M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

Mme Florence Parly, ministre. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de céder la parole au ministre de l’Europe et des affaires étrangères, permettez-moi, alors que le Parlement s’apprête à suspendre ses travaux, de vous remercier pour la qualité des débats que nous avons ici, au Sénat, au cours des cinq dernières années, que ce soit lors de l’examen, puis de l’adoption de la loi de programmation militaire, lors des débats de contrôle en séance publique ou bien encore lors de nos échanges en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

La défense nationale, la protection des Français sont autant d’enjeux qui dépassent largement les clivages partisans, autant d’enjeux aussi qui nous rassemblent tous.

Monsieur le président Cambon, j’ai pleinement conscience que l’information transparente et régulière des parlementaires participe à la compréhension de l’action du Gouvernement par l’ensemble des Français. Nous nous tiendrons naturellement à votre disposition, comme nous l’avons toujours fait, pour continuer de vous rendre compte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure ce débat, je commencerai par me réjouir de la qualité des interventions des orateurs, de leur rigueur et de l’absence de polémique, s’agissant d’un enjeu considérable pour nous-mêmes et pour les pays d’Afrique.

Je poursuivrai en vous faisant part de mon émotion personnelle. J’étais ministre de la défense, lorsque le président Hollande a pris la décision – courageuse, je crois – d’engager les forces françaises au Mali. J’ai présidé aux obsèques du chef de bataillon Damien Boiteux, premier tombé, dès le premier jour de l’intervention Serval. Je me souviens avoir inauguré dans les jardins de la résidence de l’ambassade de France à Bamako la stèle sur laquelle ont été inscrits au fil du temps les noms des cinquante-neuf morts pour la France, pour le Mali et pour notre sécurité.

J’avoue ressentir à la fois de la tristesse et de la colère, lorsque je constate que les autorités qui se sont imposées par la force au Mali n’éprouvent pas de reconnaissance pour ces actions, pour notre soutien, ou lorsque j’entends nos propres forces être traitées de « forces d’occupation », voire de « mercenaires » par ceux dont les prédécesseurs ont appelé la France au secours à un moment particulièrement dramatique. La présence française a permis d’éviter que le Mali ne devienne un État djihadiste.

Voilà ce que je tenais à vous dire, au moment précis où nous avons pris une décision de réarticulation de nos dispositifs, qui passe par l’abandon de nos positions initiales au Mali.

Je ne reviendrai pas sur toutes les interventions, seulement sur quelques points qui m’apparaissent utiles pour contribuer à éclairer la situation.

Monsieur Retailleau, permettez-moi de revenir sur le calendrier, dans lequel il est toujours un peu difficile de se retrouver. Le surge, c’est au sommet de Pau, en janvier 2020 ; le sursaut civil, c’est à N’Djamena, en février 2021. Il s’agit de deux étapes différentes. La décision de réduction a été prise en juin 2021 et la décision de reconfiguration vient d’être prise.

Au-delà des aspects militaires et des questions d’adaptation, sur lesquels je reviendrai dans un instant, il y a un sujet dont on ne parle plus jamais, alors qu’il me paraît essentiel : si échec il y a, c’est celui de l’accord d’Alger.

Monsieur Gontard, il existe une solution politique : c’est l’accord d’Alger, qui a été signé en 2015 par l’ensemble des acteurs. Cet accord, obtenu après des négociations menées par la diplomatie algérienne, validé par le Conseil de sécurité des Nations unies et soutenu par l’Union africaine, prévoyait la réintégration des groupes armés signataires dans les forces maliennes, une décentralisation, une mise en valeur des capacités du nord du pays. Une solution politique est donc sur la table !

Nous devons nous interroger : comment se fait-il que l’accord d’Alger, solution politique intervenue peu après le début de l’opération Serval, soit resté lettre morte ? Certains ont intenté un procès tout à l’heure, mais les responsabilités sont peut-être à chercher du côté de ceux qui n’ont pas voulu mettre en œuvre cet accord. La question demeure.

Si la situation est celle que nous connaissons aujourd’hui, c’est bien parce qu’il n’y a pas eu de volonté de mettre en œuvre l’accord d’Alger. J’ajoute pour répondre à une remarque du président Cambon : je ne crois pas qu’il y ait eu de refus de la diplomatie algérienne ; il me semble plutôt que l’inertie a été telle que tout le monde a abandonné !

J’ai régulièrement participé à des réunions au cours desquelles il était question de mettre en œuvre cet accord, mais rien ne se faisait réellement. Je pense que la cause de l’échec – on n’en parle pas assez – est bien là. Reste à en identifier les responsables. Je le dis, les anciens responsables politiques maliens – pas la junte, dont j’ai dit tout ce que je pensais – portent une lourde responsabilité à cet égard. Il faut appeler les choses par leur nom !

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur Todeschini, je ne suis pas sûr que nous soyons tous conscients aujourd’hui de la diffusion du terrorisme sur une grande partie du continent africain.

Nous ne sommes plus dans la situation de 2013, lorsqu’une opération djihadiste fondait sur Konna, Mopti et Bamako. Aujourd’hui, on assiste à une dissémination du terrorisme non seulement au Mali et dans la zone des trois frontières, mais aussi, au-delà, dans le golfe de Guinée – plusieurs d’entre vous l’ont évoqué –, au Nigéria, au Tchad, en Somalie ou tout récemment au Mozambique. Et cette dissémination est le fait de plusieurs groupes : Al-Qaïda, Daech, Boko Haram, les Shebab, etc.

L’inquiétude sur la sécurité s’étend désormais au continent africain. C’est sans doute l’enjeu le plus important.

M. Todeschini a dit que, bien que nous soyons intervenus au Mali, nous n’avons pas vaincu le terrorisme. Le problème, c’est que cette question devient un enjeu africain.

M. Jean-Marc Todeschini. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ce n’est pas une critique, monsieur le sénateur ! Vous, vous vous êtes montré un peu critique ; moi, pas du tout.

Je veux que nous prenions conscience de ce phénomène, qui est sans doute la préoccupation majeure des responsables africains aujourd’hui. Cette question a d’ailleurs été au centre de la dernière assemblée générale de l’Union africaine il y a quinze jours, au cours de laquelle le président du Sénégal, Macky Sall, a été élu président de l’organisation. Cette question est également majeure pour notre avenir à nous, Européens, au même titre que les risques en provenance du Moyen-Orient.

Monsieur Richard, il est vrai que nous devons faire des efforts en termes de contre-offensive dans le domaine de l’information. Si le terrorisme pénètre partout, certaines manipulations sont le fait d’États, et pas seulement de la Russie, et nécessitent un partenariat nouveau avec les Africains. J’y reviendrai.

Il est vrai, comme l’a dit M. Retailleau, qu’il est difficile d’agir dans un État quasi failli. C’est un constat ! C’est bien dans les interstices, dans les failles des États affaiblis et non structurés, que se développe le terrorisme. C’est une raison supplémentaire d’accompagner les pays africains dans l’affirmation de leur démocratie, en particulier grâce à des partenariats avec l’Union européenne.

Mme la ministre des armées y a fait référence, mais je le rappelle à mon tour, notre position au Sahel, à la fois militaire et civile, n’a cessé d’évoluer.

Nous sommes passés d’un engagement proche d’une substitution à l’armée malienne – c’était au début de l’opération Barkhane – à un partenariat avec cette armée, puis à un engagement étendu : à l’ensemble du Sahel, dans une logique de soutien à la force conjointe du G5 Sahel, puis à d’autres pays voisins ; à nos partenaires européens et internationaux – mise en place de la Minusma, de la mission EUTM Mali et de la force Takuba. Nous avons donc toujours été dans le mouvement.

J’ajoute que notre action a été régulièrement soutenue – certains semblent ne pas l’avoir relevé – par des résolutions des Nations unies. La question de la Minusma a toujours fait l’objet d’un débat annuel au Conseil de sécurité – le prochain aura lieu à la fin du mois de mai prochain.

