Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert, M. Dominique Théophile.

1. Procès-verbal

2. Situation en Ukraine

M. le président

M. Patrick Kanner

Mme Nathalie Goulet

M. Roger Karoutchi

M. Alain Richard

M. le président

3. Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat

M. le président

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

M. Christian Bilhac

M. Rémi Féraud

M. Didier Rambaud

M. Jean-Louis Lagourgue

M. Vincent Segouin

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Éric Bocquet

M. Vincent Capo-Canellas

Mme Isabelle Briquet

M. Stéphane Sautarel

M. Vincent Delahaye

Mme Christine Lavarde

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

4. Choix du nom issu de la filiation. – Discussion en nouvelle lecture d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois

Mme Esther Benbassa

M. Hussein Bourgi

Mme Nadège Havet

M. Joël Guerriau

5. Modification de l’ordre du jour

6. Choix du nom issu de la filiation. – Suite de la discussion en nouvelle lecture et rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (suite)

Mme Catherine Di Folco

M. Guy Benarroche

Mme Éliane Assassi

Mme Dominique Vérien

Mme Guylène Pantel

Clôture de la discussion générale.

Question préalable

Motion n° 1 de la commission. – Mme Marie Mercier, rapporteur ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux ; M. Philippe Bas ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Adoption, par scrutin public n° 116, de la motion entraînant le rejet de la proposition de loi.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale

Suspension et reprise de la séance

7. Monde combattant. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Victoire Jasmin

M. Martin Lévrier

M. Jean-Louis Lagourgue

M. Marc Laménie

M. Guy Benarroche

M. Fabien Gay

Mme Brigitte Devésa

M. Jean-Claude Requier

Mme Isabelle Raimond-Pavero

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Vote sur l’ensemble

Adoption définitive de l’article unique de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance

8. Certification de cybersécurité des plateformes numériques. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques

M. Ludovic Haye

M. Joël Guerriau

M. Cyril Pellevat

M. Daniel Salmon

M. Fabien Gay

Mme Amel Gacquerre

M. Jean-Claude Requier

M. Christian Redon-Sarrazy

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er et 3 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

M. Laurent Lafon

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

9. Outils de gestion des risques climatiques en agriculture. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Vote sur l’ensemble

M. Franck Menonville

M. Laurent Somon

M. Daniel Salmon

M. Fabien Gay

M. Pierre Louault

Mme Maryse Carrère

M. Denis Bouad

M. Bernard Buis

Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.

10. Contrôle parental sur internet. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme Sylviane Noël, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Vote sur l’ensemble

M. Laurent Somon

M. Thomas Dossus

M. Fabien Gay

Mme Amel Gacquerre

Mme Maryse Carrère

M. Christian Redon-Sarrazy

Mme Marie Evrard

M. Franck Menonville

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert,

M. Dominique Théophile.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Situation en Ukraine

M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi, avant que nous abordions le débat inscrit à l’ordre du jour de notre séance, de rappeler les circonstances dans lesquelles nous sommes réunis aujourd’hui, qui seront aussi celles dans lesquelles nous poursuivrons, dans cet hémicycle, à partir de demain matin, la conférence interparlementaire (CIP) pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PDSC), dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Tôt ce matin, l’armée russe a engagé une intervention militaire d’envergure sur tout le territoire ukrainien, au mépris de l’intégrité et de la souveraineté de ce pays et en rayant totalement les accords de Minsk.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite condamner avec la plus grande solennité cet acte de guerre intolérable, qui met en péril la sécurité de notre continent, et exprimer notre solidarité au peuple ukrainien injustement agressé.

Je m’entretiendrai dans la journée avec le président de la Rada pour l’assurer, ainsi que ses collègues, du soutien de notre Haute Assemblée.

Nous le ferons également dans le cadre de la conférence interparlementaire à laquelle participeront le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, M. Christian Cambon et ses homologues des vingt-sept pays européens.

Nous serons très nombreux à débattre et à témoigner de la situation, puisque plus de 230 de nos collègues ont annoncé leur participation.

La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, en arrivant dans la salle des conférences, j’ai vu tous les drapeaux européens, synonymes d’une paix retrouvée après les terribles événements de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, la paix en Europe et la paix dans le monde sont menacées. Des actes inqualifiables de guerre ont été perpétrés par M. Poutine, cette nuit, avec l’invasion des territoires souverains de l’Ukraine, frontaliers de la Russie et de la Biélorussie.

Bien évidemment, la situation internationale nous interpelle et oblige le Parlement, mes chers collègues, à prendre des initiatives.

En ce sens, monsieur le président, j’ai demandé ce matin au Premier ministre d’avancer de vingt-quatre heures le comité de liaison parlementaire initialement prévu demain après-midi, car il me semble indispensable de le réunir dans les meilleurs délais.

De la même manière, en écho à la proposition faite ce matin même, dans le cadre d’un rappel au règlement, par ma collègue Valérie Rabault, présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, je souhaite que nous puissions inscrire très rapidement un débat sur la situation en Ukraine à l’ordre du jour du Sénat. Nous sommes encore en session, ce qui permet à l’exécutif d’organiser très rapidement ce débat devant le Parlement, lequel doit être informé de la situation internationale, qui nous touche directement.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Je souscris à ce qui vient d’être dit et, si je prends la parole, ce matin, c’est bien évidemment pour demander ce débat, qui relève de l’évidence.

Je veux également noter, monsieur le président, à quel point nous nous montrons parfois naïfs. Vous vous étiez fortement impliqué au moment de la première crise ukrainienne et vous aviez délégué notre collègue Hervé Maurey pour négocier au mieux les accords de Minsk. Or ceux-ci ne semblent pas avoir été bien respectés dans le cadre de la situation à laquelle nous sommes confrontés.

En toute hypothèse, rien ne justifie la violence. Il faut aussi considérer le fait qu’il n’y a pas eu d’élections locales dans les régions annexées en 2014 ; nous aurions pu réagir à ce moment-là. Je ne défends absolument pas l’indéfendable. (Marques de scepticisme sur des travées du groupe SER.)

Mme Nathalie Goulet. Non, je ne le défends pas, mais je dis qu’il est de notre devoir de suivre les négociations et d’assurer le bon fonctionnement et l’exécution des accords passés.

Je souscris tout à fait à la demande de débat de notre collègue Patrick Kanner.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, je n’envisageais pas le moins du monde de prendre la parole, mais je veux simplement dire qu’hier j’ai posé une question d’actualité au Gouvernement sur le fait que, face aux régimes autoritaires, les démocraties paraissaient bien faibles. La démonstration en a été faite aussitôt – dans la nuit –, après qu’on m’a répondu que, naturellement, nous nous appuierions sur le droit international pour obtenir le règlement de la situation.

Je considère que, à cette heure, il faut d’abord et avant tout avoir une pensée pour les Ukrainiens.

En outre, quelles que soient nos positions politiques et même en campagne électorale, nous avons un devoir d’unité. Monsieur le président, vous avez un rôle tout particulier à jouer dans cette unité : d’une part, parce que le Sénat de la République entretient des liens avec l’ensemble des parlements, qu’ils soient russe, ukrainien ou autre ; d’autre part, parce que le Président de la République, par définition, doit être à votre écoute, à celle du Sénat et du Parlement, pour savoir comment la France et l’Europe doivent réagir au moment où notre pays exerce précisément la présidence du Conseil de l’Union européenne.

Dans ces conditions, je crois qu’il serait tout à fait logique et normal d’organiser un débat parlementaire en fonction de l’évolution de la situation dans les jours qui viennent. Toutefois, il convient surtout que chacun garde présent à l’esprit que, quand il y a des milliers de morts, on ne se divise pas. (M. Bruno Sido applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, je me bornerai à joindre ma voix à celles de mes collègues qui ont appelé à l’unité du pays devant cette situation de guerre, provoquée par une agression.

Je pense aussi qu’il est souhaitable que le comité de liaison se réunisse dès à présent, peut-être ce soir ou demain matin. En revanche, quant à l’organisation d’un premier débat pour que notre pays exprime sa position en lien avec nos responsabilités européennes et notre engagement dans une alliance défensive, je considère qu’il est préférable que nous attendions jusqu’à la semaine prochaine, en écoutant bien sûr ce que dira l’exécutif. Nous pourrons ainsi avoir un débat éclairé.

M. le président. Mes chers collègues, vous avez entendu la tonalité de mon intervention au début de la séance. Naturellement, en lien avec l’exécutif, le président du Sénat et le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont un rôle à jouer.

Nous vivrons, demain, une journée un peu particulière, avec la tenue de la conférence interparlementaire, qui réunira l’ensemble des présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense des vingt-sept pays de l’Union européenne. Elle sera l’occasion, cher président Karoutchi, de réaffirmer un certain nombre de principes de manière forte.

Bien évidemment, je n’imagine pas que notre nation ne fasse pas preuve d’unité dans ce moment. Nous affirmerons notre solidarité avec le peuple ukrainien et aussi nos inquiétudes. Certains d’entre nous se sont rendus en Lituanie, au mois de décembre dernier, et nous avons également pu nous entretenir avec les trois présidents des parlements des États baltes, que nous avons reçus.

Le Sénat tout entier, rassemblé, est particulièrement attentif à ce moment de tension. Il est vrai, monsieur le président Kanner, que les drapeaux que nous pouvons voir en salle des conférences ne sont pas qu’une addition de drapeaux ; ils sont porteurs d’un message et marquent notre détermination.

3

Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes.

(M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes sont introduits dans lhémicycle selon le cérémonial dusage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, madame la rapporteure générale, même dans ces circonstances, c’est avec plaisir et un grand intérêt que nous vous accueillons ce matin à l’occasion du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes. Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie de votre présence.

Cet exercice constitue un moment d’échange privilégié et attendu. Comme vous le savez, le Sénat attache une grande importance à la mission d’assistance du Parlement au contrôle du Gouvernement, que notre Constitution confie à la Cour des comptes. Nous avons d’ailleurs pu échanger, monsieur le Premier président, madame la rapporteure générale, sur les conditions qui nous permettront de conforter encore cette mission.

Pour la troisième année consécutive, comme nous y autorise la loi organique relative aux lois de finances, le dépôt de votre rapport, monsieur le Premier président, va donner lieu à un débat au cours duquel tous les groupes politiques constituant notre assemblée pourront s’exprimer. J’insiste sur ce point car c’est bien ainsi que notre contrôle démocratique doit s’exercer, dans le respect du pluralisme politique.

Cette année, monsieur le Premier président, votre rapport est consacré à la gestion de la crise sanitaire et aux actions mises en œuvre pour lutter contre ses conséquences économiques et sociales.

Nous sommes, vous le dites vous-même, à un moment charnière pour nos finances publiques et notre modèle de croissance économique. Après le très fort recul de 2020, notre économie a rebondi en 2021 et a retrouvé à la fin de l’année dernière son niveau d’avant-crise. Il nous faut maintenant reprendre un chemin de croissance dynamique.

Cette crise et l’ampleur inédite des moyens déployés pour y faire face laisseront une empreinte profonde et durable sur le déficit et la dette publics. Cette situation exige, dites-vous, des efforts importants de redressement afin d’assurer la soutenabilité de nos finances publiques.

La pandémie a montré la grande réactivité et l’extraordinaire capacité de mobilisation de nos services publics ainsi que d’un grand nombre de secteurs d’activité, mais elle a aussi révélé des vulnérabilités et des risques de dépendance forte vis-à-vis de l’extérieur : je pense, par exemple, à notre capacité à fabriquer et à concevoir des produits de santé. Enfin, elle a mis en lumière certaines faiblesses structurelles de notre modèle socioéconomique.

Nous sommes impatients de vous entendre présenter vos analyses sur l’ensemble de ces sujets et vos propositions pour les temps à venir. Vos éclairages nous seront particulièrement précieux.

Monsieur le Premier président, je vous invite maintenant à rejoindre la tribune : vous avez la parole.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission d’affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de m’associer à l’émotion unanime du Sénat face au retour de la guerre sur ce qui est, somme toute, notre continent, en Ukraine. Je nourris également des préoccupations pour notre Union européenne, à laquelle j’ai consacré une large partie de ma vie.

En effet, dans un tel moment, l’unité s’impose et elle est aussi celle des institutions. Or la Cour des comptes est une institution de la République, qui, vous le savez, contrôle les ministères régaliens, le ministère de l’intérieur, le ministère de la défense et celui des affaires étrangères. Par conséquent, nous nous sentons pleinement impliqués dans ce moment.

Je vous remercie, monsieur le président, des mots de bienvenue et de l’accueil que vous avez réservé à la Cour, lequel traduit la qualité des liens qui unissent nos deux institutions – vous savez à quel point j’y suis attaché. Vous avez rappelé ce qu’était la mission d’assistance au Parlement de la Cour des comptes : je la considère bien évidemment comme fondamentale.

J’ai grand plaisir à retrouver votre assemblée aujourd’hui ; j’étais déjà là hier pour une audition de la commission des affaires sociales tout à fait passionnante sur la médicalisation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). J’apprécie que nous puissions avoir un véritable débat sur notre rapport public annuel 2022.

Celui-ci est avant tout le fruit d’un travail collectif, accompli pendant une année charnière dans la lutte contre la pandémie de covid-19 et dans la refonte de notre modèle socioéconomique. Il se structure autour de dix-neuf chapitres thématiques, précédés par un chapitre introductif relatif aux finances publiques. Il s’agit non pas seulement d’analyser nos comportements dans l’urgence, mais d’apprécier notre résilience et notre capacité à remédier aux faiblesses structurelles que la crise a révélées ou accentuées.

Entrons, sans plus attendre, dans le vif du sujet.

Je souhaite tout d’abord rappeler que, pour faire face à la pandémie, l’ampleur des moyens publics déployés a été inédite. Si cette action était indispensable pour préserver l’activité et pour nourrir la croissance à venir, elle pèsera durablement sur le déficit et la dette publics. Le nécessaire redressement des finances publiques passera également par des efforts importants de maîtrise de nos dépenses.

Le chapitre introductif du rapport public annuel montre que, si l’année 2021 a été celle d’un très fort rebond de l’activité économique, cette reprise s’accompagne d’un déficit public élevé et structurel.

Le déficit public se maintient à 8,2 points de PIB, ramené à 7 points selon les dernières déclarations du Gouvernement ; il serait encore de quelque 5 points en 2022. Ce qui est inquiétant pour l’année 2022, c’est la dimension structurelle du déficit. Corrigé de l’impact de la conjoncture, le déficit prévu en 2022 correspond au double de son niveau d’avant la crise !

La dette publique représenterait, quant à elle, 113,5 points de PIB en 2022 et dépasserait alors de 16 points son niveau de 2019.

Vous l’aurez compris, pour atteindre de tels niveaux de déficit et d’endettement publics, les dépenses publiques françaises ont considérablement augmenté, au-delà même des mesures temporaires, et ont atteint un niveau nettement supérieur à celui d’avant la crise.

Les dépenses publiques représenteraient 59,8 % du PIB en 2021 et 55,7 % en 2022 ; elles seraient ainsi supérieures de près de 2 points de PIB à leur niveau de 2019, qui était déjà important. Observons d’ailleurs que nous vivons depuis le début du siècle dans une ère de crises, dont chacune crée un effet de cliquet pour les dépenses publiques, lesquelles restent après la crise toujours légèrement plus élevées qu’avant celle-ci.

Autant que les mesures de soutien, qui expliqueraient à hauteur de 2 points de PIB la hausse des dépenses publiques entre 2019 et 2022, c’est bel et bien la mise en place de nouvelles dépenses pérennes qui vient dégrader le solde structurel.

S’agissant des recettes, nous soulignons dans le rapport public annuel (RPA) que leur hausse, portée par le rebond de l’activité en 2021, a été freinée par d’importantes baisses d’impôts. En 2021 et 2022, les prélèvements obligatoires augmenteraient respectivement de 5,1 % et de 4,6 %, soit moins que l’activité économique. Le taux de prélèvements obligatoires baisserait donc d’un peu plus de 1 point ces deux années, passant de 44,5 % en 2020 à 43,8 % en 2021 et à 43,4 % du PIB en 2022.

L’état des lieux que je dresse devant vous très rapidement doit être pris au sérieux, d’autant que s’annonce le retour à la normale de la croissance. L’année 2020 a été la plus mauvaise année depuis un siècle ; 2021 a été une année de rattrapage, la meilleure depuis soixante ans avec une augmentation du PIB de 7 % ; l’année 2022 devrait être encore très bonne avec une croissance de 4 %, même s’il faut tenir compte d’éventuelles évolutions liées aux mouvements géopolitiques en cours ; ensuite, nous devrions retrouver un taux de croissance de 1,6 % en 2023.

Un ralentissement de la croissance conjugué à un maintien à un haut niveau du déficit public risquerait d’entraîner une augmentation du ratio d’endettement, fragilisant ainsi la confiance des acteurs économiques dans la capacité de la France à honorer ses engagements passés et à venir. J’insiste sur ce point : la dette publique française est parfaitement finançable, elle est soutenable, notre signature est forte, mais cette soutenabilité dépend des efforts que nous réaliserons pour réduire la dette. C’est un enjeu de souveraineté et de crédibilité pour le pays.

Un tel objectif ne peut être atteint qu’en menant une politique budgétaire ciblée visant à redresser la trajectoire des finances publiques. Quelles pistes proposons-nous face à ce défi ?

Tout d’abord, la sortie de la crise et du « quoi qu’il en coûte » doit être l’occasion de réformer profondément la gouvernance des finances publiques. La Cour des comptes, vous le savez, a en quelque sorte validé la politique du « quoi qu’il en coûte » : dans une situation exceptionnelle, il fallait des dépenses exceptionnelles. Toutefois, nous devons à présent traiter les conséquences du « quoi qu’il en coûte ».

Il faut parachever, deux décennies après son adoption, notre « constitution financière ». L’adoption de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et celle de la loi du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l’information du Parlement sur les finances publiques concourent à ces objectifs. Je m’en réjouis, mais, je vous le dis très franchement, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon sens, le travail n’est pas fini et il faut aller plus loin.

À l’échelon national, plusieurs réformes d’envergure doivent encore être menées dans des domaines prioritaires, que nous avons identifiés : les retraites, l’assurance maladie, la politique de l’emploi, les minima sociaux et la politique du logement.

Au niveau européen, une réforme du cadre de gouvernance des finances publiques doit aboutir avant la levée de la clause dérogatoire prévue en 2023. Il était logique de suspendre nos règles ; il faudra en rétablir d’autres, différentes sans doute. Nous devrons privilégier une approche pragmatique, par exemple en déterminant un taux d’endettement propre à chaque pays en fonction de sa situation macroéconomique. N’allons pas croire pour autant que cela nous dispensera d’efforts, alors que notre taux d’endettement est élevé.

Ce constat sur les finances publiques étant posé, nous avons fait le choix de traiter, dans ce rapport public annuel, de sujets sectoriels importants par leur ampleur opérationnelle ou par les masses financières en jeu.

Le premier enseignement du RPA 2022 est que, en dépit d’une anticipation insuffisante face à une crise, il est vrai, absolument inédite, l’administration et le service public en France ont été globalement réactifs. Ils ont fait preuve d’une très grande capacité d’adaptation, et même d’innovation, pour protéger la population, pour assurer la continuité du service public et pour préserver le tissu économique. Dans ce rapport, nous leur tirons un coup de chapeau, ce qui surprendra ceux qui considèrent que la Cour épingle et étrille. Son rôle est surtout de porter des jugements équilibrés, d’où la reconnaissance que nous manifestons à tous ceux qui ont contribué à lutter contre la pandémie.

Malgré les contraintes initiales qui étaient les leurs et l’intensité de l’activité à laquelle ils étaient confrontés, les acteurs publics ont su se mobiliser rapidement.

Je vais vous en donner quelques exemples.

Le chapitre relatif à la direction générale des finances publiques (DGFiP) et à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) illustre parfaitement la mobilisation du personnel administratif, le développement des méthodes de travail à distance et la numérisation des procédures. Il faut rappeler que ces directions n’étaient pas prêtes quand la crise sanitaire s’est emballée. Les outils de gestion de crise, tels que les plans de continuité d’activité ou les modalités de travail à distance, y étaient peu développés, pour ne pas dire inexistants : seuls 27 % des agents de la DGDDI, hors branche surveillance, et 17 % des agents de la DGFiP étaient équipés d’ordinateurs portables en mars 2020. L’administration a été très performante par sa réactivité, puisque les deux directions ont porté en juin 2021 leur taux d’équipement à 81 %, ce qui représente un effort rapide, lequel a permis de poursuivre les chaînes d’alimentation et de mettre en place toutes les mesures prises en faveur des entreprises.

La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont également été parfaitement réactives face à la crise. Le chapitre qui leur est consacré souligne qu’elles étaient, elles aussi, peu préparées, mais que la continuité du service a été assurée au prix d’une adaptation des modalités de fonctionnement en milieu fermé et en milieu ouvert. Comme cela a été fait partout en Europe, l’administration pénitentiaire a accéléré les sorties de détenus condamnés à des peines légères ou présentant les meilleures chances de réinsertion. Nous émettons toutefois une réserve importante concernant la politique vaccinale des détenus et du personnel pénitentiaire, qui n’ont pas été considérés comme prioritaires – à tort, à notre avis.

En outre, je voudrais souligner le rôle clé joué par l’État, qui a choisi d’apporter un soutien massif aux secteurs les plus fortement touchés par la crise sanitaire et à l’activité économique du pays.

L’une des meilleures illustrations est l’instauration du dispositif des prêts garantis par l’État (PGE). Face à un risque majeur de resserrement du crédit, la France, dans le cadre juridique fixé par la Commission européenne, a mis en place ce que l’on appelle des ponts de liquidités pour les entreprises, en leur donnant accès aux désormais célèbres PGE. Au-delà du dispositif lui-même, ce que nous mettons en avant, c’est la rapidité d’octroi et le bon calibrage des PGE. Ce succès a été favorisé par la coopération étroite entre l’administration, les acteurs financiers et Bpifrance. En 2020, les PGE ont largement dominé les autres crédits publics et privés, représentant alors 120,8 milliards d’euros d’encours.

L’État a également fait le choix d’intervenir directement dans des secteurs spécifiques, à l’instar du monde sportif. Face à la chute dramatique du chiffre d’affaires du secteur – quelque 20 milliards d’euros en 2020 –, l’État a mis en place des aides importantes en faveur du sport. À l’image de la crise elle-même, il a fallu prendre des mesures fiscales exceptionnelles. Nous montrons, dans un chapitre entièrement dédié à ces mesures, comment l’administration fiscale française a pris les décisions adéquates pour soutenir la trésorerie des entreprises.

Enfin, l’État a été particulièrement présent pour maintenir la bonne gestion des biens de première nécessité, comme l’électricité et les transports collectifs, qui ont été lourdement frappés par la crise. Le maintien de l’alimentation en électricité est un bel exemple de coopération et de coordination entre les acteurs publics et privés du secteur électrique. Nous montrons que l’État a joué un rôle structurant dans ce domaine. Il a su protéger en agissant en faveur des consommateurs et des entreprises face à la hausse des prix, en prolongeant, par exemple, la trêve hivernale et en permettant des reports de factures. L’État a aussi su soutenir : il a en effet apporté un soutien à EDF, principal producteur d’électricité en France, au travers d’une émission obligataire de l’entreprise d’un montant de 960 millions d’euros.

Autre secteur clé : les transports, auxquels sont consacrés plusieurs chapitres du rapport, l’un dédié au réseau de transports collectifs de la région Île-de-France, l’autre à l’opérateur public Transdev et aux aéroports français. Tous soulignent que l’État a joué un rôle majeur.

L’enquête de la Cour des comptes sur les transports collectifs en Île-de-France a montré qu’Île-de-France Mobilités et les opérateurs RATP et SNCF ont choisi de maintenir une offre largement supérieure à la fréquentation qui, logiquement, avait connu une chute brutale. Il s’agissait d’assurer le transport des salariés qui se trouvaient en première ou en deuxième ligne et de permettre le respect des règles de distanciation. Île-de-France Mobilités et les opérateurs ont subi, de ce fait, de très grosses pertes financières liées à la contraction des recettes tarifaires, mais l’État a accepté de les compenser massivement.

Il me semble important de rappeler que c’est cette présence positive de l’État qui a permis à notre pays de faire face aux vagues épidémiques et au spectre de la récession économique. L’État ne peut pas tout, mais la crise a toutefois montré qu’il peut beaucoup dans des périodes aussi dramatiques que celle-ci.

En miroir de ces réussites, que la Cour a rappelées, le RPA 2022 revient également sur les dysfonctionnements qui ont émergé au cœur de la crise sanitaire, car tout n’a pas été parfait – nous le savions, mais l’épidémie de covid-19 l’a confirmé.

D’abord, dans certains domaines, la gestion de la crise sanitaire a été marquée par un manque de ciblage des moyens déployés, qui s’est traduit par une moindre efficacité de certains dispositifs de soutien et de relance. Je pense au plan « 1 jeune, 1 solution ». L’intervention de l’État en la matière était légitime. Elle s’est traduite toutefois par une amplification des moyens de manière quasi uniforme sur l’ensemble du territoire, y compris dans des zones où la situation des jeunes au regard de l’emploi ne donnait guère de signes de dégradation.

Dans le même esprit, le chapitre relatif aux mesures européennes en faveur de l’emploi fait ressortir des lacunes dans le pilotage du ministère chargé du travail. La France se singularise par une dispersion des financements vers une multitude d’actions et de porteurs de projets, ce qui complique la gestion et l’audit des fonds correspondants. La culture de la maîtrise des risques doit être renforcée dans notre pays.

Plus globalement, il ressort de nos travaux que le manque de calibrage des dispositifs pourrait provenir d’une insuffisante connaissance de leurs bénéficiaires potentiels. Un chapitre très important sur les dispositifs de soutien à la vie étudiante déplore la prise en charge tardive de la communauté étudiante lors de la crise. Ce retard reflète l’éloignement et le manque de données et d’informations sur la population des étudiants. Les dispositifs retenus ont été essentiellement dirigés vers des publics connus, à savoir les boursiers. Toutefois, nous avons redécouvert que de nombreux autres étudiants, moins visibles des services administratifs, souffraient d’une grande précarité. Nos politiques publiques doivent être reformatées dans leur direction.

S’agissant du manque de coordination, je tiens à évoquer en priorité les travaux réalisés par les chambres régionales et territoriales des comptes. Ceux-ci mettent en lumière l’articulation parfois difficile des interventions des acteurs publics nationaux et locaux. Le chapitre dédié aux interventions économiques des collectivités locales d’Occitanie reflète la nécessité de mieux encadrer les dispositifs de soutien, en évitant un éparpillement des moyens, qui peut être préjudiciable à leur efficacité. Ainsi, bien que l’État ait créé un fonds de solidarité national pour éviter la multiplication désordonnée des régimes d’aides allouées par les collectivités locales aux entreprises sur leur territoire, l’effort de rationalisation est resté largement lettre morte. Chaque niveau de collectivité a développé son propre mécanisme de soutien, parfois au prix d’une stratégie de contournement des règles définissant ses compétences.

Le chapitre relatif au contrôle des délégations de service public dans les Hauts-de-France souligne, quant à lui, que, faute d’une stratégie claire face aux impératifs de continuité et d’adaptation du service public, les autorités délégantes ont trop souvent accédé sans réelle discussion aux demandes des entreprises délégataires, malgré la chute des activités déléguées et la baisse de la qualité de service aux usagers.

Enfin, nous déplorons que les aides accordées n’aient généralement pas été assorties de précautions suffisantes pour éviter des effets d’aubaine…

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. … et limiter les risques de fraude. (Mme Catherine Di Folco renchérit.)

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Le suivi des mesures fiscales exceptionnelles, dont j’ai déjà souligné toute la pertinence, était difficile en raison des rigidités liées au système d’information de l’administration fiscale.

Une attention similaire doit être prêtée au suivi des prêts garantis par l’État (PGE). Il est difficile d’en prévoir le coût total pour l’État, puisqu’il dépend du taux de défaut des bénéficiaires, évalué actuellement à 4 %, soit un coût net pour l’État inférieur à 3 milliards d’euros ; néanmoins, les risques d’optimisation doivent être contrôlés et les outils de pilotage financiers, améliorés.

De manière plus sectorielle, nous identifions des limites similaires pour les aides de l’État en faveur du mouvement sportif. Les moyens dédiés aux contrôles ont été quasi inexistants et le déploiement des aides s’est fait dans une grande confusion entre les mesures d’urgence et les mesures de relance. Dans les fédérations comme à l’Agence nationale du sport (ANS) et à la direction des sports, il convient de développer une véritable fonction de contrôle de gestion et d’audit.

L’État a ainsi agi avec volontarisme pendant la crise – parfois avec brio, parfois moins bien ; il est question non pas de dénigrer ici ses actions, mais de tirer des leçons de la crise et, comme Churchill, de se dire qu’il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. C’est cette vigueur d’esprit que l’État doit adopter.

Le troisième et dernier enseignement que je veux tirer de ce RPA 2022 est que les faiblesses structurelles de notre système productif et de notre modèle social et de transition écologique ont été accentuées pendant la crise sanitaire.

La pandémie a d’abord rappelé que nous étions individuellement et collectivement vulnérables. Notre première vulnérabilité réside évidemment dans la production de produits de santé. La hausse brutale de la demande, en particulier concernant les médicaments ou les masques de protection sanitaire, a mis à mal le fonctionnement de nos chaînes d’approvisionnement. Le chapitre du RPA relatif à l’approvisionnement en produits de santé démontre que les pénuries auxquelles nous avons été confrontés exposent au grand jour notre dépendance – désormais bien documentée – à l’égard de certains produits importés. La réflexion sur la souveraineté industrielle – nationale ou européenne – trouve ici toute sa place.

La deuxième vulnérabilité a trait au secteur alimentaire. Nous avons évité les ruptures majeures d’approvisionnement, en dépit de certains épisodes de panique. Toutefois, le rapport met en évidence le développement insuffisant des circuits de proximité. Nous importons ainsi 53 % des fruits nécessaires à notre consommation, hors fruits exotiques.

Par ailleurs, la crise sanitaire a éprouvé notre modèle social. Il a résisté, il a su protéger nos concitoyens, mais il doit être consolidé.

J’ai une pensée particulière pour les 600 000 résidents des Ehpad, qui figurent parmi les personnes ayant le plus souffert de la crise. Entre mars 2020 et mars 2021, la pandémie a provoqué près de 34 000 décès parmi eux, soit 36 % des décès constatés en France du fait du covid. De même que le rapport que j’ai présenté hier devant votre commission des affaires sociales, ce chapitre met en exergue les difficultés structurelles que connaissent ces établissements. Votre assemblée a travaillé sur ces sujets de manière constructive et unitaire.

Le modèle des Ehpad, qui doit évoluer, fait l’objet d’un grand débat. La Cour y apporte son éclairage spécifique. Chacun connaît toutefois les problèmes de sous-médicalisation, la vétusté de certains locaux et le taux d’encadrement insuffisant. Nous devons également réfléchir à la part respective devant être établie entre le placement en Ehpad et le rôle des familles. La France compte 600 000 résidents en Ehpad, contre 100 000 en Italie. Comment articuler ces deux aspects ? Nous contribuons à cette réflexion via le RPA et les travaux que nous menons au profit du Sénat. Naturellement, nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous.

Enfin, je souhaite évoquer un thème d’une très grande importance, celui de la transition écologique.

Nous avons choisi d’illustrer les répercussions du changement climatique au travers de la situation des stations de moyenne montagne des Pyrénées-Atlantiques. Derrière l’apparence bucolique du sujet se cache la nécessité de renouveler un modèle économique insoutenable en raison des réalités environnementales actuelles et futures. Dans vingt à trente ans, seule une station pyrénéenne devrait encore bénéficier d’un niveau acceptable d’enneigement naturel. Nous devons nous projeter à cet horizon.

Le besoin de résilience est également illustré par les risques pesant sur la disponibilité de l’énergie nucléaire. La situation nous incite à investir dans des énergies décarbonées – cela fait partie des grands choix démocratiques que le pays doit arrêter.

Le RPA 2022 illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières, mais aussi leur capacité à être en phase avec l’actualité et les réalités du terrain. Les thèmes retenus manifestent tous une conviction : lorsque l’on aborde la crise sanitaire et les préoccupations des Françaises et des Français, il n’y a pas de petit sujet. Le rapport dresse un tableau objectif de la France en sortie de crise, avec des forces et des faiblesses, des défis à relever ainsi que des atouts et des lacunes.

Je veux être optimiste, avec l’optimisme de la volonté, mais aussi celui de la rationalité. Nous espérons tous que l’année 2022 sera marquée par la fin de la crise du covid-19. Elle sera sans doute au moins celle de sa transformation – je n’ose pas dire celle de sa banalisation. Nous pourrons vivre différemment avec ce virus. Nous devons nous adapter : c’est la nature de l’homme que d’affronter le changement et les difficultés. Je ferai miens les mots de Jean Jaurès : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. » (M. Julien Bargeton sen amuse.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, n’y voyez de ma part aucune nostalgie politique (M. Bernard Jomier ironise.), mais plutôt un hommage rendu à un penseur et à un philosophe. Nous devons faire face aux obstacles du présent de manière collective et solidaire, c’est-à-dire faire advenir l’avenir, en cette année 2022, dont les enjeux de toute nature sont très forts.

J’aurai plaisir à vous revoir tout au long de l’année, en espérant que nos échanges et notre coopération resteront toujours aussi riches. Vous pourrez en tout cas toujours compter sur la Cour des comptes et sur moi-même. Je vous remercie pour votre accueil et votre attention.

Monsieur le président, en application de l’article L. 143-6 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes. – Applaudissements sur lensemble des travées, à lexception de celles des groupes CRCE et GEST.)

M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Nous allons procéder au débat, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel est un moment important, car elle symbolise l’assistance que la Cour des comptes apporte au Parlement, laquelle dépasse largement le cadre de la présentation d’aujourd’hui.

Chaque année, la commission des finances mène des contrôles budgétaires, dont certains s’appuient sur les résultats d’enquêtes qu’elle demande à la Cour en application de l’article L. 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Hier encore, notre commission a entendu les magistrats de la Cour venus lui présenter son enquête sur les mesures de soutien à l’industrie aéronautique. La qualité de cette enquête, qui incluait des cahiers territoriaux, a été unanimement saluée.

Nous entendrons de nouveau la Cour au début du mois de mars sur l’élaboration, le pilotage et la mise en œuvre des crédits du plan de relance, puis avant la suspension estivale sur les dépenses de l’État pour l’outre-mer.

En outre, nous attendons avec intérêt la remise, au mois de septembre prochain, d’une enquête sur les scénarios de financement des collectivités territoriales, en vue de l’examen à l’automne d’un projet de loi de programmation de nos finances publiques, un événement qui n’a pas eu lieu depuis cinq ans.

J’en viens maintenant au contenu du rapport public annuel.

Le RPA dépeint tout d’abord une situation de nos finances publiques que nous connaissons bien, pour l’avoir suivie au cours de nos travaux sur les lois de finances initiale et rectificatives. Ces chiffres ont été rappelés. Cette situation s’explique pour partie par l’incidence de la crise sanitaire et économique en recettes et surtout en dépenses. Les dépenses de crise, comme l’activité partielle, le fonds de solidarité ou encore les mesures de relance, dont le montant s’est élevé à 70 milliards d’euros en 2020 et 90 milliards d’euros en 2021, étaient évidemment nécessaires.

Pourtant, au-delà de la crise sanitaire, nos finances publiques héritent notamment des conséquences des choix d’allégements de fiscalité faits par le Gouvernement. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la perte durable de recettes fiscales pour les administrations publiques est évaluée à plus de 50 milliards d’euros au terme du quinquennat. Cette somme correspond peu ou prou à la baisse des dépenses publiques que l’on nous propose aujourd’hui de rechercher si l’on voulait ramener le déficit public à 3 % du PIB, correspondant au niveau avancé par la commission sur l’avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, pour sécuriser la soutenabilité de notre dette. Sans cette érosion des recettes publiques, notre dette aurait été inférieure d’environ 6 points de PIB par rapport à son niveau attendu en 2022, ce qui représente près de 160 milliards d’euros.

À ce jour, je crois pouvoir dire que les effets prétendument positifs de ces réformes fiscales, notamment celles de l’impôt sur la fortune, du prélèvement forfaitaire unique, comme celle des impôts de production, sont pour le moins peu documentés.

Il me paraît donc important de faire preuve de mesure dans la manière dont nous abordons les années qui s’annoncent sur le plan de nos finances publiques. Je remarque le retour d’une musique bien connue et qui nous appelle à une maîtrise « renforcée », « stricte », « sans faiblesse », « urgente » de nos dépenses publiques. Il est regrettable qu’ici ou là certains préconisent en même temps une nouvelle baisse des prélèvements en la gageant par des réformes « structurelles », dont on peine en réalité à saisir les contours.

Certes, je suis comme vous attentif aux risques pesant à terme sur notre soutenabilité budgétaire. Ceux-ci pourront d’ailleurs être réexaminés prochainement compte tenu de l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt. Toutefois, notre principal objectif doit être d’abord de soutenir notre croissance, le pouvoir d’achat des ménages et l’investissement. Or, comme nous l’avons vu dans le passé, un ralentissement ou une baisse brutale des dépenses aurait des effets très négatifs sur l’activité économique : ces éléments doivent être pris en compte, notamment au niveau européen.

Comme toujours, le RPA comprend des insertions thématiques, qui font souvent écho aux observations formulées par nos rapporteurs spéciaux. La Cour analyse ainsi les dispositifs déployés par l’État pour accompagner les étudiants. Comme le relevait notre collègue Vanina Paoli-Gagin dans son rapport budgétaire, la Cour note que la pandémie a révélé une précarité étudiante jusqu’alors ignorée des pouvoirs publics, en montrant notamment qu’une partie des étudiants non boursiers y étaient exposés – vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le Premier président.

Dans ce contexte, les mesures d’urgence mises en place ont souffert d’un ciblage inadéquat ; à titre d’exemple, le repas à 1 euro, créé en septembre 2020 au profit des seuls étudiants boursiers, n’a été généralisé qu’à la fin du mois de janvier 2021 à l’ensemble des étudiants. Ce constat invite à développer une connaissance plus fine de cette population, afin de créer des dispositifs mieux adaptés à ses besoins.

La Cour dresse aussi un bilan de l’efficacité du plan « 1 jeune, 1 solution ». Ce plan a contribué à modifier la structure de l’emploi : aux contrats très courts et d’intérim se sont substitués des emplois en CDI ou en CDD long, mais ses effets ont été faibles sur le taux d’emploi des jeunes.

La Cour insiste également sur la profusion de mesures contenues dans le plan : des dispositifs ont été déployés simultanément et de façon insuffisamment coordonnée entre les différents acteurs du service public de l’emploi.

Elle rejoint ainsi pleinement les constats formulés à plusieurs reprises tant par le rapporteur spécial des crédits de la mission « Plan de relance », Jean-François Husson, que par les rapporteurs spéciaux de la mission « Travail et emploi », Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian. Comme ces derniers l’avaient d’ailleurs souligné, le nouveau contrat d’engagement jeune, qui remplace la garantie jeunes, contribue à rationaliser cette politique, mais sa mise en œuvre, introduite par voie d’amendement sans étude d’impact ni d’ailleurs de débat parlementaire, reste entourée de fortes incertitudes.

S’agissant des grands aéroports français, la Cour pointe les limites d’un modèle économique qui reposait sur la perspective d’une forte croissance du trafic. Elle souscrit ainsi au constat et aux pistes formulées par notre collègue Vincent Capo-Canellas…

Mme Annick Billon. Excellent !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … dans son dernier rapport budgétaire, en relevant l’impasse du modèle de financement actuel des missions de sécurité et de sûreté aéroportuaires. Ce système, qui repose sur une taxe affectée dont le rendement a été fortement minoré par la crise, menace l’équilibre financier des aéroports. L’État leur a accordé des avances remboursables, qui ne font, selon nous, que repousser le problème. Vincent Capo-Canellas avait à cet égard pris une position plus explicite en considérant que les conséquences de la crise sur le déficit de financement de ces missions régaliennes devaient être assumées par l’État sous forme de subventions.

J’en viens aux constats positifs de la Cour sur les prêts garantis par l’État (PGE) : ils ont constitué un outil « simple », « souple », « rapide et massif ». Le rapport souligne que leur coût final est incertain et dépendra de l’évolution de la situation financière des entreprises. Il insiste sur la nécessité de porter une attention particulière aux risques d’optimisation des PGE. Alors que la commission des finances avait commandé une étude spécifique à l’Institut des politiques publiques (IPP), j’espérais que la Cour présente quelques éléments nouveaux à ce sujet.

Enfin, les dispositifs fiscaux de soutien aux entreprises sont examinés dans un titre spécifique du RPA, qui revient à la fois sur les mesures de report, de baisse exceptionnelle et les aménagements dits de « bienveillance ».

Je souscris au constat de la Cour d’un suivi parfois complexe de ces dispositifs. Alors que les reports d’échéances fiscales ont fait l’objet d’une conditionnalité limitée – absence de versements de dividendes, de rachats d’actions ou encore de siège ou de filiale dans un État ou un territoire non coopératif – j’insiste sur la nécessité de contrôler le respect de ces exigences, qui apparaissent peu contraignantes eu égard à l’ampleur des soutiens accordés. (Applaudissements.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, notre commission a pris connaissance avec grand intérêt du rapport public annuel que la Cour des comptes a publié le 16 février dernier.

Cette publication intervient après deux années de pandémie et à la veille de l’élection présidentielle et des élections législatives. Dans un tel contexte, les constats et les préconisations de la Cour prennent un relief particulier.

Tout d’abord, s’agissant des comptes publics, la Cour souligne que, malgré le fort rebond de l’économie française en 2021, notre pays, entré dans la crise avec l’un des plus forts déficits de l’Union européenne, n’en sortira pas en meilleure posture.

J’observe que ce constat vaut également pour les comptes sociaux. En effet, les comptes de la sécurité sociale n’étaient pas revenus à l’équilibre lorsque la pandémie a éclaté et les perspectives sont inquiétantes. J’ai bien noté qu’en s’exprimant aux côtés d’Olivier Dussopt devant les commissions des affaires sociales et des finances de l’Assemblée nationale, le 26 janvier dernier, Olivier Véran a estimé que les déficits cumulés de la sécurité sociale pourraient dépasser 300 milliards d’euros durant la décennie 2020-2030, soit une moyenne de déficit de 30 milliards d’euros par an et un cumul de déficit qui dépasserait de quelque 200 milliards d’euros le plafond de transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) au titre des déficits postérieurs à 2019 – excusez du peu !

Dans ces conditions, on comprend mieux le refus obstiné du Gouvernement d’intégrer une règle d’or dans le cadre organique des futures lois de financement de la sécurité sociale, comme l’a proposé le Sénat. Nous aurons l’occasion d’en reparler en détail avec le ministre délégué aux comptes publics, que nous entendrons le 15 mars prochain.

En plus de ces observations macroéconomiques, la Cour des comptes a conduit diverses études thématiques, dont plusieurs fournissent des éléments précieux à la commission des affaires sociales.

Dans le domaine de la santé, monsieur le Premier président, vous avez insisté à juste titre sur les tensions importantes observées ces dernières années sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Nous avons tous en tête le manque de masques et la grande peur du printemps 2020 sur le risque de pénurie de curares, d’hypnotiques injectables et même de paracétamol.

Dès 2018, avant la crise sanitaire, le Sénat avait mis en garde contre l’augmentation des ruptures de stock, touchant aussi bien les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur que ceux d’usage quotidien. Constatant un risque de déstabilisation de notre système de soins, nous avions considéré qu’il constituait le révélateur d’une perte d’indépendance sanitaire, préoccupante pour la France comme pour l’Europe.

Issues de la loi de modernisation de notre système de santé, votée en 2016, et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, des obligations accrues ont été imposées aux industriels du médicament ; je pense au plan de gestion des pénuries, aux décisions d’urgence prises pendant la crise ou encore à la modification des conditions de détermination des prix en 2021 pour inciter au maintien de la production des médicaments anciens. Je souscris à l’analyse développée dans le RPA : pour utiles qu’elles soient, je crains que ces modifications ne se révèlent insuffisantes face à un fonctionnement à flux tendu, à la fragmentation et à la vulnérabilité des chaînes de production ainsi qu’à une forte dépendance vis-à-vis de l’Asie.

La Cour préconise de donner un rôle plus actif à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans la définition des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et, pour les plus indispensables d’entre eux, appelle à une action plus énergique pour prévenir les tensions d’approvisionnement.

Le Sénat souscrit à ces recommandations. Mais celles-ci doivent impérativement s’accompagner d’un soutien actif à la localisation en France et en Europe : tel était le sens des amendements de notre commission déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Le rapport public annuel consacre également des développements à la question des personnes âgées hébergées dans les Ehpad, car il vous a paru utile de rendre compte des conséquences de la crise sur ces établissements. Il est impossible de ne pas s’arrêter quelques instants sur ce sujet, qui trouve un écho particulier à la suite de la publication de l’ouvrage du journaliste Victor Castanet et de l’émotion légitime que celui-ci a suscitée.

Notre commission a d’ailleurs décidé de créer une mission d’information dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête afin d’analyser les procédures et la politique de contrôle déployées dans ce secteur. Hier, elle a reçu hier les conclusions d’une enquête demandée à la sixième chambre de la Cour relative à la médicalisation des établissements.

Le rapport pointe le lourd bilan humain provoqué par la pandémie de covid-19 sur les personnes âgées ; je m’associe à la douleur des familles. Ce bilan n’est pas imputable à la seule vulnérabilité particulière des personnes âgées dépendantes : les taux d’encadrement dans la prise en charge de ces personnes ont aussi des effets majeurs. La crise est le révélateur d’une problématique qui n’est malheureusement pas nouvelle. Nous souscrivons à cette analyse, que nous nous attachons à approfondir par nos travaux réguliers sur la politique de l’autonomie, en collaboration avec la Cour, à qui nous avons demandé dans les derniers mois deux enquêtes sur ces sujets.

Quelles sont les faiblesses structurelles les plus importantes ? Votre constat est clair : les Ehpad les plus touchés sont ceux dont la proportion de personnel paramédical, d’infirmiers ou de médecins coordonnateurs était la plus basse. En approfondissant votre analyse, vous observez également que les Ehpad privés commerciaux, pour lesquels le taux d’encadrement des résidents est moins élevé, ont été significativement plus touchés que les autres structures lors de la deuxième vague de l’épidémie. Il ne s’agit évidemment pas de jeter l’opprobre sur un secteur, mais il convient de souligner la convergence des analyses sur le fait que la qualité des prises en charge dans les Ehpad est bousculée par les fortes tensions sur les personnels, en période de pandémie plus encore qu’en période normale.

Certes, des efforts ont été faits : le taux d’encadrement dans les Ehpad s’est amélioré depuis dix ans et le Ségur de la santé a contribué à une amélioration des conditions salariales, mais, pour reprendre l’expression utilisée par la Cour, le cumul de difficultés, qui se caractérise par une insuffisance du taux d’encadrement, une mauvaise organisation des cycles de travail, un absentéisme élevé et un manque de formation, suscite de réels problèmes de qualité des prises en charge. Nous serons attentifs à ce que des solutions nouvelles et complémentaires soient mises en œuvre pour réduire ces tensions.

En matière d’emploi des jeunes, vous avez examiné les conditions de déploiement, les premiers résultats ainsi que les coûts du plan « 1 jeune, 1 solution ».

Annoncé par le Gouvernement au mois de juillet 2020, ce plan allait de l’amplification d’outils existants, tels que le parcours contractualisé d’accompagnement adapté vers l’emploi et l’autonomie (Pacea) et la garantie jeunes, à l’introduction d’aides exceptionnelles à l’embauche, en passant par la réactivation de contrats aidés qui avaient pratiquement disparu ou qui ne ciblaient plus prioritairement les jeunes.

Initialement doté de 6,5 milliards d’euros, le plan 1 jeune, 1 solution » aura coûté, selon votre rapport, près de 10 milliards d’euros pour les années 2020 et 2021, dont près de 6 milliards d’euros pour les seules aides à l’embauche en alternance.

Il faut reconnaître la mobilisation du ministère du travail, ainsi que la coordination entre les acteurs dans la mise en œuvre de ce plan.

La situation de l’emploi des jeunes a été préservée, puisque le taux de chômage est de 20 % chez les 15-24 ans au troisième trimestre 2021, en baisse de 1,2 point par rapport à son niveau d’avant-crise. La part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation – les NEET – a quant à elle diminué de 0,8 point, à 11,6 %.

Toutefois, votre rapport est très réservé quant à l’impact direct du plan « 1 jeune, 1 solution » sur cette situation favorable. En particulier, l’effet net sur l’emploi des aides à l’embauche a vraisemblablement été faible, même si celles-ci ont permis une amélioration de la qualité des emplois.

Vos observations sur les dispositifs d’accompagnement intensif, notamment la garantie jeunes, ont retenu toute notre attention. Il semble qu’un changement d’échelle expose ces dispositifs à des risques de perte de substance et d’efficacité.

Ainsi, les résultats en termes d’insertion dans l’emploi de la garantie jeunes, déjà fragiles en temps normal, se sont dégradés pendant la crise avec moins de 20 % d’entrées dans l’emploi. La proportion de jeunes ayant bénéficié d’une période d’immersion dans le monde du travail au cours de leur parcours a été divisée par deux.

Ce constat doit nous inciter à la vigilance, alors que le nouveau contrat d’engagement jeune, qui cible 400 000 jeunes contre 100 000 contrats en vitesse de croisière pour la garantie jeunes, doit être mis en place dans quelques jours : il n’est pas souhaitable que ces dispositifs soient dilués dans une sorte de « RSA jeune ».

La remobilisation des contrats aidés s’est révélée laborieuse, notamment sous la forme des parcours emploi compétences (PEC) jeunes dans le secteur non marchand. Il convient de s’interroger sur la pertinence de ces outils en tant que réponse conjoncturelle à la crise. À cet égard, nous soutenons votre recommandation d’évaluer leur valeur ajoutée en termes d’insertion d’ici à 2023.

Je conclurai en remerciant la Cour des comptes, monsieur le Premier président, pour la qualité de ses travaux et les éclairages qu’ils nous apportent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SER. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

(M. Roger Karoutchi remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport public annuel de la Cour des Comptes tire un bilan des enseignements de la crise et de ses conséquences budgétaires, financières, économiques et sociales.

J’en partage les constats, mais je serai un peu plus réservé sur les préconisations, car force est de constater que, tandis que l’on rabote depuis des décennies, le déficit public et celui de la balance commerciale ne cessent de s’aggraver.

Comme l’an dernier, je regrette la brièveté du délai imparti entre la publication du rapport public annuel et la tenue de ce débat, qui mériterait davantage de recul.

Venons-en aux faits : en hausse de 560 milliards d’euros par rapport à 2019, le déficit de notre pays s’est considérablement accru.

En revanche, le niveau du chômage baisse en cette sortie de crise et l’économie repart. Le plan de relance a irrigué l’économie, la maintenant à flot avec une efficacité hors norme dans certains secteurs, comme celui de l’hôtellerie-restauration. Malgré des fermetures prolongées, la majorité des établissements a ainsi résisté grâce aux aides massivement utilisées durant les premiers mois de la crise. Les aides accordées ont assuré la pérennité de nos entreprises, même si le rapport de la Cour des comptes signale qu’elles « n’ont généralement pas été assorties des précautions suffisantes ».

Le Gouvernement dépense de l’argent garanti par l’État, mais sans véritable contrepartie. D’après une enquête de Bpifrance, à la mi-2021, 33 % des bénéficiaires déclaraient avoir peu ou pas du tout mobilisé leur PGE, 24 % déclarant n’en avoir dépensé qu’une faible part. Le Gouvernement devrait être en mesure de tracer cet argent pour éviter qu’il ne se perde et s’assurer qu’il soit investi à bon escient pour développer notre économie.

Monsieur le Premier président, le rapport de la Cour s’intéresse aux collectivités territoriales d’Occitanie. Il souligne le manque d’efficacité de l’intervention des régions et des départements pour soutenir les entreprises du fait de l’existence préalable d’une aide nationale.

De plus, compte tenu de la faiblesse des taux de remboursement pour la commande publique, ce levier n’a pas apporté de grands bénéfices aux entreprises. Ainsi, selon le rapport, la multiplication des dispositifs a été « a priori peu propice à l’efficience » et « peu sécurisée au plan juridique ».

Mais il ne faut pas oublier le contexte. Dans une situation totalement inédite, les collectivités territoriales – comme l’État d’ailleurs – ont répondu aux demandes ; si des erreurs ont été commises, on ne peut les en blâmer !

Par exemple, peut-on reprocher à la région Occitanie la mise en place du plan ADER (plan spécifique d’actions pour le développement des entreprises régionales de sous-traitance) consacré à l’aéronautique, qui emploie 75 000 personnes dans la région ? Je crois que l’inaction de nos élus aurait été une faute.

L’une des solutions consisterait à aller plus loin encore dans le processus de décentralisation et à accorder davantage de pouvoir aux collectivités territoriales, pour qu’elles soient mieux armées, en particulier pour le soutien aux entreprises.

Le plan de relance ayant considérablement augmenté notre endettement, je suis inquiet des prévisions du Gouvernement, qui entend maintenir la dette à plus de 110 % du PIB durant quelques années encore.

La Cour des comptes préconise de rehausser le coût des services aux particuliers. Selon moi, c’est une mesure inévitable et indispensable, quels que soient les résultats de la prochaine élection présidentielle.

Il conviendra aussi de s’attaquer au problème de la réduction des déficits. À mon avis, la solution est non pas de dépenser moins, mais de dépenser mieux. Un euro dépensé doit être un euro utile.

À l’image d’une fuite au niveau d’une canalisation d’eau, une part importante de la dépense publique se perd dans des frais généraux qui ne contribuent pas à la réalisation de missions de service public. Il faudrait fixer une règle d’or à nos administrations, en limitant la part de ces frais généraux.

Dépenser mieux signifie que l’on doit utiliser l’argent public pour atteindre le but recherché. Le budget du ministère de la santé doit servir pour soigner, et non pour financer une myriade de structures administratives.

Il en est de même pour l’éducation nationale. Prenons l’exemple de l’école de ma commune où travaillent trois enseignants. Sa directrice est détachée à mi-temps pour effectuer des tâches administratives. Celle-ci me confiait il y a peu que, face aux flux d’enquêtes, de questionnaires et autres paperasseries, elle n’y parvenait pas avec un simple mi-temps. Ne serait-elle pas plus efficace devant les élèves ?

La Cour des comptes ne pourrait-elle pas chiffrer le coût de toutes ces structures paperassières qui nous paralysent ?

Pour conclure, il est nécessaire de moderniser les services publics, de décentraliser toujours davantage et de réindustrialiser la France pour réduire notre déficit commercial. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, le rapport public annuel de la Cour présente des éléments sectoriels très intéressants.

Ma collègue Isabelle Briquet reviendra au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur la question importante de la jeunesse. Pour ma part, je centrerai mon propos sur une approche générale des finances publiques.

Je partage l’avis de la Cour quand elle souligne que la persistance d’un déficit structurel n’est pas viable, même si, bien sûr, la mise en œuvre d’un redressement trop brutal des finances publiques, après le « quoi qu’il en coûte » mis en place pour répondre à cette crise, n’est pas souhaitable. C’est l’un des enseignements de la sortie en partie manquée de la crise de 2008.

Je note aussi la critique de la Cour sur la qualité des prévisions budgétaires du Gouvernement, qui pose question. Certes, il régnait une grande incertitude ces derniers mois, mais le procédé qui consiste à émettre des hypothèses tellement pessimistes que, en fin de compte un déficit très élevé, mais moins mauvais que prévu, est présenté comme une bonne nouvelle, est trompeur vis-à-vis des citoyens comme du Parlement. Nous l’avions d’ailleurs dit lors de la discussion budgétaire.

Comme tout le monde, je partage aussi l’idée qu’il faut dépenser mieux. Mais est-ce toujours possible en dépensant moins, comme le préconise la Cour ?

Pour les grands services publics qui doivent redevenir la priorité de la Nation – je pense en particulier à l’école, à l’hôpital public –, permettez-moi d’en douter.

On ne peut pas aborder les enjeux budgétaires sans poser la question de l’érosion des recettes publiques, comme vient de le faire le président Claude Raynal. On ne peut pas non plus faire abstraction de la capacité contributive des entreprises et des plus riches de nos concitoyens, surtout quand on constate une telle augmentation des inégalités, l’explosion des profits de certaines grandes entreprises, la hausse de la distribution des dividendes et l’importance des aides à la production sans aucune conditionnalité.

Il faut donc réfléchir – les socialistes n’ont cessé de le dire – non seulement aux dépenses, mais aussi aux recettes, en particulier à l’utilité de chacune des niches fiscales, qui grèvent les recettes de l’État. Un levier a été identifié par le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport sorti au début du mois, celui d’une réforme en profondeur du crédit d’impôt recherche. Cette piste devra inspirer le prochain projet de loi de finances et notre travail dans ce domaine.

De même, et c’est l’un des rares points positifs de cette campagne présidentielle pour le moment, la question des droits de succession revient sur le devant de la scène, c’est-à-dire celle de la reproduction des inégalités de patrimoine. Il y a tant de progrès à faire en ce domaine, sans pour autant entraver la croissance.

Pendant cinq ans, le Gouvernement s’est entêté à mettre en œuvre une politique de l’offre, à laquelle une pandémie d’ampleur inédite s’est ajoutée. Le résultat est là : pour 2022, le déficit public s’établirait à 5 % du PIB, la dette publique à 113,5 % du PIB.

Bien entendu, la crise sanitaire y est pour beaucoup. Mais dès avant la crise, les bases étaient très dégradées, car le « ruissellement » était resté un mythe et l’État avait été appauvri par une politique fiscale injuste.

Il est donc nécessaire d’en finir avec le « en même temps » budgétaire, qui creuse le déficit et reporte les dépenses sur les générations futures. Il est temps de mettre enfin de la cohérence dans la gestion des finances publiques, de faire des choix politiques courageux et qui ne se limitent pas aux dépenses.

Tel est l’enjeu qui est aujourd’hui devant nous. Je salue à cet égard le travail de la Cour des comptes, car il éclaire les parlementaires et, à travers eux, les Français qui devront y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, depuis 190 ans, la Cour des comptes remet chaque année son rapport public annuel. Celui-ci constitue désormais un rendez-vous incontournable de notre vie démocratique et une vigie financière pour l’État et ses administrations.

Ce n’est pas un hasard si l’avis de la Cour est respecté de tous ; ses rapports n’hésitent pas à pointer les insuffisances des administrations publiques, afin d’orienter l’État et les gouvernements qui se succèdent, tous autant qu’ils sont, dans le but d’améliorer l’efficacité des politiques publiques.

L’an dernier, à cette même tribune, je rappelais les deux principaux axes du rapport 2021, qui, d’une part, soulignait que la crise avait révélé les fragilités structurelles de l’État et de ses opérateurs, et qui, d’autre part, saluait la réactivité inédite de nombreuses administrations et organismes publics ayant su s’adapter avec une remarquable énergie.

Cette année, le rapport que remet la Cour s’inscrit une fois encore dans cet esprit. Les constats sans appel qu’elle présente nous invitent à la vigilance.

Comme l’a rappelé le Premier président devant l’Assemblée nationale, « il ne s’agit pas seulement d’évaluer notre action dans l’urgence, mais d’apprécier notre résilience et notre capacité à remédier aux faiblesses structurelles que la crise a révélées ou accentuées ». C’est précisément ce point que je souhaite développer devant vous.

Je commencerai par l’un des principaux enseignements de ce rapport. Nous faisons face à un problème structurel : chaque crise crée un effet de cliquet sur les dépenses publiques. À l’issue de la crise, les dépenses, y compris structurelles, se retrouvent toujours plus élevées qu’avant.

Certains font mine ici de l’avoir oublié, mais ce qui était vrai durant le quinquennat Sarkozy l’est également sous ce quinquennat, comme la Cour l’a indiqué.

Il n’en demeure pas moins que le problème de fond doit et devra être abordé indépendamment de tout débat partisan. Il faut éviter toute passe d’armes politique sur le sujet et tâcher d’apporter une réponse structurelle.

Forts de ce constat, il nous faut réformer l’État pour libérer des marges de manœuvre budgétaires en période de croissance, ce qui nous permettra d’apporter une réponse d’ampleur en cas de crise sans menacer pour autant l’équilibre à moyen et long terme de nos finances publiques.

C’est un enjeu de réforme structurelle, qu’a rappelé Bruno Le Maire il y a quelques jours devant notre commission des finances. D’ailleurs, vos déclarations au sujet de la réforme des retraites, de l’assurance maladie ou encore de la politique de l’emploi, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, vont dans ce sens.

Mes chers collègues, en réalité, nous devons agir sur chacun des secteurs de l’action publique, à l’image de la réflexion de la Cour, qui, au travers de dix-neuf chapitres, aborde différents sujets sectoriels, soit parce que les enjeux sont particulièrement décisifs, soit parce qu’ils illustrent avec justesse les problèmes structurels dont nous parlions.

Bien souvent, ces problèmes ne sont pas récents. Quand ils le sont, ils trouvent leur origine dans des décennies d’incurie et de négligence de la part des pouvoirs publics et des gouvernements successifs. Il nous a fallu protéger nos concitoyens de leurs conséquences, et ce n’était pas au plus fort de la crise que nous pouvions les résoudre.

Mais, aujourd’hui, il est essentiel de tirer les enseignements de cette pandémie pour y répondre durablement dans les mois et années à venir.

Parmi ces sujets, j’en évoquerai deux qui me tiennent particulièrement à cœur : les aides au secteur sportif et le soutien apporté aux stations de moyenne montagne.

La Cour a souligné le « volontarisme de l’État » et des collectivités durant la crise en faveur du monde sportif. Néanmoins, ce secteur souffre de longue date de son éclatement et de la multiplication des interlocuteurs institutionnels, qui rendent difficile une réponse claire et uniforme.

C’est un problème que je connais également bien en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Culture ». Dans ce domaine comme dans celui du sport, il nous faudra élaborer les outils permettant de suivre au plus près l’action de l’État et des collectivités, et ce afin de doter les pouvoirs publics de véritables instruments de pilotage des aides et de rendre plus lisibles et plus efficaces la multitude de dispositifs mis en place, qu’il s’agisse d’apporter un soutien structurel ou de répondre aux crises qui pourraient survenir.

Nous touchons là à un enjeu de contrôle et d’évaluation des politiques publiques et sommes au cœur de notre rôle de parlementaires.

S’agissant ensuite des stations de moyenne montagne, là encore le problème n’est pas nouveau et la crise a agi comme un révélateur de leur fragilité grandissante.

Je l’ai constaté dans mon département, en Isère, au plus fort de la crise. Il est indispensable que nous travaillions à réinventer leur modèle économique et que nous accompagnions leur transformation pour les aider à retrouver leur santé financière. C’est toute l’ambition du plan Avenir montagnes, que je suis avec attention depuis son lancement.

Enfin, je ne peux évidemment pas faire l’impasse sur la gestion de la crise dans les Ehpad.

Faiblesse du taux d’encadrement, faiblesse de la médicalisation, vétusté des équipements, les difficultés structurelles sont nombreuses. L’effort de l’État est pourtant considérable et en nette augmentation en 2022, avec plus de 14,3 milliards d’euros consacrés aux personnes âgées.

Cet effort ne constitue cependant pas une réponse suffisante, car nous ne pouvons ignorer la nécessité de mieux piloter un secteur trop longtemps éloigné du contrôle de l’État. Le récent scandale qui a éclaté en est la triste preuve.

Tels sont les défis qui nous attendent et qui devront occuper nos débats au cours des semaines qui viennent. Il s’agit d’enjeux fondamentaux pour notre démocratie, pour la continuité de l’action de l’État et pour les générations à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’actualité a ceci de singulier qu’elle peut changer du tout au tout en quelques jours.

Aujourd’hui, nos regards sont, à raison, rivés vers l’Est, où la Russie ravive les peurs d’un conflit mondial, mais aussi vers le Sud, où la situation malienne nous fait craindre l’émergence d’une nouvelle base djihadiste.

Quand la situation internationale cesse de nous occuper, nous en revenons à nos affaires nationales. Alors, les prochaines échéances électorales saturent tout l’espace médiatique. Nous en arrivons à oublier qu’une pandémie bouleverse le monde depuis deux ans.

Pourtant, s’il y a bien un domaine où nous ne sommes pas près d’oublier la crise sanitaire, ce sont nos finances publiques. Le rapport public annuel de la Cour des comptes constitue en cela une douloureuse piqûre de rappel.

Tous les principaux indicateurs prouvent que nos finances publiques ont été lourdement éprouvées par la crise.

Notre déficit demeure extrêmement élevé, autour de 130 milliards d’euros en 2022, soit encore près du double de celui de 2019, mais heureusement bien en deçà de la barre des 200 milliards d’euros franchie en 2020 et 2021.

Le taux d’endettement de notre pays semble se stabiliser autour de 115 %, soit plus de quinze points au-dessus du niveau de 2019. Notre pays demeure le champion des prélèvements obligatoires et de la dépense publique, même si les taux sont, en l’occurrence, déjà revenus au niveau d’avant-crise.

Une simple analyse de ces indicateurs nous rappelle que la France mettra des années, si ce n’est des décennies, pour effacer de ses comptes publics les séquelles de la pandémie. Nous paierons longtemps les mesures d’urgence.

Je pense qu’il est nécessaire de rappeler ces éléments structurants, non pas pour accabler le Gouvernement pour sa gestion de la crise sanitaire, mais parce que le désendettement de l’État doit devenir une priorité politique pour les prochaines années. Il y va de notre souveraineté nationale.

Le creusement du déficit et de la dette publique est dû à une hausse très forte des dépenses et à une baisse très forte aussi des recettes. Or c’est le même phénomène qui s’applique à plusieurs échelons.

Je souhaite évoquer ici le cas des grands aéroports, qui fait l’objet d’un chapitre à part entière du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Là encore, l’effondrement des recettes et l’augmentation des dépenses ont fragilisé les structures. Avec la crise, le trafic aérien a connu un coup d’arrêt brutal. Certains scénarios indiquent qu’il faudra attendre 2024 en Europe pour que le trafic aérien retrouve son niveau d’avant-crise.

En conséquence, les recettes des aéroports, qui dépendent directement du trafic, se sont elles aussi effondrées et, avec elles, les marges d’exploitation. Le soutien de l’État a été total, mais les aéroports ont été contraints à de grands plans d’économie pour assainir leurs finances.

Plus fondamentalement, c’est tout un modèle qui est remis en question. Le rapport public annuel a mis en évidence les limites du financement par la taxe d’aéroport des missions de sécurité et de sûreté. Il faudra repenser l’avenir des aéroports en France après la levée progressive des restrictions sanitaires.

Cette situation est d’autant plus grave que la santé financière des aéroports révèle le dynamisme de nombreux territoires. C’est particulièrement le cas chez moi, dans l’île de La Réunion, où l’aéroport Roland-Garros est un poumon économique.

Je souhaite donc connaître l’avis du Gouvernement sur les deux recommandations formulées par la Cour des comptes à ce sujet. Pour les élus de La Réunion, il s’agit non pas seulement de savoir si les comptes de notre aéroport seront équilibrés, mais bien de savoir si notre île pourra retisser plus fortement les liens humains, commerciaux et économiques que la crise sanitaire a menacé de délier.

Vous l’aurez compris, que ce soit pour des territoires en particulier ou pour le pays en général, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est convaincu que la crise sanitaire nous oblige à renouer rapidement avec la bonne gestion financière d’avant-crise. C’est l’une des conditions du redressement économique de la France. Notre défi sera de nous assurer que cette gestion financière ne se fera pas au détriment de la croissance économique.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je tiens avant tout à vous remercier pour la rédaction de ce rapport et la qualité de votre travail, qui participe à la transparence de la vie publique et qui nous éclaire.

Par votre rapport, vous nous alertez sur le fait que, si l’activité économique de la France a dépassé son niveau d’avant-crise, notre pays connaît néanmoins un déficit structurel sans précédent, équivalent à 5 % de notre PIB, et une dette publique à hauteur de 113,5 % de notre PIB.

Ces chiffres sont la conséquence des baisses des prélèvements obligatoires et de la mise en œuvre de nouvelles dépenses publiques pérennes en 2021 et 2022.

Au sein de la zone euro, la France fait dorénavant partie des mauvais élèves qui ne respectent pas la règle d’or, à l’inverse de pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche, dont la dette est inférieure à 80 % du PIB et le déficit structurel égal à 3 %.

Comme vous le mentionnez, le Gouvernement se fixe l’objectif de rétablir le déficit public sous les 3 points de PIB et de ramener le ratio de la dette publique sur une trajectoire descendante en 2027 seulement.

Seuls trois moyens existent pour y parvenir et nous permettre de conserver notre crédibilité auprès de nos partenaires européens.

Le premier consiste à augmenter les prélèvements obligatoires. Le deuxième est de diminuer les dépenses publiques. Le troisième revient à créer de la richesse pour retrouver la croissance et la maintenir à un niveau élevé.

Ce dernier outil est notre planche de salut. Son meilleur indicateur est la balance commerciale, qui n’est malheureusement pas mentionnée dans votre rapport. La France doit impérativement cesser la politique mortifère de la désindustrialisation et faire du travail et du mérite une priorité.

Mardi dernier, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, nous a avoué, en commission des finances, que le déficit sans précédent de notre balance commerciale était le point noir, mais qu’il était pour moitié lié à la hausse du coût de l’énergie.

Il a de nouveau occulté la baisse de compétitivité des entreprises et la politique énergétique désastreuse menée par le Gouvernement au cours de ce quinquennat.

Le nucléaire en est le parfait exemple. Je pense à la fermeture de Fessenheim (M. André Reichardt marque son approbation.) en début de mandat, qui a marqué la fin du nucléaire en France, puis à cette volte-face à deux mois de l’échéance présidentielle.

Pendant que nous achetions de l’énergie carbonée à l’Allemagne, nous n’investissions plus dans la recherche et l’innovation, pourtant garantes de notre efficacité et de notre avenir énergétique. Que de temps perdu ! Que d’argent perdu ! Cette politique à court terme ne sert pas les Français : l’intérêt électoral passe avant, mais à quel prix ?

Aujourd’hui, notre balance commerciale est fortement déficitaire à cause d’une politique de protection du pouvoir d’achat qui a été menée au détriment du travail et du mérite.

Aujourd’hui, 17 % des jeunes ne travaillent pas et n’étudient pas. Le confort des aides sociales leur a fait oublier l’exigence qui veut que, pour avoir de l’argent, il faut produire de la richesse ! Je m’inquiète pour notre avenir…

Nous n’encourageons plus le mérite et ne reconnaissons plus la valeur du travail. Nos entreprises délocalisent ou se font racheter pour aller produire à bas coût à l’étranger. C’est la conséquence directe du coût de la main-d’œuvre, des normes, des impôts et des taxes. Augmenter à nouveau ces prélèvements ne ferait qu’amplifier la dégradation de la balance commerciale.

Nous continuons à désavantager nos entreprises en produisant trop de normes et en surtransposant, pratiques que ce gouvernement avait pourtant promis de faire cesser.

Il n’est pas rare d’entendre que ce gouvernement est celui qui a réduit le plus les prélèvements obligatoires depuis le début de la Ve République. Certes, c’est vrai : il a diminué les impôts sur les sociétés, et le montant des prélèvements obligatoires est alors passé de 45 % à 43,5 %. Mais cette diminution n’a de sens au regard de la dette que si les dépenses publiques baissent dans le même temps. Or cela n’a jamais été le cas, bien au contraire !

Dans le rapport, il est souligné que les dépenses publiques hors covid n’ont fait qu’augmenter tout au long du quinquennat : 560 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, dont 165 milliards d’euros seulement sont liés au covid.

Il est donc nécessaire, comme vous le mentionnez, de réduire les dépenses publiques de 9 milliards d’euros supplémentaires par an. Pour ce faire, il faut réformer, mais ce n’est pas le fort de ce gouvernement – je tiens à le dire. Souvenez-vous de la réforme des retraites, entre autres…

Je constate que le Gouvernement n’est jamais parvenu à faire des économies dès lors qu’il a été question de prendre le risque de diminuer le confort des Français. Encore une fois, l’exécutif ne pense qu’à court terme et relègue ces mesures impopulaires à ses successeurs. Or la France ne peut plus se le permettre, car la dette que nous avons contractée nous y oblige.

Reste la croissance. Même si celle-ci est supérieure aux prévisions figurant dans le projet de loi de finances pour 2022, elle reste inférieure à la décroissance provoquée par le covid. Le Gouvernement nous explique que cette croissance sera de 1,35 % à partir de 2023, prévision sûrement basse compte tenu de l’inflation, bien que nous ignorions encore les effets de l’influence de l’Allemagne au sein de la Banque centrale européenne sur les taux d’intérêt.

M. le président. Il faut conclure.

M. Vincent Segouin. La hausse des taux aurait pour effet direct d’augmenter les dépenses publiques.

Comme vous le mentionnez dans votre rapport, monsieur le Premier président, si nous enregistrons des excédents, il faudra, dans un esprit de responsabilité, rembourser la dette, et rien d’autre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord quelques mots, au nom du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, pour témoigner notre plein soutien et notre solidarité au peuple ukrainien, aujourd’hui victime de l’invasion russe.

Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour ce rapport public annuel, qui, comme toujours, vient centrer notre intérêt sur l’analyse de la situation des comptes publics de notre pays.

Bien évidemment, nous ne méconnaissons pas les questions fondamentales qui se posent à la France en termes de finances publiques au lendemain de cette crise : importance de la dette, augmentation éventuelle des taux, risques d’inflation. Mais, comme le disait fort justement le président Raynal, la situation serait certainement autre si nous ne nous étions pas privés de recettes fiscales au fil du quinquennat. Un montant de 50 milliards d’euros a été évoqué, me semble-t-il : cela ferait tout de même une grosse différence !

Un élément demeure néanmoins dans ce rapport, que je ne parviens pas à comprendre.

Alors que l’Insee nous apprend que la France affiche désormais un taux de pauvreté inédit depuis 1979, j’avoue ne pas comprendre les cinq priorités de redressement proposées par la Cour des comptes. Retraites, assurance maladie, politique de l’emploi, logement, minima sociaux : elles ne touchent que les travailleurs, les pauvres ou les demandeurs d’emploi !

N’y a-t-il pas, dans les dépenses publiques et la politique fiscale actuelles, d’autres marges de manœuvre pour répondre au grand enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique dans la justice sociale ? À notre sens, il y en a.

Avant tout, la politique fiscale des cinq dernières années a réduit les impôts des plus riches, notamment des 10 % les plus riches et, surtout, des 1 % les plus riches, tout en appauvrissant les plus pauvres des Françaises et des Français. Nous avons ainsi donné carte blanche aux classes sociales les plus climaticides et réduit le pouvoir de vivre de ceux qui, parmi les ménages modestes, étaient le plus en difficulté.

Oui, il y a d’autres options possibles en dehors de la réduction des dépenses sociales.

Je pense à une grande réforme fiscale, instaurant un impôt sur la fortune climatique ou mettant en œuvre une évolution de l’impôt sur le revenu favorable aux ménages modestes et demandant davantage d’efforts aux 10 % les plus aisés de notre pays.

Et puis, quand on s’interroge sur l’efficacité des dépenses publiques, il faudrait regarder avec plus d’acuité les dizaines de milliards d’euros donnés chaque année – hors crise – à nos entreprises. Certains parlent de 140 milliards d’euros accordés annuellement sans aucune efficacité prouvée sur l’emploi et sans aucune exigence au regard de la lutte contre le réchauffement climatique.

Bien entendu, on peut évoquer les aides et subventions visant à aider certaines industries à se décarboner. Mais combien de milliards d’euros sont distribués chaque année dans notre pays sans aucune exigence sociale ou environnementale ? C’est là, nous n’avons de cesse de le dire, une grande responsabilité du Gouvernement et d’Emmanuel Macron : nous arrosons le sable avec l’argent public, jeté à tout vent, alors même que nous devrions avoir à l’esprit l’enjeu majeur que constituent les transitions à mener.

Voilà pourquoi, au sein du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, nous sommes dans l’incompréhension par rapport aux cinq pistes de redressement évoquées, alors que bien d’autres – je viens de citer les deux principales – pourraient être explorées.

Ces propositions nous semblent à côté des enjeux et de la réalité sociale. Nous devrions tant faire pour raffermir la cohésion sociale, au travers de la justice sociale et des services publics !

Lorsque nous l’avons auditionné autour de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, j’ai demandé à M. Bruno Le Maire où il comptait faire les coupes budgétaires. Il m’a répondu que les services publics pouvaient être réformés, notamment par la dématérialisation. Comme le phénomène de l’illectronisme le montre, comme la Défenseure des droits l’a encore dénoncé, ce sont là de fausses économies, qui ne font que creuser la fracture sociale.

Il faut nous réveiller pour répondre aux enjeux sociaux et lutter réellement contre le réchauffement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la Cour des comptes aborde de très nombreux sujets dans son rapport public annuel. Aussi, dans les cinq minutes de temps d’expression qui nous sont alloués, je n’évoquerai qu’un seul sujet, celui de la dette publique. En effet, elle est devenue au fil des années la clé de voûte de l’architecture budgétaire de la France, et gare à celui ou celle qui s’affranchirait des contraintes qu’elle engendre.

Dans une communication datant du 12 avril 2020, au tout début de la pandémie, le Fonds monétaire international (FMI) avait trouvé naturel que les gouvernements adoptent la stratégie du « quoi qu’il en coûte », en précisant toutefois qu’ils devaient bien veiller à conserver les factures. Ce relâchement budgétaire fut une sorte de parenthèse. Aujourd’hui, les financiers nous disent que l’ordre ancien doit retrouver ses droits et la dette, sa fonction, celle qui consiste à discipliner les États dispendieux et les peuples impécunieux.

Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, de la teneur des débats ici même en novembre 2019, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2020. À l’époque, les ministres nous rappelaient que le ratio de la dette sur le PIB en France était de 98,4 %. Nous approchions de la barre fatidique des 100 %. Nous étions au bord de l’apocalypse et, six mois plus tard, pandémie oblige, nous avions atteint les 117 %.

En 2004, M. François Bayrou déclarait : « S’il s’agissait d’une entreprise, la France serait au bord du dépôt de bilan. » La dette atteignait alors 66 % du PIB.

En 2007, Mme Ségolène Royal déclarait : « La dette publique est devenue insoutenable. » Cette année-là, la dette atteignait 64,6 % du PIB.

La dette atteint aujourd’hui environ 115 % du PIB. Toutes les règles ont explosé au cours des deux dernières années : les 3 % de déficit, les 60 % de ratio de la dette ; c’était le monde d’avant !

Ces déclarations catastrophistes et anxiogènes devraient également inquiéter les marchés financiers, ceux qui nous prêtent. Or, il n’en est rien.

Avec une telle dette, la France a emprunté très facilement 260 milliards d’euros en 2020, autant en 2021 et la même chose est prévue pour cette année 2022.

Vous avez sans doute rencontré des gens au cours des derniers mois qui vous ont interrogés à ce propos, observant qu’on leur expliquait deux ans plus tôt qu’il n’y avait pas d’argent magique et que l’on avait trouvé en quelques semaines les milliards d’euros nécessaires. Nous avons tous entendu cela…

À quelles conditions emprunte-t-on ?

Voyons ce que nous dit le site de l’Agence France Trésor (AFT), qui vend notre dette sur les marchés financiers.

Prenons la dernière adjudication en date, celle de lundi dernier, 21 février. Pour les bons du trésor à 3 mois, le taux négatif proposé est de -0,680 %. Pour ceux à 12 mois, il est de -0,585 %. Pour les obligations à terme à 8 ans, nous avons un taux de 0,30 %. Il y a même une obligation à 3 ans qui nous a été proposée à un taux de -0,08 %.

Quel étrange paradoxe tout de même, mes chers collègues, de voir ce contraste saisissant entre l’inquiétude orchestrée et l’extrême quiétude des marchés financiers ! C’est à ce titre que j’opposerai, au confort des aides sociales évoqué par notre collègue Vincent Segouin, l’extrême confort des marchés financiers.

On peut s’interroger sur la santé mentale des acteurs des marchés. Sont-ils devenus fous ? Sont-ils devenus incompétents ? Ou alors, dans une vision plus humaniste, auraient-ils été soudain touchés par la grâce pour se tourner désormais vers l’action philanthropique et l’amour du prochain ?

Permettez-moi de ne retenir aucune de ces trois options.

La réponse à cet apparent paradoxe, je crois l’avoir trouvée dans un reportage diffusé sur la radio de service public France Inter, le 20 janvier 2021.

La scène se déroule dans les locaux de l’Agence France Trésor à Bercy. Ce jour-là, l’AFT vend 6 milliards d’euros de dette et voici ce que déclare à la journaliste le directeur général de l’époque, M. Anthony Requin : « La France a un très bon crédit auprès des investisseurs, une rente jusqu’à 10 fois supérieure à l’offre, la dette française fait office de valeur refuge, un coffre-fort qu’elle fait payer.

« Les gens placent leurs économies pour être sûrs de récupérer leur somme et un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités, ils paient le prix de la location de cette sécurité, c’est le taux d’intérêt négatif que vous voyez. Le coffre-fort, c’est la signature de l’État. »

Le gouvernement de M. Macron a déclaré que, pour réduire la dette, il comptait surtout sur une maîtrise de la dépense publique. Les magistrats de la Cour des comptes estiment qu’un tel objectif nécessiterait plus de 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires chaque année.

Pour conclure, je voudrais évoquer le cas de la Grèce, à qui fut imposée une purge budgétaire insupportable en 2010, au moment de la crise. À cette époque, son ratio de dette sur PIB était de 147,5 %. Dix ans plus tard, ce ratio est passé à 206,3 %.

Le dernier mot reviendra à notre ancien collègue, Jean-Pierre Raffarin. Le 7 juillet 2011 sur RTL, il expliquait : « Au fond, dans le passé, l’élection présidentielle dépendait d’un seul facteur, l’avis des électeurs. Maintenant, l’élection présidentielle dépend de deux facteurs : l’avis des électeurs, mais aussi l’avis des prêteurs. »

Cela fait réfléchir, je trouve. Quand on vous dit que le sujet de la dette publique est une question éminemment politique… (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’attention de la Cour des comptes et des juridictions financières s’est portée à nouveau cette année sur la crise sanitaire, ses conséquences économiques et sociales, ainsi que les enseignements que l’on pouvait en tirer.

C’est bien évidemment sous l’angle des finances publiques que leur diagnostic était le plus attendu.

Je voudrais tout d’abord vous donner acte, monsieur le Premier président, de votre constance.

En juin 2021, la Cour des comptes a livré son analyse sur la saisine du Premier ministre. À l’époque, elle avait estimé que cette pandémie laisserait des traces durables sur l’économie française et sur les finances publiques. Vous écriviez alors : « Dans ce contexte, la soutenabilité de la dette publique est un enjeu de souveraineté. »

Cette année, de manière totalement justifiée selon nous, vous allez plus loin. Vous rappelez que l’ampleur des moyens mobilisés a « porté le déficit public à des niveaux jamais atteints, accru la dette publique de 560 milliards d’euros par rapport à 2019 et alourdi son poids dans le PIB de 16 points ».

Vous ajoutez que « ces données situent la France dans le groupe des pays de la zone euro dont, deux ans après le début de la pandémie, la situation des finances publiques est la plus dégradée ».

C’est un constat clair, que nous partageons. C’est pourquoi le groupe Union Centriste exprime sa vive préoccupation quant aux choix à venir, mais aussi sur le fait que ce type de débat a tendance à être évité dans la campagne électorale.

Tous les ans, selon la Cour des comptes, il faudrait économiser 9 milliards d’euros pour, seulement, parvenir à respecter l’objectif que le Gouvernement s’est fixé à ce jour – et encore ne s’agit-il que d’une économie par rapport à la croissance des dépenses avant-crise…

Cet objectif étant souvent considéré comme trop modeste, la Cour des comptes indique non sans malice, mais, bien sûr, avec la rigueur qui la caractérise, qu’il faudra « réviser l’ambition de la trajectoire des finances publiques ». Elle nous livre ensuite une quadrature du cercle, en nous rappelant qu’il faudra prendre en compte la situation économique et sanitaire, mais aussi les trajectoires de nos partenaires européens et les règles européennes en cours d’évolution – c’est là une inconnue qui ne nous invitera pas au laxisme.

Bien sûr, monsieur le Premier président, je fais mienne votre invitation à préciser dès le début du prochain quinquennat « les réformes nécessaires pour construire une trajectoire qui permette de garantir la soutenabilité de la dette ». Cela suppose, comme vous l’écrivez, de « faire preuve de sélectivité dans le choix des dépenses » et d’« infléchir durablement le rythme de la dépense ».

Le groupe Union Centriste, s’il ne me remet pas en cause le rôle crucial de la politique du « quoi qu’il en coûte », estime néanmoins que cette politique pèsera durablement sur le déficit et la dette publique, étant rappelé que le déficit prévu en 2022 devrait atteindre le double de son niveau d’avant-crise et qu’il présente désormais un caractère exclusivement structurel.

L’argent magique, on le sait, n’existe pas et les fonds déployés pendant cette crise devront être remboursés. La France se doit d’assurer la soutenabilité de sa dette pour garantir sa souveraineté et sa crédibilité.

La crise sanitaire a accentué et mis en lumière les faiblesses structurelles de notre système productif, de notre modèle social et de notre transition écologique. Pour faire face à ces enjeux, le groupe Union Centriste s’associe aux recommandations de la Cour des comptes s’agissant de la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, tout en misant sur la croissance et en investissant sur la recherche, l’innovation et la transition.

Je voudrais, durant les quelques secondes de temps de parole qui me restent, dire un mot d’une des contributions majeures de la Cour des comptes cette année, utilement et justement soulignée par le président Claude Raynal, que je remercie : il s’agit de la question du financement des aéroports.

À ce propos, la Cour des comptes fait valoir trois points : premièrement, la crise pandémique a mis fin à un demi-siècle de croissance du trafic, ce qui a des conséquences majeures ; deuxièmement, l’État a tardé à prendre en compte ces difficultés financières ; troisièmement, le modèle économique et le système de régulation doivent être repensés ou, en tous cas, réinterrogés. Je partage ces conclusions.

Claude Raynal en a dit plus sur les travaux de la commission des finances, en soulignant mon modeste rôle, et je l’en remercie. Je fais miens ses mots. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le rapport public annuel de la Cour des comptes.

Si ce rendez-vous est traditionnel, il n’en est pas moins essentiel pour les parlementaires que nous sommes et s’inscrit dans un contexte doublement particulier. D’une part, il permet de dresser un premier bilan des dispositifs mis en place pendant la crise sanitaire. D’autre part, il ouvre des perspectives sur les grands enjeux des politiques publiques de demain, à la veille d’une échéance électorale majeure pour notre pays.

Ainsi que le rappelle la Cour des comptes, la crise a mobilisé des moyens publics importants. Cette augmentation des dépenses pèse naturellement sur le déficit et la dette publique.

Certes, la Cour des comptes met en avant la nécessaire maîtrise des finances publiques, mais le redressement des comptes publics ne saurait s’entendre sous le seul prisme de la réduction drastique de la dépense.

Tout d’abord, toutes les dépenses ne se valent pas et certaines sont indispensables pour préserver notre tissu économique et social, et préparer l’avenir. Ensuite, ne pas évoquer la question des recettes, alors même que les baisses d’impôts en cette fin de quinquennat ont notablement allégé les recettes fiscales, n’aurait guère de sens.

Si la stratégie du « quoi qu’il en coûte » a été utile et efficace à court terme, la réaction du Gouvernement a toutefois manqué de célérité et d’ambition, sur un sujet pourtant stratégique pour l’avenir : la jeunesse.

Dans un contexte économique dégradé, le Gouvernement a proposé une série de mesures en faveur de l’emploi des jeunes. De fait, le plan « 1 jeune, 1 solution », initialement doté de 6,5 milliards d’euros mais dont le coût devrait avoisiner les 10 milliards d’euros, n’a pas eu d’équivalent dans les pays comparables à la France. Pour autant, si la Cour des comptes souligne la légitimité de l’action du Gouvernement, elle regrette son manque d’efficacité eu égard aux moyens déployés.

L’emploi des jeunes est certes revenu à son niveau d’avant-crise, mais la plus-value des nouveaux dispositifs n’est pas démontrée.

Les mesures les plus coûteuses semblent être celles qui ont eu le moins de portée. Il en est ainsi des trois primes à l’embauche, lesquelles, pourtant, représentent 70 % des montants engagés.

La Cour des comptes souligne également le manque d’adéquation entre les dispositifs proposés et les besoins des publics concernés, et ce sans prise en compte des réalités territoriales. Ainsi, certains jeunes se sont retrouvés dans des dispositifs sans rapport avec leur projet professionnel, afin d’obtenir une solution financière.

La mise en place d’un éventail de dispositifs trop ciblés a même eu un effet contre-productif pour les publics les plus éloignés des structures d’insertion sociale.

Je note, par ailleurs, que l’allocation jeunesse que nous proposions en janvier 2021 aurait pris, dans ces circonstances particulières, tout son sens. La Cour des comptes souligne en effet qu’« assurer un soutien financier à des jeunes en grande difficulté pendant la crise » aurait pu être un « objectif plus clairement énoncé », plutôt que de faire le choix de parcours d’accompagnement intensif assorti d’une allocation.

La crise sanitaire a également lourdement affecté le quotidien du monde étudiant. De longues files de jeunes gens faisant la queue lors des distributions de denrées par les associations caritatives : nous avons tous vu ces images, symboles de la précarité étudiante et de la triste réalité du quotidien de nos jeunes.

La Cour des comptes se montre sévère quant au soutien à la vie étudiante. Elle livre un constat sans appel sur la méconnaissance de la situation des étudiants de la part du ministère. Effectivement, comment apporter une réponse appropriée à un public que l’on ne connaît pas ?

Si comparaison n’est pas raison, force est de constater que la réactivité de nos voisins européens a été plus grande. Des aides ont été versées dès le début de l’été 2020 aux étudiants les plus vulnérables ; il a fallu attendre six mois de plus pour qu’il en soit ainsi dans notre pays.

De même, certains dispositifs n’ont pu atteindre leur cible.

C’est le cas de l’aide à la perte d’emploi ou de stage gratifié. Cette aide de 200 euros pouvait potentiellement concerner 510 000 étudiants ; seuls 23 429 en ont bénéficié. Il faut bien dire que les critères demandés pour la percevoir ont exclu un grand nombre du dispositif. Ces critères restrictifs visaient à limiter le coût de la mesure : voilà au moins un objectif atteint !

La crise a mis en lumière la situation des étudiants et invite à définir des politiques de soutien à la vie étudiante adaptées : de la santé à l’insertion professionnelle, en passant par les aides du quotidien.

Si nous ne partageons pas toutes les recommandations de la Cour des comptes, notamment celles qui concernent les réformes structurelles envisagées dans le cadre de la réduction des déficits publics, celles qui ont trait à la jeunesse méritent toute notre attention. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes est un moment important de notre vie démocratique. Ce qui me paraît préoccupant, c’est que personne ou presque ne s’inquiète vraiment de la situation de nos finances publiques. Pourtant, le rapport de la Cour des comptes met en exergue le déclassement de la France en la matière, la France devenue un facteur de risque pour la cohésion de la zone euro !

Le rapport public annuel de la Cour des comptes fait état d’un déficit structurel durablement dégradé pour la France après la crise. La Cour prône une grande rigueur d’ici à 2027 pour ramener le déficit public sous 3 % de PIB. Ce n’est pas la stratégie présentée par le Gouvernement, qui refuse la référence à une règle d’or budgétaire, pourtant plus nécessaire que jamais au regard de notre addiction à la dépense publique. On ne peut plus ni résoudre les problèmes en signant des chèques ni répondre aux conséquences de l’inflation par la dépense publique !

Ce rapport constitue tout à la fois un éclairage utile et cruel de la politique menée par l’actuel chef de l’État et un avertissement lancé à l’adresse de tous les dirigeants qui aspirent à l’Élysée. La Cour des comptes réclame un programme tout en rigueur de 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires par rapport à la trajectoire d’avant-crise pour redresser les comptes durant le prochain quinquennat. Les Allemands viennent de nous rappeler leur attachement au pacte de stabilité, alors que le gouvernement français a décidé d’envoyer sa copie seulement après les échéances…

Il existe « une divergence persistante avec nos partenaires européens », écrit la Cour des comptes, en prévenant que « cela impliquera des efforts plus importants de redressement à partir de 2023 ». L’année 2023 – et le mur de la dette de plus en plus proche, avec une hausse inéluctable des taux qui précipitera nos finances publiques dans l’abîme – est l’année de tous les dangers.

Nous sommes là ce matin pour tenter d’être des lanceurs d’alerte, dont les paroles, déjà rendues inaudibles par un « quoi qu’il en coûte » certes nécessaire, mais annihilant toute pédagogie, sont aussi couvertes, hélas, par le bruit des bottes aux portes de l’Europe.

Pourtant, la Cour des comptes a su ne pas se taire et notre rôle est de faire résonner ses chiffres et les maux qu’ils recouvrent pour notre pays.

Cette année, le niveau de dépenses publiques s’établira à 55,7 % du PIB, supérieur de 2 points, soit environ 50 milliards d’euros, à son niveau de 2019. « Les dépenses hors crise de l’État augmenteraient fortement, de près de 11 milliards d’euros en 2021 et de 8 milliards d’euros en 2022 », écrit la Cour des comptes.

Cette situation la conduit à s’inquiéter du « décalage » avec le redressement des comptes publics opéré par nos partenaires européens et à classer la France parmi les cancres de la zone euro. Ainsi précise-t-elle : « La France appartiendrait au groupe de pays dont le ratio de dette (110 points de PIB ou au-dessus) et le déficit structurel (environ 5 points de PIB) sont les plus élevés. » Le rapport décrit la situation réelle et inquiétante des finances publiques et met en exergue le déclassement de la France, alors que « le Gouvernement centre sa communication sur les résultats un peu meilleurs que prévu de 2021 ».

Pire, ce rapport montre que malgré ce dopage à la dépense publique, nos politiques publiques sont trop souvent erratiques, inefficaces et toujours en manque d’anticipation, même sur des sujets pourtant faciles à prévoir, comme celui du grand âge, qui n’est que la conséquence de notre démographie.

La Cour des comptes s’interroge en effet sur le modèle des Ehpad. Par-delà même la conjoncture de l’affaire Orpea, elle conforte la demande des acteurs du secteur, qui réclament une grande loi. Il faut redéfinir le modèle d’organisation des Ehpad.

Les trois leviers identifiés pour conduire la réforme sont les autorisations, les contrats pluriannuels et les tarifs. Plus largement, la question du modèle est posée et la question de son dépassement, patente. Déclassement, dépassement, redressement sont des mots si peu présents dans le débat public, quand d’autres le sont trop !

Les questions de l’efficacité de la dépense publique, comme de sa soutenabilité, sont clairement posées par ce rapport. C’est salutaire. La crise a pourtant montré qu’en sortant des carcans nos services publics savaient répondre aux besoins.

Désormais, il nous appartient collectivement de partager ces questions, d’y apporter des réponses démocratiques pour mettre en œuvre les réformes nécessaires de notre modèle, qui est aujourd’hui dépassé et inefficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, votre rapport est excellent ! Il dresse un constat juste et, en même temps, accablant pour l’action du Gouvernement. Il alerte sur le grand déclassement de notre pays, encore aggravé par la gestion de la crise sanitaire.

Hors de cette gestion de la crise sanitaire, du « quoi qu’il en coûte », les dépenses ont continué d’augmenter fortement, comme vous l’indiquez, avec des dépenses au caractère pérenne. Parallèlement, il y a eu baisse des recettes : celle-ci n’a pas été compensée par de la création de richesses, mais a été financée à crédit.

Tout cela accroît les déficits. Ainsi, le déficit structurel aura doublé par rapport à 2019.

Notre pays fait clairement partie des pays dits du « Club Med », ces pays du sud de l’Europe à la situation financière catastrophique.

Nous sommes loin, très loin des premiers de cordée, des pays sérieux. Curieusement, quand on y regarde de plus près, ces pays sérieux enregistrent une croissance moyenne sur les dix dernières années meilleure que la nôtre, ils ont un taux de chômage inférieur au nôtre et un commerce extérieur se portant bien mieux que le nôtre. Il n’y a pas de secret, je pense : tout cela est lié !

Votre rapport, monsieur le Premier président, met en avant la vulnérabilité de notre pays en matière de production de produits de santé.

Dans ce secteur, le déclin est réel. Alors que nous étions auparavant un grand producteur de médicaments, nous voici désormais au sixième rang des exportateurs. Nos exportations sont restées stables depuis 2010, tandis que l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Irlande progressaient. En outre, nous n’avons pas été capables de produire un vaccin contre le coronavirus.

L’industrie pharmaceutique est en fait assez symptomatique du mal français : on a identifié les problèmes, on en a compris les causes, les solutions sont connues, mais on ne les met pas en œuvre !

Au-delà du secteur de la santé, c’est toute l’économie française qui décline, comme le démontre le niveau élevé du déficit commercial : 85 milliards d’euros en 2021 ; 100 milliards d’euros annoncés pour 2022. C’est, je crois, au moins aussi grave que le déficit de l’État ou de la sécurité sociale.

M. Vincent Delahaye. En dehors du secteur du luxe et outre le secteur pharmaceutique que je viens d’évoquer, de nombreuses industries, anciens fleurons français, rencontrent aujourd’hui des difficultés. On n’a jamais produit aussi peu de voitures que cette année en France.

M. Éric Bocquet. On les produit en Chine !

M. Vincent Delahaye. L’agroalimentaire est à la peine. Nous n’avons pas assez investi dans le nucléaire (Mme Brigitte Devésa approuve.),…

Mme Nathalie Goulet. On a désinvesti !

M. Vincent Delahaye. … la conséquence étant qu’aujourd’hui on doit recourir à de l’électricité produite avec du charbon.

M. Gérard Longuet. Absolument !

M. Vincent Delahaye. La réindustrialisation ne doit plus être un slogan trop souvent clamé ; elle doit devenir une réalité.

Pour retrouver de la compétitivité, il faut arrêter de distribuer des chèques aux électeurs sans création de richesse. Il faut modifier notre fiscalité, de façon à rendre l’effort, le travail, la création et l’innovation plus attractifs.

Toute baisse d’impôts doit être gagée sur une vraie diminution de la dépense. J’ai d’ailleurs un désaccord sur ce point avec la Cour des comptes : il faut arrêter d’évoquer la « maîtrise » des dépenses, comme on le fait depuis des années sans jamais la réaliser ; il faut parler de « réduction » de la dépense, et nous avons largement les marges pour le faire en France.

Un bref mot de félicitation, monsieur le Premier président, pour votre travail sur la lutte contre la fraude. Je pense que, malgré les critiques, il faut poursuivre dans cette direction.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Vincent Delahaye. Vous donnez l’alerte également sur certains dangers à venir, y compris pour les finances publiques, dont on ne parle pas beaucoup : les conséquences de l’inflation, l’impact des taux d’intérêt et la facture énergétique. Les prévisions du Gouvernement devraient prendre ces dangers en compte ; ils sont réels ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, les sujets dont je parlerai ce matin ne sont pas forcément ceux dont je suis la plus familière, mais ils me paraissent d’importance au terme de la période que nous venons de traverser. Il s’agit des publics les plus fragiles : d’une part, les jeunes ; de l’autre, les seniors.

Dans son programme de 2017, le Président de la République affichait de grandes ambitions pour les jeunes. Il voulait investir dans l’avenir en facilitant concrètement la vie des étudiants. Il mettait notamment en avant le besoin de réformer les bourses.

Quel bilan pouvons-nous faire de ces promesses, cinq ans plus tard ? Quel bilan la Cour en tire-t-elle ? Elle observe que la crise a révélé la précarité de certaines catégories d’étudiants, notamment les non-boursiers, insuffisamment identifiées par le ministère et par ses opérateurs. Elle ajoute que certaines mesures de soutien ont perdu en efficacité, car le ministère manquait de données suffisamment fines pour les définir correctement.

Ainsi, la Cour a invité à refonder le système des bourses de l’enseignement supérieur, qui ne permet pas de remédier à la précarité étudiante. Elle regrette par ailleurs que des préconisations déjà formulées par elle en 2015 n’aient pas été mises en application.

Les critiques, très nombreuses, ont déjà été rappelées. La porte-parole d’un syndicat étudiant déclare ainsi : « Rien n’a été fait depuis cinq ans sur le sujet, alors que le Gouvernement ne cesse d’en parler. »

En octobre 2021, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a osé indiquer que le Gouvernement était « prêt conceptuellement à revoir le système d’attribution », mais que « rien ne serait […] prêt avant la fin du quinquennat ». Le programme de 2017 est donc toujours d’actualité.

Au-delà de la situation des étudiants, la Cour s’est penchée sur l’insertion des jeunes dans le marché du travail.

Le coût du plan « 1 jeune, 1 solution » pourrait atteindre près de 10 milliards d’euros. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales le confirme.) En effet, pour que les objectifs fixés soient atteints, il a fallu prendre un certain nombre de mesures annexes.

En juillet dernier, Élisabeth Borne fêtait le premier anniversaire de ce plan avec enthousiasme : « Il a porté ses fruits ; deux millions de jeunes ont bénéficié des solutions du plan. » Elle se félicitait notamment de la forte progression du nombre de contrats d’apprentissage, de CDD et CDI.

Or les analyses de la Cour des comptes le montrent très bien : ces mesures n’ont pas eu d’impact réel sur l’emploi des jeunes.

La forte progression de l’apprentissage a tout particulièrement bénéficié aux populations les plus diplômées, qui ne connaissent pas de difficultés d’insertion ; si les emplois en CDI et en CDD ont progressé, on a constaté dans le même temps un recul des contrats d’intérim. Bref, ces mesures ont entraîné un simple déplacement et non de véritables créations d’emplois.

De plus, les dispositifs en faveur des publics les plus fragiles, les NEET (Neither in Employment nor in Education or Training – ni en emploi, ni en études, ni en formation), dans le jargon, n’ont pas atteint leur cible. Je pense notamment aux parcours emploi compétences.

Dans son allocution du 12 juillet dernier, le Président de la République évoquait la création d’un revenu d’engagement. Mais ce dernier n’a pas trouvé de traduction dans le projet de loi de finances initial : il a fallu attendre la discussion parlementaire et l’arrivée d’un amendement à 550 millions d’euros…

En ce jour où l’évaluation des politiques publiques est mise à l’honneur, on remarquera que la garantie jeunes, créée en 2016, a été supprimée avant même d’avoir pu être évaluée.

J’en viens, sans transition, aux personnes âgées et à la situation des Ehpad, déjà largement évoquées ce matin.

Dans son rapport public annuel, la Cour regrette que les réformes structurelles nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale des résidents des maisons de retraite n’aient pas été engagées par l’État, alors même que le secteur a bénéficié d’un important soutien financier.

Certaines de ces mesures ayant un caractère pérenne – je pense notamment aux augmentations de salaires –, de telles réformes auraient été très pertinentes. La Cour donne un certain nombre d’exemples d’actions que l’on aurait pu mettre en œuvre : agir sur les conditions de travail des personnels, en particulier pour la formation, l’évolution des carrières et la prévention des accidents du travail ; mieux articuler Ehpad et filières de soins ; ou encore, beaucoup plus simplement, fixer un cadre national précis pour l’attribution de concours financiers à la réalisation des investissements dans les Ehpad.

Ce que la collégialité ne peut pas écrire, un parlementaire peut le dire. En filigrane de ces critiques, on lit les conséquences du renoncement du Gouvernement à présenter un projet de loi spécifiquement dédié à ce sujet avant la fin du quinquennat.

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la loi sur le grand âge et l’autonomie avait été annoncée en 2018. En juin 2019, Édouard Philippe, alors Premier ministre, l’avait considérée comme un « marqueur social », « peut-être le plus important ». Mais ce texte a été sans cesse repoussé par la suite, avant d’être définitivement enterré en septembre dernier, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.

Les acteurs du secteur relèvent que des apports financiers, même de grande ampleur, ne suffisent pas à créer un projet de société : tel est bien l’enjeu pour ce secteur.

Monsieur le Premier président, sur ces différents sujets, le rapport public annuel de la Cour des comptes ouvre des perspectives de meilleure efficacité de la dépense pour les années à venir, et nous tenons à vous en remercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes, pour répondre aux intervenants.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse sera extrêmement brève.

Avant tout, je tiens à vous remercier d’avoir pris part à ce débat. Le Sénat a pour habitude de l’organiser une semaine après la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes : c’est un délai suffisant pour éviter les réactions à chaud, offrir une perspective différente et aller plus au fond des sujets.

Bien sûr, je n’ai pas à commenter la diversité des points de vue exprimés : ils reflètent des convictions personnelles, des engagements politiques et sont autant de contributions au débat. Je me contenterai d’insister sur deux points.

Le premier point, c’est la question des finances publiques, évoquée par beaucoup d’entre vous. À cet égard, la position de la Cour, à la fois précise et subtile, ne saurait être caricaturée ou instrumentalisée.

Nous sortons d’une crise économique très profonde, liée à la crise sanitaire. Nos finances publiques étaient dégradées avant cette crise, elles le restent après, et cette question sera inévitable, demain, quels que soient ceux qui auront à diriger le pays.

Nous avons rendez-vous avec la question des finances publiques.

La Cour ne fait pas de la dette un totem ou un tabou. Elle ne prône pas je ne sais quelle austérité. Elle n’est pas pour le retour à un ordre ancien, pas davantage pour un ordre nouveau. Elle souligne simplement un certain nombre de problèmes, dont l’existence est tout à fait objective, et face auxquels nous devons marcher sur deux jambes.

Nous avions déjà préconisé cette stratégie de finances publiques dans le rapport remis en juin dernier au Président de la République et au Premier ministre. Il faut davantage de croissance dans notre pays et, pour cela, des investissements seront nécessaires.

En effet, nous avons des retards à combler. Nous avons une compétitivité à défendre et une attractivité à garantir. Nous devons investir dans la transition énergétique, dans la transition numérique, dans l’innovation et la recherche. Or, dans ces domaines, nous avons constaté un certain nombre de décrochages tout à fait préoccupants.

Je le soulignais hier en présentant notre rapport devant votre commission des affaires sociales : les Ehpad exigeront des investissements. Nous ne disons en aucun cas qu’il n’y a pas de dépenses à faire ! Mais, en même temps, notre dette publique atteint un niveau extrêmement élevé et sa pente de réduction n’est pas garantie. Nous devons traiter ce problème.

Monsieur Delahaye, je reprends le terme que j’ai employé au début de notre discussion : ce travail passe par la maîtrise de la dépense publique. La Cour ne propose pas pour autant d’imposer l’austérité à nos politiques sociales. Elle constate simplement que, dans certains secteurs, nous dépensons beaucoup plus que nos partenaires européens sans que notre performance soit supérieure.

Monsieur Féraud, je ne dis pas que c’est systématiquement le cas ; mais on peut dépenser mieux et dépenser moins, avec une performance plus forte et – j’en suis également persuadé – avec davantage de justice. En effet, il faut mettre un terme à un certain nombre de dysfonctionnements.

Monsieur Bocquet, j’observe dans vos propos une évolution idéologique intéressante et une référence nouvelle, celle des marchés. On peut bien sûr leur faire confiance, mais, quoi qu’il en soit, ils suivront attentivement la manière dont nous entendons traiter la question de la dette publique. Or il faudra la traiter. C’est absolument inévitable, car la dette publique ne sera pas annulée, même si elle peut être bien gérée.

À cet égard, permettez-moi de vous renvoyer à un rapport que nous avons présenté hier devant la commission des finances de l’Assemblée nationale – nul n’est parfait. (Sourires.) Ce travail confirme la bonne gestion de notre dette tout en relevant les réformes et les défis qui sont devant nous.

Le second point que je tiens à souligner, c’est l’excellence de notre coopération avec le Sénat. Il s’agit, pour nous, d’un sujet extrêmement important.

Plusieurs rendez-vous nous attendent. Votre commission des finances nous a demandé un certain nombre de rapports, qu’il s’agisse de la scolarisation des élèves allophones, de l’installation des agriculteurs, du financement des collectivités territoriales – ce sujet suppose, bien sûr, une enquête extrêmement vaste – ou de l’adaptation du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique. En parallèle, votre commission des affaires sociales nous a demandé de nous pencher sur Santé publique France et sur le « 100 % Santé ».

S’y ajouteront des rendez-vous récurrents. Au mois de juin prochain, je présenterai ainsi devant vous le rapport public annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques. Ce sera l’occasion de faire le point au lendemain des échéances démocratiques et de se projeter dans la nouvelle mandature. Je le répète, la gouvernance des finances publiques exigera un certain nombre de dispositions le moment venu.

Nous travaillerons aussi sur nombre de questions qui intéressent la Haute Assemblée. Je tiens à vous signaler que nous avons déjà arrêté le thème de notre rapport public annuel pour 2023 – il s’agit non plus désormais d’un florilège, d’un patchwork, mais d’un rapport thématique.

Ce rapport traitera de l’organisation territoriale.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Il sera donc prioritairement destiné au Sénat.

À ce titre, permettez-moi de vous dire à quel point nous sommes heureux que, pour le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), la commission mixte paritaire se soit révélée conclusive.

Cet accord permettra aux chambres régionales des comptes, qui sont vos interlocuteurs, de procéder désormais à des évaluations de politiques publiques locales. C’est un changement de culture, qui apportera de nouveaux éclairages sur les collectivités territoriales. À court terme, nous allons par exemple lancer une évaluation concomitante du plan Marseille en grand.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous répète à quel point j’ai été très heureux de participer à ce débat, avec ceux qui m’entourent aujourd’hui. Je vous dis une nouvelle fois le très grand intérêt que nous attachons à nos relations avec le Parlement, en particulier avec la Haute Assemblée, et le plaisir que j’aurai à revenir souvent devant vous.

Tout en restant à notre place, nous nous efforcerons d’éclairer le débat public à l’aide d’éléments objectifs chiffrés. Nos analyses peuvent évidemment être réfutées ou débattues : c’est précisément le sens de vos interventions de ce matin. J’espère toutefois qu’elles permettront de mieux gérer la dépense publique de notre pays, ce qui demeure à mon sens un impératif catégorique ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles des groupes CRCE et GEST.)

M. le président. Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, et nous donnons acte du débat qui s’est ensuivi.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes.

(M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes sont reconduits selon le cérémonial dusage.)

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Discussion générale (suite)

Choix du nom issu de la filiation

Discussion en nouvelle lecture d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture, à la demande du Gouvernement, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au choix du nom issu de la filiation (proposition n° 529, résultat des travaux de la commission n° 540, rapport n° 539).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui dans des circonstances un peu particulières.

Votre commission des lois vous propose d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation. Je le regrette très amèrement.

Je le regrette d’abord pour toutes ces Françaises et tous ces Français qui placent leurs espoirs dans ce texte ; pour ces milliers de nos concitoyens qui vivent au quotidien la difficulté, voire la souffrance, de porter et même de supporter leur nom. Il ne tenait qu’à nous, Gouvernement et Parlement, Assemblée nationale et Sénat, d’alléger ces difficultés, d’apaiser ces souffrances, par une réforme équilibrée et de bon sens.

Je le regrette pour ces mères – de fait, c’est le plus souvent des mères qu’il s’agit – qui doivent justifier que leur enfant est bien le leur et présenter à tout bout de champ leur livret de famille. Je le regrette pour ceux qui ont hérité d’un nom qu’ils traînent comme un boulet. Je le regrette aussi pour le travail législatif, qui se trouve arrêté par ce qu’il faut bien appeler un front de conservatisme, malgré une recherche sincère de consensus avec M. Buffet, président de la commission des lois, et Mme Mercier, rapporteure.

Nous avons aussi pu compter sur le soutien d’un certain nombre de groupes de l’opposition, que je tiens à saluer. À gauche comme à droite, des efforts ont été faits pour trouver un compromis.

Après l’échec de la commission mixte paritaire (CMP), l’Assemblée nationale a rétabli en nouvelle lecture ce qui faisait l’ossature de la proposition de loi. Le rapporteur, M. Vignal, et la commission des lois ont également répondu aux inquiétudes du Sénat, mais cela n’a pas suffi.

Vos collègues députés ont fait le choix judicieux d’introduire un délai de réflexion pour le changement de nom dans le cadre de la procédure simplifiée, en prévoyant que le choix de nom soit confirmé devant l’officier d’état civil après un délai d’un mois au minimum. C’est là, assurément, une garantie que la volonté du demandeur est mûrement réfléchie et assumée.

Malgré cela, non contente d’avoir détricoté purement et simplement ce texte en première lecture, la majorité sénatoriale refuse le débat.

Je ne puis m’empêcher de penser que refuser de débattre, c’est refuser de voir que la société évolue. Or la loi civile doit évidemment s’adapter à l’évolution de la société.

À ceux-là qui s’arc-boutent dans le refus de voir la loi accompagner les évolutions de la société, je dis et je répète : vous faites fausse route ! Aux autres, qui attendent cette réforme, je dis qu’ils peuvent compter sur ma détermination et sur celle de l’Assemblée nationale pour faire aboutir le présent texte.

N’en déplaise à certains esprits chagrins, j’approuve totalement cette réforme, tout simplement par ce qu’elle répond à des attentes fortes de simplification. J’y insiste : elle va faciliter la vie des mères et, au-delà, améliorer la vie de nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui supportent leur nom.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme est juste.

Je dois le confesser – j’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de le dire à un certain nombre d’entre vous –, j’ai une affection toute particulière pour le Sénat. Il offre sur chaque texte de loi un second regard absolument indispensable. Le plus souvent, il nous permet ainsi, à tous, de mieux atteindre l’intérêt général, qui doit être en tout temps notre horizon indépassable.

Ces vingt derniers mois, j’ai beaucoup apprécié – et le mot est faible ! – de travailler avec vous, sénatrices et sénateurs de tous bords. Je pense en particulier aux membres de votre commission, cher François-Noël Buffet. Disons les choses très clairement : si j’avais eu le moindre doute quant à l’utilité du bicamérisme dans notre République, ces deux années passées à vos côtés l’auraient dissipé à coup sûr.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui, je suis profondément convaincu que nous avons permis ensemble de belles avancées pour nos concitoyens, que ce soit sur l’initiative du Gouvernement, comme la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, ou sur l’initiative du Sénat, comme la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, texte que nous devons à M. Buffet, ou encore la très belle loi portée par Mme Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Pour l’ensemble de ces raisons, je ne peux conclure mon propos sans dire à quel point je regrette que, sur ce dernier texte, nous ne soyons pas parvenus à trouver un chemin pour l’intérêt de nos concitoyens.

Dans la vie, il y a des trains que l’on rate et il y a ceux que l’on refuse de prendre.

Je suis triste que vous ayez refusé cette réforme de bon sens, qui est à des années-lumière de ce que certains ont affirmé ici et là, notamment dans la presse.

Je serai tout à l’heure à l’Assemblée nationale pour permettre l’adoption définitive d’un texte qui fait œuvre utile pour chacun de nos compatriotes. Mieux, il fait œuvre juste. Sans forfanterie, je suis persuadé que l’avenir nous donnera raison !

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous sommes appelés à nous prononcer en nouvelle lecture sur la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, adoptée lundi par l’Assemblée nationale.

Ce texte important, du point de vue tant des principes qu’il met en jeu que des conséquences qu’il peut avoir sur la vie de nombre de nos concitoyens et de leur famille, a été examiné en toute fin de session, avec une célérité qui ne me semble pas justifiée.

Nous avons toutefois réussi à mener nos travaux avec sérieux et en faisant appel à l’expertise de nombreux professionnels : magistrats, avocats, personnels de mairie, pédopsychiatres, professeurs de droit, instituteurs, assistantes maternelles, etc. C’est leur analyse qui a nourri la position de la commission, puis du Sénat, non des partis pris idéologiques, comme certains l’ont suggéré.

Le Sénat n’a manifesté aucune hostilité à cette proposition de loi. De plus, il est conscient de la nécessité de simplifier les démarches de changement de nom pour répondre à certaines situations particulièrement douloureuses. Nous avons ainsi réussi à converger sur certains points, ce que nos collègues députés ont semblé oublier.

Tout d’abord, nous avons accepté une souplesse accrue quant au nom d’usage, pour apporter une solution rapide aux personnes majeures qui souffrent dans leur vie quotidienne de devoir utiliser le nom d’un parent maltraitant ou délaissant.

Ensuite, nous avons accepté une procédure de changement de nom simplifiée, sans justification d’un intérêt légitime, dès lors que le changement consiste à choisir un nom issu de sa filiation.

Nous avons aussi accepté le principe suivant : donner aux adultes le même choix que celui des parents à la naissance de leur enfant, dans le cadre de l’article 311-21 du code civil, que ce soit pour leur nom d’usage ou pour leur nom de famille.

Le Sénat a également adopté conformes l’article 2 bis, qui donne compétence à la juridiction prononçant un retrait de l’autorité parentale pour se prononcer sur un changement de nom du mineur, et l’article 3, qui supprime l’intervention du tuteur pour un changement de prénom du majeur protégé.

Toutefois, deux points de divergence demeuraient, et ils ont été suffisamment importants pour empêcher un compromis en CMP. Monsieur le garde des sceaux, croyez bien que je le regrette infiniment. D’ailleurs, il y a vingt mois, nous étions, vous et moi, exactement dans la même position : vous veniez défendre ce texte – le premier depuis votre entrée en fonction –, et j’en étais le rapporteur.

Le premier point de divergence concerne la situation des mineurs, le second le rôle des communes.

Toute notre réflexion a été construite autour de l’idée qu’un enfant ne fait pas la différence entre un nom d’usage et un nom de famille : le faire connaître dans sa vie de tous les jours sous un autre nom – c’est là le propre du nom d’usage, qui n’est pas une simple mention administrative – équivaut donc, en pratique, à lui faire changer de nom.

De ce fait, l’article 1er de la proposition de loi présente à nos yeux un défaut de conception, puisqu’il repose sur l’idée qu’il serait légitime de changer le nom d’un enfant pour faciliter la vie quotidienne d’un parent – en l’occurrence la maman, qui n’aurait plus à montrer son livret de famille – ou pour « restaurer l’égalité parentale ».

Cela étant, nous comprenons ces préoccupations et nous avons proposé une autre solution.

Nous avons été soucieux de ne pas perturber l’enfant dans la construction de son identité et dans sa vie sociale, dans un contexte conflictuel ou hors intervention du juge aux affaires familiales (JAF).

Nous n’avons pas souhaité autoriser une substitution de nom pour les mineurs à titre d’usage. Nous n’avons pas accepté non plus la solution proposée par nos collègues députés pour répondre à la demande de simplification exprimée par le collectif Porte mon nom.

Le droit de décider seul, au cours de la minorité de son enfant, d’adjoindre à titre d’usage son nom de famille au nom de l’enfant, pourrait créer des situations instables : ainsi, l’enfant serait nommé différemment selon qu’il est chez son père ou chez sa mère et devrait revenir à son nom d’origine si le JAF considérait finalement qu’il n’est pas de son intérêt d’adjoindre l’autre nom.

À l’article 1er, le Sénat a donc préféré s’en tenir au droit existant pour les mineurs et maintenir la nécessité d’un accord des deux parents, s’ils exercent conjointement l’autorité parentale, ou d’une décision du JAF en cas de désaccord, ce qui est malheureusement fréquent.

Les effets de la procédure de changement de nom simplifiée prévue à l’article 2 sur les enfants mineurs ne semblent pas avoir été suffisamment expertisés. Si l’on peut concevoir qu’un majeur puisse, une fois dans sa vie, choisir son nom par simple déclaration, sans aucune justification, il semble inopportun que ce changement de nom ait un effet automatique, par ricochet, sur les enfants de moins de 13 ans, sans aucun contrôle ni aucune information de l’autre parent.

Notre second point de blocage concerne les communes. Nous n’avons pas souhaité que la simplification du fonctionnement du ministère de la justice se fasse au détriment des services de l’état civil des mairies.

La procédure choisie dans le cadre de l’article 2 de la proposition de loi semble avoir été conçue de manière opportuniste pour pallier l’abandon d’un projet de numérisation et de dématérialisation de la procédure de changement de nom par décret, ainsi que les retards accumulés pendant la crise sanitaire.

En première lecture, nous avons proposé comme autre solution une procédure simplifiée, qui resterait centralisée auprès du ministère de la justice comme c’est le cas aujourd’hui. Il s’agissait d’une procédure sur simple arrêté, et non plus sur décret du Premier ministre, que le ministère aurait engagée par téléprocédure sur la base d’un formulaire Cerfa. L’idée était de rendre cette démarche facile et accessible sur tout le territoire.

Nous y avions apporté des garanties au moyen de l’institution d’une période de réflexion de trois mois et d’une recevabilité soumise à l’absence d’enfants mineurs pour éviter tout effet de ricochet.

Cette solution n’a pas trouvé d’écho auprès des députés qui sont revenus à leur procédure initiale, sans autre changement que celui de prévoir un délai de réflexion d’un mois, ce qui semble insuffisant au regard de la portée de la démarche.

Les députés ont donc peu ou prou repris l’intégralité de leur texte de première lecture. Ce n’est pas une surprise. Après le passage du texte au Sénat, ils ont aussitôt dénoncé un « détricotage », sans même relever les avancées votées par notre assemblée et que j’ai rappelées.

Plutôt qu’un « détricotage », je parlerais d’un reprisage. Nous avons tenté, comme on le dit chez moi avec des mots un peu fleuris, de faire une robe de bal avec un sac à pommes de terre. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le garde des sceaux sourit également.)

Notre position a été présentée de manière caricaturale et le refus de toute évolution tendant à mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant et à ne pas transférer une tâche supplémentaire aux communes a entraîné une situation de blocage dont nous devons, malheureusement, prendre acte aujourd’hui.

C’est pourquoi la commission des lois n’a pas adopté de texte et vous propose d’adopter une motion tendant à opposer au texte la question préalable.

À cet instant, mon esprit vagabonde un peu, car je parle devant les statues de grands hommes d’État qui ont su faire des lois. Je pense à Antoine Blanc de Saint-Bonnet, un homme un peu méconnu, je vous l’accorde. En 1845, il a écrit la phrase suivante : « On aime les événements ; cependant, au milieu des choses qui passent, on devrait songer aux lois qui restent. » C’est à méditer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde n’a pas la chance de s’appeler Dupont et de naître en Normandie.

M. Jean-Claude Anglars. Ça, c’est vrai ! (Sourires.)

Mme Esther Benbassa. Laissez-moi vous raconter ma petite histoire.

Née à Istanbul, je suis arrivée en France en 1972, il y a cinquante ans déjà. Or les documents que j’ai pu produire au moment de ma naturalisation étaient ceux qu’Israël, où j’avais vécu sept ans, avait bien voulu me remettre. Les erreurs de transcription et de traduction aidant, je me suis ainsi appelée un temps Benbassat, avec un « t » final. Je me suis battue au fil des ans pour avoir un nom et un prénom qui soient vraiment les miens, mais le désordre n’a fait que s’aggraver.

Je crus trouver la solution en arrachant un certificat de naissance à la Turquie et en le faisant transcrire en France. Hélas, en turc, je me nomme Ester, sans « h », et Benbasa avec un seul « s », puisque le « s » se prononce « esse », même entre deux voyelles et qu’il n’y a pas de consonnes géminées en turc. En français, c’était horrible.

Mon nom et mon prénom continuèrent donc de varier selon les documents : passeport, carte d’identité, décrets de nomination, etc. Finalement, l’identité sous laquelle vous me connaissez ne fut longtemps qu’un nom de plume.

En 2014, je décidai d’être moi-même une fois pour toutes. La bataille fut rude. En octobre 2015, je devenais enfin Esther avec un « h », comme l’héroïne de la tragédie de Racine. Vous me direz que c’est ambitieux…

Mme Marie Mercier, rapporteur. On peut avoir de grands rêves !

Mme Esther Benbassa. C’est néanmoins ainsi que s’écrit le prénom Esther. Pour devenir « Benbassa », avec deux « s », la seule graphie qui permette aux francophones de lire correctement mon nom, figurez-vous qu’il m’a fallu demander un changement de nom – que je finis, après cinquante ans, par obtenir en septembre 2016.

Bref, je ne suis l’Esther Benbassa que vous connaissez que depuis cinq ans et demi, après presque un demi-siècle d’errance onomastique. Les motivations qui amènent à entreprendre une démarche pour changer de nom sont, bien sûr, nombreuses, et touchent toujours à l’intime. Pensons à celles et ceux qui ont été victimes d’inceste, à celles et ceux qui ont été abandonnés par un parent, aux mères élevant seules leurs enfants, etc.

Beaucoup trop de nos concitoyennes et concitoyens ne peuvent aller au bout de la procédure en vigueur.

Chers collègues, simplifier, faciliter, c’est ce que nous aurions dû faire, en adéquation avec le texte adopté par l’Assemblée nationale.

Malheureusement, la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la majorité sénatoriale nous privera d’un débat pourtant attendu et utile. C’est regrettable. Je voterai contre cette motion.

Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour la nouvelle lecture de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.

La semaine dernière, la commission mixte paritaire réunissant sénateurs et députés a échoué. Les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le regrettent. Cet échec était néanmoins prévisible, le Sénat ayant modifié profondément et même vidé de sa substance cette proposition de loi.

Les membres de mon groupe et moi-même avions déjà eu l’occasion en première lecture de déplorer l’adoption de certains amendements par la commission des lois de la Haute Assemblée.

À l’instar de M. le garde des sceaux, je regrette que, sur un tel sujet, un compromis n’ait pas été possible. Cependant l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue député, mon ami Patrick Vignal, ne pouvait tout simplement pas renoncer à ce qui constituait l’essence même de ce texte : l’adjonction unilatérale, à titre d’usage, du nom du parent qui n’a pas transmis le sien, et une simplification réelle pour le citoyen de la procédure de modification du nom à l’état civil.

C’est bien sur ces points que la majorité sénatoriale a opposé un refus de principe. Or cette réforme, attendue par les milliers de familles concernées, avait une utilité que personne, ici, n’a contestée. Il s’agissait d’une loi de liberté, puisqu’elle n’imposait rien à personne.

Elle permettait tout simplement, d’abord, de donner aux mères la place qui leur revient dans le nom de leurs enfants, particulièrement dans le cadre des familles monoparentales.

Elle soulageait ensuite la souffrance de nombreux citoyens souhaitant se détacher du nom d’un parent responsable de violences intrafamiliales, notamment après un féminicide ou un inceste.

Elle représentait également un espoir pour nos concitoyennes et concitoyens qui portent le même nom qu’un terroriste, qu’un violeur en série, ou qu’un assassin tristement célèbre. Cette proposition de loi permettait, enfin, de faciliter les procédures administratives dont la durée et le coût représentent bien souvent des freins pour ceux qui souhaitent entreprendre les démarches nécessaires à un changement de nom.

Ayant ces éléments à l’esprit, je dois avouer que je peine toujours à comprendre la majorité sénatoriale, qui semble avoir vu dans ce texte un énième coup porté au modèle familial traditionnel. Pourtant, il ne visait aucunement à invisibiliser les pères, mais bien à embrasser la diversité des situations familiales nouvelles, qu’elle concerne les familles recomposées, monoparentales, ou homoparentales.

Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, bien que perfectible, allait dans la bonne direction. Il nous appartenait de l’enrichir de nos propositions. Il aurait été de bon ton que, pour la dernière commission mixte paritaire de ce quinquennat, un esprit de concorde anime nos débats et règne sur nos discussions.

Sur ce texte, je crains que la position majoritaire dans la Haute Assemblée ne réduise, hélas ! l’influence du Sénat. Aucun des apports dont nous aurions pu être à l’origine ne sera retenu, alors que notre rapporteur, Marie Mercier – que je veux saluer – et beaucoup d’entre nous avaient beaucoup travaillé pour améliorer cette proposition de loi.

Voyez-vous, mes chers collègues, ce qui me chagrine le plus, c’est que les Françaises et les Français qui attendent le vote de cette loi puissent penser, à tort ou à raison, que le Sénat a été insensible et sourd à leurs souffrances. Ils me l’ont écrit. Ils me l’ont dit. Cela me chagrine beaucoup – pour moi, et pour nous tous.

Aujourd’hui, leurs regards et leurs espérances se tournent vers l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot dans le cadre de la navette parlementaire. Je ne doute pas que nos collègues du Palais Bourbon sauront adopter un texte répondant aux attentes exprimées.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment de conclure mon intervention – la dernière de l’actuel quinquennat –, permettez-moi de vous saluer tous et toutes, de saluer les services du Sénat, les services de la Chancellerie ainsi que votre cabinet, monsieur le garde des sceaux. S’il m’est arrivé de me retrouver parfois face à vous depuis mon arrivée au Sénat, il y a dix-huit mois, je me suis souvent retrouvé à vos côtés. C’est le souvenir que je garde, et pour cela je vous remercie toutes et tous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous étudions cet après-midi, en nouvelle lecture, la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, dont les dispositions devraient pouvoir entrer en vigueur en juillet prochain.

Déposée par notre collègue député Patrick Vignal, elle a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale à une large majorité.

Le texte doit permettre à toute personne de modifier une fois dans sa vie son patronyme, de façon plus simple qu’il n’est possible de le faire aujourd’hui. En effet, si la procédure de changement de nom est d’ores et déjà possible dans certains cas – par exemple dans le cas d’un nom à consonance ridicule ou déconsidéré –, elle n’en reste pas moins difficile, coûteuse et aléatoire.

Il s’agit donc, d’une part, d’assouplir les modalités de changement de nom de famille. Tout majeur pourrait demander à prendre ou ajouter le nom de son autre parent. Cela pourrait se faire via une simple démarche en mairie, sans justification. Je souligne que cette faculté demeurerait uniquement dans le cercle familial et ne permettrait en rien un choix totalement libre du nom.

Il s’agit, d’autre part, de faciliter la vie des parents dont les enfants ne portent pas le nom. Ces situations fréquentes concernent en premier lieu les familles monoparentales et, par conséquent, très majoritairement les femmes. Ces dernières, à la suite d’un divorce par exemple, peuvent se retrouver contraintes de recourir systématiquement au livret de famille pour prouver leur lien avec leurs enfants lors de démarches banales : scolaires, administratives ou médicales.

Pour sortir de ces situations, le texte de Patrick Vignal facilite pour les enfants le port, en plus du nom de famille donné à la naissance, du nom de l’autre parent au titre de nom d’usage.

Nous sommes très favorables à cette évolution. L’objectif est de faciliter à la fois le quotidien des parents qui élèvent seuls leur enfant qui ne porte pas leur nom et celui des personnes majeures qui ne veulent plus porter le nom du parent qui leur a été transmis, pour des motifs affectifs – délaissement ou violences, par exemple.

La procédure existante, par décret, est complexe et incertaine. Elle dure deux ans en moyenne et est soumise à de lourdes formalités de publicité. Au Sénat, le texte a été modifié de façon substantielle par l’adoption de plusieurs amendements. Ces derniers concernent notamment la suppression de la faculté de substituer le nom d’un parent à celui d’un autre à titre de nom d’usage de l’enfant, le maintien de la condition de double consentement pour procéder à une adjonction de nom, ainsi qu’une modification de la procédure simplifiée de changement de nom pour les personnes souhaitant porter le nom du parent qui ne leur a pas transmis le sien. Celle-ci ne se ferait plus directement devant l’officier d’état civil, mais devant la Chancellerie.

La commission mixte paritaire n’est pas parvenue à une version de compromis. En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a rétabli, en majeure partie, le texte initial. Toutefois, à l’article 2 – qui est relatif à la procédure simplifiée susmentionnée –, les députés ont respecté la volonté du Sénat de laisser au demandeur un temps plus long afin de sécuriser ses réflexions. Il est ainsi écrit que « le changement de nom n’est consigné qu’après confirmation par l’intéressé devant l’officier de l’état civil, au plus tôt un mois après la réception de la demande. » Nous sommes favorables à cette rédaction.

Un certain nombre d’autres garanties sont prévues par ce texte. Elles ont été rappelées.

Nous soutiendrons le texte transmis par les députés et voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous regrettons que la commission mixte paritaire ne soit pas parvenue à s’entendre sur un texte commun. Nos deux chambres partageaient pourtant le constat essentiel suivant : la procédure actuelle de changement de nom est trop longue et bien trop complexe.

L’Assemblée nationale, soutenue par le Gouvernement, proposait une simplification radicale. Par simple dépôt de formulaire, nos concitoyens auraient pu, une fois dans leur vie, changer de nom, adjoindre ou substituer à leur nom de famille celui du parent qui ne leur a pas transmis le sien.

Le nom de famille est un héritage. Il nous est transmis sans que nous le choisissions. L’héritage est parfois bien lourd à porter. Certains noms sont des injures, d’autres finissent par le devenir. D’autres encore prêtent à rire, mais ne font même plus sourire ceux qui les portent. D’autres enfin renvoient à une histoire difficile et empêchent de tourner la page de violences ou d’abus.

Celles et ceux qui souhaitent changer de nom de famille doivent saisir le ministère de la justice, puis justifier d’un intérêt légitime. Le changement nécessite la prise d’un décret et sa transcription.

La commission des lois du Sénat convenait de la nécessité de simplifier la procédure. Elle proposait cependant de maintenir la procédure en vigueur, en la simplifiant. Les demandeurs qui souhaitaient changer de nom en utilisant le nom de leurs parents n’auraient pas eu à démontrer d’intérêt légitime.

Cette solution visait deux objectifs, le premier étant la simplification de la procédure. L’absence de motif devait en effet raccourcir les délais. Le deuxième objectif était le maintien de sa solennité. La saisine du ministère de la justice en vue de la prise d’un décret et celle du Conseil d’État ne sont pas des démarches que l’on entreprend à la légère.

Changer de nom n’est en effet pas un acte anodin. Certains de nos concitoyens craignaient un état civil « à la carte ».

Nous comprenons ces préoccupations, fondées sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Cependant, rien ne nous permet de croire que nos concitoyens se saisiraient de cette possibilité à mauvais escient.

La commission mixte paritaire n’a pas su s’accorder sur un dispositif commun. Les points de convergence étaient pourtant nombreux.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Oui, c’est vrai !

M. Joël Guerriau. Le Sénat souhaitait que les 3 000 à 4 000 demandes annuelles de changement de nom continuent d’être traitées par la Chancellerie. L’Assemblée nationale proposait quant à elle une procédure reposant sur les mairies.

Nous comprenons parfaitement la logique consistant à décentraliser cette procédure et à la rapprocher de nos concitoyens. Il faut néanmoins rappeler que la durée moyenne d’une procédure de changement de nom est aujourd’hui de sept ans, alors que la procédure est gérée par le ministère de la justice.

Un transfert de cette compétence vers les services municipaux entraînera nécessairement leur plus grande sollicitation. Une telle décentralisation doit être accompagnée des financements correspondants.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires regrette que les deux chambres n’aient pas pu s’accorder alors que leurs visions de la situation étaient très proches.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Discussion générale (suite)

5

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous informe que le Sénat siégera demain, vendredi 25 février, à quatorze heures trente, dans la salle des séances afin d’entendre, en application de l’article 18 de la Constitution, un message du Président de la République.

En application du même article 18 de la Constitution, ce message ne donnera lieu à aucun débat.

Par ailleurs, une déclaration suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, aura lieu la semaine prochaine, à la demande du Gouvernement. La conférence des présidents se réunira mardi 1er mars, à quatorze heures pour en fixer les modalités.

6

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Discussion générale (suite)

Choix du nom issu de la filiation

Suite de la discussion en nouvelle lecture et rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Question préalable (début)

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au choix du nom issu de la filiation.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la matière sur laquelle nous légiférons une nouvelle fois en ce jour est grave, intime et complexe.

Toucher à l’institution du nom et à son évolution, c’est toucher à l’un des premiers marqueurs de l’identification d’une personne, mais aussi, indirectement, à son histoire personnelle, à ses origines et à sa descendance.

Le nom évolue, change, disparaît parfois, fidèle en cela aux développements de nos vies humaines, traversées par des naissances, des mariages, des ruptures ou des décès.

Modifier le droit des personnes ne peut ainsi se faire que prudemment, quelles que soient les douleurs vécues par tel ou tel.

Ces douleurs, Mme le rapporteur les a entendues. Nous les avons entendues et nous n’y sommes pas insensibles – contrairement à ce que j’ai entendu dire par notre collègue Hussein Bourgi. Nous les comprenons, et nous partageons l’idée selon laquelle il était opportun de légiférer pour assouplir notre droit dans certaines circonstances.

Cependant, changer nos règles communes sur de tels sujets ne peut se faire dans la précipitation ou l’émotion, et je regrette une nouvelle fois que nous ayons dû examiner ce texte dans de telles conditions.

Sur le fond, le Sénat a souhaité établir en première lecture un texte conciliant davantage stabilité du nom et volonté individuelle, afin notamment de mieux prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant qui a été le souci permanent de notre rapporteur, dont je salue le travail remarquable qu’elle a mené avec la sensibilité que nous lui connaissons.

C’est dans un esprit constructif que notre assemblée avait suivi le Gouvernement à l’article 1er pour permettre aux majeurs la substitution d’un nom de parent par un autre, au titre du nom d’usage. Nous avions cependant refusé cette possibilité pour les mineurs, considérant que la substitution – qui va nettement plus loin que la simple adjonction – était un acte grave et que le droit existant s’avérait plus protecteur.

Nous avions par ailleurs voté les dispositions de l’article 2 qui permettaient aux adultes, selon une procédure simplifiée, de choisir leur nom de famille parmi les noms issus de la filiation au premier degré, une fois dans leur vie. Nous avons été nombreux à reconnaître dans cette possibilité une mesure pertinente, à condition qu’elle ne soit pas banalisée sous prétexte de simplification administrative.

Il nous faut, sur ce sujet, faire preuve de bon sens : si la proposition de loi vise à faciliter le changement de nom, d’usage ou de famille, c’est bien parce que ses auteurs en ont reconnu l’importance symbolique et historique dans la vie de chacun.

Comment, dès lors, envisager que l’évolution du nom puisse devenir un acte anodin, réduit aux plus simples formalités ?

Nous en convenons tous, la procédure actuelle est dysfonctionnelle et lourde. Néanmoins, ce n’est pas parce que l’administration centrale fait face à une surcharge de travail qu’il convenait de se défausser sur l’échelon local.

La proposition de loi envisageait une nouvelle procédure, déléguée aux communes. Nous nous y sommes opposés, tant pour maintenir la solennité d’une décision centralisée que pour éviter à nos communes de se voir confier une charge supplémentaire dont elles pourraient se passer.

Nous avions proposé une procédure plus simple, conduisant à la prise d’un arrêté ministériel. Le Gouvernement s’y est opposé.

Chers collègues, vous en conviendrez, les sujets de divergence avec le Gouvernement et la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale étaient nombreux et profonds.

C’est à la fois la situation des enfants mineurs et la procédure décentralisée auprès des communes qui ont conduit à l’absence d’accord avec les députés lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Nous constatons, pour le regretter, que le Gouvernement ne souhaite pas faire un pas en direction du Sénat. Les principales améliorations apportées par notre rapporteur n’ont pas été reprises par la majorité présidentielle.

Monsieur le ministre, vous souhaitiez un texte consensuel et progressiste. Je constate que le consensus n’a été réalisé qu’entre vous et les députés de votre majorité (M. le garde des sceaux proteste.), pour parvenir en fin de parcours législatif à un texte finalement bien peu enrichi. Nous le regrettons une nouvelle fois.

Constatant qu’il n’y a plus lieu de poursuivre le débat, le groupe Les Républicains votera pour la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si cela n’a pas de rapport avec le sujet évoqué, je pense qu’il est difficile d’intervenir aujourd’hui devant le Sénat sans faire référence à l’agression insoutenable et dramatique dont l’Ukraine a été victime ce matin de la part de Vladimir Poutine ni sans condamner fermement cette agression. Même si ce n’est pas le moment de le faire, je vois mal comment nous pourrions y échapper. Au nom de mon groupe, je me permets donc d’exprimer une condamnation sans réserve et de souligner la nécessité, pour la France et pour l’Europe, d’agir vite et fermement à l’égard de Vladimir Poutine.

S’agissant de la proposition de loi que nous examinons en nouvelle lecture, je tiens moi aussi à remercier Mme la rapporteure pour le travail qu’elle a réalisé.

Comme l’a dit ma collègue Mélanie Vogel, ce texte s’inscrit dans la lignée des combats féministes contre l’invisibilisation des femmes.

Que nous ont appris ces combats ? Les dominations ne s’estompent pas d’elles-mêmes, il faut les contraindre à disparaître. Ce texte était une occasion de rendre la loi un peu moins sexiste, un peu plus juste, et de l’adapter aux évolutions de notre société.

Un nom est bien plus qu’une convention sociale, c’est le symbole de notre individualité. Contraindre les femmes à y renoncer, c’est les invisibiliser.

Les témoignages recueillis par le collectif Porte mon nom sont poignants. Que ce soit en raison d’une histoire douloureuse ou d’un nom difficile à porter, pour porter le même nom que ses frères et sœurs ou pour toute autre raison, changer de nom devrait être une formalité, une chose simple.

Or que trouve la majorité sénatoriale à faire dans ces conditions ?

Elle refuse l’ouverture de la substitution du nom d’usage dans le cadre de la filiation. Elle refuse la possibilité, pour le parent qui ne l’avait pas transmis, d’adjoindre unilatéralement son nom à celui de son enfant, alors même que le procédé est encadré par un passage devant le juge en cas de différend.

Elle refuse le changement de nom par formulaire dans les mairies, conservant la procédure incertaine, longue et opaque du décret ministériel.

Elle refuse même de discuter une nouvelle fois de ce texte en déposant une motion tendant à opposer la question préalable, sous prétexte que l’Assemblée nationale ne reprend pas les propositions et les positions que je qualifierai de conservatrices défendues dans ce domaine par le Sénat.

Dès la première lecture, nous avions fait état de nos inquiétudes face à ces positions et à leur justification.

Décentraliser la procédure désorganisera les services des mairies, c’est une charge qu’il est déraisonnable de faire porter aux communes, dites-vous.

Néanmoins, je vous rappellerai qu’il existe 34 965 communes en France. En 2020, quelque 4 293 personnes ont demandé à changer de nom. En admettant qu’il y ait une multiplication par six, par douze ou par vingt-quatre des demandes, cela aboutirait en moyenne à une demande par an et par commune. Nous sommes loin d’une submersion des mairies sous les demandes !

Les services de l’État doivent s’adapter à cette modification et à cette simplification administrative. Nous sommes convaincus qu’ils y parviendront.

Un grave problème est celui des mères célibataires qui doivent prouver que leur enfant est bien le leur lorsqu’il faut l’inscrire au judo ou lui faire prendre l’avion. Or, selon nos collègues de la majorité, il n’est pas besoin de loi. Surtout pas ! Il suffit de décider par décret d’inscrire le nom de la mère sur les cartes d’identité.

Cette proposition revient à évacuer d’un revers de la main le problème de fond. Nous parlons de construire un système égalitaire et libre. Or que propose-t-on à ces femmes qui sont invisibilisées ? On leur propose un encart sur la carte d’identité de leur enfant. C’est insuffisant.

La version de l’Assemblée nationale permet toujours de changer son nom, simplement. En conséquence, nous voterons pour ce texte et contre la motion tendant à opposer la question préalable déposée par Mme la rapporteure.

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les divergences de points de vue entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur ce texte ont conduit à l’échec de la commission mixte paritaire.

Certaines de ces divergences paraissant insolubles, les sénateurs de la majorité sénatoriale et Mme la rapporteure ont décidé d’adopter en commission une motion tendant à opposer au texte la question préalable, motion qui a été redéposée pour la présente séance par la commission des lois.

Nous voterons contre cette motion, car nous partageons un certain nombre de points de vue défendus par nos collègues députés. De plus, nous étions favorables au texte initial et comptions sur la commission mixte paritaire pour qu’un accord favorable aux dispositifs initiaux soit trouvé.

Si nous déplorons l’absence d’étude d’impact sur ce texte, nous pensons cependant que les 40 000 personnes qui ont signé la pétition à l’origine de ce texte ont de vraies revendications à faire valoir et que, pour accéder à la possibilité de changer de nom, un véritable parcours du combattant s’impose aujourd’hui à des personnes qui souffrent bien souvent au quotidien.

Un nom, ce n’est effectivement pas rien, comme beaucoup l’ont rappelé au cours de la navette parlementaire. Je vous ferai grâce ici de mon histoire personnelle – ce n’est pas le lieu de la raconter.

Un nom nous caractérise en tant que personne, mais également en tant que membre d’une famille, d’une généalogie, d’une histoire. On peut en être fier. Il en va ainsi, heureusement, le plus souvent. Cependant, on peut aussi en rougir, en avoir honte ou encore l’attacher à une souffrance plus profonde encore, à un traumatisme qui se réveille chaque fois qu’on l’entend, qu’on le prononce ou encore qu’on nous demande de l’épeler. Le nom de famille peut être une ombre quotidienne dans le tableau de certaines vies.

Mes chers collègues, il est déjà possible de changer de nom dans le cadre de la filiation. Toutefois, ce n’est pas certain, car cette possibilité s’accompagne d’une procédure de justification susceptible d’aboutir à un refus.

Il est à nos yeux logique d’en faire un choix personnel indiscutable en simplifiant cette procédure.

Pour ce qui est des mineurs, nous considérons que l’intérêt de l’enfant est parfaitement pris en compte dans la mesure où le texte vise simplement à donner au parent qui le souhaite, et qui rencontre des difficultés au quotidien pour prouver qu’il est bien le parent de son enfant, la possibilité d’ajouter son nom au nom d’usage de l’enfant. Si l’autre parent est absent ou s’il refuse de signer le formulaire de demande, aucun combat judiciaire ne devrait être nécessaire.

L’argument selon lequel une délégation de la compétence à la mairie emporterait une charge supplémentaire ne tient pas non plus, à notre sens. Que la décision relève ou non du garde des sceaux, c’est à l’officier d’état civil qu’il revient de porter les changements sur les actes d’état civil dont disposent les mairies.

Il paraît curieux, par ailleurs, de renvoyer le ministère de la justice à ses propres difficultés, que l’on sait grandes en matière d’outils numériques, et de lui demander de s’améliorer en conséquence.

Enfin, sur le fond, on sait que les souffrances à l’origine d’une telle démarche s’inscrivent souvent dans un cadre d’inégalités entre les femmes et les hommes. Les femmes, mères, tributaires d’une histoire millénaire, donnent la vie à des enfants auxquels elles ne transmettraient pas leur nom et donc leur histoire familiale et une part d’elles-mêmes, au profit d’hommes, pères, qui, pour nombre d’entre eux, restent, parfois à leur corps défendant, ancrés dans des archétypes patriarcaux. Cette forme d’invisibilisation des femmes devrait désormais être révolue.

C’est aussi le sens de cette proposition de loi de liberté, dont le caractère progressiste semble évident. Nous avons bon espoir qu’elle sera reprise dans sa version initiale, tout à l’heure, en lecture définitive, à l’Assemblée nationale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi relative au choix du nom est attendue par certains de nos concitoyens, probablement plus que l’on ne l’imagine dans cet hémicycle.

Quelle que soit la raison pour laquelle on en a besoin – divorce qui se passe mal, souffrance liée au port du nom d’un personnage haï –, il est nécessaire d’améliorer la procédure, qui est aujourd’hui bien trop longue et dont le résultat n’est pas certain pour le demandeur. À l’Assemblée nationale comme au Sénat, nous partageons ce constat. Malheureusement, nos deux chambres sont en désaccord sur la méthode.

Par exemple, s’agissant du nom d’usage, nous estimons que la substitution chez les mineurs soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout, car substituer, c’est aussi un peu effacer ; or un enfant a besoin de ses deux parents pour se construire.

Sur le nom de famille, ensuite, le texte prévoit un changement de la procédure. Nos collègues députés souhaitent expédier le changement de nom d’un coup de formulaire Cerfa ; il me semble que la position de la commission des lois du Sénat était plus mesurée, avec une amélioration de la procédure existante, en exemptant de toute justification d’un intérêt légitime une demande d’adjonction ou de substitution, pourvu que le nom soit issu de la filiation.

En outre, c’est là un important point de blocage, cette nouvelle procédure proposée par nos collègues députés transfère la charge administrative sur les communes.

Il est vrai que la procédure de changement par décret connaît de nombreux dysfonctionnements, en raison, probablement, d’une mauvaise organisation de l’administration centrale. Il est certain que les communes y arriveraient, mais à quel coût ? Où, dans ce texte, prévoit-on de leur reverser l’équivalent des économies réalisées par la Chancellerie ? L’administration aurait largement eu le temps de s’améliorer, tant les problématiques liées à la procédure actuelle sont connues. Le Défenseur des droits avait tiré la sonnette d’alarme dès 2018, et l’informatisation du traitement des dossiers n’est toujours pas d’actualité.

La simplification, comme l’amélioration, aurait d’ailleurs pu être faite depuis longtemps déjà, la plupart des dispositions étant de nature réglementaire.

Je ne peux que regretter une occasion manquée, surtout au regard du travail accompli par notre rapporteure, Marie Mercier, et du peu de divergences de fond qui nous séparaient d’un accord.

Enfin, je rappelle que, pour qu’un dialogue, et donc une négociation, ait lieu, il faut que les deux parties soient ouvertes à la contradiction, ce qui n’a malheureusement pas été le cas sur ce sujet.

En conséquence, au regard de ces divergences de fond comme de forme, le groupe Union Centriste votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question du changement de nom n’échappe pas aux stéréotypes : nous avons tous à l’esprit ces exemples de noms qui attirent les brimades dès l’enfance et parfois jusqu’à l’âge adulte. Je vous en épargne la liste.

Toutefois, chacun comprend vite la portée de ce texte.

Derrière un nom, se noue l’intimité des familles, souvent heureuse, mais, parfois, hélas ! dramatique.

Derrière un nom, se retrouvent malheureusement certaines souffrances des enfants qui subissent les choix parfois brutaux de leurs parents ; ainsi de l’enfant élevé par un parent seul, mais qui se verrait imposer le nom de l’autre parent malgré son abandon, de l’enfant qui porterait le nom d’un parent maltraitant ou auteur de crimes contre lui, ou encore de l’enfant qui souhaiterait se détacher de sa fratrie.

De nombreuses associations nous ont alertés sur les lourdeurs administratives existantes, qui placent les enfants, devenus des adultes, dans une forme de précarité. Je ne souhaite à personne de se voir imposer chaque jour le nom de celui ou de celle qui a l’a violenté, agressé sexuellement, abandonné, ou même, de manière moins visible, de celui ou de celle qui été un parent toxique, voire destructeur.

Le droit actuel offre déjà des solutions, comme l’indique le code civil : « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom de famille. » Comme nom d’usage, toute personne peut utiliser un double nom, composé de son nom de naissance et du nom du parent qui ne le lui a pas transmis à la naissance.

Aussi, pour chacune des deux situations, je vois mal quelle difficulté il y aurait à faciliter les changements dans les trois cas prévus : intervertir l’ordre de ses deux noms accolés choisis par ses parents ; substituer le nom de famille de l’un d’entre eux à son propre nom ; adjoindre à son nom, dans l’ordre que l’on choisit, le nom du parent qui ne l’a pas transmis. S’agissant du nom d’un parent, pourquoi faudrait-il justifier un tel changement ?

Le travail des généalogistes dans les siècles à venir sera sans doute rendu plus difficile ; il n’en demeure pas moins que, avec ces dispositions, nous pouvons notamment soulager la souffrance d’enfants en leur donnant la possibilité de ne plus porter le nom de celui ou de celle qui fait de leur vie un cauchemar.

Il est souvent question dans cet hémicycle de l’intérêt supérieur de l’enfant, quitte à y loger des considérations que les enfants ignorent eux-mêmes. Ce texte offre une authentique occasion de le défendre ! Vous comprendrez bien, mes chers collègues, que nous regrettions la position du Sénat.

Certes, le choix du nom de famille n’a rien d’anodin et invite à la prudence. Aussi, j’entends le souhait d’éviter toute forme de précipitation lorsqu’il s’agit de jeunes mineurs, auxquels il faut garantir un cadre stable d’émancipation.

Comme l’avait toutefois souligné mon collègue Henri Cabanel, l’essentiel des dispositifs de cette proposition de loi ne prend rien à personne. Comme lui, je considère qu’il n’y a pas lieu d’infantiliser les citoyens.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale nous semblait équilibré et mieux à même de répondre aux problématiques soulevées. Au regard de tous ces éléments, mais aussi parce que, par principe, nous refusons que les débats s’arrêtent prématurément, il va sans dire que nous ne soutiendrons pas la motion déposée par Mme la rapporteure de la commission des lois.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Question préalable (fin)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme M. Mercier, au nom de la commission, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi n° 529 (2021-2022), adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au choix du nom issu de la filiation.

La parole est à Mme le rapporteur, pour la motion.

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai le sentiment de vous avoir suffisamment exposé les raisons qui ont motivé le dépôt de cette motion.

Il s’agit de prendre acte de la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons, malgré les avancées votées par le Sénat. Je tiens à remercier les collègues qui ont, pour certains, suivi les auditions et travaillé sur ce texte avec moi : Dominique Vérien et Hussein Bourgi.

Il s’agissait d’un texte important, qui aurait en effet mérité de meilleures conditions d’examen et un dialogue plus constructif entre nos deux chambres. Je suis donc désolée : nous n’irons pas au bal, parce que la robe n’est pas assez jolie et vous danserez sans nous ! (Sourires.)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je suis évidemment défavorable à cette motion et je suis fort marri de devoir envisager l’hypothèse de danser seul, à laquelle je n’ai, à vrai dire, jamais songé, madame la rapporteure. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Plutôt qu’entrer dans la danse, je souhaite indiquer la motivation de mon vote en faveur de cette motion.

Monsieur le garde des sceaux, le désaccord de fond entre les deux assemblées touche d’abord à la méthode, pour l’essentiel, et ne justifie donc ni anathèmes ni qualificatifs par trop désagréables à l’égard de notre assemblée. Je reconnais toutefois que vous vous êtes rattrapés dans la fin de votre propos et je vous en remercie.

Après tout, si la Chancellerie y consacrait les moyens nécessaires, elle pourrait garantir une procédure de changement de nom simplifiée, gratuite, sûre, rapide au lieu que celle-ci soit, comme aujourd’hui, difficile, coûteuse aléatoire et lente.

La regrettable habitude a été prise, s’agissant spécialement de votre ministère, de demander la modification des lois pour supprimer un service public, dès lors qu’il n’est plus capable de l’assurer efficacement.

Un autre point important à mes yeux est ce postulat étrange selon lequel on pourrait effacer un traumatisme profond en changeant de nom. Il s’agit d’un effet placebo, lequel, dans la plupart des cas, ne me semble pas pouvoir tenir lieu de thérapie, même s’il peut en être un élément.

Enfin, ce type de proposition de loi parfaitement improvisée a pour caractéristique principale de ne prendre en compte qu’une partie des personnes qu’il convient de protéger, et pas les autres.

L’exemple vaut aujourd’hui pour les enfants : il me semble tout de même que changer le nom de famille d’usage d’un enfant entre la classe de cinquième et la classe de quatrième peut être extrêmement négatif et préjudiciable pour lui. La convenance de la mère est une chose, la protection des plus vulnérables en est une autre, je suis, quant à moi, de ce dernier côté.

Il ne s’agit pas d’une affaire de modernisme ou de conservatisme ; la modernité n’est pas plus une vertu que le fait de se rattacher à des principes fondamentaux. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes allé trop vite et de manière trop simpliste dans cette affaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’heure n’est pas à la polémique, monsieur le questeur.

M. Philippe Bas. Pourquoi me répondez-vous, alors ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je peux vous répondre sans polémiquer, j’ai eu l’honneur de le faire à de très nombreuses reprises. J’ai même déjà pris la parole pour vous complimenter, vous l’avez sans doute oublié. Le compliment n’était peut-être pas assez appuyé…

Notre but n’est pas du tout de nous décharger d’un service public. Aujourd’hui, la procédure pour changer de nom existe, mais elle dure des années, elle coûte de l’argent, elle est complexe, il faut prendre un avocat, et, surtout, il faut s’en justifier auprès de l’administration. Nous discutons d’une loi de simplification, de liberté et d’égalité. Par les temps qui courent, on a rarement l’occasion de défendre de tels textes.

Vous dites que la première partie de mon discours était un peu âpre, mais que je me suis rattrapé. Ce n’est pas le cas : j’ai seulement dit la vérité ; j’ai indiqué pourquoi j’aimais le Sénat et je n’ai pas forcé ma nature pour cela. J’ai eu ici des échanges constructifs, dont j’ai donné des exemples.

Pour ne rien vous cacher, la dernière fois que nous avons discuté de ce texte dans l’hémicycle – je ne vous ai pas entendu intervenir, mais peut-être étais-je distrait –, il y avait ceux qui souhaitaient avancer et ceux qui « freinaient des quatre fers ». C’est un phénomène physique : il y a des forces centrifuges et des forces centripètes ; des forces vives, qui vont, qui s’adaptent à la société, à la famille moderne, parfois recomposée, et d’autres qui nourrissent une vision plus traditionnelle, voire traditionaliste, de la famille.

C’est la raison pour laquelle je me suis permis de dire avec beaucoup d’humilité que, à mon sens, certains d’entre vous avaient raté ce train. En fin de législature, cela nous aurait pourtant permis de dire que nous avions, ensemble, aidé nos compatriotes qui le demandaient et que nous avions fait œuvre utile.

Ce n’était pas une grande polémique, monsieur le questeur. Vous savez quel point je vous respecte, mais j’ai tout de même souhaité souligner que certains d’entre vous n’entendaient absolument pas bouger, sur aucun sujet sociétal ; je crois d’ailleurs qu’ils se reconnaîtront.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l’adoption 203
Contre 130

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation est rejetée.

La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. J’ai cru comprendre que le bal allait bientôt s’arrêter, mais je voulais indiquer que, sur le fond, nous approuvions les motivations des auteurs de ce texte. Un désaccord a surgi sur la façon de faire, dont acte.

Je voudrais, ensuite, remercier M. le garde des sceaux pour ses propos relatifs à la qualité du travail qui s’est instauré entre la commission des lois – et le Sénat, d’une façon plus générale – et la Chancellerie.

Force est de constater que le dialogue est permanent, nous pouvons avoir des désaccords, nous nous le disons clairement, mais il y a eu aussi des accords et nous avons soutenu de beaux textes ensemble, vous les avez rappelés.

J’ai à l’esprit la proposition de loi, déposée par Annick Billon, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste. Ce texte a été fortement enrichi, ici et à l’Assemblée nationale, et constitue à mon sens une avancée réelle ; à titre personnel, je me souviens également de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, qui a également été utile. Il y en a eu d’autres.

Avec un peu de bonne volonté, on finit par y arriver, il nous faut bien un peu d’espérance en ce moment ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures trente-huit.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
 

7

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au monde combattant
Discussion générale (suite)

Monde combattant

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au monde combattant
Article unique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, relative au monde combattant (proposition n° 361, texte de la commission n° 492, rapport n° 491).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’aborder le sujet qui nous réunit, je tiens à déclarer que ce jour n’est pas un jour comme les autres pour la France et pour l’Europe ; je voudrais d’abord assurer le peuple ukrainien de tout mon soutien et de toute ma solidarité.

J’en viens à mon propos.

Personne, sur ces travées, n’ignore l’engagement et le dévouement de nos soldats, de ceux d’hier comme de ceux d’aujourd’hui ; pas un sénateur ne mésestime ce que la France doit au monde combattant, à celui d’hier, à celui d’aujourd’hui et à celui de demain ; pas un parlementaire ne refuse d’échanger avec des associations du monde combattant ou de participer aux commémorations.

Au-delà de nos appartenances partisanes, des échéances électorales prochaines et des divergences nécessaires au débat public, nous avons tous à cœur la reconnaissance et la transmission mémorielle.

Nous tenons au soutien apporté par la Nation aux anciens combattants comme aux « nouveaux anciens combattants », ainsi qu’à la très grande diversité des ressortissants de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Il s’agit d’un engagement et d’un devoir de la Nation qui dépassent les générations.

Nous sommes résolument attachés à maintenir le monde combattant comme maillon essentiel du lien armées-Nation. Nous affirmons notre volonté d’adapter les cadres du monde combattant à son évolution pour le pérenniser, pour le moderniser, pour qu’il fasse toujours écho chez les Français, pour qu’il soit toujours porteur des leçons et des valeurs auxquelles nous tenons : celles de la République.

C’est la mission que je mène depuis près de cinq ans au sein du ministère des armées, c’est aussi le sens de cette proposition de loi.

Celle-ci intervient à un moment clé de l’histoire du monde combattant, alors que le dernier des Compagnons de la Libération s’est éteint ; alors que les derniers déportés et résistants disparaissent ; alors que, soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les plus jeunes appelés approchent les 80 ans ; alors que, s’il rassemble encore plus de deux millions de femmes et d’hommes, le monde combattant se rétracte inéluctablement ; alors qu’il change de visage progressivement, avec la montée en puissance du nombre d’anciens des opérations extérieures, avec l’émergence de nouveaux profils de ressortissants, avec de nouvelles habitudes, de nouvelles pratiques, de nouvelles attentes.

Dans cette perspective, j’ai veillé à ce que la maison des combattants qu’est l’ONACVG demeure l’opérateur principal du ministère des armées, qu’il reste un lien de proximité et un relais entre le monde combattant, la société civile et la puissance publique.

À cet effet, je tiens à remercier sincèrement et chaleureusement, l’ensemble des équipes et des personnels de l’Office. J’ai eu plaisir à œuvrer avec eux au cours des dernières années, à Paris comme dans tous les départements. Ces femmes et ces hommes accomplissent un travail remarquable au service de toutes les générations du feu, au service des pupilles de la Nation et des victimes du terrorisme, au service de nos blessés et de notre mémoire nationale.

Changer le nom d’une institution plus que centenaire, ce n’est pas rien et ce n’est pas seulement symbolique. Cela a un sens éminent, la terminologie est toujours un message que nous délivrons aujourd’hui ensemble, résolument : l’ONACVG vivra, le monde combattant a un avenir, les combattants d’aujourd’hui sont les héritiers des combattants d’hier et la Nation restera mobilisée pour accompagner et soutenir ceux qui servent sous le drapeau. La solidarité, la proximité et l’écoute resteront le cœur de l’activité et l’essence même de l’Office.

Madame la rapporteure, je partage cette volonté, d’autant plus que le nouveau contrat d’objectifs et de performance (COP) pour la période 2020-2025 en fait un objectif. Je souscris à la rédaction adoptée par les parlementaires et à la date d’entrée en vigueur choisie. Je souhaite donc longue vie à l’Office national des combattants et des victimes de guerre.

Cette longue vie, nous l’avons préparée au cours des derniers mois, avec le soutien inconditionnel des assemblées, avec l’application de la direction de l’Office, du conseil d’administration et de toutes les équipes ; nous avons œuvré pour le maintien d’un service de qualité, pour l’accompagnement de la modernisation numérique ; nous avons engagé l’Office dans la dématérialisation, dans l’amélioration de ses instruments de relation avec les ressortissants, dans l’accessibilité numérique des prestations.

Nous avons renforcé les services de l’ONACVG au sein des régiments, dans les espaces Atlas, en lien avec l’action sociale des armées. Nous avons sécurisé son action sociale propre dans la durée, en la professionnalisant encore davantage.

Nous avons consolidé la solidarité et affermi la fraternité au bénéfice de tous les ressortissants, tout en maintenant le maillage départemental. Vous y teniez, j’y tenais : engagement tenu ! Nous le maintenons, car le lien humain et la proximité sont essentiels et les ressortissants en ont éminemment besoin.

En matière de mémoire, nous avons confirmé l’Office dans son rôle d’opérateur de mémoire et dans ses démarches de transmission citoyenne au cœur des territoires. Avec l’ONACVG, nous avons constamment travaillé à la valorisation des nécropoles et au développement de l’innovation pédagogique sur les dix hauts lieux de la mémoire nationale. L’ONACVG continuera de creuser son sillon mémoriel, celui de la transmission de proximité avec une plus grande diversité de partenaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour le débat que nous avons aujourd’hui, ainsi que pour ceux que nous avons eus depuis cinq ans, dont je salue la hauteur de vue. C’est à l’image de notre reconnaissance pour tous les combattants, de notre attachement au monde combattant et de notre volonté collective de faire vivre la mémoire.

Exigence de la solidarité, passion pour la transmission : nous partageons avec fierté et sur tous nos territoires cette même ambition collective. C’est mon engagement et notre engagement commun pour la reconnaissance, l’attention et le respect que la Nation doit aux combattants qui l’ont servie. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure de la commission des affaires sociales. Avant de commencer mon intervention, madame la ministre, je tiens à vous dire que j’approuve sincèrement vos propos sur l’Ukraine.

La présente proposition de loi, que j’ai déposée au début de l’année 2020 – comme le temps passe vite ! –, a été adoptée par le Sénat le 9 mars 2021. L’Assemblée nationale l’a votée le 17 janvier dernier, complétée par deux amendements de coordination. La commission des affaires sociales a donc adopté le texte sans le modifier et vous propose de faire de même, mes chers collègues.

Cette proposition de loi a pour objet de remplacer, à compter du 1er janvier 2023, la dénomination « Office national des anciens combattants et victimes de guerre » par celle d’« Office national des combattants et des victimes de guerre ».

La volonté de modifier le nom de l’ONACVG s’explique par le fait que la population des ressortissants de l’Office ainsi que la nature de leurs besoins et de leurs attentes évoluent progressivement.

Notre pays compte aujourd’hui près d’un million d’anciens combattants, essentiellement issus de la guerre d’Algérie. Cette troisième génération du feu, composée d’anciens combattants octogénaires, va, comme les deux précédentes, s’éteindre progressivement dans les années à venir.

Lui succède depuis plusieurs années une quatrième génération du feu, composée des soldats engagés dans des opérations extérieures. S’ils justifient d’au moins quatre mois de présence sur un théâtre d’opérations, ces soldats peuvent bénéficier de la carte du combattant et relever ainsi des services de l’ONACVG. Ces hommes et, de plus en plus, ces femmes qui reviennent des théâtres d’opérations extérieurs peuvent donc être des anciens combattants et n’être âgés que d’une vingtaine d’années.

Surtout, les besoins et les attentes de ces combattants sont bien différents de ceux de la troisième génération du feu. Étant plus jeunes, ils ont davantage besoin d’être accompagnés dans des projets de reconversion professionnelle ou de mobilité géographique. L’ONACVG s’emploie donc, depuis plusieurs années déjà, à diversifier ses missions pour amplifier ce type d’accompagnement.

En effet, les missions d’accompagnement liées à la perte d’autonomie et aux invalides de guerre seront progressivement moins importantes à l’avenir pour l’ONACVG. Or, si l’Office adapte son activité aux besoins de ces « nouveaux » anciens combattants, ces soldats ne se considèrent pas tous comme des anciens combattants.

Le nom même de l’ONACVG peut alors les dissuader de solliciter l’accompagnement proposé par l’Office, alors qu’ils en auraient besoin. Ils ne savent même pas forcément que cet accompagnement leur est accessible.

Pour ces raisons, il est donc nécessaire que l’appellation de l’ONACVG soit mise en cohérence tant avec la diversification de ses missions qu’avec l’évolution de ses usagers, qui représentent le monde combattant dans sa diversité.

Ainsi que je l’ai constaté lors de mes travaux sur cette proposition de loi et, plus largement, pour le monde combattant, il y a une attente forte de la part de cette quatrième génération du feu d’être davantage accompagnée et reconnue. Je crois que cette proposition de loi y contribuera. Elle constitue une étape dans les évolutions des politiques menées en faveur du monde combattant, lesquelles doivent s’adapter aux besoins de ceux qui se sont engagés pour notre pays.

Ce changement de nom ne modifie ni les missions de l’ONACVG ni son organisation, laquelle se caractérise par un maillage territorial très utile pour l’accès de nos concitoyens aux services de l’Office. Il préserve également l’accompagnement déjà existant pour les anciens combattants et les actions de l’ONACVG pour la mémoire combattante.

En somme, ce texte ne modifie donc que la désignation de l’ONACVG, pour que celle-ci soit mieux adaptée à la réalité du monde combattant et puisse accompagner les évolutions à l’œuvre, qui sont liées aux nouvelles formes de conflit que connaît notre pays.

Il propose ainsi de renommer l’Office, à compter du 1er janvier 2023, « Office national des combattants et des victimes de guerre ».

L’examen en première lecture à l’Assemblée nationale a permis de compléter le texte par deux amendements de coordination, qui permettent de s’assurer que l’ensemble des appellations de l’Office qui figurent dans le droit positif seront remplacées par la nouvelle dénomination.

Par ailleurs, ainsi que l’a relevé le Conseil d’État, l’organisation de l’ONACVG n’est pas parfaitement conforme aux règles de bonne gouvernance des établissements publics, car la loi prévoit aujourd’hui que l’Office est présidé par le ministre chargé des anciens combattants. Il serait en effet souhaitable de remédier à cette particularité frappée d’un risque d’inconstitutionnalité, afin d’éviter que l’autorité de tutelle ne soit également à la tête d’un établissement qui doit disposer d’une autonomie.

Je sais, madame la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, que vous auriez souhaité compléter la proposition de loi pour résoudre cette difficulté. Toutefois, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec le texte tel qu’il a été proposé. Nous devons donc trouver prochainement un autre véhicule législatif pour sécuriser les règles de gouvernance de l’Office.

Finalement, la commission des affaires sociales a approuvé la version du texte adoptée par l’Assemblée nationale. Elle vous propose donc, mes chers collègues, de voter cette proposition de loi sans modification, afin qu’elle puisse être définitivement adoptée. L’Office national des combattants et des victimes de guerre pourra ainsi développer ses missions d’accompagnement et de reconnaissance en faveur de l’ensemble du monde combattant.

Enfin, en tant que présidente du groupe d’études Monde combattant et mémoire du Sénat, je tiens à remercier Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. À cet égard, pour que soit respecté l’esprit de ce texte, je préférerais l’appeler « Mme la ministre chargée de la mémoire et des combattants »… Mais cela viendra !

Je vous remercie donc, madame la ministre, pour les échanges fructueux et respectueux que nous avons eus depuis 2018, et vous félicite pour l’ensemble des actions que vous avez menées en faveur du monde combattant au cours de cette période.

Vous n’avez eu de cesse de consolider la reconnaissance de la Nation envers ceux qui l’ont servie avec passion et abnégation. Vous avez fait de la jeunesse un axe prioritaire de votre action, un point auquel vous savez que je suis attachée, et avez contribué à ancrer au sein de cette dernière les valeurs républicaines de solidarité, de fraternité, de citoyenneté – ce ne sont pas de vains mots ! – et de mémoire, ainsi que l’amour de la patrie.

D’ailleurs, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises sur le site du centre du service militaire volontaire (SMV) de Brétigny-sur-Orge, où vous m’avez remis les insignes de commandant de la réserve citoyenne.

Engagée aujourd’hui en tant qu’auditrice au sein de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), j’ai la chance de travailler aux côtés de jeunes colonels qui attendent impatiemment la promulgation de cette proposition de loi. Ce texte représente pour eux une réelle reconnaissance. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Victoire Jasmin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans le contexte actuel de grande tension militaire aux portes de l’Europe, je tiens en préambule à saluer le courage patriotique de tous ceux qui se sont battus ou qui vont encore se battre pour la sécurité de notre pays, ici ou à l’étranger.

Je souhaite également remercier Jocelyne Guidez pour ce texte, que j’ai eu plaisir à cosigner avec ma collègue Gisèle Jourda.

C’est effectivement pour la Haute Assemblée l’occasion de rappeler l’impérieuse nécessité, pour nous et pour les générations futures, d’honorer la mémoire des hommes et des femmes qui se sont sacrifiés pour la France, et pas seulement lors des commémorations officielles.

Les actions de notre collègue Jean-Marc Todeschini, ancien secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, sont également à saluer, puisqu’il a contribué à sanctuariser les droits de tous les anciens combattants.

C’est dans cette même logique de reconnaissance que le texte qui nous est proposé aujourd’hui a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, après une légère modification rédactionnelle.

Il s’agit donc d’harmoniser les dispositions législatives en remplaçant, à compter du 1er janvier 2023, l’appellation « Office national des anciens combattants et victimes de guerre » par celle d’« Office national des combattants et des victimes de guerre ».

Cette modification sémantique symbolise politiquement non seulement notre attachement à cet opérateur public centenaire, que nous souhaitons voir préserver, mais aussi la prise en considération d’un monde combattant en mutation.

En effet, les missions de proximité de l’ONACVG doivent être renforcées, car elles sont fondamentales. Grâce aux agents de l’Office et à toutes les associations bénévoles, les anciens combattants, mais également les pupilles de la Nation et les victimes du terrorisme, peuvent être accompagnés au quotidien, au plus près de leurs territoires.

Cette dénomination marque aussi une volonté de modernisation, déjà développée par l’ONAC, et que nous devons continuer à encourager. En effet, les termes d’anciens combattants, en ne faisant référence qu’aux militaires ayant servi la France durant les Première et Seconde Guerres mondiales, occultent les militaires qui ont été engagés et qui le sont encore en opérations extérieures (OPEX), au Tchad, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, dans l’opération Barkhane au Sahel et au Sahara, etc.

Mon groupe est bien sûr favorable à cette stratégie d’adaptation, pour une plus grande reconnaissance des troisième et quatrième générations du feu, des soldats tués ou blessés lors de la guerre d’Algérie ou en opérations extérieures. Ce devoir de reconnaissance et de transmission de notre histoire commune est plus que jamais indispensable pour mieux vivre ensemble, et de façon pacifiée.

Face à une population d’anciens combattants qui, inexorablement, se meurt, le monde combattant est amené à se féminiser, à se moderniser, à rajeunir, et se compose de plus en plus d’anciens soldats de métier. Leurs situations statutaires et leurs attentes ne seront pas forcément les mêmes que celles de leurs aînés, et nous en sommes conscients.

Pour autant, mon groupe reste très attaché à ce que le service public délivré par l’ONACVG soit maintenu à un très haut niveau de qualité, et à ce que le maillage territorial, qui fait la force de l’Office, soit maintenu et renforcé.

La présence de la centaine d’antennes et de services départementaux dans l’Hexagone et en outre-mer permet d’affirmer la continuité des grandes missions centrales de l’ONACVG, car nous demeurons catégoriquement opposés à toute tentative de régionalisation de l’Office.

En effet, depuis septembre 2018, j’ai mis un point d’honneur à rencontrer toutes les associations d’anciens combattants et de victimes de guerre de la Guadeloupe, et à évoquer, lors de réunions de travail, leurs difficultés. Je peux attester que la demande de proximité et de reconnaissance est bien réelle, tout particulièrement en outre-mer.

Depuis les dissidents antillais de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Ultramarins ont toujours été présents sur les champs de bataille. Ce fut le cas de M. Octave Perette, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, aujourd’hui âgé de 105 ans qui vit actuellement en Île-de-France, à Colombes, et a bon pied bon œil. Sa famille souhaite que, en Guadeloupe, dans ma commune de Morne-à-l’Eau, un geste soit fait pour lui ; cette démarche n’a malheureusement pas pu aboutir jusqu’à présent, car, lui a-t-on répondu, il réside dans l’Hexagone.

Je veux aussi citer le cas de M. Loïc Liber, qui fut, comme vous le savez, l’une des victimes de Mohammed Merah lors de l’attentat de Montauban. Grièvement blessé, il vit actuellement à l’Institution nationale des Invalides, mais souhaiterait rentrer en Guadeloupe parce qu’il est fils unique et que sa mère ne peut pas toujours venir le voir. Ainsi isolé, il peut cependant, grâce à l’aide d’associations, encore compter sur des visites régulières. Sa situation étant assez démoralisante, je souhaiterais, madame la ministre, que l’on puisse faire le nécessaire pour l’aider.

Nous sommes tous très impliqués et la présence des régiments du service militaire adapté (RSMA) sur les différents territoires ultramarins, montre l’attachement de nos populations à l’armée et au monde combattant.

Par conséquent, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est dans un moment très particulier qu’intervient l’examen de ce texte, et je m’associe aux paroles de Mme la ministre sur l’Ukraine.

Notre histoire contemporaine est le résultat du dévouement des fantassins, des tankistes de la ligne Maginot. Notre futur dépend du courage de ceux qui défendent, en ce moment même, les intérêts stratégiques de la France, mais aussi les valeurs et principes de la Nation.

L’histoire du monde combattant, c’est tout simplement l’histoire de France. L’histoire du monde combattant a irréversiblement forgé une part de notre identité collective.

Alors que nous débattons, de nombreux militaires sont engagés sur des théâtres d’opérations extérieurs. Je salue leur bravoure, leur engagement pour préserver la paix et les populations.

J’aimerais également profiter de ce moment pour saluer la mémoire du brigadier Alexandre Martin, militaire du 54e régiment d’artillerie d’Hyères, mort il y a un mois à l’âge de 24 ans dans le cadre d’une attaque au mortier contre ce qui constituait la principale base de l’opération Barkhane, près de Gao.

Bien évidemment, nous soutenons l’initiative de Jocelyne Guidez et de plusieurs de ses collègues, qui ont déposé cette proposition de loi. En visant à renommer l’« Office national des anciens combattants et victimes de guerre » en « Office national des combattants et des victimes de guerre », ce texte crée ce trait d’union entre le passé, le présent et la transmission de la mémoire à notre jeunesse.

Anciens combattants, militaires de l’armée française, victimes civiles d’actes de guerre ou de terrorisme, associations et fondations : ces acteurs constituent le monde combattant dans sa diversité, et ont toujours été écoutés par les parlementaires.

Ici, au Sénat, nous nous accordons de manière transpartisane sur la nécessité d’une reconnaissance des droits à réparation et sur l’enjeu de la transmission de la mémoire. Je n’imagine pas une issue négative à ce texte qui correspond parfaitement à toutes les mesures mises en place sous ce quinquennat et votées par le Parlement.

Je pense notamment au plan Ambition armées-jeunesse, présenté en mars 2021 et visant à renforcer les dispositifs existants en faveur de la citoyenneté, de l’attractivité et de l’égalité des chances.

Je pense aussi au projet de loi de finances pour 2022, qui a renforcé les droits des anciens combattants par une mesure d’ampleur touchant les pensions militaires d’invalidité et la retraite du combattant, et a également amélioré l’effort de solidarité en faveur des rapatriés, parmi lesquels, à titre principal, les supplétifs, leurs conjoints survivants et leurs enfants. Ainsi, 27 millions d’euros seront consacrés à ces personnes au titre des dispositifs actuels.

Je me dois aussi de rappeler que le programme 169 de la loi de finances, « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation », a été renforcé par les actions concernant les liens armées-Nation, avec des crédits alloués à la Journée défense et citoyenneté, au service militaire volontaire ou encore aux politiques mémorielles.

Je pense aussi à la hausse de 2 points de la retraite du combattant dans la loi de finances pour 2018, à l’attribution de la carte du combattant au profit des militaires déployés en Algérie entre le 3 juillet 1962 et le 1er juillet 1964, ou bien encore à l’extension de la reconnaissance des conjoints survivants des grands invalides de guerre.

Madame la ministre, depuis votre arrivée au ministère des armées, vous avez répondu à nombre de demandes des associations jusqu’alors restées sans réponse. Ces mesures, ces dispositifs et cette proposition de loi ont une forte portée qui n’est pas que symbolique, et ils témoignent de notre attachement profond au système de reconnaissance, de réparation et d’accompagnement mis en œuvre en faveur de ceux qui ont porté et portent encore nos armes.

Nous voterons donc pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nos forces armées sont engagées dans des opérations au Sahel, dans la lutte contre le djihad, et contribuent à notre sécurité. Elles constituent la seule armée complète en Europe.

J’aimerais saluer l’engagement extraordinaire des femmes et des hommes qui composent notre armée. Ils assurent la défense du territoire national, ainsi que la protection des intérêts de notre pays, au péril de leur vie. J’ai également une pensée pour les familles qui les soutiennent dans leurs engagements, mais aussi après le retour.

La modification du nom de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre s’inscrit dans une volonté qui dépasse le changement de nomination.

Cet office centenaire a pour but principal d’accompagner les anciens combattants ainsi que leurs familles. Tout au long de son histoire, ses missions se sont transformées au fur et à mesure des évolutions du monde combattant. Nous entrons dans une nouvelle phase de transformation pour l’Office et ses missions. Les objectifs restent cependant les mêmes et correspondent aux prérogatives de ce dernier : la reconnaissance et la réparation, la solidarité et la mémoire.

Je profite du temps qui m’est accordé pour saluer l’action de l’Office et son implantation essentielle dans nos territoires. Chacun sait combien il est important d’aller au plus près de nos concitoyens.

Ce texte, bien loin d’être symbolique, propose donc le changement de nom de l’Office dans toutes les dispositions législatives qui s’y rapportent. À ce titre, les modifications effectuées par les deux chambres du Parlement permettent de couvrir les différents codes et de revenir sur des erreurs d’appellation qui subsistaient dans certaines parties de ceux-ci.

Je soutiens également l’évolution, depuis le dépôt du texte, intervenue en première lecture, ici au Sénat, laquelle consistait, à la fois, à conserver le sigle de l’Office et sa sonorité, et à répondre aux attentes du tissu associatif, très impliqué sur ce dossier.

Nous comprenons la demande d’adoption conforme de ce texte : d’abord, parce qu’il est équilibré et qu’il atteint l’objectif fixé ; ensuite, parce qu’il prévoit une entrée en vigueur des dispositions le 1er janvier prochain.

Je tiens à saluer le travail qui a été effectué tout au long de la navette parlementaire, et particulièrement ce qui a été fait au Sénat jusqu’à cette seconde lecture. La commission et notre rapporteure ont posé le cadre de débats constructifs.

La paix n’est jamais acquise. Les tensions mondiales s’exacerbent et nous pouvons compter sur la volonté et l’action de nos forces armées. C’est inestimable et nous devons, nous aussi, leur apporter notre soutien.

L’Office contribue à ce soutien. Nous devons lui donner des moyens suffisants pour remplir ses missions, et permettre un meilleur accompagnement de nos combattants, tout particulièrement pour ce qui est du retour à la vie civile. Ce point me paraît essentiel et il concourt aux évolutions multiples que nous vivons.

Le groupe Les Indépendants votera donc en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite m’associer, moi aussi, aux propos de Mme la ministre sur l’Ukraine et affirmer notre soutien au peuple ukrainien.

Hier, dans cet hémicycle, le Gouvernement a fait une déclaration, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à l’engagement de la France au Sahel. Sont intervenus, à ce titre, le Premier ministre, la ministre des armées, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, ainsi que le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Christian Cambon, et des collègues de tous les groupes de notre assemblée. À cette occasion furent évoqués, comme aujourd’hui, le respect que nous devons à nos militaires qui ont donné leur vie, notamment au cours d’opérations extérieures dans le cadre de l’engagement de la France au Sahel, et le devoir de mémoire.

Nous soutiendrons la présente proposition de loi relative au monde combattant.

En janvier dernier, madame la ministre, vous avez participé à nos débats dans cet hémicycle sur le projet de loi portant reconnaissance de la Nation et réparation des préjudices subis par les harkis, par les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles du fait des conditions de leur accueil sur le territoire français, et notamment des articles 3 et 4 relatifs à l’instruction des dossiers par l’ONACVG, lequel joue un rôle important à cet égard.

L’ONACVG est également au service de l’ensemble des associations patriotiques et de mémoire. Je veux citer ainsi l’œuvre du Bleuet de France et ses ventes caritatives annuelles des 8 mai et 11 novembre, et l’engagement auprès des jeunes, comme le Concours national de la résistance et de la déportation et les liens établis avec l’éducation nationale, autant d’acteurs pour lesquels l’Office est un interlocuteur important.

Madame la ministre, je tiens à vous remercier de nous recevoir, ma collègue Jocelyne Guidez et moi-même, une ou deux fois par an, pour travailler sur la mission « Anciens combattants, mémoire et lien avec la Nation » dans le cadre de la préparation de la loi de finances. Nous apprécions ce travail en commun, comme celui effectué avec Mme la ministre des armées.

L’ONACVG est l’un des deux principaux opérateurs de l’État pour ce qui concerne ce budget qui s’élève au total à un peu moins de 2 milliards d’euros – nous le regrettons –, l’autre opérateur étant l’Institution nationale des Invalides. Nous regrettons également la baisse des effectifs de l’ONACVG, qui sont passés de 1 636 équivalents temps plein (ETP) en 2016 à 805 actuellement.

Vous vous êtes engagée, madame la ministre, à maintenir un maillage du territoire, afin que l’Office soit représenté partout dans notre pays. On compte ainsi 104 services déconcentrés sur l’ensemble des départements de métropole et d’outre-mer, ainsi qu’en Algérie et au Maroc. Cela représente une masse financière de 123 millions d’euros consacrée à l’ONACVG. Je veux saluer, en outre, le contrat d’objectifs et de performance pour les années 2020 à 2025, ainsi que l’important volet social de l’Office.

À titre personnel, et au nom du groupe Les Républicains, je soutiendrai cette proposition de loi, en insistant sur le rôle de relais de l’ONACVG, sur le terrain, en faveur du monde combattant. Nous approuvons, par ailleurs, la nouvelle dénomination de l’Office.

Nous saluons le travail qui a été réalisé et voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne comptais pas évoquer de nouveau l’Ukraine, mais je suis obligé de le faire au vu de l’évolution de la situation. Je suis persuadé que le gouvernement français fera preuve de solidarité envers l’Ukraine – tout au moins je l’espère – et de fermeté vis-à-vis de Poutine. Je sais que nos concitoyens se sont mobilisés à Paris, à midi, et se mobiliseront de nouveau à dix-huit heures.

En tant que représentants du peuple français, notre rôle consiste également à nous mobiliser pour défendre l’Ukraine, ce qui veut dire aussi défendre l’Europe.

Nous examinons donc une seconde fois la proposition de loi relative au monde combattant. L’Assemblée nationale a jugé utile de modifier légèrement la rédaction du Sénat et en a profité pour corriger quelques incohérences entre les normes, ce qui ne change ni la nature ni l’objectif de ce texte que le groupe écologiste votera, comme en première lecture.

Depuis maintenant plus d’un siècle, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre œuvre auprès de nos combattantes, de nos combattants et de leurs familles pour leur apporter l’assistance et la reconnaissance qui leur sont dues.

Pour assurer la pérennité et la mise en œuvre de ses missions, l’ONACVG doit refléter une image fidèle de toutes celles et de tous ceux qui forment le monde combattant, afin qu’elles et ils puissent s’y reconnaître.

Or, si aujourd’hui 30 000 personnes éligibles à la carte du combattant n’en ont pas fait la demande, si les associations du monde combattant peinent à fédérer la jeune génération, un constat s’impose : l’Office national des anciens combattants renvoie à un imaginaire collectif quelque peu dépassé.

En effet, avec l’arrivée de la quatrième génération du feu, engagée dans des opérations extérieures depuis la décennie 1990, le monde combattant change progressivement de visage : il est plus jeune, plus féminisé, plus diversifié. Les membres de cette génération, moins nombreux que les anciens de la guerre d’Algérie, ont été engagés sur une plus grande variété d’opérations et ont un rapport exclusivement professionnel à leur service, très différent de celui des générations précédentes. Il est donc entièrement légitime que le nom de l’Office national chargé de leurs dossiers reflète cette évolution. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires accueille favorablement la présente proposition de loi.

Bien que ce changement de dénomination ne modifie pas les missions de l’Office, nous soutenons les initiatives visant à engager une réflexion sur le futur de la politique pour le monde combattant. L’entretien et la transmission de la mémoire des anciens combattants en sont des composantes essentielles, mais pas les seules.

Si cette évolution ne s’accompagnait pas d’une attention supplémentaire aux besoins et demandes de ses nouveaux ressortissants, cette institution perdrait de sa pertinence. Cela se concrétisera notamment par des besoins accrus dans le domaine de l’accompagnement au retour à la vie civile et à la vie professionnelle ou par la reconnaissance des militaires engagés en opération intérieures.

L’essentiel du travail reste donc à accomplir.

Enfin, nous regrettons toujours l’abandon de la formulation originelle de la proposition de loi – Office national du monde combattant –, qui permettait d’éviter le retour de la mention du genre des personnels de l’armée française dans ce nouveau nom. Si nous comprenons l’attachement au symbole qu’est le sigle ONACVG ainsi conservé, nous regrettons que ce symbole contribue à perpétuer le peu de visibilité des femmes au sein de nos armées.

Une meilleure inclusion et une meilleure représentation des jeunes combattantes par l’ONACVG et par les associations du monde combattant s’imposent pourtant, particulièrement depuis le lancement du plan Mixité par le ministère des armées en mars 2019. Notre armée est, paraît-il, la quatrième armée la plus féminisée du monde. En tant que pacifiste invétéré, je ne sais pas si je dois m’en réjouir, mais les faits sont là ! Plus de femmes, moins d’hommes : peut-être arriverons-nous un jour à l’équilibre !

Malgré cette réserve sémantique, et pour permettre une adoption conforme de ce texte avant la suspension, nous n’avons pas déposé d’amendement et nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi du groupe Union Centriste modifie l’intitulé de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, afin de tenir compte de l’évolution des conflits armés au XXIe siècle.

L’actualité ukrainienne illustre malheureusement la résurgence des menaces militaires dans le monde et sur notre continent. Notre groupe exprime, lui aussi, sa solidarité pleine et entière à l’égard du peuple ukrainien.

En France, l’extinction progressive des générations entraîne une diminution du nombre d’anciens combattants qui représentent environ un million de personnes, pour l’essentiel des anciens combattants de la guerre d’Algérie.

Le Sénat a adopté définitivement, le 9 février dernier, la loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie.

Alors qu’auront lieu le 19 mars prochain les commémorations du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, il est indispensable, dans un mouvement d’apaisement, de continuer le travail de mémoire des historiens et des chercheurs sur la colonisation et la guerre d’Algérie.

Cette proposition de loi reprend une demande des associations tendant à moderniser l’image de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour attirer les jeunes militaires qui ne se reconnaissent pas dans la notion actuelle d’« ancien combattant ».

En renommant l’« Office national des anciens combattants et victimes de guerre » en « Office national des combattants et des victimes de guerre », ce texte cherche à sortir l’Office de l’image négative de la notion d’ancien combattant.

Cette modification est symbolique – beaucoup l’ont rappelé ici –, mais nécessaire, car le monde combattant n’englobe pas seulement les militaires qui ont servi la France lors des deux premiers conflits mondiaux, mais aussi de nombreux citoyens engagés sur des théâtres d’opérations extérieurs. Je pense notamment au Tchad, à la Côte d’Ivoire, au Liban, à l’Afghanistan, sans oublier nos forces mobilisées dans le cadre de l’opération Barkhane au Sahel et au Sahara.

La reconnaissance des militaires dépasse le cadre sémantique ; elle prend aussi la forme d’une amélioration de la situation sociale et financière des personnes concernées et de leurs familles.

Alors que la réduction du nombre de bénéficiaires de la carte d’ancien combattant sert de justification, depuis des années, à la réduction des moyens de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour accomplir ses missions, il est impératif de réfléchir à l’amélioration de la prise en charge des combattants blessés, notamment les victimes de psychotraumatismes.

Enfin, je voudrais rappeler le rôle indispensable des associations dans l’accompagnement social, financier et culturel des anciens combattants. Je pense en particulier à l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), créée en 1917 par Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier, qui traverse actuellement des difficultés pour financer son journal Le réveil des combattants. Le Gouvernement doit soutenir l’ARAC, comme toutes les associations, pour qu’elle poursuive son engagement centenaire en faveur de la lutte contre le fascisme, pour l’amitié et la paix entre les peuples, contre les inégalités et pour la défense de tous les droits sociaux.

Les associations d’anciens combattants ne se contentent pas d’assurer la présence de porte-drapeaux au moment des cérémonies ; elles représentent surtout un engagement en faveur de la paix, de l’histoire, de la mémoire et de la citoyenneté. Nous profitons de cette occasion pour leur rendre hommage.

Pour toutes ces raisons, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Brigitte Devésa. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chère Jocelyne Guidez, qu’il me soit permis, en ce jour où l’Ukraine a été réveillée par le bruit sourd de la guerre, de rappeler que la guerre est là, en Europe. Alors que j’ai une pensée pour nos combattants, nos héros et les victimes de guerre, je souhaite adresser le salut de la patrie au peuple ukrainien.

Mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi que notre rapporteure a déposée et qui vise à modifier l’intitulé de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, pour qu’il devienne l’Office national des combattants et des victimes de guerre.

Cette proposition a fait l’objet d’un consensus dès sa genèse : elle a été cosignée par de nombreux sénateurs au-delà de notre groupe centriste, après avoir été construite avec les associations du monde combattant et en lien avec le ministère. Je m’en réjouis.

La modification de l’intitulé n’est pas qu’un symbole. L’auteure a proposé une modification qui tend, à la fois, à ne pas altérer la valeur de l’acronyme pour les anciens combattants et à permettre aux jeunes combattants de se reconnaître dans cet Office national. Je le rappelle, celui-ci délivre la carte du combattant à ceux qui ont servi au moins quatre mois, soit la durée d’une campagne d’OPEX, et leur propose un guichet d’accompagnement dès leur première mission.

L’Office a bien pour objectif de s’occuper de tous ceux qui ont servi la France, qui ont choisi le métier des armes, ou encore les appelés qui ont servi sous les drapeaux. Nous parlons des anciens combattants tels que l’inconscient collectif les imagine : je songe à ceux de la Grande Guerre, qui a fait 1,5 million de morts ou de disparus, à ceux de 39-45 ou encore à ceux des conflits plus récents d’Indochine et d’Afrique du Nord.

Mais nous parlons aussi des anciens combattants des OPEX actuelles, ceux que l’on appelle la quatrième génération du feu. Je veux leur apporter tout mon soutien.

Aujourd’hui, les anciens combattants d’Algérie, dont les plus jeunes approchent des 80 ans, sont près d’un million à être titulaires d’une carte du combattant selon les données des questionnaires budgétaires.

Les guerres d’aujourd’hui ont changé de visage. Nos soldats se battent désormais sur les théâtres extérieurs, en OPEX. Nous débattions justement hier de l’implication de la France au Sahel. Comme l’exprime le Président de la République, ils sont « à la fois nos sentinelles et notre bouclier ».

Les missions de l’ONACVG ne sont en rien modifiées par cette proposition de loi : reconnaissance et réparation, solidarité et mémoire. L’Office assure la reconnaissance de la Nation par l’octroi du titre de combattant et de la carte du combattant, qui compte actuellement un million de titulaires, un chiffre qui va malheureusement en décroissant. De plus, on estime à 30 000 le nombre de combattants qui n’ont pas demandé cette carte à laquelle ils ont pourtant droit.

Cela a été dit, l’ONACVG assure l’accompagnement de ses ressortissants : vétérans des conflits et victimes civiles d’actes de guerre ou de terrorisme, mais également leurs descendants - pupilles de la Nation – et ascendants.

Il assure, en complémentarité avec le ministère des armées, le retour à la vie civile et l’insertion professionnelle des combattants – des missions amenées à prendre une place croissante dans l’action de l’Office.

Enfin, cette appellation combattante, active, permettra – je l’espère – de sensibiliser les jeunes soldats au devoir de mémoire envers les générations qui les ont précédés, mais aussi à la transmission de leur propre engagement auprès des jeunes générations et des associations et fondations pour entretenir et faire vivre ensemble cette mémoire dans les territoires.

La mémoire des actions menées par nos militaires, leur engagement pour la France, parfois au péril de leur vie, constituent sans nul doute une composante importante de notre sentiment partagé d’appartenance à un grand État démocratique, en somme à l’idée que l’on se fait de la France.

Cette proposition de loi sur la modification de l’intitulé de l’ONACVG est plus que symbolique, mais je crois à la force du symbole, car cette prise de position volontaire et engagée amorce une évolution nécessaire de la politique en faveur du monde combattant et, surtout, comme le souligne notre rapporteure, « impulse une évolution dans le regard que la société porte sur les vétérans des conflits ».

Madame la ministre, nous n’ignorons pas que le Gouvernement souhaitait déposer lors de cette navette un amendement malheureusement irrecevable : il devait modifier les conditions de nomination du président du conseil d’administration du futur Office national des combattants et des victimes de guerre, qui est un établissement public à caractère administratif sous tutelle du ministre de la défense.

Actuellement, la gouvernance de l’Office est assurée par « le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre ». Cette situation porte atteinte au principe d’autonomie de l’établissement public en plaçant l’autorité de tutelle à la tête de l’organe détenant le pouvoir de décision le plus général en son sein. Il faudra, à la faveur d’un autre texte, tirer les conséquences des remarques de la haute juridiction administrative pour que le président du conseil d’administration soit nommé par décret en conseil des ministres, à l’instar du directeur général. Soyez assurée de trouver le soutien du groupe de l’Union centriste lorsqu’une telle modification sera présentée.

Enfin, je salue le travail de coordination mené par nos collègues députés qui nous adressent un texte amélioré.

Ainsi, notre groupe votera conforme cette proposition de loi qui, au-delà de l’intitulé, contribuera à renforcer la reconnaissance et le respect envers nos combattants, qui défendent, au prix de leur vie, nos valeurs et notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SER, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ceux de 14, ceux de 39-45, ceux d’Indochine, ceux d’Algérie et d’Afrique du Nord, et ceux d’aujourd’hui, nos soldats en opérations extérieures : tout ce monde combattant, qui conjugue à la fois le passé et le présent, fait la fierté de notre pays.

Je n’oublie pas le rôle particulier des forces supplétives en Algérie dont nous avons récemment discuté dans le cadre du projet portant reconnaissance de la Nation et réparation des préjudices subis par les harkis.

Tous les sacrifices que ces catégories ont consentis pour la France justifient à la fois les hommages et les attentions. Depuis longtemps, l’État a mis en place une politique ambitieuse à l’égard du monde combattant déclinée par un volet mémoriel, d’une part, et un volet réparation, d’autre part. Régulièrement, au Sénat, nous tenons à l’enrichir, parce que, en tant qu’élus des territoires, nous recevons bien souvent le témoignage des combattants.

Ce texte, qui vise à renommer l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, recueillera l’approbation du RDSE, car il répond à une attente, même si, fort logiquement, les combattants d’aujourd’hui seront les anciens de demain. Il traduit néanmoins une évolution, avec la disparition de ceux qui se sont engagés dans les grandes guerres ou les guerres d’indépendance.

Ce qu’on appelle l’attrition naturelle ne doit en aucun cas conduire à l’oubli. Chaque année, le débat budgétaire nous invite à discuter des moyens de la politique de mémoire – M. Laménie le sait bien, puisqu’il en est le rapporteur spécial. Il est essentiel de les conserver afin de tenir éclairée la conscience de nos jeunes citoyens et de pousser certains d’entre eux à une forme d’engagement.

Aujourd’hui, les anciens combattants ancrés dans notre imaginaire laissent la place aux soldats des opérations extérieures. Plus de 27 000 cartes ont été attribuées aux militaires ayant exercé leurs missions en Afghanistan. J’en profite pour saluer celles accomplies par les hommes et les femmes de l’opération Barkhane au Mali. Bien que la situation au Sahel soit encore très difficile, ils ont remporté des succès opérationnels qui méritent d’être soulignés, ne serait-ce que par respect pour les 53 morts pour la France et tous les blessés qu’il ne faut pas oublier.

Au sein de ce nouveau monde, on le sait, il y a plus de femmes, plus d’actifs et moins d’invalides de guerre. Ce changement induit des besoins nouveaux, notamment en matière d’action sociale.

Je ne doute pas que l’Office national des combattants et des victimes de guerre saura y répondre, tant que l’on préserve ses moyens et son maillage territorial. Madame la ministre, en tant que membre de la commission des finances, je suis heureux de voir que le contrat d’objectifs et de performance pour les années 2020 à 2025 de l’Office va dans ce sens.

Mes chers collègues, de la première à la quatrième génération du feu, si le monde a changé, celui des combattants demeure, et la guerre n’est jamais loin, comme on le voit aujourd’hui en Ukraine, pays que nous soutenons bien entendu. Depuis toujours, ce monde représente un havre de fraternité, de mémoire et de solidarité, des valeurs qui nous sont chères et qui, au-delà d’un changement de nom, symbolisent la France, la patrie et la République. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Raimond-Pavero. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi va bien au-delà de la seule dénomination de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, qu’il conviendra d’appeler, en 2023, « Office national des combattants et des victimes de guerre ». Elle nous permet d’avoir une réflexion plus globale sur le monde combattant. Avant de poursuivre mon propos, je tiens à saluer la mémoire de toutes ces femmes et de tous ces hommes, anciens combattants, qui ont sacrifié leur vie pour la France.

Mes pensées vont également à tous nos soldats et à leurs familles, qu’ils soient en opérations extérieures ou sur le territoire national. Tous participent à notre sécurité, à la défense des valeurs de notre pays ainsi qu’à la paix en ces temps de graves troubles géopolitiques et de fortes tensions aux portes de l’Europe – et je tiens à m’associer à l’esprit de solidarité exprimé envers le peuple ukrainien – ; il importe de le mentionner.

De la même façon, je tiens à rendre hommage à l’œuvre des associations d’anciens combattants. Par leur action et leur mobilisation, ces associations ont construit, au fur et à mesure des décennies, un socle mémoriel pour notre pays et pour tous nos concitoyens, en particulier les jeunes. Honorer, préserver la mémoire, apaiser, unir, rappeler nos valeurs, transmettre les enseignements du passé, tels sont le rôle et les missions de ces associations. Qu’elles en soient sincèrement remerciées !

J’en viens maintenant à l’objet de la proposition de loi de notre collègue Jocelyne Guidez.

Substituer les mots « anciens combattants » au profit de celui de « combattants » témoigne de l’évolution de l’état du monde et de notre société. Cela nous rappelle également combien la paix est précieuse et qu’elle n’est pas acquise. N’oublions jamais que l’Union européenne, c’est l’Europe de la paix.

Comme cela a été précisé en commission des affaires sociales, ce texte doit permettre une meilleure reconnaissance des anciens combattants d’hier et de ceux d’aujourd’hui, et être l’occasion de rapprocher ces différentes générations qui ont en commun la fraternité d’armes et la défense du pays.

Madame la ministre, un travail de rapprochement doit être mené entre les différentes institutions et les associations. Dans cette perspective, le rôle de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre est essentiel à différents niveaux. Cet organisme a évolué au fil des époques et des différentes générations du feu.

En 1935, la fusion de l’Office national des mutilés et réformés, de l’Office national des pupilles de la Nation et de l’Office du combattant a donné naissance à l’Office national des mutilés, combattants, victimes de la guerre et pupilles de la Nation.

C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que cet organisme a pris son appellation actuelle. À ce jour, l’ONACVG intervient auprès des combattants et de tous ceux affectés par la guerre.

Une politique de modernisation de l’ONACVG a été engagée il y a plusieurs années, elle se poursuit actuellement. Elle doit se faire également au bénéfice des veuves de guerre, des blessés de guerre et des pupilles de la Nation. Pour ce faire, l’ONACVG aura besoin d’un budget à la hauteur de ses missions et auquel nous continuerons d’être attentifs.

Cette proposition de loi est une initiative bienvenue pour une meilleure reconnaissance de nos combattants d’hier et d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains votera en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative au monde combattant

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au monde combattant
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

(Non modifié)

I A. – Dans l’ensemble des dispositions législatives, les mots : « Office national des anciens combattants et victimes de guerre » sont remplacés par les mots : « Office national des combattants et des victimes de guerre ».

I. – (Non modifié)

bis. – Au troisième alinéa de l’article L. 1113-1 du code de la santé publique, les mots : « Office national des anciens combattants » sont remplacés par les mots : « Office national des combattants et des victimes de guerre ».

II. – (Non modifié)

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi relative au monde combattant
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative au monde combattant.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-sept, est reprise à seize heures trente-neuf.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au monde combattant
 

8

 
Dossier législatif : proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public
Discussion générale (suite)

Certification de cybersécurité des plateformes numériques

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public (proposition n° 226, texte de la commission n° 504, rapport n° 503).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être une nouvelle fois devant vous pour la deuxième lecture de cette proposition de loi portant sur la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes destinée au grand public.

Cette proposition de loi, déposée par le sénateur Lafon, que je salue, le 15 juillet 2020, a fait l’objet d’une première lecture par les deux chambres, qui l’ont amendé et enrichi afin de répondre aux défis qui justifient son existence. La situation actuelle nous le rappelle plus que jamais : nous le savons, la menace cyber est devenue de plus en plus prégnante.

À l’instar des évolutions numériques, dont nous devons nous réjouir, la cybercriminalité connaît malheureusement un essor sans précédent, les attaquants redoublant d’originalité pour détecter et exploiter nos vulnérabilités à des fins malveillantes. La menace cyber s’accroît, s’accentue et nous concerne tous, qu’il s’agisse des entreprises, des collectivités locales, des organismes publics comme des établissements de santé ou tout simplement des citoyens. Nous en avons eu de nombreux exemples ces derniers mois et années.

La dangerosité des risques se mesure à la sophistication que les cyberattaques peuvent revêtir. Je peux ici citer l’hameçonnage, le ransomware, les logiciels espions, les virus, les faux supports techniques, etc. Les attaques cyber prennent des formes diverses et se démarquent par une capacité de renouvellement infinie. Nous avons par exemple vu exploser ces derniers mois le nombre des tentatives d’arnaque au compte formation.

Cela dit, force est de constater que les choses évoluent et que ces risques sont mieux connus et mieux appréhendés. Depuis quelques années, un véritable chantier de pédagogie et d’information a été lancé, permettant à tous de prendre mieux conscience des méthodes utilisées par les cyberattaquants. Nous avons acquis avec le temps des réflexes d’hygiène numérique multiples, comme ne plus cliquer sur un lien envoyé par un expéditeur inconnu, ou encore faire des archives régulières de nos documents les plus importants.

J’en profite pour saluer ici les équipes de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) qui luttent quotidiennement contre ces menaces et qui font un travail de grande qualité. Je remercie également les équipes du dispositif national cybermalveillance.gouv.fr, qui ont accompagné ces dernières années des milliers de victimes – particuliers ou entreprises, quelle que soit la taille de celles-ci – dans leur gestion de cyberattaques.

La lutte contre les risques cyber appelle deux réponses : d’abord, une réponse systémique qui, comme pour le règlement général sur la protection des données (RGPD), doit être portée au niveau européen ; ensuite, et en parallèle, une réponse d’incitation au changement des usages et des comportements.

Je le disais, apporter une réponse systémique, c’est le sens des travaux qui sont en cours au niveau européen. Ces travaux visent à faire émerger des lignes fortes, solides et transnationales de nature à assurer au mieux notre souveraineté numérique.

Comme pour le RGPD, l’Europe, en tout cas sa partie démocratique, doit se montrer à la hauteur des enjeux et définir ses propres standards.

C’est pourquoi, face à ce panorama d’une menace cyber en pleine expansion, une adaptation de l’encadrement européen est apparue plus que nécessaire. Les institutions européennes sont donc en train de parachever la révision de la directive NIS (Network and Information System Security), qui définit le niveau de sécurité des réseaux et des systèmes d’information au niveau européen. Nous soutenons l’approche ambitieuse de cette révision, puisque nous sommes convaincus que ces nouveaux standards de sécurité ne seront efficaces que s’ils s’appliquent à une échelle européenne.

La deuxième réponse que nous devons apporter aux risques de sécurité – peut-être la plus importante, parce qu’elle est la plus « granulaire » et la plus systémique – est l’acculturation des utilisateurs, car l’information et la transparence sont des leviers décisifs du changement.

Nous avons des exemples, désormais bien connus, de l’impact que la transparence et l’information peuvent avoir sur les comportements et sur les acteurs économiques. Le plus emblématique d’entre eux est peut-être celui de l’alimentation, auquel cette proposition de loi fait ouvertement référence. Nous devons apprendre de cet exemple, nous en inspirer, car, si aujourd’hui la plupart des informations sont accessibles sur internet, elles restent encore trop souvent noyées dans une masse d’informations. À l’inverse, le Nutri-score a permis d’apporter une information d’une très grande lisibilité.

J’en veux pour preuve le fait que, alors que, pour un consommateur avisé, les conditions générales d’utilisation (CGU) contiennent déjà une grande partie des informations recherchées, ces dernières restent pourtant inexploitables en pratique, car elles sont noyées et expliquées dans des termes techniques, voire ésotériques, qui les rendent inutilisables. Nous devons remédier à cela pour que les industriels progressent vers les pratiques les mieux-disantes, comme cela a été le cas pour l’alimentation.

La cybersécurité continue de pâtir d’une réputation de science froide, réservée à des utilisateurs avertis. Nous devons absolument lui retirer cette réputation et rendre accessible ce sujet crucial.

C’est dans cette optique que vous proposez aujourd’hui l’établissement d’une symbolique visant à rendre clairement compréhensibles, pour les consommateurs, les enjeux découlant de la cybersécurité.

Pour toutes ces raisons, je réitère évidemment le soutien du Gouvernement à la proposition de loi examinée aujourd’hui.

Depuis son dépôt, le texte a quelque peu évolué. Des aménagements ont été apportés dans un esprit constructif sur ce sujet à la fois important et transpartisan. La direction prise aujourd’hui est bonne. Les différentes lectures ont notamment permis de préciser les services numériques concernés et certaines des conditions dans lesquelles l’audit doit être réalisé et rendu public. Ces évolutions sont salutaires.

Le législateur renvoie à l’exécutif le soin de préciser certains éléments plus subsidiaires. Nous nous y emploierons dans la continuité de l’état d’esprit constructif ayant présidé aux différentes lectures de cette proposition de loi – j’en remercie d’ailleurs les deux assemblées.

La direction prise promeut une plus grande information du consommateur et une plus grande transparence de cette information. Sont ainsi posées les bases d’un cercle vertueux ayant fait ses preuves, ce qui sera très utile pour avancer vers une plus grande cybersécurisation des opérateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Laurent Lafon et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi de notre collègue Laurent Lafon pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public.

La commission a adopté à l’unanimité cette proposition de loi qui, comme M. le secrétaire d’État l’a rappelé, vise à créer un Cyber-score permettant au consommateur d’être mieux informé sur la protection de ses données en ligne.

Cette initiative complète utilement les récents travaux du Sénat, en créant un dispositif qui se veut simple, lisible, et facilement compréhensible, pour informer les consommateurs du niveau de cybersécurité des principales solutions numériques qu’ils utilisent.

Le sujet est d’actualité : nous sommes de plus en plus confrontés aux enjeux de cybersécurité et mobilisés face à eux. Récemment, un rapport de nos collègues Sébastien Meurant et Rémi Cardon rédigé pour la délégation sénatoriale aux entreprises a souligné que, en 2020, près de 43 % des PME françaises ont constaté un incident de cybersécurité, que 16 % des attaques ont menacé la viabilité d’une entreprise, et que les attaques par rançongiciel ont été multipliées par quatre en l’espace d’une seule année.

En ce début de 2022, Serge Babary et Françoise Gatel ont également remis un rapport sur la cybersécurité au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et de la délégation aux entreprises, dans lequel il apparaît que 30 % des collectivités territoriales françaises ont été victimes en 2020 d’une attaque par rançongiciel, et que seulement 30 % d’entre elles ont par la suite mis en place un programme de prévention en cybersécurité.

Si des efforts sont faits pour mieux informer les entreprises et les collectivités territoriales, nous constatons qu’aucune disposition législative n’oblige à informer les consommateurs sur les risques et le niveau de sécurisation des services numériques utilisés.

Plusieurs législations nationales et européennes concernent la protection des données, mais les textes en vigueur sont finalement peu orientés vers l’information du consommateur. C’est donc ce manque que cette proposition de loi de notre collègue se propose de combler.

Dans un quotidien de plus en plus virtuel, nous communiquons tous à l’aide de systèmes de messagerie instantanée, nous travaillons par l’intermédiaire de logiciels de visioconférence, nous nous informons en ligne en consultant les résultats de moteurs de recherche. Nous sollicitons aussi ces services pour nos usages privés : nous écoutons de la musique en ligne, nous nous divertissons sur les réseaux sociaux.

Ces usages accrus du numérique ne vont malheureusement pas toujours de pair avec les pratiques et les précautions nécessaires. Les fuites de données, les piratages de comptes, les escroqueries en ligne, les attaques malveillantes et les failles dans la cybersécurité des entreprises, des hôpitaux, des collectivités ou des administrations sont de plus en plus fréquents.

Si tous ces incidents nous sensibilisent chaque jour davantage aux enjeux liés à la protection de nos données, nos habitudes n’évoluent pas de pair.

Je vous présenterai quelques éléments du dispositif que nous examinons aujourd’hui.

L’article 1er concerne le périmètre d’application de ce dispositif. L’objectif initial était d’y inclure les plateformes numériques les plus utilisées, ainsi que les logiciels de visioconférence, compte tenu de la généralisation de leur usage au cours de ces derniers mois.

Après plusieurs modifications et de nombreuses hésitations du Gouvernement, la notion d’« opérateurs de plateformes en ligne » a finalement été retenue par l’Assemblée nationale. Le périmètre a été complété pour intégrer les systèmes de messagerie instantanée et de visioconférence, conformément aux souhaits de notre assemblée.

Un deuxième enjeu concerne la nature et la dénomination du dispositif. Au Sénat, nous avions souhaité que ce dernier ne soit ni trop contraignant ni trop coûteux, pour éviter que les TPE, les PME et les start-up innovantes en matière de services en ligne ne soient pénalisées.

Un équilibre a été trouvé pour que le dispositif du Cyber-score prenne la forme d’un audit de cybersécurité réalisé par des prestataires agréés par l’Anssi. La notion d’« audit » reste proche de ce que nous entendions par « diagnostic ». La rédaction proposée par l’Assemblée nationale nous semble donc satisfaisante.

Un troisième point concerne le contenu de cet audit de cybersécurité, qui doit être défini par un arrêté ministériel. Sous l’impulsion du rapporteur de l’Assemblée nationale, et contre l’avis du Gouvernement, un amendement a été adopté afin de préciser que cet audit doit porter tant sur la sécurisation que sur la localisation des données.

Une telle précision est importante, puisque la localisation permet notamment de déterminer le régime juridique applicable à la protection des données. Une localisation au sein de l’Union européenne implique la garantie de pouvoir bénéficier des protections permises par le droit de l’Union européenne et par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Il ne s’agit donc pas seulement d’un enjeu de sécurité, mais aussi d’un enjeu de souveraineté numérique européenne.

Toutefois, la localisation ne peut pas être le seul critère utilisé. Il convient, comme vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État, d’apprécier aussi les standards de sécurité de l’hébergement des données. Certaines données sont en effet hébergées de façon sécurisée en dehors de l’Union européenne, alors que l’on peut s’interroger en matière de confidentialité et de protection des données dans le cas de certains pays membres.

Il nous semble donc essentiel que la Commission européenne prenne des décisions d’adéquation ou accepte des clauses contractuelles pour encadrer les transferts de données et attester que le niveau de protection est bien conforme ou équivalent à celui permis par le droit de l’Union, que l’hébergeur soit d’ailleurs européen ou non. Ces derniers mois, le Privacy Shield, décision d’adéquation vis-à-vis des États-Unis, a par exemple été invalidé par l’arrêt Schrems II rendu par la Cour de justice de l’Union européenne.

Ce point est crucial. Je rappelle que des données peuvent être stockées sur des serveurs et dans des centres de données localisées dans l’Union européenne, mais hébergées par des logiciels de cloud américains. C’est toute la limite de la stratégie actuelle du label « cloud de confiance » accordé à des entreprises qui utilisent également des licences de logiciels américains.

Nous devons donc être vigilants et suivre avec attention l’élaboration de l’arrêté ministériel qui définira le contenu du futur audit de cybersécurité, afin de nous assurer que la localisation ne sera pas le seul gage de confidentialité – monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur ce point.

Un autre élément concerne les modalités d’information et de présentation du dispositif aux consommateurs. Au Sénat, nous avions souhaité une présentation lisible, claire et compréhensible à l’aide d’un système d’information coloriel. Ces dispositions ont été maintenues sans modification à l’Assemblée nationale.

Nous avions également supprimé l’article 2, qui modifiait les règles applicables à la commande publique pour que les impératifs de cybersécurité soient pris en compte. Cette suppression a été maintenue à l’Assemblée nationale, ce qui permet en définitive de vraiment recentrer le texte sur l’information des consommateurs.

Un troisième article a été ajouté à l’Assemblée nationale, afin de fixer l’entrée en vigueur de la loi au 1er octobre 2023. Si cette date peut sembler lointaine, il est vrai que la mise en place des audits de cybersécurité est inédite et très technique. L’introduction de ce délai nous semble donc justifiée.

Les mesures réglementaires d’application sont effectivement nombreuses. Le Gouvernement a indiqué que des consultations seront menées pour préparer cette élaboration. Monsieur le secrétaire d’État, nous réitérons notre demande que les parlementaires, et notamment les sénateurs qui ont travaillé sur cette proposition de loi, soient associés à l’ensemble de ces consultations.

Dernier point, à l’issue de la première lecture, la proposition de loi avait été notifiée à la Commission européenne conformément aux exigences de la directive de 2015 relative aux services de la société de l’information.

Dans l’éventualité où des observations seraient formulées, le Gouvernement devant les transmettre au Parlement, les consultations liées à l’élaboration des mesures réglementaires d’application pourront donc permettre de prendre en compte les remarques de la Commission européenne et des autres États membres – nous y veillerons.

Au-delà de ces points de vigilance et de ces précautions nécessaires, nous pensons à la bonne application de cette proposition de loi. Les modifications votées par l’Assemblée nationale nous semblent aller dans le bon sens et permettre d’atteindre les objectifs initiaux de notre collègue Laurent Lafon. La commission des affaires économiques a donc émis un avis favorable sur cette proposition de loi, et propose un vote conforme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi quau banc des commissions. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce début d’année 2022 constitue une nouvelle étape dans l’utilisation d’internet.

Depuis sa création, internet s’est révélé être un outil inouï tant pour l’innovation et la créativité que pour la saisie possibilités de progrès économiques. Indispensable, il participe à l’amélioration de notre qualité de vie, si bien que l’ONU veut garantir le droit à son accès.

Toutefois, aussi indispensable que puisse être internet, il représente également une menace. Souvenons-nous de la panne généralisée ayant affecté le 4 octobre dernier les géants du numérique Facebook, Instagram et WhatsApp. Près de 3,5 milliards d’utilisateurs n’avaient pu accéder à ces réseaux, ce qui avait engendré la perte d’un demi-million de dollars par heure.

De plus, les risques cyber se multiplient nettement. L’Anssi a vu le nombre de cyberattaques traitées passer de 54 en 2019 à 192 en 2020. L’utilisation de rançongiciels augmente. Ces derniers menacent de plus en plus nos entreprises et nos services publics, et il demeure difficile d’identifier les auteurs de ces attaques. En 2021, la liste des établissements de santé visés par les cybercriminels n’a cessé de s’allonger.

Face à cette nouvelle forme d’insécurité, il est important que les pouvoirs publics agissent davantage. Le Gouvernement s’est fixé des objectifs ambitieux afin de protéger la sécurité informatique des Français, et nous devons soutenir cet élan.

Afin de faire face à cette menace, un milliard d’euros seront mobilisés d’ici 2025, dont 720 millions d’euros de financements publics. Ces moyens permettront notamment de faire émerger trois « licornes » françaises en matière de cybersécurité, de diffuser une véritable culture de la cybersécurité dans les entreprises, de stimuler la recherche française et l’innovation industrielle dans ce domaine avec une hausse de 20 % du nombre de demandes de brevets déposées.

Dans ce cadre tracé par le Président de la République, le campus Cyber inauguré le 15 février dernier rassemble des représentants d’entreprises de cybersécurité de toutes tailles et des acteurs publics, afin de créer un environnement favorable à l’innovation technologique et au rayonnement de la filière cyber française.

À terme, entre 1 600 et 1 700 personnes travailleront sur ce campus, dont 30 % représenteront les grandes entreprises et 25 % les services de l’État, l’Anssi, la gendarmerie, la police ou les services de renseignements militaires du Comcyber (commandement de la cyberdéfense).

Par ailleurs, la cybersécurité constitue un temps fort de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Le premier enjeu concerne la révision de la directive NIS, afin d’aboutir à une Europe forte qui s’appuie sur les capacités nationales des États membres en matière de cybersécurité.

Madame la rapporteure, vous l’avez rappelé : le périmètre d’application de cette proposition de loi concerne les opérateurs de plateforme ainsi que les logiciels de messagerie instantanée et de visioconférence.

De plus, le dispositif intitulé « audit de cybersécurité » réalisé par les prestataires agréés par l’Anssi portera sur la sécurisation et la localisation des données.

Enfin, cette proposition de loi est plus que jamais une réponse défensive face aux menaces cyber, car, au même titre que le Nutri-score, le Cyber-score permettra au grand public de savoir, en toute transparence, comment sont protégées les données personnelles.

Cette proposition de loi créant le Cyber-score vise à compléter le code de la consommation, et diffère ainsi totalement du règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur en Europe.

Afin de ne pas retarder l’application de la loi, comme Mme la rapporteure, nous sommes favorables à son vote. Nous soutiendrons pleinement cette proposition de loi modifiée par nos collègues députés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une part de plus en plus importante de notre vie se déroule en ligne. Cette tendance s’est amorcée bien avant la pandémie, mais cette dernière n’a fait que la renforcer.

De plus en plus de services sont dématérialisés : la banque, mais aussi la culture, ou même des consultations médicales. Nous pouvons prendre l’initiative de faire nos courses, d’acheter un billet de train ou de changer de fournisseur d’énergie en ligne, mais nous sommes malheureusement contraints d’évoluer dans un monde de plus en en plus dématérialisé, où finalement le contact humain disparaît.

Au-delà de la consommation, nos espaces sociaux ont eux aussi migré vers le cyberespace. Nous utilisons internet pour nos communications tant orales qu’écrites. Internet est devenu incontournable dans un cadre professionnel. Les entreprises qui peuvent aujourd’hui se passer de lui sont très rares, et les métiers qui n’ont pas besoin de cet outil se comptent sur les doigts de la main.

Cette évolution présente donc de nombreux avantages, comme la rapidité, la facilité ou l’accessibilité, mais elle n’est cependant pas sans risques. Nous avons vu ces dernières années les attaques par rançongiciel se multiplier et paralyser tant des entreprises ou des hôpitaux que de nombreux particuliers.

Ces attaques récurrentes contre nos entreprises de défense ou nos sociétés commerciales se sont multipliées. Le dernier exemple remonte à quelques jours : des milliers d’informations personnelles des employés de Transavia, la filiale d’Air France, ont été piratées.

Ces attaques nous rappellent à quel point nous avons besoin de protéger nos données. Le RGPD assure un haut niveau de protection des données personnelles des Européens à travers le monde. Cette protection juridique constitue un avantage majeur pour nous tous. Cependant, elle ne garantit pas une protection technique.

Le texte examiné aujourd’hui en deuxième lecture propose une solution. Les sites internet les plus visités devront rendre publics les résultats d’un audit de sécurité, qui portera tant sur la sécurité de données confiées à la plateforme que sur la sécurité de la plateforme elle-même.

Il s’agit donc d’évaluer le niveau technique de cybersécurité de ces sites. Ce dispositif nous semble particulièrement pertinent pour deux raisons.

D’abord, l’approche technique nous semble indispensable aux côtés de la protection juridique.

Ensuite, la publication des audits permet aux utilisateurs de bénéficier d’une meilleure information, afin qu’ils fassent des choix beaucoup plus éclairés, et qu’ils deviennent ainsi des acteurs de leur sécurité en ligne.

Nous voulons dire à cet égard que l’Anssi ne remplit pas seulement un rôle d’expertise. Cette agence tient à développer les connaissances de nos concitoyens en matière de sécurité en ligne, car il s’agit d’une étape cruciale. Comme le remarquent de nombreux informaticiens, la faille de sécurité se situe souvent entre la chaise et le clavier. En devenant plus conscients des enjeux et des mécanismes du cyberespace, nous espérons que nos concitoyens deviendront plus exigeants.

Ce texte constitue donc un réel progrès. Il nous rappelle également que nous devons bâtir la souveraineté de notre pays, y compris dans le domaine numérique. Nos données seront d’autant mieux protégées qu’elles seront hébergées sur notre sol, selon nos règles et sous la compétence de nos tribunaux.

Le développement d’internet a affirmé la suprématie américaine dans ce domaine. Les dernières années nous ont démontré l’importance ultime de préserver notre indépendance et notre souveraineté numérique. Nous devons favoriser le développement de compétiteurs français. C’est à travers la concurrence que nous perfectionnerons les services et qu’une meilleure offre sera proposée aux utilisateurs.

Ce texte donnera davantage de choix à nos compatriotes et renforcera finalement leur sécurité. C’est pourquoi notre groupe votera en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Laurent Lafon applaudit également.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture vise à mettre en place un certificat de cybersécurité pour les plateformes grand public. Elle traite un sujet capital, eu égard à l’importance toujours plus grande du numérique dans notre société et à la massification de son utilisation.

Si le RGPD représente indéniablement une immense avancée en matière de protection des données, en ce qu’il limite leur utilisation par les entreprises ou l’administration et permet aux utilisateurs d’être mieux informés de leurs droits relatifs à ce qui est fait de ces données, encore faut-il que ces dernières soient correctement protégées face à des actes malveillants.

Chacun d’entre nous a récemment entendu parler d’attaques informatiques contre des administrations ou des entreprises. Pas plus tard que le mois dernier, l’une des plus grandes villes de mon département a subi une attaque, et ses services informatiques ont été paralysés pendant plusieurs semaines. Outre les collectivités locales, le secteur de la santé et les entreprises sont aussi particulièrement visés par de tels types d’attaques.

De nombreuses personnes sont conscientes de cette menace grandissante, et l’on s’attendrait à ce que tant les entités exposées à ce risque que les utilisateurs cherchent des solutions pour mieux protéger leurs données.

Cependant, une réelle prise de conscience ne semble pas avoir lieu, malgré le fait que tout le monde s’accorde pour considérer que les données sont précieuses et doivent être protégées.

Ainsi, si certaines entreprises, institutions et personnes sont bien évidemment vertueuses à ce sujet, nombre d’entre elles ont recours à des plateformes non sécurisées, qui ne garantissent ni une protection suffisante des données ni la confidentialité de ces dernières, ce qui les expose à de nombreux risques.

Cette prise de risque a pour principale cause le manque d’informations quant au niveau de cybersécurité et de protection des données des plateformes.

Par ailleurs, alors que certaines entreprises sont soumises à des obligations en matière de sécurité des données, il n’existe pas d’obligation de certification de sécurité pour les entreprises. L’utilisateur n’a donc pas les moyens de vérifier que ces obligations sont respectées.

Face à ce constat, il est indispensable que le législateur intervienne pour combler ces lacunes. Je remercie donc notre collègue Laurent Lafon de son initiative. Sa proposition de loi fixait deux objectifs : améliorer l’information des utilisateurs de plateformes en matière de cybersécurité et sécuriser les données des acteurs publics, en faisant de la cybersécurité un critère supplémentaire lors des procédures d’appels d’offres pour les marchés publics.

Le premier objectif se traduira par la mise en place d’un Cyber-score pour les plus grands acteurs du numérique, dans le but de mieux informer les consommateurs du niveau de sécurité des plateformes utilisées.

Je peux comprendre la raison qui a conduit le Gouvernement et la commission à supprimer l’obligation de certification a priori pour la remplacer par une autoévaluation des acteurs soumis au Cyber-score, suivi d’un contrôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en lien avec l’Anssi. Mais je tiens à rappeler qu’il sera nécessaire de donner les moyens aux services de l’État de conduire ces contrôles. En effet, dans le cas contraire, l’objectif de cette loi ne pourra être atteint.

Par ailleurs, puisque ce dispositif est entièrement à construire, nous devons être attentifs aux indicateurs retenus pour déterminer le Cyber-score d’une plateforme, car ces derniers peuvent être multiples et n’ont pas tous la même portée et la même signification quant au niveau de sécurité.

En outre, si pour des raisons principalement techniques le second objectif n’a pas pu être atteint, j’insiste sur la nécessité de trouver d’autres solutions pour garantir la prise en compte des enjeux de cybersécurité par les acteurs publics. L’État doit montrer l’exemple en la matière, et faire en sorte que les données de nos concitoyens ne soient pas exposées à des risques évitables.

Plus largement, nous devons réfléchir à l’amélioration des pratiques des entreprises en matière de maîtrise de leurs données. Les données des entreprises ne sont pas visées par cette proposition de loi, or leur sécurisation est également essentielle. Différentes mesures peuvent être proposées, qu’il s’agisse de la formation des entreprises à la cybersécurité, ou encore, comme la commission l’avait proposé, de la mise en place d’un crédit d’impôt à la numérisation des entreprises prenant en compte les dépenses visant à assurer leur sécurité informatique.

Notre réflexion doit aller plus loin, car les enjeux liés à la cybersécurité et à la cybercriminalité ne feront que croître à mesure que notre société se numérisera.

Mon groupe et moi-même voterons donc pour cette proposition de loi qui représente indéniablement une avancée. Mais j’invite encore une fois à pousser plus loin notre réflexion sur les questions de cybersécurité et de cybercriminalité, qui représentent sans aucun doute l’un des plus grands défis que nous ayons à relever en matière de numérique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la problématique de l’exploitation des données personnelles par les plateformes numériques destinées au grand public est un sujet majeur.

Elle touche aux questions de la transparence et de l’information du consommateur internaute sur la sécurisation de ses données, ainsi qu’à la question de la souveraineté numérique tant en France qu’au niveau européen. En ce sens, nous remercions l’auteur de cette proposition de loi de mettre ce sujet si important en débat au Parlement.

Nous l’avions souligné lors de la première lecture : si l’évolution des technologies permet aujourd’hui une expansion du télétravail et peut simplifier les usages du quotidien, la cybersécurité est encore trop souvent sous-estimée.

Sur ces enjeux, nous devons continuer de sensibiliser les citoyens, les entreprises ainsi que les collectivités territoriales et les pouvoirs publics, qui sont eux aussi souvent vulnérables aux cyberattaques.

Nous devons rappeler que pratiquer le numérique, c’est aussi s’exposer à un certain nombre de risques. D’après l’Anssi, le nombre de cyberattaques a été multiplié par quatre en 2020. Face à ces actes, la question de la sécurité des systèmes est donc centrale.

Si de nombreux textes régissent déjà la cybersécurité – je pense bien sûr au RGPD ou, au niveau européen, au Cybersecurity Act –, cette proposition de loi nous fait faire un pas supplémentaire vers davantage de transparence et de droits pour les internautes, ce qui va bien évidemment dans le bon sens.

Nous soutenons ainsi la principale mesure de ce texte, la mise en place d’un Cyber-score, c’est-à-dire d’un diagnostic de cybersécurité lisible, clair et compréhensible par toutes et tous.

Je m’interroge néanmoins quelque peu sur la portée du texte. Si, à la suite de la navette parlementaire, le champ d’application du dispositif est étendu à tous les services numériques, notamment aux logiciels de visioconférence et de messagerie instantanée, ce champ est également limité aux services numériques les plus utilisés, selon des seuils définis par décret.

Renvoyer ainsi au pouvoir réglementaire l’établissement de la liste des plateformes concernées par cette obligation de communiquer les informations relatives à la sécurité des données hébergées risque de limiter la portée du dispositif. Pour garantir une réelle efficacité de la mesure, il faudra que le décret ajuste au mieux les mailles du filet, afin de ne pas exclure de nombreuses entreprises du champ d’application de la loi.

Si la commission et l’Assemblée nationale ont justifié cet aménagement pour éviter d’imposer « de trop fortes contraintes à de petites structures », nous pensons au contraire que les petites entreprises du numérique ont tout à gagner à faire valoir la fiabilité de leurs plateformes et à faire respecter une gestion responsable des données.

Concernant les apports adoptés par l’Assemblée nationale, nous saluons certaines dispositions. Le périmètre de l’article 1er a été élargi afin d’inclure les systèmes de messagerie instantanée, en plus des logiciels de visioconférence. L’audit devra être réalisé par des prestataires agréés par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, et devra porter sur la sécurisation et la localisation des données.

Comme vous l’avez compris, nous regrettons toutefois que le texte renvoie des points essentiels au pouvoir réglementaire, et laisse à ce dernier une très ample marge d’appréciation concernant tant le périmètre d’application que le contenu de cet audit de cybersécurité. C’est pourquoi, comme l’a souligné Mme la rapporteure, le Parlement devra être vigilant dans les mois à venir sur l’élaboration de ces mesures.

En définitive, malgré ces quelques points non négligeables, avec cette proposition de loi, le Parlement pose une première pierre et apporte une contribution utile au renforcement de la protection des données de nos concitoyens. Nous voterons donc de nouveau en faveur de ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nous l’avions dit en première lecture, cette proposition de loi est bienvenue, car aujourd’hui aucune disposition ne garantit l’information du consommateur et de la consommatrice quant à la sécurité informatique de la solution numérique qu’il ou elle utilise. En ce sens, ce texte représente un pas supplémentaire vers davantage de transparence et de droits pour les internautes.

À l’ère où l’informatique, omniprésente, pénètre tout notre quotidien, la question de la sécurité des systèmes reste centrale. Il s’agit d’un enjeu essentiel tant pour l’économie que pour la démocratie. En effet, l’outil proposé permettra un accès plus facile aux problématiques et enjeux de la cybersécurité, ce qui est essentiel face à l’hégémonie des Gafam dans nos vies et au développement du groupe Meta.

Ce point est également essentiel, car nous assistons à une explosion du nombre des cyberattaques : les vols de données de santé se multiplient – citons par exemple les cyberattaques contre les centres hospitaliers de Dax, de Villefranche-sur-Saône ou le CHU de Rouen –, les données de nombreuses PME et TPE sont siphonnées et des collectivités locales sont également ciblées, en particulier durant les périodes électorales.

Dès lors, un travail de sensibilisation doit être mené auprès du grand public, mais également des PME et des TPE, ainsi que des collectivités territoriales.

Aussi, la mise en place d’un Cyber-score calqué sur le modèle du Nutri-score, qui concernera, outre les plateformes en ligne, les logiciels de visioconférence et les systèmes de messagerie instantanée, est une bonne chose.

Autre point positif : le système d’autoévaluation des entreprises concernées. Le principe d’une contrainte plus lourde a été adopté par l’Assemblée nationale et maintenu par la commission des affaires économiques du Sénat : il s’agit de l’audit de sécurité qui devra être réalisé par des prestataires agréés par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information et qui portera tant sur la sécurisation que sur la localisation des données. Les résultats de cet audit devront être présentés au consommateur, pour les informations relatives tant à la sécurisation qu’à la localisation des données hébergées.

Nous l’avions mentionné à plusieurs reprises, la localisation des données est importante : loin d’être un sous-critère de la sécurisation, elle en constitue un critère à part entière. En effet, même si elle n’est, au sein de cette proposition de loi, qu’un outil d’information des usagers, elle représente en réalité un enjeu majeur de souveraineté technologique. Environ 90 % de nos données sont hébergées aux États-Unis ; aux yeux du groupe CRCE, cela n’est pas normal et cela ne doit pas perdurer. Il faudra donc remédier au manque incroyable de data centers en France et en Europe. Nos données doivent être, à l’instar d’un certain nombre d’industries, relocalisées.

C’est pourquoi, même si la proposition de loi a un champ limité, il n’en demeure pas moins qu’elle pose de vraies questions et représente le premier jalon d’une prise de conscience collective et individuelle de l’importance de la sécurité numérique. Il faut maintenant que les citoyens s’en emparent et, pour cela, une campagne de communication sur l’intérêt de cet outil sera nécessaire, afin d’en faire un indicateur du quotidien.

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera donc ce texte en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Amel Gacquerre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Amel Gacquerre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’usage du numérique fait partie intégrante de notre quotidien. Que ce soit dans la sphère privée, dans la sphère professionnelle, dans la sphère économique ou dans la sphère publique, impossible aujourd’hui de s’en passer.

Évidemment, cette révolution numérique présente de nombreux effets positifs : gains de temps, services plus accessibles ou encore surcroît d’informations. Toutefois, si les possibilités de développement liées au numérique sont nombreuses, il est essentiel de ne pas perdre de vue que des risques existent et il est de notre devoir de législateur de nous en occuper aujourd’hui.

Les nouvelles technologies se sont invitées dans les foyers des particuliers, toutes générations confondues. Cela s’est bien évidemment accéléré avec la pandémie de covid-19 : il s’agissait en effet de trouver de nouveaux moyens de communication pour entretenir le lien social, s’informer, se divertir. Selon une étude récente, aujourd’hui, près de 50 % de la population mondiale utilise les réseaux sociaux.

Pourtant, malgré une médiatisation accrue des sujets liés à la cybersécurité ou aux malwares – ces fameux logiciels malveillants ciblant les particuliers et les entreprises –, la culture du numérique et la connaissance de ses dangers sont loin d’être ancrées chez nos concitoyens.

Du côté des entreprises et des institutions publiques, la situation est quelque peu différente. En effet, ces organisations se préoccupent de plus en plus de la sécurité informatique et de la cybersécurité. Les entreprises ont bien perçu les énormes risques économiques auxquelles elles peuvent être confrontées en étant piratées, espionnées ou sabotées. Dans le secteur public, 88 % des organisations ont subi au moins une cyberattaque ayant causé des dégâts au cours des deux dernières années. La prise de conscience des entreprises et des organisations publiques est essentielle, car les cyberattaques les visant présentent un risque réel pour le grand public, en mettant en péril les données personnelles de milliers de clients ou d’utilisateurs.

Ainsi, développer une pédagogie sur les risques numériques, rappeler que la cybersécurité est désormais l’affaire de tous, tout cela relève, en quelque sorte, d’un enjeu citoyen qui doit être au cœur de nos préoccupations.

En ce qui concerne les usagers, selon une enquête récente, 96 % des Français interrogés sur le sujet se disent conscients que l’usage des outils numériques comporte des risques. Pourtant, ils reconnaissent ne pas avoir intégré ces risques dans leurs usages. On constate ainsi une absence de méfiance du grand public, toujours plus nombreux à se rendre sur des sites internet, à utiliser des applications non vérifiées pour consulter des informations, à participer à des vidéoconférences ou encore à télécharger des contenus risqués.

Chacun confie, dans son quotidien, par un simple clic, plus ou moins volontairement, de nombreuses données personnelles qui sont ensuite stockées, utilisées, traitées et même vendues par les plateformes numériques qui les gèrent.

La sécurité de ces données est essentielle. Les usagers ont besoin de solutions simples et accessibles pour être informés des risques encourus et pour se protéger. Or, à ce jour, aucune disposition ne garantit l’information du consommateur quant à la sécurité informatique de la solution numérique qu’il utilise.

La proposition de loi que nous évoquons aujourd’hui porte sur ce point. Vous l’avez dit, elle vise à mettre en place une certification de cybersécurité des plateformes numériques par un Cyber-score, créé à l’image du Nutri-score utilisé pour les aliments et désormais totalement compris.

Pour garantir son efficacité auprès des usagers, cet outil doit être simple, lisible et compréhensible par tous. Un système d’information coloriel semble constituer la solution la plus adaptée. À charge maintenant pour l’Anssi de bien en définir les critères et surtout de les adapter aux évolutions des plateformes et des usages des particuliers.

L’enjeu est pour nous de construire un monde numérique plus sûr.

J’ajoute, pour aller plus loin, qu’il semble nécessaire d’aborder cette thématique au travers du prisme européen. L’échelle européenne semble judicieuse pour développer une meilleure protection. C’est pourquoi je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures vous comptez défendre en matière de souveraineté numérique européenne dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Avant de conclure, je tiens à saluer la rapporteure, Anne-Catherine Loisier, pour son travail, ainsi que l’auteur du texte, Laurent Lafon, qui a déposé cette proposition de loi il y a plus d’un an et demi ! Eu égard à l’évolution extrêmement rapide du numérique, il est grand temps que ce texte soit adopté et mis en application.

C’est pourquoi, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, en soutenant le vote conforme proposé par la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’essentiel a déjà été dit sur cette proposition de loi. Aussi mon intervention sera-t-elle brève.

Nous examinons un texte adopté en première lecture il y a un an et demi, dans un climat déjà marqué par la lutte contre la pandémie. Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité d’une série de travaux réalisés au cours du quinquennat dans le domaine du numérique et des technologies de l’information : la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, la question du statut des travailleurs des plateformes numériques ou encore la lutte contre l’illectronisme et l’inclusion numérique, thèmes d’une mission d’information créée sur l’initiative du groupe du RDSE.

La cybersécurité, enjeu de longue date et pourtant sous-estimé, est encore plus cruciale depuis la mise en œuvre des mesures de lutte contre la pandémie de covid-19 et le recours massif aux outils numériques dans le cadre du télétravail, des besoins courants ou encore des loisirs, sans parler de la montée générale des tensions nationales et internationales. On ne peut que regretter un certain retard français en matière de culture de cybersécurité, comme l’a rappelé récemment le directeur de l’Anssi devant la commission des affaires économiques.

La nécessité d’informer le public et de lui donner des outils concrets est donc réelle. Face aux risques de piratage ou de cyberattaque, nous sommes tous vulnérables : individus, consommateurs, mais aussi entreprises, institutions ou collectivités.

Dans ce contexte, force est de constater la volonté de la majorité du Sénat d’adopter définitivement la présente proposition de loi au moyen d’un vote conforme, comme la commission l’a fait la semaine dernière.

Le contenu de ce texte a quelque peu évolué depuis sa version initiale : inclusion des téléconférences dans le champ d’application de la certification, compétence explicite de l’Anssi pour qualifier les prestataires ou encore remplacement du diagnostic de cybersécurité par un « audit », selon la terminologie actuelle. Plus cruciale sans doute est l’inclusion de la localisation des données hébergées par les plateformes, qui est, nous le savons, un fort enjeu de sécurité et de souveraineté numériques.

Le Cyber-score mis à disposition du consommateur, sous une forme comparable à celle du Nutri-score, est un outil pédagogique s’inscrivant dans l’esprit du texte, lequel vise à toucher le grand public. Toutefois, ce score, comme son équivalent alimentaire, peut receler des situations hétérogènes.

Un enjeu majeur du texte – le périmètre des plateformes concernées par la certification – est toutefois renvoyé à un décret, qui définira un seuil de déclenchement. Souhaitons que ce seuil permette de viser les plateformes les plus répandues sans pour autant pénaliser les PME et les start-up.

Enfin, l’article 2 du texte, qui concernait initialement les appels d’offres dans le cadre de marchés publics a finalement été supprimé.

Ainsi, cette proposition de loi, pour utile qu’elle soit, n’est qu’un début, puisqu’elle nécessitera des mesures réglementaires, d’où une entrée en vigueur finalement repoussée au second semestre de 2023. Elle devra aussi trouver sa place dans le cadre européen défini par le règlement général européen sur la protection des données personnelles.

Notre groupe votera pour son adoption, comme il l’avait fait en première lecture, tout en gardant à l’esprit les défis à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi visant à mettre en place une certification de la cybersécurité des plateformes numériques.

Au cours des dernières années, plusieurs affaires ont éclaboussé le monde de l’industrie numérique, avec d’importants faits de fuites et d’exploitation de données personnelles. Qu’elles appartiennent à des particuliers ou à des entreprises, les données stockées dans le cyberespace ont été la proie d’attaques qui se sont multipliées à un rythme quasi exponentiel au cours des dernières années, tandis que les solutions numériques proposées sont de plus en plus complexes, en raison d’algorithmes toujours plus puissants et toujours plus opaques.

Les acteurs de ce marché développent de nouveaux usages, fondés sur l’analyse de nos données personnelles, données qu’ils accumulent de plus en plus grâce au nombre croissant d’objets connectés présents autour de nous, parce que leur modèle économique repose sur elles ; on parle d’ailleurs maintenant de data lakes – lacs de données – et non plus de simples bases de données comme naguère.

La crise sanitaire que nous subissons et dont nous peinons à sortir a amplifié ce phénomène. En raison des confinements répétés que nous avons traversés, la dématérialisation de notre société a été accentuée, accélérée, alors que, dans le même temps, la relation de confiance entre les citoyens internautes et les géants de cette industrie s’est dégradée, sans que cela remette en cause l’hégémonie de ces acteurs.

En 2018, l’adoption du RGPD a contraint plateformes et éditeurs de services numériques à aller dans la bonne direction ; ce texte représente sans conteste une avancée majeure. Toutefois, il n’atteint pas tous ses objectifs et il présente des failles manifestes.

Les experts de ce domaine que j’ai entendus dans le cadre de mes travaux à la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) ont exprimé leurs inquiétudes, en confirmant que cette situation était amenée à se dégrader dans les années à venir. Les cybercriminels se sont professionnalisés et industrialisés, et leur champ d’action s’est mondialisé. Leurs facultés de nuire se sont développées bien plus rapidement que la capacité de leurs victimes à se protéger.

Malheureusement, les événements tragiques qui se déroulent à l’Est, auxquels de nombreux collègues ont déjà fait référence – je m’associe d’ailleurs à ces derniers pour condamner ces attaques et exprimer mon soutien au peuple ukrainien –, nous montrent que les cyberattaques sont soit le préalable soit le complément à la déstabilisation d’un gouvernement.

Dans son avis du 29 avril 2021, la CSNP avait recommandé aux pouvoirs publics de développer une politique massive d’information et de sensibilisation de la population aux risques encourus dans l’espace numérique, à titre tant privé que professionnel, et de prendre les mesures et dispositions permettant de s’en prémunir.

Ces alertes rejoignent celles qui figuraient dans le rapport de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, présidée par notre collègue du groupe socialiste Franck Montaugé : « Dans un univers numérique marqué par une forte asymétrie entre, d’un côté, ceux qui contrôlent données et algorithmes et, de l’autre, ceux qui utilisent les plateformes, imposer le respect de ces droits et les rendre effectifs pour les particuliers reste encore concrètement à accomplir. »

Je me réjouis donc de voir le législateur se saisir de ce sujet. Nous devons être à la hauteur des enjeux que recouvre la question de la cybersécurité. La garantie de la protection de la vie privée de nos concitoyens est une des garanties clés de notre démocratie.

La mise en place d’un Cyber-score va dans le bon sens, sous réserve que l’État s’en saisisse pour sensibiliser massivement la population à ce sujet.

Veillons à ce que le développement et l’essor du numérique soient toujours synonymes de l’émancipation des femmes et des hommes et non de leur aliénation. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de loi, car il partage l’état d’esprit de ses auteurs. Même si elle reste limitée, elle représente un premier pas dans la prise de conscience de l’importance de nos données numériques. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi quau banc des commissions. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public
Article 3

Article 1er

(Non modifié)

Le livre Ier du code de la consommation est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 111-7-2, il est inséré un article L. 111-7-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-7-3. – Les opérateurs de plateformes en ligne mentionnés à l’article L. 111-7 du présent code et les personnes qui fournissent des services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation, au sens du 6° quater de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, dont l’activité dépasse un ou plusieurs seuils définis par décret réalisent un audit de cybersécurité, dont les résultats sont présentés au consommateur dans les conditions prévues au dernier alinéa du présent article, portant sur la sécurisation et la localisation des données qu’ils hébergent, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, et sur leur propre sécurisation, dans les conditions prévues au présent article.

« L’audit mentionné au premier alinéa est effectué par des prestataires d’audit qualifiés par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.

« Un arrêté conjoint des ministres chargés du numérique et de la consommation, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les critères qui sont pris en compte par l’audit prévu au même premier alinéa et ses conditions en matière de durée de validité ainsi que les modalités de sa présentation.

« Le résultat de l’audit est présenté au consommateur de façon lisible, claire et compréhensible et est accompagné d’une présentation ou d’une expression complémentaire, au moyen d’un système d’information coloriel. » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 131-4, les références : « à l’article L. 111-7 et à l’article L. 111-7-2 » sont remplacées par les références : « aux articles L. 111-7, L. 111-7-2 et L. 111-7-3 ».

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3

(Non modifié)

La présente loi entre en vigueur le 1er octobre 2023. – (Adopté.)

Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.

Vote sur l’ensemble

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.

M. Laurent Lafon. Je voterai évidemment cette proposition de loi, mais je tiens préalablement à adresser quelques remerciements.

Je veux d’abord remercier M. le secrétaire d’État de sa coopération et de celle de ses services, depuis la première lecture.

Je remercie très sincèrement Mme la rapporteure, qui a suivi avec attention ce texte et l’a considérablement enrichi.

Je veux également exprimer ma reconnaissance à l’égard de Mme la présidente de la commission des affaires économiques, qui, malgré les délais très courts liés à la fin de la session, a permis l’adoption rapide de ce texte en commission de sorte que l’on puisse l’adopter définitivement en séance aujourd’hui grâce à un vote conforme.

Cette proposition de loi est une étape dans l’amélioration de la cybersécurité. Elle présente l’avantage de sortir la question de la cybersécurité du cercle des spécialistes, en informant le plus grand nombre des problèmes liés à cette question, en sensibilisant et en responsabilisant les uns et les autres.

Elle présente aussi un enjeu économique, certains l’ont dit, puisque notre écosystème est assez en avance sur ces questions ; soutenir cette proposition de loi est donc aussi une façon de soutenir les entreprises françaises qui travaillent depuis des années sur ces sujets.

Enfin, je veux solliciter M. le secrétaire d’État afin que l’esprit de coopération qui a été le nôtre jusqu’à présent perdure jusqu’à la rédaction du décret, puisque l’application de ce texte reposera sur un acte réglementaire précisant un certain nombre de points. Dans le prolongement de l’esprit d’unanimité qui préside à nos débats d’aujourd’hui, nous souhaiterions pouvoir continuer de travailler avec vous-même et avec vos services, monsieur le secrétaire d’État, à l’élaboration de ce décret. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-trois, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public
 

9

 
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 1er A

Outils de gestion des risques climatiques en agriculture

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du Gouvernement, des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (texte de la commission n° 513, rapport n° 512).

La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre les pertes de récolte a toujours été un sujet très important dans notre histoire, car ces pertes ont chaque fois correspondu à des moments de famine et surtout d’appauvrissement du monde agricole.

Les agriculteurs ont toujours lutté contre ce fléau, d’abord en stockant du fourrage lors des bonnes années pour faire face aux mauvaises et en inventant l’irrigation pour lutter contre la sécheresse ou le drainage pour lutter contre l’excès d’eau, puis, plus tard, en recourant aux filets pare-grêle ou aux tours antigel.

Ce sujet m’imposait de ne pas faire de politique politicienne. Sans esprit partisan ni arrière-pensée, j’ai travaillé à la modification de ce texte, pour en faire un véritable projet de loi d’orientation budgétaire. En effet, nous tenions à inscrire à l’article 1er A, monsieur le ministre, le montant de 600 millions d’euros que le Président de la République et vous-même avez plusieurs fois annoncé.

Mon seul objectif était d’instaurer la confiance et la transparence pour favoriser le succès de ce dispositif. J’avais trois objectifs en tête.

En premier lieu, accroître la prévention, en permettant d’abaisser les primes d’assurance, afin d’inciter les agriculteurs à se couvrir encore plus, ou en modulant la dotation jeunes agriculteurs (DJA), afin d’encourager les jeunes agriculteurs à se pencher sur ce sujet.

En second lieu, j’ai souhaité apporter davantage de garanties, par la reconnaissance des particularités de l’activité de polyculture-élevage, par la possibilité de lutter contre les injustices flagrantes du système indiciel, par l’institution d’un droit de recours collectif et par la possibilité, qui n’existait pas jusqu’à présent, donnée à l’exploitant de choisir entre la moyenne olympique et la moyenne triennale glissante ; nous avons donc modifié le texte en ce sens, cher Bernard Buis. Par ailleurs, nous avons donné aux assureurs la possibilité de constituer un pool permettant de diminuer les risques tout en respectant leur liberté commerciale et nous avons garanti, à l’article 7, l’intervention de la Caisse centrale de réassurance.

En troisième lieu, il s’est agi de donner davantage de visibilité et de transparence, en renforçant le rôle de la commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes (Codar) du Comité national de la gestion des risques, qui recommandera chaque année au ministre chargé de l’agriculture des taux de couverture des risques, mais également en imposant des engagements clairs au Gouvernement sur des taux pluriannuels, qui éviteront des modifications incessantes pendant trois années.

Pour garantir cette confiance, nous avons voulu définir des taux dès le début. Nous entendons déjà une petite musique, insinuant que ces derniers ne seront pas respectés. Aussi, je l’affirme solennellement, monsieur le ministre : ces taux nous obligent. Sur un sujet aussi important – qui accepterait de voir une année entière de labeur anéantie ? –, de telles dispositions doivent être respectées. Nous avons donc tenu à les inscrire dans le texte, sans quoi la commission mixte paritaire n’aurait pas été conclusive. Ces taux sont parlants pour les agriculteurs ; d’ailleurs, Michel Dantin, que je salue, avait voulu les inscrire dans le règlement européen dit Omnibus. Vous-même, monsieur le ministre, avez insisté lors de chacune de vos interventions pour objectiver les taux dans ce règlement.

Je les rappelle donc une fois de plus, afin qu’ils figurent bien dans le compte rendu intégral : 20 % de franchise, 70 % de subvention et, pour ce qui se rapporte à l’intervention de la solidarité nationale lors des trois premières années, en espérant pouvoir les pérenniser : 30 % pour les surfaces peu assurées et 50 % pour les autres. Il est important de les rappeler aujourd’hui encore, même si le texte a été examiné il y a à peine quinze jours dans cet hémicycle et que la commission mixte paritaire est parvenue à un accord la semaine dernière. Les jours qui passent n’effaceront pas la réalité des chiffres et de ce que nous avons inscrit dans la loi.

Je conclurai en rappelant que la confiance ne se décrète pas, elle se mérite et, en l’occurrence, cela passera par le respect de ce que nous avons écrit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi quau banc des commissions. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques – chère Sophie Primas –, monsieur le rapporteur – cher Laurent Duplomb –, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec une grande fierté que je me tiens devant vous cet après-midi pour assister à l’aboutissement de l’une des réformes les plus structurantes, me semble-t-il, pour notre monde agricole.

Ma fierté est d’autant plus grande qu’il s’agit en outre du dernier texte que j’aurai eu à défendre devant vous au cours de ce quinquennat. À cette occasion, je souhaite vous remercier très sincèrement, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, de votre investissement, de votre sens du débat. La passion avec laquelle nous avons débattu, durant de nombreuses heures dans cet hémicycle, toujours avec grand plaisir, je vous en suis reconnaissant.

Je remercie en particulier, pour ce texte, le rapporteur Laurent Duplomb. Nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, mais nous avons su trouver collectivement les bonnes solutions en vue de l’intérêt général de nos agriculteurs.

Je remercie également Mme la présidente de la commission des affaires économiques. J’ai eu l’occasion de défendre devant elle pas moins de trois projets de loi et de deux propositions de loi en tant que ministre de l’agriculture, sans compter les textes sur lesquels nous avions officié ensemble auparavant, et tous ces textes ont donné lieu à un accord en commission mixte paritaire. Je sais la force et la volonté du Sénat pour dépasser tout clivage – le sénateur Laurent Duplomb vient d’en témoigner – pour œuvrer toujours dans le sens de l’intérêt général.

J’en viens au sujet si important de l’assurance récolte.

C’est vrai, mesdames, messieurs les sénateurs, vous étiez d’accord sur le fond avec cette réforme. D’ailleurs, vous aviez pleinement conscience de la nécessité d’avancer sur cette question, puisque le Sénat participait à cette réflexion depuis plusieurs années et nous avions eu l’occasion d’échanger sur cette problématique lors de l’examen d’autres projets de loi. Tous, vous étiez d’ailleurs d’accord pour reconnaître que le statu quo devenait intenable, les différents rapports sénatoriaux sur le sujet le soulignaient déjà. Or ce qui était vrai hier l’est toujours aujourd’hui : ne pas réformer, ne rien changer, serait contraire à l’objectif de souveraineté agricole et alimentaire, fil conducteur de notre politique agricole.

L’objet de ce projet de loi était de procéder à une véritable refondation du régime d’indemnisation des pertes de récolte, non pas pour deux ou trois ans, mais pour plusieurs décennies.

C’est une réforme essentielle pour l’avenir de notre agriculture afin de garantir son adaptation au changement climatique, véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête de nos agriculteurs qui complique encore leur vie.

Ce projet de loi est le fruit d’un très large processus de concertation qui a profité de la dynamique du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. Le groupe de travail présidé par le député Frédéric Descrozaille a œuvré d’arrache-pied durant un mois. Il a remis ses conclusions sur la base desquelles le Gouvernement a élaboré ce projet de loi.

Vous avez ensuite poursuivi ces concertations, monsieur le rapporteur, afin d’enrichir ce texte lors de son examen au Sénat.

Cette réforme est fondée sur plusieurs principes. Je pense tout d’abord au principe de solidarité nationale, qui constitue un véritable changement de paradigme. Cette solidarité est désormais inscrite dans le marbre de la loi, conformément à la volonté du Sénat.

Au-delà de l’extension du financement de la couverture des risques climatiques à 600 millions d’euros, le deuxième principe tient au caractère universel de cette couverture : tout agriculteur doit pouvoir y avoir accès, quelle que soit la culture concernée et que l’on soit assuré ou non, contrairement au système actuel.

Le troisième principe réside dans l’accessibilité à l’assurance multirisque climatique (MRC), qui ne couvre aujourd’hui que 18 % des surfaces agricoles. Nous incitons nos agriculteurs à y recourir, notamment en allant au bout d’Omnibus, pour reprendre les termes de M. le rapporteur. Vous avez, là aussi, tenu à inscrire dans le texte les seuils de 20 % et 70 %.

Cette réforme s’appuie encore sur un quatrième principe, celui de la régulation, avec la constitution d’un pool mutualisant les risques, l’élaboration d’une tarification technique commune et une plus grande transparence dans la constitution des prix.

Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, et notamment vous, monsieur le rapporteur, combien cette régulation m’était chère et je vous remercie de m’avoir entendu.

Ce projet de loi a été construit dans la concertation. Je tiens à saluer le travail des deux rapporteurs, Frédéric Descrozaille à l’Assemblée nationale et Laurent Duplomb au Sénat. Je remercie ce dernier pour son travail et, il faut bien le reconnaître, pour son opiniâtreté à faire avancer le sujet. (Sourires.)

Je suis très heureux de constater que le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire maintient l’architecture initiale du projet de loi, à savoir un premier étage qui relève de l’agriculteur, un deuxième de l’assureur et un troisième de l’État.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi pose aujourd’hui les fondations de la maison. Vous avez souhaité qu’il offre le plus d’orientations possible pour achever la construction. Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, que vous vous apprêtez à voter, me semble extrêmement encourageant. Je suis sûr qu’il fera date pour l’ensemble du monde agricole.

J’avais coutume de dire que le principal outil de pilotage de la politique agricole du gouvernement espagnol reposait sur l’assurance climatique ; dorénavant, nous pourrons mettre en place une même politique publique. Il s’agit d’une très belle avancée.

Permettez-moi enfin de remercier l’ensemble des personnes ayant participé à ces travaux, non seulement mes équipes, mais aussi celles de la commission des affaires économiques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois pouvoir dire, en toute humilité, que vous allez aujourd’hui voter une réforme historique, fruit d’un travail parlementaire toujours constructif. Il s’agit d’un bel exemple de la façon dont le Parlement peut enrichir les textes proposés par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés, ou acceptés, par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

projet de loi d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques en agriculture

Chapitre Ier A

Programmation des interventions publiques pour promouvoir une meilleure résilience de l’agriculture française face au changement climatique par la mobilisation de divers outils de gestion des risques

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 1er bis

Article 1er A

Le présent article fixe les objectifs, la stratégie et la programmation financière et opérationnelle de l’intervention de l’État pour renforcer la résilience de l’agriculture française face au changement climatique par le biais d’une mobilisation d’un système universel de gestion des risques en agriculture pour la période 2023-2030.

Cette programmation, qui contribue à assurer la pérennité et la résilience des systèmes de production agricole dans un contexte d’accélération du changement climatique, en garantissant l’accès des agriculteurs à un système universel de gestion des risques climatiques en agriculture, vise quatre objectifs :

1° A (nouveau) Assurer une répartition équilibrée de la prise en charge entre les différents acteurs concernés par la gestion des risques climatiques en agriculture ;

1° Développer des dispositifs de prévention et de protection adaptés à toutes les cultures ;

2° Créer et mieux diffuser des produits d’assurance et des mécanismes d’indemnisation efficaces et complémentaires entre eux, en accompagnement de stratégies d’adaptation des filières et des bassins de production ;

3° Permettre en cas de risques climatiques dits « catastrophiques » l’intervention de la solidarité nationale.

Les dépenses publiques résultant de la mise en œuvre de ce nouveau système s’inscrivent dans une enveloppe qui pourra atteindre un montant annuel jusqu’à 600 millions d’euros au cours de la période, au fur et à mesure du développement assurantiel.

Chapitre Ier

Dispositions modifiant le code rural et de la pêche maritime

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article 1er A
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 2

Article 1er bis

(Supprimé)

Article 1er bis
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 3

Article 2

Les deux derniers alinéas de l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« La deuxième section prend en charge, de façon forfaitaire, une part des primes ou des cotisations d’assurance afférentes à certains risques agricoles déterminés par décret. Cette part varie selon l’importance du risque, la nature des productions, le type de contrat d’assurance souscrit et les modalités de celui-ci. Le cumul de l’aide versée à ce titre et de la contribution de l’Union européenne ne peut excéder 70 % de la prime ou de la cotisation d’assurance ou, s’il est différent, le taux qui résulte des règlements européens applicables.

« Seuls peuvent bénéficier de cette aide les contrats d’assurance couvrant les pertes causées par des aléas climatiques représentant une part, fixée par décret dans les conditions déterminées à l’article L. 361-9 en fonction de la nature des productions et du type de contrat d’assurance souscrit, qui ne peut être inférieure à 20 % ou, s’il est différent, au taux qui résulte des règlements européens applicables, de la moyenne de la production annuelle de l’exploitant. Cette moyenne est obtenue selon la modalité de calcul choisie par l’exploitant parmi les différentes modalités de calcul fixées par décret.

« Les entreprises d’assurance qui commercialisent les contrats pouvant bénéficier de la prise en charge prévue au présent article respectent un cahier des charges défini par un arrêté des ministres chargés de l’agriculture et de l’économie, pris après avis de la commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes, mentionnée à l’article L. 361-8. Ce cahier des charges fixe notamment un barème de prix pour chaque production. Il fixe également les mesures et pratiques de prévention mises en œuvre par les exploitants agricoles pour réduire leur exposition aux aléas climatiques pouvant être prises en compte par les entreprises d’assurance dans le calcul de la prime d’assurance.

« Les types de contrats pouvant faire l’objet de la prise en charge prévue au présent article sont déterminés par décret dans le but de favoriser une plus grande mutualisation des risques. Pour les garanties des contrats pouvant bénéficier de cette prise en charge, le décret fixe les niveaux de franchise selon la nature des productions, le seuil de pertes défini au troisième alinéa et, le cas échéant, le type de contrat d’assurance souscrit, et peut aussi fixer des critères de couverture surfacique minimale par type de contrat, en fonction des groupes de cultures ou de la destination des cultures. »

Article 2
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 3 bis

Article 3

Après l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 361-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 361-4-1. – La troisième section du Fonds national de gestion des risques en agriculture participe à l’indemnisation des pertes de récoltes ou de cultures résultant d’aléas climatiques, lorsque ces pertes sont supérieures à un seuil fixé par décret dans les conditions déterminées à l’article L. 361-9 en fonction de la nature des productions et, s’il y a lieu, du type de contrat d’assurance souscrit. Ce seuil ne peut être inférieur à 30 % de la moyenne de la production annuelle de l’exploitant. Cette moyenne est obtenue selon la modalité de calcul choisie par l’exploitant parmi les différentes modalités de calcul fixées par décret.

« Pour les exploitants agricoles assurés au titre de contrats bénéficiant de l’aide mentionnée à l’article L. 361-4, l’indemnisation est versée en complément de celle perçue au titre de leur contrat d’assurance pour les mêmes pertes. Afin de garantir la célérité de l’indemnisation, celle-ci peut être versée par l’assureur pour le compte de l’État, en même temps que l’indemnisation versée au titre de l’assurance, selon des modalités fixées par décret.

« Pour les exploitants agricoles qui n’ont pas souscrit d’autre contrat couvrant ces pertes, afin de garantir le caractère incitatif des dispositions prévues au même article L. 361-4, l’indemnisation représente une part, dont le taux est égal au plus à celui prévu par le droit européen, de celle qui serait perçue en moyenne, en application du deuxième alinéa du présent article, par les exploitants agricoles subissant les mêmes pertes et assurés à ce titre.

« L’indemnisation peut être versée par l’État ou, pour le compte de celui-ci, par un réseau d’interlocuteurs agréés. Ce réseau fait application de référentiels identiques applicables aux assurés et aux non-assurés et de méthodologies d’évaluation des pertes et de modalités d’indemnisation similaires à ceux applicables aux contrats d’assurance bénéficiant de l’aide prévue audit article L. 361-4.

« Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret. L’indemnisation versée au titre des trois premiers alinéas, selon la nature des productions, tient compte, le cas échéant, de l’absence ou de l’insuffisance de développement de l’assurance contre les risques climatiques et, s’il y a lieu, du type de contrat souscrit. »

Article 3
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 3 ter

Article 3 bis

Après l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 361-4-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 361-4-2. – I. – Lorsque les évaluations des pertes ne reposent pas sur un indice, les entreprises d’assurance rappellent à l’assuré, lors de la souscription du contrat et lors de la remise à l’exploitant de la proposition d’indemnisation, la possibilité de faire appel à une contre-expertise en cas de sinistre.

« II (nouveau). – Lorsque les évaluations des pertes de récoltes ou de cultures sont fondées sur des indices et que celles-ci se trouvent contestées par l’assuré, l’organisme chargé de verser l’indemnisation transmet au comité des indices, qui est chargé d’apporter son expertise pour l’approbation des indices par le ministre chargé de l’agriculture, les éléments techniques qui ont servi de bases aux calculs de l’indemnité ou à son refus.

« La commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes mentionnée au premier alinéa de l’article L. 361-8 rend un avis annuel sur la pertinence des critères retenus pour déterminer les pertes de récoltes ou de cultures et sur les conditions effectives de l’indemnisation des sinistrés. Cet avis est rendu notamment sur le fondement d’un rapport annuel produit par le comité des indices ainsi que sur le fondement d’un état des référentiels ou des méthodes retenus pour apprécier les pertes de rendement.

« III (nouveau). – Un décret fixe les conditions d’application du présent article et les conditions dans lesquelles les évaluations des pertes de récoltes ou de cultures peuvent faire l’objet d’une demande de réévaluation par les exploitants, notamment en cas d’erreur manifeste relative à l’évaluation des pertes par un système indiciel. »

Article 3 bis
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 5

Article 3 ter

Le second alinéa de l’article L. 330-1 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’aide à l’installation peut être modulée si les candidats n’ont pas souscrit une assurance contre les dommages causés aux exploitations agricoles mentionnée au premier alinéa de l’article L. 361-4 ou s’ils n’ont pas réalisé un diagnostic de gestion des risques constatant un niveau de maîtrise des risques suffisant sur l’exploitation. »

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article 3 ter
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 5 bis A

Article 5

L’article L. 361-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le comité comprend en son sein une commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes. » ;

1° bis Après le septième alinéa, sont insérés sept alinéas ainsi rédigés :

« Tous les ans, après avoir entendu des représentants des entreprises d’assurance commercialisant des produits d’assurance contre les risques climatiques en agriculture bénéficiant de l’aide prévue au deuxième alinéa de l’article L. 361-4, ou, le cas échéant, du groupement prévu par la loi n° … du … d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture et, après avoir pris connaissance d’éléments de bilan de l’application des articles L. 361-4 et L. 361-4-1 du présent code ainsi que d’éléments relatifs aux perspectives financières pour les années suivantes, la commission mentionnée au premier alinéa du présent article formule des recommandations au Gouvernement sur :

« 1° Les seuils mentionnés à l’article L. 361-4 ;

« 2° La part cumulée de prise en charge par l’État et la contribution de l’Union européenne des primes ou des cotisations d’assurance afférentes à certains risques agricoles mentionnée au même article L. 361-4 ;

« 3° Les seuils mentionnés à l’article L. 361-4-1 ;

« 4° Les taux d’indemnisation mentionnés au même article L. 361-4-1.

« Les recommandations sont pluriannuelles. Elles sont assorties d’une évaluation de leur impact sur les montants totaux de l’aide prévue à l’article L. 361-4 et de l’indemnisation de l’État prévue à l’article L. 361-4-1.

« Elle formule, chaque année, un avis sur la fixation des principaux éléments composant le cahier des charges mentionné à l’article L. 361-4. » ;

2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Un décret détermine la composition du Comité national de la gestion des risques en agriculture, de ses comités départementaux d’expertise et de la commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes. Il précise les missions et les modalités de fonctionnement de ces comités et de cette commission. La composition de la commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes assure la représentation des organisations syndicales représentatives des exploitants agricoles, des entreprises d’assurance, de l’État et, le cas échéant, sur désignation du président de la commission, en fonction de l’ordre du jour, des filières spécialement concernées avec voix consultative, dans des conditions précisées par le décret mentionné à la première phrase du présent alinéa. »

Article 5
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 5 bis

Article 5 bis A

L’article L. 361-9 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rétabli :

« Art. L. 361-9. – Après avis de la commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes mentionnée à l’article L. 361-8, les décrets prévus aux articles L. 361-4 et L. 361-4-1 fixent les seuils, les taux de subvention et les taux d’indemnisation pour une durée de trois ans.

« 1° à 4° (Supprimés)

« Un arrêté des ministres chargés de l’agriculture, de l’économie et du budget peut fixer temporairement des taux et seuils dérogatoires, après avis de la même commission.

« Un arrêté des ministres chargés de l’agriculture, de l’économie et du budget peut limiter le montant de la prime admissible au bénéfice de l’aide en imposant temporairement des plafonds appropriés, après avis de la même commission. »

Article 5 bis A
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 7

Article 5 bis

La section 1 du chapitre Ier du titre II du livre V du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifiée :

1° Le b du I de l’article L. 521-3 est complété par les mots : « et de leur fournir les services correspondant aux activités pour lesquelles ils se sont engagés » ;

2° Après le 4° de l’article L. 521-3-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il peut fixer les modalités de constitution et de reprise de la provision constituée par la coopérative pour engagement de soutien des coopérateurs face aux aléas agricoles ainsi que, le cas échéant, les modalités de constitution et de fonctionnement des caisses de compensation. »

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article 5 bis
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 8

Article 7

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi concernant l’assurance contre les aléas climatiques en agriculture, afin de permettre aux systèmes de production agricole de surmonter durablement ces aléas et de garantir un large accès des exploitants agricoles à un régime d’assurance contre ces risques, en évitant que la sélection des risques par les entreprises d’assurance aboutisse à une éviction de nombreux exploitants agricoles du marché de l’assurance :

1° En mettant à la charge des entreprises d’assurance qui souhaitent commercialiser en France des produits d’assurance contre les risques climatiques en agriculture bénéficiant de l’aide prévue au deuxième alinéa de l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la présente loi, des obligations pouvant consister à communiquer les données qu’elles détiennent à l’État, à partager, de façon anonyme, les données relatives à la sinistralité qu’elles détiennent auprès d’une structure tierce, qui veille à restituer l’ensemble d’entre elles aux assureurs les ayant partagées ainsi qu’à l’État avec un degré d’anonymisation et d’agrégation suffisant, dans le triple respect du droit de la concurrence et du droit des données personnelles ainsi que des principes énoncés aux articles 39 et 42 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à mutualiser les risques assurés et à élaborer à ce titre une tarification technique commune sans remettre en cause la liberté commerciale sur la valeur des primes proposées par un assureur à ses clients, à exercer en commun certaines activités liées à la réassurance conjointe de ces risques, à proposer un de ces produits à des conditions raisonnables à tout exploitant agricole qui en fait la demande et à assurer les missions du réseau mentionnées à l’article L. 361-4-1 du code rural et de la pêche maritime ;

1° bis En encadrant les procédures d’évaluation et d’indemnisation des sinistres par les assureurs ;

2° En permettant la création d’un groupement chargé de tout ou partie des obligations mentionnées au 1° du présent I, auquel les entreprises d’assurance souhaitant commercialiser des produits d’assurance contre les risques climatiques en agriculture et bénéficiant de l’aide prévue au deuxième alinéa de l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la présente loi, doivent adhérer ;

3° En complétant les missions confiées à la caisse centrale de réassurance, afin de lui permettre de concourir aux évolutions prévues aux 1° et 2° du présent I, notamment en pratiquant des opérations de réassurance des risques climatiques en agriculture ;

4° En définissant les modalités de contrôle et les sanctions administratives permettant de s’assurer du respect des articles L. 361-1 A et L. 361-4 à L. 361-5 du code rural et de la pêche maritime et des dispositions résultant des ordonnances prévues au présent I ;

5° En fixant les obligations déclaratives incombant aux exploitants agricoles qui ne sont pas assurés ;

6° En précisant, le cas échéant, les conditions dans lesquelles les dispositions de la présente loi ainsi que celles résultant des ordonnances prévues au présent I sont rendues applicables aux contrats en cours ;

7° En apportant aux dispositions législatives les modifications éventuellement nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle de ces dispositions, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet.

II. – Les ordonnances prévues au I sont prises dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, à l’exception de l’ordonnance prévue en application des 1° à 3° du I du présent article, qui est prise dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chacune des ordonnances prévues au I du présent article.

Article 7
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 12

Article 8

I. – La présente loi ne s’applique pas en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, ni à Saint-Pierre-et-Miquelon, à, l’exception de l’article 10.

II. – Le titre VII du livre III du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l’article L. 371-13 est ainsi rédigé :

« L’article L. 361-1 A, les 1° et 2° de l’article L. 361-2, les articles L. 361-4-1 à L. 361-6 et la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 361-8 ne sont pas applicables en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, ni à Mayotte. Les dispositions relatives à l’indemnisation dans ces collectivités des calamités agricoles définies au deuxième alinéa de l’article L. 361-5 sont fixées par les textes régissant le fonds de secours pour l’outre-mer inscrit au budget général de l’État. » ;

2° Le 3° de l’article L. 372-3 est ainsi rédigé :

« 3° L’article L. 361-1 A, les 1° et 2° de l’article L. 361-2, les articles L. 361-4-1 à L. 361-6 et la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 361-8. » ;

3° À l’article L. 372-5, les mots : « des calamités agricoles à Saint-Barthélemy » sont remplacés par les mots : « à Saint-Barthélemy des calamités agricoles définies au deuxième alinéa de l’article L. 361-5 » ;

4° L’article L. 373-3 est ainsi modifié :

a) Au début du 4°, sont ajoutés les mots : « L’article L. 361-1 A et » ;

b) Le 5° est ainsi rédigé :

« 5° Les articles L. 361-4-1 à L. 361-6 et la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 361-8. » ;

5° À l’article L. 373-11, les mots : « des calamités agricoles à Saint-Martin » sont remplacés par les mots : « à Saint-Martin des calamités agricoles définies au deuxième alinéa de l’article L. 361-5 » ;

6° L’article L. 374-3 est ainsi modifié :

a) Au début du 5°, sont ajoutés les mots : « L’article L. 361-1 A et » ;

b) Le 6° est ainsi rédigé :

« 6° Les articles L. 361-4-1 à L. 361-6 et la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 361-8. » ;

7° À l’article L. 374-12, les mots : « des calamités agricoles à Saint-Pierre-et-Miquelon » sont remplacés par les mots : « à Saint-Pierre-et-Miquelon des calamités agricoles définies au deuxième alinéa de l’article L. 361-5 ».

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Chapitre II

Dispositions modifiant le code des assurances et dispositions finales

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article 8
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 13

Article 12

I. – La présente loi, à l’exception des articles 5, 7, 9 et 10, entre en vigueur le 1er janvier 2023.

Lorsqu’elle résulte d’aléas climatiques débutant avant la date mentionnée au premier alinéa du présent I, l’indemnisation des pertes de récoltes ou de cultures demeure soumise au chapitre Ier du titre VI du livre III du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à la présente loi.

L’exploitant agricole qui dispose d’un contrat bénéficiant de l’aide prévue à l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime conclu avant la date mentionnée au premier alinéa du présent I peut demander, dans un délai de trois mois à compter de cette date, la mise en conformité de son contrat avec la présente loi, laquelle intervient, sous réserve de l’accord de l’exploitant, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande par l’entreprise d’assurance, sauf si la campagne de production pour la culture considérée arrive à son terme au cours de ces délais. Tant que cette mise en conformité n’est pas intervenue, la situation de l’exploitant agricole reste régie par le chapitre Ier du titre VI du livre III du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à la présente loi. En l’absence de demande de l’exploitant agricole, le contrat est mis en conformité avec la présente loi lors de son renouvellement, et au plus tard un an après l’entrée en vigueur de la présente loi.

II. – Toutefois, si les conditions d’entrée en vigueur ne sont pas réunies, après concertation avec les parties prenantes, un décret peut reporter au 1er août 2023 la date d’entrée en vigueur prévue au I et prolonger de sept mois les dispositions transitoires prévues aux deux derniers alinéas du même I.

Article 12
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 14

Article 13

(Supprimé)

Article 13
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 15

Article 14

Dans un délai de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant un bilan d’évaluation de ladite loi. Ce rapport est établi en lien avec la commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes.

Article 14
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 16

Article 15

Avant le 1er septembre de chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant un bilan de l’application des articles L. 361-4 et L. 361-4-1 du code rural et de la pêche maritime. Ce rapport présente également les perspectives financières envisagées pour l’année suivante au titre du même article L. 361-4-1.

Article 15
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 17

Article 16

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport présentant les actions et pistes d’évolution à envisager aux niveaux européen et national pour adapter les outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

Ce rapport évalue notamment les pistes d’évolution les plus pertinentes à promouvoir pour réformer les modalités de calcul du potentiel de production moyen par culture, notamment les moyens de rendre le calcul de la moyenne olympique plus cohérent avec la réalité des impacts du changement climatique pour les exploitants.

Il dresse un bilan des actions concrètes que l’État aura menées dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne de 2022 pour engager une révision de l’accord international sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce signé à Marrakech en 1994 concernant son volet relatif à la moyenne olympique et aux aides de la « boîte verte ».

Il indique les moyens envisagés par l’État pour mieux prendre en compte les moyens de prévention des risques climatiques mis en œuvre par les exploitants, qu’ils aient souscrit ou non une assurance multirisque climatique, afin d’éviter de décourager certaines actions utiles non reconnues dans le système actuel. Il identifie à ce titre des pistes pour ne pas pénaliser, par une minoration, les taux d’indemnisation au titre de la solidarité nationale pour les exploitants non assurés disposant des moyens de prévention offrant une protection suffisante face à certains risques.

Article 16
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 17

Est approuvé le rapport annexé à la présente loi, qui fixe, à titre indicatif, les orientations relatives au pilotage du dispositif de gestion des risques en agriculture par l’État pour les premières années suivant l’entrée en vigueur de la présente loi.

RAPPORT ANNEXÉ

I. – Afin d’atteindre les objectifs fixés à l’article 1er A de la présente loi, le présent rapport annexé expose les principaux objectifs indicatifs relatifs au pourcentage des surfaces agricoles assurées par le biais d’un contrat d’assurance multirisque climatique subventionné au regard des surfaces agricoles totales à horizon 2030.

Ces taux prévisionnels, production par production, sont fixés ainsi :

 

Pourcentage des surfaces assurées par un contrat d’assurance multirisque climatique (surface assurée / surface totale) par production

Données pour 2020

Objectif cible pour 2030

Céréales, oléagineux, protéagineux, plantes industrielles

33 %

60 %

Vignes

34 %

60 %

Arboriculture

3 %

30 %

Prairies

1 %

30 %

Légumes (industrie et marché du frais)

28 %

60 %

Horticulture

3 %

30 %

Plantes à parfum, aromatiques et médicinales

6 %

30 %

Autres cultures (non assurables à ce stade)

n.s.

n.s.

II. – Dans le respect du même article 1er A, qui prévoit de passer au cours de la période 2023-2030 à un budget relatif à l’indemnisation des pertes renforcé jusqu’à hauteur de 600 millions d’euros par an, conformément aux annonces du président de la République de septembre 2021, une concertation est menée avec l’ensemble des parties prenantes réunies au sein de la commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes et avec les représentations des filières pour définir les scénarios qui permettent :

– de tirer pleinement profit des possibilités offertes par la réglementation européenne, et notamment du règlement (UE) n° 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) n° 1305/2013 et (UE) n° 1307/2013, en fixant un seuil de pertes rendant éligible un contrat à subvention à 20 % et une subvention des primes d’assurance à un niveau de 70 % ;

– de différencier les seuils de pertes de récoltes ou de cultures déclenchant l’intervention de l’État au titre de la solidarité nationale lors de la mise en place de la réforme avec un seuil de déclenchement de 30 % pour les cultures pour lesquelles les offres assurantielles sont peu développées et de 50 % pour les autres cultures.

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 17
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 11 000 catastrophes naturelles ont été recensées dans le monde depuis 1970.

Selon l’ONU, le nombre de catastrophes climatiques a été multiplié par cinq en cinquante ans. Les préjudices subis par le monde agricole en France s’élèvent à 2 milliards d’euros ces trois dernières années. Le changement climatique met à lourde épreuve notre agriculture ; il fragilise son économie et notre souveraineté alimentaire.

Le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture était, comme je l’ai déjà dit, extrêmement attendu par les acteurs du monde agricole. Sa nécessité n’est pas à prouver.

Je tiens tout d’abord à féliciter la commission et notre rapporteur de leur travail. Je veux aussi vous remercier, monsieur le ministre, pour votre constance et votre implication sur ce dossier ô combien important pour nos agriculteurs et pour notre souveraineté alimentaire.

Ce projet de loi a été conçu au plus près des acteurs du milieu afin de répondre à leurs besoins. Il refonde toute la politique d’accompagnement assurantiel et de gestion des risques climatiques en agriculture. Il dessine les contours d’une assurance récolte tendant à prendre en compte, dans leur globalité, les difficultés et risques auxquels sont confrontés les agriculteurs en matière d’aléas climatiques.

Il nous fallait renouveler les outils dont nous disposions, de moins en moins adaptés et souvent inopérants au regard de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques et de l’évolution de notre agriculture. Dois-je le rappeler, nos agriculteurs n’étaient pas assez couverts : moins de 30 % d’entre eux étaient assurés et 18 % des surfaces agricoles seulement étaient couvertes contre ces aléas, avec des différences importantes selon les filières – 6 % seulement des agriculteurs sont assurés dans l’arboriculture.

La commission mixte paritaire est parvenue à faire émerger une réforme ambitieuse, dotée de dispositifs stables, lisible, et adaptés aux besoins des professionnels du secteur.

En effet, les offres assurantielles devraient être plus attractives et plus incitatives. Le Sénat s’est attaché à lever les freins à la souscription grâce à la minoration de la prime, à la préservation d’un droit de contestation pour les évaluations des pertes et à la révision des surfaces minimales à couvrir dans les contrats.

Le soutien européen est à la fois pérennisé et maximisé. En effet, les taux les plus favorables prévus par le règlement européen Omnibus ont pu être garantis : le taux de franchise a été baissé à 20 % et le taux de participation de l’Union européenne est compris dans un subventionnement fixé à 70 %. Enfin, l’État interviendra dès 30 % de pertes dans les filières les moins assurées.

Ce texte prévoit un réel accompagnement de l’État grâce au soutien financier important de la solidarité nationale qui passera de 300 millions à 600 millions d’euros par an en moyenne.

Enfin, la dernière avancée majeure que je tiens à souligner réside dans la mutualisation des risques et la constitution de ce pool d’assureurs afin de construire et de garantir un produit homogène et universel. Ce pool permettra de proposer une offre plus attractive et mieux adaptée aux risques auxquels les exploitations sont confrontées.

Toutefois, un certain flou demeure quant au coût de cette réforme. Les arbitrages sur le financement ne font pas l’objet de dispositions budgétaires précises. Tout est donc renvoyé au projet de loi de finances pour 2023 et à des dispositions réglementaires qui seront prises ultérieurement.

Néanmoins, il est indéniable que la gestion des risques climatiques ne peut uniquement reposer sur l’attractivité de l’offre assurantielle. D’autres leviers et éléments essentiels doivent être mobilisés : technicité de l’agriculture, recherche et innovation, évolution des pratiques, constitution de stocks, meilleure gestion de l’eau et épargne de précaution.

Ce texte, qui porte aujourd’hui la marque du Sénat, bâtit un cadre législatif équilibré et garantit aux agriculteurs une lisibilité sur l’outil de gestion des risques.

Bien évidemment, le groupe Les Indépendants votera avec enthousiasme en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe Les Républicains se réjouissent de l’accord trouvé entre députés et sénateurs pour réformer l’assurance récolte dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est arrivée à bout de souffle.

Les deux systèmes qui cohabitent actuellement – indemnisation publique en cas de calamité agricole et aide à la souscription d’un contrat d’assurance – laissent sans réponse des pans entiers de notre agriculture. C’est particulièrement vrai pour les grandes cultures, comme la viticulture, qui n’y sont pas éligibles.

Et c’est aussi un système assurantiel subventionné à 65 % par l’État qui reste peu attractif avec seulement, comme l’a souligné à l’instant M. Menonville, 18 % des surfaces agricoles couvertes.

Par ailleurs, la fréquence et l’intensité des aléas climatiques auxquels sont confrontés les agriculteurs menacent l’équilibre financier du dispositif actuel. Nous avons tous en tête le fort épisode de gel du printemps 2021, pour lequel l’État a dû exceptionnellement débloquer 1 milliard d’euros et rendre éligibles aux indemnisations les zones viticoles touchées.

Nous nous réjouissons surtout de voir que les apports du Sénat ont été maintenus dans le texte final. Il s’agira, demain, d’une loi d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

Je veux saluer le travail de la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, et celui de notre rapporteur, Laurent Duplomb, qui sont parvenus à donner corps à l’architecture initiale, parfois imprécise, que proposait le Gouvernement.

Parmi les principaux apports, je voudrais tout d’abord citer la pleine application du règlement dit Omnibus, ce que la France avait jusque-là refusé de faire en sous-transposant le droit européen. Ainsi, tous les contrats d’assurance couvrant au moins 20 % des pertes seront éligibles à une indemnisation de 70 % de la part de l’État.

Je pense ensuite à l’inscription d’un budget annuel de 600 millions d’euros.

Je tiens encore à souligner l’engagement de maintenir, dans la durée, le taux de franchise, le taux de subvention des contrats d’assurance et le seuil d’intervention de l’État par filière. Tout cela devait initialement être défini par voie réglementaire, privant l’ensemble des acteurs de visibilité sur la portée de la réforme.

Je pense aussi à l’incitation à la prévention et à la révision des principaux points bloquant le recours à l’assurance, notamment avec le choix de la moyenne la plus avantageuse pour le calcul des indemnités et la révision des critères de surfaces à couvrir.

Enfin, je relève le pilotage du nouveau dispositif par la commission tripartite, associant État, agriculteurs et assureurs, laquelle consultera toutes les filières agricoles avant la remise de ses recommandations.

Je salue l’engagement de notre rapporteur et de Mme la présidente de la commission des affaires économique, mais aussi le travail des rapporteurs pour avis Patrice Joly et Claude Nougein.

Ainsi, le Sénat a permis de préciser la nouvelle architecture de l’assurance récolte, de la renforcer sur divers aspects et surtout d’obtenir des engagements financiers pluriannuels clairs de la part du Gouvernement.

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera en faveur de l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est maintenant reconnu par tous, le changement climatique est à l’origine de risques de plus en plus nombreux et de plus en plus forts pour nos agriculteurs et nos agricultrices, avec des conséquences économiques trop souvent dramatiques. La gestion de ces risques relève d’une question de souveraineté alimentaire pour notre pays.

Le statu quo sur le sujet étant problématique, une réforme était bienvenue. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné en première lecture, nous nous inscrivons contre la logique même de ce texte, qui privilégie le recours à l’assurance privée pour faire face à ces risques climatiques.

Ce choix d’un désengagement de l’État au profit du secteur assurantiel nous semble à la fois inéquitable et inefficace.

Inefficace, parce que des décisions stratégiques pour notre agriculture, notre alimentation et nos territoires seront confiées à des acteurs privés, avec un encadrement qui nous paraît insuffisant. En témoignent les récentes annonces sur les augmentations de tarifs des contrats MRC.

Inefficace, car très peu d’éléments viennent articuler véritablement l’assurance climatique avec le développement de pratiques agricoles sources de résilience comme la diversification des cultures, l’agroforesterie, les pratiques de préservation de la vie des sols, alors qu’il s’agit de nos premières garanties de prévention des risques.

Cette trop faible incitation à la transition agroécologique se retrouve malheureusement dans bien d’autres politiques publiques, comme le plan stratégique national de la PAC, le plan France 2030 ou les choix budgétaires de soutien à la haute valeur environnementale (HVE) au détriment de l’agriculture biologique.

La présente réforme est fondée sur un système rejeté par l’ensemble des acteurs de l’agroécologie, comme en témoigne la prise de position du collectif Pour une autre PAC contre le financement européen de l’assurance récolte.

Cela n’est pas sans rappeler les politiques de gestion des risques sanitaires liés à la grippe aviaire qui se font, là aussi, contre les acteurs des systèmes agricoles durables, lesquels incarnent pourtant, nous en sommes convaincus, l’avenir de notre agriculture.

En plus d’être inefficace, ce système est inéquitable : les objectifs de couverture assurantielle sont de 30 % seulement en 2030 pour les prairies et l’arboriculture, malgré un grand renfort de financements publics.

Rappelons aussi qu’il n’existe tout simplement pas d’offre disponible pour de nombreux secteurs. Nous sommes donc loin d’un système universel… Ce seront les exploitations les moins en difficulté, celles qui dégagent le plus de trésorerie, qui seront les plus aidées, tandis que les autres ne pourront bénéficier que d’une indemnisation au rabais.

Certes, cette minoration nous est imposée par le droit européen, mais le Gouvernement ou la majorité sénatoriale n’hésitent pas à travailler au changement de la réglementation européenne lorsqu’elle ne les satisfait pas. Ce ne fut pas tout à fait le cas ici…

Ne devons-nous pas agir contre cette disposition qui nous impose de moins bien protéger des secteurs comme l’apiculture, le maraîchage diversifié, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), les prairies ou encore l’arboriculture ?

Des avancées ont certes été concédées pour tenter de limiter le caractère inégalitaire du texte. Le rapporteur, dont nous saluons le travail, a obtenu un engagement sur un déclenchement de la solidarité nationale à 30 % de pertes pour les productions bénéficiant de peu d’offres assurantielles. Nous reconnaissons cette avancée.

Nous nous réjouissons aussi des engagements formulés pour une réforme de la moyenne olympique.

Pour autant, ce texte ouvre clairement la voie à une baisse de la solidarité nationale, dommageable à la fois pour les producteurs et pour le maintien de productions diversifiées sur le territoire.

La proposition d’un fonds mutuel solidaire faite par plusieurs groupes de gauche et par des acteurs syndicaux agricoles n’a pu être véritablement discutée, ce que nous regrettons. Elle permettrait pourtant de créer un système plus équitable, piloté par l’État et les agriculteurs, tout en s’articulant avec un système de financement permettant de mettre à contribution les secteurs de l’amont et de l’aval agricole, qui restent aujourd’hui les plus profitables.

Les difficultés actuelles lors des négociations des prix viennent encore une fois nous le rappeler : les agriculteurs restent les grands perdants de la chaîne de valeur.

Enfin, ce texte présente un recul majeur, à savoir la modulation de la DJA en fonction de la souscription à un contrat d’assurance ou d’un diagnostic établissant une maîtrise des risques. Il aurait pu être pertinent d’inclure des modules sur la gestion des risques dans le parcours à l’installation, mais la mesure proposée complexifie les démarches, ce qui nous semble une grave erreur à l’heure du défi du renouvellement des générations.

Pour toutes ces raisons, et malgré les efforts d’amélioration que j’ai soulignés, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera, comme en première lecture, contre ce texte.

Le rapporteur est tenace ; nous sommes constants. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. Fabien Gay. Attendez d’entendre ce que je vais dire !

M. Laurent Duplomb, rapporteur. J’applaudis l’homme, non ce qu’il va dire ! (Sourires.)

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la question d’une protection des agriculteurs contre les risques climatiques est cruciale, nous pensons que ce projet de loi ne répond pas à cette urgence. Il n’y répond pas, car il s’enferre dans le choix de l’assurance privée, alors que nous savons que ce système assurantiel, promu depuis des années, ne fonctionne pas.

Ainsi, malgré les niveaux croissants de subvention publique de l’État et de l’Union européenne à ces contrats d’assurance ces quinze dernières années, le recours à l’assurance récolte reste minoritaire.

À cet égard, il est important de rappeler que toute nouvelle croissance des soutiens publics à l’assurance privée, qu’elle soit portée par l’État ou par un prélèvement complémentaire sur le second pilier de la PAC, risque de se faire au détriment non seulement des autres objectifs de soutien – je pense aux aides bénéficiant à la fois aux territoires et exploitations les plus fragiles, en zones défavorisées et de montagne –, mais aussi au détriment des mesures favorables à la transition agroécologique des modèles agricoles.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. C’est donc pour cela que vous vous y opposez !

M. Fabien Gay. Ainsi, encore une fois, aucune nouvelle perspective n’est offerte à un secteur économique secoué par la crise, dont la capacité à continuer à produire, à assurer la sécurité alimentaire et à prendre soin des espaces ruraux est pourtant vitale.

Monsieur le ministre, nous avons déjà eu ce débat en première lecture, mais nous continuons de penser que vous allez non seulement priver de nombreux agriculteurs du bénéfice du dispositif des « calamités agricoles », mais aussi pénaliser ceux qui n’auront pas souscrit d’assurance, puisqu’ils seront moins indemnisés par l’État et seulement en cas de pertes exceptionnelles.

De plus, la commission mixte paritaire a entériné l’article 3 ter qui minore l’aide à l’installation pour les agriculteurs qui n’auraient pas souscrit d’assurance, alors même qu’il est urgent – et je pense que nous nous accordons tous sur cet objectif – de faciliter l’installation des jeunes agriculteurs. Il ne s’agit d’ailleurs pas de la seule condition pour promouvoir ce renouvellement des générations.

Vous nous dites que ce système sera universel, qu’il bénéficiera à toutes et à tous, car les assureurs vont se mettre autour d’une table et feront preuve d’un comportement vertueux. On aimerait vous croire, mais l’histoire récente vous contredit, puisque Pacifica et Groupama ont annoncé, en novembre dernier, une hausse de 10 % à 25 % des primes de l’assurance récolte pour 2022 en fonction des cultures assurées. Et Groupama confirme cette tendance, puisqu’elle souligne d’ores et déjà, compte tenu de l’évolution du changement climatique, que la baisse des primes n’est sans doute pas à l’ordre du jour.

De plus, les garanties des productions non assurables, évoquées à l’article 3, feront l’objet d’un traitement à part dans la détermination des seuils d’intervention de l’État. Or nous ne connaissons pas le détail de ces garanties et, de surcroît, elles nous semblent insuffisantes. Le risque est grand que le système que vous proposez revienne à abandonner des pans entiers de l’agriculture française, comme nous l’avions dit en première lecture.

Enfin, nous réitérons notre opposition à la gouvernance que vous proposez pour l’ensemble du secteur, qui tend à accorder beaucoup trop de place aux assureurs, au détriment de la représentation du monde agricole via la Codar.

Il est essentiel de définir un nouveau régime ambitieux capable de répondre aux enjeux et défis de demain : un régime public, solidaire et mutualisé, couvrant de façon universelle toutes les agricultrices et tous les agriculteurs. Au contraire, vous faites le choix de soutenir l’assurance privée et de réduire la part de l’intervention publique directe, raison pour laquelle nous voterons contre les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, pour le groupe Union Centriste.

M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’assurance récolte est aujourd’hui d’actualité, mais il s’agit d’un sujet ancien.

Depuis cinq ou six ans, le changement climatique nous interpellait tous : le monde agricole, bien évidemment, mais aussi les gouvernements successifs qui ne savaient plus comment résoudre les difficultés des agriculteurs privés de récolte.

L’épisode de gel du printemps dernier a permis d’accélérer les choses : nous avons alors tous constaté qu’on ne pouvait plus continuer ainsi. Des engagements fermes ont été pris par le Gouvernement pour lancer l’assurance récolte : les 600 millions d’euros promis par le Président de la République et le ministre de l’agriculture ont permis aux agriculteurs de comprendre que l’État était à leurs côtés et qu’une vraie solidarité nationale s’engageait.

J’ai entendu ceux qui ne veulent pas laisser le secteur privé agir seul, mais ne payons-nous pas tous déjà des assurances privées pour notre voiture, par exemple ? Par ailleurs, les deux derniers assureurs présents sur le marché assurantiel agricole sont des groupes mutualistes : comment ne pas les soutenir ?

Ce projet de loi, comme tout texte, n’est sans doute pas parfait. Je salue la ténacité de Laurent Duplomb et son esprit de paysan, qui est aussi le mien. (Sourires.) Il a ainsi tenu à ce que les chiffres et les objectifs soient gravés dans le marbre et que le dispositif s’inscrive dans la durée.

Grâce à ce travail parlementaire, il me semble que l’État a su apporter la réponse attendue. L’assurance récolte pourra s’appuyer sur un financement à la fois de l’État et de l’Union européenne, mais aussi des assurés et des compagnies d’assurances.

Le régime actuel des calamités agricoles, datant de 1964, était dépassé. Il avait été amélioré avec l’ouverture aux assurances, mais il ne permettait plus de répondre aux aléas climatiques. Ce projet de loi apporte des éléments très concrets et des garanties. Les paliers d’assurance sont fixés très nettement : une première étape dont s’acquittent les compagnies d’assurances, puis le relais de l’État et enfin, le cas échéant, l’intervention des réassureurs.

Le fait d’avoir inscrit les taux de 20 % de pertes et de 70 % de subvention de la prime d’assurance est également une avancée importante.

Le Comité national de gestion des risques agricoles permettra la concertation entre les parties prenantes et facilitera, le cas échéant, l’évolution des systèmes d’assurance. Le Codar y veillera également. Dans chaque département, les agriculteurs pourront trouver un système d’indemnisation satisfaisant.

Ce texte constitue une très grande avancée. Il nous faudra rester vigilants pour que l’assurance récolte soit la plus basse possible et permettre ainsi au plus grand nombre d’agriculteurs de s’assurer. Nous y veillerons.

Les centristes voteront bien évidemment les conclusions de la commission mixte paritaire.

Je souhaite, enfin, monsieur le ministre, rendre hommage au travail que vous avez accompli au service des agriculteurs et de l’agriculture. Je salue votre tempérament, votre ouverture d’esprit et votre attention, qui nous ont permis d’avancer. Vous avez redonné confiance aux agriculteurs dans leur métier. Merci de votre engagement à nos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et RDPI.)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ces éloges seront décomptés du temps de parole du Gouvernement ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à regarder de près le code rural, on attend beaucoup de l’agriculture et de la politique publique qui la soutient : assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, reconquérir la souveraineté alimentaire de la France ou encore concourir à la transition énergétique. J’y ajouterai l’enjeu de vitalité des territoires auquel contribuent aussi les exploitants agricoles.

Tout cela impose de les aider à protéger leur production des aléas climatiques, mais pas seulement. En effet, on ne peut pas demander aux agriculteurs de remplir des missions d’intérêt général sans, en retour, leur garantir la solidarité nationale pour des risques qui les dépassent…

Tout cela n’exclut pas de les responsabiliser à la mise en œuvre d’outils de prévention quand c’est possible, bien entendu. Aussi, je me réjouis de voir émerger une réforme des dispositifs de gestion des risques climatiques en agriculture. C’est un sujet que mon groupe suit de longue date.

Je rappelle que le Sénat avait approuvé, en 2020, la proposition de résolution du groupe du RDSE visant à encourager le développement de l’assurance récolte. Nous sommes face à une urgence. Alors que plus personne ne conteste la récurrence et la violence des intempéries, on constate un taux de couverture assurantielle des exploitations globalement très insuffisant.

Disons-le clairement, le coût des primes d’assurance est un frein. Un effort est donc attendu en direction du soutien aux primes. Le projet de loi vise à apporter une réponse à cet égard. Je citerai, notamment, la prise en compte du taux maximal proposé par le règlement Omnibus afin de subventionner davantage les primes. Nous attendions tous cette évolution que d’autres pays européens ont engagée depuis longtemps. Le seuil de pertes retenu pour le déclenchement de l’indemnisation est fixé à 20 %, ce qui va également dans le bon sens.

Par ailleurs, le cumul des indemnités issues des contrats d’assurance et des indemnisations versées par les pouvoirs publics répond aussi à une attente forte.

Avec le système actuel, il est difficilement acceptable de constater que les agriculteurs non couverts sont mieux indemnisés que des exploitants ayant assuré leur récolte ! Ces deux avancées sont importantes. Je tenais cependant à exprimer quelques regrets.

Tout d’abord, je souhaitais rappeler qu’une majorité du RDSE est favorable à l’assurance récolte obligatoire, comme mon collègue Henri Cabanel l’a souligné en première lecture. Faute d’une mutualisation générale des moyens, et donc d’une couverture obligatoire du risque climatique, de nombreux agriculteurs ne pourront toujours pas s’assurer à un coût raisonnable. Ils seront ainsi en grande difficulté en cas de lourdes pertes de récolte.

Je dirai un mot, également, sur la question de la moyenne olympique, même si le texte a prévu une obligation de réflexion sur l’évolution de son mode de calcul.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, le système dit de la « moyenne olympique » pour indemniser les pertes de récolte a été fixé par l’Union européenne sur la base des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais tout cela date de 1994. Or, depuis, l’accélération du réchauffement climatique rend de plus en plus fréquentes les intempéries et les sécheresses, lesquelles affaiblissent les rendements agricoles et, par ricochet, minorent l’indemnisation des pertes.

Enfin, nous souhaiterions vivement que soit réalisé, d’ici à trois ans, un bilan sur le taux de pénétration de l’assurance récolte afin de pouvoir corriger les faiblesses du nouveau système.

Mes chers collègues, pour finir, la commission mixte paritaire a conservé un équilibre satisfaisant. Le RDSE approuvera ses conclusions, car ses membres sont attachés à la protection du travail, des investissements et surtout des revenus des exploitants, qui constituent la garantie du maintien de notre rang de grande nation agricole. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER, RDPI et UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Bouad, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Denis Bouad. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des cinq dernières années, les agriculteurs gardois, dans leur immense majorité, ont connu au moins trois sinistres. Malheureusement, je sais que beaucoup de mes collègues tirent exactement le même bilan dans leurs départements respectifs.

Ce constat partagé en appelle un autre : face au changement climatique, notre gestion des risques en agriculture n’est plus à la hauteur !

Notre fonctionnement actuel fondé sur une articulation peu lisible entre le régime des calamités agricoles – dont sont exclues certaines cultures – et l’assurance privée ne permet pas, ne permet plus de sécuriser les agriculteurs français.

Aujourd’hui, seulement 18 % de la surface agricole nationale est couverte par une assurance multirisque climatique. Ce simple chiffre illustre l’ampleur du problème auquel nous sommes confrontés.

Les agriculteurs sont des acteurs économiques. Ce sont eux qui nourrissent les Français. Face à un risque de plus en plus présent, nos jeunes agriculteurs ne sont pas encouragés à ouvrir ou à reprendre une exploitation. Tel est le danger !

Alors que 55 % des agriculteurs français ont plus de 50 ans et que notre excédent commercial agricole a tendance à diminuer depuis une quinzaine d’années, la question qui nous est posée est bien celle de notre souveraineté alimentaire.

Monsieur le ministre, une réforme du système de l’assurance agricole était nécessaire et même urgente. Celle-ci est demandée, avec constance, depuis plusieurs années, par les sénateurs socialistes.

Comme nous l’avons exprimé en première lecture, ce projet de loi comprend certaines dispositions qui vont dans le bon sens, mais nous serons vigilants quant à son application concrète.

La création d’un pool d’assureurs permettra de mutualiser le risque et contribuera, de cette manière, à l’équilibre financier du futur système.

L’application maximale du règlement Omnibus avec une franchise abaissée à 20 % et une subvention rehaussée à 70 % est un préalable important pour renforcer l’attractivité des contrats d’assurance.

Monsieur le ministre, lors de nos derniers échanges, en réponse à un amendement de notre groupe, vous vous êtes engagés ici même à avancer sur la moyenne olympique. Il s’agit d’adapter ce référentiel, qui ne correspond plus à la réalité à laquelle sont confrontés nos agriculteurs. C’est là un sujet majeur pour la réussite de cette réforme ; il va de soi que nous serons attentifs aux suites qui seront apportées au traitement de cette question.

Enfin, l’architecture à trois étages doit nous conduire vers un système universel. C’est le cœur de la réforme et c’est un point fondamental pour les sénateurs.

Malheureusement, le législateur n’a pas de visibilité sur l’offre assurantielle qui sera proposée aux agriculteurs. À nos yeux, il est indispensable que celle-ci soit véritablement attractive pour chaque filière. Aucun agriculteur ne doit être laissé de côté. Monsieur le ministre, avec ce projet de loi, vous avez choisi de confier cette responsabilité au prochain exécutif : nous pouvons le regretter…

L’universalité de ce nouveau système dépendra néanmoins de la part de solidarité nationale qui accompagnera le dispositif. C’est dans ce cadre que le travail mené par le Sénat aura permis de renforcer considérablement le texte. Je remercie d’ailleurs notre collègue Laurent Duplomb de nous y avoir pleinement associés.

En inscrivant un budget annuel de 600 millions d’euros et en définissant les seuils d’intervention de l’État à 50 % pour les cultures dites « assurables » et à 30 % pour les autres, nous avons donné du corps à ce qui est désormais un projet de loi d’orientation.

Monsieur le ministre, votre projet de loi sort renforcé du travail parlementaire. Les chiffres sont souvent le nerf de la guerre. Or les chiffres qui ont été inscrits dans le texte issu de la commission mixte paritaire sont de nature à sécuriser les agriculteurs français à l’égard d’une réforme qui dépendra en grande partie de la confiance qu’elle sera en mesure d’inspirer au monde agricole.

Cette confiance doit s’installer dans la durée et se travailler dès à présent. À ce titre, je me permets d’ouvrir une parenthèse pour rappeler qu’il est urgent de répondre efficacement aux attentes suscitées par le plan Gel de 2021. À ce jour, les agriculteurs que j’ai rencontrés sont encore dans le flou.

Enfin, pour en revenir au texte, les améliorations qui ont été apportées permettront de renforcer le poids de l’engagement budgétaire de l’État en faveur de la résilience de notre agriculture, en prévision des prochains projets de loi de finances.

Il s’agit, en quelque sorte, monsieur le ministre, d’un service que nous vous avons rendu à vous et à votre ministère. Il est aujourd’hui indispensable de faire entendre, y compris au ministère des finances, que nos agriculteurs ont besoin de la solidarité nationale.

En ce sens, le travail mené par le Sénat dans le cadre du double examen des lois et de la navette parlementaire aura toute son utilité. Les sénateurs socialistes voteront donc ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma dernière intervention de la quinzième législature portera sur ce texte, qui vient clore le beau chapitre agricole de ce quinquennat. Et quel texte, mes chers collègues ! Le Premier ministre l’a souligné hier lors des questions d’actualité au Gouvernement, y voyant un changement complet de l’assurance récolte attendu « depuis des années ».

Selon un vieil adage, à quelque chose malheur est bon : en effet, le gel historique dramatique de l’année 2021 a contribué à la convergence de tous les acteurs. Le Président de la République et le Gouvernement ont alors pris la décision de mettre les bouchées doubles pour aboutir à une réforme systémique de notre modèle assurantiel.

J’en profite pour saluer également votre action, monsieur le ministre, car vous avez été sur ce dossier un chef d’orchestre volontariste. Vous avez su imprimer un tempo accéléré pour que nos agriculteurs puissent prendre possession de cette réforme dès l’année prochaine. Je pense qu’ils vous en seront reconnaissants.

C’est un projet de loi dont les rouages doivent aussi beaucoup au député Frédéric Descrozaille. Il a été un rapporteur travailleur et passionné, puisqu’il n’a pas compté ses heures pour concilier des positions contraires. Il a su trouver à force d’écoute, mais aussi de détermination, le chemin des compromis salvateurs. Nous saluons ici son travail remarquable.

Nous devons aussi apprécier l’intelligence collective de nos deux assemblées, qui ont su travailler sans arrière-pensée lorsque l’intérêt d’une cause commune était en jeu. Je remercie notre rapporteur, Laurent Duplomb, de son esprit de conciliation et je salue la complémentarité de ses travaux.

Il aurait été tentant, à quelques semaines d’une échéance électorale majeure, de renverser la table par opportunisme politique, mais cela n’a pas été le cas. Chacun a su avancer sans esprit partisan. C’est pour moi un bel exemple d’unité réfléchie entre des adversaires politiques qui se respectent.

In fine, tout le monde peut être satisfait des conclusions de cette commission mixte paritaire, même si, avec le recul, le résultat n’était pas gagné d’avance. Il est vrai que l’article 17 a surpris un peu tout le monde. Il est louable de rassurer nos agriculteurs par des éléments chiffrés leur donnant de la visibilité. C’est l’esprit de cet article.

La convergence nous a donc amenés à écrire noir sur blanc et à inscrire dans le marbre les fondements chiffrés de cette architecture à trois étages. Je fais référence, par exemple, à la mention du budget annuel de 600 millions d’euros. Le texte qui nous est proposé reconnaît aussi l’importance de la concertation avec l’ensemble des parties prenantes, réunies au sein de la Codar. La commission devra ainsi discuter de la maîtrise budgétaire d’une telle réforme.

L’ossature du monument qui est devant nous vient d’être finalisée, mais il reste encore beaucoup de travail. La consultation sera essentielle pour le projet de pool d’assureurs, une ambition nécessaire pour une plus grande transparence dans la constitution des prix, afin de proposer des assurances accessibles au plus grand nombre d’agriculteurs. Faisons confiance aux corps intermédiaires, aux organisations interprofessionnelles, aux assureurs pour continuer à porter cette réforme vitale qui vise à redonner confiance à nos agriculteurs.

Quant à nous, nous nous retrouverons dès l’automne prochain, lors de l’examen de la prochaine loi de finances pour concrétiser dans le dur les engagements financiers de ce gouvernement.

Mes chers collègues, soyons fiers de ce texte fondateur et ne boudons pas notre plaisir. Soyons fiers de ce quinquennat qui a su réparer notre agriculture. Notre groupe votera des deux mains ce texte historique très attendu. Nos agriculteurs comptent désormais sur nous pour les accompagner dans la révolution agroécologique. En attendant, je vous donne rendez-vous au Salon de l’agriculture ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, sur des travées du groupe Les Républicains, et au banc des commissions.)

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

(Le projet de loi est adopté définitivement.) – (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
 

10

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet
Article 1er

Contrôle parental sur internet

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du Gouvernement, des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à encourager l’usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d’accéder à internet (texte de la commission n° 516, rapport n° 515).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Sylviane Noël, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 février dernier, la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale ainsi que la commission des affaires économiques du Sénat sont parvenues à un accord unanime sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet.

Je tiens à remercier vivement M. Bruno Studer de son esprit d’écoute et d’ouverture. Nous avons eu des échanges constructifs et complémentaires, qui nous ont permis d’élaborer un texte commun.

Nous souhaitons toutes et tous une meilleure protection de la présence en ligne de nos enfants et de nos adolescents, dont la vie est de plus en plus virtuelle : c’est cet objectif qui nous a rassemblés.

En tant que rapporteure, je m’étais fixé une feuille de route : je peux me féliciter aujourd’hui de sa tenue, car les apports et les principes posés par le Sénat ont tous été conservés. Nombreux sont les députés qui, mardi dernier, ont salué nos travaux !

Le texte que je vous propose d’adopter aujourd’hui demeure mesuré : il permettra de mieux accompagner les familles, d’encourager l’utilisation du contrôle parental, sans s’immiscer de façon excessive dans la relation intime qui lie les enfants à leurs parents.

Ce texte est aussi adapté aux pratiques numériques de nos enfants et de nos adolescents, en ciblant les principaux appareils connectés utilisés aujourd’hui, qu’ils soient neufs ou reconditionnés, notamment les smartphones, les tablettes, les ordinateurs et les consoles de jeux. Le périmètre défini par l’Assemblée nationale était pertinent.

Ce texte permet surtout de nouvelles avancées pour une meilleure protection de nos enfants et de nos adolescents sur internet.

En commission, nous avions élargi le périmètre des contenus susceptibles de faire l’objet d’un contrôle parental, en retenant la notion « d’épanouissement » des personnes mineures. Un contrôle parental élargi, c’est davantage d’enfants et d’adolescents protégés. Tel est notre objectif principal.

Nous avions également renforcé la protection des données à caractère personnel des mineurs. C’était un oubli du texte qui nous avait été transmis. Le sujet est pourtant central quand nous constatons que nos enfants et nos adolescents naviguent de plus en plus jeunes et de façon de plus en plus autonome sur internet, sans toujours être conscients de ce qu’ils acceptent ou de ce à quoi ils consentent.

Je me félicite que ces deux dispositions importantes pour la protection de l’enfance et de l’adolescence demeurent inchangées.

Ce texte a également été élaboré pour s’appliquer à l’état actuel du marché tout en prenant en compte les évolutions économiques et réglementaires qui doivent être anticipées à l’échelle de l’Union européenne.

Sur ce point, la responsabilisation des fournisseurs de systèmes d’exploitation était une priorité de notre commission. Quand nous parlons de contrôle parental, il ne faut pas oublier qu’il s’agit avant tout d’une fonctionnalité logicielle et non d’un composant électronique assemblé par le fabricant.

Nous avons travaillé à une rédaction commune permettant de prendre en compte la diversité des modèles économiques, notamment le fait que les fabricants sont aussi fournisseurs de systèmes d’exploitation. Nous avons souhaité que les responsabilités de chaque acteur soient bien identifiées, sans privilégier un modèle économique plutôt qu’un autre ; c’était indispensable pour que cette proposition de loi soit pleinement opérationnelle.

En ce qui concerne la commercialisation du matériel sans système d’exploitation, le Sénat a explicitement abordé en séance publique une question qui avait été écartée. Pour répondre aux craintes de certains acteurs – il y a eu beaucoup de fausses informations sur ce sujet –, nous avons travaillé à l’établissement d’une rédaction commune avec l’Assemblée nationale, qui nous permet d’éviter tout effet de bord non désiré : cette commercialisation demeure possible.

Sur la question de la désinstallation, là encore, le Sénat a introduit dans le débat un sujet qui avait été mis de côté. La désinstallation doit être gratuite pour l’utilisateur lorsqu’elle est techniquement possible, ce qui n’est pas toujours le cas.

Nous avons trouvé un équilibre entre les contraintes des acteurs économiques et la nécessité de faire progresser les droits des utilisateurs ; il s’agissait d’une préoccupation également importante pour notre commission.

Sur ces deux points, il était nécessaire de soulever la question. Les précisions apportées par la commission mixte paritaire sont utiles.

Enfin, l’article 3 bis demeure également inchangé. Cet article vise à conditionner l’entrée en vigueur du texte à la réponse de la Commission européenne attestant de sa conformité avec le droit de l’Union. Il y a deux jours, le texte a de nouveau été notifié à la Commission européenne, conformément à notre souhait initial et à l’engagement de M. Studer, que je remercie encore.

Nous appelons désormais le Gouvernement à nous informer des éventuelles remarques que la Commission européenne et les autres États membres formuleront. Cette précaution était essentielle. Elle nous sécurise juridiquement et nous permet de légiférer sereinement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d’abord l’ensemble des sénateurs et députés qui ont permis d’aboutir à ce texte de qualité et d’équilibre.

Je veux reprendre, ici, les mots d’Adrien Taquet à la tribune de l’Assemblée nationale mardi soir : il rappelait que la protection de l’enfance est un continuum dont les activités en ligne ne forment qu’une partie.

Ce n’est certes qu’une partie, mais c’est une partie qui prend une place de plus en plus importante dans le développement de nos enfants, qu’il s’agisse de l’acquisition des savoirs ou de l’apprentissage de la sociabilité.

Évidemment, les parents jouent un rôle central dans ces apprentissages. Grâce à vos travaux, nous pouvons estimer que ceux-ci seront mieux équipés pour accompagner leurs enfants dans leur vie en ligne. Ils devront donc choisir d’activer ou non le contrôle parental lorsqu’ils installent un nouveau terminal pour leurs enfants.

Je suis convaincu que rendre explicite ce choix permettra d’augmenter significativement l’usage de ces systèmes de contrôle parental sur les terminaux utilisés par les mineurs.

Lors de l’appel lancé le 11 novembre dernier, dans le cadre du Forum de Paris pour la Paix, en faveur de la protection de l’enfance en ligne, le Président de la République avait notamment mis l’accent sur l’importance d’un meilleur usage des systèmes de contrôle parental. Cette nouvelle obligation s’inscrit en cohérence totale avec cet appel.

De façon plus générale, le Gouvernement est engagé depuis plusieurs années pour la protection de l’enfance en ligne. Nous en avons fait une de nos priorités d’action. Cette proposition de loi s’insère donc dans une politique plus large de protection de l’enfance des pouvoirs publics dans l’environnement numérique.

Je pense à la lutte conte le cyberharcèlement, qui touche notamment les enfants et les adolescents à une période charnière où ils peuvent être particulièrement vulnérables. Je pense au protocole d’engagement afin de limiter l’exposition des mineurs à la pornographie en ligne, qui a notamment mené à la création du site « jeprotegemonenfant.gouv.fr ».

Je pense à la possibilité pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel, devenu maintenant Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), de demander à la justice de faire fermer les sites pornographiques qui ne vérifieraient pas l’âge des mineurs avec un niveau d’assurance élevé, notamment ceux qui leur demandent seulement de cliquer sur le bouton « J’ai plus de 18 ans ». De nombreuses procédures sont d’ailleurs en cours.

Je pense à la prise en compte des spécificités des utilisateurs mineurs dans les projets de régulation des plateformes au niveau européen. Il s’agit, notamment, du Digital Services Act, dont la France mène actuellement les négociations en trilogue pour la présidence française de l’Union européenne.

Je pense, évidemment, à l’initiative lancée il y a dorénavant deux ans lors du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Bref, le Gouvernement s’est engagé et s’engage avec constance et détermination pour protéger les enfants et les adolescents dans leur vie numérique.

Je rappelle, à ce titre, deux chiffres terribles : près d’un parent sur trois n’a pas connaissance des outils de contrôle parental, alors que trois parents sur quatre adhèrent à l’idée de l’usage d’un tel outil ! Les parents sont donc demandeurs de ces outils. Cette proposition de loi permettra à chaque parent de saisir facilement l’occasion de les activer.

Sur le plan technique, les amendements et améliorations successives votés au cours des différentes lectures de ce texte ont permis d’apporter des éclaircissements utiles et salutaires. Vous avez précisé le rôle des différents acteurs de la chaîne de valeur et de commercialisation, détaillé le contenu du décret prévu par l’article 1er, affiné le champ d’application et explicité certains cas particuliers, notamment la gestion des terminaux reconditionnés et de ceux qui sont vendus sans système d’exploitation. Ces ajouts et ajustements apportent des clarifications utiles et permettent d’aboutir à un texte à la fois équilibré et ambitieux.

Cette proposition de loi permettra d’empêcher les enfants d’accéder à des contenus préjudiciables et assurera un socle minimal de fonctionnalités accessibles sans surcoût. Elles seront présentes sur tous les terminaux pour protéger les utilisateurs mineurs.

Je rappelle, par ailleurs, que l’esprit de cette proposition de loi porte plus loin : elle permettra, je l’espère, aux parents d’engager une discussion positive avec leurs enfants sur les pratiques numériques, ainsi que sur les opportunités et les dangers de leurs usages. Telle était très largement la volonté de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, lorsqu’il a présenté cette proposition de loi. Je veux ici saluer cette initiative et son action.

Il est crucial de mettre à la disposition des parents des outils et des ressources pour répondre aux questions de leurs enfants afin de les accompagner dans leurs usages. Il est nécessaire de trouver un bon équilibre pour permettre aux enfants de faire un usage positif et raisonné des outils numériques. La puissance publique doit créer les conditions de la confiance, de l’« encapacitation » et de l’information des parents pour que ceux-ci puissent jouer leur rôle d’éducateurs éclairés. Nous devons leur proposer des outils pertinents et bienvenus au moment clé qu’est l’accès de l’enfant à son premier smartphone ou à sa première tablette.

Ainsi, en donnant aux parents un outil supplémentaire pour accompagner leurs enfants, cette proposition de loi s’inscrit en complète cohérence avec l’action de ce gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie une nouvelle fois de votre engagement en faveur de la protection de l’enfance en ligne. Je me réjouis de l’esprit dans lequel cette discussion a pu être menée et salue particulièrement le travail de Mme la rapporteure. J’espère que nous pourrons renouveler et poursuivre ce combat pour la protection de l’enfance en ligne. Le Gouvernement soutient, bien évidemment, les conclusions de cette commission mixte paritaire.

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés, ou acceptés, par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet
Article 3 bis

Article 1er

I. – La section 5 du chapitre II du titre Ier du livre II du code des postes et des communications électroniques est complétée par un article L. 34-9-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 34-9-3. – I. – Les équipements terminaux destinés à l’utilisation de services de communication au public en ligne donnant accès à des services et contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs sont équipés d’un dispositif aisément accessible et compréhensible permettant à leurs utilisateurs de restreindre ou de contrôler l’accès de telles personnes à ces services et contenus.

« L’activation du dispositif prévu au premier alinéa du présent I est proposée à l’utilisateur lors de la première mise en service de l’équipement. Les données personnelles des mineurs collectées ou générées lors de l’activation de ce dispositif ne doivent pas, y compris après la majorité des intéressés, être utilisées à des fins commerciales, telles que le marketing direct, le profilage et la publicité ciblée sur le comportement.

« Les fabricants s’assurent, lors de la mise sur le marché de leurs équipements terminaux, que les systèmes d’exploitation installés sur ces équipements intègrent le dispositif prévu au même premier alinéa. L’activation, l’utilisation et, le cas échéant, la désinstallation de ce dispositif sont permises sans surcoût pour l’utilisateur.

« Le cas échéant, le fournisseur du système d’exploitation, lorsque le fabricant lui en fait la demande, s’assure et certifie auprès de ce dernier que le système d’exploitation destiné à être installé sur l’équipement terminal intègre le dispositif prévu audit premier alinéa.

« Les fabricants certifient auprès des importateurs, des distributeurs et des prestataires de services d’exécution des commandes que les équipements terminaux mis sur le marché intègrent le dispositif prévu au même premier alinéa. Dans le cas prévu au quatrième alinéa du présent I, le fabricant transmet à ces mêmes personnes le certificat du fournisseur du système d’exploitation.

« Les importateurs, les distributeurs et les prestataires de services d’exécution des commandes vérifient que les équipements terminaux sont certifiés par les fabricants ou, le cas échéant, par le fournisseur du système d’exploitation dans les conditions prévues au cinquième alinéa du présent I.

« Le dispositif prévu au premier alinéa du présent I ne s’applique pas aux équipements mis sur le marché sans système d’exploitation.

« Les obligations prévues aux troisième et cinquième alinéas du présent I s’appliquent, le cas échéant, au mandataire du fabricant.

« Les personnes qui commercialisent les équipements terminaux mentionnés au premier alinéa du présent I, lorsqu’ils sont d’occasion au sens du troisième alinéa de l’article L. 321-1 du code de commerce, s’assurent que ces équipements intègrent le dispositif prévu au premier alinéa du présent I.

« II. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine :

« 1° Les modalités d’application du I, y compris les fonctionnalités minimales et les caractéristiques techniques du dispositif prévu au premier alinéa du même I, ainsi que les moyens mis en œuvre par le fabricant pour faciliter l’utilisation de ce dispositif ;

« 1° bis Les modalités selon lesquelles les fabricants et, le cas échéant, le fournisseur du système d’exploitation certifient que les systèmes d’exploitation installés sur les équipements terminaux intègrent le dispositif prévu au même premier alinéa ;

« 2° Les conditions dans lesquelles l’autorité compétente peut restreindre ou interdire la mise sur le marché des équipements terminaux mentionnés audit premier alinéa qui présentent un risque ou une non-conformité et celles dans lesquelles l’autorité compétente peut faire procéder au rappel ou au retrait de ces derniers ;

« 3° Les modalités selon lesquelles les fabricants contribuent à la diffusion de l’information disponible en matière de risques liés à l’utilisation de services de communication au public en ligne par les personnes mineures, à l’exposition précoce des enfants aux écrans et aux moyens de prévenir ces risques. »

II. – Le dernier alinéa du I de l’article L. 34-9-3 du code des postes et des communications électroniques est applicable aux équipements terminaux dont la première mise sur le marché est postérieure à la publication du décret en Conseil d’État prévu au même article L. 34-9-3.

Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles les personnes mentionnées au dernier alinéa du I dudit article L. 34-9-3, pour les équipements dont la première mise sur le marché est antérieure à la publication du décret en Conseil d’État prévu au même article L. 34-9-3, informent l’utilisateur de l’existence de dispositifs lui permettant de restreindre ou de contrôler l’accès de personnes mineures à des services et contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs.

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3 bis

La présente loi entre en vigueur à une date fixée par décret qui ne peut être postérieure de plus de trois mois à la date de réception par le Gouvernement de la réponse de la Commission européenne permettant de considérer le dispositif législatif lui ayant été notifié comme conforme au droit de l’Union européenne.

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 3 bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Amel Gacquerre applaudit également.)

M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet de la protection des mineurs sur internet est un véritable enjeu de société. Nos enfants grandissent dans un environnement numérique, sont des utilisateurs naturels et deviennent de plus en plus jeunes des consommateurs intensifs des nouvelles technologies.

Une étude de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), datant de 2020, dresse un constat édifiant et témoigne également de deux grandes tendances : le souhait des mineurs de gagner en autonomie sur internet et la volonté des parents de renforcer leur protection en ligne.

Cette étude fait apparaître que la navigation sur internet sans intervention parentale est généralisée : 82 % des enfants de 10 ans à 14 ans vont régulièrement sur internet sans leurs parents ; ce taux grimpe à 95 % pour les jeunes de 15 ans à 17 ans.

Cette étude fait également apparaître que les jeunes se connectent de plus en plus précocement : la première inscription à un réseau social intervient en moyenne à l’âge de huit ans et demi.

Ils sont ainsi exposés très tôt à une multiplicité de risques : cyberharcèlement, mauvaises rencontres, exploitation des données personnelles, exposition à des contenus haineux, violents, pornographiques. Sur ce dernier point, des études montrent que près d’un tiers des enfants de 12 ans ont déjà été exposés à des contenus de ce type, souvent de manière involontaire en naviguant sur le Net.

Le système de contrôle parental est la solution privilégiée par les parents. Pour autant, selon une étude de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), ils sont 57 % à déclarer ne pas avoir activé d’outil de contrôle parental.

Qui plus est, quand ils installent cet outil, ils ne le font souvent que sur un seul appareil. Or les jeunes utilisent en moyenne quatre écrans différents par jour. C’est dire combien il est nécessaire de mieux protéger nos enfants et nos adolescents sur internet, et de faciliter l’utilisation du dispositif de contrôle parental.

Comme l’a souligné Mme la rapporteure, Sylviane Noël, dont je veux saluer le travail, ce texte est opportun, mais son ambition était initialement limitée.

Si l’installation du contrôle parental sur les équipements semble généralisée, cette situation ne repose que sur la volonté des leaders sur un marché très concentré. Inscrire dans la loi l’obligation d’équiper les outils donnant accès à internet d’un système de contrôle parental aisément accessible et compréhensible, dont l’activation devra être proposée lors de la mise en service de l’appareil, permettra de sécuriser la protection des mineurs.

Je me réjouis que le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire reprenne la majeure partie des apports du Sénat, qui avait eu à cœur de muscler cette proposition de loi.

Premièrement, le Sénat a permis une protection plus efficace des mineurs sur internet.

Deuxièmement, il a renforcé la protection des données personnelles des mineurs collectées lors de l’activation du dispositif de contrôle parental. C’était un aspect complètement absent de la proposition de loi initiale.

Troisièmement, le Sénat a voulu responsabiliser tous les acteurs, qu’il s’agisse des fabricants, des fournisseurs de systèmes d’exploitation ou des distributeurs.

Quatrièmement, nous avons sécurisé juridiquement le texte, qui avait été notifié trop tôt à la Commission européenne. Il devra donc l’être de nouveau.

Cinquièmement, nous avons voulu éviter les effets de bord, notamment pour les ordinateurs commercialisés sans systèmes d’exploitation à des fins professionnelles ou à des particuliers.

Si cette proposition de loi reste en deçà des annonces faites par le Président de la République dans son discours de novembre 2019 à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, elle constitue néanmoins une avancée pour la protection des mineurs sur internet. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera pour le texte issu de l’accord trouvé en commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture traite de la protection des enfants face à des contenus violents, pornographiques et haineux sur internet, ce qui est loin d’être anecdotique. Le texte se trouve à l’intersection de plusieurs sujets d’importance comme le libre accès à internet, la nécessaire protection des enfants, la liberté des choix éducatifs ou encore la protection des données. Son objectif principal est simple : prévoir la présence d’un dispositif de contrôle parental préinstallé sur les terminaux permettant l’accès à internet.

Le fonctionnement du dispositif, ses spécificités techniques, le nécessaire contrôle de l’application de la mesure, la certification, tout cela est renvoyé à un décret en Conseil d’État.

Je me réjouis que la navette ait utilement enrichi ce texte. Elle a permis d’ajouter en première lecture la nécessaire protection des utilisateurs des terminaux pour que leurs données ne soient ni commercialisées ni utilisées à des fins de marketing, ce qui est loin d’être un détail, car nous connaissons l’avidité des Gafam pour ces précieuses données et leur ingéniosité à utiliser tous les moyens possibles pour les collecter.

Je me réjouis également que nos amendements concernant les terminaux vendus sans système d’exploitation, qui avaient été rejetés au Sénat, aient finalement été repris en commission mixte paritaire. Protéger le secteur de la vente des terminaux sans système d’exploitation (OS) est en effet un impératif. Il s’agit certes d’un marché limité, voire d’un marché de niche, mais celui-ci est crucial pour un grand nombre d’utilisateurs très attachés aux libertés individuelles en ligne.

Nous saluons également le fait que le texte consacre la liberté des utilisateurs de désinstaller le logiciel de contrôle parental s’ils n’en ont pas l’usage. Là encore, la mesure n’a rien d’anecdotique, puisque maintenir une couche logicielle inutile sur un smartphone consomme de la mémoire, réduit l’usage qui peut en être fait et, in fine, influence grandement la décision de l’utilisateur de remplacer ce terminal.

L’impact environnemental des pratiques numériques provient majoritairement de la consommation indécente des matières premières, en particulier des terres rares, nécessaires pour fabriquer nos appareils. Tout ce qui permet de prolonger la durée de vie des terminaux est donc une avancée.

Vous l’aurez compris, nous voterons pour cette proposition de loi, pour défendre son objectif initial et ses améliorations successives.

Cependant, on ne peut pas parler de contrôle parental sans évoquer l’éducation au numérique, qui apparaît comme la clé de tout. Nous en avons déjà débattu lors de l’étude de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire. C’est la mère de toutes les batailles dès lors que l’on veut protéger les enfants.

Non, la promesse naïve du progrès numérique sans limites, de l’innovation forcément vertueuse des licornes ne doit pas être le fondement de notre politique éducative. Il est nécessaire de développer l’esprit critique de la jeunesse à l’égard du numérique. En effet, comment utiliser internet, quel contenu éviter, quelle exposition aux écrans autoriser ? Comprendre et déconstruire le fonctionnement des algorithmes, lutter contre la désinformation et le harcèlement, tout cela s’apprend.

Faire entrer non seulement le numérique à l’école, mais aussi le questionnement sur ses usages, ses dangers et ses limites, voilà qui devrait être un objectif partagé par tous. Ce que nous voulons, c’est l’éducation populaire au numérique.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après la proposition de loi pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public, nous abordons un sujet que l’on peut qualifier de complémentaire et qui illustre la place croissante que prennent internet et les outils numériques dans notre quotidien, de manière toujours plus précoce.

Si le contrôle parental n’est pas une solution miracle, il est néanmoins un outil utile pour réduire le risque d’accéder à des contenus inappropriés, voire dangereux, ce qui se produit souvent de manière involontaire pour les plus jeunes. Aujourd’hui, un nombre trop important de parents sont démunis : seulement 45 % des enfants de 6 à 10 ans sont protégés par un outil de contrôle parental, et encore, pas sur l’ensemble des équipements qu’ils utilisent.

Cette proposition de loi qui vise à faciliter l’usage du contrôle parental est donc bienvenue. Elle constitue un élément important dans la politique de prévention des usages non seulement d’internet, mais aussi des écrans, comme cela a été précisé au Sénat.

Nous considérons que le texte issu des travaux de la CMP est équilibré : l’information des parents est confortée ; cet outil de contrôle n’est pas automatiquement activé et doit pouvoir être désactivé ; enfin, la mesure prévoyant la distinction entre les fabricants d’équipements et les fournisseurs de systèmes d’exploitation, que le Sénat a ajoutée, a été conservée afin de permettre la responsabilisation de chaque acteur et actrice.

Certes, il faut aussi rappeler, comme le souligne la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), que « certaines fonctionnalités assez intrusives tendent à transformer le contrôle parental en une forme de surveillance qui comporte certains risques : le risque d’altérer la relation de confiance entre les parents et le mineur […] ; le risque d’entraver le processus d’autonomisation du mineur […] ; le risque d’habituer le mineur à être sous surveillance constante. »

Toutefois, comme nous l’avions dit en première lecture, les enfants ne sont pas des utilisateurs comme les autres. À ce titre, plus ils sont jeunes, plus ils doivent être protégés et informés face à la multiplication de contenus dangereux ou inappropriés. Pornographie, violence, contenus haineux, cybermalveillance, jeux d’argent, la liste des contenus pouvant avoir un effet délétère sur les enfants et les adolescents est toujours plus importante.

Le modèle économique d’internet étant basé sur la rétention de l’attention, la publicité, donc l’audience, conduit à ce que ces contenus soient de plus en plus faciles d’accès et gratuits. De la même manière, les mineurs doivent être protégés d’une exposition trop importante aux écrans, elle-même addictive. Il s’agit non seulement d’une question sociétale majeure, mais aussi d’un enjeu de santé publique.

De plus, le Sénat a insisté sur la nécessité de protéger les données personnelles des mineurs. Ce sujet est central tant les enfants font l’objet d’un ciblage publicitaire et de techniques de marketing féroces.

Certes, la loi ne réglera pas tout ; il est indispensable d’encourager les actions de prévention, notamment en milieu scolaire, et de mettre en œuvre une démarche globale d’accompagnement des usages numériques des enfants, en particulier autour des contenus.

Toutefois, nous pensons que les travaux de nos assemblées ont produit un texte équilibré, permettant un meilleur accompagnement des familles. C’est pourquoi nous voterons en faveur des conclusions de cette CMP et nous saluons le travail de Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi quau banc des commissions – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Amel Gacquerre, pour le groupe Union Centriste.

Mme Amel Gacquerre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la séance du 9 février 2022, le Sénat a voté les apports de notre commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à encourager l’usage du contrôle parental sur internet. L’équilibre trouvé et validé dans le cadre de la commission mixte paritaire reprend les principales avancées du Sénat : nous pouvons nous en féliciter.

J’ai l’honneur de faire partie de cette assemblée depuis seulement quelques semaines. Il s’agit de ma première expérience comme chef de file pour le groupe Union Centriste, et ce sur un texte dont le sujet est majeur, puisqu’il s’agit de la protection des enfants face aux dangers du numérique. L’enjeu dépasse l’esprit partisan et je me réjouis d’avoir assisté à un travail collaboratif et constructif avec les députés et le Gouvernement. Je remercie en particulier notre rapporteure Sylviane Noël d’avoir porté nos réflexions communes.

Les apports du Sénat ont été substantiels. De manière synthétique, j’en citerai quelques-uns, notamment l’interdiction d’utiliser les données personnelles des enfants à des fins commerciales, ce qui est essentiel pour leur protection ; l’intégration de l’amendement de notre collègue Catherine Morin-Desailly visant à prévenir le danger à la surexposition précoce des enfants aux écrans ; la garantie de pouvoir acquérir sur le marché des équipements dits « nus », exempts de systèmes d’exploitation et de contrôle parental, pour répondre à l’inquiétude des professionnels et des particuliers qui font ce choix ; enfin, la responsabilité engagée du revendeur de matériel d’occasion, qui devra s’assurer de la présence d’un logiciel de contrôle parental.

Le contrôle parental sera donc un outil supplémentaire pour protéger nos enfants des dangers de l’internet.

Je souhaite accompagner nos travaux d’une réflexion sur les effets néfastes de l’exposition des tout-petits aux outils connectés. Pour l’illustrer, je citerai la pédiatre Anne-Lise Ducanda, qui nous explique que, « quand un écran s’allume, un enfant s’éteint ». Oui, plus de 5 000 études prouvent que la présence d’objets connectés a des effets délétères sur les tout-petits. Elles démontrent ainsi que le cerveau, lorsqu’il est privé des bonnes stimulations, peine à créer de bonnes connexions cérébrales.

Les appareils à écran dans l’environnement de l’enfant, y compris ceux des parents et de la famille, captent fortement l’attention de celui-ci. Cela bouge, cela fait du bruit et l’enfant est privé de ses besoins vitaux… Éloignés de la vie réelle et des interactions humaines, de plus en plus de jeunes enfants montrent des troubles de l’attention et de l’oralité, et développent des comportements agressifs ainsi qu’un retard cognitif ou de motricité.

Les pédopsychiatres et les infirmières scolaires tirent la sonnette d’alarme depuis des années, tant ils relèvent d’effets néfastes accrus sur les enfants soumis à la violence des images ou des vidéos.

La question de la mise en garde des parents, qui est au fondement de ce texte, est importante, mais quels moyens avons-nous de la mettre en œuvre ? Il nous faut encore réfléchir à des mesures d’accompagnement, tel est notre rôle de législateur.

Comme je le développais dans ma précédente intervention, au-delà des sites déjà existants de sensibilisation des parents, l’accompagnement pédagogique de l’enfant est essentiel. Il est nécessaire de favoriser le dialogue avec les plus jeunes et de développer leur sens critique quant au bon usage d’internet dès un âge précoce. Pour cela, l’école est un lieu opportun.

Je souhaite rappeler brièvement mes deux propositions, celle de réévaluer et de repenser le dispositif du « permis internet », déjà expérimenté en classe de CM2, et de le rendre obligatoire afin de former nos enfants à l’éducation numérique dès le primaire.

Dans la mesure où la loi, une fois votée, s’appliquera dans un cadre ciblé, il sera également nécessaire de sensibiliser et de développer le sens critique de nos enfants à l’égard de nouvelles technologies extrêmement évolutives, tels les robots et l’intelligence artificielle.

À l’issue du vote de ce texte, monsieur le secrétaire d’État, nous devrons continuer de nourrir notre réflexion, notamment sur les conséquences de l’article 2, qui prévoit de nous en remettre à l’Agence nationale des fréquences (ANFR) pour procéder au contrôle du respect par le fabricant et les distributeurs des obligations du dispositif voté. L’agence disposera-t-elle de tous les moyens nécessaires ?

Enfin, la question de la protection des enfants et de la stratégie employée pour cela doit bien évidemment se poser au niveau européen. Du fait de la libre circulation des biens et des personnes, il paraît essentiel d’harmoniser ce type de mesures au niveau de l’Union européenne. Voilà un sujet de plus à traiter dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

Le groupe Union Centriste se félicite toutefois du pas franchi aujourd’hui et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, concilier la neutralité du web et la protection des mineurs face aux dangers de la toile, tel était l’objectif de cette proposition de loi et je me réjouis de l’issue conclusive de la commission mixte paritaire.

Lors de la première lecture, j’avais insisté sur plusieurs éléments : tout d’abord sur la forte présence des 11-14 ans sur internet et sur les multiples possibilités de contourner le contrôle parental – nous ne réglerons pas cela aujourd’hui ; ensuite, sur les dangers réels que les mineurs et les jeunes majeurs encourent avec l’ubérisation de la prostitution, phénomène nouveau, mais qui prend une ampleur considérable, conduisant de jeunes filles exploitées par des proxénètes à vendre leur corps sur les réseaux sociaux.

Cet état de fait, nous le constatons et nous le dénonçons depuis de nombreuses années sur ces travées, sans toutefois trouver de solution miracle pour y remédier et protéger nos adolescents.

En ce qui concerne l’effectivité de cette proposition de loi, je le répète, le droit ne peut pas tout. La lutte contre les différentes dérives d’internet n’est possible qu’avec davantage de moyens accordés à la sensibilisation des parents comme des enfants.

Quant au cœur du texte, nous restons pleinement favorables à l’article 1er, qui prévoit l’obligation pour les fabricants d’installer un système de contrôle parental.

Nous saluons la bonne tenue de cette CMP, qui a permis de conserver en grande partie la rédaction du Sénat, notamment sur l’amélioration des dispositifs de prévention des fabricants à destination des usagers ou sur la protection des données personnelles des mineurs.

Au sujet de l’accessibilité du dispositif, rappelons que c’est la principale condition de sa réussite. La gratuité prévue à l’article 3 est donc bienvenue : toute personne qui souhaitera se saisir du dispositif pourra ainsi en bénéficier.

Finalement, nous aboutissons à un texte équilibré, qui responsabilise aussi bien les fournisseurs des systèmes d’exploitation que les fabricants, tout en garantissant les droits des consommateurs. Il nous reste donc à attendre le verdict de la Commission européenne quant à sa conformité au droit de l’Union européenne et au principe du bon fonctionnement du marché intérieur.

La période que nous connaissons et les élections à venir doivent nous mobiliser dans la lutte contre la propagation des contenus haineux et des fake news, en particulier contre les effets qu’ils peuvent avoir sur les plus jeunes.

Nous sommes conscients que cette proposition de loi ne réglera pas tout, mais elle est un pas supplémentaire pour faire évoluer la situation. Aussi le groupe RDSE approuvera les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie l’auteur de cette proposition de loi sur le contrôle parental de son initiative particulièrement pertinente au regard des évolutions technologiques des terminaux qui sont aujourd’hui à la disposition de nos enfants mineurs et de leurs usages.

Je rappellerai ici deux chiffres : 92 % des 12-17 ans ont un téléphone portable, mais, plus troublant encore, pour 35 % des parents interrogés, il paraît difficile de restreindre le temps d’écran d’un enfant de moins de 14 ans.

Face à ces usages et pratiques de plus en plus précoces, seuls 46 % des parents indiquent avoir mis en place des solutions de suivi de l’activité de leur enfant.

De fait, le contrôle parental est un moyen, même le moyen essentiel, de protéger l’enfant de l’exposition aux contenus violents, aux sites internet non adaptés ou aux adultes mal intentionnés, autant de situations auxquelles les plus jeunes ne sont pas forcément préparés. Si ce contrôle ne doit pas se substituer à la discussion avec les adultes responsables sur les dangers d’un temps d’écran trop long et de la consultation de contenus dérangeants, voire malveillants, il reste nécessaire que des réglages et des logiciels y contribuent.

La présente proposition de loi prévoit que les équipements ou services permettant d’accéder à internet fassent l’objet d’obligations renforcées afin de rendre plus systématique, simple et convivial l’usage par les parents des dispositifs de contrôle. Elle est adaptée aux pratiques numériques de nos enfants et de nos adolescents. Elle cible une grande diversité d’appareils qui permettent d’accéder à internet, qu’il s’agisse des smartphones, des tablettes, des ordinateurs, des consoles de jeux vidéo ou de certains objets connectés, tout en incluant les appareils reconditionnés.

Nos échanges au Sénat ont permis de répondre à plusieurs interrogations. La question de la commercialisation des équipements sans système d’exploitation a été soulevée. Une précision utile, qui a permis de clarifier le sujet, a été apportée et cette commercialisation demeure possible.

Sur la question de la désinstallation du dispositif de contrôle parental, le Sénat, après en avoir là encore explicitement débattu, est parvenu à trouver un équilibre entre les contraintes des acteurs économiques et la nécessité de faire progresser les droits des utilisateurs. La désinstallation doit être gratuite pour l’utilisateur lorsqu’elle est techniquement possible, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment lorsque le contrôle parental est directement intégré dans les paramètres.

Dans le cas où le fabricant est aussi le fournisseur du système d’exploitation, il lui appartient d’intégrer un dispositif de contrôle parental à ses équipements terminaux. En revanche, lorsqu’il sous-traite entièrement cette tâche à un tiers, alors il semble logique que ce tiers soit responsable de l’intégration d’un tel dispositif. Il certifiera alors au fabricant que son système d’exploitation est conforme à la loi, à charge pour ce dernier de communiquer ce certificat aux autres acteurs de la chaîne économique.

Dans son habituelle sagesse, le Sénat a souhaité que les fabricants contribuent à la diffusion de l’information disponible sur les risques liés à l’exposition précoce des enfants aux écrans. La mesure fait reposer une obligation somme toute modérée, mais très utile sur les fabricants, dès lors que celle-ci ne se traduit pas par un marquage de l’ensemble des appareils vendus en France, ce qui ne serait pas conforme au droit de l’Union européenne.

En outre, le Sénat a renforcé la protection des données à caractère personnel des personnes mineures. Le sujet est important, car nos enfants et nos adolescents naviguent de plus en plus jeunes et de façon de plus en plus autonome sur internet, sans toujours être conscients de ce qu’ils acceptent.

Enfin, l’article 3 bis, introduit par le Sénat, conditionne l’entrée en vigueur du texte à la réponse de la Commission européenne attestant sa conformité avec le droit de l’Union européenne. Le texte final sera donc de nouveau notifié à la Commission européenne afin de s’assurer de sa compatibilité avec le bon fonctionnement du marché intérieur.

Par conséquent, au nom de l’intérêt de l’enfant, de sa protection et de celle de l’adulte qu’il deviendra, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se félicitent de l’issue donnée par le Parlement à cette proposition de loi. Ils voteront en faveur des conclusions de cette CMP. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Evrard, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Mme Marie Evrard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quinze jours seulement après l’examen en première lecture, nous nous retrouvons, prêts à apposer notre signature commune en bas de ce texte, bientôt promulgué : c’est peu dire que le Sénat et l’Assemblée nationale ont développé des approches identiques pour offrir la meilleure protection possible à nos enfants et à nos adolescents devant leurs écrans.

Il y a urgence : selon un rapport de 2017 de Santé publique France, les enfants passent en moyenne quatre heures et onze minutes par jour devant les écrans, bien plus que le temps recommandé par les spécialistes du sujet. Ils peuvent donc voir beaucoup de choses !

L’objet de cette proposition de loi est précisément d’empêcher les enfants d’accéder à des contenus « susceptibles de porter atteinte à leur intégrité morale ou physique ».

Les sites pornographiques sont évidemment les premiers visés. Je pense également à l’ultraviolence, ainsi qu’au harcèlement sur les réseaux sociaux et les messageries. La toile multiplie les contenus et interactions directement accessibles aux plus jeunes.

Il ne s’agit pas ici de mettre fin à certains contenus haineux ; cela sera l’objet de défis à venir. À cet égard, les travaux de la députée Laetitia Avia doivent nous inspirer.

La présente proposition de loi peut s’assimiler à une clé transmise aux parents pour interdire, s’ils le souhaitent, certains accès à leurs enfants. Sur ce point, elle apporte des réponses salutaires.

Les modalités d’approche conviennent tant à nos collègues députés qu’au Sénat, dont les apports ont d’ailleurs été nombreux et bénéfiques. J’en profite pour saluer les travaux transpartisans de notre rapporteure, élaborés dans des temps particulièrement contraints.

Comme vous le savez, ce texte impose que soit proposée l’activation d’un contrôle parental lors de la mise en service des terminaux permettant d’accéder à internet. Tous les outils sont ciblés : les téléphones, les tablettes, les ordinateurs, les télévisions connectées, les consoles, mais aussi les appareils d’occasions reconditionnés – une belle avancée obtenue par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Tous les systèmes d’exploitation sont également concernés – Mac OS, iOS, Android, Windows ou Linux.

Les fournisseurs de systèmes d’exploitation sont responsabilisés. Concrètement, un magasin n’aura pas le droit de distribuer un appareil sans proposer cette solution au démarrage. Toutefois, notre rapporteure a apporté une précision utile : les dispositions de cette proposition de loi ne s’appliqueront pas aux ordinateurs vendus sans système d’exploitation. Cela va dans le bon sens, car de nombreuses personnes craignaient que cette loi ne précipite la fin du marché des ordinateurs vendus « nus », sans système d’exploitation, qui sont appréciés des « libristes ».

Il est impossible d’évoquer la régulation du numérique sans évoquer le droit communautaire. Nous devons nous assurer que ce texte est bien compatible avec la législation européenne. Or une telle notification, effectuée après son dépôt à l’Assemblée nationale, pouvait paraître prématurée. Nous saluons donc l’insertion de l’article additionnel visant à notifier de nouveau la proposition de loi à la Commission européenne, gage essentiel de sécurité juridique.

Nous entendons le choix de ne pas retenir l’activation par défaut du contrôle parental, qui aurait restreint par principe l’accès à internet. Quel signal aurions-nous adressé au regard de nos libertés ? La question reste ouverte.

Pour conclure, notre groupe salue l’atterrissage en douceur de cette proposition de loi utile et gage de sécurité pour les parents. Toutefois, comme l’a très bien indiqué Bruno Studer, ce texte « ne remplacera jamais le rôle des parents dans le dialogue et la compréhension à l’égard de leurs enfants. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi quau banc des commissions. Mme Amel Gacquerre et M. Franck Menonville applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous réjouissons de l’accord trouvé sur ce texte lors de la commission mixte paritaire. Celui-ci n’est pas le fruit d’un simple consensus, mais bien d’une conviction commune : protéger nos jeunes face au danger du numérique, tout en leur permettant de continuer à profiter des possibilités que leur offre cette technologie.

Une autre proposition de loi que nous avons examinée aujourd’hui visait à renforcer la cybersécurité des Français en imposant la publication des résultats du diagnostic de sécurité. Nous avons amélioré l’information et la protection de tous nos compatriotes.

Le présent texte s’inscrit dans la même dynamique : il s’agit de préserver les jeunes internautes des contenus pouvant nuire à leur épanouissement. En 2019, une étude démontrait qu’en moyenne les enfants détenaient un smartphone dès l’âge de 10 ans. Compte tenu du développement intensif des technologies numériques, celui-ci devient une porte d’accès facile au vaste espace que constitue internet.

Ainsi, les enfants sont, en moyenne, exposés à des contenus qui ne leur sont pas destinés dès l’âge de 11 ans. À 12 ans, un tiers d’entre eux a déjà accédé à des contenus à caractère pornographique. Or nous savons bien que l’accès précoce et non préparé à la pornographie peut emporter des conséquences très graves sur la vie affective et sexuelle de nos adolescents.

Il existe également d’autres menaces, telles que le cyberharcèlement, de plus en plus répandu chez les mineurs, notamment par le prisme des réseaux sociaux. Près de 20 % des enfants de 8 à 18 ans ont déjà été confrontés à une situation de harcèlement via les réseaux sociaux, où la première inscription se fait en moyenne à l’âge de 8 ans.

Selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en 2021, 82 % des enfants de 10 à 14 ans allaient sur internet sans leurs parents : il ressort de cette utilisation autonome du réseau l’impérieuse nécessité de mieux former les parents.

La présente proposition de loi imposera l’installation d’un contrôle parental dans les équipements permettant d’accéder à internet. Une fois celui-ci activé, les jeunes internautes ne pourront plus consulter des contenus susceptibles de leur porter préjudice. Cette fonctionnalité sera disponible sur tous les appareils, y compris ceux vendus d’occasion. Nous donnons ainsi des moyens aux parents de mieux protéger leurs enfants : à eux de s’en saisir. En effet, il reviendra aux parents d’activer la fonction de contrôle parental sur les dispositifs utilisés par leurs enfants. Sur l’initiative du Sénat, le texte précise en outre que les données personnelles recueillies lors de l’activation de cette fonction ne pourront pas faire l’objet d’une exploitation commerciale.

Ce texte constitue donc une étape supplémentaire visant à faire d’internet un espace civilisé et régulé. D’autres lois, notamment européennes, sont en cours de préparation. Ce travail est indispensable pour garantir la liberté et la sécurité de nos concitoyens dans le cyberespace.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est très attaché à ce qu’internet soit soumis aux mêmes règles que les autres espaces de notre République. Nous voterons donc en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. Permettez-moi de conclure en saluant le travail de Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Il s’agit non seulement du dernier texte examiné par notre commission, mais aussi de l’un des derniers de la session au Sénat.

Je tiens à remercier les sénatrices et les sénateurs pour la qualité de nos débats, ainsi que les rapporteurs des textes que nous avons examinés pour le travail important qu’ils ont accompli.

Je remercie aussi les membres du Gouvernement et leurs équipes : nous n’avons pas toujours été d’accord, mais nous avons toujours cherché à mener un dialogue constructif, dans le sens de l’intérêt général, tout au long de ce quinquennat.

Je salue également les administrateurs des commissions, dont le talent et la patience méritent notre reconnaissance, ainsi que l’ensemble du personnel du Sénat.

Je remercie enfin la présidence, toujours menée avec beaucoup d’efficacité. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La présidence s’associe à vos propos.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet
 

11

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 25 février 2022 :

À neuf heures trente en salle Médicis :

Proposition de loi organique visant à garantir la qualité du débat démocratique et à améliorer les conditions sanitaires d’organisation de l’élection présidentielle dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, présentée par M. Philippe Bonnecarrère (texte de la commission n° 496, 2021-2022) et proposition de loi visant à améliorer les conditions sanitaires d’organisation des élections législatives dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, présentée par M. Philippe Bonnecarrère (texte de la commission n° 497, 2021-2022).

À quatorze heures trente :

Dans l’hémicycle, lecture d’un message du Président de la République en application de l’article 18, alinéa 1, de la Constitution ;

En salle Médicis, suite de la proposition de loi organique visant à garantir la qualité du débat démocratique et à améliorer les conditions sanitaires d’organisation de l’élection présidentielle dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, présentée par M. Philippe Bonnecarrère (texte de la commission n° 496, 2021-2022) et de la proposition de loi visant à améliorer les conditions sanitaires d’organisation des élections législatives dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, présentée par M. Philippe Bonnecarrère (texte de la commission n° 497, 2021-2022).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER