M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, à quoi bon débattre ? Quelles conséquences notre discussion aura-t-elle sur la politique du Gouvernement ? Un débat parlementaire, c’est bien, mais un débat avant l’annonce des décisions, c’est mieux, et un débat avec vote avant l’annonce des décisions, c’est une démocratie qui fonctionne.

Ce n’est pas sur la politique étrangère et militaire de la France, pas plus qu’ailleurs, que le Gouvernement se sera illustré par une considération marquée et une véritable prise en compte du Parlement lors de ce quinquennat. Comme d’habitude, tous, nous avons dû attendre patiemment la parole présidentielle.

Ce n’est guère une surprise : un seul vote de la représentation nationale est intervenu pour autoriser l’intervention militaire au Mali de 2013, un seul vote pour plus de neuf années d’engagement, une période durant laquelle le périmètre d’intervention s’est agrandi et les orientations stratégiques ont évolué.

Pourtant, jamais le Parlement ne s’est prononcé formellement. Toujours, la prise de décision s’est trouvée confinée au palais de l’Élysée. L’image d’une telle pratique n’en est que plus saisissante en comparaison de ce qui se passe chez nos voisins européens. Oui, donner sa place au Parlement prend du temps, mais ce n’est que bien peu au regard de la durée pendant laquelle les décisions prises auront des conséquences.

Le retrait des forces armées françaises du territoire malien, nous y souscrivons. La situation politique au Mali est devenue insoutenable et ne permet plus un engagement militaire viable. Entre le refus par la junte au pouvoir d’organiser des élections, des manifestations anti-françaises empêchant des convois militaires et la présence de 800 hommes de la société privée militaire Wagner, les conditions opérationnelles pour nos soldats ne sont plus garanties.

Je tiens à exprimer, avec le groupe GEST, mes pensées pour les cinquante-neuf militaires morts au Sahel depuis 2013, leurs familles et leurs proches, ainsi que pour les nombreux blessés.

Nous souscrivons à la décision de retrait, mais elle ne rend pas la suite de la politique française au Sahel plus aisée : un retrait amène des questions et des défis pour les prochains mois.

Vous l’avez évoqué, monsieur le Premier ministre, ceux-ci concernent d’abord la mise en œuvre concrète et pratique : comment opérer la fermeture des bases de Ménaka, Gossi et Gao, alors que plus la présence française diminuera, plus nos soldats seront vulnérables à des attaques, alors que des protestations anti-françaises pourraient bloquer les opérations et, surtout, alors que les relations avec la junte au pouvoir qui exige un retrait immédiat de nos troupes sont de plus en plus difficiles ? Sur quelle aide de nos partenaires pouvons-nous compter dans cette logistique d’ampleur avec des délais aussi courts ?

Notre retrait du Mali pose aussi des questions plus stratégiques sur l’avenir des missions multilatérales de la Minusma, avec ses 13 000 Casques bleus, et de l’EUTM Mali. Comment assurer la protection de ces personnels, qui jusque-là est garantie par les forces armées françaises au Mali ?

Au-delà de ces problèmes immédiats, des questions de fond se posent, auxquelles il faudra répondre pour que les leçons soient tirées de l’échec de notre intervention au Mali et que soit dressé un véritable bilan de ces neuf dernières années.

Il faut en effet avoir l’honnêteté et l’intelligence de le dire : des erreurs ont été commises. Or c’est bien cela qui manque cruellement dans les prises de parole gouvernementales : présenter le retrait du Mali comme le résultat de l’arrivée de la junte au pouvoir et du facteur Wagner, c’est d’abord occulter les raisons qui ont rendu possibles les deux coups d’État et ne pas établir une analyse pertinente de la situation sahélienne.

C’est ignorer les travers de nos relations avec certains États du Sahel, où – il faut le dire – nous avons soutenu pendant des décennies des dirigeants autoritaires dont les politiques pouvaient difficilement mener à une stabilité régionale de long terme.

C’est ignorer la faiblesse des perspectives politiques de la sortie de crise et nier la verticalité des méthodes qui ont sous-tendu notre coopération – l’exemple le plus frappant fut la convocation sommaire de nos partenaires à Pau il y a deux ans.

Si le Gouvernement refuse de prendre en compte ces critiques, il prend le risque que l’impasse politique et militaire du Mali se répète là où les forces armées françaises seront redéployées.

La volonté d’élargissement de l’intervention militaire à des partenaires européens au sein de la task force Takuba n’a pas connu non plus un enthousiasme débordant, quand bien même le Gouvernement n’a eu de cesse de la présenter comme un succès, omettant évidemment de préciser les chiffres des forces engagées.

La situation politique n’est pas meilleure : en un an, trois des pays où intervient la France ont été l’objet de coups d’État militaires. Ces événements rendent la coopération multilatérale ardue, notamment pour le G5 Sahel dans lequel la France plaçait de l’espoir.

Enfin, on ne peut balayer d’un revers les protestations anti-françaises, bien qu’elles soient instrumentalisées par d’autres puissances.

Cette instrumentalisation s’appuie sur une défiance préexistante alimentée par un manque de transparence sur les opérations militaires françaises. C’est particulièrement le cas concernant des frappes à Bounti au mois de janvier 2021, qui ont causé la mort de dix-neuf civils selon la mission des Nations unies. Là où il y a le soupçon s’installe la méfiance, terreau du rejet. Si les dernières décennies d’interventions militaires à travers le monde nous ont bien appris une chose, c’est que l’on ne peut intervenir dans un autre pays contre sa population.

Les écologistes l’ont toujours dit : aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique. Nous n’avons cessé de regretter le manque de prise en compte des contextes ultralocaux et des problématiques communautaires dans la conduite stratégique des opérations. De même, il aurait fallu dépasser enfin le tabou des discussions avec certains groupes armés dont les demandes sont profondément politiques : les refuser comme interlocuteurs revenait tout bonnement à enterrer une perspective de sortie de crise.

Parce qu’aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique, ce sont les besoins des populations qui doivent être placés au centre de la stratégie française. Ce « sursaut civil », qui n’a pas eu lieu après son annonce au sommet de N’Djamena, doit arriver rapidement.

Parce qu’aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique, l’aide publique au développement en direction des pays du Sahel doit être plus substantielle et mieux ciblée pour répondre aux besoins réels des populations locales.

L’aide humanitaire doit aussi être augmentée : 2,5 millions de personnes ont dû quitter leur foyer et 15 millions de Sahéliens vivent de l’aide humanitaire. Aujourd’hui, les besoins humanitaires ne sont assurés qu’à 48 %, selon les ONG. Quand, en 2020, 880 millions d’euros sont consacrés à l’intervention militaire, seulement 28 millions sont dévolus à l’aide humanitaire. C’est cette balance qu’il faut rééquilibrer à l’avenir.

Parce qu’aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique, la présidence française du Conseil de l’Union européenne doit être l’occasion d’élaborer un grand traité entre l’Union européenne et l’Union africaine, non un texte de libre-échange qui ouvre la porte des pays africains à la prédation des multinationales européennes, mais un texte de coopération sur des sujets essentiels tels que l’eau, la sécurité alimentaire, le climat ou le numérique.

Déployons une stratégie globale alliant militaires, diplomatie et développement, sinon la réorientation de la présence de la France au Sahel ne sera qu’un nouvel enlisement pour la prochaine décennie. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. André Gattolin applaudit également.)

(Mme Valérie Létard remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti et Joël Guerriau applaudissent également.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les interventions des orateurs des groupes ont été très riches, ce dont je les remercie. Elles démontrent amplement l’utilité de débattre ici, au sein du Parlement.

Voilà un an, ici même, nous débattions justement de la poursuite de l’opération Barkhane. Nous étions déjà préoccupés par l’expansion du terrorisme au Burkina Faso et par le premier coup d’État au Mali. Pour autant, il nous restait quelques raisons d’espérer : succès militaires contre les groupes terroristes, montée en puissance de Takuba, renforcement du G5 Sahel. Ces tendances dessinaient alors un avenir possible pour Barkhane.

Un an plus tard, la réalité est tout autre.

