles les plus nombreuses du fait d’un dispositif de lissage très limité. Ainsi, un faible supplément de ressources conduit à une forte diminution des allocations, l’effet de seuil se révélant très élevé, particulièrement pour les familles nombreuses.

La seconde erreur a trait aux effets de seuil de revenus, qui ont pour conséquence de décourager certaines femmes de reprendre une activité professionnelle. Je pense plus particulièrement aux familles les plus modestes, où l’effet de seuil conduit les femmes à se dire que, tout bien compté, il vaut mieux rester à la maison que reprendre un travail.

Enfin, au risque de m’attirer les foudres d’une partie de l’assemblée, je ne vois pas pourquoi nous devrions offrir des prestations à des familles qui n’assument pas leurs responsabilités éducatives… (Protestations sur les travées du groupe SER.) Je m’attendais à ces cris et je m’en réjouis ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)

Les allocations familiales – si vous voulez bien encore m’écouter trente secondes, mes chers collègues – ne doivent pas être considérées comme un droit à la solidarité de la Nation que l’on détient sans contrepartie : doit y répondre la responsabilité des familles. Effectivement, mes chers collègues, si vous confondez une politique d’assistance aux revenus les plus modestes avec les prestations familiales, il faut verser des prestations familiales à tout le monde ; si vous considérez en revanche qu’il y a contrepartie, la question mérite d’être posée.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez tenté – en tout cas, vous ne m’avez pas convaincu – de nous expliquer que pendant cinq ans vous aviez tout fait très bien ; ce que je constate simplement, c’est que les excédents de la branche famille ont été détournés de leur finalité alors que vous auriez pu à tout le moins les affecter à une revalorisation desdites prestations.

C’est pourquoi, chers collègues, je voterai sans réserve ce texte qui vise à revenir à la philosophie première et à la vocation initiale des allocations familiales d’accompagnement à l’éducation, de soutien à notre démographie et de solidarité envers les familles qui font le choix d’avoir des enfants, sans lesquels aucun pays n’a d’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à renforcer l’universalité des allocations familiales

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'universalité des allocations familiales
Article 2

Article 1er

I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Les troisième, cinquième et dernier alinéas de l’article L. 521-1 sont supprimés ;

2° Le second alinéa de l’article L. 755-12 est supprimé.

II. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard un an après la promulgation de la présente loi.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, sur l’article.

M. Stéphane Demilly. À la lecture de l’exposé des motifs de cette proposition de loi de mon collègue et ami Olivier Henno, je me suis posé quatre questions. Premièrement, y a-t-il vraiment un problème de natalité en France ? Deuxièmement, le montant des allocations familiales est-il de nature à influencer le taux de fécondité ? Troisièmement, faut-il une politique égalitaire ou une politique équitable ? Quatrièmement, enfin, le système de protection sociale peut-il se permettre une dépense supplémentaire ?

En réponse, j’ai fait les constats suivants. Tout d’abord, notre taux de fécondité, qui s’élevait à 1,87 en 2020, est le meilleur d’Europe. Cela s’explique par le fait que notre pays a su intégrer le fait familial dans les besoins quotidiens des familles : je pense au travail à temps partiel, aux cantines dans les écoles, au développement des crèches, aux aides pour les vacances, ou encore à l’évolution de notre droit du travail.

C’est bien la conciliation entre la vie professionnelle, la vie familiale et la vie sociale qui permet aux familles de réaliser leur désir d’enfant ; d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le gouvernement allemand s’est inspiré avec succès de notre modèle.

Il me paraît donc trop rapide de déduire d’un rétablissement des allocations familiales pour les familles aisées une incidence positive sur le taux de fécondité en France. Victor Hugo nous rappelait dans Les Misérables que la première égalité est l’équité ; de la même façon, notre pays a opté pour le principe de redistribution verticale, de manière à promouvoir une plus grande justice sociale. Un retour à l’universalité des allocations familiales marquerait un changement de cap à contre-courant de l’histoire du modèle social.

Enfin, cette mesure ne se contenterait pas de renforcer un sentiment d’injustice sociale déjà grandissant : notre système de protection sociale, déjà déficitaire de plus de 38 milliards d’euros, dont 2 milliards pour la CNAF, n’est tout simplement pas en mesure de digérer une nouvelle inflation de dépenses.

Dès lors, même si j’entends les arguments de nombre de Français qui ont le sentiment de donner sans jamais recevoir, je ne suis pas sûr à titre personnel que cette proposition soit des plus judicieuses, que ce soit d’un point de vue démographique, social, budgétaire, ou politique. C’est la raison pour laquelle je traduirai mon scepticisme en abstention.

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. « Une réforme de justice et de responsabilité » : voilà les mots employés en 2014 par un gouvernement socialiste et prétendument réformateur à propos de la modulation des allocations familiales. Juste et responsable, la remise en cause d’un principe fondateur de notre modèle de politique familiale ? Juste et responsable, la fin de la reconnaissance universelle de l’État à l’égard des Français qui font le choix de fonder une famille ? Juste et responsable, faire du foyer une variable d’ajustement budgétaire en le sacrifiant aux logiques comptables de réduction du déficit public ? Non !

Il n’était ni juste, ni responsable, ni équitable de moduler cette allocation en distinguant les enfants du seul fait de leur origine sociale. Postuler le contraire, c’est oublier que ce dispositif vieux de soixante-dix-sept ans a permis à la France de bénéficier d’une dynamique démographique puissante et a offert à des millions de Françaises les ressources nécessaires à la maternité.

La justice sociale a sa place ailleurs, notamment dans l’impôt, qui a une réelle fonction de redistribution et d’atténuation des inégalités de revenu. La solidarité, ce sont aussi les nombreuses prestations sociales, dont la vocation est notamment d’apporter une aide aux plus fragiles et aux plus modestes d’entre nous. Mais en aucun cas les allocations familiales, pierre angulaire de l’architecture française de la protection sociale, ne sauraient être équitablement, légitimement modulées.

Et pour cause : avoir renoncé à l’universalité de cette aide de la Nation à toutes les familles, c’est avoir ouvert une brèche : pourquoi dès lors ne pas moduler l’accès aux soins ou à l’enseignement public, ou encore le droit à une retraite pour tous, en fonction de conditions de ressources ? C’est l’esprit de la sécurité sociale lui-même qui est ébranlé lorsqu’on estime qu’un enfant né dans une famille prétendument aisée ne mérite plus de bénéficier de la solidarité nationale. Or si notre modèle social nous honore, c’est précisément parce qu’il est universel, parce qu’il embrasse toute la diversité des formes familiales.

Alors, contribuons à le sauvegarder en votant cette excellente proposition de loi de notre collègue Olivier Henno !

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, sur l’article.

Mme Martine Filleul. La Cour des comptes a révélé dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale que la prévalence de la pauvreté chez les couples avec un enfant est supérieure à celle qui est observée chez les couples sans enfant ou avec deux enfants.

Cela est d’autant plus vrai pour les familles monoparentales, qui constituent près d’un quart des familles françaises. La moitié d’entre elles ne compte qu’un seul enfant, contre 36 % pour les familles recomposées ou traditionnelles ; un tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. Rappelons que ces familles monoparentales sont à 85 % constituées de femmes élevant seules leurs enfants ; ceux-ci sont au total presque 3 millions ! Ce sont donc encore une fois les femmes qui sont les plus touchées par la précarité.

C’est pourquoi une réforme juste de l’allocation de soutien familial consisterait non pas à soutenir toutes les familles, quels que soient leurs revenus, ce qui conduirait à aider les familles aisées, mais plutôt à ouvrir le droit à cette aide dès le premier enfant, comme c’est d’ailleurs déjà le cas dans les départements d’outre-mer. Plusieurs pays européens ont fait ce choix : la Belgique, la Suède, le Danemark, ou encore très récemment l’Italie.

Cette mesure, demandée lors du grand débat national de 2019, figure dans ma proposition de loi pour une meilleure inclusion des familles monoparentales ; elle permettrait de soutenir notamment ces familles, ainsi que les femmes, si souvent chefs de famille : elles méritent toute notre solidarité, en particulier dans cette période de crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, sur l’article.

Mme Valérie Boyer. La politique familiale en France est un levier essentiel de nos politiques publiques, comme cela vient d’être rappelé. Cette politique soutient le dynamisme de notre économie et contribue à la pérennité du système de retraite par répartition. La France est ainsi devenue l’un des pays au monde où le taux d’activité des femmes est le plus élevé, sans que cela ait pour autant pénalisé la natalité.

Pourtant, le nombre de naissances s’est récemment effondré, passant de 818 000 en 2014 à 740 000 en 2020. La politique menée depuis 2012 a remis en cause les fondements de notre politique familiale : il n’est nul besoin de le nier, le Haut-Commissariat au plan le dit lui-même. Comme la politique familiale soutient la natalité, celle-ci a été mise à mal. Cette politique ne peut plus continuer d’être la variable d’ajustement de nos politiques sociales !

En matière de politique familiale, Emmanuel Macron, malheureusement, est bien le fils spirituel de François Hollande. Alors que le taux de natalité est en baisse constante, le Gouvernement a poursuivi une politique qui pénalise les familles : baisse du montant de la prestation d’accueil du jeune enfant, baisse de son plafond et de la prime de naissance, désindexation des prestations familiales en 2019 et 2020, ou encore refus de rétablir l’universalité des allocations familiales et de rehausser le plafond du quotient familial mis à mal par François Hollande ; enfin, la logique comptable adoptée pour la gestion de la branche famille brise le pacte social.

S’en prendre à la famille, c’est aussi s’en prendre à l’avenir de nos enfants et de notre pays, c’est aussi faire une violence aux femmes d’aujourd’hui. En effet, les jeunes femmes se trouvent désormais face à un dilemme : elles doivent choisir entre travailler et avoir des enfants. Or quand ceux-ci ne sont pas assez bien accueillis, cela influe sur la décision d’avoir ou non des enfants, ou sur le nombre d’enfants que l’on souhaite. De fait, notre société n’est pas accueillante pour les jeunes mamans !

À l’inverse, l’universalité des allocations familiales repose sur l’idée que chaque enfant est une richesse pour notre pays et son avenir, et ce quelles que soient les ressources de ses parents. Pour autant, nous devrions également développer les modes de garde et aller plus loin encore pour remédier aux injustices qui brident la vie des femmes sur le plan professionnel. Augmentons le quotient familial de façon significative, osons des mesures sur les salaires de toutes les femmes qui ont un enfant et qui travaillent à temps plein ou à 80 %, par exemple en exonérant ce salaire des charges patronales, quel que soit son niveau, jusqu’aux 6 ans de l’enfant…

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Valérie Boyer. Jacques Chirac le disait : la famille est un pilier de notre société… (Exclamations dimpatience.)

M. le président. Madame Boyer, vous avez dépassé votre temps de parole de vingt secondes !

Mme Valérie Boyer. Pardonnez-moi, monsieur le président ; je ne m’en étais pas rendu compte ! (M. Pierre Louault applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.

M. Franck Menonville. Je me réjouis que notre assemblée se saisisse d’un sujet aussi important que celui-ci, sur l’initiative de notre collègue Olivier Henno.

Ce texte dénonce une rupture progressive de la philosophie qui prévalait lors de la mise en place de notre système de sécurité sociale par le Conseil national de la Résistance, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

Les allocations familiales étaient alors octroyées sans condition à toutes les familles ayant au moins deux enfants de moins de 20 ans à charge. L’universalité des allocations familiales a été détricotée en 2014, quand l’adoption d’un amendement au PLFSS pour 2015 a créé une modulation de l’allocation selon les revenus de la famille. Les montants octroyés aux familles dépassant certains seuils ont été divisés par deux, voire par quatre.

La transformation de ces aides montre que celles-ci sont désormais subordonnées à un besoin. Cette évolution constitue un réel affaiblissement de notre politique familiale. Il est donc opportun aujourd’hui de revenir à l’universalité des allocations familiales. (M. Pierre Louault applaudit.)

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Mélot, MM. Chasseing, Decool, Lagourgue, Capus, Médevielle, Wattebled, Guerriau et A. Marc, Mme Paoli-Gagin, M. Fialaire, Mme Duranton et MM. Gold et Delahaye, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - Au 2° de l’article 81 du code général des impôts, après les mots : « code de la sécurité sociale », sont insérés les mots : « à l’exception des allocations familiales ».

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Cet amendement a pour objet de supprimer l’exonération d’impôt sur le revenu dont bénéficient jusqu’à présent les allocations familiales, en les intégrant dans l’assiette de l’impôt sur le revenu.

Par cet amendement, nous n’entendons pas porter atteinte à l’universalité des allocations familiales, qui est tout à fait légitime pour une politique de natalité ; nous souhaitons rétablir une forme de justice sociale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement vise à assujettir à l’impôt sur le revenu les allocations familiales. Celles-ci, à l’instar de toutes les prestations familiales, ne sont aujourd’hui pas prises en compte dans le revenu imposable. Adopter cet amendement conduirait à imposer le montant de ces allocations selon le taux marginal d’imposition des ménages, qui augmente avec le revenu.

Cela va à l’encontre de l’objet de cette proposition de loi, qui vise à soutenir les familles sur le seul fondement du nombre d’enfants à charge. En outre, s’il était adopté, il réduirait le revenu disponible pour les familles aux revenus moyens, voire modestes, qui ne sont pas aujourd’hui concernées par la modulation, ce qui serait pour le moins paradoxal.

De fait, cet amendement ne tend pas à mener une politique familiale ambitieuse, ni même lisible, puisque le message envoyé serait contradictoire avec la fin de la modulation des allocations familiales.

L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Le découplage entre le niveau de revenu et le montant des allocations familiales a été mis en place par le gouvernement du général de Gaulle ; c’est ainsi que 73 % des familles comptant deux enfants ou plus bénéficiaient de cette prestation jusqu’en 2014. L’idée de mettre en place des conditions de ressources avait été proposée par Lionel Jospin en 1997, avant d’être adoptée en 2014, pour une économie de 760 millions d’euros.

Je soutiens l’idée de redonner aux allocations familiales leur caractère universel, mais à condition de les considérer comme des éléments de revenu soumis au barème de l’impôt. Une telle mesure avait été défendue par Raymond Barre en 1987 et par Alain Juppé en 1995.

En contrepartie de la fiscalisation des allocations familiales, je souhaite étendre à l’ensemble du territoire le versement des allocations familiales dès le premier enfant, mesure qui s’applique déjà dans les départements d’outre-mer.

L’universalité des allocations familiales me paraît être une mesure essentielle pour soutenir la natalité, compenser le coût de l’éducation des enfants pour l’ensemble des familles et favoriser la conciliation entre famille et travail.

Je voterai donc cet amendement, qui vise à concilier vocation universelle des allocations et justice sociale. En revanche, s’il n’était pas adopté, ce qui est possible, je m’abstiendrais sur l’ensemble du texte. (Mme Colette Mélot applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

(Non modifié)

Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 2
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a rédigé ainsi l’intitulé : proposition de loi tendant à renforcer l’universalité des allocations familiales.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'universalité des allocations familiales
 

8

Amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention

Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, le débat sur le thème : « L’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention. »

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle les règles de ce débat : le groupe Union Centriste disposera d’un temps de présentation de huit minutes, avant que s’expriment les orateurs de chaque groupe ; le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat sera limité à cinq minutes.

Enfin, le groupe auteur de la demande de débat disposera de cinq minutes pour le conclure.

Dans le débat, la parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’amélioration de la prise en charge du trouble du déficit de l’attention, qu’il s’accompagne ou non d’hyperactivité, tel est le sujet qui nous réunit ce soir dans l’hémicycle.

Le trouble du déficit de l’attention, abrégé en TDAH, présente au moins trois volets : déficit de l’attention, impulsivité et hyperactivité. Ces symptômes peuvent provoquer une souffrance durable au quotidien. Ce trouble peut aussi constituer un handicap invisible pour l’enfant ou l’adulte dans son apprentissage, ses relations sociales ou sa vie professionnelle.

Force est de constater que ce trouble, pourtant fréquent, est méconnu, très mal reconnu et sous-diagnostiqué. Il concerne environ 5 % des enfants, puis 2,5 % de la population adulte, soit environ 2 millions de nos compatriotes. La France connaît un retard significatif en matière de diagnostic et d’accompagnement des personnes qui en souffrent.

Par ailleurs, les signes évocateurs du TDAH peuvent être semblables à ceux des troubles anxieux ou de la précocité intellectuelle. Aussi, le TDAH est souvent associé à d’autres troubles « dys », tels que la dyslexie ou encore le syndrome des jambes sans repos, ce qui rend particulièrement complexe le diagnostic et induit parfois une certaine errance médicale.

Ces réalités m’ont incitée à déposer une proposition de loi visant à améliorer le dépistage de ce trouble, à prendre en compte sa singularité et à faciliter sa prise en charge grâce à une meilleure formation des professionnels de santé et d’éducation, ainsi que par une systématisation des consultations pour les enfants concernés.

Selon un proverbe chinois, mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ! Notre collègue Annick Jacquemet, à qui j’adresse mes sincères remerciements pour son engagement sans faille, a réalisé dans un délai très court des auditions de qualité.

Selon certaines associations, la concertation sur ce sujet à la fois complexe et sensible n’aurait pas été assez large ni assez précoce. Je peux comprendre leur position. Néanmoins, je suis surprise d’une certaine concurrence entre associations. Comme l’a si bien dit Simone Veil, « aussi longtemps qu’on s’entend, qu’on partage, on vit ensemble ». Non seulement on vit ensemble, mais on avance aussi ensemble !

Je salue la décision du groupe Union Centriste de transformer l’examen de ce texte en débat. Cette volonté de discussion est une note d’espoir, l’objectif étant que la situation de nombreuses familles s’améliore enfin. Le dépôt de ce texte n’a pas été inutile, puisque nous parlons du TDAH au Sénat ; je suis persuadée que nous en parlerons désormais de plus en plus.

Je tiens à rappeler les répercussions de ce trouble dans les sphères familiale, scolaire et sociale.

Commençons par la sphère familiale. En raison de son omniprésence dans la vie de l’individu concerné, son entourage se retrouve lui aussi affecté. Les parents sont au premier chef frappés par la souffrance de leur enfant et le regard que les autres portent sur lui.

« L’enfer, c’est les autres », pour reprendre la fameuse phrase de Jean-Paul Sartre. Ces regards extérieurs perçoivent l’enfant comme étant mal élevé en raison de son comportement, ne parvenant pas à appréhender d’emblée le fonctionnement d’un cerveau atypique.

Le diagnostic apparaît alors comme un soulagement pour les parents, mais ils doivent ensuite entreprendre un parcours du combattant. Il est difficile de tout concilier : le travail, les rendez-vous avec l’école, les soins et leur gestion au quotidien. Ces parents sont obligés de travailler à temps partiel, voire de renoncer à leur vie professionnelle pour s’occuper de leurs enfants. Cette situation creuse les inégalités sociales.

Dans la sphère scolaire aussi, l’enfant rencontre des difficultés : anxiété, dépression, harcèlement, décrochage, phobie, vomissement, fatigue, pleurs, stress, crises d’angoisse avant et après la classe. Ces nombreux freins ne lui permettent souvent pas d’avoir une scolarité réussie. En général, les parents dialoguent avec les enseignants, les informent du diagnostic de leur enfant, ainsi que de ses différents symptômes. Malgré ces efforts de part et d’autre, l’inclusion scolaire n’est pas toujours effective sur le terrain. Les demandes des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ne sont que partiellement acceptées, faute de réels moyens alloués à l’intégration des élèves ayant des besoins spécifiques.

En outre, la scolarisation de ces enfants dans une structure spécialisée ou une école privée n’est pas financièrement possible pour tous les parents, ce qui met en péril le principe d’égalité des chances.

Enfin, dans la sphère sociale, nombreux sont les risques liés à la non-prise en charge de ces enfants : on relève des risques plus élevés d’alcoolisme, d’addiction, de dépendance, de délinquance et de suicide. Il semblerait qu’il y ait chez les adultes souffrant de TDAH davantage de suspensions de permis de conduire, d’accidents et d’arrestations. On observe chez eux un risque d’addiction deux à trois fois plus important. Selon certaines études internationales, la prévalence du TDAH dans la population carcérale s’élèverait à 26 %.

Malheureusement, dans la majorité des cas, le diagnostic n’a été établi ni durant l’enfance ni durant l’adolescence. Cela a des conséquences négatives sur la vie professionnelle : arrêts de travail plus fréquents, dépression, chômage répété.

En ce qui concerne le parcours de soins, il s’agit d’abord de mesures psychologiques, éducatives et sociales. Si celles-ci ne suffisent pas, un traitement médicamenteux peut être prescrit par certains spécialistes. Bien évidemment, je m’inscris dans la mouvance qui s’efforce d’éviter l’exemple américain et le recours massif aux médicaments.

Le TDAH reste le parent pauvre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement (TND) lancée par le Gouvernement en 2018. La réalité est décevante. Il semble que le TDAH n’ait été que tardivement inclus dans cette stratégie, sur un même pied que les autres troubles. Il s’avère aussi que les actions de ce plan ne suffisent pas.

Les plateformes de coordination et d’orientation (PCO) dédiées aux enfants de 7 à 12 ans ne sont pas encore opérationnelles, la circulaire interministérielle les concernant n’ayant été publiée qu’en septembre dernier.

Je regrette que tant d’années soient perdues pour les familles. Combien de temps auront-elles été abandonnées à leur propre sort ? Ce n’est plus admissible !

Les délais moyens d’attente dans les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) ou les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) peuvent dépasser une année, voire plus. Par conséquent, les familles sont parfois contraintes de supporter les frais du suivi pluridisciplinaire et hebdomadaire afin de procurer à leur enfant un accompagnement immédiat. Cela pèse lourdement sur leur budget et les oblige à réduire la fréquence des soins et des autres mesures d’accompagnement.

