M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. … et limiter les risques de fraude. (Mme Catherine Di Folco renchérit.)

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Le suivi des mesures fiscales exceptionnelles, dont j’ai déjà souligné toute la pertinence, était difficile en raison des rigidités liées au système d’information de l’administration fiscale.

Une attention similaire doit être prêtée au suivi des prêts garantis par l’État (PGE). Il est difficile d’en prévoir le coût total pour l’État, puisqu’il dépend du taux de défaut des bénéficiaires, évalué actuellement à 4 %, soit un coût net pour l’État inférieur à 3 milliards d’euros ; néanmoins, les risques d’optimisation doivent être contrôlés et les outils de pilotage financiers, améliorés.

De manière plus sectorielle, nous identifions des limites similaires pour les aides de l’État en faveur du mouvement sportif. Les moyens dédiés aux contrôles ont été quasi inexistants et le déploiement des aides s’est fait dans une grande confusion entre les mesures d’urgence et les mesures de relance. Dans les fédérations comme à l’Agence nationale du sport (ANS) et à la direction des sports, il convient de développer une véritable fonction de contrôle de gestion et d’audit.

L’État a ainsi agi avec volontarisme pendant la crise – parfois avec brio, parfois moins bien ; il est question non pas de dénigrer ici ses actions, mais de tirer des leçons de la crise et, comme Churchill, de se dire qu’il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. C’est cette vigueur d’esprit que l’État doit adopter.

Le troisième et dernier enseignement que je veux tirer de ce RPA 2022 est que les faiblesses structurelles de notre système productif et de notre modèle social et de transition écologique ont été accentuées pendant la crise sanitaire.

La pandémie a d’abord rappelé que nous étions individuellement et collectivement vulnérables. Notre première vulnérabilité réside évidemment dans la production de produits de santé. La hausse brutale de la demande, en particulier concernant les médicaments ou les masques de protection sanitaire, a mis à mal le fonctionnement de nos chaînes d’approvisionnement. Le chapitre du RPA relatif à l’approvisionnement en produits de santé démontre que les pénuries auxquelles nous avons été confrontés exposent au grand jour notre dépendance – désormais bien documentée – à l’égard de certains produits importés. La réflexion sur la souveraineté industrielle – nationale ou européenne – trouve ici toute sa place.

La deuxième vulnérabilité a trait au secteur alimentaire. Nous avons évité les ruptures majeures d’approvisionnement, en dépit de certains épisodes de panique. Toutefois, le rapport met en évidence le développement insuffisant des circuits de proximité. Nous importons ainsi 53 % des fruits nécessaires à notre consommation, hors fruits exotiques.

Par ailleurs, la crise sanitaire a éprouvé notre modèle social. Il a résisté, il a su protéger nos concitoyens, mais il doit être consolidé.

J’ai une pensée particulière pour les 600 000 résidents des Ehpad, qui figurent parmi les personnes ayant le plus souffert de la crise. Entre mars 2020 et mars 2021, la pandémie a provoqué près de 34 000 décès parmi eux, soit 36 % des décès constatés en France du fait du covid. De même que le rapport que j’ai présenté hier devant votre commission des affaires sociales, ce chapitre met en exergue les difficultés structurelles que connaissent ces établissements. Votre assemblée a travaillé sur ces sujets de manière constructive et unitaire.

Le modèle des Ehpad, qui doit évoluer, fait l’objet d’un grand débat. La Cour y apporte son éclairage spécifique. Chacun connaît toutefois les problèmes de sous-médicalisation, la vétusté de certains locaux et le taux d’encadrement insuffisant. Nous devons également réfléchir à la part respective devant être établie entre le placement en Ehpad et le rôle des familles. La France compte 600 000 résidents en Ehpad, contre 100 000 en Italie. Comment articuler ces deux aspects ? Nous contribuons à cette réflexion via le RPA et les travaux que nous menons au profit du Sénat. Naturellement, nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous.

Enfin, je souhaite évoquer un thème d’une très grande importance, celui de la transition écologique.

Nous avons choisi d’illustrer les répercussions du changement climatique au travers de la situation des stations de moyenne montagne des Pyrénées-Atlantiques. Derrière l’apparence bucolique du sujet se cache la nécessité de renouveler un modèle économique insoutenable en raison des réalités environnementales actuelles et futures. Dans vingt à trente ans, seule une station pyrénéenne devrait encore bénéficier d’un niveau acceptable d’enneigement naturel. Nous devons nous projeter à cet horizon.

Le besoin de résilience est également illustré par les risques pesant sur la disponibilité de l’énergie nucléaire. La situation nous incite à investir dans des énergies décarbonées – cela fait partie des grands choix démocratiques que le pays doit arrêter.

Le RPA 2022 illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières, mais aussi leur capacité à être en phase avec l’actualité et les réalités du terrain. Les thèmes retenus manifestent tous une conviction : lorsque l’on aborde la crise sanitaire et les préoccupations des Françaises et des Français, il n’y a pas de petit sujet. Le rapport dresse un tableau objectif de la France en sortie de crise, avec des forces et des faiblesses, des défis à relever ainsi que des atouts et des lacunes.

Je veux être optimiste, avec l’optimisme de la volonté, mais aussi celui de la rationalité. Nous espérons tous que l’année 2022 sera marquée par la fin de la crise du covid-19. Elle sera sans doute au moins celle de sa transformation – je n’ose pas dire celle de sa banalisation. Nous pourrons vivre différemment avec ce virus. Nous devons nous adapter : c’est la nature de l’homme que d’affronter le changement et les difficultés. Je ferai miens les mots de Jean Jaurès : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. » (M. Julien Bargeton sen amuse.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, n’y voyez de ma part aucune nostalgie politique (M. Bernard Jomier ironise.), mais plutôt un hommage rendu à un penseur et à un philosophe. Nous devons faire face aux obstacles du présent de manière collective et solidaire, c’est-à-dire faire advenir l’avenir, en cette année 2022, dont les enjeux de toute nature sont très forts.

J’aurai plaisir à vous revoir tout au long de l’année, en espérant que nos échanges et notre coopération resteront toujours aussi riches. Vous pourrez en tout cas toujours compter sur la Cour des comptes et sur moi-même. Je vous remercie pour votre accueil et votre attention.

Monsieur le président, en application de l’article L. 143-6 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes. – Applaudissements sur lensemble des travées, à lexception de celles des groupes CRCE et GEST.)

M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Nous allons procéder au débat, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel est un moment important, car elle symbolise l’assistance que la Cour des comptes apporte au Parlement, laquelle dépasse largement le cadre de la présentation d’aujourd’hui.

Chaque année, la commission des finances mène des contrôles budgétaires, dont certains s’appuient sur les résultats d’enquêtes qu’elle demande à la Cour en application de l’article L. 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Hier encore, notre commission a entendu les magistrats de la Cour venus lui présenter son enquête sur les mesures de soutien à l’industrie aéronautique. La qualité de cette enquête, qui incluait des cahiers territoriaux, a été unanimement saluée.

Nous entendrons de nouveau la Cour au début du mois de mars sur l’élaboration, le pilotage et la mise en œuvre des crédits du plan de relance, puis avant la suspension estivale sur les dépenses de l’État pour l’outre-mer.

En outre, nous attendons avec intérêt la remise, au mois de septembre prochain, d’une enquête sur les scénarios de financement des collectivités territoriales, en vue de l’examen à l’automne d’un projet de loi de programmation de nos finances publiques, un événement qui n’a pas eu lieu depuis cinq ans.

J’en viens maintenant au contenu du rapport public annuel.

Le RPA dépeint tout d’abord une situation de nos finances publiques que nous connaissons bien, pour l’avoir suivie au cours de nos travaux sur les lois de finances initiale et rectificatives. Ces chiffres ont été rappelés. Cette situation s’explique pour partie par l’incidence de la crise sanitaire et économique en recettes et surtout en dépenses. Les dépenses de crise, comme l’activité partielle, le fonds de solidarité ou encore les mesures de relance, dont le montant s’est élevé à 70 milliards d’euros en 2020 et 90 milliards d’euros en 2021, étaient évidemment nécessaires.

Pourtant, au-delà de la crise sanitaire, nos finances publiques héritent notamment des conséquences des choix d’allégements de fiscalité faits par le Gouvernement. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la perte durable de recettes fiscales pour les administrations publiques est évaluée à plus de 50 milliards d’euros au terme du quinquennat. Cette somme correspond peu ou prou à la baisse des dépenses publiques que l’on nous propose aujourd’hui de rechercher si l’on voulait ramener le déficit public à 3 % du PIB, correspondant au niveau avancé par la commission sur l’avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, pour sécuriser la soutenabilité de notre dette. Sans cette érosion des recettes publiques, notre dette aurait été inférieure d’environ 6 points de PIB par rapport à son niveau attendu en 2022, ce qui représente près de 160 milliards d’euros.

À ce jour, je crois pouvoir dire que les effets prétendument positifs de ces réformes fiscales, notamment celles de l’impôt sur la fortune, du prélèvement forfaitaire unique, comme celle des impôts de production, sont pour le moins peu documentés.

Il me paraît donc important de faire preuve de mesure dans la manière dont nous abordons les années qui s’annoncent sur le plan de nos finances publiques. Je remarque le retour d’une musique bien connue et qui nous appelle à une maîtrise « renforcée », « stricte », « sans faiblesse », « urgente » de nos dépenses publiques. Il est regrettable qu’ici ou là certains préconisent en même temps une nouvelle baisse des prélèvements en la gageant par des réformes « structurelles », dont on peine en réalité à saisir les contours.

Certes, je suis comme vous attentif aux risques pesant à terme sur notre soutenabilité budgétaire. Ceux-ci pourront d’ailleurs être réexaminés prochainement compte tenu de l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt. Toutefois, notre principal objectif doit être d’abord de soutenir notre croissance, le pouvoir d’achat des ménages et l’investissement. Or, comme nous l’avons vu dans le passé, un ralentissement ou une baisse brutale des dépenses aurait des effets très négatifs sur l’activité économique : ces éléments doivent être pris en compte, notamment au niveau européen.

Comme toujours, le RPA comprend des insertions thématiques, qui font souvent écho aux observations formulées par nos rapporteurs spéciaux. La Cour analyse ainsi les dispositifs déployés par l’État pour accompagner les étudiants. Comme le relevait notre collègue Vanina Paoli-Gagin dans son rapport budgétaire, la Cour note que la pandémie a révélé une précarité étudiante jusqu’alors ignorée des pouvoirs publics, en montrant notamment qu’une partie des étudiants non boursiers y étaient exposés – vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le Premier président.

Dans ce contexte, les mesures d’urgence mises en place ont souffert d’un ciblage inadéquat ; à titre d’exemple, le repas à 1 euro, créé en septembre 2020 au profit des seuls étudiants boursiers, n’a été généralisé qu’à la fin du mois de janvier 2021 à l’ensemble des étudiants. Ce constat invite à développer une connaissance plus fine de cette population, afin de créer des dispositifs mieux adaptés à ses besoins.

La Cour dresse aussi un bilan de l’efficacité du plan « 1 jeune, 1 solution ». Ce plan a contribué à modifier la structure de l’emploi : aux contrats très courts et d’intérim se sont substitués des emplois en CDI ou en CDD long, mais ses effets ont été faibles sur le taux d’emploi des jeunes.

La Cour insiste également sur la profusion de mesures contenues dans le plan : des dispositifs ont été déployés simultanément et de façon insuffisamment coordonnée entre les différents acteurs du service public de l’emploi.

Elle rejoint ainsi pleinement les constats formulés à plusieurs reprises tant par le rapporteur spécial des crédits de la mission « Plan de relance », Jean-François Husson, que par les rapporteurs spéciaux de la mission « Travail et emploi », Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian. Comme ces derniers l’avaient d’ailleurs souligné, le nouveau contrat d’engagement jeune, qui remplace la garantie jeunes, contribue à rationaliser cette politique, mais sa mise en œuvre, introduite par voie d’amendement sans étude d’impact ni d’ailleurs de débat parlementaire, reste entourée de fortes incertitudes.

S’agissant des grands aéroports français, la Cour pointe les limites d’un modèle économique qui reposait sur la perspective d’une forte croissance du trafic. Elle souscrit ainsi au constat et aux pistes formulées par notre collègue Vincent Capo-Canellas…

Mme Annick Billon. Excellent !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … dans son dernier rapport budgétaire, en relevant l’impasse du modèle de financement actuel des missions de sécurité et de sûreté aéroportuaires. Ce système, qui repose sur une taxe affectée dont le rendement a été fortement minoré par la crise, menace l’équilibre financier des aéroports. L’État leur a accordé des avances remboursables, qui ne font, selon nous, que repousser le problème. Vincent Capo-Canellas avait à cet égard pris une position plus explicite en considérant que les conséquences de la crise sur le déficit de financement de ces missions régaliennes devaient être assumées par l’État sous forme de subventions.

J’en viens aux constats positifs de la Cour sur les prêts garantis par l’État (PGE) : ils ont constitué un outil « simple », « souple », « rapide et massif ». Le rapport souligne que leur coût final est incertain et dépendra de l’évolution de la situation financière des entreprises. Il insiste sur la nécessité de porter une attention particulière aux risques d’optimisation des PGE. Alors que la commission des finances avait commandé une étude spécifique à l’Institut des politiques publiques (IPP), j’espérais que la Cour présente quelques éléments nouveaux à ce sujet.

Enfin, les dispositifs fiscaux de soutien aux entreprises sont examinés dans un titre spécifique du RPA, qui revient à la fois sur les mesures de report, de baisse exceptionnelle et les aménagements dits de « bienveillance ».

Je souscris au constat de la Cour d’un suivi parfois complexe de ces dispositifs. Alors que les reports d’échéances fiscales ont fait l’objet d’une conditionnalité limitée – absence de versements de dividendes, de rachats d’actions ou encore de siège ou de filiale dans un État ou un territoire non coopératif – j’insiste sur la nécessité de contrôler le respect de ces exigences, qui apparaissent peu contraignantes eu égard à l’ampleur des soutiens accordés. (Applaudissements.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, notre commission a pris connaissance avec grand intérêt du rapport public annuel que la Cour des comptes a publié le 16 février dernier.

Cette publication intervient après deux années de pandémie et à la veille de l’élection présidentielle et des élections législatives. Dans un tel contexte, les constats et les préconisations de la Cour prennent un relief particulier.

Tout d’abord, s’agissant des comptes publics, la Cour souligne que, malgré le fort rebond de l’économie française en 2021, notre pays, entré dans la crise avec l’un des plus forts déficits de l’Union européenne, n’en sortira pas en meilleure posture.

J’observe que ce constat vaut également pour les comptes sociaux. En effet, les comptes de la sécurité sociale n’étaient pas revenus à l’équilibre lorsque la pandémie a éclaté et les perspectives sont inquiétantes. J’ai bien noté qu’en s’exprimant aux côtés d’Olivier Dussopt devant les commissions des affaires sociales et des finances de l’Assemblée nationale, le 26 janvier dernier, Olivier Véran a estimé que les déficits cumulés de la sécurité sociale pourraient dépasser 300 milliards d’euros durant la décennie 2020-2030, soit une moyenne de déficit de 30 milliards d’euros par an et un cumul de déficit qui dépasserait de quelque 200 milliards d’euros le plafond de transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) au titre des déficits postérieurs à 2019 – excusez du peu !

Dans ces conditions, on comprend mieux le refus obstiné du Gouvernement d’intégrer une règle d’or dans le cadre organique des futures lois de financement de la sécurité sociale, comme l’a proposé le Sénat. Nous aurons l’occasion d’en reparler en détail avec le ministre délégué aux comptes publics, que nous entendrons le 15 mars prochain.

En plus de ces observations macroéconomiques, la Cour des comptes a conduit diverses études thématiques, dont plusieurs fournissent des éléments précieux à la commission des affaires sociales.

Dans le domaine de la santé, monsieur le Premier président, vous avez insisté à juste titre sur les tensions importantes observées ces dernières années sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Nous avons tous en tête le manque de masques et la grande peur du printemps 2020 sur le risque de pénurie de curares, d’hypnotiques injectables et même de paracétamol.

Dès 2018, avant la crise sanitaire, le Sénat avait mis en garde contre l’augmentation des ruptures de stock, touchant aussi bien les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur que ceux d’usage quotidien. Constatant un risque de déstabilisation de notre système de soins, nous avions considéré qu’il constituait le révélateur d’une perte d’indépendance sanitaire, préoccupante pour la France comme pour l’Europe.

Issues de la loi de modernisation de notre système de santé, votée en 2016, et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, des obligations accrues ont été imposées aux industriels du médicament ; je pense au plan de gestion des pénuries, aux décisions d’urgence prises pendant la crise ou encore à la modification des conditions de détermination des prix en 2021 pour inciter au maintien de la production des médicaments anciens. Je souscris à l’analyse développée dans le RPA : pour utiles qu’elles soient, je crains que ces modifications ne se révèlent insuffisantes face à un fonctionnement à flux tendu, à la fragmentation et à la vulnérabilité des chaînes de production ainsi qu’à une forte dépendance vis-à-vis de l’Asie.

La Cour préconise de donner un rôle plus actif à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans la définition des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et, pour les plus indispensables d’entre eux, appelle à une action plus énergique pour prévenir les tensions d’approvisionnement.

Le Sénat souscrit à ces recommandations. Mais celles-ci doivent impérativement s’accompagner d’un soutien actif à la localisation en France et en Europe : tel était le sens des amendements de notre commission déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Le rapport public annuel consacre également des développements à la question des personnes âgées hébergées dans les Ehpad, car il vous a paru utile de rendre compte des conséquences de la crise sur ces établissements. Il est impossible de ne pas s’arrêter quelques instants sur ce sujet, qui trouve un écho particulier à la suite de la publication de l’ouvrage du journaliste Victor Castanet et de l’émotion légitime que celui-ci a suscitée.

Notre commission a d’ailleurs décidé de créer une mission d’information dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête afin d’analyser les procédures et la politique de contrôle déployées dans ce secteur. Hier, elle a reçu hier les conclusions d’une enquête demandée à la sixième chambre de la Cour relative à la médicalisation des établissements.

Le rapport pointe le lourd bilan humain provoqué par la pandémie de covid-19 sur les personnes âgées ; je m’associe à la douleur des familles. Ce bilan n’est pas imputable à la seule vulnérabilité particulière des personnes âgées dépendantes : les taux d’encadrement dans la prise en charge de ces personnes ont aussi des effets majeurs. La crise est le révélateur d’une problématique qui n’est malheureusement pas nouvelle. Nous souscrivons à cette analyse, que nous nous attachons à approfondir par nos travaux réguliers sur la politique de l’autonomie, en collaboration avec la Cour, à qui nous avons demandé dans les derniers mois deux enquêtes sur ces sujets.

Quelles sont les faiblesses structurelles les plus importantes ? Votre constat est clair : les Ehpad les plus touchés sont ceux dont la proportion de personnel paramédical, d’infirmiers ou de médecins coordonnateurs était la plus basse. En approfondissant votre analyse, vous observez également que les Ehpad privés commerciaux, pour lesquels le taux d’encadrement des résidents est moins élevé, ont été significativement plus touchés que les autres structures lors de la deuxième vague de l’épidémie. Il ne s’agit évidemment pas de jeter l’opprobre sur un secteur, mais il convient de souligner la convergence des analyses sur le fait que la qualité des prises en charge dans les Ehpad est bousculée par les fortes tensions sur les personnels, en période de pandémie plus encore qu’en période normale.

Certes, des efforts ont été faits : le taux d’encadrement dans les Ehpad s’est amélioré depuis dix ans et le Ségur de la santé a contribué à une amélioration des conditions salariales, mais, pour reprendre l’expression utilisée par la Cour, le cumul de difficultés, qui se caractérise par une insuffisance du taux d’encadrement, une mauvaise organisation des cycles de travail, un absentéisme élevé et un manque de formation, suscite de réels problèmes de qualité des prises en charge. Nous serons attentifs à ce que des solutions nouvelles et complémentaires soient mises en œuvre pour réduire ces tensions.

En matière d’emploi des jeunes, vous avez examiné les conditions de déploiement, les premiers résultats ainsi que les coûts du plan « 1 jeune, 1 solution ».

Annoncé par le Gouvernement au mois de juillet 2020, ce plan allait de l’amplification d’outils existants, tels que le parcours contractualisé d’accompagnement adapté vers l’emploi et l’autonomie (Pacea) et la garantie jeunes, à l’introduction d’aides exceptionnelles à l’embauche, en passant par la réactivation de contrats aidés qui avaient pratiquement disparu ou qui ne ciblaient plus prioritairement les jeunes.

Initialement doté de 6,5 milliards d’euros, le plan 1 jeune, 1 solution » aura coûté, selon votre rapport, près de 10 milliards d’euros pour les années 2020 et 2021, dont près de 6 milliards d’euros pour les seules aides à l’embauche en alternance.

Il faut reconnaître la mobilisation du ministère du travail, ainsi que la coordination entre les acteurs dans la mise en œuvre de ce plan.

La situation de l’emploi des jeunes a été préservée, puisque le taux de chômage est de 20 % chez les 15-24 ans au troisième trimestre 2021, en baisse de 1,2 point par rapport à son niveau d’avant-crise. La part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation – les NEET – a quant à elle diminué de 0,8 point, à 11,6 %.

Toutefois, votre rapport est très réservé quant à l’impact direct du plan « 1 jeune, 1 solution » sur cette situation favorable. En particulier, l’effet net sur l’emploi des aides à l’embauche a vraisemblablement été faible, même si celles-ci ont permis une amélioration de la qualité des emplois.

Vos observations sur les dispositifs d’accompagnement intensif, notamment la garantie jeunes, ont retenu toute notre attention. Il semble qu’un changement d’échelle expose ces dispositifs à des risques de perte de substance et d’efficacité.

Ainsi, les résultats en termes d’insertion dans l’emploi de la garantie jeunes, déjà fragiles en temps normal, se sont dégradés pendant la crise avec moins de 20 % d’entrées dans l’emploi. La proportion de jeunes ayant bénéficié d’une période d’immersion dans le monde du travail au cours de leur parcours a été divisée par deux.

Ce constat doit nous inciter à la vigilance, alors que le nouveau contrat d’engagement jeune, qui cible 400 000 jeunes contre 100 000 contrats en vitesse de croisière pour la garantie jeunes, doit être mis en place dans quelques jours : il n’est pas souhaitable que ces dispositifs soient dilués dans une sorte de « RSA jeune ».

La remobilisation des contrats aidés s’est révélée laborieuse, notamment sous la forme des parcours emploi compétences (PEC) jeunes dans le secteur non marchand. Il convient de s’interroger sur la pertinence de ces outils en tant que réponse conjoncturelle à la crise. À cet égard, nous soutenons votre recommandation d’évaluer leur valeur ajoutée en termes d’insertion d’ici à 2023.

Je conclurai en remerciant la Cour des comptes, monsieur le Premier président, pour la qualité de ses travaux et les éclairages qu’ils nous apportent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SER. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

(M. Roger Karoutchi remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)