Cette mutation et cette agilité d’adaptation se traduisent aussi dans le domaine civil.

Il a été fait état d’insuffisances de développement. Je rappelle que, parallèlement à la mise en œuvre de l’opération Barkhane, après Serval, nous avons lancé l’Alliance Sahel, avec les Allemands. L’Alliance Sahel réunit vingt-cinq États : les cinq pays africains du Sahel et vingt partenaires extérieurs, dont l’Allemagne, la France et plusieurs pays européens. Elle est présidée par l’Espagne. Depuis son lancement, elle a mobilisé 22 milliards d’euros pour l’ensemble de la zone. Grâce à elle, près de 6 millions de Sahéliens disposent désormais d’eau potable, 600 000 foyers ont accédé à l’électricité, et quelque 2 300 magistrats ont été formés.

Parallèlement à l’action militaire, nous avons mobilisé nos partenaires, européens en particulier, pour que l’Alliance Sahel devienne une réalité. L’Agence française de développement (AFD) y a contribué de manière significative, avec d’autres : ce n’est pas uniquement une affaire française.

Il importe surtout, lorsque des territoires sont libérés de la présence terroriste, d’accompagner immédiatement le retour de l’État. Si on ne le fait pas, on laisse la porte ouverte au retour d’autres terroristes. Vous avez bien noté que Daech et Al-Qaïda sont en conflit entre eux et que cette conflictualité contribue en elle-même à la diffusion du terrorisme.

M. Retailleau soulevait la question de la présence de l’État. Le retour de l’État dans les territoires libérés est essentiel : retour de l’école, retour du dispensaire, de la sous-préfecture, là où il y en a… (M. le président de la commission des affaires étrangères acquiesce.)

L’évolution du terrorisme dans les cinq pays concernés montre bien que c’est là où l’État est revenu que la sérénité et la paix ont progressé. C’est le cas de la Mauritanie, soumise voilà quelques années encore au terrorisme. C’est le cas du Niger, dont le président, M. Bazoum, avait pour préoccupation principale de faire en sorte qu’aussitôt après le retrait des forces terroristes, l’État reprenne sa place.

Nous sommes donc dans une logique de transformation permanente de notre action. C’est pourquoi le Président de la République a souhaité, en partenariat avec les Européens et en concertation avec nos partenaires africains, réarticuler notre dispositif civil comme militaire. Nous travaillons actuellement à la redéfinition de ce dispositif.

Mme la ministre des armées a évoqué une partie de cette adaptation, dans le domaine militaire, pour alléger notre présence sur le terrain et mieux l’intégrer aux forces des États qui le demanderont. À cet égard, Takuba a joué un rôle de laboratoire ; son esprit souffle toujours, monsieur le président Cambon. J’ai eu l’honneur de participer tout à l’heure au conseil des ministres allemand, sous la présidence du Chancelier, pour y évoquer les questions dont nous parlons. J’y ai senti l’attention des Allemands à la nécessité de continuer à viser ces objectifs de sécurité. Nous devons donc poursuivre notre sensibilisation à l’idée que notre partenariat avec l’Afrique sur le plan militaire est une composante de notre propre sécurité.

Nous allons aussi ajuster notre dispositif civil, en développant une approche préventive partout où ce sera possible. L’objectif est d’empêcher les régions les plus vulnérables de basculer, dans tous les secteurs, et tout particulièrement dans les pays qui bordent le Golfe par le nord : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo et Bénin. Ces pays sont demandeurs d’un partenariat avec les Européens pour leur stabilisation, vu la montée des périls et des menaces qu’ils observent dans l’ensemble de la région.

Nous faisons tout cela dans le cadre de la coalition internationale pour le Sahel, car il y en a une, comme il y a une coalition internationale contre Daech. Les soixante partenaires qui la composent sont essentiellement européens, mais elle compte aussi parmi ses membres des organisations internationales. Elle va continuer son travail pour faire face aux enjeux que pose la montée en puissance du terrorisme dans cette partie de l’Afrique.

Le président des affaires étrangères, avec d’autres, a insisté sur la nécessité de refonder notre relation avec le continent africain. Cela me paraît indispensable. C’est précisément ce qu’a initié le Président de la République lors du sixième sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, qui s’est déroulé en fin de semaine dernière à Bruxelles ; nous y avons acté une alliance nouvelle avec le continent africain. L’Union européenne s’y est affirmée comme premier partenaire du continent et les Africains sont prêts à se mobiliser pour une nouvelle donne de la relation entre l’Afrique et l’Europe qui permette à l’Afrique de rebondir après la pandémie et intègre les enjeux de souveraineté sanitaire et vaccinale de l’Afrique.

La mobilisation des droits de tirage spéciaux (DTS) pour l’Afrique, qu’évoquait M. Laurent, est actée depuis ce sommet, à hauteur de 100 milliards de dollars ; c’est une initiative française, du Président de la République. (M. le Premier ministre le confirme.)

Nous devons donc continuer à investir dans les infrastructures, pour une transition énergétique juste, et dans le développement d’ensembles agroécologiques reconnus et respectés. Un des grands enjeux pour le Sahel, monsieur Gontard, sera de faire en sorte que ce qu’on appelle la muraille verte soit effectivement mis en œuvre par l’ensemble des acteurs. Je suis heureux que l’ancien président Issoufou soit considéré comme le leader de cette opération, comme cela sera annoncé lors d’un forum que nous organisons dans dix jours à Montpellier.

C’est donc une nouvelle donne qui commence avec l’Afrique, ainsi que dans nos relations avec le Sahel, et avec le Mali.

Je termine par une observation personnelle. À mon sens, dans cette nouvelle donne, nous ne devons pas abandonner la population malienne et les forces vives de la société civile malienne à la junte. Je veux profiter de cette tribune pour lancer à cette population, pour laquelle je me suis mobilisé pendant dix ans, un message de soutien et d’amitié. Des liens très forts, tissés par l’Histoire et par les diasporas en France, nous unissent à la population malienne. Ces liens, nous ne les oublierons pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement relative à l’engagement de la France au Sahel.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social
Discussion générale (suite)

Garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée

Discussion d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à créer une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues (proposition n° 337, résultat des travaux de la commission n° 506, rapport n° 505).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’un constat que nous pouvons dresser sur toutes les travées de cet hémicycle : depuis plusieurs décennies, nous avons pris l’habitude de vivre dans une société où le chômage de masse est non plus une exception, mais – hélas ! – la règle.

Pourtant, nous le savons, le chômage est un poison lent, qui mine nos sociétés et fait peser un risque toujours plus grand sur notre modèle social, tout en favorisant – nous le voyons encore aujourd’hui – le populisme sur le plan politique, autre menace pour notre démocratie.

La reprise économique qui fait suite à deux ans de crise pandémique permet au Gouvernement de se réjouir des bons chiffres du chômage au sens du Bureau international du travail (BIT). S’il convient en effet de nous féliciter qu’actuellement, une partie des Français trouvent du travail plus facilement, même si c’est souvent en contrat à durée déterminée (CDD) ou en intérim, l’heure n’est pas aux réjouissances, contrairement à ce que pourraient laisser penser les déclarations de plusieurs ministres : avec 5 659 000 demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi au quatrième trimestre 2021, toutes catégories confondues – A, B et C –, le chômage leste d’un poids trop important notre société.

Comment nous réjouir quand nous connaissons déjà les terribles effets de la réforme de l’assurance chômage ? Cette réforme, monsieur le secrétaire d’État, est celle du Gouvernement auquel vous appartenez. Ses effets sont déplorables sur les plus précaires et sur ceux qu’elle a fait basculer dans la précarité. (M. le secrétaire dÉtat le conteste.)