Vous l’aurez compris, la méconnaissance de ce trouble entraîne un retard de diagnostic, un retard d’accès aux soins et une prise en charge non adaptée. Ces retards de prise en charge peuvent conduire à une aggravation des conséquences psychologiques, scolaires et sociales, ainsi qu’à l’installation de troubles associés.

Il existe des inégalités territoriales d’accès aux spécialistes afin d’établir un diagnostic formel de ce trouble. La formation des professionnels de santé au TDAH est encore insuffisante. Pour une prise en charge efficace du trouble, il faut repérer, diagnostiquer et intervenir précocement, diffuser les connaissances en formant les acteurs de première ligne et favoriser l’inclusion scolaire, ainsi que la guidance familiale.

C’est pourquoi je propose une formation continue des enseignants, une formation plus complète des professionnels de santé et une amélioration de l’accès aux soins par un dépistage précoce et systématique des enfants concernés afin de mieux prendre en considération ce handicap invisible. Une fois le trouble repéré, l’accès aux équipes pluridisciplinaires dans des délais acceptables est nécessaire afin de permettre une égalité des chances pour chaque patient.

Mes chers collègues, les enfants TDAH mieux identifiés, mieux accompagnés seraient des adultes plus épanouis dans notre société et moins dépendants de notre système social. Il est anormal qu’en France ces enfants soient mis de côté parce qu’ils ne sont pas dans la norme.

Ce débat est une réelle occasion d’aboutir à la reconnaissance du TDAH, pour que nos enfants puissent enfin être considérés et intégrés dans une société inclusive, telle que l’a définie Charles Gardou, « une société sans privilèges, sans exclusivités ni exclusions ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue tout d’abord le travail réalisé par nos deux collègues du groupe Union Centriste, à l’initiative de la proposition de loi visant à améliorer la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Lors de la réunion de la commission des affaires sociales du Sénat, les auteures ont estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour discuter de cette proposition de loi en séance publique et ont préféré la retirer de l’ordre du jour de nos travaux et la remplacer par ce débat.

Je souhaite que ce soit le début d’un travail législatif fructueux, car c’est une question de santé publique qui dépasse les clivages politiques. Les troubles du déficit de l’attention concerneraient 2 millions de personnes en France, dont 800 000 enfants, soit entre 3 % et 5 % des enfants de 6 ans à 14 ans, auxquels il convient d’ajouter les adultes, très peu diagnostiqués.

Un tiers des enfants TDAH présente des difficultés d’apprentissage, souvent associées à des troubles du langage. Près de 25 % des enfants TDAH rencontrent des difficultés à lire et à écrire. La prévalence de la dyslexie est plus fréquente – 25 % – que dans la population générale – 6 %. La mémoire de travail leur fait défaut pour résoudre les problèmes, apprendre ce qui est dit en cours ou encore prendre des notes. Toute activité qui demande un certain type de planification leur pose problème. Cette lenteur pour traiter les informations est un handicap dans le domaine scolaire comme dans leur vie personnelle.

Malheureusement, les enfants concernés par ce trouble du neuro-développement pâtissent d’un déficit de prise en charge par une équipe pluridisciplinaire, à l’hôpital comme en libéral. La pénurie de professionnels, notamment d’orthophonistes, retarde l’établissement d’un diagnostic, hypothéquant une prise en charge précoce. Madame la secrétaire d’État, je réitère l’exigence de supprimer le numerus clausus pour les orthophonistes, appelé pudiquement « quota » !

Les centres médico-psychologiques comme les centres médico-psycho-pédagogiques ne sont pas davantage en capacité d’organiser les actions de prévention, de diagnostic et de soins par manque de moyens financiers et humains. La pédopsychiatrie est sinistrée, on ne cesse de la dire, mais rien ne se passe !

En outre, à l’instar des groupements hospitaliers de territoire (GHT), ces centres connaissent eux aussi des fusions, ce qui éloigne les populations des lieux de soins et ne raccourcit pas les délais d’attente, tant s’en faut.

S’il est nécessaire de mettre en place non seulement des rééducations en orthophonie, en psychomotricité ou encore en ergothérapie, souvent également des psychothérapies, il faut aussi renforcer la formation des équipes enseignantes et des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) sur les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Je profite de ce débat pour me faire l’écho du mal-être de ces AESH, qui se mobilisent pour de meilleures conditions de travail et de salaire. Comme vous le savez, il s’agit majoritairement de femmes en grande précarité, qui subissent des contrats à durée déterminée pendant des années, ce qui a pour première conséquence des salaires particulièrement bas – je parle ici de 800 euros. À ces salaires de misère s’ajoute une dégradation de la qualité du suivi des enfants, puisque, depuis l’instauration des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), les AESH accompagnent de plus en plus d’élèves !

Madame la secrétaire d’État, avez-vous l’intention de revaloriser ce métier et d’accorder le statut de fonctionnaire aux AESH qui exercent leur métier depuis des années ?

J’en viens à la prise en charge des dépenses de santé. Le 21 mai dernier, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a adopté, à l’unanimité, une motion appelant l’État à mieux prendre en compte les restes à charge que les personnes handicapées doivent acquitter.

Comme vous le savez, de nombreux frais amputent le pouvoir d’achat des TDAH, ainsi que celui de leurs familles, en dépit du respect des protocoles de soins. Nous considérons que les dépenses de santé doivent être prises en charge intégralement par l’assurance maladie afin de garantir l’accès aux soins, y compris pour ceux qui n’ont pas d’assurance santé. C’est vrai pour les enfants, mais également pour les adultes atteints de TDAH.

À ce propos, madame la secrétaire d’État, je souhaite vous sensibiliser à au moins deux des revendications de la Coordination nationale TDAH Adultes, le temps m’étant compté.

Êtes-vous prête à prendre des mesures permettant la reconnaissance du TDAH en affection longue durée ?

Êtes-vous prête à mettre en place une formation des professionnels de santé spécialisée dans le diagnostic et le traitement du TDAH de l’adulte, en particulier en psychiatrie, en addictologie, en milieu carcéral et en neurologie ?

En conclusion, madame la secrétaire d’État, il me semble essentiel de financer la recherche pour étudier les effets à long terme de l’utilisation de la Ritaline, traitement miracle pour certains et dangereux pour d’autres.

En tout cas, ce débat est important et je me réjouis qu’il ait lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. - Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je devais initialement être la rapporteure de la proposition de loi déposée par Jocelyne Guidez, mais son examen en séance publique a été remplacé par ce débat.

Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, j’ai reçu des messages de parents me racontant leur détresse, leurs difficultés au quotidien, leurs doutes aussi. J’ai été très touchée par ces fragments de vie, ces appels au secours, mais aussi ces témoignages de parents fiers d’accompagner leurs enfants, envers et contre toutes les difficultés.

Je conserve des auditions quelques convictions.

Le TDAH, que l’on réduit trop souvent à l’hyperactivité, est d’abord une importante source de mal-être. La HAS le qualifie de « souffrance au quotidien et inscrite dans la durée ». Il touche plus de 2 millions de personnes. On ne peut donc s’en désintéresser.

Cette souffrance est difficile à qualifier et à identifier. Les familles sont réticentes à parler de maladie ou de handicap, et on peut les comprendre. Ce n’est pas une maladie, puisqu’il n’en existe pas de signes neurologiques ou physiques : ses signes évocateurs sont semblables à ceux d’autres troubles, tels que ceux des troubles anxieux, de la précocité intellectuelle ou du spectre autistique.

Du reste, le TDAH est souvent associé à certains de ces troubles. Il s’agit plutôt d’une association de différents symptômes qui ne lui sont pas propres et qui n’appellent la qualification de TDAH que lorsqu’ils atteignent une certaine intensité entraînant des conséquences gênantes dans la vie quotidienne.

La qualification de handicap est également contestable, pour la même raison. D’ailleurs, d’un point de vue administratif, les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), par méconnaissance, refusent très souvent de le reconnaître.

Il en découle une première observation. Il se pourrait que nos mécanismes de protection sociale, conçus en termes de soins financés par l’assurance maladie ou de handicaps pris en charge par les circuits spécifiques de la politique de handicap, maintiennent certaines affections dans des angles morts, desquels nous devrions chercher à les extraire.

Certes, ce trouble peut être traité, on peut apprendre à vivre avec, mais il faut voir comment et entendre, à cette fin, des psychiatres, des neuroscientifiques et des associations, comme je l’ai fait. On s’aperçoit alors que le TDAH constitue aussi, à son échelle, un enjeu de santé publique.

On observe chez les adultes TDAH un risque d’addiction deux à trois fois plus important. Les addictologues formés à la clinique du TDAH diagnostiquent ce trouble chez 20 % de leurs patients et, dans 95 % des cas, le diagnostic n’avait jamais été établi antérieurement. Selon certaines études internationales, la prévalence du TDAH dans la population carcérale s’élèverait à 26 %.

Repérer et traiter précocement est un impératif à titre individuel, mais aussi collectif. Mes chers collègues, certains d’entre vous se souviennent peut-être qu’un dépistage systématique des troubles du comportement chez les enfants avait été envisagé voilà une quinzaine d’années par le président Sarkozy, sur la base d’un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Cela avait à l’époque suscité des réticences, car il s’agissait manifestement d’un outil de lutte contre la délinquance. Toutefois, on peut parfaitement considérer cet impératif sous un angle strictement sanitaire. C’était d’ailleurs ce que prévoyait Jocelyne Guidez dans sa proposition de loi, qui créait dans le code de la santé publique de nouvelles consultations systématiques obligatoires pour les enfants.

Par ailleurs, et c’est la deuxième observation, nous avons des marges de progression en matière de repérage et de prise en charge précoce. Les exploiter pourrait avoir des conséquences favorables sur le comportement social des jeunes.

Le TDAH reste très mal connu d’une manière générale, et, curieusement, par les professionnels de santé eux-mêmes.

Où qu’en soit la recherche, l’expression « retard français » en matière de diagnostic et d’accompagnement revient très souvent dans le discours associatif et scientifique.

Certes, le Gouvernement a doté la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement de mesures importantes et je ne doute pas que vous saurez nous les détailler, madame la secrétaire d’État. Je songe, d’une part, à la création d’un parcours de prise en charge et d’autre part, à la solvabilisation des familles par la création d’un forfait d’intervention précoce.

On peut toutefois douter que ces actions suffisent.

D’abord, il semble que le TDAH n’ait été inclus dans la stratégie à l’égal des autres troubles que tardivement, au point que les associations contestent encore que le livret de repérage pour les plateformes 7-12 ans leur soit adapté.

Ensuite, toutes les actions du plan ne produiront pas leurs effets immédiatement. Les plateformes 7-12 ans, par exemple, ne sont pas encore opérationnelles, la circulaire interministérielle qui les concerne n’ayant étant publiée qu’au mois de septembre dernier.

Enfin, même s’il a été doté d’environ 350 millions d’euros depuis 2018, ce plan a ses limites. Le forfait d’intervention précoce ne dure qu’un an et n’est renouvelable qu’une fois. Le conventionnement avec les professionnels est limité à trois professions. Il appuie enfin ses efforts de coordination sur les ressources existantes : par exemple, les plateformes de coordination et d’orientation sont notamment assises sur les centres d’action médico-sociale précoce ou les centres médico-psycho-pédagogiques. Or, selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2018, les délais moyens d’attente sont de quatre mois pour les CAMSP et de sept mois pour les CMPP, mais peuvent dépasser une année, voire plus.

En conséquence, les parents impuissants devant les symptômes de leur enfant et leurs conséquences dramatiques sur son éducation se trouvent dans une errance diagnostique. Ils vont ainsi, ballottés entre des écoles inadaptées et des médecins convaincus que leur enfant n’est que mal élevé, et, lorsqu’ils trouvent des spécialistes souvent éloignés, ils y consacrent plusieurs centaines d’euros par mois, non remboursés.

Une telle situation accroît les inégalités d’accès aux soins qui existent déjà, car seules les familles aisées peuvent offrir à leurs enfants l’accompagnement dont ils ont besoin. Ce n’est pas acceptable.

Il faut donc aller plus loin encore.

J’en viens à la formation. Au mois de novembre 2021, la HAS a identifié la formation des professionnels comme étant le premier enjeu d’une meilleure prise en charge de ces troubles. Avec la stratégie nationale, des efforts intéressants ont été engagés, mais il faut être plus systématique.

Tel était l’objet des deux premiers articles de la proposition de loi, qui précisaient les obligations de formation initiale et continue du personnel enseignant et des professionnels de santé.

En matière de connaissances, la diffusion du savoir théorique et pratique relatif à chacun des troubles du neuro-développement devra tendre vers l’homogénéisation. La stratégie nationale a prévu la création d’un groupement d’intérêt scientifique et de cinq centres d’excellence, ainsi que le développement de réseaux d’excellence et de collaborations internationales. Il faudra veiller à ce que le TDAH y soit bien pris en compte.

Pour ce qui est de la scolarisation, l’autorégulation déployée dans une trentaine d’écoles donne d’excellents résultats sur le profil des enfants TDAH. Les méthodes d’intervention utilisées fonctionnent sur tous les enfants atteints de troubles du neuro-développement et les groupes d’entraide mutuelle ont été ouverts aux autres troubles. Le chantier de l’adaptation du travail en classe et du respect des différences des enfants reste néanmoins largement ouvert.

Je souhaite en conclusion dire à toutes les associations que j’ai rencontrées, ainsi qu’à celles que je n’ai pas eu le temps d’auditionner, que nous restons mobilisés avec elles sur cette question si importante pour le bien-être de nos enfants et d’une part notable de nos concitoyens.

Madame la secrétaire d’État, je vous poserai quatre questions.

Comment permettre l’adaptabilité de notre protection sociale ? Nous avons su le faire pour la covid, nous devons désormais nous organiser pour ne plus laisser personne dans l’errance, quitte à nous améliorer au fil de l’eau.

Comment rendre les métiers qui entourent notamment les TDAH plus attractifs, pour qu’il existe une offre satisfaisante permettant un dépistage et un accompagnement ?

Comment s’assurer de la formation des personnels ?

Comment assurer aux familles la prise en charge de leurs frais par la solidarité nationale et ainsi garantir le respect du principe d’égalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est d’abord avec une pointe de regret que le groupe du RDSE a accueilli la transformation de l’examen de la proposition de loi en débat. Nous étions en effet convaincus de pouvoir faire bouger les lignes pour les 2 millions de personnes atteintes de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Le droit d’amendement et la navette parlementaire auraient pu permettre de faire évoluer le texte et de mieux répondre aux demandes des associations – le nombre important de sollicitations reçues ces derniers jours démontre l’intérêt fort pour ce sujet et le besoin de reconnaissance qui lui est associé.

Nous espérons donc que ce débat permettra de mettre en avant les nécessaires actions à entreprendre pour améliorer la prise en charge des personnes atteintes d’un trouble du déficit de l’attention, ce qui, dans un contexte de campagne présidentielle, ne peut être complètement inutile.

Ce trouble du neuro-développement se caractérise par trois symptômes principaux – l’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité –, mais ils regroupent une variété de situations et de comportements les rendant difficiles à diagnostiquer.

Peu connus et très mal reconnus, ils sont pourtant au deuxième rang des troubles en pédopsychiatrie, touchant 5 % des enfants et 2,5 % de la population générale. S’ils se caractérisent par des troubles du comportement, ils augmentent aussi significativement le risque d’accidents, d’arrestations et d’addictions. En plus de la question de la prise en charge d’un handicap viennent donc s’ajouter des questions de sécurité et de santé publique.

Malheureusement, comme dans beaucoup d’autres cas – je pense à l’autisme –, le constat d’un retard français est souvent partagé.

Je ne m’étendrai pas sur la nécessaire amélioration de la formation du personnel éducatif. Cette formation est de toute façon insuffisante, cela fait des années que tout le monde le dit. Si l’on veut rendre effective l’école inclusive – et je pense que c’est l’ambition de la quasi-totalité de l’échiquier politique –, on doit mettre le paquet sur la connaissance de tous les types de handicaps et sur les moyens de s’adapter au quotidien aux particularités de chaque élève.

Je m’étendrai en revanche sur l’amont, à savoir le diagnostic. On le sait, la précocité du repérage du TDAH est cruciale : un retard de diagnostic, donc de prise en charge, peut conduire à une aggravation des conséquences et à des répercussions délétères sur la vie entière : familiale, sociale, scolaire ou professionnelle.

La pose d’un diagnostic nécessite l’intervention de plusieurs professionnels de santé. Un forfait d’intervention précoce permet désormais de diminuer le reste à charge lors des consultations avec les psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes. Toutefois, ce forfait demeure insuffisant et marque surtout les difficultés d’accès à un accompagnement public gratuit par les centres d’action médico-sociale précoce et les centres médico-psycho-pédagogiques. Obtenir un rendez-vous peut relever du parcours du combattant et prendre plusieurs mois ; cette lenteur insupportable conduit certains à se tourner vers des diagnostics et des rééducations non remboursés.

En plus de renforcer les inégalités sociales, de nombreuses familles ne pouvant se payer le luxe d’un reste à charge, même minoré, cette réalité nous prive d’un service public de qualité, accessible à tous. Pourtant, dans le cas d’un trouble à la fois répandu et mal connu, il semble indispensable de recentrer le diagnostic sur une offre publique en quantité, mais surtout de qualité…

Cette réalité mérite en effet un point de vigilance : l’État doit reprendre la main sur le diagnostic et la prise en charge pour éviter toute surmédication. Si je mets bien sûr de côté les troubles graves qui peuvent nécessiter un soutien médicamenteux, pour les autres, la sensibilisation et l’accompagnement des parents peuvent représenter une partie de la solution. Je pense aux écrans, qui, on le sait, jouent un rôle croissant dans le développement des troubles du comportement. Un accompagnement éducatif dès les premiers troubles de l’attention peut permettre de freiner le développement des symptômes et éviter une prise en charge plus lourde par la suite.

L’enjeu est d’éviter de coller des étiquettes à de très jeunes enfants, quand la clé peut résider dans de simples ressources éducatives. L’État et les collectivités ont sur ce point un grand rôle à jouer au plus près des familles. C’est donc un appel à plus d’engagement de la part de nos services publics.

À l’heure où nous inventons la France de l’après-covid, une réflexion de fond sur notre système de santé doit encore et toujours être menée. Les patients, les associations et les professionnels ont des idées pour nous faire avancer ; c’est avec eux que le débat doit se faire désormais. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre d’un sujet majeur et pourtant largement méconnu, celui de la prise en charge de ces millions de Français qui souffrent d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Je ne vous cache que je suis triste ce soir : j’aurais aimé que nous avancions et légiférions enfin pour aider tous ceux qui sont aujourd’hui en attente d’un diagnostic, en attente de poser des mots sur ce trouble neuro-développemental qui les mine au quotidien.

Quel dommage de ne pas avoir profité de la proposition de loi de Jocelyne Guidez ! Certes, elle était imparfaite, mais nous aurions pu l’amender, pour aider toutes ces familles, dans le Calvados comme ailleurs, qui aimeraient que leur enfant soit pris en charge par des professionnels de santé spécialisés, qui aimeraient surtout que l’école soit plus douce, plus accueillante, bienveillante avec leur enfant trop souvent considéré comme un élément perturbateur, le mauvais élève, dissipé, celui qui n’écoute rien.

Oui, c’est triste, car, dans un pays comme la France, des familles emmènent chaque jour leur enfant à l’école avec la boule au ventre, avec l’espoir que tout se passe bien, qu’il n’y ait pas une énième punition, un énième mot dans le carnet, en espérant aussi que leur enfant ne soit pas laissé de côté, isolé, voire harcelé… En tant que parlementaires, nous avons tous reçu, notamment par mail, les témoignages de familles ou de personnes directement concernées qui attendaient tant de l’examen d’une proposition de loi spécifiquement consacrée au TDAH. C’est un rendez-vous manqué et je le regrette !

Combien de personnes sont concernées ? On estime que ce handicap touche entre 3 % et 5 % des enfants d’âge scolaire, auxquels il convient d’ajouter les adultes, encore trop peu diagnostiqués.

Certes, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis la reconnaissance de ce trouble en tant que handicap. Cependant, beaucoup reste à faire et nous avons ce soir le devoir de parler vrai et concret.

Ce faisant, je souhaite ici pointer trois grandes difficultés, en centrant volontairement mes propos sur la situation des enfants et des adolescents TDAH.

Tout d’abord, force est de constater que l’on ne connaît pas suffisamment ces enfants et adolescents, leur nombre réel, leur parcours scolaire… Le problème est que beaucoup d’entre eux compensent : leurs stratégies font que leurs troubles peuvent apparaître comme légers, dissimulant des difficultés plus importantes uniquement identifiables au travers de bilans pluridisciplinaires, réalisés par des spécialistes. Aussi, une telle compensation par l’élève ne dure qu’un temps et le risque pour lui est d’échouer durablement, de décrocher au fil du temps.

Les enfants concernés font souvent une dépression à l’adolescence, car ils ont tiré sur la corde et fait d’énormes efforts pour compenser. Ils peuvent vite être en échec lorsque personne ne reconnaît leur valeur ou leurs efforts.

Il est bien sûr nécessaire de mieux recueillir la parole des familles, notamment pour savoir comment l’école est vécue. Il faut aussi comprendre qu’il y a une vie en dehors de l’école et prendre conscience des difficultés rencontrées au quotidien avec l’enfant en situation de handicap. Les familles sont encore trop souvent pointées du doigt et culpabilisées.

Sur ce premier volet, je pense qu’il est surtout nécessaire de mettre enfin un terme à certains amalgames. Les enfants TDAH, je pourrais dire la même chose des « dys », ne sont pas autistes. De même, il n’y a aucun effet de mode à être diagnostiqué TDAH. Je trouve dommage que l’on en soit encore là, en France, en 2022.

Je regrette qu’il existe une stratégie nationale globalisante pour l’autisme et les troubles du neuro-développement. Cette situation est selon moi susceptible d’entretenir des confusions.

Ensuite, la question du diagnostic est importante, voire centrale.

De trop nombreuses familles sont en errance, ne comprenant pas ce qu’a leur enfant. « Indiscipliné », « fainéant », « ne voulant pas travailler ni faire des efforts » ? Non, il est peut-être TDAH.

La précocité du diagnostic et des interventions est un facteur clé de prévention du surhandicap : illettrisme, sortie du système scolaire, conduites à risques, non-accès au marché du travail… On voit bien qu’il faut encore réfléchir à ce qui permettrait d’éviter des années d’errance, perdues par les enfants et leur famille, donc de mieux dépister, puis de diagnostiquer.

Un point de vigilance tout de même : je sais qu’il peut y avoir de la part des familles de la défiance à l’égard des CMP ou CMPP, dont les personnels, d’obédience psychanalytique, ne sont pas suffisamment formés aux troubles TDAH. C’est un véritable sujet.

En pratique, l’enfant, le jeune a souvent besoin d’un bilan pluridisciplinaire, au coût élevé. Beaucoup de familles ne peuvent assumer ce coût et ne connaissent pas les dispositifs existants. Les plateformes de coordination et d’orientation, qui existent depuis 2019, ne sont encore pas suffisamment connues.

On ne va pas se le cacher : il y a surtout un réel manque de professionnels spécialisés – orthophonistes, ergothérapeutes, neuropsychologues, psychomotriciens… – pour diagnostiquer, puis prendre en charge ces enfants. Pis, même avec des diagnostics posés, certaines maisons départementales des personnes handicapées rechignent à reconnaître d’un point de vue administratif le handicap de l’enfant. En plus de la question des délais de traitement des dossiers, cette disparité selon les départements est aussi un réel problème.

Enfin, j’évoquerai spécifiquement l’école, car c’est le lieu où l’enfant passe au minimum huit heures par jour. Il y a encore fort à faire pour améliorer la détection, puis la prise en charge par les équipes éducatives.

Pour cela, il conviendrait de revoir la formation des enseignants, qui devraient mieux connaître les troubles du neuro-développement. Il faut une véritable montée en compétences et non une simple sensibilisation aux difficultés des enfants. J’aurais pu évidemment dire la même chose pour les accompagnants, les AESH et les autres personnels présents au sein de l’école.

En amont du diagnostic, le rôle de l’enseignant est majeur, car il devrait être à même de repérer les troubles, en d’autres termes de détecter des signes, et non pas de diagnostiquer. Il devrait ensuite pouvoir orienter la famille vers un diagnostic et laisser aux spécialistes le soin de réaliser un bilan pluridisciplinaire, avec des préconisations adaptées sur lesquelles s’appuyer.

On parle beaucoup d’école inclusive, mais, même lorsque le diagnostic est posé, il y a encore trop de disparités dans les accompagnements et les prises en charge, selon les écoles, les classes… Aujourd’hui, les aménagements relèvent encore trop de la bonne volonté de l’enseignant, laquelle s’exprime très souvent.

Je terminerai sur une note positive, car j’ai appris qu’un avis favorable au remboursement de la Ritaline pour l’adulte avait été adopté récemment lors de la réunion de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Il est indispensable que ces traitements soient enfin remboursés pour les plus de 18 ans qui en ont besoin.

Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler dans le cadre de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. « Hyperactifs » : c’est souvent le terme employé, même s’il est réducteur, pour désigner les enfants qui sont quelque peu turbulents, parfois distraits, ou qui peinent à maintenir leur attention ; un terme trop souvent utilisé à tort ou à raison, sans bien savoir à quelle pathologie il renvoie ni comprendre les implications que cela entraîne pour des enfants et leurs familles. Derrière ce mot pluriel se cache un parcours du combattant singulier.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la réalité est pourtant plus complexe et le débat que nous avons aujourd’hui dans notre hémicycle permettra, en partie, d’y répondre, à tout le moins d’envoyer un signal fort à ces milliers de personnes souffrant parfois en silence d’un manque de reconnaissance : vous n’êtes pas seuls.

Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité est encore largement méconnu. Il l’est chez les enfants, il l’est encore plus chez les adultes. Il est méconnu, puisque toute la difficulté réside dans le repérage et le diagnostic du TDAH.

Ainsi, l’association TDAH France rappelle que le diagnostic du TDAH ne s’appuie pas sur un examen simple – une prise de sang, par exemple –, permettant de trancher de manière catégorique. C’est bien plus complexe : c’est la persistance des symptômes au fil du temps, leur présence dans différents environnements et leur retentissement au quotidien qui caractérisent ce trouble.

La Haute Autorité de santé précise qu’il s’agit d’un trouble, d’un syndrome associant trois symptômes, dont l’intensité varie selon la personne.

Au déficit d’attention sont associées une hyperactivité motrice, qui se manifeste souvent par une agitation intense ou par l’incapacité à rester en place, ainsi qu’une impulsivité, c’est-à-dire une difficulté à attendre, le besoin d’agir ou la tendance à interrompre les activités des autres.

Le TDAH toucherait ainsi 2 millions de personnes, dont 800 000 enfants. Il concerne 3 % à 5 % des enfants scolarisés et peut être une source de souffrance, car il engendre souvent des difficultés et une frustration.

Le repérage et la prise en charge effective sont donc deux éléments fondamentaux et indissociables pour permettre aux enfants et aux adultes d’appréhender ce trouble et d’atténuer ses effets sur leur vie quotidienne.

Agir plus précocement auprès des enfants constitue un enjeu majeur, puisqu’un retard de diagnostic et une absence de prise en charge peuvent avoir des conséquences dommageables.

Sur le plan psychologique, tout d’abord, puisque l’enfant qui n’arrive pas à se concentrer ou à terminer une tâche peut perdre confiance en lui et se refermer sur lui-même.

Sur le plan scolaire, ensuite, avec des redoublements plus fréquents, alors même qu’un accompagnement personnalisé permettrait un épanouissement scolaire des enfants atteints de TDAH.

Sur le plan familial, aussi, puisque les parents ne sauront comment comprendre et appréhender l’attitude de leur enfant, engendrant ainsi des situations de conflits.

Sur le plan social, enfin, les enfants atteints d’un TDAH ayant parfois plus de difficultés relationnelles.

Ce retard de diagnostic et l’absence de prise en charge peuvent ainsi avoir des conséquences sur la vie entière de la personne, notamment en matière d’accès à l’emploi ou d’insertion sociale.

Construire une société toujours plus inclusive reste la priorité du Gouvernement et de la majorité présidentielle.

C’est pourquoi, dès 2018, le Gouvernement a lancé la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement, qui a permis des avancées concrètes, notamment dans le champ du repérage, grâce à la mise en place d’un parcours de bilans et d’interventions précoces.

Celui-ci permet de poser un diagnostic précis, avant 7 ans, en associant médecin traitant, médecin de crèche ou de PMI, médecin scolaire, psychologues et psychomotriciens. Il vise par ailleurs à éviter toute avance de frais par la famille.

Les plateformes de coordination et d’orientation permettent de guider l’ensemble des personnes susceptibles de présenter des troubles du neuro-développement.

Vous avez souhaité, madame la secrétaire d’État, élargir ces plateformes aux 7-12 ans, ce qui permet de répondre plus précisément aux besoins des enfants, puisque nous savons désormais que l’école élémentaire tend à rendre plus visibles les signes évocateurs du TDAH.

Il s’agit d’une mesure forte, qui permettra d’améliorer le quotidien des enfants et des familles : 9 millions d’euros seront consacrés au renforcement de ces plateformes afin d’accélérer encore les démarches de diagnostic.

Vous avez par ailleurs publié lundi un livret pédagogique à destination des professionnels et des parents. Celui-ci permettra d’aboutir à un repérage précoce des écarts inhabituels de développement chez les enfants âgés de 0 à 3 ans, d’identifier les besoins spécifiques de l’enfant et de mieux orienter les parents, qui, parfois, se sentent démunis et peu accompagnés.

En quelques minutes, je viens de citer de multiples avancées concrètes qui permettent d’assurer une prise en charge exhaustive et facilitée des personnes atteintes de TDAH. Il est essentiel de poursuivre ces efforts, madame la secrétaire d’État.

Je me réjouis donc de la tenue de ce débat au sein de notre hémicycle, même si j’aurais préféré que nous discutions d’une proposition de loi. Je remercie d’ailleurs nos collègues, Mmes Guidez et Jacquemet, ainsi que le groupe Union Centriste, de nous donner l’occasion de mettre en lumière ce sujet essentiel.

Mes chers collègues, nous avons tous reçu d’innombrables témoignages de familles touchées par le TDAH. Certains ont dans leur entourage des enfants atteints de ce trouble ; il s’agit parfois de leurs propres enfants. Ce débat revêt donc une importance cruciale. Il s’agit d’un sujet de société qui a des effets sur le quotidien de très nombreux enfants dans notre pays. Ce trouble a des répercussions lourdes pour eux et leurs familles.

La formation du personnel éducatif et des professionnels de la petite enfance joue un rôle majeur. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État : il est essentiel d’agir le plus tôt possible pour garantir une prise en charge effective des enfants.

Il est également nécessaire de mieux sensibiliser la société tout entière au TDAH. Ce débat permettra, je l’espère, de démontrer notre implication en faveur d’une meilleure reconnaissance de ces troubles.

À cet égard, la journée nationale des TDAH, dont la première édition s’est tenue le 12 janvier 2021, et qui aura désormais lieu chaque année, permettra d’éveiller les consciences et de changer le regard sur ces troubles.

« Hyperactifs » doit être plus qu’un terme lancé parfois aux détours des conversations ; c’est une réalité qui nécessite tout notre engagement pour améliorer le diagnostic, l’accès aux soins et l’accompagnement de tous.

M. le président. Il faut conclure !

M. Xavier Iacovelli. Pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, dresser un bilan des trois années de mise en œuvre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement, en particulier sur l’accompagnement des familles dans leurs démarches de diagnostic et d’intervention précoce ?

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je félicite Jocelyne Guidez et Annick Jacquemet d’avoir déposé et rapporté la proposition de loi visant à améliorer la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, et d’avoir mené des auditions très approfondies.

Il s’agit d’un problème relativement fréquent, puisque 5 % des enfants et 2,5 % des adultes sont concernés. Ce texte a été rejeté par la commission. J’y étais pour ma part favorable, mais je comprends la volonté de renforcer la concertation auprès des associations d’enfants autistes.

Le TDAH se caractérise par trois composantes : l’hyperactivité motrice, l’inattention et l’impulsivité. Les difficultés de concentration sont souvent associées à une opposition permanente, à des dyslexies. Ce trouble du neuro-développement a parfois des conséquences importantes sur la scolarité et la vie sociale de l’enfant, puis de l’adulte, le risque de décrochage scolaire et de désinsertion professionnelle étant plus important pour ces personnes.

Le délai moyen de diagnostic est de deux à trois ans en France, avec souvent des errances. Le dépistage précoce est pourtant primordial, mais nous avons un manque évident de personnel médical, en particulier de pédopsychiatres, et paramédical, c’est-à-dire d’orthophonistes et de psychomotriciens, pour assurer une prise en charge pluriprofessionnelle.

L’accompagnement de l’enfant est souvent coûteux pour les parents. Les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) et les centres médico-psycho-pédagogiques se trouvent souvent démunis, faute de personnel adéquat.

Pour une véritable école inclusive, nous devons aussi renforcer la présence d’auxiliaires de vie scolaire formés, tout au long de la journée scolaire et périscolaire, y compris à la cantine.

Les enseignants sont les premiers à signaler aux parents des problèmes d’inattention en classe et d’agitation. Les élèves concernés peuvent être mis de côté et les parents sont parfois en très grande souffrance. Nous devons mieux les accompagner pour les aider à comprendre les troubles de leur enfant et leur permettre d’adopter une attitude positive. Il faut également, bien entendu, proposer des soins pour l’enfant.

Une stratégie nationale pour l’autisme et les troubles du neuro-développement a été lancée en 2018. Elle vise précisément à renforcer l’information des professionnels et la coordination des soins, mais aussi à diminuer le reste à charge pour les familles.

Nous saluons ces avancées pour repérer, mais nous devons aussi renforcer la prise en compte des TDAH et former les professionnels de santé comme les enseignants.

L’article 3 de la proposition de loi prévoyait d’instaurer deux consultations de dépistage obligatoire des troubles du neuro-développement. Je rappelle qu’il existe, en plus du bilan à 3 ans, un bilan de santé à 6 ans. La Cour des comptes indique toutefois dans son dernier rapport sur la médecine scolaire que 18 % seulement de ces visites ont été réalisées en 2018, faute de médecins scolaires disponibles. Avant d’ajouter de nouvelles visites médicales obligatoires, nous devons régler le problème de la pénurie de médecins scolaires et permettre à tous les enfants d’effectuer leur bilan de santé avant 6 ans.

Madame la secrétaire d’État, j’attire également votre attention sur les élèves que l’on appelle « surdoués » ou « à haut potentiel », dont certains présentent ce trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Certains pays identifient très tôt ces enfants et leur proposent une scolarité adaptée. La solution proposée historiquement en France, qui consistait à faire sauter une ou plusieurs classes, n’est pas forcément idéale. Il faudrait décloisonner davantage la scolarité de ces élèves sans forcément brûler les étapes, en nous inspirant des initiatives qui ont fait leurs preuves à l’international.

Pour conclure, je remercie le groupe Union Centriste de nous avoir offert cette occasion de débattre de la prise en compte des TDAH dans leurs différents aspects. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les écologistes se félicitent qu’un débat sur le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité remplace la proposition de loi qui en est à l’origine.

Non que le sujet ne mérite pas notre intérêt – nous avons entendu le désarroi des familles, l’errance médicale, les frais non remboursés associés aux prises en charge, et nous remercions le groupe Union Centriste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de nos travaux –, mais le législateur doit se garder de devenir prescripteur normatif en partant d’approches théoriques et cliniques qui ne représentent pas toutes les pratiques soignantes et éducatives.

Dépistage précoce du TDAH porté sur le carnet de santé de l’enfant, capacité pour le médecin généraliste de porter un diagnostic à partir d’un module de formation de quelques heures : ces préconisations semblent escamoter les présupposés théoriques sur lesquels elles s’appuient.

D’après un neuropédiatre spécialiste des troubles neuro-développementaux, un quart des élèves d’une classe souffriraient de troubles « dys », d’un déficit de l’attention ou d’hyperactivité. Faudrait-il pour autant dépister systématiquement les enfants, à différents âges, comme on dépiste une déficience visuelle ?

Les tenants d’un trouble héréditaire prédestinant mécaniquement à des difficultés, voire à toutes sortes de déviances – drogues, délinquance – préconisent logiquement une politique de dépistage de l’enfant-symptôme, porteur d’un dysfonctionnement d’une région de son cerveau évalué à grand renfort de tests et d’échelles, dans le but de mettre à jour les déficits, et jamais les ressources mobilisables par l’enfant, sujet de son histoire.

Le diagnostic posé, il est possible d’orienter vers la reconnaissance de ce handicap invisible. Souvent, cette approche issue des sciences neuro-comportementales conduit naturellement aux thérapies cognitivo-comportementales.

Comme aux États-Unis bien avant nous, cette approche tend à devenir hégémonique dans beaucoup de dispositifs. Le mouvement des psychologues cliniciens s’est élevé contre cette tendance, non pour en contester toute légitimité, mais pour défendre la pluralité des approches scientifiques qui font la richesse de l’enseignement et des pratiques thérapeutiques en France.

En effet, les spécialistes du soin psychique, les éducateurs et les pédagogues qui repèrent ces difficultés chez l’enfant mettent principalement en avant la fécondité d’une approche polyfactorielle, qui s’intéresse autant aux facteurs internes – avec, bien entendu, de possibles prédispositions – qu’aux facteurs externes – contexte familial, social, culturel, scolaire et environnemental, notamment la surexposition aux écrans et les stimulations et excitations qu’elle entraîne.

Ces facteurs explicatifs nous invitent à mettre en œuvre une véritable politique publique de prévention et à ne pas nous en tenir à une conception réductrice de l’individu humain. Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité fait l’objet de controverses entre plusieurs approches, entre lesquelles qu’il n’appartient pas aux pouvoirs publics de trancher. Ces derniers doivent faire vivre la pluralité des référentiels théoriques et non normaliser les pratiques soignantes en orientant vers un seul type de soins remboursés.

Les professionnels doivent débattre sans s’accuser réciproquement de déni : d’un côté, le déni d’une prédisposition ; de l’autre, le déni de la place de l’histoire singulière de l’enfant et de son environnement dans ses difficultés et leur dépassement.

Il n’est pas neutre de promouvoir le dépistage précoce du TDAH alors que des travaux cliniques, distinguant d’ailleurs les troubles de l’attention et l’hyperactivité, alertent sur un risque de surdiagnostic et, en bout de chaîne, de surmédicalisation.

La France avait d’ailleurs adopté une attitude prudente, en limitant la prescription et le renouvellement annuel des médicaments psychostimulants aux pédopsychiatres hospitaliers.

En ouvrant leur prescription à la médecine de ville, il est probable que le recours médicamenteux augmente, tandis que les lieux pluridisciplinaires de prévention et de soins comme les CMPP ont vu leurs moyens péricliter, les délais d’attente pour les enfants en difficulté dépassant plusieurs mois.

Et que dire des médecins, infirmiers et psychologues scolaires, affectés sur plusieurs écoles ? Ces réalités rendent impossible la rencontre des professionnels spécialisés, de l’équipe éducative et des parents autour de la situation de l’enfant.

Il faut bien sûr identifier au plus tôt les difficultés, diagnostiquer, mais ne pas enfermer l’enfant dans son trouble et déployer des dispositifs d’accompagnement et des propositions pédagogiques adaptés à sa situation.

Il faut aussi mettre fin à la destruction des centres où exercent des équipes pluridisciplinaires et embaucher massivement différents types de professionnels, dont la pluralité des regards et des pratiques est essentielle pour permettre à chaque enfant en difficulté de construire son propre chemin d’émancipation. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire dÉtat auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne pourrais peut-être pas répondre à toutes vos questions dans les cinq minutes qui me sont imparties en conclusion de ce débat. Je souhaite donc m’exprimer dès à présent.

La stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement 2018-2022 est la première à avoir pris en compte le TDAH, après trois plans spécifiquement consacrés à l’autisme.

Lors de la Conférence nationale du handicap, le Président de la République s’est en effet engagé à élargir aux 7-12 ans l’accès aux plateformes de coordination et d’orientation. C’est souvent au début des apprentissages en élémentaire qu’apparaissent les premiers signes d’alerte sérieux, et c’est grâce aux associations impliquées dans la prise en charge du TDAH, avec qui nous travaillons en coconstruction, que nous avons décidé de faire évoluer notre stratégie.

Je vous remercie d’organiser ce débat au Sénat. Il est extrêmement important de prendre en charge les enfants, les adultes, mais aussi leurs familles, qui ont dû procéder à de multiples adaptations dans leur vie. Nous devons impérativement alléger le poids qui pèse sur leurs épaules en assurant la portabilité et la continuité des adaptations pédagogiques nécessaires de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, toujours dans une logique de concertation avec les associations.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller. Je suis content de vous entendre, madame la secrétaire d’État, sur ce sujet important qu’est le trouble du déficit de l’attention. Le Comité interministériel du handicap, qui se tiendra dans quelques heures, sera l’occasion de confirmer votre engagement envers les associations et les parents concernés.

Nous sommes réunis ce soir afin de débattre de l’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Ce débat fait suite au dépôt d’une proposition de loi par notre collègue Jocelyne Guidez, qui s’est tout particulièrement mobilisée sur ce sujet qu’elle connaît bien. Je tiens à la remercier d’avoir pris cette initiative.

La proposition de loi ne sera pas examinée pour l’instant, mais ce débat organisé par le groupe Union Centriste nous permet d’aborder un sujet dont on parle peu, qui n’est pas encore suffisamment pris en compte, même si des initiatives ont été lancées : le TDAH et, plus largement, les troubles du neuro-développement, ou TND, lesquels concernent un nombre croissant de nos concitoyens.

Le TDAH est un trouble du comportement qui associe souvent trois dimensions cliniques : l’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité.

Selon la Haute Autorité de santé, le TDAH concerne 5 % des enfants et adolescents et 2,5 % des adultes, soit environ 2 millions de personnes. Mais l’on peut imaginer que, avec l’amélioration des diagnostics, ce taux sera encore plus élevé.

Ce trouble a des répercussions significatives sur l’apprentissage scolaire et la vie personnelle, professionnelle et sociale de ceux qui en souffrent, mais également de leurs familles.

Je souhaite également saluer le travail effectué par Annick Jacquemet, rapporteure de la proposition de loi, qui a dû prendre en charge un sujet difficile.

Comme elle nous l’a confié lors de la présentation de son rapport au sein de la commission des affaires sociales, elle ne savait pas particulièrement ce que recouvrait le TDAH, comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs.

Si elle a pris le temps d’auditionner les différents acteurs directement concernés, elle n’a pas hésité non plus à élargir ses auditions aux représentants des personnes et des familles touchées plus largement par les troubles du neuro-développement.

En effet, il est difficile d’envisager de parler des troubles de l’attention sans aborder les troubles du neuro-développement dans leur globalité.

Le TDAH fait partie des troubles du neuro-développement, au même titre que les troubles du spectre de l’autisme, les troubles du développement intellectuel et les troubles « dys », qui sont nombreux.

Souvent, les personnes atteintes de TDAH peuvent présenter un ou plusieurs autres TND. C’est pourquoi, en ne traitant que du TDAH, la proposition de loi n’aurait répondu que partiellement aux attentes des personnes concernées. Il est difficile de porter une proposition de loi qui ne traite que des TDAH sans prendre en considération l’ensemble des troubles du neuro-développement, tellement les liens sont importants.

Les grands enjeux sont les mêmes en matière de diagnostic, d’accompagnement, de scolarité, d’insertion et de reconnaissance par les pouvoirs publics. Il faut donc une vue d’ensemble sur les TND, même si chaque trouble est spécifique et nécessite une organisation particulière. J’appelle donc de mes vœux, d’ici quelques mois, un texte concernant les TND dans leur ensemble.

Une politique ambitieuse en faveur d’une meilleure prise en compte des TND reste à écrire, et il revient au Gouvernement de se saisir de ce sujet complexe. Des objectifs ont été définis en 2018 dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme, mais il faudra encore attendre longtemps avant d’obtenir des résultats. Nous devons rester mobilisés.

Les avancées en matière de recherche, de diagnostic, d’accès et de prise en charge restent pour l’instant timides.

Les familles des enfants concernés ont un besoin urgent de réponses. Beaucoup d’entre elles restent encore démunies face aux troubles de leurs enfants, faute de diagnostic dès les premières années permettant une meilleure prise en charge.

De nombreux professionnels de santé et de la petite enfance doivent donc être formés afin d’être en mesure de déceler les signaux propres aux TND, avant qu’un véritable diagnostic soit posé par un spécialiste. Nous nous heurtons alors à un autre problème, celui du nombre de spécialistes sur le territoire national et de leur formation…

En matière d’insertion scolaire, la sensibilisation et l’information des personnels de l’éducation nationale sur les troubles du neuro-développement leur permettront de répondre aux difficultés rencontrées par les élèves en termes d’apprentissage et de comportement. Les enjeux sont importants pour tous les handicaps, mais les TND présentent des particularités.

Une meilleure prise en charge financière des dépenses de soins avancées par les familles doit être envisagée : le reste à charge est souvent beaucoup trop élevé. Se posent également les questions de la reconnaissance par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et de la possibilité de bénéficier d’une aide humaine, des sujets importants qui restent sur la table.

La future proposition de loi que nous attendons devra répondre entre autres à ces multiples problématiques. Le groupe Les Républicains contribuera aux travaux de réflexion dans l’attente d’un texte prenant en compte l’ensemble des enjeux du secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Jocelyne Guidez et Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Florence Lassarade. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le TDAH est une maladie neurologique complexe, qui se caractérise par une forte inattention, des problèmes de concentration, d’hyperactivité et une impulsivité chronique générant des troubles de l’apprentissage.

Le TDAH touche principalement les enfants et les adolescents, mais également les adultes. On considère qu’il concerne 5 % à 7 % des enfants et qu’il persiste dans 60 % à 70 % des cas chez l’adulte, soit une prévalence de 3 % à 4 % dans la population adulte.

C’est un trouble que les pédiatres et les pédopsychiatres connaissent bien. Son repérage est complexe, car il n’existe pas de signes neurologiques ou physiques spécifiques.

De plus, le TDAH peut être associé à d’autres troubles du neuro-développement, compliquant ainsi à la fois son diagnostic et sa prise en charge. La construction du diagnostic est complexe, car il faut essayer de comprendre le sens et l’origine des symptômes, lesquels peuvent dans certains cas être aggravés par l’influence des écrans.

Lorsqu’il est établi, ce trouble est à l’origine d’une altération des relations avec l’entourage et de l’apprentissage scolaire. Il nécessite une prise en charge médicale, notamment quand les symptômes deviennent un handicap et sont une source de souffrance.

Cette prise en charge repose d’abord sur un traitement non médicamenteux à l’aide de psychothérapie et de rééducation. Si cela n’est pas suffisant, le méthylphénidate peut être utilisé dans certains cas. Cette molécule a été largement prescrite aux États-Unis, mais peu en France, car elle peut provoquer d’importants effets secondaires.

Toutefois, les prescriptions de méthylphénidate s’envolent. D’après le rapport sur les données d’utilisation et de sécurité d’emploi en France, publié en 2017 par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les chiffres ont bondi en vingt-cinq ans. Le nombre de boîtes vendues est passé de 26 000 en 1996 à 220 000 en 2005 et à plus de 600 000 en 2014. Même si une augmentation des chiffres de vente continue d’être observée, l’utilisation de ce médicament en France reste faible, notamment en comparaison avec d’autres pays européens.

La prise en charge du TDAH doit donc être la plus précoce possible, adaptée aux symptômes, à l’âge et aux comorbidités du patient.

Je vois deux axes principaux à partir desquels nous pourrions travailler à une meilleure prise en charge de ce trouble. Il faudrait dans un premier temps améliorer le repérage puis, dans un second temps, avoir une prise en charge efficace des enfants, des adolescents, mais aussi des adultes.

La formation au repérage du TDAH par les professionnels de santé reste encore insuffisante. Selon une étude d’impact réalisée en 2021, seulement 14 % des troubles du neuro-développement seraient repérés par les professionnels de santé de première ligne. Pour améliorer le repérage précoce des TND, la délégation interministérielle propose un module de sensibilisation et de formation en ligne à destination des professionnels de santé. C’est un premier pas, mais il reste insuffisant.

La mise en œuvre de plateformes ne pourra pas compenser le manque chronique de pédiatres et de pédopsychiatres, qui sont les mieux à même de diagnostiquer et de soigner les enfants souffrant de ce trouble.

Dès le repérage, les patients et les familles devraient bénéficier d’une meilleure prise en charge. Malheureusement 15 % à 17 % des adolescents souffrant d’un TDAH sont dirigés vers un service pour adultes, car on manque de structures spécialisées dans la prise en charge des adolescents.

Je pense qu’une amélioration de la prise en charge du TDAH pourrait aussi passer par une pratique sportive plus intense, comme c’est actuellement le cas dans les pays anglo-saxons.

Ensuite, le TDAH ne disparaît pas subitement à 18 ans ! Quid du suivi à l’âge adulte des patients déjà diagnostiqués ?

Enfin, ce trouble est très largement sous-diagnostiqué chez l’adulte, soit parce que le diagnostic n’a pas été posé dès l’enfance, soit parce que les conséquences du trouble ne se déclarent qu’à l’âge adulte.

Concernant les adultes, le manque chronique de ressources entraîne là aussi des délais de consultation très longs et une forte inégalité dans l’accès aux soins. La filière de soins doit être structurée et harmonisée sur l’ensemble du territoire pour permettre une égalité d’accès.

Les conséquences de ce trouble ont des effets tout au long de la vie. Son retentissement est varié et peut constituer un réel handicap : une instabilité des trajectoires professionnelles, des accidents, des addictions précoces, voire des tentatives de suicide. J’ai évoqué plusieurs pistes pour améliorer la prise en charge du TDAH.

Pour conclure, j’insisterai sur deux points.

En premier lieu, si nous n’avons pas suffisamment de pédiatres, de pédopsychiatres et de psychiatres pour prendre en charge ces patients, la mise en œuvre des recommandations et des différents outils proposés ne permettra sans doute pas une prise en charge efficace des patients sur l’ensemble du territoire.

En second lieu, il existe des mesures simples pour aider ces patients, notamment celles qui favorisent la pratique sportive dès le plus jeune âge. Ce n’est pas une solution miracle, mais un soutien nécessaire et adapté à la prise en charge de ce trouble, qui a le mérite d’être relativement facile à mettre en œuvre.

Je me réjouis que le débat de ce soir ait mis en lumière les difficultés de ces patients et de leurs familles afin que nous puissions réfléchir ensemble à une meilleure prise en charge de ce trouble. J’espère qu’il se traduira ensuite par des mesures législatives et réglementaires. Je remercie tout particulièrement Jocelyne Guidez et Annick Jacquemet de leur travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Jocelyne Guidez, Annick Jacquemet et Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il est un phénomène aujourd’hui bien présent dans notre société, c’est le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Ce trouble pourtant encore méconnu est bien souvent douloureux pour les familles. Véritable enjeu de santé publique, il concerne jusqu’à 5 % des enfants français et sans doute 2,5 % de la population adulte, soit 2 millions de nos compatriotes.

Ce trouble neurobiologique ne disparaît pas avec l’âge : un enfant atteint deviendra au contraire un adulte qui présentera des symptômes plus ou moins marqués, avec des conséquences différentes selon la sévérité des symptômes et la précocité de la prise en charge.

À cet égard, les adultes atteints sont davantage susceptibles d’avoir un accident, de faire l’objet d’une suspension du permis de conduire ou d’arrestations que le reste de la population. Le risque d’addiction serait par ailleurs deux à trois fois plus élevé pour ces personnes. Enfin, les médecins leur diagnostiquent plus fréquemment des troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires, ou encore des troubles du sommeil ou de la personnalité.

Des dispositifs existent, à l’instar de la prise en charge par l’assurance maladie d’un parcours de bilan et d’intervention précoce afin d’accompagner les enfants. De même, des plateformes de coordination et d’orientation ont été mises en place dans le cadre de ce parcours. Elles doivent être déployées en direction des enfants jusqu’à l’âge de 12 ans.

Les professionnels médicaux de premier recours sont impliqués dans le parcours de soins des personnes atteintes. Ils peuvent repérer les symptômes et leurs différentes expressions, orienter ces personnes ou encore participer à leur suivi.

Malgré des progrès indéniables, il importe d’améliorer le dépistage et de mieux accompagner les familles, qui, en pratique, sont souvent condamnées à l’errance, faute de diagnostic.

En la matière, la France accuse d’ailleurs un certain retard. Les médecins spécialistes de ces troubles sont peu nombreux et mal répartis sur le territoire, si bien que les délais d’attente peuvent atteindre dix-huit mois pour un premier rendez-vous et deux ans pour un diagnostic.

Or de nombreux obstacles causés par ce trouble pourraient être franchis, voire évités, grâce à un diagnostic précoce. L’enfant apprendrait alors, au plus tôt, à vivre avec lui et les conséquences sur sa vie d’adulte seraient moindres.

L’absence de prise en charge peut également provoquer une manifestation plus grave du trouble, en raison notamment de comorbidités comme la dépendance ou les comportements à risques.

Le TDAH constituant un facteur de risque pour le développement d’addictions et d’autres comorbidités psychiatriques, il est particulièrement important d’établir un diagnostic précoce, car ce dernier peut littéralement changer le cours d’une vie.

Ainsi, parmi les 5 % d’enfants atteints, seule une minorité aura la chance de bénéficier d’un diagnostic précoce, d’une prise en charge optimale et donc d’une vie d’adulte « normale ».

Pour les autres, le retentissement sera variable. Certains seront longtemps traités sans succès pour troubles bipolaires, d’autres pour dépression ou pour des addictions, avec ou sans substances. Certains se retrouveront même en prison, du fait de leur impulsivité.

Une étude britannique a démontré, au demeurant, que lorsque ces adultes étaient traités, ils ne récidivaient pas et que leur réinsertion était bien plus facile que celle des personnes qui ont été placées sous placebo.

Dans cette optique, la proposition de loi de notre collègue Jocelyne Guidez prévoit, dans son article 3, la création de deux consultations obligatoires, remboursées par la sécurité sociale, de dépistage des troubles du neuro-développement.

Le mécanisme imaginé s’inspire de celui qui est prévu pour les examens de prévention bucco-dentaire. On ne peut que souscrire à l’objectif de ce mécanisme, qui constituerait de toute évidence le cœur de la stratégie de dépistage et de prévention du TDAH.

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous indiquer les mesures envisagées par le Gouvernement afin d’améliorer le diagnostic précoce du TDAH et, ainsi, d’assurer une prise en charge optimale, susceptible d’offrir aux personnes atteintes de ce trouble une trajectoire de vie normale ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire dÉtat auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de vous dire mon plaisir d’être parmi vous aujourd’hui pour débattre d’un sujet prioritaire pour le Gouvernement, celui de l’accompagnement et de la prise en compte des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Je remercie le groupe Union Centriste d’avoir fait le choix de mettre en avant cette thématique dans le cadre de cette niche parlementaire.

Comme vous l’avez rappelé, ce débat fait suite à une proposition de loi présentée par la sénatrice Jocelyne Guidez, dont je connais l’engagement sur ce sujet.

Sa proposition de loi s’articule autour de trois axes : l’amélioration de la formation des acteurs au contact des enfants et des adultes atteints du trouble du déficit de l’attention, l’établissement d’un diagnostic précoce et, enfin, les différents dispositifs de repérage et de prise en charge.

Il s’agirait d’organiser, à l’instar de ce qui se fait pour le handicap en général, la prise en compte des TDAH dans les parcours scolaires, la formation des professionnels – enseignants et de santé –, l’accès au repérage, au diagnostic et au remboursement des soins.

Je rappelle néanmoins que le TDAH ne donne pas lieu nécessairement à une reconnaissance au titre du handicap. Souvenons-nous de l’esprit de la loi de 2005 : elle n’a pas vocation à distinguer les typologies de handicap, mais à porter un esprit global commun.

Il est vrai que les particularités de certains types de handicaps ne sauraient être prises en compte dans des lois générales. C’est la raison pour laquelle, depuis 2017, des plans d’action et des stratégies nationales sont déployés en ce sens.

Les TDAH étant une catégorie des troubles neuro-développementaux, nous avons veillé à ce que les besoins des personnes qui en sont atteintes et les enjeux de ce trouble soient notamment traités dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement pour 2018-2022.

En effet, la première ambition de cette stratégie était d’inscrire la science au cœur des pratiques, en structurant une recherche d’excellence. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous rassurer : dans le groupement d’intérêt scientifique, les TDAH sont bien pris en compte.

Cette stratégie a permis de réaliser des avancées dans le champ du repérage et des interventions précoces, au travers de la mise en place d’un parcours de bilan et d’intervention précoce.

Dans cette optique, nous avons créé des plateformes de coordination et d’orientation, qui s’adressent à l’ensemble des personnes susceptibles de présenter un trouble du neuro-développement, y compris les personnes TDAH. Ces dernières sont donc expressément identifiées comme cibles du dispositif et leurs besoins sont bien pris en compte.

Pour accompagner ces plateformes, nous avons mis en place par ailleurs un forfait précoce, qui permet le remboursement des interventions de l’ensemble des professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins, sans reste à charge pour les familles. Les interventions des ergothérapeutes, psychologues, psychomotriciens non conventionnés avec l’assurance maladie sont donc intégralement remboursées. Près de 12 000 enfants ont ainsi été pris en charge par ce forfait.

Afin d’orienter les familles vers ces dispositifs, nous avons créé, en outre, un guide de repérage des signaux d’alerte. Il est mis à la disposition des médecins de première ligne, qui peuvent, grâce à lui, orienter l’enfant et sa famille vers une plateforme.

Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, nous avons consolidé les crédits de la stratégie nationale, en consacrant 9 millions d’euros supplémentaires au renforcement des plateformes et surtout à leur déploiement pour les enfants âgés de 7 à 12 ans.

Ainsi, à ce jour, plus de 20 000 enfants présentant un trouble du neuro-développement ont été repérés par 76 plateformes. Oui, nous déployons ces plateformes et nous les étendons aux 7-12 ans, car nous avons travaillé avec les familles et nous les avons entendues.

Un guide de repérage, différent de celui dédié aux enfants de 0 à 6 ans, a été élaboré, au plus près des besoins des enfants, avec des experts et avec l’éducation nationale. Il sera testé durant le premier trimestre 2022 dans les plateformes de coordination et d’orientation. Renseigné par les enseignants, les familles et le médecin, il facilitera l’orientation vers une plateforme.

Outre la création de ces plateformes, d’autres avancées sont à noter, comme la mise en place d’une consultation consacrée aux troubles de l’enfant, effectuée par le médecin traitant sur la base d’un tarif supérieur à une consultation habituelle, jusqu’à 70 euros, pour rémunérer ce temps nécessaire et suffisant de repérage.

Enfin, pour améliorer la formation des acteurs de l’éducation nationale, des actions spécifiques sont menées pour permettre la portabilité des adaptations. Citons, entre autres, le livret de parcours inclusif en cours de déploiement. Des actions sont également menées avec le ministère de la justice pour sensibiliser les émetteurs d’informations préoccupantes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends, bien sûr, vos préoccupations concernant le soutien des familles. Nous y travaillons également.

Dans la stratégie nationale de mobilisation et de soutien en faveur des aidants, nous déployons des dispositifs de répit également destinés aux parents d’enfant TDAH.

Vous le voyez : de très nombreuses actions s’inscrivent dans cette stratégie. Avec les familles, nous évaluons le reste à faire. Ipsos a réalisé une importante enquête en 2020 et 2021 sur cette stratégie, ce qui nous permettra de l’ajuster.

C’est ainsi que nous continuerons à travailler, avec les associations, pour les familles, pour leurs enfants et pour les adultes.

L’accompagnement et la déclinaison des actions sur le terrain, dans chacun des territoires, au plus près des besoins des personnes, constituent des enjeux de taille.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à vous remercier pour ce débat constructif et enrichissant.

Malgré la sensibilité et la complexité du sujet, j’ai noté, tout au long de nos échanges, que tout le monde s’accordait à reconnaître le bien-fondé de son inscription à l’ordre du jour de nos travaux.

Je tiens aussi à saluer l’engagement et la volonté de Mme la secrétaire d’État Sophie Cluzel sur les sujets relatifs au handicap.

Mes chers collègues, la prévention a un coût. Ne pas en faire a un coût également : un coût humain, car enfants, parents et enseignants sont fragilisés ; un coût politique, car la lutte contre le décrochage a un coût ; un coût social, car l’addiction, la délinquance et le suicide ont un coût.

Il est donc tout à fait judicieux d’investir aujourd’hui, pour que la société tout entière soit demain renforcée. À l’heure de l’école se voulant exclusive, il est temps de former l’ensemble des enseignants à ce trouble, qui affecte 5 % des enfants. Il est temps d’accorder à nos enfants une réelle égalité des chances, de rendre l’organisation du travail en classe respectueuse des différences.

À toutes les associations, à toutes les familles, je dis que notre combat ne se termine pas ce soir. Il y a encore beaucoup à faire.

Il est temps d’encourager le Gouvernement à accroître ses efforts pour garantir des ressources aux familles, assurer la mise en œuvre concrète des obligations de formation existantes, développer des centres experts de tous les troubles du neuro-développement.

Mes chers collègues, avec le soutien de la commission des affaires sociales, nous restons mobilisés sur la question de la prise en charge du TDAH. La mise en place d’une mission d’information permettrait d’entendre des psychiatres, des neuroscientifiques, ainsi que des associations, dans l’optique d’apporter collectivement des solutions plus adéquates pour la prise en charge des enfants et des adultes atteints de ce trouble.

Il est temps de faire de la solidarité et du vivre ensemble une priorité. Il y a une attente très forte de la part des parents, qui sont épuisés et qui nous ont livré des témoignages accablants. En voici une sélection.

« Le personnel éducatif n’est formé ni aux troubles ni aux aménagements scolaires possibles. Mon enfant est découragé, déprimé, se sent incapable d’autonomie, ce qui l’angoisse pour son avenir. Il est devenu le bouc émissaire de toute une classe. Il a le droit d’être aidé, il a le droit d’être heureux. »

« Je ne souhaite pas que mon enfant soit médicamenté pour pallier les manques de moyens auxquels il a le droit. C’est une double sanction. »

« Nous sommes des parents ignorés de la République. Nos enfants TDAH sont maltraités par le système éducatif et sont les oubliés du Gouvernement. »

« La méconnaissance de ce trouble dans notre société est très dure à gérer. Personne ne peut imaginer ce que nous subissons : les préjugés habituels - parents laxistes, enfant turbulent, vilain petit canard –, un quotidien effréné et pesant, source de nervosité, avec de l’ignorance ou de l’indifférence en face, le sentiment de ne pas être compris, d’être démuni, d’être rejeté. À tout cela s’ajoute une bataille permanente, avec un passage quasi obligé par la case zéro écoute pour faire connaître le TDAH. »

Que de temps et d’énergie seraient gagnés si un bilan systématique était effectué dès l’école primaire ! Il est d’ailleurs fréquent que le diagnostic des parents ou d’autres membres de la famille suive celui des enfants.

Mes chers collègues, une main tendue serait, pour toutes ces familles, une bouée de sauvetage. La situation mérite qu’une proposition de loi soit étudiée, pour favoriser la prise en charge de ces personnes, leur permettre de s’épanouir, d’éviter les addictions en tout genre, les problèmes psychologiques et les graves dépressions.

On ne peut pas laisser 2 millions d’individus sur le bord de la route, les laisser dériver et devenir des adultes dépendants du système.

Je connais bien le quotidien de ces enfants : l’un de mes petits-fils à haut potentiel intellectuel et atteint d’un TDAH bénéficie d’un suivi pluridisciplinaire hebdomadaire. Tous les enfants n’ont pas la même chance, toutes les familles n’ont pas les moyens de prendre en charge le parcours de soins de leur enfant quand il faut attendre deux ans pour faire un bilan. Telle est la réalité.

Seule une volonté politique permettra d’éclaircir le paysage. Les associations qui œuvrent sur le terrain ont déjà bien déblayé le chemin. Il leur faut juste un coup de pouce et le sentiment d’être entendues.

Avec ma collègue Annick Jacquemet, nous sommes convaincues que mettre l’accent sur le TDAH n’enlèvera rien aux actions conduites pour lutter contre les difficultés d’insertion liées aux troubles autistiques.

Nous continuerons notre travail et nous comptons sur la mobilisation de chacun d’entre vous pour faire avancer la cause des personnes atteintes du TDAH. Ce problème de santé publique mérite notre attention soutenue.

Je terminerai mon propos par une citation de Winston Churchill, l’une des célébrités sur lesquelles le diagnostic a été porté a posteriori : « Le succès, c’est d’aller d’échec en échec, sans perdre son enthousiasme ».

Avec ma collègue Annick Jacquemet – j’ai compris que M. Mouiller était également disposé à participer à nos travaux –, nous partageons la ferme volonté de continuer à travailler sur cette question. Nous resterons vigilantes sur le développement des plateformes de coordination et d’orientation et sur l’efficacité du parcours de prise en charge de ces enfants par le Gouvernement.

Nous sommes à l’écoute de toutes les associations. Vous pouvez compter sur notre engagement. (Applaudissements sur toutes les travées.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention. »

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 3 février 2022 :

À dix heures trente :

Vingt-six questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur le thème « Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ? » ;

Débat sur le thème « Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? » ;

Débat sur l’évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER