M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer la tenue de ce débat instauré par la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, adoptée à la fin de l’année dernière.

Cette nouvelle loi organique contribue à la difficile tâche de moderniser le cadre des lois de finances. Certains avaient même envisagé la création d’une loi spécifique relative aux finances locales, sur le modèle de la loi de financement de la sécurité sociale. Nous nous contentons aujourd’hui d’un débat, mais les enjeux politiques des finances locales, conjugués à une technicité de plus en plus complexe, rendent sans doute inévitable à terme la discussion d’un texte budgétaire spécifique.

Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances locales est éclairant, en particulier sur les comparaisons internationales. Les finances locales ne représentent en France que 20 % de la dépense publique, soit un niveau inférieur à la moyenne des pays européens, où les dépenses des collectivités locales représentent plutôt 40 % de la dépense publique.

Certes, les modèles étatiques et les périmètres de compétences sont différents. Néanmoins, ces comparaisons permettent de remettre les choses en perspective : les collectivités se voient toujours reprocher un manque de rigueur budgétaire alors qu’elles sont les seules à présenter chaque année un solde à l’équilibre. Si les collectivités représentent un cinquième de la dépense publique, elles ne contribuent quasiment pas au déficit public.

Au-delà de ces considérations d’ordre général, la situation financière des collectivités est évidemment très diverse. Globalement, voire paradoxalement, les collectivités sont sorties de la crise sanitaire avec des finances plus saines qu’avant la crise, grâce aux économies qui ont été réalisées et aux aides accordées par le Gouvernement. Toutefois, cela cache des situations individuelles très contrastées. Je concentrerai mon propos sur les finances communales et celles des départements.

Le bloc communal a été le plus affecté par les dernières réformes de la fiscalité : suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et bientôt suppression complète de la CVAE. S’il tire encore aujourd’hui les deux tiers de ses ressources de la fiscalité locale, celle-ci tend à être remplacée par le transfert d’impôts nationaux. La question qui se pose aujourd’hui est donc bien entendu celle de l’autonomie financière, alors que la différenciation territoriale devient un enjeu politique majeur.

Cette question concerne aussi les départements. Davantage financés par des impôts nationaux et des dotations, ils font face à une montée en puissance de leurs interventions dans le domaine social. Je pense en particulier aux départements ruraux, qui sont souvent en déprise démographique et appelés à accompagner le vieillissement de la population avec des ressources fiscales propres assez peu dynamiques.

Bien sûr, la solidarité nationale doit jouer grâce aux transferts d’impôts nationaux, mais là aussi se pose la question de la soutenabilité d’un modèle de décentralisation où l’on accepte de différencier, voire de donner à terme un pouvoir réglementaire d’adaptation, mais sans véritable autonomie financière correspondant à l’autonomie de décision.

Face au retour de l’inflation, le Gouvernement a pris en loi de finances rectificative des mesures qui ont aidé les collectivités à faire face, que je salue. Une enveloppe supplémentaire de 430 millions d’euros a ainsi été prévue afin de compenser la hausse des prix de l’énergie et la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires.

Néanmoins, je ne vous apprends pas l’inquiétude des élus pour 2023, madame la ministre. C’est pourquoi ces derniers souhaitent que ce soutien soit pérennisé en loi de finances. Les amendements adoptés en commission à l’Assemblée nationale la semaine dernière semblent confirmer cette pérennisation, ce dont je me réjouis.

Mon groupe soutiendra, dans tous les cas, les mesures visant à donner aux collectivités les moyens correspondant à leurs missions, ces dernières étant indispensables à notre cohésion sociale.

Quoi qu’il en soit, la principale mesure du projet de loi de finances pour 2023 est bien évidemment la suppression en deux ans de la part restante de CVAE. La compensation par le versement d’une fraction de TVA est annoncée « à l’euro près, pérenne et dynamique ». Nous vous prenons au mot, madame la ministre et nous veillerons au respect de cet engagement dans le temps.

En matière de dotations de l’État, le Gouvernement poursuit la politique du précédent quinquennat, marquée par une grande stabilité. La dotation globale de fonctionnement reste comprise entre 26 et 27 milliards d’euros, malgré l’inflation. Les montants des dotations de péréquation comme la DSU et la DSR seront revalorisés dans les mêmes proportions que les années précédentes.

En l’état actuel des débats sur le projet de loi de finances, et dans l’attente de la mise en œuvre de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, il reste difficile d’entrevoir l’architecture financière qui sera finalement retenue pour les collectivités. Des incertitudes demeurent, comme l’illustrent les débats chaotiques sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Au vu du contexte économique et social que connaît notre pays, les collectivités territoriales, comme nos concitoyens, ont besoin de clarté, de prévisibilité et de sérieux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question essentielle est de savoir si, depuis un certain temps, nous respectons la Constitution. Ses articles 72 à 74 décrivent longuement ce qu’est l’autonomie des collectivités.

Vous n’y êtes pour rien, madame la ministre, mais en quoi cette autonomie est-elle respectée quand on supprime progressivement la taxe professionnelle, la taxe d’habitation, la CVAE et que l’on met en place un encadrement d’État, qu’on l’appelle « accords de Cahors », « pacte de confiance » ou autre ?

Il y a beaucoup de pactes, mais une seule réalité : les élus locaux perdent le pouvoir ! Ils perdent la capacité d’agir sur leur territoire, parce qu’ils perdent la capacité de financer leurs projets.

Vous dites que le Gouvernement compense, madame la ministre, mais ce n’est pas la même chose. En recentralisant l’impôt, on fait en sorte que les collectivités dépendent de dotations de l’État, lesquelles sont assez rarement alignées sur l’inflation. Cela revient à dire finalement que la gestion des élus locaux est si peu fiable qu’il faut la recentraliser et qu’il appartient à l’État et à son administration, par définition bien plus doués que les élus locaux, de gérer le tout. Il y a un réel problème !

M. Jérôme Bascher. Exactement !

M. Roger Karoutchi. Je me souviens très bien de Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, annonçant ici même, à la fin de l’année 2012, une remise à plat de l’ensemble de la fiscalité nationale et locale l’année suivante. Nous devions enfin trouver un équilibre… Inutile de dire que la table ronde annoncée n’a jamais eu lieu !

En réalité, quels qu’ils soient, les gouvernements rognent très progressivement, mais constamment depuis vingt ans, le pouvoir des élus locaux.

Les maires, à la fois étranglés financièrement et responsables devant leur population, n’ont plus aujourd’hui la capacité de faire face.

Madame la ministre, il y a encore peu, vous étiez maire de Beauvais et vous savez très bien que, quand on réduit les dotations comme on l’a fait durant le mandat de François Hollande ou quand on supprime la taxe d’habitation sans guère de négociations, on réduit le pouvoir et la capacité d’action des élus locaux. Il y a alors une dégradation du lien entre la population, d’une part, les collectivités locales et leurs élus, d’autre part.

Je prends un autre exemple qui, je l’espère, ne prospérera pas : la commission des finances de l’Assemblée nationale a récemment adopté un amendement visant à fixer un seuil de hausse pour la taxe foncière, l’État étant censé compenser au-delà de ce seuil…

Vous le voyez bien, les collectivités n’auront bientôt plus aucune ressource pour agir ; elles attendront que l’État veuille bien leur donner un minimum pour survivre. Ce n’est pas cela l’autonomie !

La Cour des comptes reconnaît elle-même que l’autonomie des collectivités locales a été remise en cause au fil des années. Je regrette simplement que la Cour n’aille pas plus loin en demandant clairement à l’État de faire cesser cette évolution qui dure depuis vingt ans et qui se traduit par une dépendance de plus en plus grande des collectivités envers l’État et par une place de plus en plus faible des projets locaux, pourtant décidés par les élus et la population.

Cette évolution se poursuit, on l’a vu, alors même que le contexte est complètement fou. Face aux crises sanitaire et énergétique que nous connaissons, tout le monde essaie de trouver des solutions et il est évident que nos collectivités vont trinquer ! Il faut dire les choses clairement : si nous n’instaurons pas un bouclier énergétique pour les collectivités, si nous ne trouvons pas une solution acceptable sur la CVAE, si nous n’apportons pas une réponse à toutes les collectivités – pas seulement à 80 % des communes, madame la ministre ! –, alors les collectivités locales ne pourront plus agir. Pourquoi ne leur permet-on pas d’exister ?

Les élus locaux, qui vont peut-être être amenés à supprimer des services publics faute de capacités financières, sont responsables devant la population – c’est bien elle qui les élit et qui leur demande des comptes. Il faut corriger cette profonde anomalie et redonner aux élus leur pouvoir d’agir.

Pour conclure, je tiens à dire que je soutiens la proposition faite par Éric Berdoati devant l’Association des maires d’Île-de-France : mettre en place, à l’instar du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un projet de loi de financement des collectivités locales. Cela donnerait aux collectivités locales de la visibilité et les placerait peut-être sur un pied d’égalité avec l’État pour négocier leurs moyens financiers et leur autonomie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe RDSE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on dit le Sénat conservateur, mais il est des changements que nous accueillons bien volontiers. Ainsi, l’organisation, en amont de l’examen du projet de loi de finances, d’un débat sur les finances locales est une nouveauté qui a tout pour nous plaire.

La réforme de la loi organique relative aux lois de finances, il y a un an, en a fait un jalon du débat budgétaire. C’est une première. C’est l’occasion pour nous, avant d’entrer dans le dur des discussions, de faire le point sur la situation des collectivités.

Dans le rapport qu’elle a présenté en commission des finances la semaine dernière, la Cour des comptes a posé un diagnostic clair et ouvert des pistes de réformes, dont chacun peut s’emparer.

L’autre particularité de ce débat, c’est qu’il a lieu au début du quinquennat, donc au début d’une nouvelle séquence politique. Nos discussions ne peuvent, à cet égard, faire l’impasse sur le programme du Président de la République qui a été réélu.

Le Président de la République s’est engagé à poursuivre le chemin tracé depuis la crise sanitaire et le plan de relance, en baissant les impôts de production via notamment la suppression de la CVAE. Ce n’est pas spontanément le souhait le plus partagé parmi les élus locaux que nous sommes… Nous aurons tout loisir, durant l’examen du projet de loi de finances, de débattre des modalités techniques et du calendrier de mise en œuvre de cette suppression.

Mais ce débat est l’occasion de prendre un peu de hauteur et de discuter des grandes orientations que nous souhaitons donner à la réforme de la fiscalité locale.

Je rappellerai d’abord pourquoi nous sommes favorables, par principe, à la réduction des impôts de production.

En 2020, avant la baisse de la CVAE, ces impôts représentaient plus de 5,3 % du PIB en France, contre 2,6 % dans l’Union européenne et seulement 0,8 % en Allemagne.

Or ces impôts sont injustes pour les entreprises, parce qu’ils pèsent non pas sur les bénéfices, mais sur les facteurs de production. Ils sont surtout contre-productifs, car ils pénalisent tout particulièrement les entreprises industrielles.

La suppression de ces impôts est donc une bonne nouvelle pour notre industrie et, indirectement, pour nos territoires. Si cela n’affectait pas les finances des collectivités locales, je pense que le Sénat ne pourrait que s’en réjouir. Mais c’est notre rôle de nous assurer que cette suppression sera aussi une bonne nouvelle pour les collectivités.

Or, en l’espèce, je partage certaines des craintes exprimées ici. Le problème est non pas la suppression de cet impôt, mais bien son remplacement et la territorialisation de sa compensation – vous avez évoqué cette question, madame la ministre.

L’affectation d’une fraction de TVA donne certes aux collectivités des ressources fiscales dynamiques, ce qui peut rassurer, mais elle les prive d’un levier de politique économique.

Cette nouvelle dépossession, engagée après la suppression de la taxe d’habitation, contribue à placer davantage les collectivités sous la coupe de l’État. Elle est mal vécue – vous êtes élue locale, vous le savez, madame la ministre –, même si la territorialisation que vous avez annoncée permet de rassurer.

La préservation de l’autonomie financière des collectivités – Roger Karoutchi en a parlé – ne doit pas se faire aux dépens de leur autonomie fiscale, déjà réduite comme peau de chagrin. Je sais, madame la ministre, que Christophe Béchu et vous-même partagez l’objectif de préserver cette autonomie.

Or les collectivités ont montré leur capacité à tenir les comptes : à la fin de 2021, Christine Lavarde l’a mentionné, elles dégageaient un excédent budgétaire de 5 milliards d’euros, certes en raison des circonstances, mais surtout parce qu’elles savent être prudentes.

Depuis cet excédent, la reprise à la sortie de la crise sanitaire et les tensions en Ukraine ont tiré les coûts de fonctionnement à la hausse. Aujourd’hui, les élus locaux font face à des augmentations qui les placent dos au mur.

Dans son rapport, la Cour des comptes propose plusieurs pistes de réforme afin de remettre à plat le financement des collectivités.

L’une de ces pistes consiste à partager la fiscalité nationale. C’est une piste qui a le mérite de garantir aux collectivités des ressources dynamiques, qui suivent le cours de l’inflation.

La Cour propose aussi d’attribuer un type d’impôt par strates de collectivité. Cette piste a le mérite de clarifier les choses, mais elle ne répond pas aux préoccupations des collectivités. L’urgence est non pas de remettre la fiscalité à plat, mais de sauvegarder l’autonomie financière des collectivités, qui doivent garder la maîtrise de leur destin et de leurs politiques, particulièrement lors des crises comme celle de l’énergie que nous traversons.

Madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer à ce sujet ? Il y va de la préservation des services publics de proximité. Nos élus locaux sont inquiets. Ils attendent des engagements forts de la part du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Marc Laménie et Alain Richard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les précédents orateurs ont évoqué beaucoup de chiffres. Pour ma part, je démarrerai mon propos en citant Pablo Neruda :

« Je t’aime,

« Je t’aime d’une manière inexplicable,

« De nature inavouable,

« De façon contradictoire.

« Je t’aime…

« Avec mes états d’âme qui sont nombreux,

« Et mes changements d’humeurs continuels. »

C’est une déclaration d’amour magnifique et ce sont les mots que nous aurions aimé entendre de la part de l’État à l’endroit des collectivités territoriales.

Alors oui, l’histoire entre l’État et les collectivités locales est ancienne. Elle est inscrite dans la Constitution et est marquée par 1983 et les lois de décentralisation. Depuis, les collectivités sont là et font preuve d’efficacité : boucliers de proximité, acteurs essentiels de l’investissement public, de l’emploi et des solidarités.

Le Gouvernement auquel vous appartenez ne cesse de déclarer sa flamme et son soutien aux plus grandes entreprises, en leur accordant des dizaines de milliards d’euros sans contrepartie écologique ou sociale. La situation de Total en est l’illustration ultime et caricaturale. Je vous rappelle que Total et les cinq plus grandes entreprises fossiles réalisent un profit cumulé de 2 600 dollars par seconde.

Madame la ministre, les collectivités territoriales sont des entreprises de service public innovantes, qui méritent soutien, liberté d’action et confiance.

Qui, pendant la pandémie, a organisé les distributions de masques et de colis alimentaires, la désinfection des salles de classe et l’accueil des enfants des professions prioritaires ou encore le suivi des personnes âgées, isolées ou malades ?

Qui a mis en place des centres de vaccination pour répondre aux enjeux de santé publique que le Président de la République annonçait ?

Qui a rétabli le dialogue durant la crise des « gilets jaunes » ? Qui investit dans les transports collectifs, la transition énergétique et écologique afin que tiennent les solidarités locales ?

Les collectivités locales sont un atout puissant et vous les mettez au pain sec, quand le budget de 2021 a offert, aux entreprises du CAC 40, 56 milliards d’euros non conditionnés et largement redistribués en dividendes…

Au nom de quoi l’État, dont les déficits s’aggravent, veut-il contraindre les choix politiques des collectivités dont la gestion est équilibrée ? Elles contribuent à 70 % des investissements publics et par leurs budgets de fonctionnement à la cohésion sociale – le fonctionnement n’est pas un gros mot, c’est l’outil nécessaire des services à la population.

Les collectivités locales sont le laboratoire de politiques publiques innovantes et des transitions pour notre pays.

Les transports propres, les bâtiments économes en énergie, la renaturation des villes, le développement des énergies renouvelables, la protection des forêts, des littoraux et de la biodiversité sont au cœur des dynamiques portées par nos territoires. La diversité de leurs politiques permet des expériences fructueuses.

Si vous leur accordiez la confiance, mais sans le contrat, madame la ministre, vous mesureriez leurs capacités à accompagner les défis de notre société en termes sociaux et écologiques.

Vous mettez en place un bouclier tarifaire pour tous les citoyens, y compris pour les plus riches d’entre eux, et pour les entreprises, mais vous ne prévoyez rien pour permettre aux collectivités de continuer à chauffer les écoles, les collèges, les lycées, les équipements sportifs, les médiathèques, les théâtres, les centres de santé ou encore les crèches. Rien non plus pour les hôpitaux d’ailleurs, autre sujet essentiel !

Laissez les collectivités moduler le versement mobilité pour faire face aux enjeux du transport en commun. Laissez-les taxer davantage Airbnb, les résidences secondaires, les logements vacants, les hôtels de luxe pour faire face à la crise du logement dans les zones touristiques.

La Cour des comptes a fait des propositions à la suite de la saisie de notre excellente commission des finances. Les associations d’élus portent haut et fort une contribution responsable et le Parlement, notre chambre comme l’Assemblée nationale, vous invite à les entendre. Pas seulement à nous écouter, madame la ministre, mais bien à nous entendre.

Entendez-les ! Entendez-nous ! Ne supprimez pas la CVAE, indexez la DGF, taxez ceux qui réalisent des profits exceptionnels dans ce contexte de crise et financez ainsi un bouclier tarifaire pour toutes les institutions publiques. Supprimez les contrats, mais faites confiance à celles et ceux qui, au quotidien, sont au service de nos concitoyens et incarnent le service public de proximité.

Mettez fin au désarmement financier de l’État et des collectivités. Osez la confiance, osez délaisser ce jacobinisme surplombant au profit d’un véritable partenariat avec les collectivités locales, osez la République décentralisée !

Les élus locaux ne veulent pas devenir des sous-préfets anémiés, qui sauraient ce qu’il faut pour leur territoire, mais qui seraient tout juste bons à expliquer à leurs concitoyens qu’ils ne peuvent pas le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission des finances, Claude Raynal, qui a demandé au mois de janvier dernier à la Cour des comptes une enquête sur les finances locales. Les conclusions nous ont été présentées la semaine dernière et elles nous permettent aujourd’hui de prendre un peu de hauteur dans ce débat.

Car, derrière ce débat, nous touchons aux principes les plus structurants de l’organisation de notre République. Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, les collectivités territoriales ont pris une place prépondérante dans cette organisation. Notre Constitution reconnaît désormais la décentralisation comme l’un de ses principes fondateurs et consacre le caractère prioritaire de l’action des collectivités et le principe de subsidiarité.

C’est ainsi que la question du financement des collectivités territoriales devient fondamentale pour l’efficacité de l’action publique et pour l’égalité entre les territoires et entre les citoyens. Au fond, nous ne pouvons pas dissocier la question du financement de celle des compétences.

Le Premier président de la Cour des comptes a rappelé la semaine dernière que le système de financement des collectivités est à bout de souffle, qu’il est illisible et imprévisible, mais aussi que les inégalités se creusent entre certains territoires.

Et ce n’est pas un fait nouveau ! Il y a treize ans, la Cour faisait le bilan des réformes territoriales. L’enchevêtrement des compétences qu’elle relevait alors préfigurait la sédimentation budgétaire que nous constatons aujourd’hui et l’essoufflement du modèle de financement.

L’introduction de la clause de compétence générale a conduit à accélérer ce processus. Les transferts ont été réalisés de façon désordonnée et par à-coups.

La cacophonie budgétaire est souvent la conséquence des hésitations ou des tergiversations du législateur et des changements de doctrine de l’administration.

On finance par prélèvement sur les recettes de l’État l’affectation d’une nouvelle compétence, puis on prévoit une rétrocompensation quelques années plus tard, quand la compétence est affectée ailleurs. À la fin, plus personne ne s’y retrouve !

Il y a treize ans, la Cour des comptes rappelait que la nouvelle phase de décentralisation lancée en 2003 aurait pu être l’occasion d’un nouveau départ. Mais déjà l’échec était flagrant aux yeux de la Cour. Les gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédé ont échoué. Treize ans plus tard, le constat sur les finances locales rejoint celui qui est posé sur les compétences.

Alors, si nous voulons débattre de ce sujet, il nous faut nous mettre d’accord sur le constat. Je me contenterai de rappeler les éléments présentés la semaine dernière par la Cour.

Les collectivités locales ont connu un excédent de 4,7 milliards d’euros à la fin de l’année 2021 en raison d’une dynamique des recettes très supérieure à celle des dépenses. C’est une situation qui contraste très nettement avec celle des autres administrations publiques. Et la crise sanitaire a renforcé cet écart.

En 2021, l’État porte la quasi-totalité du déficit – 89 % –, alors que les collectivités locales sont en excédent. C’est la conséquence d’un fort soutien de l’État tout au long de la crise, mais également des réformes successives de la fiscalité locale, compensées par des ressources pérennes et dynamiques.

Mais ne nous y trompons pas : derrière cette question, nous sommes face à un véritable choix de doctrine, qui devra intervenir dans les années qui viennent. Et les scénarios de la Cour permettent d’en peser les conséquences.

La liberté qui va avec le levier de fiscalité locale s’accompagne nécessairement d’un recul de l’État dans son rôle de garant de la stabilité des ressources des collectivités. Nous devrons donc faire des choix.

Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour des comptes, affirmait déjà : « Considérer qu’il est trois acteurs autonomes, de même niveau, l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales, n’est pas réaliste. En réalité, l’État est le seul maître du jeu. Car, précisément, il fixe les règles du jeu. Les finances publiques sont un tout, et l’État porte la responsabilité pleine et entière de leur évolution. »

Pour nous, parlementaires, élus locaux et citoyens, cela signifie trois choses.

La première, c’est que dans un contexte de contrainte forte sur nos finances publiques, chacun doit prendre sa part au rétablissement des comptes de la Nation. Et toute réforme des finances locales devra prendre en compte ce juste équilibre entre l’État et les collectivités locales dans la réduction du déficit. Élus de nos territoires, nous ne devons jamais oublier la responsabilité collective qui nous incombe s’agissant des finances de la Nation.

La deuxième, et c’est ce qu’affirmait le Premier président, toute réforme d’ampleur devra se faire en concertation avec les élus. Cela nous oblige à laisser de côté nos querelles du moment pour discuter avec responsabilité du juste niveau d’organisation et de l’adéquation des ressources aux besoins.

Là encore, le rapport de 2009 est sans appel sur les échecs du passé. Pour atteindre une véritable péréquation, il aurait fallu accepter de remettre en cause certaines situations acquises, mais cela n’a pas été fait. Et, je cite le Premier président, à l’époque, « l’objectif de péréquation est resté secondaire ».

Dans ce contexte, et tributaire des erreurs du passé, le projet de loi de finances pour 2023 apporte la seule réponse possible sans recourir à une réforme radicale. Je pense à l’annonce par la Première ministre de l’augmentation de la DGF pour compenser les variations à la baisse qu’aurait pu entraîner la péréquation – Mme la ministre vient de nous confirmer cette annonce. Il s’agissait de trouver la solution la plus équilibrée pour compenser les variations annuelles et préserver nos collectivités sans peser trop lourdement sur nos finances publiques.

La troisième enfin, c’est que nous devons accepter de revoir en profondeur le système de péréquation pour mettre fin aux inégalités de destin et rétablir l’égalité entre les territoires. Je cite de nouveau le Premier président dans sa présentation de 2009 : « La République, c’est la solidarité nationale et il ne faudrait pas que la décentralisation devienne l’alibi de son affaiblissement ».

La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. La question qui doit dès lors nous occuper est celle de l’équilibre entre le principe d’autonomie financière consacré dans la Constitution, l’équité, la cohésion entre les territoires et la responsabilité de chacun du point de vue de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)