Certes, des mesures d’accompagnement à l’intention de la population sans emploi ou en contrat précaire existent. Elles sont nécessaires. Nous avions d’ailleurs proposé à plusieurs reprises, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, de les étendre, avec le revenu minimum jeunesse. Nous nous sommes malheureusement heurtés au mur de la majorité sénatoriale, mais aussi à l’opposition du Gouvernement. Pour rejeter notre proposition, vous n’aviez qu’une chose à nous opposer : l’insertion par l’emploi ; en d’autres termes, « changer de trottoir ». Comme si l’un excluait l’autre ! Ce n’est pas le cas. Nous le prouvons aujourd’hui avec cette proposition de loi, audacieuse, qui suscitera un débat, mais qui mérite d’être étudiée avec attention.

Nous nous attaquons ici au chômage de longue durée, synonyme d’exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et de perte de richesse pour la société. Est considérée comme chômeur de longue durée toute personne n’ayant pas exercé d’activité durant un an. En 2020, les chômeurs de longue durée représentaient près de 40 % des demandeurs d’emploi en France. Le phénomène n’est donc pas marginal, et il n’est plus acceptable.

Redonner aux chômeurs de longue durée la possibilité d’avoir accès à un emploi est une priorité, afin de leur éviter d’atteindre un point de non-retour qui les condamne souvent à un déclassement social irrémédiable. Avec cette proposition de loi, nous voulons rendre effectif le droit d’obtenir un emploi, qui est inscrit dans notre Constitution. Nous proposons que l’État puisse le garantir pour les chômeurs de longue durée qui le souhaitent.

Avec les deux laboratoires d’idées que sont Hémisphère Gauche et l’Institut Rousseau, que je salue ici, nous sommes partis d’un constat : la pénurie d’emplois résulte non pas d’un manque de travail, mais de l’organisation du marché du travail. Parmi les victimes de cette pénurie, certains se retrouvent durablement éloignés de l’emploi, avec la précarité sociale, psychologique et sanitaire que cela comporte. Le phénomène se reproduit de génération en génération.

Nous pensons que le rôle de l’État, en concertation avec les territoires et les élus locaux, est de corriger une telle injustice et de tout mettre en œuvre pour que la relégation d’une partie de la population ne soit jamais une fatalité, un invariant, un problème insoluble.

Nous proposons donc à chaque personne au chômage depuis plus d’un an et qui en fait la demande, une offre d’emploi à temps choisi, payée au SMIC horaire. Ces emplois donneront les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un CDI classique. L’objectif est de fournir un emploi à toutes les personnes durablement exclues du marché du travail. Si le dispositif se fonde sur l’émancipation par le travail, il n’impose rien. Cela permettra d’éviter à une partie de la population de s’enliser dans la trappe à pauvreté qu’est le chômage de longue durée, et augmentera les possibilités pour les personnes concernées de rebondir ensuite vers un emploi mieux rémunéré.

Monsieur le secrétaire d’État, si vous étiez cohérent avec vos propositions vous devriez soutenir ce dispositif d’insertion par l’emploi.

Oui, pour répondre à la potentielle demande, il nous faudrait créer un million d’emplois ! Je vois déjà venir le procès en utopie. Mais, je le souligne, créer ce million d’emplois aurait un coût inférieur à celui des politiques qui sont actuellement menées pour lutter contre le chômage.

Je souhaite saluer le travail du rapporteur, Jean-Luc Fichet. Mon groupe reprendra les amendements qu’il avait déposés. Ceux-ci, s’ils n’ont malheureusement pas été adoptés en commission, améliorent sensiblement le texte sur plusieurs points.

Pour atteindre notre objectif, nous rendons possible une montée en charge des dispositifs existants de contrats aidés, dans les secteurs marchand et non marchand, et nous développons l’insertion par l’activité économique.

