M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà quelques semaines, la commission de la culture et la commission des finances ont adopté conjointement un rapport portant sur le financement de l’audiovisuel public.

M. Bruno Le Maire, ministre. Un excellent rapport ! (Sourires.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Dans ce rapport, Roger Karoutchi et moi-même avons établi un état des lieux tenant en trois points.

Premier constat : la contribution à l’audiovisuel public, qui lie le financement de ce dernier à la possession d’un poste de télévision, est devenue un prélèvement insuffisant, injuste et fragile. De plus en plus de personnes renoncent à posséder un téléviseur et consomment des programmes publics sur d’autres supports. Par ailleurs, la suppression de la funeste taxe d’habitation rend son recouvrement très coûteux. Le remplacement de la CAP, devenu inévitable, devait avoir lieu au cours du précédent quinquennat ; cela n’a malheureusement pas été le cas.

Deuxième constat : on ne peut séparer la question du financement de l’audiovisuel public de celle de son organisation et de ses missions : quels moyens pour quelles missions ? Quelle spécificité pour l’audiovisuel public ?

Traiter de la seule question du remplacement de la CAP sans ouvrir le débat sur la place de la publicité sur le service public illustre une absence de vision et d’ambition pour ce secteur. L’échec de la réforme de l’audiovisuel public conduite en 2020 a fait perdre beaucoup de temps et rend d’autant plus impérative une réforme en la matière.

Troisième constat : face à l’émergence des grandes plateformes et aux puissants groupes de médias privés réunissant télévision et radio, il est urgent de concevoir une stratégie numérique commune pour l’audiovisuel public, ce qui passe par un regroupement des moyens. L’échec de la plateforme Salto et les performances limitées des rapprochements entre France Télévisions et Radio France ont mis en évidence la faiblesse de la stratégie des petits pas.

En inscrivant à la hâte la réforme de la CAP dans ce projet de loi de finances rectificative et en changeant complètement le dispositif à l’Assemblée nationale, le Gouvernement n’a pas tiré toutes les conséquences de ce rapport sénatorial.

M. Jean-Raymond Hugonet. On ne peut aborder la question de la CAP sous le seul angle du pouvoir d’achat, et, si Roger Karoutchi et moi-même avons pris acte de la volonté du Président de la République de supprimer cet impôt à maints égards suranné, nous avons également mis en évidence la nécessité de prévoir des garanties sérieuses concernant le financement de l’audiovisuel public.

L’enjeu est moins, selon nous, de prévenir d’hypothétiques régulations infra-annuelles que de définir de véritables perspectives pluriannuelles au service d’une stratégie.

Je le rappelle, si le précédent quinquennat a été marqué par l’échec de la réforme de l’audiovisuel public et par un déficit de vision, on ne peut que donner acte au Gouvernement d’avoir respecté la trajectoire budgétaire quadriennale, et même au-delà, si l’on tient compte du financement des plans de départs, des travaux de la Maison de la radio et de la musique et des coûts liés à la crise sanitaire.

La question est donc moins de savoir s’il faut financer l’audiovisuel public par des dotations budgétaires ou par une fraction de TVA que de connaître l’ambition du Gouvernement pour les cinq années à venir.

M. David Assouline. Il n’en a pas !

M. Jean-Raymond Hugonet. Quelle sera la trajectoire budgétaire de l’audiovisuel public inscrite dans les prochains contrats d’objectifs et de moyens (COM) ? Est-il vrai que la signature de ceux-ci est repoussée à la fin de 2023 ?

M. Jean-Raymond Hugonet. Pourquoi le Gouvernement a-t-il renoncé à créer une commission indépendante pour évaluer les besoins de l’audiovisuel public, comme le proposait le Sénat ?

Voilà les vraies questions auxquelles nous n’avons pas de réponses.

M. David Assouline. Pourtant, vous allez voter pour ce texte !

M. Jean-Raymond Hugonet. Il en est malheureusement de même concernant les missions et l’organisation de l’audiovisuel public français, qui est le seul en Europe à être éparpillé entre autant d’acteurs aux moyens limités.

M. Bruno Le Maire, ministre. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Raymond Hugonet. Le choix qui a été fait à l’Assemblée nationale de recourir à une fraction de TVA pour financer l’audiovisuel public présente à cet égard un avantage : c’est une solution provisoire.

M. David Assouline. Donc sans intérêt !

M. Jean-Raymond Hugonet. Nous avons ainsi deux ans pour mener à bien le chantier de la réforme de l’audiovisuel public français.

C’est pourquoi, si nous pouvons adopter la réforme de la CAP telle qu’elle a été modifiée par les députés, puisqu’elle assure le financement de l’audiovisuel public, nous devrons conditionner notre soutien aux dispositions du projet de loi de finances pour 2023 relatives à l’audiovisuel public français à la présentation, par le Gouvernement, du calendrier précis d’une réforme globale de l’audiovisuel public, laquelle devra porter à la fois sur le financement, sur les missions, sur l’organisation et sur la stratégie numérique.

Parce qu’il y a urgence, nous devons rechercher ensemble les voies d’un audiovisuel public plus efficace, plus innovant et plus moderne. Nous sommes déterminés à faire aboutir cette réforme d’ici à 2025 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)

M. David Assouline. Vous allez pourtant voter le texte sans avoir cette garantie !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je souhaite répondre à certaines observations. Je serai rapide, car un débat va s’ouvrir sur l’audiovisuel public, dont parlait M. Hugonet, sur le financement des collectivités territoriales, sur le travail ou encore sur la maîtrise des finances publiques. À cet égard, d’ailleurs, je constate l’existence, sur toutes les travées de la Haute Assemblée, d’une véritable préoccupation pour les finances publiques ; tant mieux !

Mme Laurence Rossignol. D’où nos propositions de taxes !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est tout l’intérêt de taxer les superprofits !

M. Bruno Le Maire, ministre. Cela signifie qu’il ne faut pas quitter cet hémicycle avec des dépenses inconsidérées. Je vous propose d’ailleurs que nous nous fixions comme objectif d’en sortir avec un déficit public maintenu à 5 % du PIB, comme Gabriel Attal et moi l’avons prévu.

Je veux néanmoins formuler quelques remarques sur la fameuse taxation des superprofits,…

M. Bruno Le Maire, ministre. … puisque chaque intervenant en a parlé, me semble-t-il, afin de répondre aux arguments venant à l’appui des amendements sur le sujet.

Selon le premier argument entendu, cela rapportera de l’argent. Je suis, pour ma part, très sceptique sur ce point. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Tout d’abord, cela ne rapporterait pas tant que vous le croyez ; on a mentionné 2, 3 ou 4 milliards d’euros, mais, pour obtenir des recettes supplémentaires, encore faut-il que les superprofits soient réalisés en France. Chacun le sait, en effet, l’impôt repose sur un établissement stable ; il faut qu’une entreprise ait un établissement en France pour être taxée. Or les profits dont vous parlez, mesdames, messieurs les sénateurs – ceux des compagnies pétrolières, par exemple –, se font à l’extérieur de la France.

Nous-mêmes serions bien ennuyés si l’État allemand ou l’État américain prétendait taxer les profits réalisés en France par des entreprises basées en Allemagne ou aux États-Unis…

Il y a un principe intangible de la fiscalité internationale, c’est l’établissement stable. C’est d’ailleurs ce qui nous a amenés à soulever le problème de la taxation des entreprises du secteur numérique, car l’énorme difficulté posée par ces sociétés – c’est d’ailleurs plutôt à elles qu’il faudrait s’intéresser –, c’est qu’elles ne disposent pas d’établissement stable en France, leur activité étant immatérielle, sans aucune présence physique.

Ainsi, la taxation de ces superprofits ne susciterait aucune recette fiscale supplémentaire pour le Trésor public français. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Pascal Savoldelli. Ça, il fallait oser…

M. Bruno Le Maire, ministre. On me dit également qu’augmenter les impôts rapporte toujours plus au Trésor public, mais je pense que, avec la baisse de l’impôt sur les sociétés, nous avons démontré le contraire.

Quand on baisse les impôts des entreprises, celles-ci créent plus de richesse, et l’imposition rapporte davantage. Nous avons effectivement diminué l’impôt sur les sociétés. M. Cozic nous a accusés précédemment de ruiner les comptes publics en baissant les impôts, mais c’est faux ! Veuillez m’excuser, monsieur le sénateur, mais les chiffres vous donnent tort !

Nous avons baissé l’impôt sur les sociétés, en le faisant passer de 33,33 % à 25 % en cinq ans, et les recettes de cet impôt sont passées de 50 milliards d’euros à 57 milliards d’euros. C’est bien la preuve que, quand on augmente les impôts, on diminue les recettes, on réduit l’attractivité du pays, on amoindrit la capacité à créer des richesses. Quand, en revanche, on baisse les impôts, on crée plus de prospérité, plus d’emplois et plus de recettes fiscales pour la nation française.

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est pour cette raison que nous avons opté pour cette voie, car, je le répète, l’IS a baissé et ses recettes ont augmenté.

Au fond, cette question recèle toute une philosophie : souhaite-t-on produire plus de richesses, afin de mieux les redistribuer ? Ou veut-on, comme certains ici, taxer systématiquement, « reprendre » et « faire contribuer » (Protestations sur les travées du groupe SER.), sur le fondement de richesses de moins en moins nombreuses, entraînant de moins en moins d’emplois, une explosion du chômage, une diminution des recettes sociales et, in fine, un appauvrissement généralisé du pays ?

On a déjà essayé dans cette voie ; je suggère de continuer dans une autre, celle de la création de richesse, de la prospérité et de la création d’emplois.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. On m’assure par ailleurs que d’autres États européens l’ont fait. Soit, mais, puisque certains ont cité l’Allemagne, sachez que ce pays s’est justement bien gardé d’imposer les superprofits de ses entreprises ! La première économie européenne est précisément celle qui n’est pas tombée dans ce piège.

D’autres me disent que le Royaume-Uni, un pays pourtant libéral, l’a fait ; certes, mais il y a une énorme différence : ce pays produit du pétrole sur son territoire ! Il est donc normal qu’il taxe cette production. La France ne produit pas de pétrole, elle l’importe.

Je rappelle en outre que, malgré les efforts louables de l’actuelle majorité, qui a baissé massivement les impôts – 52 milliards d’euros en en cinq ans –, la France continue d’avoir un taux de prélèvements obligatoires de 47,5 %, quand il s’élève à 43 % en Italie, à 41 % en Allemagne et à 33,5 % au Royaume-Uni.

La seule voie responsable et raisonnable pour notre pays, qui a été accablé de taxes, d’impôts, de prélèvements obligatoires en tous genres,… (Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Bruno Le Maire, ministre. … et où l’on n’a eu à la bouche que la volonté de récupérer des richesses au lieu d’en produire, c’est de baisser les impôts de nos compatriotes et de nos entreprises. Je ne démordrai pas de cette conviction ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.)

Votre ultime argument est de m’opposer que cette taxation serait juste. Tout au contraire, vos amendements ne me semblent pas justes (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.), en ce qu’ils visent à imposer une taxation supplémentaire sur toutes les entreprises de France et de Navarre, quelle que soit leur situation, dès lors qu’elles réalisent des profits.

Une telle mesure serait inquiétante pour les entreprises, pour les chefs d’entreprise, pour tous ceux qui créent des richesses dans notre pays, et, dans le fond, pour nos compatriotes eux-mêmes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ils ont très bien compris de quoi il s’agissait !

M. Bruno Le Maire, ministre. Ils savent parfaitement que commencer par taxer les grandes entreprises, c’est toujours finir par les taxer eux-mêmes. Nous voulons précisément éviter cela.

Vous avez cité de grands auteurs, en me disant : « Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée ». Mais si tel était le cas, alors la France serait de toutes les nations du monde la plus civilisée… Il nous reste pourtant des efforts à accomplir ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

projet de loi de finances rectificative pour 2022

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2022
Avant l’article 1er A

Article liminaire

La prévision de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour 2022 s’établit comme suit :

Cadre potentiel LPFP (En points de produit intérieur brut) *

Exécution pour 2021

Prévision pour 2022

Solde structurel (1)

-4,4

-3,6

Solde conjoncturel (2)

-2,0

-1,3

Mesures ponctuelles et temporaires (3)

-0,1

-0,1

Solde effectif (1 + 2 + 3)

-6,4

-5,0

* Les montants figurant dans le présent tableau sont arrondis au dixième de point le plus proche ; il résulte de lapplication de ce principe que le montant arrondi du solde effectif peut ne pas être égal à la somme des montants entrant dans son calcul.

M. le président. Je mets aux voix l’article liminaire.

(Larticle liminaire est adopté.)

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE Ier

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

Article liminaire
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2022
Article additionnel avant l'article 1er A - Amendement n° 322

Avant l’article 1er A

Avant l’article 1er A
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2022
Article additionnel avant l'article 1er A - Amendement n° 319

M. le président. L’amendement n° 322, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après l’article 209-0 A du code général des impôts, il est inséré un article 209-0… ainsi rédigé :

« Art. 209-0 …. – I. – Pour les sociétés membres d’un groupe mentionné au II et domicilié hors de France, les bénéfices imposables sont déterminés par la part du chiffre d’affaires du groupe réalisée en France dans le total du chiffre d’affaires réalisé en France et hors de France, rapportée aux bénéfices d’ensemble du groupe.

« II. – Le groupe au sens du I comprend les entités juridiques et personnes morales établies ou constituées en France ou hors de France.

« III. – À son initiative ou par désignation de l’administration fiscale, une société membre du groupe mentionné au II est constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par l’ensemble du groupe en France.

« IV. – Pour les sociétés étrangères ayant une activité en France et dont la société-mère est domiciliée à l’étranger, les bénéfices imposables sont déterminés selon les mêmes modalités.

« V. – Pour chaque État ou territoire dans lequel le groupe mentionné au II est implanté ou dispose d’activités, les sociétés mentionnées au I et les sociétés étrangères mentionnées au IV transmettent à l’administration fiscale les informations suivantes :

« 1° Nom des implantations et nature d’activité ;

« 2° Chiffre d’affaires ;

« 3° Bénéfice ou perte avant impôt.

« VI. – En cas de refus de se soumettre à l’obligation fixée au III, les sociétés mentionnées au I et les sociétés étrangères mentionnées au IV font l’objet d’une interdiction d’exercer sur le territoire français.

« VII. – Le I s’applique au groupe mentionné au II dont le chiffre d’affaires total est supérieur à 100 millions d’euros. »

II. – Le présent article entre en vigueur à compter de la promulgation de la présente loi.

III. – Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi n° … de finances pour 2023, le Gouvernement remet au Parlement un rapport identifiant les conventions fiscales bilatérales qu’il convient de renégocier en vue d’éviter la double imposition.

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Cet amendement vise à imposer les multinationales en utilisant la clé de répartition du chiffre d’affaires.

Monsieur le ministre de l’économie, l’accord sur l’imposition des multinationales patine, pour employer un terme respectueux. Il ne devrait pas entrer en vigueur avant 2024… Toujours est-il qu’aucun problème ne sera définitivement résolu à cette date : l’impôt pourra être minoré de façon significative, en prenant en compte la valeur de la masse salariale et des actifs corporels.

Je passe rapidement sur la question du taux : à ce qu’il nous est dit, 15 %, ce serait mieux que rien… Vous avez raison : pour l’instant, nous n’avons rien ! Aura-t-on seulement quelque chose à l’avenir ?

À en croire les estimations de Bercy, nous pouvons espérer quelque 4 milliards d’euros. Voilà qui est peu. Puisque vous avez fait référence à des repères européens, allons-y franchement : la Belgique peut espérer 21 milliards d’euros, l’Allemagne 13 milliards d’euros et l’Irlande 12,5 milliards d’euros. C’est davantage, me direz-vous, que les pays du Sud, qui sont complètement lésés par cet accord : 4 milliards d’euros pour l’Afrique du Sud et 1,5 milliard d’euros pour le Brésil.

L’une des raisons de la faiblesse des recettes espérées tient à la cible de cet accord. Le pilier 1, vous le savez, monsieur le ministre, cible seulement les entreprises qui réalisent 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec des marges de plus de 10 %… Le pilier 2 concerne 7 000 à 8 000 entreprises, réalisant un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros.

On allait voir ce qu’on allait voir ! La France allait récupérer chaque année l’équivalent des bénéfices réalisés par TotalEnergies en un trimestre… La justice fiscale viendra avec cet accord, c’est certain, mais il ne faut pas se mentir : TotalEnergies, pour le dire dans les termes les plus respectueux, ne réalise que 21 % de ses bénéfices en France. Cette part n’est ni délocalisée, ni irrationnelle, ni virtuelle : c’est une réalité.

Puisque vous brandissez le mot « souveraineté », monsieur le ministre, mettez aussi en œuvre une souveraineté populaire et fiscale, prenant en compte la justice sociale.

L’idée de se focaliser sur les bénéfices réalisés au niveau mondial, chacun devant payer une quote-part du chiffre d’affaires réalisé en France, nous semble une excellente idée. Oui, une excellente idée ! Pourquoi, dès lors, ne pas commencer par un plancher de chiffre d’affaires de 100 millions d’euros ? Telle est notre proposition.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Pascal Savoldelli. Il faut sortir du « Taxe-moi si tu peux » pour aller vers le « On te taxe si l’on veut » !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Même si notre collègue considère qu’il s’agit d’une excellente idée, j’émettrai sur cet amendement un avis défavorable. En effet, cette mesure ne répond à aucune véritable logique économique, tout en étant contraire aux conventions fiscales conclues avec nos partenaires.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Il s’agit d’un sujet important. En ce qui concerne le pilier 1 et le pilier 2, le seuil d’entrée dans la taxation digitale, donc à l’IS, est de 750 millions d’euros, et non 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Je partage totalement votre ambition, tout à fait louable, monsieur Savoldelli. Il est indispensable de s’accorder sur un taux minimum pour l’impôt sur les sociétés.

Cela patine, vous avez raison. Je regrette que cela prenne autant de temps. Je souhaite que nous ayons une coopération renforcée, dans un cadre européen, pour contourner l’inacceptable veto que la Hongrie a opposé à la taxation minimale à l’impôt sur les sociétés.

Cependant, cette taxe peut seulement être mise en œuvre par un accord international. Si vous décidez seul d’une taxation minimale à l’IS de vos entreprises déployées à l’international, ce ne sera pas efficace, bien que je regrette le temps que cela exige.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 322.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er A - Amendement n° 322
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2022
Article additionnel avant l'article 1er A - Amendement n° 226 rectifié

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 319, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Il est institué en 2022 une contribution sur les bénéfices exceptionnels réalisés par les redevables de l’impôt sur les sociétés prévue à l’article 205 du code général des impôts qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.

Cette contribution exceptionnelle est égale à :

1° 10 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est inférieur à 100 millions d’euros ;

2° 20 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est compris entre 100 millions d’euros et 1 milliard d’euros ;

3° 30 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est supérieur à 1 milliard d’euros.

II. – La contribution prévue au I est assise sur la fraction du résultat net réalisé au titre de la moyenne des exercices 2020, 2021 et 2022 qui excède la moyenne des résultats nets réalisés au titre des exercices 2017, 2018 et 2019.

III. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, la contribution exceptionnelle est due par la société mère. Cette contribution est assise sur la fraction du résultat net réalisé au titre des exercices 2020, 2021 et 2022 qui excède le résultat d’ensemble et la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D du même code correspondant à la moyenne des résultats des exercices 2017, 2018 et 2019. Ce résultat est déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.

B. – Le chiffre d’affaires mentionné au I du présent article s’entend comme le chiffre d’affaires réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.

C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution exceptionnelle.

D. – La contribution exceptionnelle est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt.

E. – La contribution exceptionnelle est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 du même code pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés.

F. – L’intérêt de retard prévu à l’article 1727 dudit code et la majoration prévue à l’article 1731 du même code est fixé à 1 % du chiffre d’affaires mondial de la société ou de la société mère tel que constaté lors de l’exercice comptable antérieur.

IV. – La contribution exceptionnelle n’est pas admise dans les charges déductibles pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés.

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. S’agissant de la contribution des entreprises en raison de leurs profits, notre groupe considère qu’il faut, au plus vite, lever quatre ambiguïtés, dont vous êtes, monsieur Le Maire, la source.

Premièrement, votre élément de langage, vendredi, après le conseil des ministres, était celui-ci : « Je suis surpris de voir à quel point sont accablées les entreprises françaises qui affichent de bons résultats ». Vous portez un jugement de valeur, qui est à nos yeux infondé. S’il y a une radicalité que, bien souvent, vous appréciez, c’est celle des clivages. Pourtant, sur ce sujet, ils sont creux et vides de sens : tout le monde, dans cet hémicycle, se réjouirait si l’économie repartait… Mais elle n’a pas même atteint son niveau de 2019, monsieur le ministre ! Dites-le !

Notre économie inflationniste débouche sur un système à deux vitesses : des secteurs accroissent leur rentabilité sous couvert de hausse des prix, quand d’autres rognent sur leurs marges pour encaisser cette hausse. Il est indéniable que des entreprises profitent, pendant que d’autres perdent.

Deuxièmement, vous considérez que de bons résultats pour les entreprises françaises sont de bons résultats pour nos compatriotes. Il serait bon que ce soit le cas ! Les salaires ont augmenté de 3,6 % en moyenne sur un an, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), de 2,8 %, en taux médian, selon le cabinet Mercer, pour une inflation, de juillet 2021 à juillet 2022, de 6,1 %.

De fait, vous préférez les accessoires de rémunération aux salaires, comme le rappelle l’examen récent du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. Selon le cabinet Mercer, seulement 18 % des entreprises ont décidé d’accorder une augmentation de la rémunération dans la durée. Voilà pour les faits !

Troisièmement, vous dites que nos entreprises, faisant des bénéfices, doivent évidemment contribuer à l’effort national. Encore faut-il que l’on entende par là la même chose…

Quatrièmement, certaines contributions sont très directes… L’argent en question, croyez-moi, nos compatriotes préfèrent l’avoir dans leur poche plutôt que dans celle de l’État. Or la réforme de l’IS met de l’argent dans la poche de l’État, mais pas dans celle des Français.

Voilà un débat d’idées sur les ambiguïtés, monsieur le ministre, qui sont les vôtres. Nous les avons retrouvées précédemment dans votre discours.

D’autres amendements viendront, défendus par d’autres, dans l’idée qu’il n’est pas possible que, entre le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et le projet de loi de finances rectificative, les dividendes du capital ne contribuent pas du moindre euro.