Les provocations constantes de la junte de Bamako nous ont tous indignés, d’autant plus insupportables que cinquante-trois de nos militaires ont fait le sacrifice de leur vie. À mon tour, en cet instant, je m’incline devant leur mémoire et ai une pensée douloureuse pour leurs familles et pour leurs compagnons. Du reste, à chaque fois que l’un des leurs revient pour un dernier voyage aux Invalides, je tiens à y être présent au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Ensuite, comment serait-il matériellement possible de poursuivre Barkhane, alors que la junte a remis en cause nos propres accords militaires ? Comment mener des opérations au sein d’une population abreuvée par la propagande anti-française ? Dès lors, la décision du Président de la République de quitter le Mali était nécessaire, elle était de bon sens.

Ne renions pas pour autant ce que nous avons fait au Mali. Au contraire, nous pouvons être fiers de l’action de nos militaires. Nous avons agi conformément à nos valeurs, en nous souciant aussi du sort des populations sahéliennes, elles-mêmes si férocement ciblées par les djihadistes.

En vérité, cette situation confirme l’analyse que le Sénat ne cesse de développer : l’enjeu du développement revêt une dimension essentielle dans la stabilisation du Sahel. Dans ce domaine encore, la France a répondu présent !

Le Sénat s’est toujours engagé pour que les moyens soient à la hauteur des enjeux. Peu à peu, les montants ont suivi : rappelons que, sur les cinq dernières années, le Sahel a reçu de notre part 2,2 milliards d’euros de dons. Nous souhaitons encore plus de rapidité, plus d’efficacité dans nos actions visant à nourrir, à former, à soigner les populations lorsqu’elles sont sécurisées. La pauvreté est en effet le terreau qui nourrit l’extrémisme.

D’un point de vue strictement militaire, Barkhane nous aura permis de progresser sur le front de la défense européenne. Nous avons pu convaincre – c’est l’un de vos succès, monsieur le Premier ministre – plusieurs de nos partenaires européens de nous rejoindre dans Takuba, de partager notre engagement et d’accroître significativement notre capacité d’agir ensemble, développant ainsi une culture stratégique commune. C’est une bonne chose à l’heure où tant de tensions se manifestent dans notre continent.

Après Barkhane, nous devrons donc tenir compte de ces acquis.

À présent, quels sont les enjeux qui justifient une poursuite de notre engagement dans la région ?

Il faut bien sûr endiguer l’extension de la menace terroriste vers le golfe de Guinée. Des attaques ont lieu en Côte d’Ivoire ou au Bénin. Une autre « zone des trois frontières » est susceptible de devenir un foyer terroriste à la jonction du Bénin, du Niger et du Burkina Faso. Les États y sont quasiment et dramatiquement absents et les filières terroristes y sont déjà installées, pouvant se connecter avec d’autres organisations terroristes au nord du Nigéria.

La stabilité des États du golfe de Guinée est essentielle ! C’est là que se trouvent les grands gisements de croissance et d’emploi. C’est là qu’une partie des Sahéliens choisit chaque année d’émigrer. Notre destin est donc lié à celui de cette région. L’évolution inquiétante que nous constatons peut sans doute encore être inversée par une action civile et militaire vigoureuse, éclairée par les succès, mais aussi par les enseignements et les déconvenues de Barkhane.

Par ailleurs, nous ne pouvons rester sans réaction face à certaines puissances qui étendent leur zone d’influence. Déjà, en République centrafricaine, l’installation du groupe Wagner, avec son cortège d’exactions, de mise en coupe réglée des ressources et de violentes campagnes anti-françaises, nous avait alertés. Aujourd’hui, malheureusement, le Mali prend le même chemin.

Pourtant, ce que fait la Russie en Centrafrique ou au Mali n’a rien à voir avec ce qu’y a fait la France. Alors que nous mobilisons notre armée pour combattre les terroristes et que l’Agence française de développement investit des centaines de millions d’euros, les mercenaires du groupe Wagner servent de garde prétorienne à un pouvoir déliquescent et se payent sur l’exploitation des richesses de ces malheureux pays, sans aucune retombée pour les populations.

Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, qu’allons-nous faire maintenant ?

Tirer les leçons du passé, voilà qui est nécessaire. Faire les bons choix pour l’avenir est sans doute plus important encore.

Il nous paraît en effet important de prendre du recul. La précipitation risque de nous replonger dans les mêmes difficultés, les mêmes pièges fatals à Barkhane. Ce qui doit guider nos choix, c’est bien une nouvelle idée du rôle que la France peut jouer dans la région, voire dans l’Afrique tout entière. C’est non d’un simple replâtrage que nous avons besoin, mais d’une réflexion sur une nouvelle stratégie de la France en Afrique – sinon, cela ne marchera pas !

Ainsi, ce redéploiement dont on parle ne doit pas ressembler à une simple translation de Barkhane au Niger. Certes, le Tchad est loin à l’est et le Burkina Faso sort d’un coup d’État, donc nos options sont limitées.

Toutefois, n’y a-t-il pas un immense risque que tout se passe au Niger comme cela vient de se passer au Mali ? Les campagnes d’opinion anti-françaises y ont déjà commencé ! Je rappelle que le président nigérien Bazoum a essuyé une tentative de coup d’État deux jours seulement avant son investiture… Si vous ne vous assurez pas d’avoir le soutien sans faille de ce pays et des pays où vous positionnerez notre armée, vous leur ferez peut-être un cadeau empoisonné.

Il faudra aussi assurer la sécurité de nos militaires pendant cette phase de transfert. Nous le savons, c’est une opération très complexe, à haut risque, qui doit être planifiée avec le plus grand soin. Or la junte malienne nous met sous pression. Il faut qu’elle sache que nous prendrons le temps d’assurer la sécurité de nos soldats. (Mme la ministre des armées acquiesce.)

Par ailleurs, vous envisagez pour la suite un déploiement d’implantations plus petites, moins visibles, un soutien à géométrie variable à base de formation ou de conseillers militaires, peut-être même d’interventions « à la demande ». Là encore, réfléchissons bien, car, même si ce n’est évidemment pas votre intention, cela pourrait fortement ressembler à un interventionnisme que nous avons souhaité abandonner il y a quelques années déjà dans nos relations avec le continent. Il faudra donc bien expliquer les choses.

En outre, une telle stratégie permettrait-elle de concentrer des moyens suffisants pour être efficaces face aux groupes terroristes ? Rien n’est moins certain en raison des distances, donc des opérations dont la nature va changer.

Enfin, qu’en sera-t-il du soutien de nos alliés dans cette nouvelle configuration, après la fin de Takuba ? Avez-vous déjà obtenu des assurances des uns ou des autres ? Madame la ministre des armées, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, vous nous le direz dans vos réponses.

Au-delà de l’action de la France et de ses partenaires, nous avons des interrogations sur les intentions et sur les capacités des acteurs de la région. Le G5 Sahel peut-il se relever des récents coups d’État ? Les armées locales seront-elles toujours soutenues par la communauté internationale ? Qu’en sera-t-il par exemple de l’EUTM, organisme de formation financé par plusieurs pays, notamment européens, si important pour que les armées africaines soient à la hauteur ?

Par ailleurs, le président algérien a déclaré il y a quelques jours que la relation franco-algérienne « prenait une nouvelle tournure ». Monsieur le ministre, allez-vous saisir cette occasion d’impliquer davantage l’Algérie dans la stabilisation de la région ?

Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, vous le voyez, nos interrogations, nos doutes, disons-le, sont encore nombreux. Nous souhaitons que le Parlement soit informé régulièrement et de manière transparente sur l’évolution de notre dispositif.

Je rappelle que, entre l’autorisation du Sénat en 2013 et le débat sur Barkhane que nous avons obtenu il y a un an, huit années se sont écoulées sans que le Parlement débatte spécifiquement de ce sujet ! Il faut mettre à votre honneur d’avoir organisé deux débats, monsieur le Premier ministre. Souhaitons que cette tendance se poursuive, car les débats avec le Parlement sont importants.

C’est là une condition du contrôle démocratique et, plus largement, du soutien de l’ensemble de nos compatriotes à notre stratégie de lutte contre le terrorisme.

Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, c’est un combat nouveau qui commence, mobilisant un engagement sans faille de nos armées, mais aussi une agilité plus forte de l’aide au développement. Vous le savez, nous le savons tous, c’est à ce prix que la France retrouvera son influence et contribuera efficacement à son combat pour la paix. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a clairement expliqué le Premier ministre, de profonds bouleversements politiques et sécuritaires en Afrique de l’Ouest, au Sahel, tout particulièrement au Mali, ont conduit le Président de la République à prendre la décision d’engager une nouvelle étape de la transformation de l’opération Barkhane.

Avant de répondre à vos questions, j’aimerais me joindre à vos pensées et rendre hommage aux cinquante-neuf militaires morts au Sahel depuis le début de l’opération Serval en 2013. Je veux aussi rendre hommage à ceux qui ont été blessés, dans leur chair et dans leur esprit, en combattant farouchement le terrorisme. Leurs sacrifices, de même que l’engagement tout aussi exemplaire des 125 000 soldats français qui se sont succédé au Mali année après année, n’ont pas été vains.

Nos militaires ont fait un travail extraordinaire. Ils se sont relayés au Mali pendant neuf ans, depuis 2013, pour lutter contre le terrorisme. Sans leur professionnalisme, sans leur détermination et leur ardeur au combat, le Mali aurait peut-être connu le destin qui fut celui de l’Irak et de la Syrie à partir de 2014, lorsque, au fil de ses conquêtes territoriales, Daech bâtissait un sanctuaire du terrorisme islamiste.

Aujourd’hui, le Mali n’est pas un sanctuaire terroriste. La situation depuis 2013 a en effet beaucoup évolué, à commencer par la situation politique, car le pays est désormais dirigé par une junte militaire qui a rompu tous ses engagements. La conséquence directe des choix effectués par cette junte, c’est que les conditions de notre engagement ne sont plus réunies. Nous avons donc pris la décision, en pleine concertation avec nos partenaires européens et sahéliens, j’y insiste, de quitter le Mali.

Cette décision acte un état de fait : nous ne pouvons pas continuer un combat militaire aux côtés d’une junte qui a clairement signifié sa volonté de rupture avec ses partenaires régionaux, en particulier la Cédéao, et européens, notamment la France.

Nous quittons donc le Mali, mais nous disons les choses franchement : nous aurions pu y rester plus longtemps, si les circonstances avaient été différentes.

Il faut bien comprendre que les seuls bénéficiaires de ces turpitudes politiques, ce sont les groupes terroristes ! Nous en avons conscience et c’est pourquoi nous allons continuer de lutter contre le terrorisme dans la région, mais avec des moyens plus légers, plus agiles. Nous allons continuer cette lutte avec nos partenaires européens et africains dans le cadre d’une stratégie collective adaptée aux évolutions de la menace.

Nous prendrons évidemment en compte le fait que le terrorisme s’étend de façon dangereuse vers l’Afrique de l’Ouest. Nous allons en conséquence intensifier notre coopération de défense avec les pays du golfe de Guinée.

Je vais maintenant répondre à quelques-unes des questions que vous avez posées au cours de ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs. Je vous prie de bien vouloir m’excuser, car je ne serai pas exhaustive, mais je suis sûre que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères complétera mon propos.

Pourquoi partons-nous du Mali ?

Pour répondre à cette question, il faut naturellement se souvenir des raisons pour lesquelles nous y sommes allés. C’est à la demande des États de la région que les armées françaises sont présentes au Sahel depuis 2013. Pendant neuf ans, l’État malien, de même que ses voisins, a réclamé, soutenu et favorisé la présence militaire française sur son sol pour lutter contre le terrorisme.

Au cours de ces neuf années, la méthode a certes évolué, mais les résultats ont toujours été là, parce que nos militaires ont été à la hauteur, mais aussi parce que le gouvernement malien rendait leurs missions possibles. Ces missions étaient doubles : affaiblir les groupes terroristes et accompagner la montée en puissance des forces armées maliennes.

Or, depuis quelques mois, les autorités maliennes, ou plutôt la junte, ont fait le choix de la rupture diplomatique et de la provocation politique. Dans ces conditions, nous ne sommes plus en mesure de conduire nos missions de façon satisfaisante.

En ne respectant pas le calendrier électoral et en faisant appel aux mercenaires de Wagner, la junte a fait le choix d’un modèle et de valeurs qui ne sont pas les nôtres. En expulsant du Mali les représentants de la Cédéao, en renvoyant les forces spéciales danoises, en expulsant l’ambassadeur de France et en insultant publiquement les membres du gouvernement français, elle a rejeté notre appui et a choisi l’isolement.

Aujourd’hui, cette junte entrave l’action de nos forces sur le terrain. Les conditions politiques et opérationnelles ne sont donc plus réunies pour rester. C’est une question de cohérence.

Non, nous ne quittons pas le Mali à cause du développement d’un sentiment anti-français, contrairement à ce que certains d’entre vous ont dit.

J’ajoute que ce phénomène est tout de même difficilement mesurable, d’autant moins qu’il est déformé par la loupe des réseaux sociaux, dont les analyses elles-mêmes ne sont pas épargnées par les phénomènes de manipulation. Nos compétiteurs ont en effet tout intérêt à donner l’impression que ce sentiment est désormais présent partout.

Je peux vous dire que, partout où l’opération Barkhane a été déployée, elle a toujours été bien accueillie par les populations locales avec lesquelles nos militaires entretiennent des liens quotidiens. En conséquence, si nous partons, c’est uniquement à cause de la rupture du cadre politique imposée par la junte malienne.

Ce départ est-il un constat d’échec ?

En neuf ans, nous avons neutralisé les principaux chefs des groupes terroristes, nous avons désorganisé leur structure, nous avons détruit leur ancrage territorial, nous les avons obligés à fuir et à se cacher. Où en serait le Mali aujourd’hui, ainsi que les pays de la région, si nous n’avions pas fait ce travail ?

S’il y a échec, c’est celui de la junte, qui n’a pas la volonté politique de mener avec détermination la lutte contre les groupes armés terroristes et qui n’a pas obtenu de résultats d’un point de vue politique. Souvenez-vous-en : il n’y a eu aucune avancée à la suite de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali.

Je l’ai dit, nos objectifs étaient militaires. Il s’agissait de contrer les groupes terroristes, notamment l’action de leurs chefs. Le Premier ministre a détaillé les succès que nous avions remportés tant contre les chefs d’Al-Qaïda que contre ceux de Daech.

Notre autre objectif était la formation des armées sahéliennes. Nous avons formé des milliers de militaires sahéliens. Nous les avons entraînés, nous les avons accompagnés sur le terrain et nous avons combattu à leurs côtés.

En 2013, les forces armées maliennes étaient très peu formées, très mal entraînées, sous-équipées et insuffisamment encadrées. L’armée de terre comprenait 7 000 hommes dotés d’équipements obsolètes ; l’armée de l’air 1 000 hommes et des moyens aériens inadaptés.

Désormais, l’armée malienne est forte de 40 000 hommes, que nous avons grandement contribué à former, à entraîner et à équiper. Aujourd’hui, cette armée est bien plus forte et elle a montré sur le terrain qu’elle était capable de faire face aux groupes armés terroristes, ce qui est une très grande réussite.

Vous le savez, rien n’est définitivement acquis, mais nous avons placé les groupes terroristes à portée des armes maliennes. Il appartiendra au Mali d’entretenir cela.

Enfin, nous avons permis le retour de l’État malien à certains endroits. Je ne détaillerai pas ce point, sur lequel le ministre de l’Europe et des affaires étrangères reviendra. Nous avons en outre revu fondamentalement notre aide au développement.

Alors ce n’est pas parce que l’on se quitte en mauvais termes qu’il n’y a rien à retenir des actions menées. Que ceux qui osent parler d’échec examinent les résultats de l’opération Barkhane ! Qu’ils considèrent l’état du Mali en 2013 et qu’ils m’expliquent comment nous aurions dû faire pour atteindre une victoire totale !

Nombreux sont les commentateurs qui expliquent ce que nous aurions dû faire. Pour ma part, je vous redirai très simplement ce que nous avons fait.

Nous avons redonné espoir à une population qui vit sous la terreur terroriste. Nous avons traité directement et avec courage une menace très dangereuse et nous assumons aujourd’hui nos actes et notre décision. Nous ne pouvons pas rester au Mali, alors nous partons. La France, notamment les soldats français, a littéralement empêché la formation d’un sanctuaire terroriste au Mali.

Bien sûr, il faut s’adapter à l’évolution de la menace. Une opération militaire n’est pas une décision gravée dans le marbre. Serval, Barkhane : ces deux opérations ont sans cesse été adaptées à la menace terroriste, laquelle se propage et descend vers le sud. Nous répondons à cette évolution.

Dans le domaine militaire, l’idée est de se réarticuler pour prendre en compte cette nouvelle géographie de la menace. Nous réduisons par ailleurs notre empreinte et privilégions une présence plus diffuse, plus intégrée avec les forces armées avec lesquelles nous coopérons.

La force Takuba va elle aussi évoluer, mais son esprit va perdurer. C’est d’ailleurs ce que nos partenaires européens souhaitent. Si certains ici ont pu considérer que Takuba était finalement peu de chose, je leur rappelle que ce que nous avons réussi à faire en deux ans, c’est ce que l’on attendait de l’Europe de la défense depuis cinquante ans.

Nous avons monté une coalition européenne avec dix États militairement capables et politiquement volontaires ; une coalition entre Européens, avec des soldats d’élite européens, qui sont allés au combat contre des groupes terroristes. Quant aux résultats de Takuba, ils sont significatifs et ont largement dépassé les attentes initiales.

Dès lors, peut-on dire de Takuba qu’elle serait une « illusion » ? Je ne suggère pas d’utiliser cette expression, par égard pour ceux qui ont mené l’opération ayant permis la neutralisation d’une trentaine de djihadistes entre le 1er et le 6 février dans le Liptako malien. Cette opération a été menée par les forces spéciales de Takuba et les forces armées maliennes qu’elles accompagnent.

Je pense non seulement que la force Takuba a atteint son objectif opérationnel, mais également que son départ du Mali ne signera pas sa fin. D’ailleurs, le 17 février, le président Bazoum s’est dit prêt à accueillir un dispositif européen comparable sur le territoire nigérien, car il estime que les capacités des forces spéciales européennes permettent de répondre à la menace des groupes armés terroristes. J’en suis, pour ma part, la première convaincue. Des échanges auront donc lieu ces prochains jours avec nos partenaires à ce sujet.

Autre question : la lutte contre le terrorisme s’arrête-t-elle aujourd’hui ? La réponse à cette question – il n’y a pas de grand suspens – est évidemment non ! Nous allons poursuivre avec nos partenaires africains et nos alliés européens notre engagement. Je l’ai dit, c’est la forme de notre présence qui évolue, parce qu’elle dépend de la volonté des États de la région, parce qu’elle s’adapte à la réalité de la menace. Nos opérations continuent donc.

Wagner est-il la cause de notre départ ? Je l’ai déjà dit, la réponse est : non ! La cause, c’est la rupture provoquée par la junte malienne. Wagner est le symptôme de la volonté de la junte de se maintenir au pouvoir à tout prix et de s’isoler de la communauté internationale. Ce sont ces choix-là qui nous posent problème.

Je ne sais pas s’il est utile de rappeler quel est le « modèle » de Wagner, puisque ce groupe s’est déjà déployé dans un certain nombre de pays. Ce que l’on peut dire, c’est que c’est un système fondé sur la violence, sur les exactions à l’égard des populations et sur la prédation des ressources des États. Ce système, loin de diversifier les partenariats du Mali, va conduire ce pays à s’isoler.

Pour terminer, je répondrai à une question que beaucoup ont posée cet après-midi sur Barkhane : les éventuels contacts avec Wagner, d’une part, les conditions du désengagement au Mali, d’autre part.

Nous prenons toutes les mesures pour assurer la sécurisation de ce désengagement. Nous nous préparons évidemment au pire. La mission des militaires est d’ailleurs de toujours se préparer au pire. Nous continuons de suivre activement le déploiement de Wagner sur le terrain et nous travaillons aux conditions de notre désengagement. Nous nous tenons prêts à réagir avec la plus grande fermeté en cas de menace sur la force Barkhane. Je veux être très claire devant vous : nous ne tolérerons aucune provocation et aucune entrave durant notre redéploiement.