Nous avons également souhaité nous appuyer sur la fameuse expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), un dispositif juste, porté notamment par l’ancien député Grandguillaume. Cette expérimentation a fait ses preuves et est reconnue par tous les acteurs sur le territoire. Plutôt que de la généraliser de manière anticipée à travers un dispositif pérenne, nous souhaitons supprimer le plafond d’extension à soixante territoires, afin de permettre à tous les projets partenariaux et territoriaux existants, s’ils respectent le cahier des charges de l’association, d’intégrer le dispositif. Nous proposons également de simplifier l’habilitation de nouveaux territoires, en la rendant possible par la prise d’un simple arrêté préfectoral : un amendement en ce sens sera présenté. La question de la formation sera aussi prise en compte dans l’expérimentation.

Parce que nous pensons que l’État et les collectivités doivent s’engager dans une démarche innovante, permettant d’adapter réellement l’emploi à la transition écologique, nous avons orienté notre texte vers un déploiement d’emplois dits verts. Pour embarquer tous les citoyens dans la dynamique de transition écologique et faciliter son acceptation sociale, l’État doit pouvoir offrir aux Français des perspectives nouvelles, notamment en faveur des personnes les plus éloignées de l’emploi.

Nous considérons que cette approche inclusive et solidaire est le préalable à toute transition écologique d’envergure. À l’heure actuelle, les éco-activités, qui produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources, mobilisent à peine 1,8 % de l’emploi en France. C’est bien trop peu. Elles concernent l’agriculture biologique, la protection de la nature, des paysages, de la biodiversité, le recyclage, la récupération des eaux, la recherche, le développement ou encore l’ingénierie des énergies renouvelables. Autant de nouvelles compétences, mes chers collègues, qui vont se déployer dans les prochaines années, et c’est tant mieux. À nous de les encourager ! Déjà, un certain nombre d’emplois peuvent être rapidement créés localement, en fonction de besoins identifiés dans chaque bassin de vie.

J’évoquais les procès en utopie qui, comme toujours, ne manqueront pas de fleurir. Quand on propose un dispositif novateur, on se heurte souvent au mur du conservatisme. J’affirme donc ici que le financement de cette garantie à l’emploi ne poserait aucun problème. À terme, ce dispositif permettra même d’économiser de l’argent public. L’organisation non gouvernementale (ONG) ATD Quart Monde a estimé en 2015 les coûts du chômage d’exclusion, c’est-à-dire le chômage de longue durée, à 36 milliards d’euros par an pour la puissance publique. Amorcer le financement de ce million d’emplois verts coûterait moins de la moitié de cette somme, à comparer également aux 137 milliards d’euros de profits enregistrés par les groupes du CAC 40 en 2021…

En supprimant la flat tax, que vous avez créée, en instaurant un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital, en annulant la baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production prévue par le plan de relance, et qui représente 10 % de son coût, et en augmentant le taux de la taxe les transactions financières, nous nous donnons les moyens d’enclencher cette dynamique vertueuse. À terme, cette garantie à l’emploi sera financée par la puissance publique, notamment à travers l’activation des dépenses liées au chômage, c’est-à-dire par la transformation en salaires des allocations et des aides sociales que perçoivent les chômeurs.

C’est le meilleur moyen de lutter contre le prétendu « assistanat », concept qui revient si souvent dans la bouche de certains de nos collègues ici présents.

Le bilan des politiques de lutte contre le chômage menées depuis quarante ans est décevant. Celles-ci n’ont pas permis d’éradiquer le chômage de longue durée. Avec cette proposition audacieuse, sociétale, vertueuse, offrons la possibilité de sortir d’une telle ornière !

Mes chers collègues, je vous invite à ne pas laisser passer l’occasion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée vise à donner une portée concrète au droit d’obtenir un emploi proclamé par le préambule de la Constitution de 1946.

Rendre effectif ce droit nécessite non seulement de créer des emplois, mais aussi d’aller à la rencontre des personnes qui en sont privées, de les accompagner vers et dans l’emploi et d’assurer leur formation professionnelle.

La privation d’emploi ne se réduit pas à la catégorie administrative des demandeurs d’emploi de longue durée, qui rassemble 2,6 millions de personnes selon l’Insee. Elle concerne aussi de nombreuses personnes, découragées ou invisibles, qui n’apparaissent pas dans les chiffres du chômage. L’ampleur du phénomène, sa persistance et ses conséquences sur notre cohésion sociale justifient que tout soit mis en œuvre pour l’éradiquer.

À cette fin, la proposition de loi déposée par Patrick Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) mobilise plusieurs outils existants, relevant de l’économie sociale et solidaire, qui ont vocation à jouer un rôle complémentaire.

Premièrement, les contrats aidés concernent les personnes connaissant des difficultés d’accès à l’emploi, mais pouvant être orientées directement vers un milieu ordinaire de travail. L’employeur reçoit alors une aide à l’insertion professionnelle, pendant une durée limitée. Unifiés depuis 2010 dans le contrat unique d’insertion, ils prennent la forme du contrat d’accompagnement dans l’emploi dans le secteur non marchand et du contrat initiative emploi dans le secteur marchand. Ces contrats ont plus souvent été utilisés comme outil conjoncturel de réduction du chômage que comme véritable solution à l’appui des politiques d’insertion.

Afin de donner à ces contrats toute leur place dans la mise en œuvre et de la garantie à l’emploi et d’éviter l’alternance de mesures de freinage et de relance, qui compromet leur mobilisation rapide en période de crise, l’article 3 de la proposition de loi fixe à compter de 2023 un nombre minimum de 200 000 contrats aidés dans le secteur non marchand ; l’article 4 prévoit un minimum de 50 000 contrats aidés dans le secteur marchand.

Deuxièmement, l’insertion par l’activité économique (IAE) vise à faciliter l’insertion professionnelle de personnes éloignées de l’emploi, pendant une durée limitée en principe à vingt-quatre mois, au moyen de modalités spécifiques d’accueil et d’accompagnement au sein de structures spécialisées, les structures d’insertion pour l’activité économique (SIAE). L’IAE est devenue un instrument central des politiques de l’emploi, mais les ambitions quantitatives affichées par le Gouvernement, atteindre 240 000 postes dans l’ensemble des SIAE à la fin du quinquennat, restent encore très largement théoriques.

Afin de soutenir le développement du secteur, l’article 2 impose à compter de 2023 un minimum de 100 000 contrats au sein des entreprises d’insertion.

Troisièmement, l’expérimentation TZCLD constitue, dans les territoires concernés, la solution du dernier ressort, la voiture-balai de la garantie à l’emploi. Initiée en 2016, elle permet à des personnes privées durablement d’emploi d’être embauchées en CDI à temps choisi au sein d’entreprises à but d’emploi (EBE). En postulant que personne n’est inemployable et en visant l’exhaustivité, elle apparaît aujourd’hui comme la nouvelle frontière du développement des politiques de lutte contre le chômage d’exclusion.

L’article 1er, prenant acte du succès de cette expérimentation, vise à la pérenniser sans attendre 2026 et à accélérer son expansion. Le nombre de territoires participants serait quintuplé tous les deux ans, dans la limite des collectivités territoriales volontaires et du nombre de territoires encore non couverts. Sa cible serait également élargie aux personnes âgées de moins de 25 ans privées durablement d’emploi depuis six mois et domiciliées depuis au moins trois mois dans l’un des territoires participants.

Nous avons cependant entendu les réserves des acteurs de l’expérimentation, avec lesquels nous avons eu des échanges approfondis. Pour respecter le caractère de projet expérimental et la démarche du territoire, qui sont au cœur du dispositif TZCLD, il serait opportun de remplacer ces dispositions par une suppression du plafond actuel de soixante territoires, auquel il ne peut être dérogé que par un décret en Conseil d’État. Ainsi, tous les projets émergents remplissant les conditions du cahier des charges pourraient être admis dans l’expérimentation sans plus attendre, par arrêté du ministre chargé de l’emploi.

La proposition de loi vise également à orienter cet investissement en faveur de l’inclusion de chômeurs de longue durée vers des activités contribuant à la lutte contre la crise environnementale. Cette orientation n’apparaît pas contradictoire avec l’IAE, qui a depuis longtemps investi des activités liées au développement durable, comme la gestion des déchets. De même, dans les TZCLD, la transition écologique représente 38 % des activités des EBE.

Afin de systématiser une telle approche, l’article 3 prévoit que les aides au titre d’un contrat unique d’insertion ou d’un contrat initiative emploi ne peuvent être accordées que si le contrat porte sur des activités ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources.

Concernant les contrats aidés, dans le secteur marchand, l’article 4 conditionne l’aide au poste à l’atteinte par l’employeur de la neutralité carbone ou à son engagement dans la décarbonation de ses activités. Je considère que cette orientation est souhaitable si elle reste souple et ne conduit pas à limiter le développement de ces contrats.

Je veux le rappeler, l’expérimentation TZCLD et, plus généralement, la garantie à l’emploi portent en elles-mêmes la source de leur propre financement. En effet, le chômage de longue durée représente pour la collectivité un coût de plus de 30 milliards d’euros par an au titre des seules allocations chômage, sans compter ses conséquences en matière de consommation, de dépenses sociales et de recettes fiscales et sociales.

Par conséquent, lutter contre ce fléau qu’est la privation d’emploi, c’est dégager à terme des économies substantielles.

Pour autant, parallèlement au dispositif ambitieux qu’elle prévoit, et dans le souci d’en assurer le financement, la proposition de loi contient un projet de réforme fiscale de grande ampleur, à même d’entraîner un surcroît de recettes fiscales de 10 milliards à 11 milliards d’euros.

Les quatre piliers sur lesquels repose la réforme contribueraient en outre à la résorption des inégalités économiques et sociales, dont la croissance constitue, en période de sortie de crise plus encore que jamais, un obstacle fondamental à la convergence de toutes les énergies et de la cohésion nationale.

La première de ces réformes consiste en l’annulation d’une partie des mesures de baisse des impôts de production intervenues en 2021. Si de telles dispositions se sont révélées utiles pendant la crise sanitaire, il n’est pas juste que toutes les entreprises, même celles qui dégagent des profits importants tout en contribuant au réchauffement climatique, en aient bénéficié.

L’article 5, qui prévoit leur annulation, permettrait donc d’associer les entreprises au financement de la solidarité nationale à hauteur de 7 milliards d’euros, ce qui se justifie tout particulièrement à l’heure où la croissance atteint des niveaux sans précédent.

La deuxième réforme concerne l’imposition des grandes fortunes. En la matière, l’article 6 prévoit le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), sous la forme d’un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital.

Pour mémoire, le Gouvernement a supprimé l’ISF en 2018. Il lui a substitué l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui repose sur les seuls biens immobiliers, afin d’inciter à l’acquisition de titres de capital d’entreprises françaises plutôt qu’à la rente immobilière. Au terme de mes auditions, il est apparu qu’aucune étude ne permettait pour l’heure d’affirmer que l’objectif avait été atteint. Bien au contraire ! À ce jour, une seule chose est certaine : la suppression de l’ISF a largement profité aux plus riches.

L’article 7 prévoit en outre de supprimer le prélèvement forfaitaire unique (PFU), créé en 2018 et devenu l’option par défaut pour l’imposition des revenus du capital.

Enfin, dernière réforme fiscale, et non des moindres, l’instauration d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières, prévue à l’article 8, pourrait permettre de produire des recettes supplémentaires, à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros.

Il s’agirait là d’une juste contribution des marchés financiers au financement de la lutte contre le chômage de longue durée. C’est d’autant plus légitime que la bonne santé de ces marchés ne s’est jamais démentie depuis le début de la crise sanitaire.

Face à l’urgence sociale et à la crise environnementale, nous devons parvenir à articuler les enjeux du droit à l’emploi, de la transition écologique et de la justice fiscale sans les opposer.

La commission des affaires sociales n’a pas adopté la proposition de loi. Je le regrette. À titre personnel, je vous invite à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)