Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues socialistes, particulièrement Laurence Rossignol et Michelle Meunier, d’avoir mis en lumière cette problématique assez peu connue, qui nécessite un changement.

En se plongeant dans le dispositif de l’allocation de soutien familial et de son ancêtre, l’allocation d’orphelin, on constate que la législation n’a que peu suivi l’évolution de la société et la composition des ménages. Cette prestation apparaît aujourd’hui anachronique, fondée sur un critère de célibat fixé par la loi du 23 décembre 1970.

L’année 1970 est l’année où a été instaurée l’autorité parentale conjointe, supprimant la notion de « chef de famille » du code civil. C’est aussi l’année du cinquième anniversaire de la loi autorisant les femmes à travailler et à ouvrir un compte en banque sans le consentement et l’autorisation préalable de leur mari. Il faudra encore attendre vingt-trois ans pour que s’affirme le principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale à l’égard de tous les enfants, quelle que soit la situation des parents.

À travers ces quelques rappels historiques, il s’agit de mieux comprendre l’esprit du législateur au moment de la création de ce dispositif et de prendre la mesure de son inadaptation aujourd’hui !

En réalité, ce critère de célibat est inopérant à plus d’un titre.

Premièrement, si le Pacs et le mariage sont des modalités d’union comportant une obligation de solidarité entre les conjoints, ce n’est pas le cas, par exemple, du concubinage. L’automaticité faite entre relation amoureuse officialisée et partage financier des charges n’a donc pas de réalité tangible.

Deuxièmement, et malgré l’obligation de solidarité que j’évoquais précédemment, il est impossible d’établir que chaque couple marié ou pacsé partage bien les charges financières.

Troisièmement, le dispositif actuel est facilement contournable, puisqu’il suffit aux parents célibataires engagés dans une nouvelle relation de ne pas l’officialiser. Or cette décision a des conséquences non négligeables sur le court terme, le moyen terme et le long terme en matière de fiscalité ou encore de succession, et ce au détriment des parents célibataires.

Par ailleurs, ce critère maintient l’ambiguïté sur le destinataire final de l’allocation. Est-ce l’enfant ou le parent célibataire ? Pour nous, c’est bien l’enfant qui doit en être le bénéficiaire. Fonder son attribution sur le statut matrimonial des parents est une aberration qui crée une rupture d’égalité entre les enfants.

Enfin, ce critère est profondément injuste puisque son instauration revient à demander aux parents célibataires soit d’abandonner leur allocation de soutien familial et de se mettre, en quelque sorte, sous la coupe financière du nouveau conjoint, soit de renoncer à une vie de couple pour conserver le bénéfice de cette prestation. C’est d’autant plus problématique qu’il s’agit ici d’un dispositif concernant les familles les plus fragiles du point de vue économique et social.

Selon les chiffres de l’Insee de septembre dernier, les familles monoparentales sont celles qui habitent le plus dans des logements surpeuplés, où le taux de pauvreté des enfants est largement supérieur au taux de pauvreté moyen pour la même classe d’âge et où le taux de non-emploi des parents est supérieur.

Les mères, qui représentent 82 % de l’ensemble des familles monoparentales, sont plus mal loties que les pères. Elles vivent avec plus d’enfants en moyenne, sont plus souvent en situation de pauvreté et moins souvent en situation d’emploi. Lorsqu’elles travaillent, elles occupent plus fréquemment des emplois précaires ou exercent des métiers moins rémunérateurs.

Dans ce contexte, l’ASF constitue une ressource essentielle pour que ces familles puissent espérer s’en sortir financièrement. Il n’est donc pas acceptable qu’un critère aussi injuste et incohérent que le célibat présumé vienne remettre en question cette prestation. C’est pourquoi le groupe CRCE votera la proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à maintenir le versement de l’allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir le versement de l'allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire
Rappel au règlement

Article 1er

I. – Le second alinéa de l’article L. 523-2 du code de la sécurité sociale est supprimé.

II. – La perte éventuelle de recettes résultant du I du présent article pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à la taxe prévue à l’article 235 ter ZD du code général des impôts.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.

Mme Laurence Rossignol. Je remercie l’ensemble des collègues qui ont apporté un soutien bienveillant à ce texte, par abstention ou par vote favorable.

La proposition de loi vise à mettre en évidence une situation incohérente et in fine empreinte d’un moralisme très archaïque.

Le texte que mes collègues et moi proposons de supprimer dispose que l’ASF cesse d’être versée lorsque le père ou la mère titulaire du droit à l’allocation de soutien familial se marie, conclut un pacte civil de solidarité – il s’agit là de situations juridiques ! – ou vit en concubinage.

Je me suis replongée dans la manière dont la CAF identifie des situations de concubinage, qui sont par définition des situations sans encadrement juridique. La situation de concubinage se définit par une communauté d’intérêts sur le plan affectif et matériel. Or la charge matérielle et affective des enfants n’est malheureusement pas systématique, tant s’en faut, en cas de remise en couple ! Le concubinage se définit également par un contrôle de la notoriété de la vie commune établie à partir d’enquêtes de voisinage auprès des services de police et de gendarmerie.

Si une personne retourne habiter chez ses parents, où elle bénéficiera d’un soutien matériel, puisque sa contribution aux charges locatives sera moins importante, et affectif, elle continuera de percevoir l’allocation de soutien familial. Idem si elle va vivre avec une amie, à moins d’une enquête de voisinage très poussée pour sur la nature de cette relation.

En revanche, si elle vit avec un homme, il y aura présomption de relation affective et suspension de l’allocation de soutien familial. Je trouve cela assez curieux !

C’est dire à quel point le second alinéa de l’article L. 523-2 du code de la sécurité sociale est anachronique et moraliste ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. Je vais mettre aux voix l’article 1er.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

M. Patrick Kanner. Rappel au règlement, madame la présidente !

Rappel au règlement

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir le versement de l'allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire
Article 2 (début)

Mme le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Cette séance est le dernier espace réservé de notre session avant la pause. Manifestement, l’intérêt pour les chômeurs de longue durée ou pour les situations évoquées par Mme Rossignol ne mobilise pas totalement la majorité sénatoriale, ce qui nous amène à multiplier les scrutins publics.

Je le regrette, car cela ne donne pas une bonne image du fonctionnement de notre démocratie ni de la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 114 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 268
Pour l’adoption 103
Contre 165

Le Sénat n’a pas adopté.

Rappel au règlement
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir le versement de l'allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire
Article 2 (fin)

Article 2

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi, un rapport relatif à la diversité des façons de faire famille et à leurs conséquences sur la fiscalité.

Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés.

Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.

Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.

La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote sur l’article.

Mme Laurence Rossignol. Nous l’avons dit il y a peu lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Olivier Henno, nous ressentons tous, malgré des angles de vue différents, le besoin d’une vraie réflexion collective sur notre politique familiale, ses enjeux et, surtout, son objet.

Comme l’a souligné Élisabeth Doineau, une des évolutions principales de la politique familiale est qu’elle est désormais centrée sur l’enfant, ce qui change la donne.

Pourquoi une telle demande de rapport ? Parce que la politique familiale repose effectivement sur les prestations familiales versées par les CAF, mais aussi sur les politiques fiscales. J’ai évoqué tout à l’heure la question de l’imposition des pensions alimentaires, le plus souvent perçues par les mères, alors que le père, lui, les déduit de ses revenus imposables. Nous aimerions avoir des éléments de la part des services fiscaux sur les effets de cette situation. Les questions de déconjugalisation et d’autonomie fiscale se posent également.

Je m’adresse en particulier à mes collègues de la droite du Sénat, qui ont soutenu la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, leur réflexion ne peut pas s’arrêter à cette seule allocation ! C’est l’ensemble de nos politiques sociales et familiales qui, sans être forcément totalement revues, doivent faire l’objet d’une analyse plus poussée. Voilà pourquoi nous devrions pouvoir disposer d’éléments d’information. Le Sénat, en cohérence avec les propositions de loi dont il est à l’origine, pourrait exceptionnellement voter en faveur de cette demande de rapport. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote sur l’article.

M. Hussein Bourgi. Être majoritaire dans une assemblée est un honneur, mais cela confère aussi quelques obligations. Parmi ces obligations, il faut notamment s’astreindre à une présence minimale et ne pas recourir systématiquement aux artifices de procédures ainsi qu’aux scrutins publics, comme cela a été le cas ce soir !

Depuis que je siège au Sénat, j’observe qu’il existe des règles de courtoisie républicaine : quand un groupe politique de la majorité ou de l’opposition présente une proposition de loi dans sa niche parlementaire, chaque groupe politique doit s’astreindre à assurer une présence et à nourrir le débat.

On ne peut pas, comme vous le faites ce soir, jurer, la main sur le cœur, que la précarité des chômeurs de longue durée ou des familles monoparentales sont des sujets graves et de sérieux, et empêcher le débat lorsqu’il a lieu. C’est une attitude que je regrette sincèrement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mmes Catherine Deroche et Frédérique Puissat. Nous débattons !

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Cet article 2 est en quelque sorte satisfait. Sur le fond, je rejoins néanmoins les propos de la sénatrice Laurence Rossignol quant à l’utilité de conduire une réflexion en profondeur au sujet de l’évolution de notre politique familiale. J’ai d’ailleurs commandé trois rapports en ce sens, dont certains ont été cités par les différents intervenants.

La première étude, demandée à IGAS et à l’IGF, porte sur la revue des dépenses en matière de politique familiale. Il existe effectivement une dimension socialo-fiscale très importante de notre politique familiale qui ne correspond plus forcément, selon l’IGAS et l’IGF, à la réalité des familles contemporaines. Il y aura probablement un grand soir de la politique familiale à faire dans notre pays. Peut-être surviendra-t-il dans les semaines, les mois ou les années qui viennent.

Deux autres rapports ont été commandés au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA). Le premier portera sur le bilan des vingt dernières années en termes de politiques familiales. Le second dressera un panorama des familles contemporaines en se focalisant sur quatre typologies : les familles monoparentales, les familles homoparentales, les familles nombreuses, qui demeurent une composante importante des familles actuelles, et les familles recomposées, que j’ai évoquées dans mon intervention liminaire.

Certes, la question de la séparation, de la recomposition et des droits envers les beaux-enfants reste encore à explorer dans notre politique familiale. Mais il n’en demeure pas moins que l’article 2 de cette proposition de loi est, d’une certaine manière, satisfait. J’invite donc tous ceux qui s’intéressent à ces sujets à se plonger dans les trois rapports : ils y trouveront matière à réflexion.

Par ailleurs, je rejoins aussi l’évolution qui a été pointée par Élisabeth Doineau. Le parti qui a été le mien depuis trois ans a été de considérer que les débats relatifs à la politique familiale avaient tendance à tourner, depuis vingt à trente ans, autour des seules questions fiscales ou sociales. Faut-il bouger le quotient familial ? Faut-il modifier le niveau des allocations ?

Les débats se sont souvent concentrés, voire limités, à ce genre de considérations. Cela ne signifie pas que la dimension monétaire n’est pas importante et que la question de la redistribution horizontale ne demeure pas une composante pertinente de la politique familiale.

Pour autant, nous assumons le fait que la politique familiale soit également une politique sociale de redistribution verticale. Cet aspect était présent dès le plan de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui plaçait l’enfant au cœur de cette stratégie.

Par ailleurs, force est de constater que l’universalité des allocations familiales est devenue en quelque sorte un totem. Il conviendrait d’aller plutôt vers une universalité des services en passant d’une politique familiale à une politique d’accompagnement à la parentalité, qui place l’enfant au cœur du système.

Prendre l’enfant comme prisme de la politique familiale permet de redécouvrir totalement ce domaine. C’est ce que nous essayons de faire depuis trois ans, notamment au travers de la politique des 1 000 premiers jours de l’enfant, mais c’est un champ qui reste encore largement à explorer.

Pour conclure, je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, des trois ans partagés en votre compagnie, qui ont été fort riches, passionnants, intéressants et intenses. Je salue également tous ceux qui concourent au quotidien à faire en sorte que nous puissions débattre afin que la démocratie reste vivace dans notre pays ! (Applaudissements.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 268
Pour l’adoption 103
Contre 165

Le Sénat n’a pas adopté.

Tous les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi visant à maintenir le versement de l’allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire n’est pas adoptée.

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir le versement de l'allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire
 

9

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée aujourd’hui, jeudi 24 février 2022 :

À dix heures trente :

Débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

À quatorze heures trente :

Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relative au choix du nom issu de la filiation (texte n° 529, 2021-2022) ;

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au monde combattant (texte de la commission n° 492, 2021-2022) ;

Deuxième lecture de la proposition de loi pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public (texte de la commission n° 504, 2021-2022) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (texte de la commission n° 513, 2021-2022) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à encourager l’usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d’accéder à internet (texte de la commission n° 516, 2021-2022).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 24 février 2022, à zéro heure quinze.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER