Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre du travail, de lemploi et de linsertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain présente aujourd’hui sa proposition de loi visant à créer une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social.

Le Gouvernement partage évidemment le diagnostic sur la nécessité de donner à chacun, sans exception, la possibilité d’accéder à un emploi pour trouver sa place dans la société. Un tel objectif fait d’ailleurs partie de ceux qui doivent nous rassembler assez largement au sein de cet hémicycle.

Monsieur Kanner, j’ai bien compris que vous jugiez notre bilan en matière d’emploi insuffisant. Permettez-moi néanmoins de souligner quelques éléments.

L’émancipation par le travail a été, du premier au dernier jour du quinquennat, au cœur de nos préoccupations et des réformes que nous avons mises en œuvre.

Je serai clair : si je partage votre diagnostic, le Gouvernement et moi-même sommes en désaccord avec votre proposition, qui pourrait, selon moi, plutôt fragiliser la situation de l’emploi, en déstabilisant les acteurs et en détricotant des réformes majeures.

Nous souscrivons donc à l’objectif de votre texte, mais nous n’approuvons pas les moyens de l’atteindre.

Tout d’abord, la pérennisation et l’extension progressive à tout le territoire de l’expérimentation TZCLD nous semblent prématurées.

Monsieur le rapporteur, vous avez défendu avec vigueur cette expérimentation, dont, encore une fois, nous sommes convaincus de l’intérêt. Nous l’avons nous-mêmes soutenue, tout comme d’ailleurs une large part de l’hémicycle.

Il convient de nous en tenir au texte en vigueur et de ne pas aller plus vite que la musique. La loi du 14 décembre 2020 est tout de même relativement récente. Elle comporte des éléments d’extension à cinquante nouveaux territoires tandis que neuf territoires ont déjà été habilités depuis son entrée en vigueur. Avançons donc progressivement.

Par ailleurs, l’expérimentation nécessite à chaque fois de construire un nouveau dispositif et de vérifier localement ses conséquences et ses performances.

Notre action s’inscrit donc dans l’esprit que vous souhaitez, mais la montée en charge de l’expérimentation ne doit pas se faire au pas de course – j’allais dire au pas de charge – ni au détriment de la qualité des parcours, des personnes et des projets de territoire.

Cette assemblée connaît bien les territoires. Elle sait le temps qu’il est parfois nécessaire de prendre pour que de telles expérimentations se traduisent en réussite.

Ensuite, la création de 100 000 contrats supplémentaires relevant de l’IAE d’ici à 2023 est un objectif louable. Mais vous semblez ignorer les efforts qui ont déjà été engagés.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit ainsi de développer le nombre de parcours d’insertion, alors que cette démarche est déjà au cœur de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Dans le cadre de cette stratégie, plus de 100 000 nouveaux bénéficiaires devaient être accueillis dans l’insertion par l’activité économique entre 2018 et 2022 et orientés vers les métiers en tension.

Pour atteindre cet objectif malgré la crise, nous avons fortement soutenu le secteur, si bien que la moitié du chemin a déjà été parcourue, avec 55 000 personnes supplémentaires accompagnées en 2021 par rapport à 2017.

Prenons l’exemple du département du Nord, qui nous rassemble, monsieur Kanner. Nous nous sommes, l’un et l’autre, rendus plusieurs fois chez Vitamine T, l’un des leaders français de l’insertion par l’activité économique. Or ce groupe a déjà fait évoluer cette réalité : il compte aujourd’hui 3 349 salariés en parcours d’insertion.

Je donne cet exemple, car il est très vivant dans mon département et ma région, mais également car il est connu d’un certain nombre de sénateurs qui, peut-être, ont aussi ce type de références dans leur territoire.

Si l’on élargit à présent légèrement le spectre à l’action de ma collègue Brigitte Klinkert, chargée de l’insertion, 400 millions d’euros ont été alloués aux structures d’insertion par l’activité économique pour les aider, d’une part à surmonter la crise sanitaire et, d’autre part, à se moderniser et se positionner sur des secteurs porteurs, comme le bâtiment et les travaux publics (BTP), sur les métiers du numérique, les hôtels, cafés et restaurants, mais encore les métiers de transition écologique que vous avez évoqués.

Des initiatives sont d’ores et déjà lancées pour continuer de sécuriser cet objectif de 100 000 bénéficiaires supplémentaires en 2022.

Les dispositifs que nous mettons en place permettent déjà d’atteindre votre objectif, puisque, à une exception près, liée à la crise sanitaire, le nombre mensuel de personnes en parcours en IAE n’est jamais tombé sous la barre des 100 000 depuis 2017. Votre objectif est donc déjà atteint.

Enfin, le recours aux contrats aidés ne nous semble pas être le levier le plus approprié pour développer les emplois verts dans les secteurs public et privé.

J’ai bien noté, monsieur le rapporteur, les objectifs intéressants que vise la proposition de loi en la matière. Ils sont également les nôtres.

Pour le coup, vous risquez de faire une synthèse. Mais peut-être essayez-vous de faire du « en même temps » sur ce sujet… (M. le rapporteur sourit.) En ce qui nous concerne, nos objectifs sont très clairs.

Par les articles 3 et 4, vous souhaitez adapter l’emploi à la transition écologique en créant 200 000 contrats aidés d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) au sein de l’économie sociale et solidaire, dans les collectivités et les associations, ainsi que 50 000 contrats aidés dans le secteur marchand.

Considérer ces aides comme de simples subventions encourageant à la mise en œuvre de la transition écologique serait très clairement, à mon avis, une forme de dévoiement des contrats aidés.

Nous en avons d’ailleurs déjà discuté avec certains d’entre vous, lorsque nous avons nous-mêmes transformé un certain nombre de dispositifs de contrats aidés. Les collectivités locales et territoriales s’étaient inquiétées, à l’époque, de la question des ressources.

À plusieurs reprises, nous avons aussi échangé sur l’importance de l’accompagnement et sur la nécessité d’orienter vers des métiers d’avenir, d’où notre choix de l’ensemble des métiers en tension.

Mieux vaut ne pas courir plusieurs lièvres à la fois. Cela nuirait à l’activité des acteurs engagés dans l’insertion des plus éloignés de l’emploi.

En réalité, nous pensons qu’il est possible, sans confondre les outils, de mener de front les deux combats : insertion des publics éloignés de l’emploi et réussite de la transition écologique. C’est là, monsieur le rapporteur, que réside peut-être notre divergence.

Certains employeurs ont d’ailleurs déjà recours aux contrats aidés quand ils souhaitent développer leur engagement en matière écologique. D’autres utilisent des outils différents, comme le service civique. Que dire au maire de mon territoire qui a recruté une personne en service civique pour ce type d’activité ? Ne serait-il plus concerné ? Devrait-il se tourner vers un autre type de contrat ?

Mme Corinne Féret. Cela n’a rien à voir !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Ces dispositifs doivent conserver leur lisibilité.

Pour adapter les emplois aux nouvelles compétences, rendues nécessaires, il est vrai, par la transition écologique notamment, nous avons par ailleurs mis en place des outils plus adéquats.

Pour rappel, le Gouvernement a engagé près de 15 milliards d’euros au titre du plan d’investissement dans les compétences (PIC), afin d’accompagner les demandeurs d’emploi.

Par ailleurs, le plan de réduction des tensions de recrutement est doté d’une enveloppe très significative de 1,4 milliard d’euros. Il doit soutenir en particulier le développement des formations associées à une promesse d’embauche dans les secteurs en tension.

Ce plan porte d’ailleurs une attention particulière aux demandeurs d’emploi de longue durée. À cet égard, je sens dans votre expression, monsieur le rapporteur, la volonté de leur proposer une solution. Mais c’est précisément l’objectif de ce plan ! (Mme Monique Lubin sexclame.)

De plus, dans une forme de « en même temps », nous accompagnons ces derniers non seulement par une aide de 8 000 euros versée aux entreprises qui les recrutent, mais aussi par une aide directe de 1 000 euros, versée aux demandeurs d’emploi de longue durée qui se forment aux métiers en tension, une manière de récompenser leur engagement pour le travail.

Enfin, la commande publique et privée me semble être un levier de transformation plus efficace que les aides au poste. J’ai eu l’occasion d’en débattre avec certains d’entre vous, notamment lors de campagnes électorales précédentes, dans le cadre des nouvelles obligations de clauses sociales et environnementales imposées par la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience ». En la matière, les collectivités locales, territoriales et régionales ont un rôle à jouer ; vous en conviendrez.

Votre titre II n’est ni plus ni moins qu’un détricotage des mesures que nous avons mises en place jusqu’à présent ; sans doute ne vous conviennent-elles pas.

Dans ces conditions, vous le comprendrez, le Gouvernement appelle à ne pas adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social
Discussion générale (suite)

6

Communication d’avis sur des projets de nominations

Mme la présidente. Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 et à celles de l’article 56 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable à la nomination de M. François Séners – vingt voix pour, une voix contre – et un avis défavorable à celle de Mme Jacqueline Gourault – douze voix pour, seize voix contre – aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, en application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, elle a émis un avis favorable – vingt-huit voix pour, une voix contre – à la reconduction de M. Julien Boucher aux fonctions de directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social
Discussion générale (suite)

Garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social
Article 1er

Mme le président. La séance est reprise.

Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à créer une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social.

Discussion générale (suite)

Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à réduire le nombre de chômeurs de longue durée en investissant dans les emplois de la filière écologique et du lien social.

Au quatrième trimestre 2021, le nombre de chômeurs était évalué en France à 2,2 millions de personnes, dont environ 700 000 sans emploi depuis au moins un an, auxquels il faut ajouter 2 millions de chômeurs sans emploi ne rentrant pas dans les critères de Pôle emploi.

Le texte s’appuie sur les travaux des associations, notamment ceux de l’organisation non gouvernementale ATD Quart Monde, que je remercie, sur le coût du chômage de masse pour la société.

Il est légitime de s’interroger sur le coût pour la société du fait qu’il y ait 4 millions de personnes sans emploi. Ce coût est loin de se limiter à la prise en charge de l’indemnisation chômage. Le chômage de masse se traduit également par une perte de création de richesse, une perte de rentrées de cotisations sociales pour la sécurité sociale, une baisse de la consommation et des dommages psychosociaux pour des familles entières.

Lorsque ma collègue Cathy Apourceau-Poly a rencontré les anciens salariés de Bridgestone, toujours à la recherche d’une solution, elle a ressenti combien la perte d’emploi représentait pour eux un coût non seulement financier, mais aussi, et surtout, humain.

Je tiens à le rappeler, contrairement à ce que croit le Président de la République, pour qui il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi, dans la vraie vie, ce n’est pas aussi simple. La perte d’un emploi est aussi la perte des relations sociales, la perte de mise en pratique de ses talents.

La proposition de loi apporte un discours positif, et non de culpabilisation des chômeurs, en permettant à chaque personne au chômage depuis plus d’un an de bénéficier d’un emploi dans le secteur social et de la reconstruction écologique.

Le texte propose une refonte de la fiscalité, par le rétablissement des impôts de production, l’instauration d’un impôt de solidarité sur la fortune sous la forme d’un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital, la suppression de la flat tax et l’augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières. Voilà une série de mesures que nous soutenons, pour les avoir défendues à chaque discussion budgétaire.

Nous ne pouvons que regretter que cette réforme de justice sociale n’ait pas été entreprise entre 2012 et 2017.

Devant les défis des nouvelles technologies et de la révolution informationnelle, il nous paraît indispensable de proposer des perspectives durables, avec un accompagnement et une formation des privés d’emploi.

Contre la précarité de l’emploi, il est nécessaire d’apporter des solutions qui ne se limitent pas au recrutement de 200 000 CDD.

Tel est le sens de notre proposition de sécurité de l’emploi et de la formation, associée à un plan de recrutement public, à une augmentation générale des salaires de 30 % dans la fonction publique et à l’augmentation du SMIC à 1 500 euros.

Il faut également accorder des droits nouveaux aux salariés dans les entreprises, abroger un certain nombre de lois, notamment les lois El Khomri et les ordonnances Macron, et revenir sur la réforme de l’assurance chômage.

Nous regrettons donc – nous l’avons dit en commission – que cette proposition de loi n’aille pas suffisamment loin. Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendront sur ce texte.

Mme le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Mme Brigitte Devésa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la clarté du rapport de M. Jean-Luc Fichet, et de remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir inscrit à notre ordre du jour cette proposition de loi visant à créer une garantie d’emploi pour les chômeurs de longue durée, dans les activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social.

Le texte a certes le mérite de proposer un projet de société, de s’engager pour la lutte contre le chômage, d’y apporter des réponses et de rappeler à cet hémicycle que le chômage de masse sur plusieurs générations mine la société de l’intérieur et qu’à force de s’inscrire dans le paysage français, il a fini par rendre l’élite du pays apathique, découragée, voire, pis, a conduit à ce que l’on s’y habitue et que l’on se réjouisse d’un taux à 8 %.

Le plan de lutte contre le chômage de longue durée est décliné de manière exhaustive dans la proposition de loi. Il est détaillé financièrement, avec une précision et un sens de l’équilibre qui font de cette proposition de loi un texte aux allures de projet de loi, voire de programme présidentiel. D’ailleurs, la commission des finances aurait pu être sollicitée pour l’examiner.

Vouloir garantir un emploi aux chômeurs de longue durée est une intention louable. Comment s’y opposer ? On le peut d’autant moins que le droit à l’emploi serait – je dis « serait », car nombre de juristes estiment qu’il y a eu, à la Libération, une confusion entre les termes « droit à l’emploi » et « droit au travail » – un principe constitutionnel.

Une autre intention louable est d’aller chercher la main-d’œuvre là où elle fait défaut. Nous savons que les besoins sont nombreux.

D’après l’Insee, la moitié des agriculteurs en activité partiront à la retraite d’ici à 2030. Dans le secteur des transports routiers, entre 40 000 et 50 000 emplois sont non pourvus. Les besoins pourraient atteindre 100 000 postes dans les cinq années à venir.

Les armateurs nous alertent sur le manque d’officiers et de marins. Sur ce point, le dispositif proposé ne semble pas apporter de véritable solution.

Selon un rapport de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), on comptait en 2020, parmi les trente métiers les plus en tension dans le marché du travail, les ingénieurs du bâtiment et des travaux publics, mais aussi les charpentiers, les couvreurs, les plombiers, les métalliers ou encore les chaudronniers. La présente proposition de loi y pourvoira-t-elle ? Le métier de couvreur sera-t-il considéré comme une activité utile à la reconstruction écologique si l’entreprise n’est pas qualifiée ou ne se spécialise pas, par exemple, dans le recouvrage du toit à la chaux ?

Par conséquent, voici la principale opposition à cette proposition de loi.

Vous élaborez un plan financier complexe, par l’instauration notamment d’un nouvel impôt dit de solidarité sociale et climatique sur le capital. Pourquoi pas ? Vous accélérez des expérimentations sur le terrain, modifiant la nature et le rythme de celles-ci.

Mais vous alourdissez aussi le budget de l’État de 7 milliards d’euros par la diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et l’abaissement de la contribution économique territoriale (CET) pour financer une orientation vers les activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social. C’est une orientation, certes, louable, mais arbitraire ; certains diront idéologique !

C’est ce que rappelle M. Jean-Luc Fichet dans son rapport, lorsqu’il estime que certaines entreprises pourraient être exclues de la liste des entreprises socialement et écologiquement responsables, alors qu’elles opèrent dans des secteurs tout de même stratégiques – vous en conviendrez – pour l’économie française ou qu’elles sont créatrices d’emplois ou de forte valeur ajoutée.

Par cette proposition de loi, vous avez voulu introduire une hiérarchie des activités, entre secteurs essentiels et non essentiels, hissant ainsi la protection de l’environnement et les métiers du lien social devant toute autre activité.

Un flou demeure d’ailleurs sur la définition de ce que vous appelez « activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social ». Je me demande si l’activité des cafetiers et restaurateurs en fait partie. Dans la négative, les restaurateurs devront, comme à Narbonne – souvenez-vous ! –, prendre leurs propres initiatives et augmenter par exemple les salaires de 30 % pour attirer la main-d’œuvre, la préserver et faire face aux pénuries.

Une telle hiérarchisation et contestable. Pourquoi ne pas proposer une proposition de loi garantissant un emploi aux chômeurs de longue durée pour des activités utiles à la culture, à l’éducation, au développement du sens civique et citoyen ?

Quoi qu’il en soit, une autre question se pose : comment peut-on présenter un texte visant à orienter vers les métiers de demain comme la reconstruction écologique sans évoquer une seule fois la question de la formation ?

Vous avez préféré recourir à la création d’un nouvel impôt qui, comme votre proposition de loi, doit être acceptable parce qu’il contient dans son intitulé une référence à la solidarité sociale et au climat.

Il est vrai que les expérimentations ou les dispositifs existants comme l’insertion par l’activité économique ou les contrats aidés peuvent être améliorés ou faire l’objet de réflexions.

Vous me permettrez néanmoins de ne pas entrer plus avant dans le détail des mesures financières de cette proposition de loi quand le groupe Union Centriste, que je représente aujourd’hui, n’en partage pas la philosophie générale.

Aussi notre groupe ne votera-t-il pas ce texte.

Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2021 a connu une baisse importante du chômage.

Le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A a ainsi reculé de 12,6 %, ce qui représente 480 000 chômeurs de moins.

Il semblerait également que, après avoir atteint un pic au premier trimestre 2021, le chômage de longue durée ait entamé une légère décrue en fin d’année. Il représente toutefois encore 49,6 % du total des demandeurs d’emploi.

Par ailleurs, si l’on regarde les chiffres de plus près, le nombre de chômeurs inscrits depuis au moins deux ans a augmenté. Les personnes les plus éloignées de l’emploi sont les premières frappées par les crises et souvent les dernières à bénéficier de la reprise.

Derrière ces chiffres égrenés régulièrement, n’oublions pas qu’il y a des personnes détruites par des carrières brisées ou par des fractures de vie ; elles ont perdu leur confiance en elles et, parfois, leur dignité.

Nous connaissons les conséquences humaines et sanitaires de l’absence d’emploi. De plus en plus d’associations, d’organisations syndicales et de professionnels de santé nous alertent sur le traumatisme que constitue le chômage et sur ses effets délétères sur la santé physique et psychique.

Comme le rappelait un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), perdre son emploi en France, où la population se distingue par un véritable investissement dans la valeur travail, qui vient parfois supplanter d’autres dimensions de la vie, c’est perdre son identité sociale, voire sa valeur sociale.

Coupables d’avoir perdu leur emploi, les personnes finissent par s’isoler socialement. Le traumatisme du chômage se traduit également par une surmortalité, par une détérioration de la santé physique et mentale et par des conduites addictives plus fréquentes.

Quand le chômage dure plusieurs années, il fait naître chez beaucoup un sentiment d’exclusion, un traumatisme que les psychiatres assimilent à une période de deuil.

Dans ces conditions, nul doute que la lutte contre le chômage de longue durée doit être une priorité. C’est l’objet de la proposition de loi présentée par groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui vise à mobiliser plusieurs dispositifs d’insertion professionnelle.

Nous souscrivons pleinement à l’objectif de nos collègues. Personne ne doit en effet s’accommoder d’un taux de chômage récurrent.

Pour autant, penser un tel combat sous le seul prisme des emplois aidés risque de nous faire passer à côté du défi majeur que notre pays doit relever.

Les emplois aidés sont malheureusement bien souvent des contrats précaires. Ils constituent malheureusement aussi une aubaine pour certains employeurs. Dans le secteur marchand, seulement 25 % des contrats aidés débouchent ensuite sur un emploi.

Nous regrettons en outre que la proposition de loi ne comporte pas de volet formation, pilier pourtant indispensable.

Le Premier ministre a annoncé au mois de septembre dernier sa volonté de former 1,4 million de demandeurs d’emploi en 2022. Pour éviter que la reprise ne laisse au bord de la route les publics vulnérables, Pôle emploi devrait déployer le parcours de remobilisation expérimenté depuis quelques mois, qui doit permettre aux chômeurs sans activité depuis deux ans ou plus de retrouver un emploi ou une formation dans une période de six mois.

Enfin, la pérennisation du dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) qui est proposée semble prématurée. La loi du 14 décembre 2020 a prévu une évaluation de l’expérimentation, afin qu’elle puisse être prolongée, élargie ou pérennisée.

Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE s’abstiendra majoritairement sur la présente proposition de loi.

Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans l’un de ses articles, Alain Supiot dénonce le « renversement qui consiste à traiter le travail non pas comme la cause, mais comme un effet de la richesse ». Avec la proposition de loi présentée aujourd’hui, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat s’oppose à un tel renversement.

Nous rappelons que le travail est cause de richesse. Il l’est avant tout par ce qu’il permet de produire directement des biens et des services. En ce sens, c’est un bienfait dispensé par le travailleur. Il l’est également parce que toute personne qui travaille et qui bénéficie pour ce faire d’un droit dédié et protecteur est en mesure de contribuer à la vie de la société et à la qualité du tissu social dans les meilleures conditions.

A contrario, le chômage de masse est, à plusieurs titres, profondément délétère. Il a d’abord des coûts psychosociaux et en matière de santé publique. Il leste les finances publiques en affaiblissant les recettes de l’assurance sociale et en nécessitant, par exemple, la mise en place de politiques d’accompagnement.

Même, voire surtout, dans des périodes comme celle que nous traversons, où les chiffres de l’emploi sont meilleurs, nous nous devons d’être vigilants et d’impulser des politiques exigeantes au profit des personnes encore enlisées dans le chômage de longue durée.

Derrière ces données sympathiques se cachent en effet certaines vérités qui ne sont pas toutes bonnes à dire. Nous constatons en effet une amélioration de la situation de l’emploi, mais il y a encore 5,6 millions de personnes inscrites au chômage. Il faut savoir également que les radiations contribuent à la statistique optimiste mise en avant par le Gouvernement, puisqu’elles représentent 9,4 % des sorties des listes de Pôle emploi. Or leur nombre a bondi de 45 % depuis un an ! Il faut se poser la question du rôle que joue la réforme de l’assurance chômage dans un tel accroissement !

Nous avons un devoir de volontarisme pour ceux qui alimentent encore les chiffres du chômage et pour ceux qui sont sortis des radars. Il n’y a pas de personne inemployable ; il y a seulement des compétences mal identifiées et mal valorisées.

La présente proposition de loi, déposée par notre président de groupe Patrick Kanner, a donc pour objectif de lutter contre le phénomène en créant une garantie à l’emploi pour les personnes qui en ont été privées durablement.

Nous partons d’un constat : le besoin en travail est inépuisable, mais les travailleurs se heurtent à une structuration du marché du travail défaillante.

Je me permets d’ailleurs de réfuter ici une idée reçue : non, les entreprises ne pâtissent pas massivement d’une situation dans laquelle les postes seraient non pourvus ni d’une pénurie de main-d’œuvre ! Pôle emploi a, en effet, publié le 10 février dernier une étude soulignant qu’en 2021, sur les 3,1 millions d’offres qui y étaient déposées et clôturées, seuls 6 % des recrutements s’étaient soldés par un abandon faute de candidats.

Selon le préambule de la Constitution de 1946, chacun a le « devoir de travailler » et le « droit d’obtenir un emploi ». C’est pour tendre vers cet objectif que nous avons déposé la présente proposition de loi.

Pour ce faire, nous nous appuyons sur trois piliers : la montée en puissance de l’expérimentation TZCLD ; le développement de l’IAE ; le développement des contrats aidés. On ne présente plus ces dispositifs et expérimentations. Le choix est cependant trop souvent fait en France, dans le cadre des politiques publiques, de ne pas les consolider ni de les conforter une fois installés et ayant fait leurs preuves. Au contraire, les pouvoirs publics choisissent plutôt de passer à l’expérimentation ou au dispositif suivant. Il faut aller plus loin.

Avec TZCLD et l’insertion par l’activité économique, notamment, nous avons les éléments d’une politique à destination des chômeurs de longue durée sur lesquels il faut faire fond. Ils comportent en effet une dimension « formation » des plus précieuses, qu’elle soit formalisée en tant que telle ou expérientielle.

Par ailleurs, si un amendement bienvenu du rapporteur tend à remplacer la « conditionnalité verte » pour les contrats d’accompagnement dans l’emploi par une approche essentiellement incitative, il n’en reste pas moins que la présente proposition de loi témoigne de notre souci de protection de l’environnement. C’est vers cela qu’il faut tendre.

Il en va de même pour le troisième amendement du rapporteur, relatif aux contrats initiative emploi (CIE) ; il est proposé de limiter la conditionnalité de neutralité carbone aux entreprises de plus de 250 salariés.

Dans le cadre du développement de l’économie sociale et solidaire que nous soutenons en appuyant le travail du tissu associatif, des coopératives et de toutes les entreprises concernées, nous prônons le verdissement de tous les emplois susceptibles de connaître une telle évolution.

Notre approche est bien une approche systémique. C’est pour cela qu’elle repose sur trois piliers différents.

C’est également la raison pour laquelle nous reprenons avec plaisir l’observation qui nous a été faite en commission, selon laquelle notre proposition de loi participerait de la politique générale, avec un volet de politique sociale et un volet de politique fiscale.

C’est très exactement cela. Face à l’ampleur des enjeux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous contenter de politiques à courte vue et sans ambition.

L’intérêt de notre démarche est par ailleurs de s’appuyer sur des expérimentations et des manières de procéder nécessitant un travail sur le temps long, impliquant les acteurs locaux, qui ont pris le temps de bien connaître leur territoire et de développer une vision le concernant.

Ces acteurs ne sont pas uniquement investis dans une démarche volontariste. Ils doivent également faire la démonstration de l’existence d’un projet pour le territoire et les populations concernées. Nous affirmons en effet, au diapason du secteur associatif et des parties prenantes, que, loin des logiques descendantes, c’est bien par la coconstruction pensée et menée à l’échelon local avec des modalités partout différentes que nous sommes susceptibles de trouver les moyens de faire face aux défis qui sont les nôtres aujourd’hui.

Je termine en remerciant notre rapporteur, Jean-Luc Fichet, et notre président de groupe, Patrick Kanner, du travail fourni sur la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)