Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.

1. Procès-verbal

2. Orientation et programmation du ministère de l’intérieur. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Vote sur l’ensemble

M. Jérôme Durain

Mme Éliane Assassi

M. Loïc Hervé

M. Jean Louis Masson

Mme Nathalie Delattre

M. Marc-Philippe Daubresse

M. Alain Marc

M. Guy Benarroche

M. Alain Richard

Adoption, par scrutin public solennel n° 3, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

3. Mise au point au sujet d’un vote

4. Formation des internes en médecine générale et lutte contre les déserts médicaux. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention

Mme Laurence Cohen

Mme Nadia Sollogoub

M. Stéphane Ravier

Mme Véronique Guillotin

Mme Catherine Deroche

M. Daniel Chasseing

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Abdallah Hassani

M. Bernard Jomier

M. Alain Milon

Mme Anne Ventalon

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Fabien Genet

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Pierre Ouzoulias

M. Bruno Rojouan

M. Jean-Luc Fichet

M. Stéphane Sautarel

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Élisabeth Doineau

M. Emmanuel Capus

Mme Sonia de La Provôté

M. Bruno Belin

M. Patrice Joly

Mme Victoire Jasmin

Amendement n° 9 rectifié de M. Bernard Jomier. – Rejet.

Amendements identiques nos 3 rectifié quinquies de Mme Frédérique Gerbaud et 8 rectifié quater de M. Daniel Chasseing. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 13 rectifié de M. René-Paul Savary. – Adoption.

Amendement n° 14 rectifié sexies de Mme Nadine Bellurot. – Retrait.

Adoption, par scrutin public n° 4, de l’article modifié.

Après l’article unique

Amendement n° 12 rectifié de M. Jean Sol. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

M. Alain Houpert

M. Hervé Maurey

Mme Nathalie Goulet

M. Alain Milon

M. Daniel Chasseing

M. Daniel Breuiller

Adoption, par scrutin public n° 5, de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Mme Corinne Imbert, rapporteure

Suspension et reprise de la séance

5. Mises au point au sujet de votes

6. Finances locales. – Débat organisé à la demande de la commission des finances

M. Vincent Éblé, vice-président de la commission des finances

Mme Christine Lavarde, vice-président de la commission des finances

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales

M. Hervé Maurey

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Claude Requier

M. Roger Karoutchi

M. Emmanuel Capus

M. Daniel Breuiller

M. Didier Rambaud

Mme Isabelle Briquet

M. Pascal Savoldelli

M. Jean-Michel Arnaud

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Thierry Cozic

M. Charles Guené

Conclusion du débat

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée

Mme Christine Lavarde, vice-président de la commission des finances

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

7. Modification de l’ordre du jour

8. Intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Organisation des travaux

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi

Mme Cécile Cukierman, rapporteure de la commission des lois

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Yves Roux

M. Arnaud Bazin

M. Emmanuel Capus

M. Guy Benarroche

Mme Nicole Duranton

M. Jean-Pierre Sueur

M. Éric Bocquet

Mme Nathalie Goulet

M. Jérôme Bascher

M. Mickaël Vallet

M. Stéphane Sautarel

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Laurence Muller-Bronn

Amendement n° 19 de Mme Nicole Duranton. – Rejet.

Amendement n° 27 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.

Amendement n° 1 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.

Amendement n° 24 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.

Amendement n° 45 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.

Amendement n° 44 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Retrait.

Amendement n° 3 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Retrait.

Amendement n° 20 de Mme Nicole Duranton. – Rejet.

Amendements identiques nos 29 de M. Vincent Segouin et 30 rectifié de M. Gérard Longuet. – Non soutenus.

Amendement n° 4 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Retrait.

Amendement n° 5 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Retrait.

Amendement n° 6 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Retrait.

Amendement n° 21 de Mme Nicole Duranton. – Rejet.

Amendement n° 7 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Retrait.

Amendement n° 8 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Rejet.

Amendement n° 16 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Amendement n° 28 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Après l’article 1er

Amendement n° 26 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.

Article 2 – Adoption.

Article 3

Mme Éliane Assassi

M. Marc Laménie

Amendement n° 32 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 4

Amendement n° 33 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 5

Amendement n° 43 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 17 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 5

Amendement n° 11 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Article 6

Mme Laurence Muller-Bronn

Amendement n° 35 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 7

M. Mickaël Vallet

M. Stanislas Guerini, ministre

M. Emmanuel Capus

Adoption de l’article.

Article 8

Amendement n° 34 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 18 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 9 – Adoption.

Article 10

M. Arnaud Bazin

Amendement n° 36 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 11

Amendement n° 22 de Mme Nicole Duranton. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 12

Amendement n° 37 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 25 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 13

Amendement n° 38 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 31 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 14

Amendement n° 39 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 15

Amendements identiques nos 9 rectifié de Mme Nathalie Goulet et 46 rectifié bis de Mme Éliane Assassi. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 40 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article 16

Amendement n° 41 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 17 – Adoption.

Article 18

Amendement n° 23 de Mme Nicole Duranton. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 19

Amendement n° 42 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

Mme Nicole Duranton

Mme Nathalie Goulet

M. Arnaud Bazin

Adoption, par scrutin public n° 6, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Françoise Férat,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article 16 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Orientation et programmation du ministère de l’intérieur

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (projet n° 876 [2021-2022], texte de la commission n° 20, rapport n° 19, avis n° 9).

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer en préambule le travail des deux rapporteurs. S’il nous arrive encore fréquemment de constater des désaccords, ceux-ci sont toujours exprimés avec une cordialité certaine.

Le constat vaut également pour M. le ministre. S’il nous arrive encore plus fréquemment de constater des désaccords entre lui et le groupe socialiste (M. le ministre sourit.), nous sommes sensibles au fait qu’un ministre prenne le temps de nous répondre, même si nous préférerions, bien entendu, qu’il émette un avis favorable sur nos amendements.

Je commencerai par évoquer les éléments dont nous regrettons l’absence dans le projet de loi.

Plusieurs membres de notre groupe ont déploré de ne pas trouver suffisamment de contenu dédié aux préfectures et à la présence de l’État sur le terrain en dehors de la sécurité. Alors que votre gouvernement communique sur la réouverture bienvenue de sous-préfectures, nous aurions pu attendre plus d’ambition de la part du ministère de l’intérieur sur l’incarnation de l’État au quotidien.

Il y a une autre grande absente, ou une quasi-absente de ce projet de loi : la réforme de la police judiciaire. Les mentions qui en sont faites dans le rapport annexé sont succinctes. Et même si nous en avons débattu avec passion mardi dernier dans cet hémicycle, nous savons tous que le destin de cette réforme ne se joue pas ici.

La balle est donc dans votre camp, monsieur le ministre, pour réconcilier votre ministère avec ses propres troupes, ainsi qu’avec les représentants du monde judiciaire, qui redoutent une atteinte à la séparation des pouvoirs.

Nous savons tous que vous revendiquez une certaine fibre sociale. Je pense toutefois que vous ne devriez pas la cultiver au point d’ajouter des manifestations de policiers aux manifestations de salariés ! (Sourires sur les travées du groupe SER.) Pour faire entrer la police judiciaire dans les commissariats, c’est comme pour faire cesser les blocages dans les dépôts : il faudra négocier.

Puisque j’ai évoqué rapidement le monde de la justice, je crois qu’à droite comme à gauche, nous regrettons de ne pas parvenir à aborder les questions de sécurité et de justice dans un même élan. Nous faisons tous un lien entre les problèmes de sécurité et la réponse pénale, et nous constatons les occasionnelles tensions entre magistrats et policiers. Il nous manque la stéréophonie chère au rapporteur Marc-Philippe Daubresse. Ce regret concerne d’ailleurs tout autant le Parlement que l’exécutif.

Nous regrettons également l’absence de mention du continuum de sécurité. Ce silence sur la coopération entre les collectivités et l’État central est étonnant, alors que la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés semblait en faire un tout indépassable.

Nous craignons qu’un tel silence ne soit la traduction de faiblesses dont nous avions fait état à l’époque : le continuum de sécurité peut en effet rapidement ressembler à un marché de dupes. Si une mairie ne consacre pas suffisamment vite des moyens à la sécurité, que ce soit en raison d’un contexte budgétaire ou d’une croissance démographique locale exigeante, elle pourra être pointée du doigt ; c’est arrivé récemment. Si elle le fait, elle prendra la lumière médiatique, donc les coups, en lieu et place du Gouvernement, et on lui en demandera toujours plus.

Nous considérons pour notre part que la sécurité doit rester d’abord la prérogative de l’État central.

Mais j’ai assez parlé de ce qui n’est pas dans le texte ! Le vote de notre groupe repose bien évidemment sur les trois aspects principaux du projet de loi.

Il y a une certaine cohérence dans le rapport annexé. On voit la filiation avec le livre blanc de la sécurité intérieure et le Beauvau de la sécurité. La place octroyée au numérique, même si nous comprenons les inquiétudes de certains agents échaudés par les échecs récents, nous semble légitime.

Nous vous remercions d’avoir bien voulu prendre en considération plusieurs améliorations proposées par notre groupe au travers des amendements de mes collègues Laurence Harribey, Gisèle Jourda ou Patrick Kanner. Ainsi en va-t-il de l’accessibilité des locaux et des démarches dématérialisées pour les personnes en situation de handicap et de la meilleure projection des moyens de sécurité civile sur tout le territoire. Les modifications apportées au texte qui permettront de s’assurer de l’objectivité du choix d’implantation des 200 brigades de gendarmerie annoncées ou encore d’étudier la création d’une seconde base pour les Canadairs constituent de bonnes nouvelles.

J’en viens au volet budgétaire. Le groupe socialiste se félicite des moyens accordés au ministère de l’intérieur. Nous en profitons pour exprimer de nouveau un soutien sans réserve à nos forces de l’ordre – police, gendarmerie, police municipale –, qui ne comptent bien souvent ni leurs heures ni leurs efforts pour assurer la tranquillité de nos concitoyens partout sur notre territoire.

La plupart des candidats à l’élection présidentielle, de gauche comme de droite, s’étaient engagés à accorder plus de moyens à la lutte contre l’insécurité. Les 15 milliards d’euros annoncés dans ce texte constituent donc une bonne nouvelle que nous approuvons sans réserve, même si nous serons vigilants sur l’application de cette loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), budget après budget, dans le contexte économique incertain qui est le nôtre.

Pour finir, les articles normatifs ont peu évolué après l’examen dans l’hémicycle, malgré l’apport bienvenu des amendements de mes collègues Rémi Cardon ou Catherine Conconne.

Le dépôt de plainte par visioconférence me semble mieux encadré, le projet de réseau Radio du futur (RRF) sera sans doute mieux assuré sans ordonnance, tout comme l’adaptation aux collectivités ultramarines. Nous approuvons l’alignement sur le régime des autres personnes dépositaires de l’autorité publique des peines encourues pour les agressions sur les élus.

Nous déplorons le rejet des propositions de mes collègues Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie visant à mieux lutter contre les violences intrafamiliales et conjugales.

Sur les refus d’obtempérer, il est dommage de ne pas être allé plus loin dans la discussion de l’amendement socialiste qui visait à revenir au dispositif gouvernemental initial de 2016.

Bien entendu, nous ne soutenons pas l’extension des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), même si les limites fixées par les rapporteurs sont bienvenues. Nous n’approuvons pas davantage les nouvelles modalités d’accès à l’examen d’officier de police judiciaire (OPJ) ou le nouvel article qui vise les violences dites « gratuites ».

Je ne trahirai pas de secret en disant que nous nous sommes arraché les cheveux sur la loi anticasseurs et que nous avions des oppositions très profondes sur la loi Sécurité globale. Tout ne nous plaît pas, et c’est un euphémisme, dans cette Lopmi.

Nous avons donc, en raison de ces désaccords, envisagé l’abstention. Mais notre groupe a choisi de prendre ses responsabilités. La demande de sécurité exprimée par nos concitoyens et relayée partout par les élus locaux nous a convaincus de voter en faveur de ce texte et des moyens supplémentaires qui sont alloués à nos forces de l’ordre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, être policier, c’est être au centre de la vie en société, « au centre des choses », comme l’écrivait Albert Camus dans Les Justes.

Un policier doit être en contact permanent avec la population. Il doit être le garant de la confiance que doivent inspirer les pouvoirs publics au citoyen. Il s’agit d’un lien de confiance que permet une police de proximité. C’est une conception de la police qui est défendue par le groupe CRCE, mais qui ne l’est pas dans ce projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

En effet, la Lopmi traduit, à l’issue de cette première lecture, une conception des métiers de la sécurité intérieure qui est toujours bien éloignée de la nôtre, et ce malgré l’exercice de notre droit d’amendement.

Au cours de nos débats, nous avons été cohérents par rapport à nos interventions passées sur la loi Sécurité globale. Nous le répétons, une autre voie est possible : une police qui ouvre des vocations, éveille les jeunes, donne envie de s’engager. Non pas une police trop souvent coupée du citoyen, mais une police de proximité, exemplaire et digne, comme nous le soulignions déjà dans notre proposition de loi du 11 septembre 2017 visant à réhabiliter la police de proximité, qui privilégiait cette vision de la sécurité et reposait sur le triptyque prévention, dissuasion, répression.

Aujourd’hui, la Lopmi met à distance les victimes. Le numérique est en réalité un faux ami, vecteur de simplification. La modernité et l’efficacité ne doivent pas être synonymes d’éloignement. Un tel projet de loi ne peut qu’accentuer le fossé entre police et victime : le temps passé sur la voie publique dans des actions de sanction ou de répression sera la règle, et le temps au commissariat ou à la brigade l’exception.

Aussi, je tiens à souligner que la modification de la procédure pénale et du droit pénal, induite en particulier par une telle distanciation, relève de la compétence propre du ministère de la justice et qu’elle n’aurait pas dû avoir sa place dans une loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Vous l’avez reconnu vous-même lorsque vous avez écarté des amendements en reprochant aux parlementaires d’empiéter sur ce périmètre de compétence. Pourtant, vous n’avez pas su être critique envers votre texte, puisque vous avez persisté dans votre défense de la simplification de la procédure pénale.

Or celle-ci doit continuer à préserver un équilibre entre l’objectif de recherche, la poursuite des infractions et la garantie de la liberté et des droits des citoyens. Une simplification de la procédure pénale ne permet aucunement une amélioration de la qualité des enquêtes.

Face à cela, nous avons défendu que la procédure pénale était une garantie indispensable en matière de libertés et de droits fondamentaux pour tous les justiciables, qu’il n’aurait pas fallu simplifier.

De plus, en matière de droit pénal, nous avons mis en relief que l’amende forfaitaire délictuelle représentait un risque d’arbitraire et de disparités de traitement contraires au principe d’égalité devant la justice. Nous dénonçons donc le maintien d’une amende forfaitaire faisant fi du principe d’opportunité de la peine. Nous rappelons qu’il s’agit d’une procédure de masse, systématisée, qui ne fonctionne déjà pas en termes de régularisation des délits.

Nous regrettons également que la question de la formation approfondie des policiers et gendarmes à la procédure pénale n’ait pas été élevée au rang de priorité par ce texte.

En effet, la suppression des trois ans d’ancienneté requis pour passer le concours d’OPJ est un abaissement des exigences en termes de recrutement qui n’est pas souhaitable. La responsabilité nécessite la formation, l’expérience et le recul. Une prise de poste immédiate à la sortie de l’école ne permet pas de satisfaire de telles exigences, bien que cela soit le cas à la sortie d’autres écoles de la fonction publique, comme l’École nationale de la magistrature (ENM).

De même qu’il est difficile d’être jugé par un juge de 25 ans, il sera de même difficile pour un prévenu d’être perquisitionné par un OPJ novice ou pour des policiers d’être encadré par un OPJ sans expérience.

Ce texte est un projet de loi de chiffres, d’effectifs, qui ne se penche pas sur l’humain, sur le rapport entre citoyens et police, les citoyens et le service public. La modernisation du ministère de l’intérieur se paie au prix de la déshumanisation de la police : c’est une rupture.

Le ministère impose sa vision. Il ne prend pas en compte, par exemple, l’impopularité de la police dans les quartiers populaires et les difficultés structurelles de la police. Vous devez accepter, monsieur le ministre, le constat de cette défiance d’une partie de notre jeunesse à l’égard d’une police qui met la pression sans s’atteler, avec d’autres services publics, à resserrer les liens distendus.

C’est une évidence : le tout-répressif ne fonctionne pas et n’a jamais porté ses fruits, bien au contraire ! Il faut donc repenser l’action de notre police, mais aussi de la justice.

Dans le domaine du maintien de l’ordre, ce projet de Lopmi consacre également une police de la répression contre ce qui est dénommé dans le rapport annexé la « subversion ».

Nous défendons une doctrine selon laquelle les dispositifs de maintien de l’ordre doivent reposer le plus souvent possible sur la négociation, le dialogue et la pédagogie, doctrine que nous défendions déjà dans notre proposition de loi du 22 janvier 2019 visant à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre, et à modifier la doctrine dans ce domaine.

Il faut enfin tirer les leçons des méthodes d’encadrement des manifestations, depuis celles contre la loi El Khomri jusqu’aux manifestations de « gilets jaunes » et aux mouvements lycéens, par exemple.

Il y a aujourd’hui urgence à tirer les leçons de l’escalade de la violence et de l’usage disproportionné de la force publique par les autorités. Un travail d’ampleur doit être engagé pour mettre en œuvre des stratégies de désescalade efficaces. Celui-ci doit commencer par une étude sérieuse, complète, détaillée et documentée des avantages et des inconvénients de chaque type de doctrine.

Le groupe CRCE refuse de stigmatiser les forces de l’ordre ; je l’ai dit à plusieurs occasions. Et c’est justement parce que nous sommes soucieux des conditions de travail de nos policiers et gendarmes, mais également du sens des professions de la sécurité publique, que nous voterons contre ce texte. Votre projet de Lopmi est contraire non seulement à l’objectif de rapprochement de la police avec les citoyens, mais également à l’idée que nous nous faisons du métier de policier.

Notre peuple exprime souvent une grande inquiétude face aux questions de sécurité. Nous ne pensons pas, contrairement à vous, que la fuite en avant sécuritaire réponde à ces préoccupations. Les chiffres, monsieur le ministre, sont là pour le prouver.

C’est dans le cadre d’un projet de société mettant le service public au cœur de l’épanouissement collectif que nous concevons une action de la police renouvelée, restaurée, efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte portant loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur va franchir une nouvelle étape cet après-midi devant le Sénat.

Et si ce projet de loi a été significativement réduit entre le premier dépôt et le deuxième, la discussion parlementaire, qui – une fois n’est pas coutume – a débuté au Sénat, aura permis des échanges qualitatifs dont la Haute Assemblée a le secret et, désormais, l’exclusivité.

Cette ambiance tient au temps que vous avez consacré personnellement, monsieur le ministre, à répondre à chacun de nos collègues lors de la présentation des amendements ; nous l’avons constaté au cours des trois jours de débat.

Le texte a connu des évolutions significatives au stade tant de l’examen en commission que de la séance publique. Les propositions d’améliorations sont venues de toutes les travées de l’hémicycle. Un certain nombre d’entre elles ont été retenues.

Ainsi, à l’article 1er, l’économie générale du rapport annexé a été non pas bouleversée, mais plutôt confortée.

Le rapport a été amendé ponctuellement pour être enrichi par les travaux de la Haute Assemblée et par la connaissance empirique des sénateurs dans leurs départements. Je pense aux 200 nouvelles brigades de gendarmerie – cela vient d’être évoqué –, aux modalités de leur construction et au rôle que les collectivités territoriales vont jouer, aux côtés de l’État, pour faire de ces brigades une réalité. Je pense également à l’amendement de notre collègue Dominique Vérien sur les maisons de la confiance dans chaque département.

Le champ de la cybersécurité a été longuement évoqué dans nos échanges, et c’est bien évidemment nécessaire tant les attaques numériques et les demandes de rançons sont entrées dans la vie de nos entreprises. Contraindre à un dépôt de plainte dans un délai rapide, c’est permettre à nos cyberpoliciers et cybergendarmes d’intervenir au plus vite.

En plus de la modernisation numérique de votre ministère, qui représente la moitié de l’effort prévu dans la Lopmi, nous avons inscrit dans le dur de la loi le réseau Radio du futur. Grâce à vous, monsieur le ministre, j’ai pu être témoin que les industriels français retenus étaient déjà à l’œuvre. Ainsi, notre pays pourra donner à nos forces de sécurité comme aux services de secours des moyens de communication modernes et résilients en cas de crise.

Je tiens ici à dire que, sur proposition de mon collège rapporteur Marc-Philippe Daubresse, le Sénat a renforcé une fois encore notre arsenal pénal concernant les violences contre les élus, les refus d’obtempérer et les rodéos urbains. L’actualité nous rappelle combien il est nécessaire que les moyens de terrain permettent de mettre en œuvre la sévérité renforcée de la loi que nous nous apprêtons à voter.

Dans le reste du texte, des mesures d’amélioration ont été apportées pour simplifier la procédure pénale. Nous avons prévu le recours à la visioconférence pour la prise de plainte comme pour la déposition, permettant une fois de plus de prendre en compte les réalités nouvelles vécues par nos concitoyens, et parmi eux, par des justiciables parfois très éloignés des commissariats de police et des brigades de gendarmerie ; il s’agit d’une faculté, et non d’une obligation.

Mais, dans ce texte, c’est bien la création des assistants d’enquête auprès des OPJ qui devrait être de nature à améliorer significativement le quotidien des enquêteurs en les soulageant d’une charge administrative bien trop lourde.

Dès l’entrée en vigueur de la Lopmi, il faudra embaucher et former ces 5 500 personnels dans la police nationale ou la gendarmerie nationale. Cet enjeu majeur constituera votre challenge, monsieur le ministre, et celui de votre ministère une fois le texte promulgué.

Le Sénat a fait le choix d’accompagner la déjudiciarisation de nombre d’affaires, en privilégiant le recours aux amendes forfaitaires délictuelles.

Nous n’avons pas emprunté le chemin périlleux de leur généralisation, qui aurait abouti à créer 4 000 cas de figure dans lesquels les AFD auraient été applicables. Il existe actuellement en droit positif 10 délits pour lesquels ces amendes peuvent être infligées. Dans le texte que le Sénat s’apprête à adopter, il y en aura 24, soit 14 de plus. Nous pourrons ainsi évaluer leur mise en œuvre infraction par infraction. Nous savons que certaines AFD fonctionnent bien, voire très bien, quand d’autres sont moins efficaces, d’où l’intérêt du contrôle parlementaire à cet égard.

Nous avons renforcé l’outrage sexiste et sa répression. Et nous avons prévu que l’outrage sexiste aggravé devienne un délit. C’est très important. Le lien de ces dispositions avec le texte n’est pas tout à fait évident, mais l’actualité nous rappelle encore une fois qu’il convient d’avancer sur ce point.

Forts de l’expérience de la crise du covid-19 et des travaux du Sénat en la matière, nous avons aussi renforcé le pouvoir du préfet dans le département et décidé que les agences régionales de santé (ARS) seraient à leur disposition, à l’instar de toutes les administrations de l’État, dès lors qu’il s’agira de prendre des décisions de terrain rapides et d’être efficaces et résilients.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Loïc Hervé. Parfois, nos échanges ont permis de mettre en lumière d’autres débats, qu’il sera nécessaire de continuer lors de l’examen de textes appropriés.

Si la commission des lois du Sénat a chargé deux de nos collègues d’une mission d’information sur la réforme de la police judiciaire, nous avons pu débattre de la question des violences conjugales et intrafamiliales. Par ailleurs, nous avons évoqué la question du droit des images, notamment dans la perspective des jeux Olympiques, ainsi que celle de l’accueil des gens du voyage.

Il appartient désormais au Gouvernement de présenter les textes qui permettront de discuter de ces sujets. En tout cas, pour ce qui le concerne, le Sénat s’en saisira.

Monsieur le ministre, ce projet de loi confère des moyens significatifs à votre ministère pour ses missions régaliennes. Il est fortement attendu sur le terrain par les acteurs concernés, qui – nos auditions l’ont montré – le méritent ô combien. Son adoption devrait réunir un consensus assez large, auquel le groupe Union Centriste apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est vraiment excellent, et nous devons nous réjouir d’avoir l’occasion d’examiner des propositions aussi positives et porteuses de remise en bon ordre en termes tant d’ordre public que de délinquance, entre autres dossiers.

C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, j’avais initialement décidé de voter en faveur du projet de loi. (Exclamations amusées.)

M. Loïc Hervé. Jusqu’à présent, c’est bien ; vous devriez vous arrêter là !

M. Jean Louis Masson. Cependant, quand on examine un texte de ce type, on se rend compte que son application dépendra aussi de l’ensemble des dispositifs qui l’entourent et des mesures prises.

Or, monsieur le ministre, la politique que vous avez annoncée depuis maintenant un certain temps comprend un élément qui m’inquiète profondément et qui m’amène à une réflexion : tout ce que l’on peut faire pour renforcer les structures, comme vous le faites dans ce projet de loi, risque d’être menacé par certaines réformes que vous envisagez par ailleurs. Je pense notamment à la mise sous tutelle de la police judiciaire (PJ), sous les ordres des préfets et des pouvoirs locaux. (M. le ministre le conteste.)

M. Loïc Hervé. Hors sujet !

M. Jean Louis Masson. Je crois pour ma part que l’on ne peut pas donner beaucoup de pouvoirs à la police si cela ne s’accompagne pas d’un respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la police judiciaire.

Tous ceux qui exercent des fonctions depuis plusieurs années dans la vie publique savent qu’il y a toujours, dans les grandes villes, des microcosmes au sein desquels des liens finissent par se tisser entre le préfet et un certain nombre de structures politiques, économiques ou autres…

Ce qui fait la force de la police judiciaire, c’est que, contrairement au reste de l’administration de la police, celle-ci n’est actuellement pas impliquée dans les rapports locaux, avec les risques d’influence que cela suppose. Dans certaines villes, ce ne sont même plus des risques ; les réseaux d’influence sont des réalités.

Je crois donc que tout ce que vous faites là est gâché par des choix politiques complètement aberrants et profondément inquiétants du point de vue du respect d’une certaine indépendance de la justice et des organes travaillant pour elle, comme la PJ. On ne peut pas l’accepter !

Compte tenu de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, je ne sais pas si la réforme de la police judiciaire passera au Parlement… (Marques dimpatience sur les travées du groupe SER.)

C’est la raison pour laquelle je profite de cette séance pour vous faire part de ma totale réprobation à l’égard des mesures envisagées. Cela rassurerait tout le monde si la réforme de la police judiciaire était abandonnée !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de l’examen de ce projet de loi, on ne peut que constater que ce projet de loi, avec ses propositions initiales comme avec les apports importants du Sénat, au regard des dispositions tant programmatiques que normatives, va dans la bonne direction.

Je veux saluer le travail des deux rapporteurs et l’investissement du ministre, au travers des explications qu’il a apportées.

Je ne reprendrai pas les thèmes du sommaire du rapport, qui aborde un certain nombre de sujets sur lesquels nos forces de sécurité publique attendaient des développements et un soutien matériel, technique, numérique et juridique.

Notre assemblée a su défendre d’autres sujets, comme, dans le cas de notre groupe, celui de l’accessibilité des personnes en situation de handicap. Je me réjouis de l’adoption de plusieurs amendements de notre collègue Maryse Carrère.

Je me félicite également de la perspective budgétaire. L’augmentation annoncée semble à la hauteur des enjeux de sécurité publique auxquels notre pays est et sera confronté. Pour autant, il faut que ces moyens soient déployés à bon escient. Je pense notamment à la formation : les carences en la matière ne sont plus à démontrer, surtout en ce qui concerne la formation continue. Le rapport annexé évoque la formation tant en matière numérique que pour les métiers de terrain. J’espère donc qu’il sera suivi d’effet, d’autant que l’article 9 supprime les trois années de pratique pour devenir OPJ.

Je veux revenir également sur l’implantation de nouvelles casernes de gendarmerie. Pour assurer le maintien de l’ordre dans les territoires ruraux, chacun sait la nécessité d’implanter de nouvelles brigades, notamment dans les territoires qui connaissent une poussée démographique. Cela concerne la Gironde, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire durant nos échanges. Je serai donc attentive à ce point, et je sais que je ne serai pas la seule ; vous vous en doutez bien.

Au cours de nos travaux, nous avons pu aborder longuement certains aspects. Je pense en particulier à la réforme de la police nationale et, plus spécifiquement, aux problématiques liées à la police judiciaire. Nous avons été quelques-uns à relayer les inquiétudes des acteurs de terrain et des magistrats.

Notre assemblée a fait inscrire en dur dans la loi que la réforme devra « tenir compte des spécificités de la police judiciaire ». Vous avez eu, monsieur le ministre, des propos rassurants, notamment sur la question de l’indépendance des magistrats dans la direction de l’instruction. Nous espérons que ces engagements permettront de réformer sereinement notre police. Car oui, l’évolution de cette dernière est nécessaire !

Les travaux menés pour cadrer l’usage de l’amende forfaitaire étaient aussi bienvenus. Le projet initial soulevait des inquiétudes en raison de son caractère très général. La rédaction par nos rapporteurs de l’article 14, qui limite strictement le champ d’application du dispositif, est, là aussi, de nature à nous rassurer. L’amendement du Gouvernement adopté en séance a complété le dispositif. La solution retenue me paraît plus sage au regard des principes qui gouvernent notre justice.

L’une des innovations du texte soulève néanmoins des interrogations : il s’agit de la création de la nouvelle fonction d’assistant d’enquête. L’analogie avec les greffiers est séduisante, mais elle présente aussi son lot de questionnements. Comment seront-ils formés et encadrés ? Comment seront-ils rémunérés ? Comment seront-ils répartis ? Comment seront-ils contrôlés ? Des échanges ont eu lieu en séance ; je ne crois pas qu’il faille renoncer à l’institution de ces nouveaux personnels, mais il faudra veiller à la manière dont ils seront mis en place.

Au terme de nos échanges, il reste cependant quelques sujets d’interrogation, voire quelques regrets.

Notre collègue Roger Karoutchi l’a évoqué très justement dès la discussion générale : la police et la justice se plaignent souvent l’une de l’autre, au point parfois de s’opposer, alors qu’il y aurait lieu de les penser ensemble.

M. Roger Karoutchi. C’est vrai !

Mme Nathalie Delattre. De ce point de vue, ce texte donne le sentiment d’une occasion manquée, un sentiment largement renforcé par la manière dont les irrecevabilités ont été appliquées à nos amendements.

J’en veux pour exemple un amendement que j’avais déposé et qui tendait à reprendre les dispositions de ma proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression. Cet amendement a été déclaré irrecevable, car ne s’inscrivant pas dans le périmètre de la loi. Je comprends évidemment le raisonnement qui a conduit à une telle décision dès lors que nous n’examinons pas un texte touchant à la question du procès. Mais nous voyons aussi la limite de l’exercice qu’aura représenté cette loi de programmation. D’un côté, nous adoptons un article 7 bis qui vise à renforcer la protection pénale des élus. De l’autre, nous ne pouvons pas examiner d’autres dispositifs ayant la même finalité, au motif qu’il y serait question de l’organisation du procès, domaine relevant du ministère de la justice, et non de l’intérieur.

Ce cloisonnement d’ordre quasi administratif est regrettable. Il a d’ailleurs parfois mené à des confusions sur d’autres débats également importants. Mais il est vrai qu’une partie importante des articles du projet de loi initialement déposé au mois de mars dernier n’ont pas été retenus dans la version finale qui nous a été présentée ; je pense notamment à un important volet sur la justice.

Cette loi de programmation n’est qu’une première étape. Nous attendons beaucoup des prochains textes qui devraient nous être présentés – nous l’espérons ! – rapidement.

Dans cette attente, notre groupe, dans sa grande majorité, se prononcera en faveur du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI et au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur ministre, la réponse est oui ! Mais quelle était la question ? (Exclamations amusées.)

S’il s’agit de savoir si nous nous réjouissons que ce projet de loi prévoie un renforcement significatif des moyens du ministère de l’intérieur pour faire face à l’augmentation de la violence et aux nouveaux circuits de délinquance, nul doute que nous soutiendrons le texte avec beaucoup de ferveur.

En revanche, si vous nous demandez si le texte répond à la vraie question que se posent tous nos compatriotes – quand donc allons-nous rétablir l’autorité de l’État dans nos villes et nos campagnes et, comme le dit M. Retailleau, réarmer l’État sur le plan migratoire et sécuritaire ? –, vous ne recueillerez que notre scepticisme. Car le droit à la sécurité n’est pas qu’une question de police ; c’est d’abord, et surtout, le problème d’une réponse pénale inadaptée à la violence de notre société.

La genèse du projet de loi qui nous rassemble aujourd’hui a été longue. Comme cela a été rappelé, celui-ci fait suite à la publication du livre blanc, qui a trouvé une traduction concrète dans le Beauvau de la sécurité, suivi avec beaucoup d’assiduité et de compétence par notre collègue Henri Leroy. Vous avez finalement déposé un texte plus resserré le 7 septembre dernier sur le bureau du Sénat, et nous vous remercions d’une telle marque de considération.

En retour, vous pouvez nous donner acte des nombreuses améliorations qui ont été apportées par la commission des lois, dans un climat serein, comme l’a dit mon excellent ami Loïc Hervé. Le débat, approfondi, a été enrichi par les très nombreuses réponses pédagogiques que vous nous avez apportées et dont nous vous sommes reconnaissants.

Trois volets manquent cruellement aux dispositions qui relèvent de votre compétence.

Il s’agit, d’abord, de l’immigration, qui est enfin reconnue comme une des causes principales de l’augmentation de la délinquance de notre pays.

Il s’agit, ensuite, de l’utilisation des techniques de l’image et de l’intelligence artificielle, notamment de la reconnaissance faciale, qu’il est plus que temps de mettre en œuvre – vous le savez bien – si l’on veut aborder sereinement les grands événements comme la Coupe du monde de rugby ou les jeux Olympiques. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Il s’agit, enfin, d’un thème qui a frustré de nombreux collègues n’ayant pas pu présenter leurs propositions, comme Mme Delattre, qui avait un excellent amendement : c’est l’amélioration de la réponse pénale, qui demeure la principale cause de l’inefficacité de vos politiques.

Comme l’a justement dit notre excellent collègue Roger Karoutchi (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.), aujourd’hui, la sûreté n’est pas un droit fondamental pour chaque citoyen. Pour cela, il faudrait une loi d’orientation et de programmation de la justice, qui est perçue comme lente, inefficace et inéquitable. Cette loi, nous l’attendons depuis plusieurs années et, comme sœur Anne, nous ne voyons rien venir… Présenter une loi d’orientation de la police sans y ajouter une telle réforme, c’est se condamner à l’impuissance publique que dénoncent jour après jour nos compatriotes.

Pour en revenir à votre texte, monsieur le ministre, celui-ci prévoit au total 15 milliards d’euros supplémentaires, dont 7 milliards d’euros consacrés aux nouvelles technologies et au numérique, un doublement de la présence des forces de sécurité intérieure sur le terrain – vous nous en avez expliqué les modalités –, avec 8 500 postes équitablement répartis entre gendarmes et policiers, et les moyens de mieux faire face aux nouvelles frontières digitales et de mieux prévenir les menaces et les crises du futur.

Pour l’essentiel, nous serons favorables à ces dispositifs. D’ailleurs, ils reprennent de nombreuses propositions que nous avions formulées antérieurement. Vous avez annexé à votre loi un rapport d’orientation très intéressant. Avec le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, et le rapporteur Loïc Hervé, nous avons voulu, et vous en étiez d’accord, que le débat ait lieu sur le rapport. À la lecture, ce rapport dresse un réquisitoire assez implacable de l’augmentation de la violence dans notre pays depuis cinq ans et montre qu’il faut de nouveaux moyens ; c’est ce que vous faites aujourd’hui, monsieur le ministre.

Un certain nombre de sujets peuvent néanmoins fâcher. Je pense à la réforme de la départementalisation de la police nationale, notamment pour la PJ. Nous avons fait inscrire dans la loi qu’il fallait tenir compte des spécificités de la PJ. Lors du débat – je vous en donne acte devant la Haute Assemblée, monsieur le ministre –, vous avez pris des engagements. Vous avez ainsi rappelé la nécessité impérative que la PJ reste sous l’autorité du procureur de la République et que les affaires sensibles, notamment les manquements au devoir de probité, demeurent exclusivement de son ressort.

En ce qui concerne la délinquance organisée, qui n’a pas de frontières, vous étiez d’accord pour reconnaître le besoin d’une réflexion menée à l’échelon zonal, et non dans le carcan étriqué du département : cela va sans dire, mais cela ira mieux en l’écrivant… Lors de la commission mixte paritaire, je vous l’ai dit, nous déposerons un amendement pour qu’une telle disposition figure dans le rapport d’orientation.

Par ailleurs, vous avez présenté un certain nombre de mesures sur la cybersécurité et sur les plaintes en ligne, évoquées par mon collègue Loïc Hervé. Nous avons singulièrement amélioré, me semble-t-il, ce dernier dispositif – je le rappelle, il s’agit d’une faculté, et non d’une obligation –, qui devrait permettre de rapprocher le citoyen de sa police.

Enfin, sur l’initiative de notre groupe, les auditions ont montré l’urgence et l’importance d’améliorer la réponse pénale aux violences sur la voie publique, qui relevaient bien du périmètre défini dans la loi sur trois points essentiels : les violences faites aux élus, les refus d’obtempérer et les rodéos urbains. L’article 7 bis que j’ai proposé a été voté, une fois n’est pas coutume, à une très large majorité ; cela arrive ici de temps en temps, et beaucoup moins souvent à l’Assemblée nationale… Cette disposition vise à renforcer significativement les sanctions correspondantes pour mieux protéger tous ceux qui se mettent au service de la société.

Je rappelle que les atteintes contre les dépositaires de l’autorité publique étaient en augmentation de 35 %, et les atteintes et les violences faites aux élus de 47 % l’année dernière. Il est grand temps que notre société donne le même statut aux élus locaux qu’aux représentants des forces de l’ordre pour qu’ils soient enfin véritablement protégés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse. J’en viens au triste feuilleton des refus d’obtempérer en signalant qu’il y en a un toutes les vingt minutes dans notre pays. Contrairement à ce qu’ont dit certains collègues siégeant sur d’autres travées, on ne constate pas d’augmentation des tirs de policier face aux refus d’obtempérer : depuis cinq ans, ils sont en recul. C’est donc non pas uniquement avec des mesures de prévention, mais bien avec des mesures de répression que nous pourrons traiter ce problème. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

En conclusion, monsieur le ministre, notre vote positif sur ce projet de loi est un vote lucide et vigilant. Nous le maintiendrons en commission mixte paritaire, en défendant les propositions que j’ai évoquées. Tel le Candide de Voltaire, vous avez bien cultivé le jardin de la police, mais il reste beaucoup à défricher dans les jardins de la justice et de la procédure pénale avant que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de la semaine précédente, nous avons débattu d’un texte très attendu par nos concitoyens. Tous constatent une augmentation de l’insécurité dans notre pays. Les violences contre les personnes vulnérables sont devenues quotidiennes. Certaines zones du territoire tendent à se soustraire à l’autorité publique, faisant vivre un véritable calvaire à nos concitoyens.

Il est temps que cela change. L’ensemble de nos concitoyens ont besoin d’ordre et de tranquillité publics ; c’est vrai aussi pour nos entreprises.

Ce texte constitue une première réponse à la dégradation du climat sécuritaire que notre pays connaît depuis plusieurs années. Les augmentations de budget prévues jusqu’en 2027 sont importantes. C’est heureux et nécessaire, car les défis auxquels notre pays devra faire face sont aussi importants : résurgence du terrorisme islamiste, criminalité organisée, mais aussi accueil de grands événements sportifs, et bien d’autres.

Ces budgets serviront évidemment à moderniser le ministère de l’intérieur, mais ils seront également employés à recruter plus d’effectifs. C’est ainsi que 200 nouvelles brigades de gendarmerie seront créées et que 8 500 agents rejoindront les rangs de la police et de la gendarmerie.

Pour renforcer leur présence dans la rue, les agents des forces de l’ordre doivent être plus nombreux. Mais ils doivent également pouvoir se consacrer pleinement à leur mission.

Certaines recrues deviendront ainsi des assistants d’enquête. Cette nouvelle fonction, parfois rapprochée de celle des greffiers, doit permettre aux policiers et gendarmes d’accentuer leur présence sur le terrain. Les assistants d’enquête se chargeront de la myriade des tâches administratives qui submergent actuellement les agents.

Au cours des débats, nous avons eu l’occasion de dénoncer la complexification de la procédure pénale. À force de réformes sectorielles, le code est devenu impraticable pour les policiers et les gendarmes.

Pis encore, le rapport des États généraux de la justice estime que cette complexité est l’une des raisons majeures de l’allongement des délais : même les juges peinent à s’y retrouver ! Cet allongement n’est satisfaisant pour personne : ni pour les victimes, qui doivent attendre longtemps avant que justice ne leur soit rendue, ni pour les mis en cause, qu’il n’est pas bon de tenir longuement éloignés du bras de la justice. Celle-ci doit être rendue avec efficacité, clarté et célérité. Pour cela, il faudra s’attaquer à la simplification de la procédure pénale et, sans doute, fusionner les régimes de l’enquête préliminaire et de l’enquête de flagrance.

Grâce aux travaux réalisés en commission et en séance, le texte a été enrichi. Deux sujets majeurs me semblent devoir être mis en lumière.

Le premier est celui des rodéos urbains, piètre divertissement de ceux qui devraient avoir mieux à faire. Lorsque cette infraction met en danger la vie de nos concitoyens, les peines ont été sensiblement alourdies : cinq ans et 75 000 euros d’amende. Il est hors de question que la vie de nos concitoyens soit menacée.

Le second est celui des violences contre les élus. Les Français sont scandalisés, à juste titre, que ces derniers soient pris à partie ou agressés. L’élu, local ou national, est un représentant du peuple : il représente non seulement ses électeurs, mais aussi la République, dont il est une composante essentielle, dans son ensemble. Lui porter atteinte revient à porter atteinte à la République. Il était temps de renforcer les sanctions contre ces agressions inacceptables. Elles seront désormais punies au même titre que celles qui sont commises contre les policiers. Nos concitoyens attendaient plus de fermeté dans les sanctions.

Si le texte a été enrichi par les débats, il n’en est pas pour autant devenu un catalogue. C’est ainsi que la procédure de l’amende forfaitaire a été non pas généralisée, mais étendue. Cette procédure se justifie pleinement pour certaines infractions. Néanmoins, elle n’a pas vocation à devenir la norme. La commission et le Gouvernement se sont accordés pour y inclure quatorze nouvelles infractions. Actuellement, certaines d’entre elles ne donnent bien souvent lieu qu’à un simple rappel à la loi : c’est le cas de l’atteinte à la circulation des trains ou de la filouterie de carburant.

Gageons qu’à présent, l’amende forfaitaire permettra aux contrevenants de ne pas oublier la leçon. Non seulement cela permettra une réponse pénale plus rapide et plus certaine, mais cela évitera également des procédures longues et chronophages pour les infractions du quotidien.

L’objectif du projet de loi est de renforcer la présence des policiers et des gendarmes dans la rue. Pour cela, le texte les décharge de bon nombre de tâches administratives ; nous l’avons dit. Il leur permet également de recourir à des procédures simplifiées.

Pour renforcer les effectifs, le texte supprime aussi la condition d’ancienneté nécessaire pour se présenter à l’examen d’officier de police judiciaire. Si cette mesure ne réduit en rien les compétences requises pour réussir l’examen, il nous semble important que les jeunes recrues bénéficient d’un encadrement suffisant. Ces jeunes sont souvent affectés dans les zones les plus difficiles de notre pays, là où la tension est la plus forte. C’est bien dans ces zones que l’encadrement est le plus nécessaire.

Nos forces de l’ordre font face à des situations délicates, souvent dangereuses. Je veux saluer le travail qu’elles accomplissent en ville comme en ruralité. Elles sont une composante essentielle de notre République.

Par ce texte, nous ne faisons pas que leur témoigner notre respect ; nous leur donnons des moyens supplémentaires pour remplir leurs missions. Cette augmentation des moyens lance une nouvelle dynamique, que nous espérons durable, car elle est nécessaire pour nos forces de l’ordre.

L’ensemble de notre groupe votera en faveur de l’adoption du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe RDPI.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après des heures de débats, plus ou moins constructifs, plus ou moins cohérents dans leurs argumentaires, plus ou moins mesurés, nous devons valider, approuver, la Lopmi.

Ce texte avait pour particularité de nous présenter, au travers du rapport annexé à son article 1er, la vision du Gouvernement en matière de sécurité et de tranquillité publiques pour les prochaines années.

Cette loi est bel et bien une loi d’orientation, mais lacunaire, car elle ne présente pas de projet pour l’ensemble des politiques du ministère. Certains aspects y sont effectivement développés de manière claire et lisible ; d’autres restent dans une pénombre préoccupante.

Nos prises de paroles, nombreuses, et notre engagement lors de ces longues séances s’ancrent profondément dans la volonté de notre groupe de présenter et défendre son projet pour la sécurité de notre pays : un projet cohérent.

Nous avons bien perçu, en revanche, la continuité d’une politique qui se veut plus répressive que protectrice et qui obère les liens avec les citoyens, causant ou aggravant une rupture de confiance, mais entraînant également en même temps une immense souffrance au travail de nos forces de l’ordre.

Nous partageons tous l’objectif d’une police bénéficiant de meilleures conditions, d’une meilleure formation, avec des moyens humains, mobiliers et immobiliers satisfaisants, et ce afin d’exercer ses missions auprès de la population : auprès de la population, avec la population et pour la population !

C’est bien là le cœur des propositions que nous avons pu défendre. Oui, nous devons soutenir l’action de la police républicaine en ce qu’elle est au service de la population, de toute la population, aussi bien les Français à l’aise avec le numérique que les 13 millions souffrant d’illectronisme !

Que dire de la doctrine du maintien de l’ordre ? Il n’y a pas eu d’échanges sur la justification de l’utilisation de techniques plus que discutables. Nous ne voulons pas des lanceurs de balles de défense (LBD), des drones, des gaz lacrymogènes, de la technique de la nasse ou d’autres techniques d’interpellation dangereuses. Oui, notre groupe a cherché à entamer un vrai dialogue avec le Gouvernement et avec la majorité de cette assemblée : un dialogue sur les attentes des citoyens d’une police à leur service.

Nous sommes déçus de n’avoir vu aucune de nos propositions sur la réforme de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), par exemple, être étudiée de manière sérieuse. Cette réforme est plus nécessaire et plus attendue par nos concitoyens que celle de la police judiciaire, qui, elle, avance à marche forcée, contre l’avis de beaucoup, en ayant déjà fait ses premières victimes, dont le directeur de la PJ de la zone sud, M. Éric Arella.

Le besoin de sécurité des citoyens passe par la transparence de l’action de la police, une meilleure gestion des dérives, une nouvelle vision de l’IGPN, mais également par une transparence sur les données de la police, leur publication et leur transmission, entre autres, aux élus locaux.

Notre groupe s’est étonné à plusieurs reprises de la position de la majorité sénatoriale et de celle, changeante, des rapporteurs sur ce qui devait faire partie du débat.

Ces derniers ont rejeté un certain nombre d’amendements en indiquant que ceux-ci portaient sur des sujets en cours d’étude par des missions sénatoriales ayant vocation à préconiser des modifications législatives ultérieures, ou en se retranchant derrière le fait que des débats ont déjà eu lieu, refusant ainsi toute proposition d’adaptation destinée à tenir compte de l’impact de mesures déjà votées.

M. Loïc Hervé. Ce n’est pourtant pas faux !

M. Guy Benarroche. Notre groupe a tenté, en étant parfois inaudible, semblerait-il, de présenter sa vision des moyens dont le ministère a besoin. Nous avons soutenu l’augmentation du budget à l’article 2. Nous aurions aimé pouvoir être plus entendus dans nos propositions d’amélioration des conditions de travail des forces de l’ordre et des relations avec les usagers qui en découlent.

Notre groupe a voulu que la formation initiale et continue bénéficie réellement d’une pluralité d’intervenants et soit plus protectrice des agents, y compris en augmentant et sanctuarisant l’entraînement annuel au tir.

La prise en compte des droits de la défense que nous défendions, alimentée par les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), du Syndicat de la magistrature ou des avocats, n’a – hélas ! – pas trouvé d’oreille attentive ; je pense par exemple à l’interdiction de la reconnaissance faciale.

Nous avons aussi de nouveau voulu engager une discussion réaliste sur les caméras-piétons, qui, jusqu’à présent, se sont révélées assez inutiles pour le citoyen comme pour les agents des forces de l’ordre.

Nos inquiétudes sur les droits des justiciables n’ont pas été dissipées par nos discussions relatives à l’amende forfaitaire. Son déploiement est un signal fort. Pour nous, c’est un mauvais signal : un outil cyniquement utile d’un point de vue comptable pour le ministère, mais dont l’efficacité sur la réponse pénale n’est que peu étudiée.

Les problématiques de contestation sont réelles et restent pour l’instant sans réponse.

L’opportunité des poursuites, dont l’appréciation revient d’habitude au juge, est de nouveau niée, et – n’y voyez pas un reproche à nos forces de l’ordre – son utilisation semble très variable selon les territoires…

Je salue l’adoption de l’amendement de mon collègue Thomas Dossus relatif au dialogue nécessaire avec les maires sur la gestion des fermetures des commissariats.

Le continuum de sécurité dont le Gouvernement s’est fait un grand défenseur ne pourra pas faire l’économie d’un dialogue, là encore, apaisé, mais surtout chiffré, avec les élus et décideurs locaux.

La Lopmi contient quelques éléments sur les besoins de liens entre le ministère de l’intérieur et la recherche, mais aucune des demandes de notre groupe permettant un tel suivi n’a été adoptée. Là encore, nous le regrettons.

Nous avons cependant été agréablement surpris du soutien du Gouvernement lorsque nous avons proposé des avancées pour généraliser des mécanismes ayant fait leurs preuves, par exemple les agents de liaison LGBT+, ou pour exploiter au mieux les formations nécessaires, comme celles relatives au cyberharcèlement. Mais ces propositions n’ont pas trouvé grâce auprès des rapporteurs, pour des raisons qui m’apparaissent encore obscures.

Nous saluons l’adoption de l’amendement de notre collègue Monique de Marco sur les besoins de bases supplémentaires pour faire face aux incendies plus fréquents et plus violents auxquels les pompiers sont confrontés. Nous aurions aimé pouvoir discuter d’autres mesures ou visions tout aussi importantes : la gestion des frontières, en particulier avec la question des drones, ou encore le maintien ou non de la possibilité de port d’arme hors service dans les établissements recevant du public. La discussion a été refusée, parfois parce qu’elle avait déjà eu lieu, d’autres fois parce qu’elle ferait l’objet de débats ultérieurs…

En conclusion, j’ai pu à maintes reprises rappeler avec mes collègues combien les forces de l’ordre sont au cœur de notre pacte républicain. Ce sont elles qui endossent le rôle de protection de notre population. Il s’agit donc de leur donner les moyens de travailler dignement, correctement, mais aussi de permettre à notre population d’avoir confiance dans leur formation, leur organisation et leur fonctionnement, ainsi que dans la préservation des droits de la défense.

Les craintes que nous avions exprimées au début de l’examen de ce texte ont malheureusement été confirmées. Nos prises de parole, nos propositions, nos amendements ont dessiné une vision équilibrée vers laquelle vous n’avez pas jugé bon d’avancer, ne serait-ce que très partiellement:

L’orientation du ministère de l’intérieur définie dans cette loi ne nous paraît ni convaincante ni justifiée. Nous ne pouvons donc pas nous y associer. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Loïc Hervé. C’est dommage !

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adoption du projet de loi tel qu’il ressort des débats du Sénat nous paraît naturelle, et je me dispenserai d’assortir ce vote, comme certains de mes collègues, d’une collection de critiques à l’encontre du Gouvernement.

Je veux donner les trois raisons principales de notre soutien.

La première, qui est – si j’ose dire – la plus consistante, réside dans la partie programmatique de ce projet de loi, et plus précisément son article 2, qui encadre de manière précise l’attribution de moyens aux différentes composantes du ministère, lequel est, par nature, celui de la sécurité des Français et de la protection quotidienne de leurs libertés.

Cette injection de moyens fait suite à une remontée des capacités déjà réalisée au cours des dernières années avec la création de 10 000 emplois de policiers et de gendarmes – augmentation qui prend fin cette année conformément aux engagements pris en 2017 ; à un renforcement de la formation des personnels de terrain ; et à une remontée, plus récente, mais sensible, des crédits d’équipements, dont nous voyons la traduction dans les locaux d’accueil des brigades et des commissariats et dans leurs nouveaux véhicules.

Le projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer approfondit ce renforcement en agissant sur tous les éléments du tableau de bord, si vous me passez l’expression, du ministère de l’intérieur.

Il s’agit, d’abord, des effectifs : 8 500 postes de policiers et gendarmes créés dans les cinq années à venir. Nous souhaitons – et cela correspond bien à la fois à l’esprit du texte et aux termes employés dans le rapport d’orientation – veiller à une bonne répartition territoriale de ces effectifs, en prêtant une attention particulière aux secteurs périurbains et au monde rural. L’annonce de la création de 200 brigades est une bonne nouvelle, dont nous suivrons la mise en œuvre. Je veux aussi souligner un point qui n’a pas été évoqué : le développement de la réserve, qui augmentera les capacités humaines du ministère.

Il faut également noter le relèvement important des moyens de fonctionnement, sur lequel je n’insiste pas, ainsi que la transformation numérique. Sur ce point, parler de déshumanisation revient à méconnaître le sujet.

Au contraire, le développement numérique démultiplie les capacités d’action de chaque personnel de police et de gendarmerie : démarches dématérialisées, outils de travail disponibles en pleine efficacité dans chaque véhicule ou sur la voie publique, accélération des moyens numérisés de police technique et scientifique. Nous pourrions multiplier les exemples.

Le ministère et ses personnels seront donc plus en phase avec les attentes des citoyens, et mieux outillés pour répondre à des formes de délinquance qui, elles aussi, exploitent de plus en plus l’espace numérique.

Cette programmation apporte aussi une réponse à la hauteur des défis qu’affrontent nos forces de sécurité civile, et principalement les services d’incendie et de secours.

Le programme de renouvellement des flottes d’hélicoptères et d’aéronefs anti-incendie de forêt constitue l’une des pierres angulaires du plan, et apportera tant une satisfaction qu’un encouragement pour tous les personnels de ces services si souvent mobilisés.

Enfin, l’augmentation des moyens est au service de la volonté d’améliorer l’accueil de chaque victime. Une priorité particulière est donnée pour recevoir et soutenir comme il se doit les victimes de violences intrafamiliales, et des dispositions importantes sont prévues en matière de moyens d’accueil, d’accompagnement et de formation des personnels.

La deuxième grande raison d’approuver ce projet de loi est qu’il offre un cadre de cohérence et une méthode de travail à l’ensemble des services.

Il prévoit, et c’est l’intérêt particulier du rapport de présentation l’encadrant, de mieux organiser les services de l’État face aux crises institutionnelles ou de toute nature, en s’appuyant sur nos expériences récentes. Nous aurons aussi à intensifier la coopération internationale, et particulièrement la coopération européenne, sur les sujets de sécurité, de prévention et de renseignement.

La démarche affirmée par le rapport, que nous allons approuver, fait aussi la part nécessaire à la modernisation des méthodes de ressources humaines. Plus de 250 000 personnels sont concernés : il faut veiller à leur bien-être au travail, à leurs perspectives de carrière, à leur temps de formation encore améliorés. Il y a des pistes d’accompagnement des personnels, en particulier des jeunes entrant dans les services, qui affrontent des mobilités souvent difficiles.

Ce travail de mise en cohérence et de planification, au sens concret du terme, a bénéficié de temps de confrontation et de proposition d’une intensité particulière, comme lors de la rédaction du livre blanc de la sécurité intérieure et du Beauvau de la sécurité.

Mes chers collègues, nous pouvons être sûrs, au moment d’approuver ce grand projet de loi, que toutes les contributions constructives de tous les partenaires inspirés par la sécurité et les libertés des Français ont été entendues et intégrées au texte. C’est donc un projet de loi de programmation au sens plein, complet et cohérent, dont le suivi sera facilité par la profondeur du travail qui l’a préparé.

Cette qualité de méthode a mené à un excellent travail de collaboration entre le Sénat et M. le ministre, sous la conduite de MM. les rapporteurs, qui sont allés au fond des sujets en sachant réunir un consentement large et, parfois, presque unanime sur les dispositions que nous approuvons.

Enfin, le troisième motif justifiant de soutenir ce projet de loi est qu’il comporte un ensemble de dispositions législatives ayant pour objectif commun de rendre plus efficace la lutte contre la délinquance, en donnant des outils et des marges d’action aux forces de la loi.

Je souligne en particulier la disposition qui intensifie la sanction pénale en cas d’agression contre les élus, ainsi que la création du délit d’outrage sexiste, qui constituait une nécessité.

Nous étions nombreux à approuver le développement des amendes forfaitaires délictuelles, qui permettent d’appliquer une sanction concrète et immédiate aux délits trop fréquents qui dégradent la vie en société. La proposition du Gouvernement était très large, mais nous avons trouvé un bon accord sur les vingt-quatre cas, comme M. le rapporteur Loïc Hervé l’a rappelé, auxquels ces amendes seront applicables. Nous pourrons suivre efficacement cette innovation et apprécier la manière dont elle fera reculer certaines délinquances.

Nous soutenons aussi les modifications justifiées de certaines règles de procédure pénale du quotidien, qui pèsent sur la charge déjà trop lourde de nos enquêteurs, et qui allongent les opérations sans bénéfice pour l’équité du procès.

On peut être en désaccord avec l’idée que l’ensemble du code de procédure pénale, accumulation de modifications partielles n’ayant pas forcément été harmonisées, serait absolument nécessaire pour garantir les droits. Il y a au contraire un travail de rationalisation à faire pour que ce code soit vraiment efficace.

C’est ce qui me conduit à exprimer par notre vote positif, à l’occasion de cette loi qui leur est dédiée, notre soutien et notre admiration à tous les personnels du ministère, qui veillent jour et nuit sur les droits des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :

Nombre de votants 336
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l’adoption 307
Contre 27

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre contribution et de l’esprit constructif dans lequel nous avons travaillé.

Comme l’ont très bien dit MM. les rapporteurs, des amendements de tous les groupes ont été adoptés. Je me suis engagé envers le président de la commission des lois à prendre un certain nombre de mesures, s’agissant notamment de la réforme de la police nationale, et à signer certains décrets que je soumettrai à sa sagacité, ainsi qu’à celle de l’ensemble des commissaires aux lois, et, à travers eux, à l’ensemble des sénateurs. Je remercie également le groupe socialiste de ses encouragements à faire mieux.

C’est avec le même esprit de compromis républicain que je défendrai devant l’Assemblée nationale le texte qui va effectivement donner à nos forces de sécurité 15 milliards d’euros de plus, ainsi que des moyens à la police et à la gendarmerie.

Monsieur le rapporteur Daubresse, nous n’oublions pas que pour qu’il y ait une bonne sécurité, il faut qu’il y ait une bonne justice. D’autres politiques publiques vous seront soumises ; je pense par exemple au texte sur l’immigration, qui sera présenté au mois de janvier prochain. Le Gouvernement n’esquisse pas une absence de réponse. Il découpe les débats dans des politiques publiques qui, je l’espère, montrent leur efficacité, dans l’esprit de concorde que nous avons partagé ici.

C’est avec le même esprit que nous irons en commission mixte paritaire, pour, je le souhaite, faire adopter ce texte.

Je remercie nos collaborateurs, ainsi que l’ensemble des personnes ayant contribué en aval et en amont à cette belle adoption du texte, pour le bien-être de nos policiers, de nos gendarmes, de nos pompiers et de nos agents de préfecture. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures cinquante, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur
 

3

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon.

M. Laurent Somon. Lors du scrutin n° 3, sur l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, je souhaitais voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale
Discussion générale (suite)

Formation des internes en médecine générale et lutte contre les déserts médicaux

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale
Article unique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux », présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 419 [2021-2022], texte de la commission n° 11, rapport n° 10).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer Mme la présidente de la commission des affaires sociales et Mme la rapporteure, que je félicite de son excellent travail.

La France est aujourd’hui le pays des pénuries et des rationnements : pas seulement pour le carburant, pour l’électricité ou, cher Laurent Duplomb, pour les produits alimentaires, mais également pour les médicaments et, malheureusement, pour l’accès au soin.

Cette situation, plus qu’un problème, est une formidable injustice, pour 6,3 millions de Françaises et de Français. Plus qu’une injustice, c’est un scandale ! C’est un scandale quand on rapporte le nombre de Français n’ayant pas accès à un médecin traitant niveau des dépenses de santé dans notre pays, très élevé par rapport à celui des autres pays de l’OCDE.

D’où vient ce scandale ? Certainement pas des médecins ! Ce n’est pas leur faute. La situation découle de choix technocratiques et idéologiques. (Mme Laurence Cohen ironise.)

Des choix technocratiques nous ont fait abandonner la médecine et la santé aux mains de comptables et de technocrates. À l’époque, nous avions pensé qu’il suffirait, pour ralentir les dépenses de santé, de rationner l’accès aux médecins et d’en former de moins en moins.

Des choix idéologiques nous ont conduits à tout miser sur une organisation de notre système de santé très hospitalo-centrée. En conséquence, la médecine libérale a été mise à mal, et la formation de nos jeunes médecins dans les facultés de médecine a été orientée vers autre chose que leur installation en médecine générale.

La médecine générale a subi ces deux influences, qui, en définitive, l’ont extrêmement fragilisée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est venu d’y remédier. Ce sont non seulement les Français, mais aussi les élus locaux qui supportent les conséquences d’une telle situation. Beaucoup de maires n’en peuvent plus ; ils sont en première ligne. La population, dans les villages, les petites ou les grandes villes, les rend responsables, alors qu’ils ont rivalisé de propositions, allant jusqu’à salarier des médecins, ouvrir des maisons de santé ou des centres de soins non programmés. Ce n’est plus possible : nous ne voulons plus laisser les maires et nos compatriotes seuls avec ce problème ! Soit nous agissons, soit nous n’agissons pas ! Par ce texte, nous proposons d’agir.

Il n’y a pas de panacée. Nous n’arriverons pas à trouver la seule et unique bonne solution. J’en suis certain, il faut un bouquet de solutions. Je vous demande pardon, mais celles qui existent aujourd’hui sont insuffisantes ! Beaucoup de facultés n’ont pas les moyens de faire face au déblocage du numerus clausus et de former de nouveaux médecins. Par ailleurs, cette formation prend dix ans, sans compter les années d’installation. Va-t-on attendre dix ans ? Quinze ans ? Non ! Il n’est plus possible d’attendre !

D’autres solutions existent, par exemple des aides de l’État aux collectivités. Mais elles viennent trop tardivement. D’ailleurs, ce n’est pas ce que demandent les médecins. C’est juste une rustine, et non une réponse fondamentalement satisfaisante !

Certains collègues de différents groupes défendent des mesures coercitives. Je me souviens de l’excellent rapport d’information de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, du groupe Union Centriste, qui comportait en particulier une analyse de l’efficacité des mesures coercitives et du conventionnement sélectif en Allemagne. Je vous invite à en relire les conclusions. La coercition avait permis d’un petit peu réguler les zones surdenses – et encore ! –, mais cela n’avait rien amélioré dans les zones sous-denses. Échec et mat, vous en conviendrez !

La solution ne réside ni dans la coercition ni dans le palliatif que constituent les aides actuelles, au demeurant insuffisantes. La solution est curative. Nous essayons de creuser pour la trouver. Ne restons pas les bras ballants en laissant nos compatriotes et les maires de France seuls face à ce problème !

Cette solution nous a été inspirée, en quelque sorte, par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi Buzyn, dans laquelle nous avions demandé aux jeunes médecins généraux de passer six mois sur le terrain pendant la dernière année du troisième cycle. Mais jamais le décret n’a été pris ! On nous a expliqué qu’il ne fallait pas déshabiller Paul pour habiller Jacques et que les internes devaient rester dans l’hôpital.

Nous avons creusé pour trouver des solutions. Nous vous proposons ce texte important. Il s’agit de créer une quatrième année de consolidation et de professionnalisation pour les étudiants de troisième cycle de médecine générale.

Nous voulons tout d’abord permettre l’installation, certes provisoire, de 3 500 à 4 000 jeunes médecins généralistes sur l’ensemble du territoire, en ville ou en zone rurale, car la France entière est désormais un vaste désert médical. Nous tenons beaucoup par ailleurs à les rémunérer de manière attractive, comme de vrais médecins, avec un paiement à l’acte. Nous voulons aussi permettre aux collectivités de s’engager : de nombreuses collectivités ne demandent pas mieux que de mettre à la disposition de ces médecins un logement, par exemple ; cette question se pose s’agissant de personnes qui vont passer une année dans un territoire. Cela permettrait surtout de faciliter l’installation de ces jeunes médecins dans nos territoires urbains et ruraux, alors que la formation actuelle ne les incite pas à s’installer.

À la lecture des comptes rendus des auditions et de l’excellent rapport de Mme Imbert, on constate qu’à défaut de faire l’unanimité, un consensus s’est établi. Lorsque nous avons rencontré l’ordre national des médecins, les deux grands syndicats des médecins généralistes et les deux grands syndicats des internes, je n’avais pas senti une franche opposition.

Les internes en médecine générale sont les seuls internes à ne pas avoir cette quatrième année de consolidation depuis que la médecine générale est devenue une spécialité. Il y a là un problème. Cette année de consolidation permettrait de mieux préparer et d’inciter à l’installation des jeunes médecins, à condition que ces derniers soient accompagnés par un médecin référent ; il est important d’y insister et de le mettre en œuvre.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué avoir en quelque sorte repris une telle proposition dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). À mon sens, vous l’avez fait de façon précipitée, sans concertation, et sans en définir les modalités, ce qui a pu raidir un certain nombre de syndicats, notamment ceux des internes. Je pense en outre que la rédaction de votre texte lui fait courir le risque d’être jugé anticonstitutionnel, car une telle mesure n’a pas de conséquences sur les finances sociales.

Peu importe : notre proposition de loi est, en quelque sorte, une séance de rattrapage, et je suis heureux de pouvoir y contribuer utilement.

Mes chers collègues, quand on choisit de devenir médecin – monsieur le ministre, vous êtes médecin, de même que plusieurs membres de la Haute Assemblée –, on choisit non seulement une vocation, mais aussi une mission de service public. C’est au regard de cette mission de service public, à laquelle je crois beaucoup, que nous devons examiner la présente proposition de loi.

Cela nous oblige, nous, parlementaires, à bouger, à voter, à faire des propositions. Et cela vous oblige, vous, exécutif, à consolider ces propositions. Cela oblige les jeunes médecins, quand ils s’investissent dans ce beau métier, à considérer qu’on ne peut pas laisser des millions de Français sans médecin traitant.

C’est une prise de responsabilité. Nous prenons les nôtres aujourd’hui, avec une forme de courage et beaucoup de sincérité. Monsieur le ministre, vous devez aussi prendre les vôtres, de même que le milieu médical. C’est fondamental : cette réforme est nécessaire et urgente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Michel Laugier et Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi, déposée par l’excellent Bruno Retailleau et inscrite à l’ordre du jour sur la demande du groupe Les Républicains, a deux objectifs, auxquels la commission des affaires sociales a pleinement souscrit.

Le texte vise d’abord à améliorer la formation des médecins généralistes, en allongeant d’un an le troisième cycle de cette spécialité – cette nouvelle année, voulue professionnalisante, doit permettre de mieux accompagner les étudiants dans la découverte de l’autonomie et de l’exercice ambulatoire –, mais la proposition de loi vise également à trouver un nouveau moyen d’action pour s’attaquer à la problématique de l’accès aux soins ; j’y reviendrai.

L’article unique de la proposition de loi porte la durée du troisième cycle des études de médecine générale à quatre ans et consacre la quatrième année à la réalisation d’un stage en médecine ambulatoire, en autonomie supervisée. Une telle mesure est envisagée depuis plusieurs années. La durée du troisième cycle de médecine générale, restée fixée à trois ans, fait en effet figure d’exception, puisque le troisième cycle des quarante-trois autres spécialités s’étend sur quatre à six années. Elle empêche donc la médecine générale de bénéficier de l’ensemble des avancées de la réforme du troisième cycle des études de médecine, intervenue en 2017, et l’isole des autres spécialités.

Ainsi, les futurs médecins généralistes sont les seuls à ne pas bénéficier de la troisième phase, dite de consolidation, de l’internat, qui vise à consolider les connaissances et compétences acquises jusque-là par les étudiants. Ils ne bénéficient pas non plus du statut de docteur junior, associé à cette dernière phase, qui permet aux étudiants de réaliser, pendant une année entière, des stages en autonomie progressive et supervisée, tout en bénéficiant d’une meilleure rémunération.

Enfin, alors que la soutenance de la thèse d’exercice constitue désormais l’une des conditions d’accès à la phase de consolidation, et est donc souvent réalisée dans les délais, les étudiants de médecine générale ne bénéficient pas de cette incitation. Les retards de soutenance sont fréquents et reportent d’autant l’installation des jeunes médecins généralistes.

La durée du troisième cycle de médecine générale est calée sur la durée minimale fixée par l’Union européenne et se révèle plus courte que celle qui est retenue dans de nombreux autres pays : par exemple, au Danemark, en Suède ou en Norvège, les médecins généralistes suivent un troisième cycle de cinq ans.

Les enseignants et médecins que nous avons entendus en audition sont en majorité très favorables à une telle mesure. Plusieurs d’entre eux nous ont d’ailleurs indiqué y travailler depuis plusieurs années.

Ils ont insisté sur l’opportunité d’enrichir les référentiels de formation. En effet, la maquette actuelle ne comprend pas suffisamment de stages en ambulatoire, alors que ce mode d’exercice constitue un débouché naturel de la médecine générale. En effet, seuls deux des six stages prévus sont obligatoirement réalisés en ville. Ce sont pourtant ces stages qui préparent le mieux les étudiants à l’exercice libéral, en leur donnant une expérience concrète du fonctionnement d’un cabinet ou d’une structure d’exercice coordonné. La mise à jour de la maquette devrait aussi permettre aux étudiants qui le souhaitent d’approfondir plus facilement des compétences spécifiques, communes à plusieurs spécialités.

En améliorant la professionnalisation des internes de médecine générale, la présente proposition de loi vise ainsi à favoriser leur installation rapide. L’ajout d’une phase de consolidation encouragera les étudiants à soutenir leur thèse dès l’issue de la troisième année ; ils ne pourront plus, comme aujourd’hui, la reporter jusqu’à trois ans après la fin de leur internat.

Surtout, la réalisation de stages en ambulatoire et en autonomie supervisée pendant une année entière permettra d’améliorer largement la professionnalisation des étudiants et de mieux les préparer à l’exercice en ville. L’extension du troisième cycle proposée dans le texte devrait donc être en elle-même favorable à l’amélioration de l’offre de soins.

Toutefois, la proposition de loi ne s’arrête pas là. Afin de répondre plus directement aux problèmes d’accès aux soins dans de très nombreux territoires, elle prévoit également que les stages en ambulatoire de quatrième année seront prioritairement réalisés dans les zones sous-denses identifiées par les agences régionales de santé.

Cette mesure a concentré, au cours des dernières semaines, les inquiétudes des organisations représentatives des internes, qui ont craint que la formation ne soit instrumentalisée pour régler les difficultés d’accès aux soins. Je tiens donc à lever toute ambiguïté, comme vient de le faire M. Retailleau : il n’est pas question, dans le texte que nous examinons aujourd’hui, de sacrifier la qualité de l’encadrement ni de la formation des étudiants. Au contraire, il est prévu que les stages de quatrième année seront, comme les autres, supervisés par des maîtres de stage formés et agréés par l’université. Cela devra permettre de mieux accompagner les étudiants dans la découverte de l’exercice ambulatoire et l’appréhension progressive de l’autonomie.

Afin de tenir compte des inquiétudes exprimées par les organisations d’étudiants, et parce que l’expression « désert médical » ne lui a pas paru décrire fidèlement la réalité, contrastée, des zones sous-denses, la commission a modifié l’intitulé de la proposition de loi, afin de mettre en valeur son objectif premier : l’amélioration de la formation des internes en médecine générale.

Cela dit, il me semble impossible d’ignorer entièrement les besoins de santé de nos territoires pour l’affectation des internes en stage. L’accès à un médecin généraliste constitue un enjeu majeur pour nos concitoyens. Or la démographie de la profession est particulièrement sinistrée, la France ayant perdu environ 5 000 généralistes en dix ans. La diminution de la densité médicale aggrave les inégalités territoriales d’accès aux soins. La suppression du numerus clausus et l’augmentation du recrutement d’étudiants ne permettront pas de résoudre cette difficulté avant plusieurs années. C’est pourquoi les affectations doivent être cohérentes avec les besoins de santé des territoires chaque fois que cela est possible, sans entraîner de perte de qualité de l’encadrement des étudiants.

Afin d’assurer la pleine efficacité de la mesure, les efforts devront être poursuivis pour augmenter encore le nombre de maîtres de stages universitaires et s’assurer que ceux-ci maillent suffisamment le territoire. Il s’agit d’un enjeu central et bien identifié. À ce titre, des collectivités territoriales se sont déjà employées à favoriser l’augmentation du nombre de maîtres de stages au cours des dernières années, en facilitant, en accord avec les facultés de médecine, l’organisation des formations de maîtrise de stage au plus près de leur lieu d’exercice.

C’est à la condition de concilier ces deux impératifs – amélioration de la formation des étudiants, d’une part ; amélioration du service rendu à la population dans les territoires, d’autre part – que la réforme sera un succès.

Le texte est un pas indispensable pour améliorer la réponse apportée aux attentes de soins de nos concitoyens. Il a deux mérites : celui de démystifier l’installation, en favorisant une meilleure connaissance de l’exercice en cabinet, mais également celui de démystifier la notion de zone sous-dense : il y a une vie dans ces territoires ; vous le savez tous, mes chers collègues !

Un deuxième motif d’inquiétude réside dans la situation matérielle des étudiants dont l’affectation serait éloignée de leur domicile. Les collectivités territoriales font déjà beaucoup d’efforts dans ce domaine. Je constate par ailleurs que le Gouvernement a souhaité ouvrir une concertation dans le cadre d’une mission interministérielle et n’est pas fermé à l’idée de modalités de rémunération spécifiques à la médecine générale. Cela me semble indispensable.

Les docteurs juniors, quand bien même ils exercent en autonomie progressive, sont aujourd’hui rémunérés forfaitairement et – il faut le dire – assez faiblement au regard du travail qu’ils accomplissent. Je souhaite que des solutions puissent être trouvées pour rétribuer justement les étudiants de médecine générale qui suivront cette année supplémentaire et leur permettre de réaliser leurs stages sans difficulté matérielle. Il s’agit d’une condition essentielle à la réussite de la réforme.

Enfin, les organisations que nous avons entendues nous ont toutes confirmé que l’ajout d’une quatrième année ne devait pas s’appliquer aux étudiants actuels du troisième cycle de médecine générale, afin de ne pas nuire à la cohérence de la formation de ces derniers. La commission a donc adopté un amendement en ce sens, afin de prévoir que le dispositif s’applique seulement aux étudiants qui, à la date de publication du texte, n’auront pas encore débuté le troisième cycle. Ce délai doit également permettre de prendre le temps nécessaire pour établir, avec les parties prenantes, le nouveau référentiel de formation : j’ai pu constater, lors de mes auditions, que la plupart d’entre elles y avaient déjà beaucoup travaillé.

Je souhaite maintenant m’attarder sur le contexte dans lequel intervient l’examen du texte. Le Gouvernement a repris l’essentiel du dispositif pour l’inclure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 26 septembre dernier, alors même que la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a été déposée au Sénat au mois de janvier 2022 et était déjà inscrite à son ordre du jour. D’ailleurs, monsieur le ministre, ce que vous proposez s’inspire de nos travaux.

Comme Bruno Retailleau le rappelait, nous avons adopté dès 2019 un dispositif prévoyant que les étudiants de médecine générale devaient réaliser, lors de leur troisième année d’internat, un stage d’une année en pratique ambulatoire en autonomie supervisée, en priorité dans les zones sous-denses ; cette durée avait été ramenée à au moins un semestre à l’issue de la commission mixte paritaire. Or cette disposition n’a jamais été appliquée par le Gouvernement, qui n’a pas pris les décrets nécessaires malgré les promesses faites dans cet hémicycle.

La présente proposition de loi reprend également une recommandation du rapport de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, qui consistait à « renforcer la formation en médecine générale par une quatrième année d’internat exercée […] en priorité en zone» sous-dense ».

Je crois enfin que la proposition de loi de M. Bruno Retailleau constitue, monsieur le ministre, le véhicule le plus sûr pour adopter cette mesure, non pas seulement parce qu’elle est antérieure au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et qu’elle est issue de nos travaux, mais également parce que l’article 23 du PLFSS, qui contient cette réforme, n’est pas conforme à la loi organique, l’absence d’incidence financière de la mesure sur les régimes obligatoires de base étant mise en évidence par l’étude d’impact du Gouvernement lui-même.

C’est pourquoi je vous propose d’adopter cette proposition de loi, mes chers collègues. Elle constitue le meilleur moyen d’instaurer cette quatrième année, qui permettra d’améliorer la formation des étudiants de médecine générale et, surtout, l’accès aux soins dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être devant vous aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale.

Ce texte porte sur deux sujets qui me tiennent à cœur : d’une part, la qualité de la formation de nos futurs médecins généralistes ; d’autre part, la lutte pour l’accès à la santé dans l’ensemble du territoire. La proposition de loi, qui fait écho à l’article 23 du PLFSS pour 2023, actuellement en cours d’examen, répond donc à deux enjeux distincts.

Je parle bien d’enjeux distincts, car la proposition gouvernementale, qui fait suite à un engagement de campagne du Président de la République, ne vise en aucun cas à envoyer des internes en médecine faire des stages dans des territoires pour « boucher des trous », sans encadrement. Elle vise au contraire, via l’accession, par les futurs médecins généralistes, au statut de docteur junior, à renforcer la formation des internes pour leur permettre d’être, en sortie de diplôme, autonomes et plus à même de gérer une installation et un cabinet médical.

C’est bien, j’y insiste, l’objectif premier de notre proposition. Et si, pour aider nos territoires, nous souhaitons en priorité envoyer ces internes vers des zones sous-denses, cela ne se fera aucunement au prix de la qualité de l’encadrement.

À ce titre, la séance d’examen législatif qui nous réunit aujourd’hui est bienvenue, car elle me permet, à quelques jours du début de l’examen du PLFSS en séance publique, de rappeler dans quel cadre la proposition gouvernementale s’inscrit. Je remercie donc Bruno Retailleau, ainsi que l’ensemble des cosignataires de la proposition de loi de nous permettre de débattre et d’échanger sur un enjeu aussi crucial.

L’idée d’une quatrième année d’internat de médecine générale procède d’un constat ancien et partagé : sans la phase de consolidation, qui définit le statut de docteur junior, l’installation immédiate en sortie de cursus n’est pas facile ; elle devient même rarissime.

L’objectif de la mesure gouvernementale – votre proposition s’inscrit dans le même esprit, si j’en juge par l’amendement de modification du titre de la proposition de loi adoptée en commission – est donc d’améliorer la formation des jeunes médecins, tout en facilitant leur installation à l’issue de leurs études, non pas pour « envoyer au front » les jeunes recrues, mais pour parfaire une formation polyvalente et exigeante.

J’y tiens beaucoup, cette quatrième année de formation et de professionnalisation sera assortie d’un projet pédagogique coconstruit avec toutes les parties prenantes, y compris les internes eux-mêmes. Elle se concrétisera par des stages en pratique ambulatoire, auprès de maîtres de stage universitaires expérimentés et capables d’encadrer et de transmettre leur expérience et leur savoir-faire.

Je souhaite que cette réforme soit mise en œuvre dans les meilleures conditions. À cette fin, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, et moi-même avons récemment lancé une mission qui permettra, avec l’appui de quatre professionnels de terrain reconnus, de conduire la concertation que requiert un tel engagement, afin de déterminer les conditions de l’hébergement et de la rémunération de ces stagiaires.

Comme l’indique l’article unique de la proposition de loi, nous souhaitons que ces stages aient lieu, en priorité, sans que cela soit une obligation, dans les zones sous-denses, afin de faire découvrir ce mode d’exercice aux futurs médecins, qui n’ont pas eu forcément l’occasion d’y exercer ou d’y suivre un enneigement au préalable. Les inégalités d’accès à la santé sont intolérables, et nous devons agir résolument contre elles.

Aujourd’hui, vous l’avez indiqué, 6 millions de Français restent sans médecin traitant. Parmi eux, 600 000 personnes souffrent d’une affection de longue durée. Cela concerne également beaucoup de nos concitoyens en situation de précarité ou vivant avec un handicap. Ce n’est pas acceptable, d’autant qu’il y a de fortes inégalités selon les territoires.

J’étais voilà deux semaines dans la Sarthe pour le lancement du volet santé du Conseil national de la refondation, qui a vocation à organiser la concertation de l’ensemble des parties prenantes du secteur, afin de trouver collectivement les solutions pour qu’il n’y ait plus aucun laissé-pour-compte en matière d’accès à la santé. Là-bas, pour ne citer que cet exemple, on compte 59 médecins généralistes libéraux pour 100 000 habitants, contre 85 pour 100 000 habitants en moyenne nationale.

Ce déficit de médecins généralistes dans certains territoires est d’autant plus problématique que ces professionnels jouent un rôle essentiel de suivi de proximité, tout au long de la vie. Nos médecins généralistes traitants sont aussi les aiguilleurs de notre système de santé, puisqu’ils orientent les patients et assurent la nécessaire coordination de leur parcours de soins.

Surtout, cette situation a des conséquences sur l’ensemble du système de santé. La situation des urgences, que je connais bien et qui sont devenues pour beaucoup un premier recours, le démontre : la fréquentation a augmenté de plus de 50 % en vingt ans. Or, lorsque tous s’organisent, en ville et à l’hôpital, comme cela s’est produit grâce aux mesures prises l’été dernier, cette fréquentation chute enfin ; elle a ainsi décru de 5 % l’été dernier.

Par responsabilité à l’égard de nos concitoyens, nous devons prendre des mesures fortes. La création d’une quatrième année d’internat de médecine générale s’inscrit ainsi dans un arsenal de mesures du PLFSS qui visent à renforcer l’accès à la santé sur l’ensemble des territoires. Je pense par exemple à la création d’un cadre plus adapté pour les négociations conventionnelles, qui devra nous permettre de mettre en place des engagements réciproques, au service des Français dans tous les territoires, notamment les moins dotés, selon une logique de droits et de devoirs. Je pense aussi à la simplification des aides à l’installation de nos médecins dans les zones sous-denses, pour intensifier leur impact.

Enfin, je tiens à souligner le fait que nous allons pouvoir tirer les fruits, dans les prochaines années, des réformes déjà engagées dans le quinquennat précédent. Vous l’avez indiqué, la suppression du numerus clausus n’aura d’effet que dans une dizaine d’années.

M. François Braun, ministre. Cette réforme importante et nécessaire, que nous aurions dû mener voilà dix ou quinze ans, devrait permettre d’inverser la dynamique de la démographie médicale et de renforcer nos bataillons de médecins, généralistes comme spécialistes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le pense profondément, cette quatrième année ne serait pas seulement une chance pour nos territoires sous-dotés : elle serait également une chance pour nos jeunes médecins. Oui, cette année supplémentaire leur permettrait de bénéficier d’une phase bienvenue de consolidation de leur formation, à l’instar de ce qui se fait dans les autres spécialités. Elle est, à mon sens, la clé d’une responsabilisation progressive et supervisée, pour accompagner le mieux possible nos jeunes médecins généralistes vers leur installation. Elle traduit la volonté que j’ai exprimée dès ma prise de fonction : des solutions concrètes et pragmatiques pour répondre aux défis auxquels notre système de santé fait face.

Ainsi, sur le fond, je partage l’intention des auteurs de la proposition de loi. Toutefois, vous le savez, le Gouvernement a choisi de faire prospérer une telle mesure via le PLFSS pour 2023. C’est pourquoi il émet un avis de sagesse bienveillante sur cette proposition de loi de M. Retailleau. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe Les Républicains relative à la formation des internes en médecine générale nous permet d’avoir un débat sur les réponses publiques à apporter aux difficultés d’accès aux soins. Je salue le travail de Mme la rapporteure Corinne Imbert.

Comment accepter que 30 % de la population française vive dans un désert médical ? La difficulté à obtenir un rendez-vous avec un généraliste en secteur 1 n’est plus une situation spécifique aux territoires ruraux ; elle concerne désormais également les territoires périurbains et urbains. Ainsi, la région Île-de-France est le premier désert médical de France. En effet, 62,4 % de la population francilienne – cela représente 7,6 millions de personnes – a du mal à accéder aux médecins, trop peu nombreux. Les maires sont soumis à rude épreuve pour trouver une solution coûte que coûte !

Il faut le répéter, depuis vingt ans, les gouvernements successifs ont refusé de supprimer le numerus clausus et d’augmenter le nombre d’étudiantes et d’étudiants en médecine. L’ancienne ministre de la santé, Agnès Buzyn, reconnaissait elle-même, dans une tribune parue dans le journal Le Monde, que le numerus clausus avait été desserré de façon trop progressive et que l’on avait « perdu plus de quinze ans ».

Depuis 2017, les gouvernements d’Emmanuel Macron n’ont pourtant pas corrigé la tendance, puisque le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus n’a pas significativement augmenté le nombre de médecins formés. Faute de moyens financiers et humains supplémentaires pour les universités, le nombre d’étudiants en médecine est passé de 9 300 en 2020 à seulement 11 180 en 2021, alors que les besoins sont plus importants, la population plus nombreuse, les patients plus âgés et souvent atteints de polypathologies.

Dans ce contexte, la proposition de loi du groupe Les Républicains visant à ajouter une quatrième année d’études aux internes en médecine générale non seulement ne résoudra rien, mais, au contraire, démotivera et précarisera les internes.

Tout d’abord, je souhaite dire quelques mots sur la méthode : ajouter une dixième année d’étude sans avoir ouvert de négociation avec les internes revient à mettre la charrue avant les bœufs.

En outre, une réforme de la formation des internes nécessiterait de discuter du contenu pédagogique et du rythme des études, de réfléchir à la prise en compte de l’épuisement professionnel qui touche les deux tiers des internes, à la revalorisation de leur statut, aux mesures de lutte contre les comportements sexistes lors des stages dénoncés par l’Association nationale des étudiants en médecine de France. Je le rappelle, un interne a environ trois fois plus de risque de se suicider qu’un jeune du même âge, à telle enseigne que, en 2021, une campagne intitulée #ProtègeTonInterne avait été lancée.

L’idée d’ajouter une dixième année d’études prouve bien que cette proposition de loi est en déconnexion totale avec la réalité des internes. Du reste, elle ne réglera ni la pénurie des médecins ni l’aspiration des jeunes médecins, qui souhaitent, à juste titre, pouvoir pratiquer la médecine en conciliant davantage vie familiale et vie personnelle.

Aujourd’hui, les nouveaux médecins aspirent en majorité à exercer leur activité dans un cadre salarié, en équipe, dans un territoire muni d’un hôpital de proximité, et non en libéral, comme le privilégie cette proposition de loi. Il faudrait donc favoriser les stages et l’installation en centre de santé.

L’incitation à faire des stages dans les territoires sous-dotés n’entraînera pas mécaniquement l’arrivée de 3 900 internes dans les déserts médicaux. Les incitations fiscales à l’installation ont démontré leurs limites, puisque seulement 400 médecins par an réclament les 50 000 euros proposés pour s’installer dans un territoire sous-doté.

Les internes qui souhaiteraient effectuer un stage dans un désert médical devront être encadrés par un médecin senior, alors que, par définition, les déserts médicaux sont dépourvus de médecin ou, en tout cas, manquent de médecins disponibles.

De plus, l’ajout d’une année supplémentaire en stage créera une année blanche d’installation de nouveaux médecins.

Enfin, les critères d’attractivité pour les jeunes médecins font cruellement défaut, puisque les politiques d’austérité menées au cours des vingt dernières années, y compris par la droite, cher collègue Bruno Retailleau, ont entraîné la fermeture des hôpitaux et maternités de proximité, ainsi que la disparition des services publics de proximité.

Selon nous, la réponse politique doit être multiple. Mais, dans le temps qui m’est imparti, je souhaite privilégier quatre propositions qui me semblent majeures : l’augmentation des moyens des universités pour former davantage de professionnels de santé ; le développement de centres de santé ; le rétablissement de la permanence médicale la nuit et le week-end, via l’abrogation du décret Mattei et la revalorisation des gardes de tous les soignants dans le public et le privé ; enfin, la mise en place d’un conventionnement sélectif dans les zones surdotées.

Mes chers collègues, vous êtes loin du compte avec votre proposition de loi. Aussi, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront contre ce texte, tout comme nous voterons contre l’article 23 du PLFSS pour 2023, qui prévoit un dispositif similaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, nous a été soumise une proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux ».

Les internes en médecine générale n’étant pas une variable d’ajustement, les démarches qui consisteraient à proposer une modification de leur formation dans l’unique objectif de lutter contre les « déserts médicaux » nous sembleraient inadaptées. On n’envoie pas les jeunes dans des « déserts » pour réparer des erreurs dont ils ne sont pas responsables.

Mme Nadia Sollogoub. Le poids des mots, ce n’est pas rien ; il est grand temps d’en changer certains…

J’habite moi-même une région où l’angoisse des patients et des soignants est grande. L’accès aux soins y est le problème central, sans doute à l’origine d’un sentiment d’abandon dramatiquement vécu par les habitants et les électeurs. On ne peut certes ignorer l’attente des territoires – les travaux que nous avons menés avec Hervé Maurey et Jean-François Longeot l’ont démontré –, mais on ne peut pas dire que ce soient des déserts !

De nouvelles manières de travailler y amènent de nouveaux habitants, des projets y émergent, des soignants y viennent aussi, certes en nombre – hélas ! – insuffisant, mais de leur plein gré et avec un vrai projet de vie. Les jeunes médecins ne construisent pas leur vie en fonction de primes ; ils la construisent en cherchant à s’épanouir professionnellement et personnellement. Donc, pas de « désert » ; pas de punition !

Cela, notre commission l’a bien compris. Elle a veillé à présenter en séance un texte désormais intitulé proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale. Si l’initiative de Bruno Retailleau et de certains de nos collègues vise à orienter la formation des jeunes praticiens vers plus d’ambulatoire, alors, elle est intéressante et doit être soutenue.

Les autres spécialisations médicales se font en quatre années. Il y a donc une forme de logique à aligner cette spécialité sur les autres, à considérer que la médecine générale est une spécialité pleine et entière, exigeant une phase longue de pratique de terrain, qui est au fond la meilleure des écoles. L’année en tant que docteur junior, pour être pleinement attractive, devra être assortie d’une juste rémunération.

Cette période sera un peu comme les remplacements que faisaient les jeunes médecins généralistes ici ou là, pendant quelques mois ou années, période que certains d’entre vous ont sans doute connue, le temps d’écrire leur thèse, avant de se fixer pour de bon.

Voici ce que je lis dans le communiqué d’un regroupement de jeunes généralistes installés ou remplaçants : « Nous témoignons tout notre soutien à nos futurs confrères en formation ; nous réclamons pour eux une formation de qualité et une phase de consolidation qui les accompagne réellement dans la construction de leur projet. » Oui, il est indispensable que cette quatrième année soit une plus-value pour eux.

Au sein du groupe Union Centriste, les avis sur ce texte sont majoritairement favorables. Néanmoins, si, pour ma part, je m’apprête à le voter, certains de mes collègues émettent, je le sais, des réserves sur le nombre potentiellement insuffisant de maîtres de stage, sur la nécessité d’une plus grande concertation, sur le besoin d’enseignants en médecine générale ou encore sur le risque d’une coercition déguisée.

Par le passé, j’ai moi-même accueilli dans mon foyer, en tant que conjoint collaborateur d’un médecin généraliste, de jeunes internes en fin d’études, pour des sessions de quelques semaines. Je sais combien ces séjours, à ce moment de leur vie, à la découverte d’un territoire, au contact des habitants de celui-ci, peuvent être déterminants. Trois de ces stagiaires se sont installés près de chez nous. Une année pleine et entière en autonomie aurait certainement eu des effets encore plus significatifs. Par conséquent, j’y crois.

J’y crois, mais avec des réserves. Quid, en effet, des maîtres de stage ? Pour connaître les médecins généralistes de mon département, la Nièvre, et leur charge de travail, je sais que les sessions de formation à Dijon, située à deux heures et demie de route, pendant des journées entières et revenant régulièrement, c’est très dissuasif. Si certaines sessions sont, depuis la crise sanitaire, assurées à distance, celles qui subsistent en présence devraient être organisées au plus près des médecins, dans tous les départements, comme cela commence à se pratiquer en de rares endroits. Cette possibilité doit se généraliser. C’est à ce prix que de nouveaux médecins viendront grossir les rangs des maîtres de stage universitaires.

Actuellement, l’ambulatoire est déjà au programme du diplôme d’études spécialisées de médecine générale, mais il est insuffisamment mis en œuvre, faute de lieux de stages et, parfois, parce que les internes restent – hélas ! – dans les centres hospitaliers universitaires pour remédier au manque de personnel, ce qui est inadmissible.

La réflexion autour de l’ambulatoire doit être globale. Elle doit concerner également les spécialistes, ne pas rester théorique et s’inscrire peut-être dans un vaste chantier de refonte des études médicales, en s’inspirant d’autres modèles voisins.

Reste l’épineux sujet du lieu de ces stages, puisqu’il est désormais acquis que c’est presque tout le territoire national qui est en zone sous-dotée. Les internes aiment les stages enrichissants. Mais, en fin de cursus, ils peuvent également avoir des charges de famille et des ancrages que l’on comprend aisément. Le lieu de vie pendant une année entière, après de longues études, ce n’est pas rien.

L’idéal serait alors qu’ils puissent se diriger vers une région, probablement sous-dotée, puisqu’elles le sont presque toutes, où ils ont déjà une attache, voire un début de projet. « Quatrième année » ne doit pas impliquer « territoire inconnu », non plus que « désert » ou « punition ». Il faut prévoir de la souplesse dans les affectations.

Cela m’amène à un autre sujet essentiel, celui de l’origine géographique des étudiants. Prenons encore le cas de ma région. Si tous ceux qui réussissent le concours de médecine à Dijon sont de jeunes Dijonnais qui ont bénéficié d’une proximité familiale et d’un contexte connu, il semble difficile, sauf coercition, de les voir s’installer en milieu rural !

C’est pourquoi il est capital que les formations se délocalisent, ne se cantonnent pas aux grandes villes universitaires et viennent au plus près des territoires. C’est en partie les années pendant lesquelles nous n’avons formé que de jeunes urbains que nous payons actuellement.

Une faculté de médecine est ainsi en train de se mettre en place à Orléans. Le parcours accès santé spécifique (Pass), première année d’études de médecine, ouvert à Nevers après de longues années de bataille, a permis à 50 % des étudiants de réussir le concours. Voilà une vraie solution, et il y en a d’autres ailleurs en France ! Les « déserts médicaux » sont tout simplement des déserts de formation.

Il en faut plus, monsieur le ministre ; le numerus apertus doit muter en numerus proximus ! (Sourires.) Voilà ce que la proposition de loi de Bruno Retailleau m’a permis d’exprimer.

Si cette disposition est adoptée, il faudra que les moyens soient au rendez-vous, de même que les décrets d’application, car il y a des précédents…

Monsieur le ministre, vous visez le même objectif, au travers de l’article 23 du PLFSS pour 2023. Vous justifiez le recours à ce véhicule en affirmant que cette mesure aurait un impact sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou sur les dépenses des organismes concourant à leur financement qui affecte directement l’équilibre financier de ces régimes. Or, d’après le chapitre relatif à l’impact financier global de l’étude d’impact du projet de loi, votre dispositif n’aurait aucun effet sur les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss). Ce que je vois, le Conseil constitutionnel le verra également ; je n’en doute pas. Aussi, je vous invite à vous saisir du véhicule législatif que nous vous présentons.

Je termine en citant une réponse de vos services, monsieur le ministre, à une question que j’avais posée en 2018 sur les stages des internes en médecine : « La ministre des solidarités et de la santé est extrêmement attachée à favoriser le développement de la maîtrise de stage ambulatoire. Les débats qui ont eu lieu avant l’adoption de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé ont rappelé combien la diversification des lieux de stages constituait une nécessité pour permettre aux étudiants, futurs médecins, de se former et de découvrir un large spectre de situations professionnelles. »

Souhaitons donc que la loi de 2022 puisse mettre en place, en mieux, ce que la loi de 2019 n’a pas pu faire aboutir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bienvenue en France, le pays qui prétend posséder le meilleur système de santé au monde, mais qui abandonne plus de 10 % de sa population, soit 8 millions de personnes, dans les déserts médicaux !

Même si, désormais, certaines grandes villes se trouvent sous-dotées, en raison principalement de l’insécurité qui y règne, comme dans les quartiers nord de Marseille, où la patientèle ne manque pourtant pas, puisqu’elle vient des quatre coins du monde, et plus précisément du tiers-monde, les déserts médicaux se concentrent principalement en ruralité.

Le désert n’y est pas que médical ; il est global ! Comment voulez-vous qu’un médecin aille s’installer avec sa famille dans un endroit où s’accumulent les problématiques de mobilité, de logement, d’emploi, et où ont disparu les écoles et les commerces, faute d’une véritable politique d’aménagement du territoire ?

De plus, une aggravation inéluctable de cet état de fait est à venir : un généraliste sur deux est âgé de plus de 60 ans et partira bientôt à la retraite.

Le vieillissement général de la population rendra l’abandon plus criant. Les pénuries énergétiques et l’inflation amplifieront ces phénomènes, car l’assurance maladie rembourse les consultations, mais pas les trajets pour s’y rendre.

Chez moi, dans les Bouches-du-Rhône, la disparition de SOS Médecins dans les communes rurales a pour conséquence un nombre moindre de visites à domicile et de médecins disponibles les week-ends et jours fériés. Cela aboutit à une surcharge ambulancière supportée par le Samu ou les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), déjà sous tension.

Les maires sont le dernier influx nerveux d’une ruralité exsangue. Beaucoup débloquent des aides incitatives. Malgré cela, les maisons de santé pluridisciplinaires se retrouvent souvent sans médecin.

Face à une telle situation, c’est tout un panel de soutien à la ruralité qu’il faut repenser. Mais avant toute chose, il convient de réintégrer les soignants non vaccinés. Leur suspension, qui était déjà un scandale, n’a vraiment plus aucun sens aujourd’hui.

J’en viens aux dispositions constituant le cœur de la proposition de loi. Les internes en médecine ne peuvent pas être les variables d’ajustement des carences de l’État. Ce sont déjà eux qui font tourner l’hôpital.

En quatrième année d’internat, les étudiants ont entre 27 ans et 30 ans et certains ont déjà fondé une famille. On ne peut pas leur imposer une année supplémentaire après dix ans d’études, sans qu’ils sachent où ils seront affectés. Surtout en les payant 8 euros de l’heure !

Cette mesure coercitive sur un an pose également un problème de suivi des patients. L’« excellent », comme le veut la formule consacrée, président Bruno Retailleau a évoqué tout à l’heure une mission de service public pour justifier ce texte. Où est-elle ? La proposition de loi relève plutôt de la philosophie macroniste. (Marques de dénégation sur les travées du groupe Les Républicains.) On la retrouve d’ailleurs – allez savoir pourquoi – à l’article 23 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

Pour conclure, je voterai contre cette mesure palliative administrée à un système en état de mort annoncée. Je suis partisan d’une réforme en profondeur en faveur de la ruralité. Aujourd’hui, une méthode demande à être mieux exploitée, celle du contrat d’engagement de service public (CEST), qui aide les médecins à s’installer dans les déserts médicaux à hauteur de 1 200 euros par mois. Le nombre de CEST signés évolue chaque année. Faisons en sorte que ce dispositif soit plus connu, en attendant de reconstruire l’attractivité de nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cette proposition de loi, dont l’initiative revient à M. Bruno Retailleau et à un certain nombre de ses collègues, nous sommes invités à nous saisir de la question essentielle de la formation des médecins. Cette dernière doit répondre à la fois à l’acquisition d’une somme importante de connaissances, d’un savoir-être, et surtout à la préparation des jeunes médecins à leur futur exercice professionnel, qui, pour les généralistes, se fera majoritairement sur les territoires, en libéral.

Le sujet n’est pas tant d’aligner le nombre d’années de la spécialité médecine générale sur celle des autres spécialités. C’est plutôt, et surtout, de savoir pourquoi on ajoute une année supplémentaire au troisième cycle des études médicales.

S’il s’agit de déployer un bataillon de docteurs juniors sur des territoires sous-dotés pour apporter une réponse politique à la problématique complexe des déserts médicaux, je n’y serai pas favorable.

En effet, le doute persiste sur la finalité de cette proposition de loi, du fait du titre initial du texte, de la communication faite autour de cette mesure, des discussions ayant eu lieu en commission des affaires sociales et dans le cadre d’auditions, jusqu’à l’exposé des motifs du texte, qui débute par l’évocation des déserts médicaux.

Alors que la discussion est entamée depuis plusieurs années déjà sur cette question, que les étudiants, professeurs et doyens n’y étaient pas et n’y sont toujours pas fermement opposés, la finalité à peine masquée de la mesure a suscité beaucoup d’inquiétudes.

Si l’accès aux soins doit mobiliser chacun d’entre nous, je ne crois pas aux mesures coercitives, y compris quand elles se drapent de bonnes intentions, à plus forte raison dans un contexte de manque de professionnels.

Doit-on le rappeler ? En dix ans, la France a perdu 5 000 médecins généralistes. En vingt ans, leur densité sur les territoires a baissé deux fois plus que celle des autres spécialités. Aujourd’hui, 84 % de notre pays est sous-doté. Aucune réforme, aucun décret, aucune mesure, aucun plan, n’ont réglé et ne régleront de manière isolée la problématique de l’accès aux soins, tant que le nombre de généralistes en exercice n’aura pas augmenté de manière significative, par une amplification nette du numerus apertus et, surtout, du quota de médecins généralistes dans le cadre de la sélection pour les spécialités.

Alors que cette année supplémentaire doit voir le jour, il faut parler de pédagogie, de professionnalisation et d’une meilleure adaptation de la formation au cœur de métier de la médecine générale.

Une quatrième année professionnalisante, bien pensée et concertée, pourrait et devrait mieux préparer les jeunes médecins à la réalité du métier, qui se fait pour l’essentiel – je l’ai déjà indiqué – en libéral. Si elle est bien menée, elle favorisera les installations sur les territoires.

J’en suis convaincue, cette quatrième année, avec un stage obligatoire en ville, mais aussi un stage libre, par exemple dans un hôpital de proximité, répondrait mieux aux exercices partagés, aujourd’hui plébiscités par les jeunes, et au décloisonnement ville-hôpital que nous appelons tous de nos vœux.

J’y vois aussi un autre avantage : les étudiants devront présenter leur thèse en troisième année de troisième cycle, et ne pourront plus repousser cette échéance, report qui les éloigne aujourd’hui d’autant d’une installation en cabinet.

Mais cette année supplémentaire doit répondre à plusieurs conditions.

Tout d’abord, elle ne doit pas être un prétexte pour répondre de manière totalement imparfaite à la problématique des déserts médicaux.

Ensuite, elle doit entraîner l’adhésion des étudiants et du Collège national des généralistes enseignants.

Par ailleurs se pose la question de l’encadrement. S’il est bien précisé que ces stages s’effectueront « sous un régime d’autonomie supervisée », ils devraient être obligatoirement encadrés par un maître de stage des universités. Sont-ils suffisamment nombreux dans les territoires pour accueillir ces jeunes de quatrième année ?

Enfin, la dernière condition est liée à la rémunération. La proposition de loi évoque une rémunération à l’acte. Cette option me semble peu aboutie. Ne risquerait-elle pas de créer des conflits entre stagiaires et référents ? Ne faudrait-il pas un socle commun salarial, avec – pourquoi pas ? – une incitation supplémentaire dans le cas de cabinets à forte activité ou pour une pratique en zone sous-dense ?

De manière générale, ne l’oublions pas, ce sont de bonnes conditions de travail, un environnement professionnel stimulant et des territoires accueillants qui sont, je le crois, les critères privilégiés du choix d’installation des jeunes professionnels. Plutôt que d’orienter les docteurs juniors en priorité vers les territoires sous-dotés, dont la définition est imparfaite, orientons-les en priorité vers des lieux d’exercice où il existe des dynamiques de santé, avec des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), des exercices professionnels coordonnés et des équipes de soins primaires (ESP) à même de leur donner envie de poursuivre l’aventure.

Faisons en sorte de former, dès le début des études médicales, de jeunes médecins en proximité.

Sous toutes ces réserves, le groupe RDSE n’est pas défavorable a priori à cette proposition de loi, mais – vous l’aurez compris – pas à n’importe quel prix.

Notre groupe déterminera son vote en fonction de la discussion qui suivra et du sort qui sera réservé aux amendements, notamment aux plus coercitifs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas sortie du chapeau ; M. Bruno Retailleau l’a rappelé. Nous en parlons depuis plusieurs années avec le Conseil national de l’ordre des médecins et la conférence des doyens des facultés de médecine. Lors de l’audition que nous avons menée en début d’année, qui a réuni l’Association nationale des étudiants en médecine de France et la conférence des doyens, la quatrième année avait été évoquée et avait recueilli l’assentiment, notamment, de cette dernière.

Je voudrais tout d’abord remercier la rapporteure de la commission des affaires sociales de son travail sur ce texte, que j’avais bien évidemment cosigné. Elle a en effet apporté deux clarifications qui me semblent indispensables.

Tout d’abord, sur l’entrée en vigueur, il est parfaitement clair que l’allongement de la durée des études ne s’appliquera pas aux étudiants ayant entamé leur troisième cycle. La réforme suppose en effet une révision de la maquette, ce qui ne s’improvise pas. Par ailleurs, il ne s’agit pas de prendre au dépourvu des internes déjà bien avancés dans leur cursus.

Ensuite, et cette deuxième précision était nécessaire, la réforme ne vise pas à réformer les études de médecine générale uniquement pour répondre à la question de l’accès aux soins dans les territoires sous-denses. Il s’agit de réformer les études de médecine générale pour consolider la formation des futurs médecins en leur permettant de se confronter aux caractéristiques de l’exercice en médecine de ville, sous un régime d’autonomie supervisée.

La crainte des étudiants, nous l’avons entendue dès 2019. La commission avait alors proposé d’aménager la troisième année du cursus pour permettre un an de stage en autonomie supervisée. Cette année s’était ensuite transformée en six mois en commission mixte paritaire. Ils ne se sentaient pas prêts à un exercice autonome, craignaient pour la qualité de leur formation, et redoutaient une affectation forcée dans un lieu non choisi, où ils se trouveraient abandonnés à leur solitude, de surcroît dans des territoires qualifiés, de manière peu engageante, de « déserts ».

Rien de tel dans le texte que nous proposons. Le mode d’exercice est bien celui de l’autonomie supervisée, sous l’autorité de maîtres de stages universitaires formés, avec une formation à l’exercice en ville et, très certainement, à l’exercice coordonné, avec le collectif et la pluriprofessionnalité auxquels les jeunes médecins aspirent.

La formation au premier recours en médecine de ville, à la gestion de l’« entreprise médicale », qui fait actuellement défaut, ou à la compréhension des mécanismes des projets territoriaux – je pense notamment aux centres de perfectionnement du personnel soignant (CPPS) – viendra compléter les cursus. Ce seront de vrais apports pédagogiques pour les futurs médecins.

Nous ne tentons pas de transformer de jeunes internes en médecins de famille à l’ancienne ni d’en mettre un sous chaque clocher. Cela ne correspond plus à la société actuelle.

En revanche, il nous faut réfléchir, en termes d’accès aux soins, à des formes qui peuvent évoluer, dans des territoires donnés. Je pense notamment à des zones d’activité médicale permettant, pour les patients et les médecins, de trouver un équilibre pour ce qui concerne les demandes de recours.

La concurrence entre les territoires est délétère ; il nous faut plus de coopération.

L’acceptation forcée, qui – je le conçois bien correspond au souhait de certains, ne me semble pas envisageable dans le contexte de la démographie médicale et du vieillissement de la population. On ne gère pas la pénurie par la coercition. Il n’existe pas de zones surdotées, en tout cas en secteur 1. Il s’agit d’un phénomène urbain, périurbain et rural.

Dans le cadre de la mission que vous mettrez en place, monsieur le ministre, il faudra associer les ARS, les unités de formation et de recherche (UFR), les représentants des internes, les ordres, les unions régionales des professionnels de santé (URPS) et les élus, pour définir les zones et les lieux de la professionnalisation sur chaque territoire.

Avec ces temps de formation nouveaux, le dispositif crée du temps médical supplémentaire – c’est un point majeur –, en irriguant les territoires chaque année en nouveaux médecins.

La nouvelle maquette incitera les internes en médecine générale à passer leur thèse, échéance qu’ils ont aujourd’hui trop tendance à repousser, ce qui est rédhibitoire pour les installations et qui dément aussi l’idée de retard à l’installation liée à la quatrième année.

Les territoires ont un rôle à jouer pour soutenir le développement des maîtres de stage universitaires – cela a été souligné –, faire valoir leur dynamique et mettre en place de bonnes conditions d’accueil. Les collectivités sont déjà très impliquées, et certaines obtiennent d’excellents résultats.

Il existe déjà 12 000 maîtres de stage universitaires. Certes, leur nombre devra être renforcé pour que les docteurs juniors puissent être accompagnés. Cela me semble tout à fait possible. Bien entendu, cette proposition de loi ne saurait constituer une réponse unique au creux de la démographie médicale auquel nous serons confrontés pendant encore au moins dix ans. À cette question éminemment complexe, les réponses doivent être multiples. Elles vont de la télémédecine aux délégations de tâches, en passant par l’organisation de transports et d’accompagnement pour les patients, etc.

Le texte vise à mieux préparer les étudiants en médecine générale à la médecine de ville, afin qu’ils fassent leur choix de vie et d’exercice en confiance et en pleine connaissance de territoires où ils pourront faire le choix de s’installer.

Faisons ce pari sans tarder, dans un esprit gagnant-gagnant. C’est la raison pour laquelle je voterai évidemment la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de M. Bruno Retailleau a un objectif que nous souhaitons tous atteindre depuis maintenant une décennie : faire en sorte d’avoir des médecins dans nos villages, dans nos bourgs. En bref, il s’agit de lutter contre les « zones sous-denses ». Je sais que la commission des affaires sociales est mobilisée sur le sujet.

Élu de Corrèze et médecin en milieu rural, je ne peux que constater les problèmes provoqués par le manque dramatique de médecins généralistes.

Qu’ils vivent en milieu rural ou en périphérie des villes, les citoyens doivent pouvoir être soignés et suivis. Nous souhaitons avoir un médecin dans nos maisons de santé. J’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens. La suppression du numerus clausus est une bonne chose, mais nous devrons patienter une dizaine années avant d’en ressentir les premiers effets sur nos territoires.

Les territoires ruraux connaîtront une véritable catastrophe si nous ne prenons pas rapidement des décisions efficaces. Car les urgences sont encombrées, de nombreux patients n’ayant pas de médecin traitant.

La proposition de loi que nous étudions vise à introduire une avancée nouvelle. C’est aussi l’une des promesses de campagne du président Macron. L’urgence est réelle. Je me réjouis que nous ayons ce débat et je tiens à féliciter Mme la rapporteure Corinne Imbert.

J’ai rencontré récemment des étudiants en médecine qui m’ont fait part de leurs craintes : ils craignent d’être exploités avec cette année supplémentaire, en étant payés 2 000 euros par mois après dix ans études. Je comprends parfaitement leurs réticences, dans la mesure où, auparavant, les remplacements s’effectuaient en sixième ou septième année.

Les études de médecine sont déjà très longues ; elles durent neuf ans. De nombreux stages sont au programme. Les étudiants s’inquiètent aussi de ne pas être suffisamment secondés au cours de cette dernière année d’internat. Je leur ai répondu qu’ils bénéficieraient d’un médecin référent. En outre, à l’heure actuelle, après trois ans d’internat et six stages de six mois, ils peuvent remplacer sans médecin référent. De la même manière, après trois stages, dont six mois en médecine polyvalente, ils peuvent remplacer sans médecin référent.

À la suite de ces rencontres, j’ai décidé de déposer trois amendements à la proposition de loi.

Le premier, déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, était en réalité un amendement d’appel. J’en suis conscient, il n’aurait pas été adopté. Il s’agissait d’une réécriture de l’article unique, s’inscrivant dans la ligne de pensée ayant dominé nos échanges en 2019, au moment de l’adoption de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. À l’époque, la commission avait adopté, de manière consensuelle, un amendement visant à faire en sorte que les six derniers mois d’internat soient réalisés dans les territoires manquant de médecins. Cette disposition avait été négociée par Alain Milon avec les étudiants. Toutefois, le décret n’est pas paru.

Par ce premier amendement, il s’agissait de prolonger le stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas) d’un autre stage de six mois, faisant ainsi passer la période stage à une durée d’un an, sans ajouter une année supplémentaire complète à l’internat en médecine générale. Bien entendu, la priorité aurait été donnée aux zones sous-denses.

Je proposais en outre une rémunération plus importante au cours de cette année de Saspas.

J’avais déposé un deuxième amendement, qui, lui aussi, a été déclaré irrecevable pour les mêmes raisons que le précédent, ce que j’ai un peu de mal à comprendre.

Il portait sur la rémunération des médecins juniors dans le cadre d’une quatrième année d’internat. Je proposais de placer cette rémunération mensuelle à hauteur de l’équivalent de dix consultations payées à l’acte par jour, avec un logement, le médecin faisant appel à un médecin junior bénéficiant d’une clientèle importante.

Je le rappelle, les étudiants de dernière année d’internat ont déjà neuf ans d’études. Ils sont formés et peuvent donner des consultations seuls, avec l’aide et les conseils d’un médecin référent. Bien entendu, il est préférable que ce dernier soit un maître de stage universitaire (MSU), comme le prévoit cette proposition de loi. Toutefois, monsieur le ministre, lorsqu’ils ont une clientèle débordante, les médecins n’ont pas le temps d’être MSU. Telle est la réalité du terrain.

Les médecins devront donc devenir MSU, avec plus de proximité dans la formation.

Enfin, mon troisième amendement porte sur le lieu de la dernière année d’internat prévue dans la proposition de loi. Selon moi, il est important qu’elle se fasse sur le territoire du CHU où l’étudiant a fait ses études.

Parallèlement, des étudiants en quatrième année et cinquième année pourraient aller dans des hôpitaux périphériques. Cela participe aussi à la répartition géographique des étudiants et des internes et à la découverte des territoires.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons l’impérieuse nécessité de proposer l’accès aux soins dans tous les territoires. C’est le rôle de l’État. À mon sens, nous devons davantage écouter les étudiants pour ce qui concerne leur rémunération. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de cette proposition de loi, qui, je l’espère, apportera en 2026 des solutions pour les zones sous-denses. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, signe de l’impuissance des politiques publiques, les zones sous-denses s’étendent depuis longtemps, renforçant les inégalités d’accès aux soins.

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), entre 2015 et 2018, la part de la population française vivant en zone sous-dotée en médecins généralistes a augmenté de 50 %. Particulièrement impactées, les zones rurales et les zones populaires des métropoles subissent à la fois les fermetures des hôpitaux de proximité, des maternités et des services d’urgence, ainsi que le non-remplacement des médecins, des infirmiers ou des sages-femmes.

Toujours selon la Drees, 60 % des personnes en territoires ruraux connaissent des difficultés d’accès à un médecin généraliste. Comme souvent, les mesures d’incitations financières ont été privilégiées. Des dizaines de millions d’euros ont été dépensés, avec des résultats plus que décevants. En 2014, puis en 2019, la Cour des comptes avait constaté que ces mesures avaient plutôt provoqué des effets d’aubaine pour les médecins déjà en place.

Cet échec doit nous conduire à reprendre l’analyse des causes, pour de nouvelles solutions.

Si certaines études scientifiques disponibles concluent qu’un stage long en zone rurale sous-dotée, surtout en fin de cursus, peut encourager les nouveaux médecins à s’installer, d’autres considèrent son impact comme très faible.

Toutefois, d’autres études pointent des pistes intéressantes, car structurelles, ayant donné d’excellents résultats, de surcroît durables, notamment à l’étranger. À ce sujet, la méta-analyse de la Drees, en 2021, est formelle : il ressort de toute la littérature scientifique que le choix de s’installer dans une zone mal desservie est en premier lieu lié à un ensemble de facteurs personnels, et ce sans méconnaître les conditions d’environnement plus générales : intensité des services publics, proximité de centres hospitaliers, autres professionnels de santé installés sur le territoire, dynamisme des activités économiques.

Toutes ces raisons, nous les connaissons. Cependant, de façon constante, les travaux de recherche concluent que l’origine rurale du médecin est un facteur essentiel et le meilleur prédicteur de l’installation en zone rurale. Le fait d’être né en milieu rural, d’y avoir grandi, d’y avoir effectué sa scolarité ressort dans tous les pays comme un des déterminants majeurs du choix d’exercer dans cet environnement.

Or les territoires ruraux étant majoritairement populaires, les élèves qui en sont issus se heurtent à la sélection à l’université, amplifiée depuis quelques années par Parcoursup, véritable machine de reproduction sociale. Après les grandes écoles, les études de santé comptent parmi les plus clivées socialement. Ainsi, alors que les enfants des cadres métropolitains sont surreprésentés en études de médecine, leurs chances de réussite sont deux fois et demie fois supérieures à celle d’un enfant d’ouvrier.

Cette absence de diversité sociale a été amplifiée par les politiques de déstructuration de l’enseignement supérieur et la concentration des lieux de formation. Les fusions des universités vont frontalement à l’encontre des recommandations de l’OMS, qui préconise justement la décentralisation des centres de formation dans les territoires ruraux et sous-denses.

De nombreux pays ont entamé une démarche de décentralisation des ressources à des centres satellites ruraux, voire ont ouvert de nouvelles écoles de médecine. Je pense à la Norvège, à l’Australie ou au Canada, qui suivent ainsi les recommandations de l’OMS.

De la critique des critères de sélection à l’université pour ouvrir la diversification sociale à la décentralisation, autant que possible, des lieux de formations, certaines solutions durables contre les déserts médicaux réclament des mesures structurelles, qui questionnent les politiques en matière tant d’enseignement supérieur que d’aménagement du territoire.

L’aménagement du territoire accentue aujourd’hui un phénomène de répartition sociale du territoire, entre, d’un côté, une concentration des cadres, que le chercheur Guillaume Faburel appelle les « classes créatives », au sein des grandes métropoles, et, de l’autre, des territoires ruraux majoritairement ouvriers, qui subissent la dévitalisation économique, la fermeture des services publics et les déserts médicaux.

Il n’est pas étonnant que le démographe Hervé Le Bras ait pu dire hier que la France des déserts médicaux était celle des « gilets jaunes ». Or, pour lutter contre un tel phénomène, l’OMS recommande des politiques d’admissions ciblées pour les étudiants d’origine rurale et une décentralisation d’une partie des campus et des programmes d’internat.

Cette proposition de loi présente, selon nous, une solution de régulation très partielle et contestée, en faisant l’économie d’autres types de régulation, notamment par l’installation, comme des causes que je viens d’évoquer.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe écologiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est l’un des chemins de recherche pour préserver et améliorer notre système de soins, sur tous nos territoires.

La médecine générale est la seule spécialité à n’avoir que trois années de formation en troisième cycle, sans phase de consolidation ni d’accès au statut de docteur junior. Le dispositif proposé vise à mettre en place une quatrième année, véritable année de professionnalisation. Les internes réaliseront plusieurs stages en autonomie supervisée et en ambulatoire, tout en préparant mieux leur installation.

Longtemps mentionnée comme piste de réflexion pertinente, cette quatrième année permettrait l’arrivée chaque année de plusieurs milliers de médecins juniors, affectés en priorité dans des zones où l’offre de soins est faible. Ce serait aussi l’occasion pour ces jeunes professionnels de découvrir et apprécier d’autres lieux et d’autres modes de vie.

Plusieurs véhicules législatifs nous permettront de débattre davantage d’une telle mesure, le Gouvernement l’ayant inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce dont je me félicite. Nous sommes tous à la recherche de solutions pour consolider la formation de nos médecins, faciliter leur installation et également permettre à chaque citoyen d’obtenir les soins qu’il nécessite, sans inégalité. La mesure s’inscrit ainsi dans une logique plus globale et effective d’amélioration de la santé pour tous.

En complément d’autres dispositifs déjà mis en œuvre par l’État et nos collectivités, elle nécessitera d’assurer un nombre suffisant de maîtres de stage. Grâce à l’effort engagé, le nombre de praticiens habilités a connu une hausse de 9,6 % entre 2019 et 2021.

Il faut inciter davantage les médecins à candidater et faciliter les procédures, en ciblant les territoires où l’offre de soins est très insuffisante.

En outre, l’exercice de la médecine a changé. Les jeunes professionnels ont désormais des souhaits qu’il faut prendre en compte si l’on souhaite assurer leur venue sur nos territoires et leur installation dans la durée : profession du conjoint, éducation des enfants, services publics, sécurité, mais aussi organisation du travail et existence d’un réseau de professionnels paramédicaux et de spécialistes ; ce dernier critère suppose d’ailleurs d’augmenter aussi le nombre de maîtres de stage universitaires dans les autres spécialités. C’est donc en réalité un ensemble de mesures qu’il faut prendre.

J’en suis d’autant plus persuadé que je viens d’un territoire non pas sous-doté, mais – j’y insiste – « sous-sous-doté ». J’aimerais d’ailleurs saluer le travail réalisé par mes collègues de la commission des affaires sociales sur le système de soins à Mayotte.

L’offre de soins, en médecine de ville en particulier, y est balbutiante : vingt-sept médecins généralistes libéraux, dont sept maîtres de stage, pour ainsi dire aucun spécialiste, et ce pour 300 000 habitants. À La Réunion, le département voisin, dont la population est presque trois fois plus nombreuse, on compte 1 200 médecins généralistes et plus de 160 maîtres de stage. Mayotte n’a pas de CHU. Son centre hospitalier doit pallier les lacunes d’accès aux soins primaires ; il est constamment sous tension et multiplie les évacuations sanitaires vers La Réunion.

Les Mahorais qui en ont les moyens vont se soigner hors du département, à La Réunion ou en métropole. Les autres renoncent souvent aux soins, même essentiels. L’état de santé de la population se situe très en deçà de la moyenne nationale. La sécurité sociale est toujours régie par des dispositions spécifiques, mais je suis heureux de constater que la convergence progresse via notamment l’extension à Mayotte, dans le PLFSS pour 2023, de la complémentaire santé solidaire ; vous savez que les médecins libéraux du département sont nombreux à n’avoir pas signé de convention avec la sécurité sociale, ce qui pose beaucoup de problèmes, l’absence de remboursement incitant certains malades à rester à la maison…

Cette quatrième année d’internat apprendrait beaucoup aux internes qui la feraient chez nous et serait une chance pour l’île. Je souligne d’ailleurs la création, sur l’initiative du centre hospitalier de Mayotte, d’une agence territoriale de recrutement qui a reçu cette année le grand prix de l’innovation en ressources humaines. Elle vise l’ensemble des acteurs de santé du territoire et doit permettre de centraliser le recrutement, d’accompagner les candidats, de renforcer l’attractivité et de fidéliser les personnels.

Les obstacles sont nombreux dans nos territoires, et les problèmes se posent de manière particulièrement intense et urgente à Mayotte.

Cette proposition de loi contribue en partie à les lever. Le groupe RDPI votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre monde vit actuellement assez de malheurs pour qu’on essaie de lui en épargner au moins un : celui de mal nommer les choses. Or c’est bien une telle confusion, que j’entends s’exprimer depuis la présentation qui en a été faite par son auteur, qu’installe cette proposition de loi.

Le texte a été déposé au mois de janvier dernier, avec un titre faisant référence à la formation des internes en médecine générale et à la lutte contre les déserts médicaux. Huit mois plus tard, à l’occasion de l’inscription de son examen en séance publique, le volet « lutte contre les déserts médicaux », bien qu’effacé du titre, reste omniprésent dans les propos de l’auteur du texte lui-même et dans ceux des collègues qui se sont exprimés à tour de rôle. Si cela ne signifie pas mettre de la confusion dans le débat, il faut m’expliquer…

Et ce n’est pas parce que le titre en a été expurgé que la proposition de loi porte bien sur la formation des internes de médecine générale. J’y insiste, vraiment : l’un des problèmes qui grèvent actuellement le débat public dans notre pays est que les objectifs y sont masqués au lieu d’être dits clairement aux premiers concernés par le dispositif, en l’occurrence les jeunes médecins.

M. Bernard Jomier. Nous préférons le langage des intentions clairement affirmées. À cette aune, le texte est maladroit. Notre vie publique est bien trop encombrée de termes euphémisés ; nous le voyons tous les jours. Dans notre pays, quand il est question de « concertation », en gros, cela veut dire : « cause toujours » ; quand on parle de « coconstruction », cela veut dire : « on fait comme j’ai prévu ». C’est précisément ce qui est en train de se passer sur le dossier qui nous occupe.

Nous connaissons les capacités d’analyse, de clarté et de synthèse de Bruno Retailleau ; je ne veux pas croire une minute qu’il les ait soudain perdues. (Sourires.) Il faut donc clarifier. Or la véritable question qui se pose à nous est la suivante : est-il possible de conjuguer, dans un dispositif unique, l’objectif d’une meilleure professionnalisation des études de médecine générale avec celui d’un apport de temps médical supplémentaire au bénéfice d’une population qui en a besoin ? En d’autres termes, doit-on demander aux jeunes médecins de participer à une meilleure offre de soins dans la partie sous-dotée du pays, soit 85 % ou 90 % de notre territoire ?

S’il n’y va que d’une question de formation, comme le suggère l’intitulé, la quatrième année n’a rien à faire dans cette histoire.

M. Bernard Jomier. Car ce n’est pas le Parlement, ce n’est jamais la loi qui décide de la longueur des cycles des études de médecine. Ce n’est pas le Parlement qui décide des lieux dans lesquels les étudiants doivent effectuer leur stage.

M. Pierre Ouzoulias. Cela s’appelle l’autonomie universitaire !

M. Bernard Jomier. On peut dire que le Gouvernement, en inscrivant un tel dispositif dans le PLFSS, prend un risque d’inconstitutionnalité. Mais je dis, moi, qu’en en faisant une proposition de loi, on abaisse le niveau de la loi dans un débat d’ordre réglementaire.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Vous proposez que l’on ne fasse rien, une fois de plus ? Voilà bien l’impossibilisme français dans toute sa splendeur !

M. Bernard Jomier. Mais si, comme nous le pensons, il est possible de proposer un dispositif conjuguant ces deux objectifs, il faut commencer par tenir un langage de vérité aux premiers concernés : les jeunes médecins.

Et il faut d’abord leur dire, avec force, que nous savons qu’ils ne sont pas responsables de la grave pénurie de médecins que connaît notre pays. La France, au mitan des années 1970, formait 10 000 médecins par an. Ce nombre est tombé à 3 250. Actuellement, nous en formons 8 500 par an. Comment notre pays ne subirait-il pas une pénurie profonde quand, dans le même temps, notre population est passée de 50 millions à plus de 65 millions d’habitants, le vieillissement faisant, de surcroît, émerger les problématiques de l’autonomie et de la dépendance ?

Les jeunes ne sont en rien responsables de cet état de fait : les responsables sont les gouvernements successifs, obsédés par une politique de l’offre visant à réduire les dépenses de santé en réduisant le nombre de médecins formés. Encore me dois-je de préciser qu’à cette décision des gouvernants ont participé activement un certain nombre de syndicats professionnels médicaux, ainsi que l’ordre des médecins,…

M. Bernard Jomier. … arguant ensemble d’un manque de patients pour plaider la réduction du nombre de médecins. Là est la vérité ! Et les seuls qui, à l’époque – je m’en souviens bien –, au mitan des années 1990, prirent position pour dire qu’il s’agissait d’une erreur funeste, ce sont les organisations de jeunes, celles qu’aujourd’hui vous refusez d’associer à la négociation en soumettant un dispositif au Parlement de manière précipitée !

Les jeunes refusent, et ils ont raison, une quatrième année d’internat, car ce dispositif ne permet pas leur pleine reconnaissance. C’est un statut sous-rémunéré. On fait croire qu’il n’est question que de formation sans même en expliciter les objectifs. Cette décision est prise sans eux : vous mettez la charrue avant les bœufs ! Il faut d’abord négocier. (Mme Émilienne Poumirol et MM. Patrick Kanner et Daniel Breuiller applaudissent.)

Oui, il est possible de mieux préparer les étudiants à des modalités d’exercice devenues, certes, plus complexes sous l’effet de la rareté de l’offre et de l’apparition de nouveaux parcours de soins, de nouvelles organisations territoriales et de nouveaux enjeux sociaux, qui, plus prégnants qu’auparavant, rendent inopérante une approche purement sanitaire.

Conjuguer une meilleure professionnalisation avec l’apport de temps médical dans nos territoires sous-dotés, voilà donc l’équation à résoudre ! Il s’agit bien de travailler à la fois au cadre pédagogique et à l’apport de santé publique.

La bonne réponse, à cet égard, se situe non pas dans la quatrième année d’internat de médecine générale, mais dans une année de professionnalisation – et les mots ont un sens ! – en respectant ces jeunes, c’est-à-dire en reconnaissant et en rémunérant à sa juste valeur la contribution demandée, en prenant en compte leurs problématiques de vie, en associant aux universités les collectivités territoriales, qui sont mieux à même de leur garantir des conditions matérielles adaptées en matière de logement, de transport et de vie quotidienne.

L’examen de ce texte est précipité. D’ailleurs, nous avons bien noté qu’une course s’était engagée entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement, par proposition de loi et PLFSS interposés – Mme la rapporteure a rappelé le calendrier –, pour faire prospérer à toute vitesse ce dispositif. Je ne doute pas que, au moment de l’examen du PLFSS, se renouera une alliance déjà manifeste lors de la session extraordinaire du mois de juillet. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Prenons-en le pari, si vous le voulez, mes chers collègues ! C’est ce qui est en train de se préparer.

L’examen de ce texte est précipité, car il ne faut pas inscrire aujourd’hui dans la loi une quatrième année du troisième cycle de médecine générale ! La question de savoir comment ils peuvent apporter du temps médical supplémentaire où il y en a besoin, au bénéfice de notre population et de la santé publique, doit faire l’objet d’une négociation avec les jeunes médecins et avec leurs organisations syndicales. Ils y sont prêts, à condition que le Parlement n’ait pas déjà délibéré. On négocie d’abord ; on vote la loi ensuite !

Cette proposition de loi est donc, à bien des égards, contre-productive. Le cadre posé n’est pas adapté et le législateur commettrait une erreur à modifier ex abrupto la durée du troisième cycle de médecine générale. Nous en appelons au volontarisme de la négociation et de la responsabilité partagée pour allier meilleure formation et temps médical augmenté. À défaut d’avoir été entendus, nous voterons contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1947, Jean-François Gravier publiait Paris et le désert français, ouvrage qui fit longtemps référence et dans lequel l’auteur démontrait le fort déséquilibre entre Paris et la province, analysant les conséquences qui en résultaient.

Soixante-quinze ans plus tard, la rhétorique du désert retrouve une acuité et une actualité particulièrement sensibles, notamment en matière médicale.

Depuis quelques dizaines d’années, cher Bernard Jomier – sans doute au moins quarante ans –, les déserts médicaux se répandent sur l’ensemble du territoire, au point de n’être plus cantonnés à la ruralité : les villes, et notamment leurs quartiers périphériques, sont désormais concernées.

La question est de savoir si ces déserts médicaux sont des phénomènes spécifiques ou s’ils ne sont pas plutôt la conséquence d’un phénomène global lié à la disparition des services publics dans les territoires ruraux et dans certains quartiers suburbains.

Peut-on raisonnablement espérer l’installation de médecins et de leurs familles dans des lieux sous-équipés en services publics de qualité, notamment scolaires et culturels, largo sensu.

Peut-on raisonnablement envisager que la vie et le rythme de travail d’un médecin de campagne des années 1970-1980 correspondent aux attentes des nouvelles générations ? Cela vaut également pour la médecine de ville.

Les évolutions des mentalités et la juridicisation de la société ont nécessairement un impact sur les installations en libéral.

Face à cette situation complexe et multicausale, il est impératif de proposer des solutions permettant de concilier les attentes des jeunes médecins avec celles d’une patientèle inquiète de voir son accès aux soins limité.

La proposition de loi déposée par Bruno Retailleau s’inscrit dans cette volonté d’apporter, d’une part, des réponses précises à nos concitoyens, mais aussi aux élus locaux, qui sont souvent en première ligne devant les doléances de leurs administrés, et d’améliorer, d’autre part, le cursus de formation des étudiants en médecine générale.

Cette préoccupation n’est pas nouvelle pour le Sénat. Dès 2019, monsieur le ministre, nous avions adopté un dispositif presque similaire, resté depuis lettre morte en l’absence des décrets d’application nécessaires, qui relèvent du Gouvernement. Et voilà que l’exécutif ajoute à la hâte au PLFSS examiné cet automne un article reprenant quasiment les termes de cette proposition de loi sans y apporter la moindre plus-value. La méthode est pour le moins discutable, car elle traduit une forme de mépris à l’égard du travail parlementaire consistant à se l’approprier en catimini au lieu de le valoriser.

Mais laissons de côté ce problème méthodologique et concentrons-nous sur les dispositions du texte ; elles ont fait l’objet de débats fort intéressants en commission des affaires sociales, tant le sujet revêt différentes dimensions : enjeux sociétaux, aménagement du territoire, formation de nos étudiants.

Je sais que les internes contestent en ce moment même le bien-fondé d’une telle réforme, en raison de l’allongement d’un an de la durée du troisième cycle des études de médecine générale. En outre, l’obligation de réaliser cette quatrième année en stages ambulatoires, sous un régime d’autonomie supervisée et prioritairement dans les zones sous-denses identifiées par les agences régionales de santé (ARS) inquiète aussi certains d’entre eux.

Il convient de souligner les apports de ce texte pour la professionnalisation des internes en médecine générale. Grâce à cette année supplémentaire, ils acquerront le statut de docteur junior, dont jusqu’à présent ils ne bénéficient pas. Grâce à l’accompagnement d’un médecin « superviseur », ils seront mieux préparés à l’exercice de la médecine en ville.

Ce texte constitue donc une réelle avancée, bien que certains points restent en suspens.

C’est le cas notamment des conditions de rémunération de ces étudiants, mais également de leurs conditions d’accueil dans les communes. Leurs frais d’hébergement et de transport seront-ils à la seule charge des collectivités ? Comment les inciter à s’installer dans ces zones sous-denses ?

De même, la question de l’encadrement demeure essentielle. Les maîtres de stage formés seront-ils en nombre suffisant ? Et seront-ils équitablement répartis sur l’ensemble du territoire ?

Le versement des honoraires pédagogiques des maîtres de stage devra se faire dans des délais raisonnables et non, comme cela se passe trop souvent, plusieurs mois après la fin des stages des internes. De tels retards de paiement pénalisent et démotivent les maîtres de stage qui se sont engagés dans le processus d’accompagnement et de formation des internes.

Enfin, il convient de mener une réflexion sur le lien entre la création de postes d’internes et les caractéristiques des bassins de vie où sont implantées les universités en matière démographique, sanitaire ou sociologique, et ce afin d’éviter les distorsions entre la réalité de terrain et le nombre d’internes formés dans les centres hospitaliers universitaires.

Un exemple simple : dans les Alpes-Maritimes,…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Alain Milon. … il y a 1,1 million d’habitants pour vingt postes d’internes en médecine générale. C’est largement insuffisant.

Cette proposition de loi pose les jalons d’une répartition géographique plus équilibrée tout en respectant le libre choix d’installation des futurs médecins, principe cardinal de notre médecine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment la France, nation à la médecine réputée et au système de soins généreux et envié, en est-elle arrivée à une telle situation de pénurie ? Actuellement, 11 % des Français seraient dépourvus de médecin traitant, cette proportion étant parfois multipliée par deux, comme dans mon département, l’Ardèche.

Sans doute notre pays a-t-il refusé de considérer la question du nombre de médecins sur le long terme. C’est là une responsabilité partagée : il n’est que de lire les échanges entre le Gouvernement et les parlementaires au début des années 1990. Aux élus qui s’inquiétaient des conséquences des baisses successives du numerus clausus en deuxième année de médecine sur la démographie médicale à venir, les gouvernants répondaient par des courbes statistiques et des projections lénifiantes.

Il faut donc appréhender ce sujet en sachant que de notre inertie ou de nos actions dépendra l’accès aux soins des temps à venir, ces décennies qui seront marquées par le vieillissement et la perte d’autonomie de la génération du baby-boom.

Dans cette perspective, nous le savons, nous devons considérer le problème sans tabou. Le salut viendra non pas de slogans ou de remèdes miracles, mais d’une conjugaison de solutions complémentaires et d’efforts collectifs.

En tant que représentants au Parlement des collectivités territoriales, nous devons nous emparer du sujet en proposant des solutions concrètes et viables. Je salue en cela l’initiative de Bruno Retailleau. À l’heure actuelle, en effet, ce sont essentiellement les élus des territoires qui investissent dans des solutions pragmatiques : création de maisons de santé pluridisciplinaires, salariat des médecins, recrutement de personnels déchargeant ces derniers des tâches administratives chronophages, voire, comme le fait le département de l’Ardèche, réponse concrète apportée à la question du logement des internes.

Le groupe Les Républicains n’a pas la prétention de régler par cette mesure seule la pénurie de médecins généralistes. Il s’agit de se saisir d’un volet important du problème, celui de la présence médicale. Les internes, qui en sont l’un des rouages importants, ne doivent nullement se sentir montrés du doigt et tenus pour futurs responsables de la situation. Notre conviction est qu’ils sont, au contraire, une partie de la solution.

Cette année supplémentaire de formation et de consolidation ne résoudra pas à elle seule le problème de la désertification médicale. Elle constitue l’un des leviers qu’il faut actionner, aux côtés d’autres, tels un meilleur recours aux infirmiers en pratique avancée et aux assistants médicaux ou la restructuration de l’offre de soins, qui, conjointement, permettront de restaurer le droit à la santé pour chacun.

Cette quatrième année d’internat – Mme la rapporteure l’a rappelé – permettra d’aligner la formation des futurs généralistes sur le cursus des autres spécialisations. Effectuant des stages en autonomie progressive et bénéficiant de la supervision d’un médecin expérimenté, ils percevront également une rémunération supérieure à celle qu’ils reçoivent pendant leurs années d’internat.

De surcroît, au cours de cette année passée dans une localité sous-dotée, ces futurs médecins prendront toute la mesure du délaissement, pour ne pas dire de la détresse médicale, que subissent certains territoires, notamment ruraux. À l’aube de leur carrière, cette expérience sensibilisera ces praticiens ayant fait de la santé une vocation autant qu’elle mobilisera la conscience civique de ces jeunes citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale
Après l’article unique

Article unique

I. – Le premier alinéa du II de l’article L. 632-2 du code de l’éducation est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« II. – La durée du troisième cycle des études de médecine, fixée par le décret mentionné au III en fonction des spécialités, est d’au moins quatre années.

« La quatrième année du troisième cycle de médecine générale est intégralement effectuée en stage en pratique ambulatoire dans des lieux agréés. Les stages ainsi effectués le sont sous un régime d’autonomie supervisée et en priorité dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique. »

II. – Le I du présent article n’est pas applicable aux étudiants qui, à la date de publication de la présente loi, avaient débuté le troisième cycle des études de médecine.

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, sur l’article.

M. Fabien Genet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux saluer la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale. Si le texte n’affiche plus pour objectif la lutte contre les déserts médicaux, il représente malgré tout un espoir pour nombre de territoires privés de médecins.

J’ai entendu certains de nos collègues critiquer un dispositif qui serait trop « précipité » ou accuser les auteurs d’une telle initiative de « mettre la charrue avant les bœufs ». Permettez à l’élu charolais que je suis (Sourires.) de vous dire que, dans nos campagnes, le sentiment qui prévaut, c’est plutôt celui que l’on a beaucoup trop tardé ! En 2014, en tant que maire de Digoin, j’ai été confronté au départ en quelques mois de la moitié des médecins généralistes de la ville et à l’angoisse de la population ainsi privée de soignants. Je me suis retrouvé face à l’irresponsabilité totale de notre système de santé : aucune institution ne faisait quoi que ce soit, et l’agence régionale de santé finissait par renvoyer les patients vers le maire que j’étais.

Fort heureusement, la situation locale s’est depuis lors améliorée, par exemple avec la création par le président André Accary d’un centre départemental de santé salariant des médecins ou l’installation d’une maison de santé pluridisciplinaire soutenue par l’intercommunalité, au sein de laquelle œuvre une équipe de médecins – ce sont d’ailleurs en majorité des jeunes – extrêmement dévoués. Comme ma collègue Marie Mercier, je pourrais vous parler d’autres communes – je pense ainsi à Cuisery ou à Genouilly – qui cherchent encore leurs médecins.

Monsieur le ministre, votre tâche n’est pas facile, mais elle est vitale. Nos concitoyens des territoires ruraux s’adaptent de gré ou de force aux délégations de tâches, aux cabines de télémédecine et, demain, aux médecins stagiaires, car ils n’ont pas d’autre choix. Mais ils ne sauraient accepter qu’on finisse par entériner le principe d’une médecine à deux vitesses.

L’urgence de la situation commande donc de prendre des mesures structurelles et complémentaires à la présente initiative. Une véritable mobilisation générale est nécessaire pour ne pas oublier le grand sacrifié de la situation : le patient. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour souligner les limites du dispositif prévu à cet article unique.

Voilà quelques années, les études de médecine duraient sept ans.

MM. Bernard Bonne et René-Paul Savary. Ah !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Les médecins étaient-ils moins compétents ? Pour ma part, je ne le pense pas. Je ne m’en suis pas trop mal sortie : mon médecin traitant avait fait sept ans d’études ; apparemment, ça allait ! (Sourires.) Je m’en sors bien plus mal aujourd’hui : au cœur du bassin minier, nous n’avons plus aucun médecin…

Actuellement, les études de médecine générale durent neuf ans. En cas d’adoption de la proposition de loi, leur durée serait portée à dix ans. Pensez-vous vraiment qu’une année supplémentaire va régler le problème des déserts médicaux ? En outre, il faudra des médecins seniors pour encadrer ces nouveaux internes. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il en manque partout, dans les zones urbaines comme dans les zones rurales.

Qui encadrera les jeunes internes volontaires ? Car nous parlons bien de volontariat, évidemment à moindre coût. Je rappelle que ces praticiens seront payés 2 000 euros à 2 500 euros par mois pour dix ans d’études.

Plus que jamais, nous devons réfléchir à la question de l’installation. Le problème ne sera jamais réglé si nous continuons à laisser s’installer des médecins dans les zones où l’offre de soins est fortement excédentaire. Au contraire : il s’aggravera. Plus qu’à une dixième année, nous sommes favorables à la réduction du premier cycle et du deuxième cycle, après discussion et concertation.

Une véritable loi est indispensable pour discuter de nouveau de la refonte globale des études de médecine avec l’ensemble des partenaires concernés, car il n’y a plus de numerus clausus. Monsieur le ministre, vous avez dit que l’on ne verrait malheureusement que dans dix ans les effets d’une réforme consistant à desserrer l’étau, donc à former davantage de médecins, en en donnant immédiatement les moyens aux facultés via la création de places supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Comme cela a été indiqué, à l’heure actuelle, l’hôpital public ne peut fonctionner sans les internes.

J’aimerais rappeler deux chiffres : la formation d’un médecin généraliste coûte à l’université environ 104 000 euros par étudiant et par an, quand la valeur du travail fourni est estimée à 121 000 euros. Les internes de médecine gagnent en moyenne 6 euros de l’heure, et 70 % des internes dépassent le plafond hebdomadaire légal de 48 heures en travaillant environ 58 heures par semaine. En d’autres termes, le coût de la formation s’élève à 104 000 euros quand le travail fourni est chiffré à 121 000 euros. Les étudiants en médecine sont donc les seuls étudiants de France qui rapportent de l’argent à l’État ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Bruno Belin et Alain Houpert applaudissent également.)

Mmes Sonia de La Provôté et Élisabeth Doineau. Exactement !

M. Pierre Ouzoulias. Il faut le répéter, car ils le vivent comme une profonde injustice. Ils ne comprennent pas que l’on ne reconnaisse pas ce qu’ils apportent à la médecine ni ce qu’ils ont fait pendant la période du covid-19. Souvenez-vous : vous les avez applaudis pour 6 euros de l’heure !

Lors de son audition par la commission de la culture du Sénat, le président de France Universités, M. Manuel Tunon de Lara, ancien président de l’université de Bordeaux et praticien hospitalier, déclarait que les CHU allaient « dans le mur ». Il ajoutait même : « Les hospitalo-universitaires sont noyés sous des tâches cliniques. Entre 50 et 60 professeurs de médecine ont démissionné depuis 2018. »

Est-ce vraiment là la réforme dont ont besoin aujourd’hui les études de santé ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Alain Houpert applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, sur l’article.

M. Bruno Rojouan. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a beaucoup travaillé sur l’accès aux soins, qui est malheureusement insuffisant dans de trop nombreux territoires français.

Il est intéressant que la commission se soit emparée du sujet, car sa vision et sa manière de l’aborder sont différentes de celles de la commission des affaires sociales.

Je suis très heureux, car la proposition de loi de Bruno Retailleau permet d’envoyer un message fort à destination des populations délaissées dans les territoires et, surtout, des élus locaux ! Lorsque de nos déplacements, à chaque réunion, immanquablement, les maires nous parlent de la problématique de la présence médicale dans leur commune ou communauté de communes. Il s’agit du premier message fort envoyé par notre assemblée en direction de ces élus locaux, qui sont nos premiers partenaires.

Mais, au regard de la situation désastreuse de la santé en France, il ne faudra pas s’arrêter là. Le Sénat, qui assure la représentation des territoires, est le lieu même où nous devons en discuter. Je propose que le vote de cette proposition de loi ne soit qu’une première étape. Il faudra revenir – vous l’avez presque tous dit – sur le sujet, que nous ne réglerons pas par cette seule disposition.

Dans le prolongement du travail réalisé en commission, j’ai rédigé et déposé une proposition de loi comportant un ensemble de mesures. Ce n’est qu’en les prenant toutes à peu près simultanément, ou tout du moins dans un délai restreint, que l’on améliorera la situation des 6 millions de Français concernés, et même des autres !

Le débat d’aujourd’hui n’est donc que le début d’une discussion beaucoup plus longue sur l’accès au soin des Français dans leurs territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, sur l’article.

M. Jean-Luc Fichet. J’aimerais tellement que la solution proposée marche ! Car le problème n’est pas nouveau : voilà dix ans que nous en débattons au sein de cet hémicycle, additionnant les dispositions pour répondre à la question des déserts médicaux.

Avec mon collègue Hervé Maurey, j’ai remis un premier rapport en 2013 pour identifier le problème et formuler des propositions. Si celles-ci ont pu paraître quelque peu coercitives et dures pour la période, peu de choses ont changé depuis, et les nécessités sont les mêmes.

Je ne pense pas que la quatrième année d’internat soit le sujet. Vous utilisez une disposition relative à la formation pour essayer de répondre de manière masquée à la question des déserts médicaux. Les auteurs de la proposition de loi disent : « Si vous avez un maître de stage, si le maire veut bien mettre un logement et – pourquoi pas ? – une voiture à votre disposition, s’il veut bien créer un cabinet médical, si toutes ces conditions sont réunies, vous, stagiaires de quatrième année, vous pourrez prioritairement faire votre stage dans des lieux sous-denses où il n’y a pas de médecins. »

Je ne crois pas du tout aux 3 700 médecins sur lesquels tablent les initiateurs de la démarche. Nous avons en effet assez bien expliqué ici que les internes ont une autre approche, une autre vision. Je suis d’accord avec mon collègue Pierre Ouzoulias : il faut reconsidérer la manière dont on les traite à l’hôpital. C’est à la limite de la maltraitance,…

M. Pierre Ouzoulias. De l’esclavage !

M. Jean-Luc Fichet. … ou, en effet, de l’esclavage.

Les déserts médicaux, c’est un autre sujet. Comment l’État répartit-il aujourd’hui l’ensemble des médecins de manière équitable sur le territoire, afin que chaque administré dispose d’un médecin à trente minutes environ de chez lui ? C’est à cette question qu’il faut répondre. Et je pense que la présente proposition de loi ne le permet pas. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, sur l’article.

M. Stéphane Sautarel. Je rejoins plusieurs de mes collègues pour remettre la proposition de loi dans son contexte.

Tout d’abord, je remercie notre groupe et Bruno Retailleau de ce texte, que j’ai moi-même cosigné. Cette initiative me semble indispensable, même si elle est insuffisante. Elle ne constitue évidemment qu’une partie de la réponse, mais je dis : « Enfin ! » L’exaspération est telle dans nos territoires que si nous ne sommes pas capables de répondre aux besoins de soins de plus de 6 millions de Français, en particulier dans la ruralité, d’autres questions vont se poser.

En matière d’accès aux services publics, les trois secteurs prioritaires sont la sécurité, la santé et l’éducation. Si nous ne parvenons pas à satisfaire ces besoins, désormais dans l’urgence – l’heure est grave, et le temps presse –, nous ne sommes pas à la hauteur de la confiance que nos administrés, nos concitoyens, nos électeurs, les contribuables placent en nous.

Bien entendu qu’il y a des sujets plus globaux sur la santé ! Bien entendu que ce n’est pas par les internes que nous résoudrons l’ensemble de la question ! Bien entendu qu’il convient d’examiner la place et la situation des internes dans notre système de santé !

Toutefois, ce premier signe adressé à nos territoires, qui sont en désespérance – il faut l’entendre – sur l’offre de santé, me semble une absolue priorité. J’insiste sur cette nécessité, qui n’a pas été anticipée. Nous pouvons débattre et continuer à réfléchir, mais il faut que nous crantions, que nous avancions, que nous agissions.

Je remercie les collègues qui ont pris l’initiative de ce débat, qui, je l’espère, sera une première étape. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

M. Jean-Pierre Sueur. Notre collègue Patrice Joly a présenté deux amendements – Jean-Luc Fichet les a évoqués à l’instant – portant sur la relation entre formation et présence médicale, ainsi, notamment, que sur la désertification médicale. Ces deux amendements ont été retirés du dérouleur de séance – ils ne seront pas présentés –, en vertu d’une interprétation de l’article 45 de la Constitution avec laquelle je suis en profond désaccord.

Je le rappelle, cet article dispose que tout amendement « est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte ». Si quelqu’un ici peut m’expliquer que ces deux amendements n’ont aucun rapport,…

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ils sont irrecevables !

M. Jean-Pierre Sueur. … même indirect avec le texte, je les remercie de le faire. À défaut, nous sommes dans l’arbitraire. Je protesterai de nouveau chaque fois que l’interprétation faite ici de l’article 45 de la Constitution se présentera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. Il faut toujours saluer les initiatives qui font parler des sujets très importants pour notre société.

Je remercie donc M. Retailleau de son initiative, de même que je remercie M. le ministre d’avoir introduit une disposition identique dans un article du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Si l’intitulé de la proposition de loi a changé, nous avons en réalité plus parlé aujourd’hui des problèmes de démographie médicale que de la professionnalisation des professionnels de santé ; je le regrette.

Je voudrais vous faire part de mes doutes. La proposition de loi comporte des écueils.

Tout d’abord, il y a une non-adhésion des jeunes étudiants en médecine. Or il est important que les lois que nous votons soient en parfait accord avec la majorité de ceux qui seront concernés. Ces derniers étaient 10 000 dans les rues la semaine dernière. Je tiens compte de leur avis. Ils ne veulent pas être la variable d’ajustement d’un problème qui a été créé – il faut le dire – par toutes les précédentes majorités.

Nous n’avions pas anticipé le vieillissement de la population, les polypathologies, ni les besoins actuels de la société, dans laquelle les personnes souhaitent être soignées et « consomment » de la santé.

Par ailleurs, comment peut-on imaginer qu’on aura plus de médecins qui seront maîtres de stage quand on voit les courbes du nombre de médecins généralistes depuis une vingtaine d’années ? (Loratrice brandit un document.) Regardons tout simplement l’âge de nos médecins généralistes : nous voyons bien que beaucoup sont proches de la retraite. Nous ne disposons même pas des 12 000 médecins dont nous aurions actuellement besoin.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Si ! Nous les avons !

Mme Élisabeth Doineau. Comment les trouverons-nous ?

Je m’abstiendrai sur cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, sur l’article.

M. Emmanuel Capus. Je soutiens sans réserve la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui. Elle va exactement dans le même sens que celle de mon collègue Daniel Chasseing, texte que j’avais cosigné et qui figurait à l’ordre du jour de jeudi prochain dans la niche du groupe Les Indépendants, avant d’en être retiré, dans la mesure où les dispositifs envisagés étaient similaires.

Il faut dépasser les clivages politiques et nous réunir sur ce sujet : tous les territoires français sont concernés. Dans ma circonscription de Maine-et-Loire, pas une commune n’est épargnée. Et je ne parle pas des médecins spécialistes, pour lesquels les rendez-vous sont fixés à six mois ; je parle des généralistes, pour lesquels il n’y a pas de rendez-vous possible, faute de praticiens. À Angers comme dans les zones rurales, les patients s’entendent répondre : « Si vous n’êtes pas notre patient, nous ne vous prenons pas. » C’est la raison pour laquelle tant de personnes ne sont pas suivies.

Il y a urgence, il y a pénurie, et les maires sont les premiers à y faire face. Ils doivent se débrouiller. Certains, ingénieux, ont salarié leurs médecins ; d’ailleurs, l’opération financière est souvent intéressante. D’autres construisent des maisons de santé à leurs frais. D’autres encore font venir des médecins de Roumanie ou d’ailleurs. Partout, c’est la débrouille !

Nous devons aider les maires ruraux à trouver des solutions. Celle qui est proposée aujourd’hui est bonne, à la condition très simple, d’ailleurs évoquée sur toutes les travées de cette assemblée, d’obtenir l’adhésion des internes en médecine par une juste rémunération de leur effort au service de la ruralité. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, sur l’article.

Mme Sonia de La Provôté. Devenir médecin généraliste, médecin de famille, c’est un choix. Les jeunes qui s’engagent dans cette voie sont les piliers de la médecine de demain. Ils ont profondément à cœur le service public et l’écoute des autres.

Pourquoi ne s’installent-ils pas à l’issue de leurs études ? Pourquoi font-ils longtemps des remplacements ? Pourquoi, à la consultation, sont-ils rémunérés en dessous de la moyenne européenne ? Les contraintes d’exercices sont telles qu’ils choisissent de faire des exercices particuliers en cours de carrière. Pourquoi se salarient-ils ? La sécurité sociale salarie des médecins. Nous avons des médecins coordonnateurs et nous trouvons tout un tas de postes pour lesquels nous employons les médecins à autre chose qu’aux soins de premier recours.

Ces fameux médecins généralistes représentent un tiers des promotions de médecins reçus à l’internat, mais seulement un cinquième d’entre eux se consacreront au final aux soins de premier recours auprès des habitants dans les territoires.

Je ne voterai pas cette proposition de loi, parce que nous n’avons pas réglé les questions essentielles : la rémunération, la qualité de l’exercice et la considération du rôle primordial des généralistes, qui sont les piliers de la médecine. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Belin, sur l’article.

M. Bruno Belin. Je ne reviendrai pas, comme l’a fait Bernard Jomier, sur ce qui s’est passé voilà trente ans ou quarante ans. Au tournant des années 1990, on a baissé le numerus clausus uniquement pour faire des économies de sécurité sociale. On a sacrifié des vagues d’étudiants qui nous seraient bien utiles aujourd’hui.

Monsieur le ministre, cette journée est historique. Je veux que nous prenions date, tous les deux, devant notre assemblée. On nous a raconté qu’à la fin du numerus clausus, tout irait bien. Et on invente ce qu’aucun de nous n’aurait été capable d’imaginer voilà six mois : le numerus apertus. En attendant le numerus proximus (Sourires.), nous avons droit au numerus apertus. Ce sont les universités qui fixent elles-mêmes le nombre d’étudiants qu’elles sont en volonté ou en capacité de former. Par conséquent, des riches font des riches et des pauvres font des pauvres : vous trouverez toujours plus d’étudiants formés dans l’ouest parisien qu’à Clermont-Ferrand ou dans d’autres universités de province.

Je prends date, monsieur le ministre, cher docteur. Nous avons bien compris que le numerus apertus était maintenant la règle. Mais il va vite falloir l’évaluer. Qu’est-ce que cela a changé concrètement dans toutes les universités françaises, par catégorie de profession de santé ? Combien de places sont données ? Êtes-vous prêts à le réévaluer, à l’expliquer ? Quelle transparence y aura-t-il ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, sur l’article.

M. Patrice Joly. Je suis très surpris que la proposition de loi, qui avait au départ explicitement vocation à traiter la question des déserts médicaux, se retrouve avec un intitulé amputé d’une partie essentielle du sujet.

L’enjeu de l’accès à la santé dans les territoires, notamment ruraux, mais pas seulement, est majeur. L’égalité est bafouée, ce qui a des conséquences sur la qualité de vie de nos concitoyens, et, pire, sur leur espérance de vie. Nous avons des écarts allant jusqu’à cinq ans, comme c’est le cas dans mon département, la Nièvre.

Il y a donc urgence : urgence sanitaire, bien sûr ; urgence politique, aussi, tant l’attente de nos concitoyens est grande pour une prise en main par les politiques de l’organisation de la présence sanitaire sur nos territoires. Pour cela, il faut redéfinir les zones dites surdotées et celles dites sous-dotées, et sortir de la théorie de la prise en charge optimale du nombre de patients par médecin, au regard de la pénurie actuelle.

Les zones sont dites sous-denses lorsque le nombre de médecins y est inférieur à la moyenne nationale et surdenses lorsqu’il y est supérieur ; c’est aussi simple que cela.

Une telle reprise en main urgente était le sens de la proposition de loi, évoquée par notre collègue Jean-Pierre Sueur, que j’avais déposée en août dernier. Ses principales dispositions étaient une régulation en matière de conventionnement, la réduction de la possibilité de réaliser des intérims afin de sortir de ce scandale et la garantie d’aides à l’installation, pour les employeurs qui embauchent des médecins comme pour les libéraux.

Au secours, monsieur le ministre ! Les Français sont en souffrance. Au nom des habitants des territoires ruraux, agissez vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, sur l’article. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Victoire Jasmin. Le fait que nous parlions de la formation des internes en médecine générale me pose un problème. À l’origine – cela a été dit –, il était envisagé de parler des déserts médicaux en même temps. Cela faisait partie de l’intitulé initial.

Dans les territoires d’outre-mer, mais aussi partout en France, nous rencontrons de vrais problèmes. Nous ne parlons pas assez de la qualité des soins ni de l’aménagement du territoire, même si cela a été évoqué. Cette proposition de loi ne peut pas régler intégralement les difficultés rencontrées sur nos territoires.

J’ai travaillé en milieu hospitalier. Quand on regarde la charge de travail des internes, qui suppléent les médecins et prennent des responsabilités, la question de leur qualité de vie se pose. Avec cette proposition de loi, ils ne seront pas correctement payés, ils seront exploités.

Nous attendons beaucoup d’eux pour nos territoires. Mais parlons-nous de ceux qui, pendant le confinement et tout au long de la crise sanitaire, se sont suicidés ? Ils ont été onze. Nous devons en parler, évoquer de la qualité de vie de ces personnes, sur lesquelles nous comptons.

Aujourd’hui, nous nous trompons. Dissocier les problématiques de l’aménagement du territoire, de la qualité de vie des internes et de la qualité des soins dans notre population, c’est, je le crois, une grave erreur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Jomier, Mme Poumirol, M. Kanner, Mmes Lubin, Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Le Houerou, Jasmin, Meunier, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa du II de l’article L. 632-2 du code de l’éducation est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« II. - Le troisième cycle de médecine générale est suivi d’une année de professionnalisation lors de laquelle les étudiants exercent des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, avec pour objectif de parvenir progressivement à une pratique professionnelle autonome. Ils exercent en pratique ambulatoire auprès d’un maître de stage universitaire, dans l’un des territoires mentionnés au 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique.

« Leurs conditions matérielles d’exercice sont fixées par arrêté, après négociation avec les organisations syndicales des étudiants de troisième cycle des études de médecine générale. »

La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. Cet amendement découle logiquement de nos interventions précédentes. Il vise à acter le fait qu’une année de professionnalisation doit être mise en place et à renvoyer les conditions à la négociation avec les organisations concernées.

Ainsi que beaucoup de collègues l’ont dit, ni la question des rémunérations, ni celle des lieux d’affectation, ni celle des moyens matériels ne sont réglées. Tout le dispositif doit être négocié.

Le problème vient de la brutalité, encore une fois, avec laquelle est créée la quatrième année d’internat de médecine générale. L’ensemble des internes et de leurs organisations sont en grève et dénoncent à la fois cette proposition de loi et l’article 23 du PLFSS, qui est exactement identique, car il est fait fi de la phase de négociation.

Ce n’est pas l’heure pour nous de figer le dispositif ; vous faites une erreur.

Je vous appelle à adopter cet amendement pour poser un principe : renvoyer l’organisation à la négociation entre les parties prenantes. Il sera temps un peu plus tard – pas trop tard, j’en suis d’accord –, en fonction du résultat de ces négociations, d’adopter un dispositif définitif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. En préambule, je précise que la proposition de loi n’est pas amputée du sujet sur la démographie médicale. Elle est amputée des termes « déserts médicaux », qui ne correspondent pas à la réalité de nos territoires. Nous avons certes des problèmes de démographie médicale partout en France, sur 85 % du territoire national. Alain Milon rappelait le titre d’un livre, que je ne connaissais pas : Paris et le désert français.

Mais parler de « déserts médicaux », c’est faire insulte à tous les élus locaux qui cherchent à donner de l’attractivité à leur territoire. Reconnaissez-le : il y a des territoires attractifs dans tous les départements. La France n’est pas un désert. L’expression « désert médical » est nocive pour l’installation des médecins. Elle donne une mauvaise image des territoires sous-denses. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.) Par ailleurs, monsieur Jomier, nous respectons les internes en médecine.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Si ! Nous les respectons ! Pour preuve, si la proposition de loi est adoptée, ils seront docteurs juniors en début de quatrième année. Nous défendons l’idée – cela figurait dans l’exposé des motifs de la proposition de loi – d’une rémunération à l’acte.

Nous avons examiné en commission un amendement qui sera présenté par le docteur René-Paul Savary tendant à demander une dérogation à la rémunération des docteurs juniors en médecine générale, parce que l’effort qu’on leur demande nécessite et impose reconnaissance. Je vous rejoins parfaitement sur le fait qu’il n’est pas tolérable que de futurs médecins, internes en quatrième année de médecine générale, avec le savoir qu’ils ont, ne soient pas reconnus à la hauteur de leurs mérites.

En instaurant une année de stage supplémentaire pour les étudiants en médecine générale sans l’inclure dans l’internat, le dispositif envisagé par M. Jomier ne permet pas de compléter le troisième cycle de médecine générale en lui rendant applicables les avancées permises par la réforme de 2017. L’ajout d’une phase de consolidation en troisième cycle de médecine générale, parce qu’il précipite la soutenance de thèse et donne accès à des stages longs en autonomie supervisée, est essentiel à cette réforme et à la reconnaissance par le titre de docteur junior.

Comme vous, cher collègue, je souhaite que soient définies des modalités de rémunérations adaptées à cette quatrième année et à ses contraintes. Inclure celle-ci dans la troisième année de cycle de médecine générale n’empêchera pas le Gouvernement – et je compte sur vous, monsieur le ministre – de le faire.

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Braun, ministre. L’ajout d’une quatrième année au diplôme d’études spécialisées de médecine générale vise justement à doter cette « spécialité » d’une phase de consolidation, de professionnalisation, permettant à l’interne d’acquérir de l’autonomie dans le cadre protecteur de la supervision, à l’instar des autres spécialités médicales.

Par ailleurs, je ne suis pas favorable au fait que cette année s’effectue obligatoirement dans une zone sous-dense. Je ne crois pas à la concertation. Ce n’est pas une question de dogme : la concertation ne fonctionne pas ; elle est même contre-productive ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. La coercition, monsieur le ministre.

M. Bernard Jomier. Vous avez dit « concertation », monsieur le ministre. Vous vous êtes trompé !

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut rectifier votre propos !

M. François Braun, ministre. Je souhaite que les modalités de rémunération puissent être concertées dans le cadre de la mission que nous avons mise en place avec la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Je vous remercie de vous interroger sur la rémunération des internes en médecine générale. Je précise que le problème est le même pour les internes des autres spécialités.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Nous avons un doute fort qui tient aux capacités du législatif. Nous sommes tous très attachés à l’autonomie des universités ; j’ai même cru comprendre que Mme Pécresse avait fait une partie de sa campagne sur ce point. Or, comme l’a très justement dit M. Jomier dans son intervention générale, pour la première fois, le législateur interviendra dans un cursus universitaire.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas vrai : ce n’est pas la première fois !

M. Pierre Ouzoulias. Vous rendez-vous compte de ce que vous êtes en train de faire ? Vous impulsez avec cette loi un changement radical dans la relation du pouvoir législatif avec l’université. Comprenez bien que si vous touchez aux études, vous touchez aussi aux masters, c’est-à-dire que vous remettez en question tout le processus de Bologne.

Pour ma part, je suis favorable à une telle discussion, mais j’avais cru comprendre que ce n’était pas votre position. Si vous en changez, il serait logique de nous l’expliquer. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Je remercie Mme la rapporteure de la précision de ses réponses et de son esprit de dialogue.

Madame la rapporteure, que vous ayez supprimé le terme « déserts médicaux », personne n’en est chafouin.

En revanche, vous auriez pu parler de dispositifs visant à développer et à améliorer l’offre de soins dans nos territoires. Comme nous voyons bien encore une fois, nous ne parlons que de cela dans cet hémicycle.

Mais cette dimension est effacée. Nous sommes donc dans la confusion. Ne cherchez pas ailleurs la raison de la grève des internes, de leur manifestation et de leur opposition à votre texte et à l’article 23 du PLFSS tel qu’il est rédigé.

Sommes-nous là pour décider du mode de rémunération ? Je ne préempte pas la question de savoir si, lors de cette quatrième année, les internes devront recevoir une part fixe salariale, une part à l’acte, un mélange des deux, une unicité de l’une ou de l’autre ! C’est la négociation qui doit le déterminer !

Les corps intermédiaires ont été méprisés pendant tout un quinquennat. Nous avons dit dans les discours qu’ils seraient revalorisés, mais, au moment de mettre en place un nouveau dispositif, ils ne sont pas consultés. Nous votons avant la négociation. Oui, nous mettons la charrue avant les bœufs ! Il faut d’abord négocier et ensuite adopter le dispositif.

Voilà pourquoi nous maintenons notre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, vous venez d’indiquer que vous n’étiez pas favorable à la « concertation ». Je pense que vous vouliez dire à la « coercition ». C’est bien cela ? (M. le ministre le confirme.) Je vous remercie, monsieur le ministre ; nous voilà rassurés.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, vous avez bien fait de rectifier votre propos, car cela n’avait effectivement pas de sens. À quoi aurait servi le CNR si vous étiez contre la concertation ? Je ne trouve pas que cet organisme ait beaucoup d’utilité, mais il est tout de même censé permettre la concertation.

Le groupe CRCE a clairement exprimé son désaccord avec la proposition de loi. Nous n’entrerons donc pas dans le jeu des amendements, car nous pensons de toute manière que le texte est mauvais. Ce n’est pas comme cela que l’on redressera la situation, qu’il s’agisse de la manière dont on traite les internes ou de ce que l’on vit dans nos territoires, ruraux comme urbains. Au contraire, il faut desserrer l’étau du numerus apertus.

Mes chers collègues, je n’arrive pas à comprendre que, via la présente proposition de loi, on encourage les jeunes médecins à travailler en libéral quand la majorité d’entre eux sont plutôt attirés par un exercice salarié et en équipe. Un tel hiatus montre que l’on ne veut rien entendre de la situation réelle des internes et que l’on cherche à les forcer.

Dans le même temps, on refuse certaines propositions, par exemple l’extension des gardes à l’ensemble des médecins, qu’ils exercent en ville ou à l’hôpital. Sur cette question, on les laisse faire ce qu’ils veulent.

À l’évidence, il y a là deux poids, deux mesures.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.

Mme Sonia de La Provôté. Pour ma part, je m’abstiendrai sur cet amendement et sur tous les autres, comme je l’ai indiqué lors de ma prise de parole sur l’article.

Quand un étudiant arrive en fin de cursus, il a 26 ans ou 27 ans, il a des enfants en bas âge – au demeurant, beaucoup sont des femmes – et son conjoint est déjà engagé dans la vie active. Il est tout de même un peu délicat de demander à l’étudiant ayant volontairement pris l’engagement d’exercer en médecine générale, ce qui, par les temps qui courent, témoigne d’un sens aigu du service public et du service rendu à la population, alors que sa vie personnelle est lancée, d’aller dans un désert médical ou l’équivalent, c’est-à-dire loin de son lieu d’habitation, pour boucher les trous et pallier les carences des politiques publiques en matière d’accès aux soins.

De mon point de vue, un tel message n’est ni audible ni acceptable. Ce n’est pas cela qu’il faut transmettre à des jeunes sur qui reposera demain la responsabilité de la prise en charge des malades dans tous les territoires.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Je voudrais recadrer les choses.

La quatrième année ne tombe pas du ciel ! J’ai assisté à un certain nombre d’auditions : cela fait des années que l’on parle d’une quatrième année, sur le modèle des quarante-trois autres spécialités, pour mettre le cursus du troisième cycle à égalité et faire en sorte que la médecine générale soit reconnue comme spécialité.

C’est revendiqué depuis très longtemps. Mais cela a été mis sous le tapis au fil des années, peut-être par manque de courage… Avec cette proposition de loi, au moins, c’est clair !

Au demeurant, les internes savent bien que, si c’est pour avoir une formation à l’installation, c’est intéressant.

Par ailleurs, je voudrais désamorcer la question des territoires. Certes, les étudiants iront dans des territoires plus ou moins attractifs, mais ils disposeront de l’agrément d’un médecin maître de stage universitaire.

Si un territoire rural ne trouve pas de maître de stage universitaire, il n’aura pas d’interne. La formation suppose un agrément et un suivi avec un maître de stage qui peut se trouver sur n’importe quel territoire.

Pour ma part, je ne pense pas que nous allons maltraiter les étudiants. En tout cas, ils ne seront pas aussi maltraités qu’ils le sont peut-être déjà à l’hôpital !

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Oh non !

M. René-Paul Savary. Ils bénéficieront d’une vie nouvelle, découvriront des malades, et dans des territoires parfois extraordinaires. Je suis d’ailleurs sûr que cette expérience les convaincra de s’y installer, et pas forcément en libéral ; ils pourront exercer une activité professionnelle en fonction de leurs choix.

Il n’en demeure pas moins que c’est une année de professionnalisation tout à fait importante. Cela mérite sans doute, monsieur le ministre, que l’on se penche sur les deux cycles précédents, pour avoir une année de moins. Dix ans d’études, c’est long ! Si, ce faisant, on résumait six ans en cinq ans, tout le monde y gagnerait ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. L’exposé des motifs de l’amendement n° 9 rectifié résume bien la portée de la proposition de loi. Les auteurs insistent sur la nécessité de rémunérer davantage les étudiants en quatrième année. Pour ma part, j’y suis favorable.

Tout cela sera à voir dans un second temps, avec les étudiants. Il est évident qu’après dix ans, on ne peut pas les payer 2 000 euros par mois. C’est leur principal point de préoccupation.

J’avais par exemple proposé de les rémunérer sur la base de dix consultations par jour. En effet, un médecin surbooké fera appel à un jeune médecin et pourra facilement lui déléguer dix consultations par jour et être en mesure de le conseiller en cas de problème.

Enfin, il ne faut plus parler de « déserts médicaux » ! Parlons plutôt de « zones sous-denses ». Les médecins sont là pour soigner, dans les endroits où l’on a besoin d’eux : c’est leur vocation ; ils ont fait médecine pour cela.

Par conséquent, je ne vois pas en quoi demander à de jeunes médecins d’aller un an dans des zones où l’on a besoin d’eux serait un problème. D’ailleurs, la plupart sont d’accord. Simplement, il faut régler la question de la rémunération. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. D’aucuns s’étonnent de cette proposition de loi, mais je rappelle qu’en 2019, nous avons inséré dans la loi une disposition relative à la troisième année de médecine.

Il nous arrive de modifier le cursus. D’ailleurs, demain, nous examinerons une proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme. Certes, le cursus de ces dernières est plus court que celui des médecins.

Je sais le travail que mène la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur le sujet depuis des années. Lorsque j’étais conseillère régionale, j’ai élaboré, en 2015, à la demande du président du conseil régional Bruno Retailleau le plan santé de la région des Pays de la Loire, dans le cadre de la commission de l’aménagement du territoire de la région.

La question concerne donc bien l’aménagement du territoire. Pour autant, il n’y a pas d’opposition entre la commission des affaires sociales et les autres commissions. Tous les membres de la commission des affaires sociales sont des élus locaux, qui connaissent leur territoire et qui savent ce qui s’y passe.

En revanche, être pour ou contre la coercition est un vrai débat. À titre personnel, je n’y suis pas favorable. D’ailleurs, partout où elle a été utilisée, ce fut un échec. Il n’est qu’à lire le rapport de benchmarking de Mme Dominique Polton sur le sujet. La commission des affaires sociales revient d’un déplacement en Suède : ce pays connaît les mêmes problèmes d’attractivité des professionnels de santé – médecins comme professionnels paramédicaux –, alors que son système est totalement différent.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 3 rectifié quinquies est présenté par Mmes F. Gerbaud et Gruny, MM. Milon et Belin, Mme Bellurot, MM. Bonhomme, Bonne et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Brisson, Burgoa, Calvet, Charon, Courtial et Decool, Mmes Delmont-Koropoulis, Demas, Deseyne, Devésa et Drexler, M. B. Fournier, Mmes Garnier et Garriaud-Maylam, MM. Grosperrin et Guerriau, Mme Herzog, MM. Klinger, Longuet, Menonville, Moga, Pellevat, Pointereau et Rapin, Mmes Richer et M. Vogel, MM. Wattebled et Babary et Mmes Borchio Fontimp, N. Delattre et Perrot.

L’amendement n° 8 rectifié quater est présenté par MM. Chasseing, Grand, Médevielle et Lagourgue, Mme Mélot, M. A. Marc, Mme Paoli-Gagin, MM. Malhuret et Laménie, Mme Noël, M. Le Rudulier, Mmes N. Goulet, Micouleau et Vermeillet et M. Cigolotti.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

de la région à laquelle appartient la subdivision territoriale de l’étudiant

La parole est à Mme Frédérique Gerbaud, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié quinquies.

Mme Frédérique Gerbaud. Cet amendement vise à affecter les étudiants de quatrième année en priorité dans une zone de sous-densité médicale située dans la région à laquelle appartient la subdivision territoriale de leur faculté de formation.

L’objet d’un tel fléchage est d’éviter un phénomène d’appel d’air incitant les étudiants d’un territoire régional donné à délaisser ce territoire au profit d’autres zones sous-denses malgré tout plus attractives à leurs yeux. En d’autres termes, nous souhaitons éviter que les territoires de rattachement naturel des stagiaires ne se trouvent spoliés du maintien sur place de leurs étudiants par l’attraction relative d’autres secteurs objectivement moins défavorisés.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié quater.

M. Daniel Chasseing. Cet amendement vise à prévoir que les étudiants en dernière année d’internat effectuent leur stage dans le territoire où ils ont accompli leurs études.

Il paraît normal que le territoire qui forme les médecins puisse ensuite bénéficier de forces vives. Quelquefois, les étudiants viennent de territoires très éloignés, mais ils doivent, selon moi, rester dans le territoire où ils ont accompli leurs études. Cela permettra également une meilleure répartition des internes sur les territoires.

De plus, c’est une réponse supplémentaire à l’objectif initial de la proposition de loi, à savoir lutter contre les zones sous-denses.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Ces amendements identiques visent à favoriser l’affectation des stagiaires de quatrième année de médecine générale dans la région du centre hospitalier dont ils relèvent. Je comprends l’intention des auteurs : éviter que les internes ne délaissent le territoire où ils sont étudiants.

Dans sa rédaction initiale, la mesure pouvait soulever plusieurs difficultés. Le nombre de maîtres de stage n’étant pas toujours proportionné, localement, à la population des internes, il fallait prévoir que ces étudiants puissent exercer dans une autre région, à défaut de pouvoir le faire dans la leur.

Les amendements ayant été rectifiés pour tenir compte de cet obstacle, permettre des exceptions et n’exclure aucun territoire, l’avis de la commission est désormais favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Braun, ministre. Madame Goulet, je vous remercie d’avoir corrigé mon lapsus, évidemment non révélateur ! (Exclamations amusées.) Je suis un inconditionnel de la concertation et je suis fermement opposé à la coercition.

J’en viens aux amendements identiques.

L’affectation des internes se fait déjà dans la subdivision territoriale de la faculté. Inscrire cette disposition dans la loi revient de surcroît à se priver d’une éventuelle souplesse pour autoriser des exceptions utiles à certains territoires, en particulier les territoires limitrophes entre deux territoires de faculté.

Enfin, la répartition des postes d’internes est décidée non par le seul ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais conjointement avec le ministère de la santé et de la prévention, en tenant compte des besoins de santé des territoires.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements identiques, qui sont déjà satisfaits par les textes existants.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié quinquies et 8 rectifié quater.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par MM. Savary, Babary et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. J.B. Blanc, Bonne, Bouloux, Brisson, Burgoa, Calvet, Cambon, Cardoux et Charon, Mmes Chauvin et L. Darcos, M. Daubresse, Mmes Delmont-Koropoulis, Deseyne et Dumont, M. Favreau, Mme Férat, MM. B. Fournier et Genet, Mme F. Gerbaud, M. Gremillet, Mme Gruny, MM. Klinger et Laménie, Mme Lassarade, MM. Lefèvre et Longuet, Mmes Malet et Micouleau, MM. Pellevat, Perrin et Piednoir, Mme Puissat, M. Reichardt, Mme Richer et MM. Rietmann, Sol, Tabarot, C. Vial et J.P. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – Le III de l’article L. 632-2 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Par dérogation à l’article L. 632-5, les modalités de rémunération propres aux étudiants de la quatrième année de troisième cycle de médecine générale. »

La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. La question de la rémunération de la quatrième année a déjà été abordée. Cet amendement vise à déroger au décret existant.

Tout le monde l’a souligné, il faut trouver une rémunération à la hauteur de la formation des étudiants, sans pour autant mettre à mal la rémunération actuelle des médecins spécialistes.

C’est pour cela qu’il a d’abord été préconisé une rémunération à l’acte, mais une telle mesure créerait des effets dominos difficilement maîtrisables. Proposer une dérogation au décret en vigueur permettrait une rémunération à la hauteur.

Je trouve extraordinaire d’avoir pu déposer un tel amendement sans que l’article 40 de la Constitution m’ait été opposé. Je m’en félicite, alors qu’il s’agit d’une dépense supplémentaire ! (Exclamations amusées.)

Pourtant, lorsque j’ai proposé de réduire d’une année le cursus des deux premiers cycles pour que l’ajout d’une quatrième année de troisième cycle n’allonge pas la durée globale des études, je me suis vu opposer l’article 40. À l’évidence, une année d’études de moins génère des dépenses supplémentaires, mais une année de plus, non ! (Sourires.)

Mes chers collègues, je vous invite à voter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Je rappelle que seule la commission des finances peut invoquer l’article 40 de la Constitution.

M. André Reichardt. Cela ne change rien !

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Cela n’est pas du ressort de la commission des affaires sociales.

Des contraintes spécifiques s’appliquant aux étudiants de quatrième année de médecine générale, auxquels il est demandé de réaliser des stages en exercice ambulatoire et en zone sous-dense, il est normal que les conditions de rémunération de ceux-ci puissent être adaptées. Les étudiants devront être justement rétribués au regard du travail qu’ils fourniront et de la contribution qu’ils apporteront à l’accès aux soins de nos concitoyens. Il est prévu que le Gouvernement avance sur ce sujet ces prochains mois, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes.

La commission émet un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Braun, ministre. Je comprends le souhait de trouver la rémunération la plus adaptée à la quatrième année du diplôme d’études spécialisées de médecine générale. C’est d’ailleurs l’un des objets de la mission que la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et moi-même avons mise en place et dont les conclusions sont attendues au premier trimestre de 2023.

Je souhaite que le sujet puisse être travaillé dans la concertation avec l’ensemble des parties prenantes, en prenant le temps nécessaire à son instruction, en particulier au regard de l’incidence que cela pourrait avoir sur les autres spécialités médicales.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, il ne m’a pas échappé que vous aviez lancé une concertation. Mais, quel qu’en soit le résultat, vous serez amené à déroger au décret.

Par conséquent, autant être concret…

M. René-Paul Savary. … et montrer votre ouverture à une rémunération décente pour les internes en quatrième année de troisième cycle.

C’est pourquoi je maintiens mon amendement.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Je voterai évidemment cet amendement, que j’ai cosigné, parce qu’il est apparu tout au long du débat que la rémunération était une condition essentielle au fonctionnement du dispositif élaboré dans la proposition de loi.

Permettez-moi de revenir sur le recours à l’article 40 de la Constitution. Je sais bien que ce n’est pas de la compétence de la commission des affaires sociales.

Comme l’a souligné tout à l’heure Jean-Pierre Sueur sur l’article 45,…

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. L’article 45, c’est de notre compétence !

M. André Reichardt. … il y a dans cette maison un vrai problème avec les limitations au droit d’amendement.

Cet amendement est l’illustration manifeste des dérives liées à l’utilisation de l’article 40.

Lorsque j’ai cosigné l’amendement n° 13 rectifié, j’ai considéré qu’il n’avait aucune chance de résister à l’article 40. Pourtant, il est passé ! En revanche, l’autre amendement que j’ai cosigné n’a pas survécu…

J’ai plusieurs fois demandé des explications en séance publique. On m’a envoyé un fascicule extraordinairement long et complexe élaboré par la commission des finances, mais j’avoue que je n’y comprends toujours rien ! (Sourires.) Cela vaudrait la peine de regarder en détail comment on a pu appliquer le contenu de ce fascicule et arriver aux aberrations soulignées par René-Paul Savary.

Je le redemande une nouvelle fois : examinons les modalités d’application des articles limitant le droit d’amendement sénatorial. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Les questions relatives à la rémunération prouvent, s’il en était besoin, les limites de la proposition de loi.

Il est question d’instaurer une dixième année sans avoir consulté sur la rémunération. On parle d’une rémunération à l’acte. Concrètement, cela signifie que, parmi les étudiants qui se porteront volontaires pour aller travailler dans des zones sous-denses, certains réaliseront cinq actes par jour, d’autres dix, quinze ou vingt.

En d’autres termes, il n’y a pas de cadre et l’on va créer des inégalités entre les étudiants eux-mêmes ! (Non ! Sur les travées du groupe Les Républicains.) Si, puisqu’ils seront payés à l’acte ! Ces étudiants ne gagneront donc pas la même chose.

Je trouve cela scandaleux ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. Je souhaite répondre à ma collègue sur la question de la rémunération.

Il est question de dérogation, ce qui laisse du temps à la concertation entre les étudiants et le Gouvernement, afin de répondre aux attentes à la fois des auteurs texte et des étudiants.

M. Philippe Mouiller. On a donc le temps de discuter et de trouver un dispositif cohérent sur le territoire national. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Moi aussi, je veux répondre à ma collègue.

Pour ma part, j’ai proposé que l’on puisse accorder aux internes de quatrième année au minimum dix consultations par jour. Quand on exerce en libéral, certains jours, on fait beaucoup de consultations, d’autres, moins : c’est le principe. Il ne s’agit pas de parler de discrimination entre étudiants. (Mme Laurence Cohen sexclame.)

Si un médecin a besoin d’un médecin junior, c’est bien que sa clientèle est trop importante et qu’il est complètement débordé. Il trouvera le temps à la fois de le conseiller et de faire du bon travail.

Dix consultations par jour cinq jours par semaine, cela représente 5 000 euros par mois.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 14 rectifié sexies, présenté par Mmes Bellurot et F. Gerbaud, MM. Perrin et Rietmann, Mme Thomas, MM. Brisson, Calvet et Reichardt, Mmes Demas, Puissat et Ventalon, MM. Cambon, Lefèvre et Bazin, Mmes Eustache-Brinio et Belrhiti, M. Paccaud, Mmes Procaccia et Micouleau, MM. Bonne, Belin, E. Blanc, Bouchet, Babary et Meignen, Mmes Estrosi Sassone et Lassarade, M. Charon, Mme Bonfanti-Dossat, M. H. Leroy, Mmes Canayer, Deseyne et Dumont, MM. Bouloux et J.B. Blanc, Mme Gosselin et MM. C. Vial, Genet, B. Fournier et Pointereau, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Après le 3° du III de l’article article L. 632-2 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«…° Les conditions d’agrément des médecins retraités comme maîtres de stage des universités. »

La parole est à Mme Nadine Bellurot.

Mme Nadine Bellurot. Je remercie mes collègues qui ont cosigné cet amendement.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré vouloir des solutions concrètes et pragmatiques. Cet amendement va vous combler ! (Sourires.)

Il s’agit en effet d’autoriser les médecins retraités à devenir médecins référents. Nous le savons, il sera difficile de trouver des médecins référents en nombre suffisant, d’autant que, dans certaines communes, il n’y a plus du tout de médecins.

En 2014, j’ai été élue maire de Reuilly, dans l’Indre. Cette commune de 2 000 habitants comptait alors deux médecins généralistes et un chirurgien-dentiste. Aujourd’hui, il n’y en a plus aucun.

Si nous ne prévoyons pas la possibilité que les médecins retraités accompagnent ces étudiants – lesquels ont besoin de ce suivi – et qu’ils les fassent bénéficier de leur expérience, alors même que, souvent, ils habitent toujours les communes où ils ont exercé et qu’ils sont prêts à aider à l’installation de ces jeunes médecins, jamais ces jeunes médecins ne pourront venir dans nos communes. On nous opposera en effet le raisonnement suivant : vous auriez pu avoir un médecin junior, mais, pas de chance, vous n’avez pas de médecin pouvant devenir référent.

Je suis bien consciente qu’une telle mesure relève du domaine réglementaire. Mais vous savez comme moi que les débats sont aussi là pour éclairer la rédaction des décrets comme les possibles contentieux.

Avec cet amendement d’appel, je vous interpelle, monsieur le ministre : garantissez-moi qu’il sera demain possible, pour des médecins retraités, d’être des référents dans le cadre du dispositif que nous mettons en place.

Certes, cela doit s’organiser : cela peut concerner des médecins à la retraite depuis moins d’un an, de cinq ans ou de dix ans.

Faute d’avoir prévu une telle faculté, la réforme ne fonctionnera pas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. La réforme ne pourra réussir que si elle garantit un véritable accompagnement aux internes et améliore leur formation, nous sommes tous d’accord sur ce point. Elle doit permettre aux étudiants de médecine générale de découvrir l’exercice ambulatoire, en cabinet ou en structure d’exercice coordonné, aux côtés de praticiens en mesure de les accompagner dans l’appréhension de l’autonomie. Sur ce point, l’ouverture de la maîtrise de stage à des médecins retraités qui n’exerceraient plus risquerait d’envoyer un mauvais signal aux étudiants. Je rappelle que la maîtrise de stage est déjà ouverte aux médecins en cumul emploi-retraite.

Le Gouvernement doit plutôt accélérer le recrutement de maîtres de stage en exercice – ils sont aujourd’hui environ 12 000 –, y compris et surtout en zone sous-dense, pour permettre la pleine réussite de cette réforme. Leur nombre a déjà beaucoup augmenté ces dernières années et de nombreuses collectivités s’emploient à favoriser la formation des maîtres de stage dans tous les territoires. Je pense en particulier au conseil départemental de la Charente-Maritime, qui, avec l’accord de la faculté de médecine de Poitiers, a favorisé l’organisation des formations pour les maîtres de stage au plus près de leur lieu d’exercice, dans les départements où la faculté de médecine ne se trouve pas.

Pour toutes ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement d’appel. À défaut, elle émettra un avis défavorable. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Braun, ministre. Même avis.

M. le président. Madame Bellurot, l’amendement n° 14 rectifié sexies est-il maintenu ?

Mme Nadine Bellurot. Non, monsieur le président : j’ai bien entendu l’avis de la commission, et je vais retirer mon amendement. (Marques de déception sur des travées du groupe Les Républicains.)

Je sais que le cumul emploi-retraite permet de devenir médecin référent. Lors de la rédaction des décrets, domaine que je connais un peu, la possibilité d’étendre cette faculté aux médecins retraités sera très vite évacuée ; or on ne peut pas se le permettre : cette réforme ne pourra pas être menée à bien et nous n’aurons pas de médecins juniors dans nos territoires si nous n’avons pas la possibilité de bénéficier de l’expérience de ces hommes et femmes qui sont prêts à venir aider dans les communes où il n’y a plus de médecins. Il faut donc que les médecins retraités soient agréés.

Je comprends que les étudiants préfèrent des médecins actifs. Mais, ayant dans ma commune d’anciens médecins hypercompétents et de bonne volonté qui connaissent la patientèle et qui sauront parfaitement guider les étudiants, je pense que cela fonctionnera. Il y va de la santé de nos concitoyens.

Cela étant, je retire cet amendement, monsieur le président. (Nouvelles marques de déception sur des travées du groupe Les Républicains.) Que mes collègues cosignataires le reprennent s’ils le souhaitent !

M. le président. L’amendement n° 14 rectifié sexies est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l’adoption 233
Contre 95

Le Sénat a adopté.

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Après l’article unique

M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Sol, Mme Garriaud-Maylam, MM. Houpert, Genet, C. Vial, H. Leroy et Bouchet, Mmes Bonfanti-Dossat, Micouleau et Belrhiti et MM. Burgoa, Cambon et Calvet, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé

I. – Le 7° du III de l’article L. 632-2 du code de l’éducation est complété par les mots : « sans que le nombre de postes ouverts en médecine générale ne puisse représenter moins de 70 % du nombre de postes ouverts ».

II. – Le I entre en vigueur à une date fixée par voie réglementaire et, au plus tard, le 1er janvier 2025.

La parole est à M. Jean Sol.

M. Jean Sol. Dans un contexte de crise, cet amendement tend à prévoir que le rapport entre la proportion des étudiants se destinant à la médecine générale en troisième cycle et celle des étudiants choisissant les autres spécialités devrait être inversé, pour atteindre 70 % pour les premiers, contre 30 % pour les autres.

Une telle mesure concourrait à lutter contre les déserts médicaux et servirait ainsi l’objet de la proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. La médecine générale est, de loin, la spécialité recrutant le plus d’étudiants en médecine, puisqu’elle concentre environ 40 % des étudiants accédant au troisième cycle.

Le présent amendement tend à prévoir que la médecine générale devra concentrer, à compter du 1er janvier 2025 au plus tard, 70 % des postes ouverts aux étudiants de troisième cycle. S’il était adopté, il risquerait de mettre en difficulté les autres spécialités, comme la médecine d’urgence, la réanimation ou la gynécologie obstétrique…

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ou la pédiatrie !

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Tout à fait, madame la présidente.

Or ces spécialités ne sont pas moins essentielles que la médecine générale pour nos concitoyens. C’est pourquoi la commission a émis sur cet amendement un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Braun, ministre. Même avis.

M. le président. Monsieur Sol, l’amendement n° 12 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean Sol. J’y crois, donc je le maintiens !

M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.

Mme Sonia de La Provôté. Je suis défavorable à cet amendement.

Nous parlons de la médecine générale, mais il y a aussi un réel problème en gynécologie obstétrique. Certes, cette spécialité ne concerne que les femmes, mais tout de même !

On constate également des tensions en ophtalmologie et en anesthésie-réanimation. Certains types de chirurgies ne sont pas assez présents dans les territoires. N’allons donc pas déshabiller Pierre pour habiller Paul !

Nous avons besoin de tous les types de médecins, il faut donc augmenter globalement le nombre d’étudiants par promotion et faire les choses plus vite et mieux.

On peut le dire, si le nombre de médecins formés ces dernières années est insuffisant, nous le devons à une forme de complicité collective. Relançons donc les centres d’examen de la santé (CES). Que les médecins généralistes, qui sont polyvalents, redeviennent gynécologues médicaux, cardiologues de ville… Nous avons tout fait pour manquer et de spécialistes et de généralistes.

Il ne faut pas manger la part des autres, sachant que seule une portion congrue leur est réservée dans les effectifs de l’internat !

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Après l’article unique
Dossier législatif : proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi pose une bonne question sur la démographie médicale. Apporte-t-elle une bonne réponse ? (« Non ! » sur des travées des groupes SER et CRCE.) Je ne le pense pas !

En médecine, on traite toujours la cause. Ici, on ne veut pas en parler ! La cause des déserts médicaux, c’est l’absence d’aménagement du territoire. Cette politique a toujours été un vœu pieux : on a beaucoup parlé d’aménagement du territoire, mais on n’en a jamais fait.

Il n’y aurait pas de déserts médicaux si les territoires étaient plus attractifs et les banlieues plus sûres. Envoyer un étudiant effectuer son stage de quatrième année dans un territoire défavorisé, c’est délocaliser une famille pendant un an. Il faut déplacer le conjoint, trouver des logements, des écoles, des garderies, des collèges, des lycées. Il faut trouver des activités culturelles pour des gens ayant passé dix ans à l’université, en milieu urbain.

M. Patrice Joly. Quelle horreur !

M. François Patriat. Et comment font les autres ?

M. Alain Houpert. On explique souvent que les étudiants en médecine sont favorisés parce que l’État leur a payé leurs études. Le sénateur Ouzoulias, qui a fait de l’archéologie, a merveilleusement expliqué que les médecins remboursaient leur dette, et largement, en renforçant l’hôpital.

Il est difficile de choisir un maître de stage. Les médecins spécialistes peuvent en choisir un, les médecins généralistes ne le peuvent pas.

Renforçons donc, et vite, l’attractivité des territoires et ne créons pas une forme de service médical, à l’instar du service militaire que certains ont connu. Cessons d’embêter les étudiants en médecine !

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voterai cette proposition de loi, qui reprend l’une des seize propositions formulées dans le rapport intitulé Déserts médicaux : agir vraiment, que j’avais rédigé il y a dix ans avec Jean-Luc Fichet.

Malheureusement, on n’a pas réellement agi depuis ce rapport et les choses n’ont pas beaucoup bougé. Je revois Mme Bachelot au banc du Gouvernement, lors de la discussion de la loi qui porte son nom, nous expliquer que ce n’était qu’un mauvais moment à passer et que, dans dix ans, tout serait arrangé. Eh bien non, dix ans après, les choses se sont même aggravées.

Cette proposition de loi sera certainement adoptée, mais sera-t-elle appliquée ? De nombreux dispositifs ont déjà été votés, mais les décrets n’ont jamais été pris. Je pense en particulier à la loi de 2019, qui prévoyait un stage obligatoire à partir d’octobre 2021. À quoi bon voter des dispositifs, s’ils ne sont pas mis en œuvre ?

Pour autant, je suis convaincu – et je ne surprendrai pas grand monde dans cet hémicycle en le disant – que l’on ne réglera pas le problème avec le seul dispositif de l’article unique. Comme je le disais déjà il y a plus de dix ans, je demeure convaincu qu’il faudra un jour instaurer une régulation de l’installation. La régulation, ce n’est pas la coercition. Nous l’avons utilisée en France pour un certain nombre de professions de santé, notamment pour les kinésithérapeutes, avec un succès reconnu. Cela se fait dans de nombreux pays.

Face à l’échec patent, que personne ne peut contester, des politiques mises en place depuis bientôt trente ans et qui reposent uniquement sur des incitations, il faudra un jour qu’un gouvernement courageux ose déplaire aux médecins.

Je comprends tout à fait ce qui a été dit sur les médecins, sur la difficulté de leurs études : j’ai moi-même une fille médecin. Mais je pense qu’il y a quelque chose d’encore plus important que le confort des médecins : l’accès des patients à une médecine de qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Hervé Maurey a raison, la loi Hôpital, patients, santé et territoire comportait une disposition quelque peu coercitive. Toutefois, quelques mois après son adoption, il a fallu qu’Alain Vasselle dépose une proposition de loi afin de supprimer cette disposition, au motif qu’elle avait provoqué une bronca chez les médecins.

Je voterai également cette proposition de loi, car le sujet est plus qu’irritant dans les zones dépourvues de médecins, qu’il s’agisse des banlieues des grandes villes ou de territoires ruraux. L’accès aux soins est extrêmement important, mais je trouve dommage que le débat se limite à la quatrième année et que nous devions attendre le 15 novembre pour avoir un débat sur Parcoursup. En effet, la filière est aussi bloquée à l’entrée : c’est aussi d’un échec de Parcoursup que nous parlons, puisque certains étudiants qui voudraient être médecins se trouvent démobilisés.

M. Pierre Ouzoulias. Absolument !

Mme Nathalie Goulet. Nous avons saucissonné la question en nous limitant à la quatrième année. Notre débat sur Parcoursup pourrait aider à trouver une solution, madame la présidente Deroche. Il faudrait débloquer la situation pour qu’il y ait plus d’étudiants en médecine.

Le département de l’Orne, entre autres, s’est mis à salarier les médecins pour essayer de pallier les manques. Tout le monde fait beaucoup d’efforts, car c’est un sujet important pour chacun d’entre nous. Encore faut-il le prendre dans le bon sens. La proposition de M. Retailleau est certes intéressante, mais tant qu’on n’aura pas réglé aussi la question de l’entrée dans la filière, il y aura des problèmes. Rendez-vous le 15 novembre, donc !

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.

M. Alain Milon. Lors des débats sur la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite Ma santé 2022, défendue par Agnès Buzyn et dont j’étais rapporteur, un amendement, déposé par Corinne Imbert, tendait à prévoir l’obligation pour les étudiants en troisième année de spécialisation de se former à l’extérieur, dans les cabinets médicaux.

À l’époque, les étudiants nous avaient dit une chose assez extraordinaire : ils estimaient qu’ils ne pouvaient effectuer cette troisième année à l’extérieur parce qu’ils étaient insuffisamment formés. Nous avons donc décidé de réduire la durée de cette formation à six mois. Cette disposition a été votée en commission mixte paritaire, puis par les deux assemblées, mais n’a jamais été mise en œuvre par le Gouvernement.

Avec ce texte, nous permettons aux étudiants d’effectuer une formation complète, pendant trois ans, en milieu hospitalier, c’est-à-dire qu’ils apprendront à soigner les maladies, comme le diabète, l’hypertension, etc. Ce qui est intéressant dans la proposition de loi de Bruno Retailleau, c’est qu’on leur propose, en plus, d’aller travailler avec des médecins, sur le terrain, et d’entrer en contact non pas avec des maladies, mais avec des patients, ce qui n’est pas du tout la même chose. Soigner quelqu’un en cabinet, en individuel, ou soigner quelqu’un sur un lit, avec un chef de clinique, un interne, un patron, ce n’est pas du tout la même chose.

Il est donc extrêmement intéressant que nos étudiants puissent faire cette quatrième année. Jusqu’à présent, en fin de cycle, seuls 30 % des médecins s’installaient immédiatement et définitivement. Les autres attendaient, faisaient des remplacements, etc. Désormais, tous les étudiants en médecine générale iront chez un médecin généraliste et termineront leur formation au contact direct de patients, tout en préparant leur doctorat.

Cette proposition de loi est donc extrêmement intéressante et je vous appelle tous à la voter.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe votera également cette proposition de loi.

Je tiens d’abord à dire que, dans la ruralité, il y a aussi de la culture, des écoles, des collèges et même des lycées, pas très loin ! Il est vrai cependant qu’il n’y a pas d’université.

Le problème est qu’il est souvent difficile pour le conjoint de trouver un emploi, ce qui est une difficulté, compte tenu de la féminisation actuelle de la médecine.

En outre, les jeunes ne souhaitent pas travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais les choses ont beaucoup évolué : les médecins effectuent désormais beaucoup moins de gardes et il est tout à fait possible pour les jeunes de mener dans les territoires ruraux la vie qu’ils souhaitent avoir.

Nous avions voté en 2019 un texte qui allait dans le même sens que la présente proposition de loi, mais aucun décret n’a été pris ensuite. Depuis, la situation s’est encore beaucoup dégradée. Dans nos départements, dans nos cantons, les maires nous demandent de mettre en place un système efficace.

Il ne s’agit pas de punir les internes, bien sûr. Après dix ans d’études, ils ont droit à un salaire décent, qui leur permette de faire vivre leur famille. Simplement, nous leur demandons, pendant cette quatrième année, d’apporter la médecine dans tous les secteurs de notre pays.

Ce texte va permettre une amélioration. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Si cette proposition de loi traite de sujets importants, elle passe à côté d’un examen en profondeur des mesures qui seraient nécessaires à la fois pour améliorer la formation des jeunes médecins et pour faire face aux enjeux difficiles du manque de couverture médicale dans de nombreux territoires.

Au fond, ce texte évite les questions essentielles : faut-il, ou non, des mesures de coercition ? Quid de la formation initiale ? Quelle concertation avant de légiférer ? Pour notre groupe, sur ces sujets comme sur d’autres, la concertation doit précéder la loi, et non la suivre. C’est pourquoi nous voterons contre cette proposition de loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 5 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l’adoption 232
Contre 96

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Merci, monsieur le ministre, pour votre écoute et pour l’avis de sagesse que vous avez émis sur cette proposition de loi. Merci, mes chers collègues, pour la qualité de nos échanges.

Avec cette proposition de loi du président Retailleau, nous n’avions pas la prétention de tout régler, mais il était important que ce texte soit voté aujourd’hui. La situation actuelle en matière d’accès aux soins étant insupportable pour un grand nombre de patients et pour les élus, une première réponse était nécessaire.

Ce texte constitue un pas. Il n’aura pas pour conséquence de retirer des internes à l’hôpital public, bien au contraire. Peut-être la venue de médecins juniors dans les territoires évitera-t-elle l’arrivée de patients aux urgences. On parle toujours du lien entre ville et hôpital. L’hôpital ira mieux si la médecine de ville va mieux.

On demande aux internes en médecine générale de faire un pas, mais aussi au ministère en termes de reconnaissance, aux médecins généralistes installés, que l’on sollicite pour qu’ils deviennent maîtres de stage, et à la Faculté, pour qui l’on facilite la maîtrise de stage au plus près des lieux d’exercice.

Tel est l’intérêt de cette proposition de loi, que je vous remercie d’avoir adoptée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-deux, est reprise à dix-huit heures cinquante-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale
 

5

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.

M. Jean-Michel Arnaud. Nos collègues Amel Gacquerre et Anne-Catherine Loisier souhaitent rectifier leur vote sur le scrutin n° 3 portant sur l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Elles souhaitaient voter pour.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat.

Mme Frédérique Puissat. Nos collègues Charles Guené, Gérard Longuet, Albéric de Montgolfier et Damien Regnard souhaitaient également voter pour ce même projet de loi.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

6

Finances locales

Débat organisé à la demande de la commission des finances

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les finances locales, organisé à la demande de la commission des finances.

Dans le débat, la parole est à M. Vincent Éblé, au nom de la commission qui a demandé ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Vincent Éblé, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques nous permet désormais, en amont de la discussion du projet de loi de finances, de consacrer un débat à la situation des finances locales. Nous sommes tous d’accord pour dire que cet exercice est bienvenu.

Madame la ministre, vous souhaitez supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en deux ans, prétendument pour améliorer la compétitivité de nos entreprises industrielles. En fait, cette suppression ne bénéficierait qu’à hauteur de 40 % à ces dernières. Elle bénéficierait en revanche à nombre de sociétés du secteur tertiaire. En supprimant la CVAE, vous ne ciblez pas les entreprises industrielles. Pour soutenir la compétitivité de notre industrie, ne faudrait-il pas mieux conserver ces moyens pour faire face à la crise énergétique qui touche celle-ci de plein fouet ?

Par ailleurs, la compensation proposée a été calculée en prenant en compte deux années de crise sanitaire pendant lesquelles nous avons observé une contraction du produit de la CVAE. Pourtant, l’État a déjà perçu le montant de la CVAE pour 2023 qui, lui, est dynamique. La ficelle est trop grossière pour ne pas fâcher les bénéficiaires ainsi lésés !

La Première ministre s’est certes engagée à abonder ponctuellement le nouveau Fonds vert du montant de la dynamique de 2023, mais cela n’affecte pas le socle de la compensation de la CVAE. Cela revient donc à diminuer la somme fixée pour cette compensation…

Les incidences du schéma de compensation sur les indicateurs financiers des collectivités territoriales, qui n’interviendraient certes qu’à compter de 2024, n’ont pas à ce jour été évaluées, ni leurs conséquences éventuelles corrigées.

Sur ce point, le projet de loi de finances pour 2023 se limite pour l’heure à un renvoi bien trop large au pouvoir réglementaire. Cela me rappelle la suppression de la taxe d’habitation, pour laquelle des problèmes de compensation subsistent, notamment du fait de la réforme des indicateurs financiers. Vous vous attaquez au sujet de la CVAE alors que celui de la taxe d’habitation n’est pas clos.

Après les contrats de Cahors, vous souhaitez poursuivre aujourd’hui avec le nouveau pacte de confiance le mouvement visant à recentraliser le fonctionnement des collectivités territoriales.

Je note d’ailleurs que l’article correspondant a été supprimé à l’Assemblée nationale… Pourquoi ? Parce qu’il était irréaliste ! Il fixait le plafonnement de la progression des dépenses de fonctionnement à un niveau inférieur d’un demi-point à celui de l’inflation. Des sanctions étaient même prévues en cas de dépassement. Cela ne me semble pas acceptable, d’autant plus que l’on ne connaît ni les critères ni l’organisation précise de ce nouveau dispositif coercitif. Madame la ministre, votre copie est à revoir !

Il convient de sortir de l’ère du soupçon à l’égard de nos élus locaux, d’autant plus que ceux-ci sont contraints par des règles budgétaires bien plus exigeantes que celles qui s’appliquent à l’État et au Gouvernement – et, madame la ministre, cela se voit. Pour respecter vos engagements européens, vous souhaitez faire des économies sur le dos des collectivités territoriales, qui sont plus vertueuses que vous !

Face à la hausse des coûts de l’énergie, de nombreuses collectivités, même celles qui sont en bonne santé financière, se voient dans l’obligation de décaler des travaux importants ou des projets d’investissement, notamment en faveur de la transition énergétique.

Madame la ministre, votre seul souci devrait être de permettre aux collectivités territoriales de conserver une épargne brute significative afin de couvrir des investissements nouveaux, sachant en outre que le montant de leur facture énergétique est estimé, dans le rapport de notre collègue Françoise Gatel, à 11 milliards d’euros.

Le bouclier tarifaire et le plafonnement des prix de l’électricité à 180 euros le mégawatt sont certes utiles, mais ils ne compenseront que de manière insatisfaisante l’augmentation des charges des collectivités.

Oui, ces collectivités peuvent participer à l’effort de redressement de nos comptes publics, mais un échange constructif avec les associations d’élus est nécessaire au préalable. Souvenons-nous que les comptes des collectivités territoriales ne peuvent être en déséquilibre.

Actuellement, les finances locales connaissent un effet de ciseaux du fait d’une forte progression des dépenses non compensées par une augmentation équivalente de leurs recettes.

Madame la ministre, le processus de mitage fiscal organisé méthodiquement transforme peu à peu les principaux impôts directs locaux en compensations, puis en dotations, sur lesquelles les élus locaux n’exercent ni pouvoir de taux ni pouvoir d’assiette.

Au regard du contexte actuel, l’enjeu majeur est de mieux coordonner les finances locales, sociales et étatiques plutôt que de revenir à un idéal d’État central qui ne peut et ne doit plus être. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme le vice-président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du rapporteur général, Jean-François Husson, qui ne peut être présent dans l’hémicycle cet après-midi.

Ce débat sur la situation des finances des collectivités territoriales constitue une avancée importante, permise par la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), à laquelle le rapporteur général tenait particulièrement.

Pour cadrer ce débat, un premier constat s’impose : il faut d’emblée dissiper l’illusion que la situation financière des collectivités territoriales est favorable. Elle est au contraire d’une grande hétérogénéité. Dès lors, raisonner à partir de moyennes globales n’a pas grand sens.

Quelle est la réalité ? Tout d’abord, à la fin de l’année 2021, près de 46 % des communes disposaient d’une épargne brute encore inférieure à son niveau de 2019. La crise sanitaire a laissé des traces budgétaires dans de très nombreuses collectivités, frappées désormais par les conséquences de la guerre en Ukraine. Une première réponse a été apportée cet été avec l’adoption, dans la loi de finances rectificative, d’un filet de sécurité pour le bloc communal et de mesures spécifiques pour les départements et les régions.

Ce filet de sécurité est le fruit d’un travail réalisé par les différents groupes de l’Assemblée nationale. Le Sénat l’a renforcé de façon significative en y incluant les charges liées au relèvement du point d’indice de la fonction publique, à la hausse des prix de l’énergie et à la forte inflation sur les produits alimentaires.

Ce dispositif a le mérite d’exister pour préserver les collectivités qui auront connu le plus de difficultés en 2022. Pour autant, sa portée n’est plus adaptée à une situation qui continue de se dégrader depuis la rentrée. De nombreuses collectivités voient se dresser un mur lors du renouvellement de leurs contrats de fourniture d’électricité et de gaz et ne savent pas à ce stade comment équilibrer leur budget pour l’année prochaine.

Des mesures puissantes et efficaces doivent donc être prises dans le projet de loi de finances pour protéger les collectivités qui en ont besoin. Le Gouvernement doit comprendre que si nous les laissons dans cette impasse financière, nous agissons contre notre propre intérêt. Car ce sont bien elles qui ont la capacité de mener, dans nos territoires, les projets d’investissement indispensables, en particulier ceux qui nous permettront de mettre en œuvre et de réussir, au plus près des besoins, la transition écologique indispensable à notre pays.

Ce débat budgétaire ne doit toutefois pas être limité aux épreuves de l’année à venir. L’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 nous donnera également l’occasion de nous prononcer globalement sur la stratégie de redressement des comptes publics, en particulier sur la juste part que doivent prendre les collectivités territoriales à cet effort.

Bien que le solde des collectivités territoriales soit excédentaire de près de 5 milliards d’euros en 2021 et que leur dette représente moins de 9 % de la dette publique totale, le Gouvernement fait le choix de leur demander un effort très substantiel de baisse de leurs dépenses de fonctionnement de 0,5 % par an en volume.

Dans le même temps, si l’on neutralise l’effet des dépenses du plan d’urgence, du plan de relance et plus globalement des dépenses de crise, il apparaît que l’État ne réaliserait pas le moindre effort sur ses dépenses et que celles-ci progresseraient même sur la période de programmation.

Les membres de notre assemblée comme les élus locaux ne sauraient accepter sans réagir les méthodes d’un État qui entend réduire la dette publique tout en continuant d’aggraver la sienne, ou encore baisser les impôts en supprimant ceux des autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.) La proposition de suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en est une nouvelle illustration.

En conclusion de son propos, le rapporteur général souhaitait évoquer le prétendu « pacte de confiance ». On nous affirme que les mesures prévues n’ont rien à voir avec les contrats de Cahors. Il faut donc croire que c’est par étourderie que le Gouvernement a laissé, à l’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), plusieurs paragraphes entièrement copiés-collés depuis l’article 29 de la précédente loi de programmation qui instituait les contrats de Cahors…

Si une première année de « liberté surveillée » est accordée, elle précède la mise en œuvre d’un mécanisme de correction extrêmement contraignant, appliqué au terme d’un raisonnement par strates de collectivités pour le moins douteux. De nouvelles sanctions ont par ailleurs été imaginées, notamment l’exclusion des dotations d’investissement de l’État.

Nous sommes donc bien loin de la « nouvelle méthode » qui avait été annoncée. Les collectivités territoriales savent pourtant pertinemment qu’il existe entre elles et l’État une communauté de destin et que la réussite de notre pays passe par le redressement de ses finances publiques. Elles ont consenti de très importants efforts par le passé pour maîtriser leurs dépenses et sont prêtes à les poursuivre, sous réserve de réciprocité de la part de l’État. C’est une question de justice.

Au-delà des mots, nous attendons plus que jamais des actes, mais des actes de confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des finances, madame la vice-présidente de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un plaisir et un honneur de prendre part avec vous à ce premier débat consacré aux finances locales.

Ce nouvel outil démocratique a été rendu possible par la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Il constitue, selon moi, une avancée pour notre pays et pour nos collectivités, en introduisant de manière inédite un temps consacré aux finances locales dans le cours de l’examen des projets de loi de finances.

J’ai déjà pu me livrer à cet exercice vendredi dernier à l’Assemblée nationale, avec mon collègue Gabriel Attal. Comme le veut le fonctionnement de nos institutions, c’est aujourd’hui au Sénat, chambre des territoires, que j’ai l’occasion de m’y livrer de nouveau, selon des modalités légèrement différentes.

Gabriel Attal, Christophe Béchu et moi-même avons en effet suivi une méthode renouvelée dans l’élaboration du volet territorial du projet de loi de finances pour 2023, conformément à la volonté du Président de la République et de la Première ministre. Notre démarche a consisté à échanger en continu, en amont, avec les associations d’élus, afin de coconstruire des mesures qui répondent aux besoins des territoires et aux attentes de nos concitoyens.

Nous les avons toutes reçues, à plusieurs reprises, jusqu’à la présentation du projet de loi de finances (PLF) au Comité des finances locales le 26 septembre, quelques heures après sa présentation en conseil des ministres.

Après le temps de la concertation, nous sommes désormais entrés dans celui de la construction d’un budget protecteur, bien sûr, mais aussi d’un budget sincère, qui prend en compte l’impératif de maîtrise de nos finances publiques et la participation indispensable de chacun à cet effort.

Cet esprit de responsabilité et cet impératif d’action ont été nos deux guides dans la conception du PLF pour 2023. Ce sont aussi, je n’en doute pas, les deux principes qui guideront son examen par le Sénat.

Face à la progression inédite de l’inflation et à l’envolée des coûts de l’énergie, les défis auxquels les collectivités territoriales doivent faire face imposent un soutien accru de l’État.

Dès cet été, le Gouvernement a proposé des mesures fortes dans la loi de finances rectificative, que vous avez enrichie et votée, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je pense en particulier au filet de sécurité de 430 millions d’euros pour aider les communes et les intercommunalités les plus fragiles à faire face à la hausse du point d’indice et des prix de l’alimentation et de l’énergie.

Nous savons que certaines collectivités ont besoin de cette aide au plus vite. C’est pourquoi, comme l’a annoncé Gabriel Attal, dès la parution du décret le 13 octobre et jusqu’au 15 novembre, elles pourront déposer une demande qui leur permettra d’obtenir un acompte de 50 %, lequel sera versé avant le 15 décembre.

Nous avons par ailleurs alloué 120 millions d’euros aux départements, qui versent le revenu de solidarité active (RSA), afin de compenser intégralement la hausse de 4 % de cette prestation prévue par l’État. Nous avons également instauré le recouvrement total par l’État auprès des régions de la hausse de 4 % des rémunérations des stagiaires de la formation professionnelle.

Nous accentuons encore cet accompagnement de l’État dans le cadre du PLF pour 2023.

Un amendement du rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale vise à prolonger le filet de sécurité pour les dépenses énergétiques en 2023. Le bouclier tarifaire sera prolongé, ce qui permettra de limiter à 15 % la hausse des prix de l’électricité pour 80 % des communes. Nous prévoyons aussi de quintupler l’enveloppe à destination des communes en grande difficulté, à hauteur de 10 millions d’euros, et surtout de ne pas plafonner les bases fiscales, afin de laisser toute autonomie aux collectivités sur leur dynamique fiscale.

Ces mesures permettront aux collectivités de faire face dans l’immédiat à leurs surcoûts financiers, mais il nous faudra aussi agir à d’autres échelles.

Au niveau du marché européen de l’énergie, tout d’abord, nous devrons chercher à réguler les prix et à capter les superprofits réalisés par les grands groupes énergétiques du fait de cette situation de tension.

Nous devons aussi, chacun à notre échelle, suivre les recommandations formulées par la Première ministre dans le plan de sobriété.

Toutefois, résoudre durablement la crise que nous connaissons impose aussi d’effectuer des changements profonds de notre modèle, en favorisant la transition écologique et la transition énergétique dans tous les territoires.

C’est pourquoi il est prévu dans le projet de loi de finances pour 2023 d’augmenter d’un tiers les moyens consacrés à la dotation de biodiversité pour 2023, qui avaient déjà été doublés en 2022, pour atteindre un montant de 30 millions d’euros.

Il est également prévu de mettre en œuvre un fonds vert d’un montant inédit de près de 2 milliards d’euros. Ses crédits seront attribués selon des règles simples, décentralisées et sans appel à projets. Tout partira des initiatives des élus, selon une méthode lisible et reconnue, celle du dialogue entre les élus et leur préfet de département ou de région.

La Première ministre a par ailleurs annoncé vendredi dernier que 200 millions d’euros seront spécifiquement alloués aux départements.

Accompagner les collectivités territoriales, c’est avant tout leur donner les moyens d’agir, en sécurisant leur financement et en leur assurant une visibilité à long terme.

Ainsi, avec la Première ministre, nous avons souhaité porter une hausse de 320 millions d’euros de la dotation globale de financement (DGF), les augmentations de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR) étant financées par l’État et non par écrêtement des crédits des autres communes. Cette augmentation, inédite depuis treize ans, est un acte fort du Gouvernement.

La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, quant à elle, permettra à notre pays de gagner en compétitivité sans amoindrir les ressources des collectivités. Elle sera en effet intégralement compensée et territorialisée par l’attribution d’une part supplémentaire de TVA, mais aussi par sa dynamique, dès 2023.

La compensation, l’année prochaine, correspondra aux sommes que l’État aurait dû reverser aux collectivités en 2023 au titre de la CVAE. Il n’y aura pas d’année blanche, rien ne sera conservé par l’État.

Elle sera également territorialisée : ceux qui accueillent davantage d’activités seront davantage compensés, sur le fondement de critères précisés dans un décret en Conseil d’État. Un travail est d’ailleurs en cours avec les associations d’élus. Sur ce sujet comme sur les autres, l’écoute et la concertation devront primer.

Notre souci de préserver les marges de manœuvre des collectivités transparaît enfin dans le maintien de leurs dotations d’investissement, pour un montant de près de 2 milliards d’euros, comme l’année précédente.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voici les principaux éléments des concours de l’État aux collectivités pour 2023.

Notre pays et nos collectivités ne manquent pas d’atouts pour relever les défis qui sont les nôtres. Nous avons toujours su construire, au cours de notre histoire, dans ces situations de crise, des consensus responsables, au service de l’intérêt général. Je sais que ce sera une nouvelle fois le cas, car, au-delà du débat démocratique indispensable, les postures et les effets de manche ne font plus illusion aux Français. Nos concitoyens ne se satisferont pas d’une nouvelle représentation du spectacle sempiternellement rejoué du combat entre les Montagnards et les Girondins.

C’est collectivement que les Français nous jugeront : sur notre bilan, nos réussites et notre capacité à améliorer concrètement leur qualité de vie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque intervention, pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répliquer, pour une minute.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après le quinquennat de François Hollande, caractérisé par la baisse drastique des dotations, à hauteur de 11 milliards d’euros, Emmanuel Macron, lors de son accession à la présidence de la République en 2017, a voulu donner des assurances aux collectivités locales en matière financière.

L’annonce d’une stabilisation du niveau de la dotation globale de fonctionnement avait ainsi été favorablement accueillie.

Malheureusement, la désillusion fut rapide. Dès l’été 2017, le Gouvernement décida d’une réduction de 300 millions d’euros des crédits dédiés aux collectivités, de la suppression de la réserve parlementaire et de la quasi-suppression des emplois aidés.

Quant à la DGF, si son montant a en effet été stabilisé globalement, la réalité pour les communes, à titre individuel, est tout autre, puisque la moitié d’entre elles ont vu leur dotation diminuer ces cinq dernières années.

Les collectivités ont également vu leurs leviers fiscaux considérablement réduits par les réformes fiscales qui se poursuivent aujourd’hui, au détriment de leur autonomie financière.

Dans le même temps, les collectivités locales ont dû faire face à deux chocs sans précédent, la crise sanitaire et l’inflation.

Le choc de la crise sanitaire a coûté 7 milliards d’euros aux collectivités, dont 3,2 milliards d’euros au seul bloc communal.

D’un côté, les pertes de recettes se sont élevées à 3,4 milliards d’euros pour le bloc communal ; de l’autre, la compensation a été limitée à 270 millions d’euros au titre des pertes de recettes fiscales et domaniales et à 250 millions au titre du dispositif d’aide aux services publics industriels et commerciaux (Spic) et aux services publics administratifs (SPA).

À présent, c’est au choc de l’inflation que les collectivités locales doivent faire face.

Je rappelle que j’ai attiré l’attention du Gouvernement dès le mois de février sur les conséquences de l’augmentation des prix de l’énergie, à l’époque sans aucune écoute de sa part…

Le Gouvernement a accru ce choc en juillet en augmentant le point d’indice, pour un surcoût de 2,3 milliards d’euros. Le Gouvernement n’avait pas jugé utile de prévoir un dispositif de compensation pour les collectivités.

Si l’Assemblée a introduit un filet de sécurité, qui a été considérablement amélioré par le Sénat, notamment grâce aux apports du groupe Union Centriste, auquel j’ai l’honneur d’appartenir, celui-ci reste toutefois très limité. Il ne devrait en effet bénéficier qu’à 5 000 à 8 000 communes ou groupements, et se limiter à l’année 2023, alors que ces collectivités font face, dès aujourd’hui, à d’importants surcoûts.

Ce dispositif pose question et je souhaiterais que ce débat soit l’occasion de nous éclairer sur le système d’avances prévu. Quelles communes vont en bénéficier ? Quand et comment ?

Vous avez évoqué précédemment la nécessité de déposer un dossier, madame la ministre, mais la plupart des communes ne savent même pas si elles peuvent prétendre à ce filet de sécurité ! Des clarifications s’imposent. Nous serions très heureux de vous entendre sur ce point.

À notre grande surprise, le projet de loi de finances pour 2023, dont nous aurons l’occasion de reparler prochainement, ne prévoyait pas, dans la version initiale déposée à l’Assemblée nationale, de prolongation de ce filet de sécurité l’année prochaine.

L’augmentation de 320 millions d’euros de la DGF annoncée par la Première ministre et présentée comme « une première depuis treize ans » représente en réalité une revalorisation de 1,2 % de son montant total, quand l’inflation est de plus de 5 %. Nous sommes bien loin de l’indexation de la DGF sur l’inflation demandée par les associations d’élus.

Comme vous l’aurez compris, les élus, et plus particulièrement les maires, sont inquiets des perspectives financières pour leurs collectivités.

J’ajouterai que dans le contexte de transfert de la taxe d’aménagement à l’intercommunalité, certaines situations sont particulièrement complexes. Ce dispositif a été voté par l’Assemblée nationale sans aucune concertation. Il faudra en reparler lors de l’examen du projet de loi de finances.

M. le président. Merci de conclure !

M. Hervé Maurey. Madame la ministre, je ne peux que vous appeler à revoir votre copie sur le prochain PLF pour permettre aux collectivités de faire face à cette période particulièrement difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, y a-t-il encore une décentralisation dans notre pays ? La question mérite d’être posée. Car si l’on décentralise les compétences, la fiscalité, elle, reste jacobine !

Ce gouvernement fait preuve de démagogie fiscale sur le dos des collectivités territoriales.

On a osé parler de « suppression » de la taxe d’habitation, mais rien n’est supprimé pour le contribuable. Les propriétaires supportent la hausse de la taxe foncière et les locataires celle des loyers qui en découle.

Avec la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, les communes finissent de perdre toute autonomie fiscale : peu de ressources propres et plus de ressources réellement dynamiques. Prises au piège, elles sont contraintes de racketter les propriétaires en augmentant la taxe foncière.

Du fait de la hausse des prix de l’énergie de plus de 250 %, de la flambée des prix matières premières, de la restauration scolaire et de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, les communes n’ont plus de marges de manœuvre.

En ce moment, les maires et leurs adjoints aux finances préparent leur budget pour 2023 et ils s’arrachent les cheveux ! Ils font face à une explosion de leurs dépenses de fonctionnement.

Pourtant, depuis le printemps dernier, je demande en vain au Gouvernement un bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie pour les collectivités !

Cet été, on a eu droit, en pleine canicule, à la fermeture de piscines, comme dans les Bouches-du-Rhône, à Cabriès. Cet hiver, on risque la suppression des décorations et des fêtes de Noël.

Pendant ce temps, l’État obèse refuse de descendre de notre dos et de sortir ses mains de nos poches.

La crise qui s’installe montre, une fois encore, l’inefficacité de l’État et la pertinence de la gestion locale. Mais le Gouvernement ne veut rien entendre.

L’État répond par des soins palliatifs à l’asphyxie des collectivités locales : des aides, des hausses des dotations, mais plus de ressources propres.

Les communes restent tributaires du bon vouloir de Bercy et en sont réduites à faire la manche. La Banque postale prévoit une baisse de 11,3 % de son épargne brute cette année. En 2023, les communes épuiseront en quelques mois la totalité de leur budget de fonctionnement. Sans changement, nous allons vers un blackout fiscal communal.

La Cour des comptes, dans son rapport de la semaine dernière, propose que les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) soient recentrés sur le bloc communal. Une telle mesure permettrait aux communes de retrouver une ressource dynamique. Ce serait un juste retour sur investissement, pour elles qui œuvrent avec constance pour l’attractivité du territoire. Cela leur permettrait notamment de financer leurs dépenses de fonctionnement.

Décentraliser la fiscalité, c’est garantir le principe constitutionnel de consentement à l’impôt de nos concitoyens. Quiconque a les pieds dans le réel comprendra qu’il s’agit là d’un enjeu majeur.

Rendre aux communes leur autonomie fiscale, c’est à cela, et à rien d’autre, que nous devons travailler, mes chers collègues.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer la tenue de ce débat instauré par la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, adoptée à la fin de l’année dernière.

Cette nouvelle loi organique contribue à la difficile tâche de moderniser le cadre des lois de finances. Certains avaient même envisagé la création d’une loi spécifique relative aux finances locales, sur le modèle de la loi de financement de la sécurité sociale. Nous nous contentons aujourd’hui d’un débat, mais les enjeux politiques des finances locales, conjugués à une technicité de plus en plus complexe, rendent sans doute inévitable à terme la discussion d’un texte budgétaire spécifique.

Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances locales est éclairant, en particulier sur les comparaisons internationales. Les finances locales ne représentent en France que 20 % de la dépense publique, soit un niveau inférieur à la moyenne des pays européens, où les dépenses des collectivités locales représentent plutôt 40 % de la dépense publique.

Certes, les modèles étatiques et les périmètres de compétences sont différents. Néanmoins, ces comparaisons permettent de remettre les choses en perspective : les collectivités se voient toujours reprocher un manque de rigueur budgétaire alors qu’elles sont les seules à présenter chaque année un solde à l’équilibre. Si les collectivités représentent un cinquième de la dépense publique, elles ne contribuent quasiment pas au déficit public.

Au-delà de ces considérations d’ordre général, la situation financière des collectivités est évidemment très diverse. Globalement, voire paradoxalement, les collectivités sont sorties de la crise sanitaire avec des finances plus saines qu’avant la crise, grâce aux économies qui ont été réalisées et aux aides accordées par le Gouvernement. Toutefois, cela cache des situations individuelles très contrastées. Je concentrerai mon propos sur les finances communales et celles des départements.

Le bloc communal a été le plus affecté par les dernières réformes de la fiscalité : suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et bientôt suppression complète de la CVAE. S’il tire encore aujourd’hui les deux tiers de ses ressources de la fiscalité locale, celle-ci tend à être remplacée par le transfert d’impôts nationaux. La question qui se pose aujourd’hui est donc bien entendu celle de l’autonomie financière, alors que la différenciation territoriale devient un enjeu politique majeur.

Cette question concerne aussi les départements. Davantage financés par des impôts nationaux et des dotations, ils font face à une montée en puissance de leurs interventions dans le domaine social. Je pense en particulier aux départements ruraux, qui sont souvent en déprise démographique et appelés à accompagner le vieillissement de la population avec des ressources fiscales propres assez peu dynamiques.

Bien sûr, la solidarité nationale doit jouer grâce aux transferts d’impôts nationaux, mais là aussi se pose la question de la soutenabilité d’un modèle de décentralisation où l’on accepte de différencier, voire de donner à terme un pouvoir réglementaire d’adaptation, mais sans véritable autonomie financière correspondant à l’autonomie de décision.

Face au retour de l’inflation, le Gouvernement a pris en loi de finances rectificative des mesures qui ont aidé les collectivités à faire face, que je salue. Une enveloppe supplémentaire de 430 millions d’euros a ainsi été prévue afin de compenser la hausse des prix de l’énergie et la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires.

Néanmoins, je ne vous apprends pas l’inquiétude des élus pour 2023, madame la ministre. C’est pourquoi ces derniers souhaitent que ce soutien soit pérennisé en loi de finances. Les amendements adoptés en commission à l’Assemblée nationale la semaine dernière semblent confirmer cette pérennisation, ce dont je me réjouis.

Mon groupe soutiendra, dans tous les cas, les mesures visant à donner aux collectivités les moyens correspondant à leurs missions, ces dernières étant indispensables à notre cohésion sociale.

Quoi qu’il en soit, la principale mesure du projet de loi de finances pour 2023 est bien évidemment la suppression en deux ans de la part restante de CVAE. La compensation par le versement d’une fraction de TVA est annoncée « à l’euro près, pérenne et dynamique ». Nous vous prenons au mot, madame la ministre et nous veillerons au respect de cet engagement dans le temps.

En matière de dotations de l’État, le Gouvernement poursuit la politique du précédent quinquennat, marquée par une grande stabilité. La dotation globale de fonctionnement reste comprise entre 26 et 27 milliards d’euros, malgré l’inflation. Les montants des dotations de péréquation comme la DSU et la DSR seront revalorisés dans les mêmes proportions que les années précédentes.

En l’état actuel des débats sur le projet de loi de finances, et dans l’attente de la mise en œuvre de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, il reste difficile d’entrevoir l’architecture financière qui sera finalement retenue pour les collectivités. Des incertitudes demeurent, comme l’illustrent les débats chaotiques sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Au vu du contexte économique et social que connaît notre pays, les collectivités territoriales, comme nos concitoyens, ont besoin de clarté, de prévisibilité et de sérieux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question essentielle est de savoir si, depuis un certain temps, nous respectons la Constitution. Ses articles 72 à 74 décrivent longuement ce qu’est l’autonomie des collectivités.

Vous n’y êtes pour rien, madame la ministre, mais en quoi cette autonomie est-elle respectée quand on supprime progressivement la taxe professionnelle, la taxe d’habitation, la CVAE et que l’on met en place un encadrement d’État, qu’on l’appelle « accords de Cahors », « pacte de confiance » ou autre ?

Il y a beaucoup de pactes, mais une seule réalité : les élus locaux perdent le pouvoir ! Ils perdent la capacité d’agir sur leur territoire, parce qu’ils perdent la capacité de financer leurs projets.

Vous dites que le Gouvernement compense, madame la ministre, mais ce n’est pas la même chose. En recentralisant l’impôt, on fait en sorte que les collectivités dépendent de dotations de l’État, lesquelles sont assez rarement alignées sur l’inflation. Cela revient à dire finalement que la gestion des élus locaux est si peu fiable qu’il faut la recentraliser et qu’il appartient à l’État et à son administration, par définition bien plus doués que les élus locaux, de gérer le tout. Il y a un réel problème !

M. Jérôme Bascher. Exactement !

M. Roger Karoutchi. Je me souviens très bien de Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, annonçant ici même, à la fin de l’année 2012, une remise à plat de l’ensemble de la fiscalité nationale et locale l’année suivante. Nous devions enfin trouver un équilibre… Inutile de dire que la table ronde annoncée n’a jamais eu lieu !

En réalité, quels qu’ils soient, les gouvernements rognent très progressivement, mais constamment depuis vingt ans, le pouvoir des élus locaux.

Les maires, à la fois étranglés financièrement et responsables devant leur population, n’ont plus aujourd’hui la capacité de faire face.

Madame la ministre, il y a encore peu, vous étiez maire de Beauvais et vous savez très bien que, quand on réduit les dotations comme on l’a fait durant le mandat de François Hollande ou quand on supprime la taxe d’habitation sans guère de négociations, on réduit le pouvoir et la capacité d’action des élus locaux. Il y a alors une dégradation du lien entre la population, d’une part, les collectivités locales et leurs élus, d’autre part.

Je prends un autre exemple qui, je l’espère, ne prospérera pas : la commission des finances de l’Assemblée nationale a récemment adopté un amendement visant à fixer un seuil de hausse pour la taxe foncière, l’État étant censé compenser au-delà de ce seuil…

Vous le voyez bien, les collectivités n’auront bientôt plus aucune ressource pour agir ; elles attendront que l’État veuille bien leur donner un minimum pour survivre. Ce n’est pas cela l’autonomie !

La Cour des comptes reconnaît elle-même que l’autonomie des collectivités locales a été remise en cause au fil des années. Je regrette simplement que la Cour n’aille pas plus loin en demandant clairement à l’État de faire cesser cette évolution qui dure depuis vingt ans et qui se traduit par une dépendance de plus en plus grande des collectivités envers l’État et par une place de plus en plus faible des projets locaux, pourtant décidés par les élus et la population.

Cette évolution se poursuit, on l’a vu, alors même que le contexte est complètement fou. Face aux crises sanitaire et énergétique que nous connaissons, tout le monde essaie de trouver des solutions et il est évident que nos collectivités vont trinquer ! Il faut dire les choses clairement : si nous n’instaurons pas un bouclier énergétique pour les collectivités, si nous ne trouvons pas une solution acceptable sur la CVAE, si nous n’apportons pas une réponse à toutes les collectivités – pas seulement à 80 % des communes, madame la ministre ! –, alors les collectivités locales ne pourront plus agir. Pourquoi ne leur permet-on pas d’exister ?

Les élus locaux, qui vont peut-être être amenés à supprimer des services publics faute de capacités financières, sont responsables devant la population – c’est bien elle qui les élit et qui leur demande des comptes. Il faut corriger cette profonde anomalie et redonner aux élus leur pouvoir d’agir.

Pour conclure, je tiens à dire que je soutiens la proposition faite par Éric Berdoati devant l’Association des maires d’Île-de-France : mettre en place, à l’instar du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un projet de loi de financement des collectivités locales. Cela donnerait aux collectivités locales de la visibilité et les placerait peut-être sur un pied d’égalité avec l’État pour négocier leurs moyens financiers et leur autonomie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe RDSE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on dit le Sénat conservateur, mais il est des changements que nous accueillons bien volontiers. Ainsi, l’organisation, en amont de l’examen du projet de loi de finances, d’un débat sur les finances locales est une nouveauté qui a tout pour nous plaire.

La réforme de la loi organique relative aux lois de finances, il y a un an, en a fait un jalon du débat budgétaire. C’est une première. C’est l’occasion pour nous, avant d’entrer dans le dur des discussions, de faire le point sur la situation des collectivités.

Dans le rapport qu’elle a présenté en commission des finances la semaine dernière, la Cour des comptes a posé un diagnostic clair et ouvert des pistes de réformes, dont chacun peut s’emparer.

L’autre particularité de ce débat, c’est qu’il a lieu au début du quinquennat, donc au début d’une nouvelle séquence politique. Nos discussions ne peuvent, à cet égard, faire l’impasse sur le programme du Président de la République qui a été réélu.

Le Président de la République s’est engagé à poursuivre le chemin tracé depuis la crise sanitaire et le plan de relance, en baissant les impôts de production via notamment la suppression de la CVAE. Ce n’est pas spontanément le souhait le plus partagé parmi les élus locaux que nous sommes… Nous aurons tout loisir, durant l’examen du projet de loi de finances, de débattre des modalités techniques et du calendrier de mise en œuvre de cette suppression.

Mais ce débat est l’occasion de prendre un peu de hauteur et de discuter des grandes orientations que nous souhaitons donner à la réforme de la fiscalité locale.

Je rappellerai d’abord pourquoi nous sommes favorables, par principe, à la réduction des impôts de production.

En 2020, avant la baisse de la CVAE, ces impôts représentaient plus de 5,3 % du PIB en France, contre 2,6 % dans l’Union européenne et seulement 0,8 % en Allemagne.

Or ces impôts sont injustes pour les entreprises, parce qu’ils pèsent non pas sur les bénéfices, mais sur les facteurs de production. Ils sont surtout contre-productifs, car ils pénalisent tout particulièrement les entreprises industrielles.

La suppression de ces impôts est donc une bonne nouvelle pour notre industrie et, indirectement, pour nos territoires. Si cela n’affectait pas les finances des collectivités locales, je pense que le Sénat ne pourrait que s’en réjouir. Mais c’est notre rôle de nous assurer que cette suppression sera aussi une bonne nouvelle pour les collectivités.

Or, en l’espèce, je partage certaines des craintes exprimées ici. Le problème est non pas la suppression de cet impôt, mais bien son remplacement et la territorialisation de sa compensation – vous avez évoqué cette question, madame la ministre.

L’affectation d’une fraction de TVA donne certes aux collectivités des ressources fiscales dynamiques, ce qui peut rassurer, mais elle les prive d’un levier de politique économique.

Cette nouvelle dépossession, engagée après la suppression de la taxe d’habitation, contribue à placer davantage les collectivités sous la coupe de l’État. Elle est mal vécue – vous êtes élue locale, vous le savez, madame la ministre –, même si la territorialisation que vous avez annoncée permet de rassurer.

La préservation de l’autonomie financière des collectivités – Roger Karoutchi en a parlé – ne doit pas se faire aux dépens de leur autonomie fiscale, déjà réduite comme peau de chagrin. Je sais, madame la ministre, que Christophe Béchu et vous-même partagez l’objectif de préserver cette autonomie.

Or les collectivités ont montré leur capacité à tenir les comptes : à la fin de 2021, Christine Lavarde l’a mentionné, elles dégageaient un excédent budgétaire de 5 milliards d’euros, certes en raison des circonstances, mais surtout parce qu’elles savent être prudentes.

Depuis cet excédent, la reprise à la sortie de la crise sanitaire et les tensions en Ukraine ont tiré les coûts de fonctionnement à la hausse. Aujourd’hui, les élus locaux font face à des augmentations qui les placent dos au mur.

Dans son rapport, la Cour des comptes propose plusieurs pistes de réforme afin de remettre à plat le financement des collectivités.

L’une de ces pistes consiste à partager la fiscalité nationale. C’est une piste qui a le mérite de garantir aux collectivités des ressources dynamiques, qui suivent le cours de l’inflation.

La Cour propose aussi d’attribuer un type d’impôt par strates de collectivité. Cette piste a le mérite de clarifier les choses, mais elle ne répond pas aux préoccupations des collectivités. L’urgence est non pas de remettre la fiscalité à plat, mais de sauvegarder l’autonomie financière des collectivités, qui doivent garder la maîtrise de leur destin et de leurs politiques, particulièrement lors des crises comme celle de l’énergie que nous traversons.

Madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer à ce sujet ? Il y va de la préservation des services publics de proximité. Nos élus locaux sont inquiets. Ils attendent des engagements forts de la part du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Marc Laménie et Alain Richard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les précédents orateurs ont évoqué beaucoup de chiffres. Pour ma part, je démarrerai mon propos en citant Pablo Neruda :

« Je t’aime,

« Je t’aime d’une manière inexplicable,

« De nature inavouable,

« De façon contradictoire.

« Je t’aime…

« Avec mes états d’âme qui sont nombreux,

« Et mes changements d’humeurs continuels. »

C’est une déclaration d’amour magnifique et ce sont les mots que nous aurions aimé entendre de la part de l’État à l’endroit des collectivités territoriales.

Alors oui, l’histoire entre l’État et les collectivités locales est ancienne. Elle est inscrite dans la Constitution et est marquée par 1983 et les lois de décentralisation. Depuis, les collectivités sont là et font preuve d’efficacité : boucliers de proximité, acteurs essentiels de l’investissement public, de l’emploi et des solidarités.

Le Gouvernement auquel vous appartenez ne cesse de déclarer sa flamme et son soutien aux plus grandes entreprises, en leur accordant des dizaines de milliards d’euros sans contrepartie écologique ou sociale. La situation de Total en est l’illustration ultime et caricaturale. Je vous rappelle que Total et les cinq plus grandes entreprises fossiles réalisent un profit cumulé de 2 600 dollars par seconde.

Madame la ministre, les collectivités territoriales sont des entreprises de service public innovantes, qui méritent soutien, liberté d’action et confiance.

Qui, pendant la pandémie, a organisé les distributions de masques et de colis alimentaires, la désinfection des salles de classe et l’accueil des enfants des professions prioritaires ou encore le suivi des personnes âgées, isolées ou malades ?

Qui a mis en place des centres de vaccination pour répondre aux enjeux de santé publique que le Président de la République annonçait ?

Qui a rétabli le dialogue durant la crise des « gilets jaunes » ? Qui investit dans les transports collectifs, la transition énergétique et écologique afin que tiennent les solidarités locales ?

Les collectivités locales sont un atout puissant et vous les mettez au pain sec, quand le budget de 2021 a offert, aux entreprises du CAC 40, 56 milliards d’euros non conditionnés et largement redistribués en dividendes…

Au nom de quoi l’État, dont les déficits s’aggravent, veut-il contraindre les choix politiques des collectivités dont la gestion est équilibrée ? Elles contribuent à 70 % des investissements publics et par leurs budgets de fonctionnement à la cohésion sociale – le fonctionnement n’est pas un gros mot, c’est l’outil nécessaire des services à la population.

Les collectivités locales sont le laboratoire de politiques publiques innovantes et des transitions pour notre pays.

Les transports propres, les bâtiments économes en énergie, la renaturation des villes, le développement des énergies renouvelables, la protection des forêts, des littoraux et de la biodiversité sont au cœur des dynamiques portées par nos territoires. La diversité de leurs politiques permet des expériences fructueuses.

Si vous leur accordiez la confiance, mais sans le contrat, madame la ministre, vous mesureriez leurs capacités à accompagner les défis de notre société en termes sociaux et écologiques.

Vous mettez en place un bouclier tarifaire pour tous les citoyens, y compris pour les plus riches d’entre eux, et pour les entreprises, mais vous ne prévoyez rien pour permettre aux collectivités de continuer à chauffer les écoles, les collèges, les lycées, les équipements sportifs, les médiathèques, les théâtres, les centres de santé ou encore les crèches. Rien non plus pour les hôpitaux d’ailleurs, autre sujet essentiel !

Laissez les collectivités moduler le versement mobilité pour faire face aux enjeux du transport en commun. Laissez-les taxer davantage Airbnb, les résidences secondaires, les logements vacants, les hôtels de luxe pour faire face à la crise du logement dans les zones touristiques.

La Cour des comptes a fait des propositions à la suite de la saisie de notre excellente commission des finances. Les associations d’élus portent haut et fort une contribution responsable et le Parlement, notre chambre comme l’Assemblée nationale, vous invite à les entendre. Pas seulement à nous écouter, madame la ministre, mais bien à nous entendre.

Entendez-les ! Entendez-nous ! Ne supprimez pas la CVAE, indexez la DGF, taxez ceux qui réalisent des profits exceptionnels dans ce contexte de crise et financez ainsi un bouclier tarifaire pour toutes les institutions publiques. Supprimez les contrats, mais faites confiance à celles et ceux qui, au quotidien, sont au service de nos concitoyens et incarnent le service public de proximité.

Mettez fin au désarmement financier de l’État et des collectivités. Osez la confiance, osez délaisser ce jacobinisme surplombant au profit d’un véritable partenariat avec les collectivités locales, osez la République décentralisée !

Les élus locaux ne veulent pas devenir des sous-préfets anémiés, qui sauraient ce qu’il faut pour leur territoire, mais qui seraient tout juste bons à expliquer à leurs concitoyens qu’ils ne peuvent pas le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission des finances, Claude Raynal, qui a demandé au mois de janvier dernier à la Cour des comptes une enquête sur les finances locales. Les conclusions nous ont été présentées la semaine dernière et elles nous permettent aujourd’hui de prendre un peu de hauteur dans ce débat.

Car, derrière ce débat, nous touchons aux principes les plus structurants de l’organisation de notre République. Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, les collectivités territoriales ont pris une place prépondérante dans cette organisation. Notre Constitution reconnaît désormais la décentralisation comme l’un de ses principes fondateurs et consacre le caractère prioritaire de l’action des collectivités et le principe de subsidiarité.

C’est ainsi que la question du financement des collectivités territoriales devient fondamentale pour l’efficacité de l’action publique et pour l’égalité entre les territoires et entre les citoyens. Au fond, nous ne pouvons pas dissocier la question du financement de celle des compétences.

Le Premier président de la Cour des comptes a rappelé la semaine dernière que le système de financement des collectivités est à bout de souffle, qu’il est illisible et imprévisible, mais aussi que les inégalités se creusent entre certains territoires.

Et ce n’est pas un fait nouveau ! Il y a treize ans, la Cour faisait le bilan des réformes territoriales. L’enchevêtrement des compétences qu’elle relevait alors préfigurait la sédimentation budgétaire que nous constatons aujourd’hui et l’essoufflement du modèle de financement.

L’introduction de la clause de compétence générale a conduit à accélérer ce processus. Les transferts ont été réalisés de façon désordonnée et par à-coups.

La cacophonie budgétaire est souvent la conséquence des hésitations ou des tergiversations du législateur et des changements de doctrine de l’administration.

On finance par prélèvement sur les recettes de l’État l’affectation d’une nouvelle compétence, puis on prévoit une rétrocompensation quelques années plus tard, quand la compétence est affectée ailleurs. À la fin, plus personne ne s’y retrouve !

Il y a treize ans, la Cour des comptes rappelait que la nouvelle phase de décentralisation lancée en 2003 aurait pu être l’occasion d’un nouveau départ. Mais déjà l’échec était flagrant aux yeux de la Cour. Les gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédé ont échoué. Treize ans plus tard, le constat sur les finances locales rejoint celui qui est posé sur les compétences.

Alors, si nous voulons débattre de ce sujet, il nous faut nous mettre d’accord sur le constat. Je me contenterai de rappeler les éléments présentés la semaine dernière par la Cour.

Les collectivités locales ont connu un excédent de 4,7 milliards d’euros à la fin de l’année 2021 en raison d’une dynamique des recettes très supérieure à celle des dépenses. C’est une situation qui contraste très nettement avec celle des autres administrations publiques. Et la crise sanitaire a renforcé cet écart.

En 2021, l’État porte la quasi-totalité du déficit – 89 % –, alors que les collectivités locales sont en excédent. C’est la conséquence d’un fort soutien de l’État tout au long de la crise, mais également des réformes successives de la fiscalité locale, compensées par des ressources pérennes et dynamiques.

Mais ne nous y trompons pas : derrière cette question, nous sommes face à un véritable choix de doctrine, qui devra intervenir dans les années qui viennent. Et les scénarios de la Cour permettent d’en peser les conséquences.

La liberté qui va avec le levier de fiscalité locale s’accompagne nécessairement d’un recul de l’État dans son rôle de garant de la stabilité des ressources des collectivités. Nous devrons donc faire des choix.

Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour des comptes, affirmait déjà : « Considérer qu’il est trois acteurs autonomes, de même niveau, l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales, n’est pas réaliste. En réalité, l’État est le seul maître du jeu. Car, précisément, il fixe les règles du jeu. Les finances publiques sont un tout, et l’État porte la responsabilité pleine et entière de leur évolution. »

Pour nous, parlementaires, élus locaux et citoyens, cela signifie trois choses.

La première, c’est que dans un contexte de contrainte forte sur nos finances publiques, chacun doit prendre sa part au rétablissement des comptes de la Nation. Et toute réforme des finances locales devra prendre en compte ce juste équilibre entre l’État et les collectivités locales dans la réduction du déficit. Élus de nos territoires, nous ne devons jamais oublier la responsabilité collective qui nous incombe s’agissant des finances de la Nation.

La deuxième, et c’est ce qu’affirmait le Premier président, toute réforme d’ampleur devra se faire en concertation avec les élus. Cela nous oblige à laisser de côté nos querelles du moment pour discuter avec responsabilité du juste niveau d’organisation et de l’adéquation des ressources aux besoins.

Là encore, le rapport de 2009 est sans appel sur les échecs du passé. Pour atteindre une véritable péréquation, il aurait fallu accepter de remettre en cause certaines situations acquises, mais cela n’a pas été fait. Et, je cite le Premier président, à l’époque, « l’objectif de péréquation est resté secondaire ».

Dans ce contexte, et tributaire des erreurs du passé, le projet de loi de finances pour 2023 apporte la seule réponse possible sans recourir à une réforme radicale. Je pense à l’annonce par la Première ministre de l’augmentation de la DGF pour compenser les variations à la baisse qu’aurait pu entraîner la péréquation – Mme la ministre vient de nous confirmer cette annonce. Il s’agissait de trouver la solution la plus équilibrée pour compenser les variations annuelles et préserver nos collectivités sans peser trop lourdement sur nos finances publiques.

La troisième enfin, c’est que nous devons accepter de revoir en profondeur le système de péréquation pour mettre fin aux inégalités de destin et rétablir l’égalité entre les territoires. Je cite de nouveau le Premier président dans sa présentation de 2009 : « La République, c’est la solidarité nationale et il ne faudrait pas que la décentralisation devienne l’alibi de son affaiblissement ».

La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. La question qui doit dès lors nous occuper est celle de l’équilibre entre le principe d’autonomie financière consacré dans la Constitution, l’équité, la cohésion entre les territoires et la responsabilité de chacun du point de vue de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les finances locales sont-elles devenues les variables d’ajustement des comptes publics ? De contrats de Cahors en pactes de confiance, l’autonomie financière et la libre administration des collectivités territoriales ne seront bientôt plus que de lointains souvenirs.

Madame la ministre, comprenez l’inquiétude des élus locaux, qui, de crise en crise, doivent toujours faire plus avec moins du fait des incessantes modifications de ressources que vous leur imposez : suppression de la taxe d’habitation sous le précédent quinquennat ; suppression de la CVAE sous celui-ci ; etc.

Transformer ainsi des recettes fiscales en dotations pose problème à plusieurs égards : c’est une réelle perte d’autonomie ; c’est couper le lien entre le territoire et les habitants ; c’est acter de fait une diminution des recettes.

L’inquiétude se transforme en colère lorsque ces mêmes élus entendent ici et là que les finances locales se portent bien. C’est d’ailleurs ce que m’avait répondu le ministre des comptes publics lorsque je l’avais alerté sur ce sujet en mars dernier – il est vrai qu’il était alors question d’une ponction de 10 milliards d’euros sur les finances locales.

Depuis, avec l’augmentation – nécessaire – du point d’indice et la hausse du coût des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie, les collectivités locales sont au bord de l’asphyxie, enfin celles qui peuvent encore respirer…

Prenons l’exemple d’une commune que je connais bien pour l’avoir administrée pendant vingt ans. Comment peut-elle faire face à une augmentation de 1 million d’euros de sa facture d’électricité, alors que son budget de fonctionnement dépasse à peine les 5 millions ? Beaucoup d’autres communes, petites ou grandes, rurales ou urbaines, doivent faire face à la même situation.

Il en est de même pour les départements, dont les finances sont déjà affectées par le manque de compensation des dépenses liées au Ségur de la santé et à l’évolution des allocations individuelles de solidarité, particulièrement le RSA, pour lequel le fonds d’urgence ne fera pas la maille.

Au-delà de leurs dépenses propres, les collectivités doivent aussi faire face aux difficultés des organismes ou établissements qu’elles financent. La situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est particulièrement préoccupante. Que dire de celle des services d’incendie et de secours (Sdis) ? Nous le voyons bien, cette crise financière a des répercussions sur l’ensemble des services publics.

Devant l’explosion des coûts, nous avons voté cet été un filet de sécurité. S’il était initialement censé concerner 22 000 communes, seul un tiers d’entre elles y serait éligible. Il est donc urgent de revoir la copie, notamment les critères d’accès, afin que ce filet puisse jouer pleinement son rôle.

La réponse du Gouvernement doit être à la hauteur de l’enjeu. Aujourd’hui, que nous proposez-vous ? Les pactes de confiance ! Quelle que soit la manière dont on les nomme, ces pactes constituent une double peine pour les collectivités : baisse des dotations du fait de la non-indexation sur l’inflation, d’une part, contrôle de la dépense, d’autre part. Il s’agit purement et simplement d’un contrat léonin.

Au-delà de toute autre considération, comment imposer une réduction des dépenses à des collectivités qui ne peuvent pas, en raison de l’inflation, estimer leurs coûts ? Pour la seule électricité, selon les dates d’échéances des marchés, les choix énergétiques passés ou les modes d’indexation, les surcoûts peuvent être de 10 %, 100 %, 300 %, voire plus dans certains endroits.

De même, il est difficile d’avoir un peu de lisibilité sur les intérêts de la dette, sauf à pouvoir prévoir les taux de 2023, dont personne ne peut à ce jour connaître l’évolution.

Ainsi amputées de toute marge de manœuvre, quelles perspectives reste-t-il aux collectivités ?

Contribuer au seul redressement des comptes publics ? C’est oublier le rôle primordial des collectivités en matière d’investissement public, un investissement qui assure la bonne tenue du tissu économique local et contribue à la préservation de l’emploi.

C’est oublier le rôle majeur que jouent les collectivités dans notre pays et les actions qu’elles portent au quotidien, au plus près des populations, en finançant des services publics de proximité en tout point du territoire.

Madame la ministre, les communes, les intercommunalités, les départements et les régions n’en peuvent plus d’être si peu considérés. Nos collectivités locales ont besoin de véritables relations de confiance avec l’État et non d’une mise sous tutelle déguisée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur les finances locales intervient dans un climat de défiance réciproque entre l’État tutélaire et des collectivités asphyxiées par la hausse de leurs coûts de fonctionnement. L’énergie, les denrées alimentaires, la revalorisation du point d’indice et la hausse du coût des matériaux menacent directement les projets d’investissement.

La colère des maires est partout, nous la soutenons, et se heurte à des préfets démunis. Les garants de la puissance publique dans les territoires sont sans solution. Le Gouvernement invite les collectivités à la sobriété, mais il est temps de prendre la mesure des responsabilités.

La sobriété, mais pour qui ? Il est paradoxal que la relance de l’économie soit mise à mal par des mécanismes de marché déraisonnés, alors que les collectivités sont les premiers investisseurs publics français. Ce paradoxe est entretenu par une relation financière et politique insincère entre l’État et la démocratie locale.

Les élus communaux, plus que jamais, les conseillers départementaux et régionaux consacrent le plus clair de leur temps à quémander leur dû à l’État, à quémander des dotations qui ne viennent pas.

Ce phénomène s’est accru à cause du démantèlement de la fiscalité locale mis en œuvre au cours du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron.

La suppression de la taxe d’habitation pour l’ensemble des Français a marqué une première atteinte, grave, à l’autonomie fiscale des collectivités. La baisse des impôts dits de production en est une deuxième, à laquelle vient s’ajouter la suppression totale de la CVAE sur les deux prochaines années.

Ces deux réformes ont affaibli en même temps l’État et les collectivités locales, mais aussi, et surtout, la relation entre le citoyen-contribuable, son territoire et l’activité économique.

Pis, les ménages, les travailleurs modestes en particulier, sont ceux qui financent des baisses d’impôts qu’ils ne payaient pas ! C’est une vérité, madame la ministre : alors que 93 % des ressources de TVA, assises principalement sur la consommation de tous les ménages et sur les entreprises de moins de dix salariés, étaient destinées à l’État en 2017, cette part a diminué pour atteindre 50,6 % en 2021. Chaque année, ce sont donc 41 milliards d’euros qui échappent à l’État. Sans cette évaporation fiscale, le déficit du budget général serait déjà résorbé de près d’un tiers !

L’État procède à un transfert de fiscalité, tout en s’employant avec peu de succès à éponger sa dette sur le dos des collectivités territoriales. Nous ne le rappellerons jamais assez, elles sont toujours à l’équilibre, envers et contre tout : malgré les transferts de compétences, malgré les baisses de charges, malgré la disparition de la principale part de fiscalité économique. Ces renoncements sont ceux de gouvernements successifs. Pourquoi les PME et les travailleurs devraient-ils payer pour compenser cette forme de lâcheté ?

Cette accélération sans précédent de la quasi-disparition de l’autonomie fiscale des collectivités puise un début d’encouragement dans la loi de finances rectificative pour 1982, dans laquelle l’État a institué et pris en charge des allégements de la part salaire de la base de la taxe professionnelle. Ces allégements pour les ménages et sur la taxe professionnelle sont lourds de conséquences puisqu’ils sont compensés par l’État, qui devient dès lors le premier contribuable local.

La démocratie tourne sur elle-même, quand le contribuable perd de vue l’utilité de ses prélèvements sociaux et fiscaux. Dès 2010, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) relevait « une compatibilité de plus en plus compromise entre, d’une part, une évolution du dispositif par des aménagements à la marge, successifs et sédimentés, et d’autre part, les objectifs d’efficacité économique, de rendement budgétaire, d’équité sociale et d’acceptabilité politique ».

La situation que nous connaissons est l’aboutissement d’une logique qui conduit nos collectivités dans le mur. Elle ne peut faire que des perdants, dès lors que les collectivités constatent une décorrélation entre leurs charges et leur capacité budgétaire, fruit de compensations dépassées par l’évolution démographique, par une inflation qui érode en euros constants ces transferts et par des besoins sociaux et environnementaux nouveaux.

Face à la hausse des prix de l’énergie et à la décision du Gouvernement de revaloriser de seulement 3,5 % le point d’indice, le fameux filet de sécurité voté à l’été comporterait, je l’entends ici ou là, des trous dans la raquette… À ce niveau, il ne s’agit pas de jouer au tennis avec une raquette de ping-pong, madame la ministre !

Le filet de sécurité, c’est 430 millions d’euros, tandis que la seule augmentation du point d’indice représente 1,14 milliard d’euros ! Les factures énergétiques augmentent, elles, entre 30 % et 300 %, selon l’Association des maires de France (AMF).

Les propositions de mon groupe sont claires, ambitieuses et responsables, madame la ministre.

D’abord, il faut indexer dès le prochain projet de loi de finances la DGF sur l’inflation, et ce de façon pérenne, comme le demandent les élus, afin d’assurer la continuité des services publics.

Il faut ensuite sanctuariser dans la Constitution l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, au premier rang desquelles les communes.

Par ailleurs, il faut maintenir la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et refondre un impôt économique territorial avec une liberté de taux pour les communes.

En outre, il faut étendre les tarifs réglementés de vente de l’électricité à toutes les communes, et pas seulement à certaines d’entre elles. (M. Éric Bocquet acquiesce.)

Enfin, il faut revenir sur la suppression annoncée des tarifs réglementés du gaz.

Madame la ministre, les élus locaux sont responsables…

M. le président. Il faut conclure !

M. Pascal Savoldelli. … et font face, de même que leurs représentants.

N’en déplaise au Gouvernement, les oppositions sont utiles. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, questionner les finances locales revient à s’interroger sur les relations entre l’État et les collectivités territoriales. Au cours de la dernière décennie, ces relations ont été largement bouleversées par les réformes successives portant sur l’organisation territoriale, la fiscalité ou les concours financiers de l’État. Dans un récent rapport sur le financement des collectivités territoriales, la Cour des comptes souligne l’augmentation des ratios d’autonomie financière, alors que l’autonomie fiscale se réduit.

L’autonomie financière croît pour des raisons mathématiques et n’est absolument pas le signe d’un renforcement des marges de manœuvre financières des collectivités locales. Quant à l’autonomie fiscale, elle se réduit comme peau de chagrin, victime d’une emprise accrue de l’État central sur les collectivités territoriales, notamment les communes.

Après la suppression de la taxe d’habitation ou le reversement obligatoire d’une fraction de la taxe d’aménagement des communes aux intercommunalités, le Gouvernement a annoncé la disparition progressive de la CVAE. Le groupe Union Centriste souhaite un report de cette réforme, afin de pouvoir en débattre en profondeur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Et que l’on ne s’avise pas de nous dire que l’on porte un coup aux entreprises : il s’agit de protéger l’autonomie fiscale des collectivités locales et le lien important entre ces dernières et leurs entreprises.

Nous avons donc affaire, une nouvelle fois, à une fiscalité par procuration, téléguidée par l’exécutif national. Alors que la libre administration des collectivités est toujours et encore structurellement grignotée, les contraintes progressent. Toujours dans son rapport publié ce mois-ci, la Cour de comptes indique que l’évolution des dépenses des collectivités locales – leurs dépenses de fonctionnement ont connu une hausse de 2,4 % en 2021 – s’explique en partie par l’accroissement de leurs compétences sous l’effet de la décentralisation.

La réalité se révèle bien plus complexe. Cette tendance s’explique plutôt par une triple évolution, à commencer par la multiplication des normes imposées aux collectivités locales. Elle représente un milliard d’euros dans le projet de loi de finances dont nous allons discuter dans quelques semaines. Je rappelle que l’indexation de la DGF équivaudrait, elle aussi, à un milliard d’euros de dépenses complémentaires. Il faut comparer les choses, madame la ministre.

Ensuite, l’élargissement des périmètres des intercommunalités a entraîné, rappelons-le, une forte hausse des coûts.

Enfin, l’échelon local a joué un rôle croissant dans l’amortissement des effets des crises écologique, économique et sanitaire – je pense en particulier à la crise du covid-19.

Ne l’oublions pas, mes chers collègues, nos communes, intercommunalités, départements et régions assurent le dernier kilomètre de la vie de nos concitoyens. Comme cela est régulièrement rappelé, elles représentent 70 % de l’investissement public, mais sont responsables de moins de 9 % de la dette.

Le Gouvernement a récemment appelé à la mise en place d’un énième pacte de confiance. Sur le principe, nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette proposition, mais cela ne doit pas se traduire par l’instauration de contrats léonins, comme l’une de nos collègues l’a dit précédemment.

Si le premier mandat d’Emmanuel Macron fut décevant en matière de décentralisation, à l’image de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), et marqué par des relations parfois houleuses avec les collectivités territoriales, ce pacte doit être envisagé comme un facteur d’aide à la croissance et non comme outil de contrainte de la gestion locale. Pour cela, il faut fixer des objectifs communs aux territoires et leur donner des libertés qui leur permettent de les atteindre en fonction de leur situation.

Plus encore, j’en appelle à la différenciation territoriale et à la confiance envers les élus. Par exemple, à court terme, la révision des valeurs locatives doit prendre en compte le taux d’inflation, indispensable à la sécurisation des ressources locales. Autre illustration, et je ne doute pas que Jean-Baptiste Blanc l’évoquera également, le financement nécessaire à la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN) est une variable à intégrer dans les discussions, afin qu’il soit comptabilisé dans les futurs concours financiers de l’État.

Madame la ministre, nous allons prochainement entamer la discussion du PLF. Je souhaite que ce débat se fasse dans la confiance et permette de donner aux collectivités locales les moyens d’agir dans le dernier kilomètre, auquel nos concitoyens sont particulièrement sensibles. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport sur les finances publiques locales, annexé au projet de loi de finances, est un document de 208 pages, riche en chiffres et en informations, mais, comme l’a dit Jean-Michel Arnaud, il ne comprend quasiment rien sur la règle nouvelle qui suscite des inquiétudes considérables dans de nombreux territoires souvent en fusion : celle du zéro artificialisation nette, que nous appellerons le ZAN.

Cette règle a été définie sans les outils qui permettraient d’en assurer la mise en œuvre, laissant les collectivités démunies face à un tel écart entre l’objectif qui leur est assigné et les moyens à leur disposition.

J’alerte une nouvelle fois le Gouvernement sur cette question. Tous les élus locaux, quelle que soit leur appartenance politique, nous ont fait part de leurs inquiétudes, qui sont très nombreuses, comme je l’ai constaté lors du tour de France que j’ai effectué et qui m’a conduit à visiter quasiment un département sur deux.

La quasi-absence du mot « artificialisation » dans les différents rapports du Gouvernement démontre l’insuffisante réflexion de ce dernier sur la manière dont les obligations imposées aux collectivités seront financées.

Plusieurs pistes sont à explorer.

La première est le fonds Friches. De nombreux projets visant à revitaliser des espaces délaissés ont été déposés dans le cadre de ce fonds, auxquels seul manquait un équilibre économique pour pouvoir émerger. Mais que devient le fonds Friche ? Le Président de la République a annoncé sa pérennisation, mais il ne constitue plus que l’un des volets du fonds d’accélération de la transition écologique ou fonds vert : son objectif est désormais limité au recyclage de 1 000 hectares de friches par an. Les documents budgétaires n’indiquent pas clairement ses crédits. C’est insuffisant. Les collectivités auront besoin d’un soutien beaucoup plus important pour mener à bien les indispensables actions de recyclage urbain.

La deuxième piste est le levier fiscal, et c’est là peut-être mon message principal : la fiscalité locale n’est pas adaptée à la politique de sobriété foncière. On ne peut pas imposer aux communes une contrainte aussi forte sur l’aménagement local sans que les communes, en particulier, aient une incitation, alors que les réformes successives de la fiscalité locale distendent de plus en plus le lien entre leurs ressources et le résultat de leur action.

La commission des finances a donc saisi le Conseil des prélèvements obligatoires afin qu’il fournisse des pistes sur la manière dont la fiscalité, notamment locale, pourrait favoriser l’atteinte de l’objectif ZAN. Le CPO présentera ses résultats le 26 octobre et ses analyses pourront nourrir nos débats, notamment sur le projet de loi de finances.

En effet, plus d’un an après la promulgation de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, les lois de finances successives restent muettes, ou presque, sur la question du financement du ZAN.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit, certes, une adaptation mineure de la taxe d’aménagement : les collectivités locales pourront en exonérer les constructions réalisées sur des sites ayant fait l’objet d’une opération de dépollution. Toutefois, cette mesure n’est de toute évidence pas à la hauteur de l’enjeu, d’autant qu’il s’agit d’une exonération facultative. En outre, son coût pour les collectivités ne sera pas compensé par l’État, alors même que l’objectif est la mise en œuvre d’une politique d’intérêt national. La taxe d’aménagement fait pourtant bien partie des voies à explorer.

D’autres pistes sont évoquées, comme la taxe sur les logements vacants ou l’ancien versement pour sous-densité, mais aussi des incitations directes aux particuliers, telles que le dispositif Denormandie. Les dispositifs fiscaux présentent chacun des avantages, mais aussi des risques de contournement ou d’effet rebond : c’est pourquoi nous aurons besoin de l’éclairage du CPO, dont les rapports font référence.

Je regrette que l’administration, que j’ai déjà interrogée en de nombreuses occasions, n’ait pas déjà conduit cette réflexion : des propositions claires sur le financement du ZAN auraient permis d’apaiser certaines des inquiétudes dans les territoires.

Les collectivités sont en effet soumises à des injonctions contradictoires, comme nous le savons désormais tous. Elles doivent développer le logement, notamment social, et attirer des activités économiques, mais sur quels terrains ? Une enquête du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et d’Intercommunalités de France (AdCF), publiée le mois dernier, montre que la pénurie de foncier est d’ores et déjà une réalité pour une majorité de territoires.

Madame la ministre, comment peut-on réindustrialiser la France si les collectivités ne peuvent pas accueillir d’activités ? Celles-ci effectuent actuellement un travail considérable pour élaborer des solutions et modifier des documents d’urbanisme. Les membres de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette », présidée par Valérie Létard, constatent le haut niveau de réflexion des élus et des acteurs locaux, qui ont des propositions à vous faire, madame la ministre.

Les décrets de mise en œuvre, publiés hâtivement, doivent être corrigés, comme un de vos collègues l’a reconnu dans cet hémicycle. La nomenclature fait encore l’objet de travaux des urbanistes et un certain nombre de grands projets, engagés ou prévus, risquent de consommer une part importante du foncier autorisé dans les dix années à venir.

Le sujet est donc bel et bien explosif. Il faut adapter les recettes fiscales locales aux nouvelles missions des collectivités, dont la transition écologique et la mise en œuvre du ZAN. Aux trois options polaires mises sur la table par la Cour des comptes, je propose d’en ajouter une : la climatisation sans délai du ZAN et de la fiscalité locale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au gré de nos déplacements dans nos circonscriptions, nous constatons l’inquiétude palpable des élus du bloc communal.

Les dépenses contraintes des mairies s’envolent littéralement. Cela peut vous paraître trivial, madame la ministre, mais il faut bien que les villes chauffent et éclairent leurs équipements publics ! Sur mon territoire, Le Mans Métropole, ces dépenses représentent 4,5 millions d’euros de surcoût, rien que pour l’énergie.

Il n’est pas inutile de rappeler que nos communes fournissent la nourriture des restaurants scolaires et construisent ou rénovent leur bâti afin d’éviter qu’il ne tombe en décrépitude.

Ce sont précisément toutes ces dépenses liées au fonctionnement du quotidien qui sont en nette hausse du fait de la flambée des prix des matières premières. On sait déjà que, pour la seule année 2022, elles vont globalement grimper de 15 % pour les communes.

Je rappelle que, chaque année, les communes doivent équilibrer leur budget. C’est cette obligation de présenter un budget à l’équilibre qui conduit certains maires à se demander s’ils pourront boucler leur budget pour 2023 sans être contraints de fermer des services publics.

Dans ce contexte, que fait l’État ? Clairement, pas assez !

Pour être réellement efficiente, la DGF doit être revalorisée à hauteur de l’inflation. Je défendrai cette mesure avec mon groupe lors de l’examen du prochain PLF. Ce n’est pas la maigre rallonge de 320 millions d’euros qui permettra de boucher le trou dans la raquette. Après l’aide de l’État, 900 millions font encore défaut.

Si nous en sommes à lutter bec et ongles lors des débats budgétaires pour obtenir plus de moyens, c’est parce que vous avez placé nos collectivités dans une subjective dépendance à l’État, et ce en rognant depuis six ans sur leur autonomie financière.

Vous avez supprimé la majeure partie des impôts dont elles percevaient le produit et pouvaient moduler les taux. Avec vos réformes, vous siphonnez de manière systémique les recettes, plaçant ainsi de fait les communes sous perfusion de dotations que vous pouvez moduler de façon discrétionnaire, madame la ministre.

Je le dis sans détour, ce mode opératoire est insupportable pour la démocratie de proximité, qui œuvre au quotidien au sein du bloc communal.

À en croire les déclarations récentes de Bruno Le Maire, cela ne risque pas d’aller en s’améliorant. Interrogé sur la gestion financière des communes en difficulté, il a déclaré en septembre dernier : « Vous avez des collectivités bien gérées, et d’autres qui sont moins bien gérées, […] qui ne pourront pas se prévaloir de l’aide de l’État. »

Cette déclaration fixe les contours des bien mal nommés « pactes de confiance » prévus dans le projet de loi de programmation des finances publiques, lesquels ont déjà été rejetés à l’Assemblée nationale. Ce texte a de toute façon peu de chances d’être voté, le Gouvernement ne disposant pas aujourd’hui d’une majorité à l’Assemblée nationale !

Une chose est certaine, vous êtes animée par une volonté d’engager une relation « transactionnelle » avec les collectivités territoriales, madame la ministre, voire de personnaliser leurs relations avec l’État.

J’en appelle à toutes les travées de cet hémicycle : un grand débat doit avoir lieu sur une refonte idéologique de la relation entre l’État et les collectivités territoriales. Ce débat ne doit pas porter sur les contingences matérielles et budgétaires, il doit être d’une autre ampleur. Il doit interroger notre rapport à l’impôt local : ne serait-il pas tout aussi démocratique que celui-ci puisse être voté et levé par nos élus locaux ?

Si rien n’est fait, alors le Gouvernement accélérera encore la mise sous tutelle budgétaire des collectivités territoriales, obligeant ces dernières à devoir, à l’avenir, négocier chaque ligne budgétaire. Or, je le répète, cela n’est ni acceptable ni supportable ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Charles Guené. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Charles Guené. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenir des finances des collectivités locales nous interpelle dans l’immédiat, mais également à moyen terme. Pour l’heure, j’évoquerai tout d’abord le traitement dont elles font l’objet dans le cadre du projet de loi de finances, en mettant en exergue en particulier le bloc communal.

Le Gouvernement, conforté par l’appréciation de la Cour des comptes, vient d’évoquer leur bonne situation financière et leurs excédents, qui friseraient l’insolence, au sortir de la crise financière. Je nuancerai cette assertion et en montrerai le caractère relatif.

Les collectivités locales ne sont pas régies par les mêmes règles de gestion que l’État, et c’est tant mieux. Bordées par la règle d’or, elles ne peuvent créer de la dette à des fins de fonctionnement et doivent gérer leurs finances par la pratique de mise en réserve et d’une gestion prévisionnelle pluriannuelle.

Il est donc curieux que l’État observe la situation des collectivités à l’aune de règles qui ne s’appliquent pas à elles, alors qu’il devrait plutôt songer à s’inspirer de leurs pratiques vertueuses et s’astreindre à faire ce qu’il entend imposer aux autres. Je veux parler ici du contrat dit de confiance.

Je rappelle à cet égard que notre République garantit la libre administration des collectivités locales aux termes de l’article 72 de la Constitution, comme l’a indiqué Roger Karoutchi précédemment.

Durant le quart de siècle écoulé, les collectivités ont consenti des efforts financiers sans précédent. Il m’apparaît de bonne justice de les évoquer, d’autant que les fonds qu’elles ont ainsi épargnés entrent positivement dans le solde maastrichtien, pour le plus grand bénéfice de la France.

Afin de permettre à notre pays de conserver une trajectoire acceptable, les collectivités ont ainsi renoncé progressivement à la taxe professionnelle comme à la taxe d’habitation, en contrepartie de dotations moins dynamiques. Elles ont subi durant quatre ans la contribution au redressement des finances publiques, qui a entraîné une amputation drastique de leur DGF, pour la voir ensuite figée et contributrice à la péréquation verticale. Si l’on avait paramétré pour elles une loi de programmation spécifique sur cette période, on constaterait qu’elles ont consenti une perte de l’ordre de 50 milliards d’euros au bénéfice de la Nation.

Malgré l’inflation et la crise énergétique, nous ne revendiquerons pas l’indexation d’une DGF en état de déliquescence avancée et nous admettrons le principe d’un filet de sécurité et de dotations ciblées sur les plus vulnérables, mais nous disons haut et fort que le compte n’y est toujours pas et que les collectivités n’admettent pas d’être fustigées par un État impécunieux.

Force est de constater que les collectivités n’ont aujourd’hui aucune visibilité sur leur avenir à moyen terme, dans un système financier désormais menacé d’obsolescence. Je veux m’en expliquer.

La suppression de la taxe d’habitation et la perspective de celle de la CVAE ont totalement achevé la désarticulation du cadre sous-tendu par des indices désormais privés de sens. Les collectivités ne disposent plus des perspectives nécessaires pour gérer leur dynamique et doivent s’en remettre à la diligence de la direction générale des collectivités locales pour la mise en œuvre d’une péréquation au fil de l’eau.

Ainsi que vient de le confirmer la Cour des comptes dans son rapport, réalisé à la demande de notre commission des finances, le système est aujourd’hui « complexe et à bout de souffle ».

Les collectivités locales sont désormais à la merci de la suppression ou de l’affectation nouvelle d’un impôt, décidée d’en haut. Elles n’ont plus aucune visibilité dans un monde désormais aléatoire et complexe, alors qu’elles sont aux prises avec un système financier devenu incohérent.

Nous nous sommes attelés, au Sénat, à résoudre cette équation, mais elle est devenue insoluble, faute d’une boussole, face aux scénarios aussi pluriels que ceux que la Cour a évoqués dans ses travaux. Il faudrait que l’État mette fin au démantèlement erratique des ressources des collectivités et pose les bases d’une réforme dans le cadre d’un dialogue construit avec elles et d’une nouvelle gouvernance.

Les collectivités le méritent, car elles sont des actrices majeures de notre République d’un point de vue démocratique et sociétal. Par ailleurs, elles réalisent 70 % de l’investissement public.

Madame la ministre, quand allez-vous mettre cet ouvrage sur le métier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’efforcerai, dans le temps qui m’est imparti, de répondre à la majorité de vos interventions.

Je commencerai par certains points précis qui ont été abordés sur les mesures du PLF pour 2023, avant de répondre plus globalement sur les enjeux qui ont été évoqués, à savoir la nécessité d’une réforme de la fiscalité locale et d’un nouvel élan de décentralisation dans notre pays.

Sur les questions les plus techniques, je reviendrai vers chacun d’entre vous pour vous apporter une réponse circonstanciée.

Monsieur le sénateur Capus, comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, la suppression de la CVAE n’entraînera pas, je le répète, une baisse des ressources des collectivités territoriales, bien au contraire. Sa compensation intégrale par l’attribution d’une nouvelle fraction de TVA et sa dynamique garantiront aux collectivités une meilleure prévisibilité et une meilleure visibilité sur leurs recettes, alors que la CVAE était très volatile.

Ensuite, sur la compensation, à l’écoute des élus, nous avons justement souhaité introduire un mécanisme de moyenne pour lisser la volatilité de la CVAE d’une année sur l’autre, en intégrant l’année 2023 dans le calcul.

La compensation l’année prochaine correspondra aux sommes que l’État aurait dû verser aux collectivités en 2023 au titre de la CVAE. Rien ne sera conservé. La dynamique de cette compensation sera territorialisée. Je le redis, un territoire accueillant plus d’activités recevra plus de TVA.

Monsieur le sénateur Cozic, je tiens à souligner, tout d’abord, que le choix de non-indexation la DGF sur l’inflation date non pas d’aujourd’hui, mais de 2010.

Pour autant, le Gouvernement a pris la décision, inédite depuis treize ans, d’augmenter la DGF de 320 millions d’euros. Je rappellerai que, entre 2008 et 2014, les dotations des collectivités ont subi une baisse de plus de 11 milliards d’euros.

Par ailleurs, nous avons fait le choix d’une action ciblée, en mettant un œuvre le filet de sécurité et un bouclier tarifaire, ou encore le fonds d’urgence pour les communes en difficulté financière. Cela nous permet de soutenir en priorité celles qui en ont le plus besoin, car, comme vous le savez, les situations de chaque collectivité sont extrêmement diverses.

De manière plus générale, je pense que les interventions de MM. les sénateurs Guené et Rambaud, sans être exhaustives, ont permis de faire ressortir l’ensemble de vos doutes, de vos interrogations, qui reposent sur un constat que nous partageons tous, en réalité.

Notre modèle des finances locales est aujourd’hui complexe et marqué par une longue sédimentation, qu’ont accentuée les réorganisations successives du partage des compétences entre les différentes strates des collectivités territoriales. Cette situation peut parfois donner l’impression d’affecter les principes cardinaux qui président aux finances locales, notamment l’autonomie des collectivités territoriales.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, dont votre chambre a eu l’heureuse initiative, il faut d’abord rappeler qu’il s’agit là davantage d’une impression que d’une réalité : l’autonomie financière, telle qu’elle est mesurée par les ratios définis en 2004, progresse.

C’est la part croissante de la fiscalité nationale au sein des ressources propres des collectivités qui nourrit chez les élus le sentiment d’une perte de maîtrise et d’une déconnexion de leurs ressources avec les réalités de leur territoire.

À mon sens, le Président de la République a été très clair, dans son discours prononcé en Mayenne le 10 octobre, sur sa volonté de lancer le nouveau chapitre de décentralisation dont notre pays a besoin. Je pense en effet que notre modèle est à repenser : il faut le remettre à plat, le simplifier, pour qu’il fasse à nouveau sens pour chacun, pour les élus locaux comme pour nos concitoyens. Il faut repenser notre système d’administration décentralisée pour que les responsabilités accompagnent à chaque niveau le pouvoir normatif et les financements.

Cela implique nécessairement des choix politiques forts, comme le souligne la Cour des comptes. Le Gouvernement est prêt à faire de tels choix. Cependant, la Cour souligne également que cette refonte de notre système de décentralisation ne peut être conduite qu’en étroite concertation avec l’ensemble des parties concernées, c’est-à-dire les collectivités territoriales, les élus et, bien sûr, le Parlement, avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de parvenir à un consensus dans l’intérêt général de notre pays.

Aussi, je ne me prononcerai pas aujourd’hui sur le détail du scénario envisagé par la Cour des comptes. Il s’agit d’un travail prospectif particulièrement précieux, qui alimentera sans aucun doute le grand chantier que nous souhaitons mener.

À cet égard, je vous remercie de vos interventions, qui nourrissent ma réflexion personnelle sur ce sujet, mais notre démarche de coconstruction ne serait pas véritablement sincère, vous en conviendrez, si nous cherchions, en amont, à figer le débat par des positions arrêtées. Nous avons bien sûr un objectif, une boussole et des convictions, qui nous guideront dans nos échanges à venir, mais il ne s’agit en aucun cas d’un schéma préconçu, puisque c’est ensemble que nous construirons le nouveau modèle décentralisé de notre pays.

Monsieur le sénateur Requier, dans votre intervention, vous mettez en garde contre les promesses illusoires, et je suis d’accord avec vous. Comme le disait Jean-Pierre Raffarin, qui siégeait encore sur ces travées il n’y a pas si longtemps : « La politique ne peut plus promettre des lendemains qui chantent et repousser toujours la résolution des problèmes du quotidien. » Le nouveau chapitre de décentralisation que nous souhaitons ouvrir n’est pas le retour d’une vieille antienne ; c’est la réponse nécessaire aux limites de notre système.

Cette refonte, que nous souhaitons construire avec vous, impose à tous, à l’État, mais aussi à toutes les collectivités, de jouer le jeu de cette remise à plat, qui remettra nécessairement en cause de nombreuses situations établies. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme le vice-président de la commission des finances.

Mme Christine Lavarde, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, je suis certaine que le rapporteur général de la commission des finances, auquel il revenait de faire cette conclusion, s’il avait été parmi nous ce soir, aurait fait remarquer avec malice au Gouvernement qu’il doit avoir un problème de vocabulaire : après avoir expérimenté une nouvelle définition du dialogue, nous venons de voir apparaître ce soir une nouvelle acception du mot « débat ». Nous aurions, je pense, tous souhaité un débat plus interactif, conforme en tout cas à l’esprit de la réforme de la Lolf. (Bravo ! sur les travées du groupe GEST.)

Madame la ministre, permettez-moi de vous dire que vous avez par moments procédé à une réécriture de l’histoire. Vous avez même persévéré en ce qui concerne le filet de sécurité. Celui-ci a été non pas voulu par le Gouvernement, mais imposé par les députés, puis complété par les sénateurs dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Je tenais à ce que cela soit bien rappelé.

Par ailleurs, avec l’indexation des valeurs locatives professionnelles, vous ne faites pas un cadeau aux collectivités : vous ne faites qu’appliquer le droit ! Depuis plusieurs années, les valeurs locatives évoluent comme l’inflation, sur la base de l’indice du mois de novembre.

Plusieurs intervenants, notamment Pascal Savoldelli, ont rappelé les erreurs de la majorité à laquelle vous appartenez désormais, notamment la distension du lien entre les usagers des services publics locaux et le coût de fourniture de ces services. Je me souviens avec émotion que tel était l’objet de ma première question d’actualité au Gouvernement, en octobre 2017. Cela fait donc cinq ans que nous constatons ces égarements, dans lesquels vous semblez vouloir persévérer avec la suppression annoncée de la CVAE.

Comme plusieurs intervenants l’ont demandé, notamment Roger Karoutchi, les collectivités ont besoin d’une certaine visibilité à moyen et long termes pour pouvoir mener des projets, s’engager. Cette visibilité, le précédent gouvernement nous l’avait annoncée. Je me souviens ainsi que, lors des auditions de ministres par la commission des finances, lorsque nous demandions, par exemple, l’affectation d’une partie des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) aux collectivités locales pour financer les dépenses de transition écologique, on nous répondait que ce n’était pas le bon moment et qu’il fallait attendre le projet de loi de financement des collectivités locales. Or cette loi, que plusieurs d’entre vous ont réclamée encore aujourd’hui, n’est jamais arrivée.

Madame la ministre, les sénateurs ont eu le courage cet après-midi de dire la vérité, vous ne pouvez pas y être insensible, je le sais. Les différents orateurs ont esquissé des pistes d’évolution pour les textes budgétaires à venir. Le rapporteur général de la commission des finances, qui a suivi notre débat depuis son domicile, vous adresse un message par ma voix : si vous savez écouter la Chambre haute, alors tout devient possible ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les finances locales. Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Alain Richard.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande d’avancer le début de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, initialement prévu le jeudi 3 novembre, au mercredi 2 novembre, à l’issue de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Acte est donné de cette demande.

Nous pourrions fixer le délai limite d’inscription des orateurs dans la discussion générale sur ce texte au lundi 31 octobre à quinze heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

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Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Discussion générale (suite)

Intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Arnaud Bazin et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 720 [2021-2022], texte de la commission n° 39, rapport n° 38).

Organisation des travaux

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, au vu de l’heure de reprise de nos travaux, et en accord avec la commission et le Gouvernement, je vous propose d’ouvrir la nuit afin d’achever l’examen de cette proposition de loi.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé. Chacun en tirera la conséquence et veillera à exprimer ses opinions et ses réflexions avec le maximum d’intensité.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Article 1er

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Jérôme Bascher et Mme Valérie Boyer applaudissent également.)

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter notre proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Ce texte est le résultat du travail rigoureux de la commission d’enquête du Sénat, créée sur l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Il est le fruit de quatre mois d’investigation, de 40 auditions et de l’analyse de 7 300 documents.

Nous avons trois objectifs : en finir avec l’opacité des prestations de conseil ; mieux encadrer celles-ci ; renforcer les exigences déontologiques des consultants. Il s’agit non pas d’interdire, par principe, le recours aux cabinets de conseil, mais de fixer un cadre clair pour mettre fin aux dérives constatées par la commission d’enquête.

Cette démarche est transpartisane ; tous les groupes politiques de notre assemblée y ont été associés. À cet égard, je tiens ici à remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête de leur soutien, ainsi que la commission des lois et sa rapporteure, Mme Cécile Cukierman, pour les améliorations apportées au texte.

C’est le pluralisme sénatorial qui s’exprime aujourd’hui. Nous pouvons en être fiers, sur toutes les travées de notre hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Je remercie également très sincèrement Arnaud Bazin, président de la commission d’enquête, avec lequel je travaille de concert depuis le premier jour.

La commission d’enquête a mis au jour un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des consultants privés sur des pans entiers des politiques publiques.

La crise sanitaire, la stratégie nationale de santé, l’avenir du métier d’enseignant, la mise en œuvre de la réforme des aides personnelles au logement (APL), les États généraux de la justice : la liste des missions déléguées à des cabinets privés est tellement foisonnante qu’elle en donne le tournis, au point que l’on peut se demander s’il y a un pilote dans l’avion.

En 2021, la facture des consultants s’élève au moins à 1 milliard d’euros pour l’État et ses opérateurs ; elle a plus que doublé depuis 2018.

En pratique, les cabinets de conseil n’ont pas de problème de pouvoir d’achat : une journée de consultant coûte en moyenne 1 500 euros à l’État, ce chiffre ayant atteint 2 168 euros pendant la crise sanitaire. Malgré ce niveau de rémunération, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous.

Ainsi, Capgemini a, par exemple, reçu 280 200 euros pour une mission sur le handicap, alors que l’évaluation parle d’une « valeur ajoutée quasi-nulle, contre-productive parfois ».

BCG (Boston Consulting Group) et Ernst & Young ont reçu 558 900 euros pour organiser au mois de décembre 2018 une convention des managers de l’État, qui n’aura finalement jamais lieu.

McKinsey a, en novembre 2019, reçu 957 000 euros pour une mission commandée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) et visant « à aider la Caisse à se transformer en vue de la réforme des retraites », alors que ladite réforme – tout le monde s’en souvient – a été abandonnée…

De telles dérives sont inacceptables, surtout lorsqu’il s’agit d’argent public, et surtout dans le contexte actuel.

Au quotidien, l’opacité règne sur les prestations des cabinets de conseil, qui souhaitent rester – veuillez excuser l’anglicisme – « behind the scene », pour reprendre leur expression.

À titre d’exemple, la commission Cyrulnik sur les 1 000 premiers jours de l’enfant n’était pas au courant que l’État avait missionné, en parallèle de ses travaux, le cabinet Roland Berger. Ce cabinet a touché plus de 425 000 euros, pour un travail qui n’était « pas à la hauteur d’un cabinet de stratégie », selon l’évaluation de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Dans le même temps, les membres de la commission Cyrulnik, médecins et experts de haut niveau, étaient bénévoles et avaient du mal à se faire rembourser leurs frais de déplacement pour se rendre aux réunions. Deux poids, deux mesures !

Si notre commission d’enquête a été un exercice de transparence démocratique, on constate, depuis lors, un retour à l’opacité. Au-delà de l’exercice de communication, le « jaune » que le Gouvernement a publié la semaine dernière est lacunaire et – je dois le dire – très décevant.

Lacunaire, car il exclut le conseil en informatique et ne couvre que la moitié du périmètre de la commission d’enquête. Il ne concerne que 470 millions d’euros de prestations, contre 894 millions dans nos travaux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes !

Décevant, car le Gouvernement se refuse à publier la liste des prestations de conseil dont il a bénéficié, alors qu’il s’agit d’une information essentielle, que nos concitoyens sont en droit de connaître.

En pratique, les ministères traînent des pieds pour répondre aux demandes des journalistes, entretenant ainsi un climat d’opacité. Pour gagner du temps, l’État refuse toujours de communiquer des documents, malgré les avis favorables de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).

Le 21 janvier dernier, un journaliste de Next INpact demandait au ministère de l’éducation nationale une copie du rapport de McKinsey sur l’avenir du métier d’enseignant, facturé la somme exorbitante de 496 800 euros. Dix mois plus tard, il attend toujours… Et le 12 octobre, le journal Le Monde annonçait sa volonté de saisir la justice face à l’absence de réponses de l’Élysée, de Matignon et de la plupart des ministères.

Le Gouvernement ne doit pas avoir peur de la transparence, bien au contraire ! C’est pourquoi notre proposition de loi prévoit d’imposer la publication de la liste des prestations de conseil de l’État et de ses opérateurs, ainsi que des bons de commande et des évaluations des prestations. Ces informations figureront dans le rapport social unique (RSU), pour que les fonctionnaires puissent en débattre. Les agents publics ressentent en effet un profond malaise lorsque des consultants viennent leur expliquer leur métier à coups de post-it, de jeux de rôle ou encore de paper boards.

C’est le cas à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), où les consultants de Wavestone chassent ce qu’ils appellent des « irritants » pour réduire le délai de traitement des demandes d’asile. Autre exemple : pendant la campagne de vaccination, McKinsey utilisait le logo de l’administration pour rédiger ses livrables.

Et M. Véran, ancien ministre de la santé, d’affirmer devant notre commission d’enquête : « Si vous aviez voulu [les] documents estampillés McKinsey présents dans le dossier, vous auriez trouvé une feuille blanche. » C’est étrange pour une prestation facturée plus de 12 millions d’euros…

C’est pourquoi nous souhaitons éviter toute confusion entre les fonctionnaires et les cabinets de conseil, lesquels ne pourront plus utiliser les signes distinctifs de l’administration.

Sur l’initiative de Mickaël Vallet, nous proposons de bannir les expressions anglo-saxonnes d’inspiration managériale, comme benchmark, lean management ou encore key learning. Conformément à l’article 2 de la Constitution, la langue de la République est le français, y compris pour les consultants.

Certains ont résumé notre texte en le surnommant « proposition de loi McKinsey ». Certes, les pratiques de ce cabinet ont choqué nos compatriotes, en particulier sur le plan fiscal : il a payé zéro euro d’impôt sur les sociétés pendant dix ans, alors que son chiffre d’affaires atteint 450 millions d’euros par an ! Comble de l’ironie, le 11 juillet dernier, sur BFM Business, la directrice générale de McKinsey rejetait la faute sur le coût du travail en France, qui reste trop élevé à son goût…

En réalité, McKinsey peut remercier le mécanisme des prix de transfert et le paradis fiscal du Delaware. Ce cabinet continue d’ailleurs de candidater aux marchés publics : il a été désigné titulaire de second rang du marché de l’Union des groupements d’achats publics (Ugap), attribué en plein été.

Mais notre proposition de loi va bien au-delà de ce seul cabinet : le recours aux consultants est devenu un réflexe pour l’administration, alors qu’elle dispose des compétences en interne. On a parfois l’impression que l’État se fie davantage aux powerpoints de ses consultants qu’au travail de ses agents. Au fond, le recours croissant aux cabinets de conseil illustre une certaine vision de l’État, un « État en mode start-up », pour reprendre le titre d’un ouvrage évoqué pendant l’audition de McKinsey.

En déléguant ses missions stratégiques à des cabinets privés, l’État risque toutefois de perdre en souveraineté, au bénéfice des multinationales du conseil. Nous serons tous d’accord pour éviter un tel risque…

Le Gouvernement lui-même a d’ores et déjà pris des mesures, la plupart du temps en réaction à nos travaux. Nous gardons ainsi à l’esprit la circulaire signée le 19 janvier dernier, le jour même de l’audition d’Amélie de Montchalin par notre commission d’enquête. Le hasard fait parfois bien les choses…

Monsieur le ministre, le Gouvernement a besoin de notre proposition de loi pour mieux encadrer le recours aux cabinets de conseil. Vous le savez, car nous avons eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises sur le sujet, de manière franche et directe. C’est pourquoi nous vous demandons solennellement d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, sans en réduire l’ambition.

Nous avons un devoir de responsabilité à l’égard des Français, qui se sont emparés du sujet et souhaitent que les choses changent.

L’enjeu dépasse même notre pays : le 30 septembre dernier, Radio-Canada annonçait que McKinsey avait été payé 35 000 dollars par jour pendant la crise sanitaire au Québec, dans l’opacité la plus totale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ensemble le devoir de fixer des règles plus claires pour les consultants, dans l’intérêt de l’État et de nos politiques publiques ! Il ne s’agit pas seulement d’un souhait des parlementaires que nous sommes, dans notre diversité ; c’est une exigence devenue populaire au fil des travaux de notre commission.

Notre débat d’aujourd’hui est attendu et je fais confiance à notre Haute Assemblée pour être à la hauteur de cette exigence. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin est ambitieuse et profondément novatrice. Elle a été nourrie par les travaux que la commission d’enquête a conduits pendant plusieurs mois sur l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques.

Ces travaux ont suscité de nombreuses réactions de la part du Gouvernement, de l’administration et des consultants : circulaire de la Première ministre ; refonte de l’accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique, dont l’équipe de conseil interne doit être renforcée ; rédaction par l’organisation professionnelle Syntec Conseil d’une charte de déontologie spécifique pour « les interventions de conseil auprès du secteur public » ; et, très récemment, publication par le Gouvernement d’une annexe au projet de loi de finances pour 2023 – vous me permettrez, monsieur le ministre, de ne pas utiliser l’expression « jaune budgétaire » ; mais nous y reviendrons.

Si ces initiatives vont dans la bonne direction, elles restent insuffisantes, car elles n’ont pas le caractère général et pérenne souhaité.

La commission des lois estime par conséquent qu’une loi instituant un cadre unifié, contrôlé et sanctionné est aujourd’hui nécessaire.

Le texte proposé par nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin répond à quatre enjeux, tous essentiels dans le cadre d’une démocratie que l’on souhaite mature : un enjeu de transparence, envers les parlementaires, mais surtout à destination des citoyens ; un enjeu de maîtrise de la dépense publique ; un enjeu de souveraineté, au travers de l’action de l’État ; enfin, un enjeu de probité.

Cosigné par la quasi-intégralité des membres de la commission d’enquête, ce texte est le fruit d’un travail transpartisan. La commission des lois a tenu à conserver cet équilibre, tout en l’ajustant pour lui apporter une pleine effectivité. Dans cet esprit, elle a sécurisé le périmètre de la proposition de loi en choisissant une rédaction plus précise juridiquement, préférant la catégorie des établissements publics de l’État à celle des opérateurs, et en évitant les chevauchements de compétences avec les conseils de discipline des professions réglementées du droit.

La commission a également renforcé l’exigence de transparence et clarifié le partage des responsabilités entre administration et consultants. Elle a aussi rendu plus dissuasive l’amende administrative qui serait exigée des personnes morales ne respectant pas les nouvelles obligations mises en place, en la portant à un montant proportionnel à leur chiffre d’affaires mondial. Elle a enfin apporté des garanties à la procédure de vérification sur place et créé un mécanisme de régularisation en cas d’exclusion des procédures de passation des marchés publics.

Cela étant, j’ai bien conscience que le texte adopté par la commission n’est qu’un point d’étape et non pas un aboutissement. Certains sujets importants restent en effet en débat. Ils nécessitent le temps de la réflexion que permettent la navette et la discussion parlementaires. Il en va ainsi du champ d’application de la proposition de loi, concernant aussi bien les administrations bénéficiaires que les prestations de conseil concernées.

Par ailleurs, la question de l’inclusion ou non des collectivités territoriales dans la liste des administrations bénéficiaires se pose, c’est indéniable. Loin de nous l’idée d’opposer un État friand de prestations de conseil à des collectivités territoriales qui n’y recourraient jamais ! Toutefois, cette question ne saurait être réglée sans consulter les associations d’élus locaux et sans comprendre les conséquences d’une telle décision sur le fonctionnement desdites collectivités territoriales. Nous n’allons pas le faire au détour d’un amendement de séance : ce serait affaiblir le texte et ses objectifs.

De même, la question des seuils est récurrente, y compris pour les établissements publics de l’État que nous avons intégrés dans le champ d’application de la proposition de loi. Cependant, en l’absence d’informations permettant d’établir la liste précise des établissements publics concernés par tel ou tel seuil, il nous semble pour l’heure prématuré d’en fixer un.

Dans le même ordre d’idée, la liste des prestations de conseil entrant dans le champ de la proposition de loi mériterait sans doute d’être affinée ultérieurement.

À ce stade, le Gouvernement et quelques-uns de nos collègues ont formulé un certain nombre de propositions.

Une partie d’entre elles remettent en cause l’architecture du texte, en particulier le rôle accordé à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et le recours à des sanctions administratives, ou reviennent sur la substance des obligations mises à la charge de l’État, en particulier en matière de transparence. C’est pourquoi la commission s’y opposera.

D’autres visent à suggérer des modifications plus restreintes. Nous ne les avons pas retenues à ce stade pour nous concentrer sur le cadre général. Nous pourrons, pour certaines, y revenir dans la suite de la navette.

Enfin, certains auraient souhaité saisir l’occasion de ce texte pour renforcer le cadre législatif s’appliquant aux représentants d’intérêts. Ils en ont été empêchés par l’application de l’article 45 de la Constitution et surtout, là encore, par la volonté de préserver l’équilibre de cette proposition de loi issue des travaux de la commission d’enquête.

Ce sujet est cependant important et mériterait un texte à part. Notre comité de déontologie mène d’ailleurs une réflexion sur les règles applicables aux représentants d’intérêts au Sénat.

Ce soir, nous fixons un cadre et nous coulons, en quelque sorte, les fondations. Mais tout ne sera pas terminé après l’examen du texte au Sénat. Il faudra poursuivre le dialogue et améliorer cette proposition de loi pour la rendre applicable et effective.

Notre rôle ici n’est certainement pas d’affaiblir l’État et, à travers lui, notre République. Il est au contraire de chercher à prendre les meilleures décisions pour modifier des pratiques qui ont conduit, progressivement, à externaliser une partie de la prise de décision vers le secteur privé.

Nous sommes là non pas pour tout renverser, mais bien pour remplir pleinement notre mission de parlementaire, c’est-à-dire pour effectuer le travail de contrôle et d’initiative législative. Nous ne doutons pas que l’Assemblée nationale fera de même, qu’elle inscrira à son tour ce texte à son ordre du jour et qu’elle l’examinera dans les semaines ou les mois à venir.

Pour conclure, la commission vous invite à adopter son texte enrichi de quelques amendements pour poser, comme je l’ai dit, les premiers grands jalons de l’encadrement de l’activité des cabinets de conseil privés auprès de l’État et de ses administrations, et ce dans un délai contraint. Nous aurions certainement pu mener davantage d’auditions si le temps dont nous avions disposé avait été plus long… Pour autant, les travaux de la commission d’enquête ont permis de préserver l’équilibre souhaité par les différents auteurs de cette proposition de loi.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter ce texte. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le président, madame la présidente Assassi, monsieur le président Bazin, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet qui nous occupe aujourd’hui – je veux le dire clairement – est stratégique.

Il s’agit de la capacité de la puissance publique à répondre efficacement aux grands défis auxquels nous sommes confrontés. Nous choisissons ensemble ce soir – c’est là où nous nous rejoignons, et je veux vous en remercier – d’aborder ce sujet dans l’objectif de renforcer la puissance publique, sans jamais laisser ce sujet aux populistes.

Les populistes ne cherchent qu’une seule chose : créer la polémique pour affaiblir le Gouvernement et, ce faisant, l’État. Et quand nous aurons proposé des solutions, ils passeront à la prochaine polémique… Tel n’est ni l’esprit dans lequel vous avez mené vos travaux ni celui qui présidera à nos échanges ce soir.

Je souhaite que nous examinions ce texte dans l’esprit qui vous a animé, de façon transpartisane – vous l’avez rappelé, madame la présidente –, ou plutôt en étant rassemblés dans un seul camp : celui de ceux qui souhaitent renforcer l’État.

Sur ce sujet, la philosophie du Gouvernement est claire.

L’État doit-il pouvoir faire appel à des compétences dont il ne dispose pas en interne ? La réponse est oui.

L’État doit-il se réarmer, développer ses compétences, se doter d’un cadre renforcé pour recourir à des prestations de conseil externes ? Je réponds également de façon positive à ces questions.

Au moment d’entamer notre discussion, je tiens à saluer l’engagement du Sénat et de la commission d’enquête transpartisane créée sur l’initiative – cela a été rappelé – du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et présidée par M. Bazin, dont Mme la présidente Assassi était rapporteure.

Vous avez mené un travail en profondeur, précis, sérieux, et avancé des propositions concrètes. Les membres de la commission ont estimé que ces propositions nécessitaient une traduction législative. Le Gouvernement en prend acte et se penche sur ce texte de façon tout aussi attentive et exigeante.

Je me présente ce soir devant vous avec la volonté d’avancer sur ces sujets. À l’appui de ces affirmations, je tiens à dire que nous avons agi concrètement pour encadrer le recours aux prestations de conseil.

Premièrement, nous avons agi – vous l’avez dit – au travers de la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022, laquelle a fixé à la fois des modalités de contrôle interne et un cap en matière de réduction des dépenses de conseil à court terme – nous sommes dans la bonne voie pour tenir ce dernier objectif.

Pour ce qui concerne les modalités de contrôle, je le dis devant la chambre haute, une mission inter-inspections, portée par la Première ministre, sera menée d’ici à la fin de l’année pour vérifier la bonne application du contrôle interne et faire le point sur ce qu’il nous reste à faire.

Deuxièmement, dès ma nomination, j’ai mis en place un nouveau cadre clair et renforcé sur le recours aux prestations de conseil. Il s’agit de l’accord-cadre interministériel de la DITP, qui entrera en vigueur en janvier 2023 et sera d’utilisation exclusive pour les services de l’État. Cet accord intègre pleinement les recommandations de la commission d’enquête en matière de déontologie, de transparence, de protection des données de l’État ou de prévention contre les risques de dépendance des administrations à l’égard des prestataires.

Troisièmement, afin de réarmer concrètement l’État, j’ai aussi décidé de renforcer nos moyens humains – vous l’avez souligné, madame la rapporteure –, en créant 15 postes dédiés au sein de la DITP, pour une administration qui compte aujourd’hui une centaine de fonctionnaires. Vous pourrez le constater dans les engagements budgétaires dont vous aurez à débattre lors de l’examen du projet de loi de finances.

Enfin, très concrètement, nous avons effectué cette année une synthèse de l’ensemble des dépenses de conseil de l’État. J’ai tenu à ce que ce document vous soit transmis avant l’examen de la présente proposition de loi. Ce document est annexé au projet de loi de finances pour 2023.

Je prends aujourd’hui deux engagements devant vous concernant ledit document.

Premier engagement : je défendrai à l’Assemblée nationale, dès la discussion du projet de loi de finances pour 2023, un amendement visant à graver ce document dans le marbre et à en faire un « jaune » budgétaire pour de bon, madame la rapporteure, c’est-à-dire une annexe pérenne dans le cadre de l’examen annuel du projet de loi de finances.

M. Jérôme Bascher. Je m’en réjouis !

M. Stanislas Guerini, ministre. Deuxième engagement, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir au cours de ce débat : je renforcerai le volume, la précision et la granularité des informations qui seront portées à votre connaissance dans ce « jaune » budgétaire.

Vous le voyez, nous avançons, nous agissons et nous prenons des dispositions pour renforcer l’État, en tenant compte des recommandations du Sénat.

C’est dans cet état d’esprit constructif, sincère et exigeant que j’aborderai l’examen de la présente proposition de loi : sincère sur les finalités du texte, exigeant sur l’effectivité et la proportionnalité des dispositions proposées.

Je partage les objectifs premiers de ce texte : une meilleure maîtrise par la puissance publique des moyens qu’elle mobilise et la neutralité des prestations de conseil sur la décision publique, laquelle doit rester pleine et entière. Et je réaffirme tout l’intérêt de disposer d’un cadre légal clair et stable en la matière.

J’en viens à un point de méthode pour la discussion qui va s’ouvrir : avant de vous présenter les axes de travail que j’identifie pour renforcer le texte, je prends l’engagement de toujours vous indiquer, de manière transparente, les mesures qui me semblent soit inopérantes, soit disproportionnées, et de toujours faire des propositions ; je ne présenterai aucun amendement de suppression sans vous soumettre de contre-proposition.

Les trois axes que j’identifie sont les suivants.

Le premier axe a trait au périmètre de la proposition de loi établi par l’article 1er, que vous avez évoqué, madame la rapporteure.

J’ai beaucoup parlé de puissance publique, et je l’ai fait à dessein, car il nous semble essentiel que le cadre proposé dans cet article s’applique également aux collectivités territoriales, qui ont aussi recours aux cabinets de conseil. Nous aurons l’occasion d’en discuter, des amendements sur ce sujet ayant été déposés par différents groupes du Sénat.

Le deuxième axe concerne la transparence sur les prestations fournies, ainsi que sur les compétences de l’État.

Le Gouvernement a déposé des amendements afin de rassembler en un article unique les dispositions prévues aux articles 3, 4 et 8. J’aurai l’occasion de vous présenter cette proposition qui a l’avantage de rendre plus claires, plus lisibles et donc plus exploitables les informations transmises par le Gouvernement sur le recours aux prestations de conseil.

Enfin, le troisième axe concerne le mécanisme de contrôle déontologique et de sanctions. Je souhaite que le contrôle exercé soit proportionnel à l’objectif fixé, car je pense très sincèrement que c’est une condition d’effectivité des mécanismes proposés. Nous aurons cette discussion sur les dispositifs qui concernent les déclarations d’intérêts exigés pour les consultants, sur les mécanismes de contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et sur la question de la régulation des mouvements entre secteur public et secteur du conseil.

Tels sont les trois champs dans lesquels je formulerai des propositions, sur lesquelles je souhaite que nous ayons un véritable débat de fond afin de nous assurer de la bonne effectivité de la loi.

Madame la présidente Assassi, vous m’interrogez sur l’avenir de cette proposition de loi. Ma volonté est que le texte chemine : je l’ai dit publiquement et je le réaffirme ici devant vous. La proposition de loi pourra être examinée soit dans le cadre d’une niche parlementaire, dont la programmation est à la main de chaque groupe, soit sur le temps réservé au Gouvernement.

Je le redis, il est important pour le Gouvernement que la proposition de loi soit examinée. Nous verrons quel sera le texte adopté par la Haute Assemblée ce soir à l’issue de nos travaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite maintenant que nous puissions entrer dans le débat au fond, comme – je crois – nous l’attendons tous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par vous dire, monsieur Guerini, que vous êtes incorrigible ! La discussion générale n’a pas débuté que vous agitez déjà le chiffon rouge, véritable point Godwin, du « il ne faut pas faire le jeu du populisme », ce qui traduit une certaine fébrilité, un manque de sérénité, du Gouvernement. Or, que cela vous plaise ou non, ce texte doit marquer la fin de très mauvaises habitudes.

Pour l’État ou une collectivité territoriale, faire appel à un cabinet de conseil pour un soutien technique ou un état des lieux ponctuel, c’est légitime. Y avoir recours de manière systématique et en devenir dépendant, c’est inacceptable !

Or le Sénat a relevé un phénomène tentaculaire, pour un montant de 1 milliard d’euros en 2021 pour l’État et ses opérateurs !

Ce sont non seulement les proportions, mais également les méthodes qui suscitent des interrogations. Nous comprenons désormais parfaitement ce qu’est la start-up nation : un État colonisé par les cabinets, souvent étrangers, comme les Américains McKinsey ou Accenture, qui ont pour seul but de gagner de l’argent. Ils sont loin de se préoccuper de l’intérêt général, encore moins de l’intérêt national.

La start-up nation, c’est l’externalisation des missions régaliennes au profit des grands cabinets de conseil et la captation de notre souveraineté par le secteur privé, et pas n’importe lequel : celui des plus fortunés, des puissances étrangères et des grands lobbies financiers qui n’ont qu’une patrie, le profit.

Il est évidemment vital de mener une réflexion sur l’efficacité de nos administrations. Alors que les effectifs du ministère de la santé s’élèvent à plus de 11 000 personnes, il a fallu que le Gouvernement mobilise plus de 11 000 jours de consultants pour gérer la crise sanitaire… C’est insupportable !

Cela étant, ce n’est pas moi qui me plaindrai de ne pas avoir disposé en interne des porte-flingues zélés de l’Ausweis sanitaire et vaccinal. (Protestations sur diverses travées.)

M. Mickaël Vallet. Ça aussi, c’est un mot étranger !

M. Stéphane Ravier. Ce sont les cabinets qui proposent ces solutions numériques de facilité : ils parlent en termes d’efficacité, pas de libertés publiques. À trop les écouter, les décisionnaires publics finissent par oublier les principes qui fondent notre État.

Par ailleurs, les cabinets conseillent parfois simultanément plusieurs clients. Ils servent les intérêts des plus offrants et renvoient l’ascenseur à ceux qui leur ouvrent des portes. Le directeur de l’innovation de Pfizer a passé vingt-cinq ans chez McKinsey, cabinet chargé de la stratégie vaccinale en France. Cette porosité entre intérêts privés pose gravement problème.

Parmi les ex-McKinsey, on compte un préfet, le fils du président du Conseil constitutionnel, une vice-présidente de la région Île-de-France, le directeur de cabinet d’un ministre, le directeur général d’En Marche, et j’en passe. Vingt associés ont par ailleurs fait la campagne du candidat Macron en 2017. Cette porosité public-privé-politique est très problématique et suscite défiance et suspicion !

Avec le développement de structures comme le conseil de défense, aujourd’hui sanitaire et militaire, et bientôt environnemental et migratoire, nous sommes sommés de prendre l’habitude des huis clos, sans même un contrôle parlementaire.

Nous ne devons pas nous accoutumer à ces manières d’agir de l’exécutif. Il convient de rétablir les mécanismes de responsabilité et de légitimité propres à un système démocratique. Il y va de la confiance des Français envers la politique, laquelle est fortement éprouvée.

Avec vous, mes chers collègues, je soutiendrai, sans naïveté, une avancée en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous en tête l’extrait largement médiatisé d’une audition de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.

Notre collègue rapporteure Éliane Assassi y interrogeait l’un des dirigeants de McKinsey France sur un contrat d’un montant de près d’un demi-million d’euros pour évaluer « les évolutions du métier d’enseignant » et « accompagner » la direction interministérielle de la transformation publique dans ses réflexions sur le métier d’enseignant. Un échange lunaire du point de vue tant des montants évoqués que des réponses de la personne auditionnée !

Alors, je peux le dire sans détour, toute critique que je pourrais faire sur ce texte ne serait qu’accessoire et marginale au regard de la grande qualité et de l’intérêt supérieur des travaux qui ont été menés par notre assemblée sur un sujet essentiel : la privatisation, volontaire, de la décision publique au profit de cabinets de conseil.

Les travaux de la commission d’enquête nous conduisent à nous interroger sur la vision que nous avons de l’État et de sa souveraineté face aux cabinets privés, d’une part ; sur la bonne utilisation des deniers publics, d’autre part.

À l’aune de notre attachement profond à un État fort et garant de l’intérêt général, toutes les mesures de cette proposition de loi vont dans la bonne direction, qu’il s’agisse de la publication – enfin ! – de la liste des prestations de conseil effectuées pour l’État et ses opérateurs, de l’encadrement plus contraignant du recours aux consultants ou encore du renforcement des règles déontologiques des cabinets de conseil et des prérogatives de la HATVP.

Bien sûr, un tel texte, parce qu’il s’attaque à un sujet d’ampleur et complexe, soulève des difficultés. Je pense, en particulier, à la définition d’une « prestation de conseil ». L’article 1er de la proposition de loi comprend une liste synthétique des principes et des exceptions, qu’il serait tentant d’allonger de façon détaillée.

Notre collègue Jean-Pierre Corbisez avait d’ailleurs déposé un amendement en ce sens en commission visant à exclure du régime de contrôle les prestations des entreprises d’ingénierie, réalisées au titre d’une expertise technique. Cette précision n’était pas apparue superflue.

Mais nous comprenons aussi qu’elle n’ait pas été retenue. Les auteurs de la proposition de loi et notre commission ont fait le choix contraire de rester relativement souples. Dresser une liste exhaustive leur a paru impossible. Nous nous rangeons à leur avis pour donner à ce texte les chances d’une application rapide. Finalement, c’est le lot de toutes les qualifications juridiques que de comprendre des zones grises. Il revient aux acteurs, voire aux juges, de les analyser et de trancher au cas par cas.

Toutefois, il reste un sujet qui pose une réelle difficulté. Nous nous plaisons à rappeler que notre assemblée représente les territoires, conformément à l’article 24 de la Constitution.

Vous savez déjà, mes chers collègues, où je veux en venir. J’ai consulté quelques articles de presse sur l’examen de cette proposition de loi. Je n’en citerai qu’un : Le Sénat oublie ses électeurs. La critique est évidente, mais elle est surtout fondée, à une époque où la confiance dans les institutions politiques tend à s’étioler.

Je comprends évidemment les arguments qui ont conduit à exclure les collectivités locales du périmètre de ce texte pour ne retenir que l’État et ses administrations, mais ils donnent l’impression d’un refus d’obstacle.

Notre président Jean-Claude Requier a déposé un amendement visant à corriger cet écueil. Il tend à inclure dans le périmètre du texte les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des petites communes, ainsi que les intercommunalités, à l’exception des communautés de communes.

Nous en débattrons tout à l’heure, mais j’espère que nous ne nous cacherons pas derrière de faux problèmes légistiques, d’opérationnalité des seuils ou de mécanique juridique pour refuser cet aménagement.

Nos collectivités, elles aussi, méritent d’être protégées de l’intrusion excessive des cabinets de conseil et des consultants dans l’élaboration de leurs politiques publiques.

Chacun sait ici l’importance des décisions politiques prises sur nos territoires. Le renforcement de la décentralisation a conduit à donner un pouvoir considérable aux collectivités dans notre pays. Nous ne pouvons pas les exclure des réflexions sur la bonne utilisation des deniers publics. (Mme Nathalie Goulet sexclame.)

Souvenons-nous du fameux précédent des emprunts toxiques, dont beaucoup de collectivités ont été les victimes. Elles en paient encore parfois le prix… Les responsabilités étaient multiples, mais c’est aussi parce que des élus étaient mal protégés contre l’avidité de certains cabinets de conseil ou établissements bancaires qu’ils n’ont pas pu prendre les bonnes décisions.

Toutefois, je veux aussi le redire, le débat sur l’inclusion des collectivités n’enlève rien à l’intérêt et à la grande qualité du texte. S’il faut l’adopter sans que celles-ci y soient incluses, nous le ferons. Dans cette perspective, j’invite notre assemblée à poursuivre ses travaux en s’engageant dans l’élaboration d’un régime encadrant également les collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Mickaël Vallet applaudit également.)

M. Arnaud Bazin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme Éliane Assassi, je commencerai par remercier l’ensemble des membres de notre commission d’enquête, que j’ai eu l’honneur de présider.

Que de chemin parcouru depuis la réunion constitutive du 25 novembre 2021, il y a bientôt un an ! Notre rapport était transpartisan, tout comme cette proposition de loi. C’est un gage à la fois de sérieux et d’équilibre.

Je salue également le travail de la commission des lois, qui a amélioré le texte, ainsi que la rapporteure pour son écoute et sa connaissance du sujet.

Que les choses soient claires : nous légiférons non pas contre les cabinets de conseil, dont nous ne remettons pas en cause le professionnalisme, mais pour mieux encadrer leurs prestations et en finir avec l’opacité déplorée par la commission d’enquête.

J’appelle donc le Gouvernement à inscrire notre proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Nos concitoyens ne comprendraient pas que ce texte se trouve bloqué dans la navette parlementaire. Cela ne serait pas à la hauteur des enjeux soulevés par la commission d’enquête.

Je concentrerai mon intervention sur les aspects déontologiques, ce qui ne vous surprendra pas.

La commission d’enquête a mis en lumière trois risques : les conflits d’intérêts, les cabinets de conseil conseillant simultanément plusieurs clients dont les intérêts peuvent diverger ; la porosité, lorsque les cabinets recrutent d’anciens responsables publics – c’est ce que l’on appelle le « pantouflage » – ; enfin, le « pied dans la porte », lorsque les consultants interviennent gratuitement, pro bono, pour l’administration.

Ce sont par exemple les cabinets McKinsey et Boston Consulting Group qui ont organisé les sommets Tech for Good et Choose France à l’Élysée. Ces prestations étaient même devenues banales, alors qu’elles servaient en réalité la stratégie commerciale des consultants.

Avec cette proposition de loi, nous faisons le choix de la clarté : nous interdisons purement et simplement le pro bono, ce que le Gouvernement n’a jamais fait. Seul resterait le mécénat, dans des secteurs bien circonscrits comme l’humanitaire, la culture ou l’éducation.

Pour plus de transparence, le mécénat ferait l’objet d’une déclaration à la HATVP, tout comme les actions de démarchage ou de prospection commerciale des cabinets de conseil.

Dans la même logique, nous souhaitons que les cabinets de conseil et les consultants remplissent des déclarations d’intérêts, sous le contrôle de la HATVP. L’État est en droit de connaître les autres clients de ses consultants afin de mieux prévenir les conflits d’intérêts et, surtout, d’y mettre fin.

Un État aveugle sur le plan déontologique est un État en danger. L’enjeu n’est pas mince au regard des récentes interventions des consultants sur la crise sanitaire ou sur l’évaluation de la stratégie nationale de santé.

Des consultants ont fait part de leurs inquiétudes dans la presse : les déclarations d’intérêts seraient trop lourdes et les forceraient à s’éloigner du secteur public. Qu’ils se rassurent : en tant que parlementaires, nous remplissons de telles déclarations depuis 2013 ! La première prend un peu de temps, puis il suffit de l’actualiser : je pense que des bacs+10 y parviendront sans difficulté… (Marques dassentiment amusées sur de nombreuses travées.) Tout cela est loin d’être insurmontable : comme mes collègues, vous pourrez certainement le confirmer, monsieur le ministre.

Il en est de même pour le pantouflage : nous n’empêchons pas les consultants de travailler pour l’administration et vice-versa. En revanche, nous souhaitons que l’avis de la HATVP soit systématique et que l’intéressé lui rende compte de son activité à intervalles réguliers, pour vérifier que les exigences de la Haute Autorité sont bel et bien respectées. Il n’y a là encore rien d’insurmontable.

Cela évitera par exemple qu’un consultant de Capgemini soit embauché au service des correspondances de l’Élysée et recrute ce même cabinet pour moderniser le service… Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est bien sûr pas fortuite ! (M. Éric Bocquet sesclaffe.)

Dans un souci d’efficacité, nous souhaitons renforcer les moyens d’investigation et de sanction de la HATVP. Cette dernière doit pouvoir prononcer des sanctions administratives en cas de manquement déontologique des consultants, ce qui évitera d’engorger les tribunaux. Elle pourra aussi les exclure de la commande publique, ce qui nous semble logique et conforme au droit européen.

M. Philippe Bas. Très bien !

M. Arnaud Bazin. Vous le voyez, mes chers collègues, nous proposons un dispositif déontologique à la fois complet et cohérent et mettons en œuvre les recommandations de la commission d’enquête.

Vous conviendrez que la confiance de l’administration envers ses consultants n’exclut pas le contrôle, ce qui justifie notre proposition de loi.

Pour finir, j’évoquerai les représentants d’intérêts.

Ce sujet n’entre pas dans le périmètre de notre texte, comme l’a justement rappelé la commission des lois. Je n’ignore toutefois pas son importance ni la nécessité de faire évoluer le droit en vigueur.

C’est dans cet esprit que le Comité de déontologie du Sénat présentera des propositions sur les représentants d’intérêts d’ici à la fin de l’année, après avoir entendu les professionnels du secteur, comme nous avons commencé à le faire depuis bientôt un an, et les associations. C’est un engagement que nous avons pris auprès du Bureau du Sénat et que nous tiendrons.

Mes chers collègues, je vous remercie pour votre soutien à notre proposition de loi. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi issue des travaux de la commission d’enquête menés par Mme la présidente Assassi.

Cette commission d’enquête trouve son origine dans une polémique, née à l’occasion de l’élection présidentielle (Non ! sur diverses travées.), concernant le recours du Gouvernement aux cabinets de conseil.

Certains de nos concitoyens ont en effet été interpellés par le fait que l’État ait recours à des cabinets privés pour l’aider à définir sa stratégie, comme cela a été évoqué par Arnaud Bazin. Aussi divers que soient ses services, l’administration n’a pas, et ne peut pas, avoir en interne les compétences requises pour faire face aux situations qu’elle doit gérer.

Le recours à ces cabinets permet d’apporter une expertise et de proposer des solutions. C’est ainsi que 72 % des près de 900 millions d’euros dépensés par l’État en conseil durant l’année 2021…

M. Philippe Bas. 900 millions !

M. Emmanuel Capus. … concernent des prestations informatiques.

On le sait, tous les responsables politiques ont eu recours aux prestations de conseil ou y auront recours un jour. Et nos concitoyens préfèrent sans doute que l’État prenne des décisions éclairées.

La proposition de loi que nous examinons vise à imposer des obligations de transparence aux prestataires de conseil…

M. Emmanuel Capus. … lorsqu’ils travaillent pour l’État et ses établissements, afin de prévenir les conflits d’intérêts, mais aussi d’éviter les allers-retours entre ces cabinets et l’administration.

Pour cela, le texte étend le pouvoir de la HATVP, qui est déjà chargée du contrôle des principaux responsables et agents publics, ainsi que des lobbies.

L’État n’est évidemment pas le seul à recourir aux prestations de conseil ; nos régions, nos départements et nos communes le font aussi très régulièrement. Pour des raisons de périmètre d’enquête, cette proposition de loi ne vise cependant pas les collectivités territoriales.

Certains d’entre nous s’interrogent sur la nécessité d’inclure les plus importantes d’entre elles dans le dispositif. En vérité, notre groupe s’interroge plus largement sur l’opportunité d’une telle proposition de loi. (Exclamations sur plusieurs travées.)

M. Emmanuel Capus. Nous comprenons parfaitement les inquiétudes que l’activité de conseil a pu susciter, mais nous doutons que les moyens proposés soient efficaces et adaptés.

L’administration fait appel à de nombreux acteurs afin d’avoir un œil extérieur pour l’aider à résoudre les difficultés auxquelles elle est confrontée. Nous pensons, mais nous sommes manifestement minoritaires, qu’il n’est pas malsain que public et privé puissent échanger des idées et des personnes. (Marques dironie sur plusieurs travées. – M. Stéphane Ravier sexclame.)

Par ailleurs, quels que soient les conseils, c’est toujours le responsable politique qui décide…

Mme Nathalie Goulet et M. Jérôme Bascher. Ou pas !

M. Emmanuel Capus. … et qui est responsable des décisions qu’il prend.

Mme Nathalie Goulet et M. Jérôme Bascher. Ou pas !

M. Emmanuel Capus. Cela vaut également pour celle de recourir au conseil.

Mme Nathalie Goulet et M. Jérôme Bascher. Ou pas !

M. Emmanuel Capus. Nous ne sommes donc pas favorables à la création de régimes spécifiques dont l’application est confiée à des autorités spécifiques, qui disposent de pouvoirs d’enquête et de sanction spécifiques.

Enfin, nous craignons que cette proposition de loi ne renforce des maux très français : bureaucratie (Marques dironie sur les travées des groupes SER et CRCE.), création de rapports, renforcement de la lourdeur administrative (Mêmes mouvements.),…

M. le président. Mes chers collègues, il serait bon que tous les avis puissent s’exprimer !

M. Emmanuel Capus. … et mécaniquement augmentation du nombre de fonctionnaires (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.), ce qui peut évidemment intéresser certains !

M. Pascal Savoldelli. C’est la fin de la démocratie !

M. Emmanuel Capus. Nous sommes convaincus que notre pays a au contraire besoin de souplesse et de simplicité. Les échanges entre le public et le privé sont monnaie courante dans beaucoup de pays, particulièrement dans ceux du nord de l’Europe. Et ils ne s’en portent pas plus mal ! Ces fertilisations croisées sont créatrices de synergies qui améliorent l’efficacité de l’action publique.

Nous devons bien sûr être très attentifs aux ressources de l’administration : elles proviennent de l’argent des Français et doivent donc être employées à bon escient et sans abus – cela va sans dire. Mais nous pensons qu’il faut également veiller à préserver leur efficacité si nous ne voulons pas travailler nous-mêmes à l’impuissance de l’administration.

Le Gouvernement a annoncé son intention d’encadrer davantage le recours aux prestations de conseil par les administrations publiques, et c’est une bonne chose.

L’une des manières de réduire ce recours, la plus efficace pour les libéraux que nous sommes, est certainement de réduire le périmètre d’action de l’État (Exclamations sur les travées du groupe CRCE. – Mme Françoise Gatel et M. Stéphane Ravier sexclament également.), qui pourra ainsi se concentrer sur ses missions régaliennes, les plus essentielles, sur lesquelles il dispose d’une véritable expertise.

Vous l’aurez compris, dans sa majorité, le groupe Les lndépendants votera non pas comme M. Ravier… (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Stéphane Ravier. Suspense insoutenable !

M. Emmanuel Capus. … ou certains autres, mais s’abstiendra. (Nombreuses marques dironie.)

M. Jérôme Bascher. Courageusement !

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fin du pantouflage et des allers-retours trop opaques entre les hautes sphères de l’État et les cabinets privés avait clairement été érigée en objectif par Emmanuel Macron. Comme nous en avons l’habitude, nous avons été quelque peu déçus de ce point de vue. Nos concitoyens espéraient pourtant que le devoir d’exemplarité serait réellement pris en compte.

Mais, à l’instar d’autres décisions, « ce n’est pas un échec, ça n’a pas marché », pour reprendre une expression souvent employée par le Président de la République, notamment à propos du sujet qui nous occupe.

Cette proposition de loi nous est soumise après les récentes révélations journalistiques sur l’augmentation notable des dépenses liées aux cabinets de conseil depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.

Le groupe CRCE avait alors demandé l’ouverture d’une enquête sur l’influence de ces cabinets. Ce texte s’appuie, monsieur le ministre, sur les conclusions de la commission d’enquête transpartisane du Sénat, rendues au printemps dernier.

Pourquoi le recours à des cabinets de conseil privés suscite-t-il des reproches ? Surtout, que prévoit la présente proposition de loi pour faire face à l’explosion de l’intervention de ces cabinets ?

Tout d’abord, c’est non pas le recours même à une expertise extérieure qui est mis en cause, mais bien l’absence de transparence – or la transparence est nécessaire – sur les contrats et les montants qu’ils représentent, pour des résultats parfois plus que discutables.

Le désinvestissement dans la fonction publique, qui – il faut le reconnaître – résulte non seulement de l’action de ce président, mais aussi de celle de ses prédécesseurs, explique le recours massif à ces cabinets.

Les sociétés de conseil sont souvent perçues comme un moyen simple et agile, dans les moments de surcharge ponctuelle, de pallier le problème que posent les plafonds d’emploi. Cela entraîne des pertes de compétences au sein de l’administration ou des limitations de la montée en compétences – comme on le voit, par exemple, dans le domaine informatique.

Certains y voient l’action de pompiers pyromanes qui ne donnent pas les moyens à l’administration de rester compétente dans ses prérogatives afin de justifier les recours coûteux à une poignée de grosses entreprises de conseil. Pourtant, une large majorité des entreprises de conseil de moindre importance restent loin du pouvoir et des pratiques de ces grands groupes.

Le recours décuplé aux cabinets de conseil est aussi critiqué en raison du manque de transparence sur les résultats d’études coûteuses – Mme Éliane Assassi les a évoquées –, non publiées, notamment dans l’éducation nationale, mais aussi du doublon des missions entre privé et public – elle en a également parlé –, par exemple dans le secteur de la petite enfance.

L’opacité qui règne sur le recours aux cabinets de conseil, sur la définition du besoin réel ou sur l’effectivité des rendus, est source de défiance de nos concitoyens à l’égard de notre système démocratique.

Au terme des travaux de la commission d’enquête sénatoriale, qui a soulevé de nombreuses problématiques, relevé des dérives, mais aussi formulé 19 recommandations, notre collègue Éliane Assassi a souhaité déposer la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise.

Si nous apprécions ce texte, nous pensons que certains points méritent si ce n’est une amélioration, au moins une discussion.

Nous regrettons ainsi que certains de nos amendements aient été déclarés irrecevables alors qu’ils portaient explicitement sur les « pouvoirs de contrôle et de sanction conférés à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en vue de faire respecter ces obligations par les prestataires de conseil et les consultants ». En cela, ils étaient conformes aux règles relatives à l’application de l’article 45 de la Constitution indiquées dans le document de la commission des lois.

L’un de ces amendements ayant été déclaré irrecevable – nous le regrettons vivement – s’inscrivait dans la lignée de la proposition n° 42 de la mission d’évaluation de la loi Sapin II, menée en 2021 par les députés Olivier Marleix, du groupe Les Républicains, et Raphaël Gauvain, de La République En Marche.

Cet amendement visait en outre à répondre à une demande explicite de la HATVP elle-même, qui, dans son rapport d’octobre 2021, proposait – c’était sa proposition n° 10 – de « doter la Haute Autorité d’un pouvoir propre de sanction administrative en cas de manquement à l’obligation de dépôt […] d’une déclaration d’activités […], la sanction étant proportionnée à la gravité du manquement et à la situation de la personne poursuivie ».

Ce périmètre nous apparaissait déjà particulièrement restreint, car il ne permettait pas une discussion globale sur les lobbies et les liens d’intérêts entre secteur public et secteur privé. Notre groupe est certes minoritaire, et nos positions, hélas ! parfois aussi. Mais le refus de discussion dont témoignent des décisions irrévocables d’irrecevabilité pénalise l’exercice démocratique qui est le nôtre.

Cela étant, nous sommes globalement favorables au texte et à ses mesures novatrices. La plupart des dispositions de cette proposition de loi sont d’ordre normatif, mais certaines d’entre elles revêtent un caractère réglementaire : elles ont donc pour objectif d’inciter le Gouvernement à modifier les règles déontologiques. C’est bien là que le bât blesse. Car, comme lors de la création de la HATVP, ce sont parfois les décrets qui ne suivent pas !

C’est pourquoi nous aurons à cœur de discuter du texte. Nous attendons du Gouvernement qu’il s’engage à réduire le recours excessif aux cabinets de conseil et à permettre à la HATVP de fonctionner correctement.

Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les pouvoirs publics ont toujours eu besoin de s’appuyer sur des compétences extérieures. C’est une réalité ancienne, qui ne date pas uniquement de l’élection présidentielle de 2017 : elle existe depuis de nombreux quinquennats et s’est accélérée depuis 2007.

Ressources humaines, informatique, gestion de données massives, communication, analyse comparative : les besoins sont en réalité nombreux. Pourquoi ? D’abord, parce que certains champs d’expertise très spécialisés nécessitent un recours à des cabinets de conseil. Ensuite, parce qu’un arbitrage apaisé appelle parfois un regard extérieur. Enfin, parce que l’urgence ou le lancement d’un projet impliquent l’action rapide et coordonnée d’un grand nombre de consultants, agissant uniquement dans un laps de temps déterminé, ce qui se prête mal au processus de recrutement de fonctionnaires.

Pour autant, le besoin ne sera pas toujours aussi important que durant la crise du covid-19. D’une part, nous avons vécu ces dernières années une accumulation de crises globales tout à fait inédite. D’autre part, chaque administration travaille son attractivité afin d’engager en interne les compétences dont elle a besoin.

Je tenais également à souligner que nous ne sommes pas les plus mauvais élèves en Europe. En 2018, un rapport relevait qu’en comparaison avec les autres pays européens, le conseil au secteur public apparaissait limité en France, les chiffres étant cinq fois plus élevés en Allemagne et quatre fois plus au Royaume-Uni.

La résolution n° 111 a été enregistrée à la présidence du Sénat le 27 octobre 2021. Une commission d’enquête a ensuite été constituée. Cette commission, dont j’étais membre, a entendu pendant quatre mois 47 personnes sous serment, lu les réponses à 131 questionnaires, et analysé 7 300 documents, comme mes collègues l’ont déjà souligné.

Le rapport a été rendu le 16 mars dernier, et je salue le fait que le Gouvernement ait pris en considération ses recommandations lors de l’élaboration du nouvel accord-cadre plafonnant les dépenses de conseil, renforçant la transparence et améliorant l’évaluation.

Par ailleurs, le Gouvernement a d’ores et déjà publié un « jaune budgétaire » annexé au projet de loi de finances pour 2023, intitulé Recours aux conseils extérieurs. Il s’agit là d’un pas supplémentaire vers plus de transparence.

Compétence, souveraineté, démocratie et légitimité de la décision : tels sont les enjeux que cette pratique implique et qu’il convient de sécuriser. Le Premier ministre avait déjà publié le 19 janvier dernier une circulaire fixant l’objectif ambitieux de diminuer de 15 % le volume des prestations de conseil en stratégie en 2022. Toutefois, les dispositions concernant la transparence méritent d’entrer dans le champ législatif.

Je salue le travail préalable, en 2014 et 2015, des rapporteurs de la commission des finances sur la communication de la Cour de Comptes. Le mercredi 12 octobre dernier, la commission des lois a adopté à l’unanimité la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Tous les amendements de la rapporteure ont également été adoptés.

Cette proposition de loi vise à traduire dans la loi les préconisations de la commission d’enquête. Il s’agit d’assurer la traçabilité de la participation de ces cabinets et de garantir une meilleure information des citoyens, mais en aucun cas de « supprimer » le conseil.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Exactement !

Mme Nicole Duranton. Notre groupe, le RDPI, souhaite apporter quelques modifications au texte et a déposé cinq amendements à cet effet.

Notre premier amendement tend à préciser, à l’article 1er, le seuil des établissements publics concernés par le champ de la proposition de loi. En effet, il est essentiel d’éviter de faire peser une charge déraisonnable sur des structures de taille réduite. Le seuil de 60 millions d’euros de dépenses est déjà bien connu des acteurs concernés, car il correspond au seuil des avances obligatoires versées aux PME dans le cadre d’un marché public.

Le deuxième amendement vise à exclure les prestations de conseils internes à l’administration, pour éviter une surinterprétation par le juge.

Le troisième a pour objet de réaffirmer l’exclusion des prestations de gestion des ressources humaines et d’expertise informatique.

À l’article 11, nous défendrons un amendement visant à prévoir la définition par décret des modalités d’enregistrement des actions de démarchage, l’objectif étant d’aligner le dispositif sur les règles de droit commun.

Enfin, à l’article 18, notre amendement tend à limiter les obligations d’audit, souvent très coûteuses, aux marchés les plus sensibles qui le nécessitent.

En commission, d’aucuns ont envisagé d’appliquer le dispositif aux collectivités territoriales. En effet, les régions, les départements, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et certaines villes font aussi appel au conseil. Cela s’inscrit dans la suite logique des choses.

Toutefois, cette extension du champ de la loi doit passer par la fixation d’un seuil. Le Gouvernement et plusieurs collègues de différents groupes ont déposé des amendements tendant à porter ce seuil à 100 000 habitants. Ce nombre semble tout à fait adapté.

Je sais que M. le ministre aura à cœur de ne pas dévitaliser le texte de la commission. Il convient de rendre visible l’action de chaque acteur des politiques publiques, d’empêcher toute dérive, mais aussi de ne pas tomber dans la surenchère législative, de ne pas ajouter aux différents niveaux une surcharge de travail et des règles confuses.

Le groupe RDPI est favorable sur le principe à cette proposition de loi. Ses membres seront très attentifs au vote des différents amendements.

Le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission est équilibré et s’inscrit dans la continuité des travaux de la commission d’enquête. Il faudra veiller à ce que le dispositif puisse facilement être mis en place par l’administration, en l’alignant le plus possible sur ce qui existe déjà pour les représentants d’intérêts. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord, au nom du groupe socialiste, à remercier très sincèrement nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin d’avoir mené, avec les membres de la commission d’enquête, un travail tout à fait remarquable, qui illustre une fois encore combien le Parlement, et particulièrement le Sénat, peut être utile et efficace lorsqu’il exerce pleinement la mission de contrôle qui lui est dévolue par la Constitution.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Ce travail a notamment permis l’ouverture d’une enquête judiciaire à la suite de la découverte du non-paiement de l’impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020 par le cabinet McKinsey, alors que cette firme réalise en France un chiffre d’affaires annuel de plusieurs centaines de millions d’euros. C’est inacceptable ! Il est impossible que cela continue ainsi.

Grâce à la commission d’enquête, nous avons également appris que l’État avait dépensé en 2021 plus d’un milliard d’euros en prestations de conseil de cabinets privés, soit 45 % de plus qu’en 2018. Nous avons découvert que, lors de la crise sanitaire, il avait largement fait appel à ces cabinets. Pourtant, mes chers collègues, les services de l’État disposent de compétences considérables. Il est donc parfois regrettable de faire appel à des instances privées.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Jean-Pierre Sueur. Un jour, j’ai appris qu’un ministre avait fait appel à un cabinet de conseil pour rédiger l’exposé des motifs d’un projet de loi. C’est absolument insupportable ! (Mme Nathalie Goulet approuve.) Si un ministre ne peut pas expliquer lui-même les raisons pour lesquelles il présente un projet de loi, alors c’est à désespérer de la politique !

Ne mélangeons pas tout. Il est vrai que dans certains domaines il est utile de faire appel à des compétences extérieures à l’administration ; personne ne le conteste. Mais encore faut-il que cela soit fait en toute transparence.

Mes chers collègues, nous avons nous aussi déposé quelques amendements pour élargir le champ du texte. Madame la rapporteure, vous nous avez dit qu’il vous était apparu plus sage de vous en tenir strictement au champ de la commission d’enquête. J’entends cet argument, mais rien n’empêche le législateur d’aller plus loin ! Si les principes sont bons, au terme des travaux de la commission d’enquête, pourquoi ne pas élargir le champ du texte aux collectivités locales d’une certaine importance – de plus de 100 000 habitants –, à la Caisse des dépôts et consignations, ainsi qu’aux assemblées parlementaires ?

Ne serait-il pas logique de nous appliquer à nous-mêmes les excellentes recommandations formulées dans le rapport ? Nous avons déposé un amendement en ce sens, en veillant à ce que sa rédaction préserve intégralement l’autonomie des assemblées parlementaires. C’est le bureau de chaque assemblée qui décidera des modalités de leur mise en œuvre.

Le but, c’est la transparence, même si diverses méthodes sont possibles pour l’atteindre. Nous avons grand intérêt, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, à jouer la carte de la totale transparence à l’égard de nos concitoyens.

Il est un livre très ancien, qui a connu quelque succès, dans lequel on peut lire cette phrase : « La vérité vous rendra libres. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les cabinets de conseil privés, acteurs de l’ombre, omniprésents pourtant, « tentaculaires », selon la commission d’enquête sénatoriale, ont été démasqués, dévoilés, mis au grand jour.

Les parlementaires du groupe CRCE, qui sont à l’origine de la création de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, ont conduit, sous la présidence d’Arnaud Bazin et avec Éliane Assassi, rapporteure, une investigation dont les résultats nous ont dépassés.

Ainsi, les travaux de la commission ont connu un fort retentissement dans l’opinion publique. Les cabinets de conseil constituent désormais un objet politique identifié et controversé. Nous devons collectivement nous en féliciter.

Ensuite, au terme de ces travaux, il est apparu nécessaire de légiférer rapidement, comme nous le faisons ce soir, pour traduire en actes les constats partagés à l’unanimité par les membres de la commission d’enquête.

Si le recours aux cabinets de conseil est ancien, l’ampleur du phénomène est inédite : ils représentent pour l’État un coût de 1 milliard d’euros en 2021. Mais ce qui change par rapport à hier, c’est la croyance toujours plus affirmée depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron qu’il existe une différence entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, les « sachants » appartenant aux cabinets de conseil, les autres étant dans l’administration.

Le monopole de la vérité objective et rationnelle incomberait à des cabinets connus pour appliquer les mêmes recettes à des problèmes différents, économies d’échelles obligent…

Nous nous souvenons des mots de Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, le 12 décembre 2007, lors de la présentation de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP) : « La réforme de l’État, je l’ai promise, je la ferai. Je la ferai parce que nos finances publiques doivent être redressées ». Ces mots, qui se sont traduits par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, ont porté un coup important à la capacité de la fonction publique de mener à bien ses missions.

Chacun reconnaît aujourd’hui que l’on est allé beaucoup trop loin. Il faut consacrer le retour du politique comme maître de l’action publique.

Lors de la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et de l’examen de la loi du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, nous fûmes bien les seuls à proposer la suppression de la « fongibilité asymétrique », terme barbare qui permet de redéployer le budget du personnel vers des dépenses différentes comme l’investissement, l’intervention ou le « consulting » – permettez-moi cet anglicisme –, mais qui interdit le mouvement inverse.

Cette logique libérale est mortifère. (M. Emmanuel Capus proteste.) Je souhaite que tous nos concitoyens et toutes nos concitoyennes défient ces mécanismes libéraux de réduction de l’emploi public au prétexte d’une prétendue « obésité » de l’État.

Le collectif « Nos services publics » explique cet effet pervers : « Plutôt que de diminuer le coût du service tout en maintenant sa qualité, on en réduit la qualité tout en dégradant les finances publiques », notamment en raison des rémunérations beaucoup plus élevées versées aux cabinets de conseil.

Feignant de soutenir la proposition de loi transpartisane du Sénat, le Gouvernement et ses alliés révèlent leur volonté de miner le texte à grands coups d’exclusions et de suppressions.

On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » leur faire béatement confiance. On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » exclure des consultants en raison de leur statut. On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » saper les obligations déontologiques prévues dans cette proposition de loi.

Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais votre « en même temps » n’est pas l’équilibre, c’est le laxisme. C’est la poursuite de la connivence entre les cabinets de conseil et le Gouvernement.

Les contrats massifs passés durant l’été et en ce début d’automne montrent que vous n’avez tiré jusqu’ici aucune leçon des travaux de la commission d’enquête et que vous entendez bien vous limiter à des déclarations d’intention.

Tout au long du processus, vous n’avez eu de cesse de miner les travaux de la Haute Assemblée, sentant que la situation vous échappait quelque peu : publication d’un rapport à l’Assemblée nationale, d’une circulaire opportune la veille d’une audition de ministre, conférence de presse de ministre en pleine campagne présidentielle et publication d’un « jaune budgétaire » incomplet avant même le vote de la proposition de loi.

Les mots du président alors candidat sont teintés de vérité : « Sur McKinsey, on est mauvais comme des cochons, les enfants ! ».

Permettez-moi de m’arrêter un instant sur un point, car vous connaissez mon appétence en matière de lutte contre la fraude fiscale et toutes les formes d’optimisation intolérables.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Éric Bocquet. La commission d’enquête a prouvé que McKinsey ne payait pas d’impôt sur les sociétés depuis dix ans, alors même que celle qu’on appelle « la Firme » réalisait plusieurs centaines de millions d’euros de chiffres d’affaires chaque année et captait de l’argent public. Merveilleux Delaware, qui compte 970 000 habitants et 1 600 000 sociétés enregistrées ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

Mes chers collègues, nous sommes fiers de ce texte et de l’esprit de construction transpartisane qui nous a animés. Il constitue un point de départ bienvenu pour celles et ceux qui pensent encore que l’État peut et doit garantir l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de la discussion générale – je suis la neuvième à m’exprimer –, beaucoup a déjà été dit.

Je regrette de ne pas avoir eu moi-même l’idée de cette commission d’enquête – j’en éprouve une certaine frustration ! – et je remercie Mme Assassi et son groupe de l’avoir eue… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.) Je m’étais limitée lors d’un rappel au règlement à suggérer l’organisation d’un débat sur le sujet, et voilà que la commission d’enquête est arrivée !

Les travaux de la commission d’enquête, dont j’ai eu l’honneur d’être vice-présidente, témoignent de l’importance de ce sujet, sur lequel il était justifié de se pencher.

Ce sujet est important d’un point de vue financier : la part du privé dans la décision publique, les conditions du recours aux cabinets de conseil et les garanties offertes ne sont pas que des sujets philosophiques, notre société étant ouverte aux conflits d’intérêts, qui sont, à mon sens, le pire cancer de la politique.

Encore une fois, il n’a jamais été question d’interdire le recours aux cabinets de conseil ; il s’agit d’encadrer cette pratique pour la rendre plus transparente et être sûr qu’elle apporte une réelle plus-value.

On peut toutefois s’interroger sur le fait que l’État ait de plus en plus recours à ces cabinets, y compris pour les politiques publiques les plus sensibles. Cette tendance à ubériser le pouvoir régalien est, de mon point de vue, assez inquiétante.

Certains, dont je fais partie, acceptent difficilement cette philosophie : placardiser la haute fonction publique en lui préférant à prix d’or des cabinets extérieurs privés revient à dévaloriser et à paupériser tant la haute fonction publique que les inspections générales, qui regorgent de compétences souvent et rarement écoutées ou entendues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Mickaël Vallet et Patrice Joly applaudissent également.)

Ainsi, Martin Hirsch, dont les propos sont cités page 39 du rapport de la commission d’enquête, évoque le malaise ressenti par les agents : « Autant le fait de travailler, y compris dans le corps médical, sur un projet donné avec un regard extérieur ne pose aucun problème, autant le fait d’avoir une sorte d’abonnement auprès de grands cabinets de consultants et de personnes pour lesquelles l’hôpital n’est qu’un client n’était pas perçu positivement. »

De même, les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dont les propos sont retranscrits page 38 du même rapport, avouent avoir l’impression d’être « régulièrement infantilisés ». Je rappelle que le cabinet de conseil ayant fourni une prestation afin de réduire les délais de traitement des demandes d’asile, lesquels n’ont toujours pas été réduits, a perçu 485 818 euros ! Or la valeur ajoutée de son travail n’est pas perceptible dans l’immédiat…

Moderniser, ce n’est pas paupériser ! Moderniser, ce n’est pas supprimer le corps diplomatique un lundi de Pâques au matin ! Moderniser, ce n’est pas davantage supprimer l’École nationale d’administration (ENA) ou le corps préfectoral au 1er janvier 2023. (Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Laurent et Mickaël Vallet applaudissent.) Je ne crois pas à ces réformes en faux, qui ne sont d’ailleurs que des réformes en trompe-l’œil, jamais évaluées.

Le sujet dont nous débattons, sur lequel le groupe CRCE a eu raison de se pencher, n’est pas que technique, il est aussi politique.

Le Gouvernement a d’ailleurs été contraint de réagir à la suite des travaux menés en toute transparence par la commission. Les auditions, qui étaient ouvertes au public, sont d’ailleurs toujours disponibles en ligne.

Le 19 janvier 2022, à la rubrique « Il faut sauver le soldat Montchalin », …

Mme Nathalie Goulet. … une circulaire a été publiée le matin même de l’audition de la ministre pour limiter le recours des ministères aux cabinets de conseil. Même si elle était insuffisante, elle attestait de la gêne du Gouvernement face aux effets de nos auditions publiques.

Je dirai à présent un mot sur le périmètre du texte. Sur ce sujet, je suis prise d’une double sincérité franchement centriste. (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

Il est évident que la question des collectivités locales se pose. Il n’y a pas de volonté de notre part de l’éviter. Mais pour les régions, les départements, les grandes métropoles et les intercommunalités, le recours à des cabinets de conseil est un sujet à part entière. Or il n’a pas été traité par la commission d’enquête – pas une seule audition n’a porté sur cette question – et les associations d’élus n’ont pas été consultées. De notre point de vue, il est inacceptable d’intégrer les collectivités locales dans ce dispositif sans qu’elles aient été entendues. C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra sur les amendements ayant pour objet d’étendre le périmètre du texte aux collectivités.

Notre commission d’enquête a clairement défini le périmètre de ses travaux, sur lequel la proposition de loi est calquée. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les collectivités locales constituent un véritable sujet, je vous l’accorde. Monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous charger quelques parlementaires d’une mission flash sur ce sujet ? On pourrait également se pencher sur la question importante des centrales d’achat.

J’évoquerai à présent le recours à des cabinets d’avocats pour des prestations de conseil. Le Conseil national des barreaux s’est vanté sur les réseaux sociaux d’avoir obtenu d’être exclu du périmètre de contrôle. Voici leur tweet mortifère : « Nous venons de faire modifier la proposition de loi sur l’encadrement des cabinets dits “de conseil”. Cette proposition sénatoriale prévoyait d’englober dans son périmètre les prestations de conseil juridique. »

Monsieur le ministre, nous avons eu le même type d’irritants lors de la discussion de directives européennes. Alors que les cabinets d’avocats montent des pyramides pour faire de l’optimisation, voire de la fraude fiscale, sujet cher à mes collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, particulièrement à Éric Bocquet, il est évident qu’il faut les faire entrer dans les dispositifs légaux. (Mme Éliane Assassi et M. Éric Bocquet approuvent.)

Sur ce sujet, il faut travailler avec les bâtonniers, il faut intervenir dans le domaine réglementaire, afin d’accroître la transparence.

Ainsi, on ne peut pas consulter un cabinet d’avocat sur le projet de loi d’orientation des mobilités en ignorant totalement quels intérêts il défend par ailleurs, ceux de Vélib’ ou d’une autre société par exemple, au risque de faire face à une situation de conflit d’intérêts. Ce sujet est extrêmement important et il faut le traiter : comme je l’ai dit, le conflit d’intérêts est le pire cancer de la vie publique.

L’article 8 accorde de nouveaux pouvoirs à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et va à mon avis provoquer quelques remous. Pour ma part, je considère qu’il s’agit d’une bonne disposition.

Un autre problème a également été soulevé au cours des travaux de la commission d’enquête : toutes ces prestations de conseil ne sont absolument pas coordonnées ni par France stratégie ni par le Haut-Commissariat au plan. Ce défaut d’articulation nous a laissés un tantinet songeurs…

Le rapport s’appuie sur 7 300 documents et fourmille de chiffres : 41 millions d’euros ont été versés à McKinsey pour 68 commandes lors de la crise sanitaire ; 485 000 euros pour effectuer une étude, je l’ai évoquée, sur la réduction du délai de traitement des demandes d’asile – on sait que cela n’a pas du tout fonctionné ! –, 169 440 euros pour la mise à disposition d’un agent de liaison entre l’État et Santé publique France et cinq mois d’études. Tout cela n’est pas du tout raisonnable !

Cette commission d’enquête apporte une grande plus-value au travail parlementaire et républicain qu’effectue la Haute Assemblée. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque la commission d’enquête a été créée, puis lorsqu’elle a rendu ses conclusions, le Gouvernement s’est montré « aussi suffisant qu’insuffisant », pour reprendre les mots de Talleyrand. (M. Éric Bocquet sourit.)

À l’époque, monsieur le ministre, votre prédécesseure avait fait fi de nos remarques. Je me souviens aussi d’avoir entendu à la radio un jeune et sémillant porte-parole du Gouvernement estimer que cette enquête avait été conduite par une rapporteure « communiste » !

M. Fabien Gay. C’est vrai !

M. Jérôme Bascher. Il oubliait que ce rapport avait été adopté à l’unanimité par le Sénat et donc par des collègues siégeant sur toutes les travées.

M. Jérôme Bascher. Ce n’est pas grave, ce n’était qu’une erreur de plus…

Cette erreur, vous n’avez cessé de tenter de la corriger, comme mes collègues l’ont rappelé : publication d’une circulaire le jour de l’audition de la ministre par la commission d’enquête, d’un rapport et maintenant d’un « jaune budgétaire »… Vous courez après tout cela sans paraître très à l’aise.

Rassurez-vous, monsieur le ministre : nous sommes là non pour accuser les uns ou les autres, mais pour faire notre travail de parlementaires, en lien tant avec l’exécutif qu’avec l’administration, qui va donc devoir se priver un petit peu des cabinets de conseil.

Rassurez-vous, le Sénat n’est absolument pas contre le recours à des cabinets de conseil, notamment dans le secteur informatique, car c’est un domaine dans lequel on apprend en conduisant de nombreux projets. La conduite d’un seul projet informatique important dans une administration ne permet pas un tel apprentissage. En revanche, dans d’autres secteurs, mes chers collègues, nous disposons de la haute fonction publique.

Nicole Duranton a indiqué que les Allemands ont davantage recours que nous aux cabinets de conseil, mais il faut prendre en compte le fait que la haute fonction publique allemande n’est pas du tout la même que la haute fonction publique française !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jérôme Bascher. Manquons-nous, en France, de hauts fonctionnaires de qualité ? Je ne le pense pas ! Combien d’anciens préfets s’ennuient-ils aujourd’hui au Conseil supérieur de l’appui territorial et de l’évaluation (CSATE) ? Combien de personnes recycle-t-on à l’inspection générale des affaires sociales (Igas) ou à l’inspection générale des finances (IGF), dont des anciens ministres très compétents ?

Le Président de la République lui-même a supprimé l’ENA en expliquant qu’il serait bien que des gens d’expérience travaillent dans les corps d’inspection. Cela tombe bien, nous en avons ! Mais on ne les utilise pas…

Lors de la RGPP, nous avons beaucoup eu recours à tous les corps d’inspection, qui n’ont peut-être jamais eu autant de travail. Il a bien fallu alors bénéficier de temps en temps de l’expérience des cabinets de conseil ! Mais oui, il faut utiliser les hauts fonctionnaires.

Certes, je comprends que le rapport ne plaise pas tellement à la DITP, qui se trouve dans la même situation qu’une préfecture.

Les préfets représentent l’État dans les territoires, mais ne s’occupent ni de l’éducation nationale, ni des agences régionales de santé (ARS), ni du ministère des finances et des directions départementales des finances publiques (DDFiP). Pour la DITP, c’est la même chose : elle croit centraliser, mais des dépenses sont faites partout, comme la commission d’enquête l’a révélé.

On le voit, beaucoup reste à faire, monsieur le ministre, mais je ne doute pas de votre bonne volonté. Vous l’avez compris, nous sommes là non pour vous embêter, mais pour mieux faire fonctionner l’administration française.

Certains collègues ont parlé des collectivités locales. Il ne faut tout de même pas exagérer : eu égard à l’état des finances locales, je ne suis pas sûr qu’il y soit fait beaucoup appel à des cabinets de conseil pratiquant de tels honoraires !

Monsieur le ministre, ma mère me disait de ranger ma chambre avant de dire que celle de mon frère était mal rangée. Avant de donner des conseils aux collectivités locales, occupez-vous donc de l’administration centrale. Commencez par ranger votre chambre avant d’aller voir chez les autres ! Cela me paraît de bonne politique.

La question de la souveraineté et des données est un sujet très important pour moi. Si les conseillers de McKinsey se font payer si cher, c’est parce qu’ils ont des bases de données incroyables qu’ils mettent à disposition de leurs clients – cela n’empêche pas le cabinet d’« oublier » de payer ses impôts. Or ces données sont stockées aux États-Unis.

M. Jérôme Bascher. Les lois américaines s’appliquent donc sur des données françaises qui peuvent être sensibles, mais que l’on ne peut plus surveiller.

En conclusion, je pense que, avec cette proposition de loi, comme dirait le Président de la République, l’abondance est terminée pour les cabinets de conseil ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet.

M. Mickaël Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon camarade Jean-Pierre Sueur vous ayant exposé la position du groupe socialiste sur les grandes lignes du texte, je me concentrerai pour ma part sur l’article 7, qui impose aux cabinets de conseil travaillant pour l’État de bien vouloir, s’il vous plaît, employer la langue française dans leurs échanges avec l’administration et dans leurs documents.

Cet article est la traduction de l’une des recommandations de cette commission d’enquête, à laquelle j’ai participé avec plaisir. Grâce à elle, nous avons pu mesurer ce qui se passe dans les coulisses de ces marchés publics où, diapositive après diapositive, les cabinets offrent des solutions adéquates que les administrations ne sauraient trouver par elles-mêmes.

Pour mieux me faire comprendre par l’écosystème qui nous occupe et qui nous écoute peut-être, j’aurais pu dire que j’ai fait partie du board de la commission qui a mesuré, behind the scene, comment slide après slide les consultants juniors et seniors d’un même practice font des « propales » pour offrir les bons feedbacks et les key learnings à leurs prospects publics.

Mes chers collègues, si comme moi vous n’entendez rien à ce sabir, rassurez-vous : la commission d’enquête a annexé à son rapport un glossaire du vocabulaire dont les cabinets de conseil inondent leurs clients – j’en remercie d’ailleurs la présidente Éliane Assassi. En revanche, inquiétez-vous de la situation qui a rendu ce glossaire malheureusement indispensable.

Lors de son audition, le PDG de La Poste a indiqué que le recours trop systématique aux cabinets de conseil faisait courir le risque d’un « nouveau conformisme », passant par la langue et conduisant à un appauvrissement de la pensée. Ce « globish », qui n’est même pas de l’anglais, est en réalité un instrument de formatage. Nombreux sont les fonctionnaires et les citoyens à en concevoir une souffrance certaine.

La France a un rapport à la puissance publique et à l’administration qui lui est propre ; Villers-Cotterêts n’est pas Wall Street. Or ce rapport ne peut être appréhendé par ces cadres de pensée d’outre-Atlantique. Ceux-ci correspondent parfaitement à la culture anglo-saxonne ; c’est une grande culture, mais ce n’est pas la nôtre et elle ne nous permet pas de développer souverainement notre propre vision de l’action publique.

La légère modification de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite Toubon, proposée dans ce texte ne saurait être résumée à une approche passéiste consistant à regretter le bon vieux temps de l’imparfait du subjonctif ou de la marine à voile.

Ce n’est pas non plus la recherche d’une langue pure, car une langue figée est une langue finie, fantasme morbide que je laisse aux réactionnaires. On doit accepter, avec gourmandise, l’intégration des mots étrangers ou nouveaux, lorsqu’ils recouvrent mieux que n’importe quel autre terme une réalité que notre langue ne décrit pas.

En revanche, lorsque le mot existe en français et, surtout – j’arrive au point essentiel –, lorsqu’il est parfaitement entendu de tous les citoyens, il doit être employé, afin que les gens se comprennent entre eux. C’est un impératif démocratique tout autant qu’un refus de l’entre soi.

Une récente étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) sur le sujet rappelle l’« attachement manifeste à la langue, qui se décline à travers l’expression de la nécessité de services publics exemplaires sur le sujet ».

C’est ce qui est exprimé dans l’article 7 de la présente proposition de loi, dans un contexte dans lequel les gouvernements ne respectent, et de longue date, ni la loi Toubon, ni les dispositions réglementaires prises en application de celle-ci, ni les circulaires primo-ministérielles, qui s’imposent pourtant à l’administration. Les « Choose France », « French Tech », « Business France », « France Connect », « French Impact », start-up nation, bottom-up et autres clusters sont autant d’agressions, qui creusent le fossé entre le peuple et ses représentants ; il faut en avoir conscience. Quand on est payé par le contribuable, on le sert dans sa langue et cela vaut tant pour l’administration que pour ses dirigeants et ses prestataires !

En février dernier, l’Académie française a publié un rapport sous-titré Pour que les institutions françaises parlent français ; nous en sommes rendus là… En juin dernier, le ministre québécois de la langue française en visite à Paris nous invitait avec émotion à ne pas laisser son gouvernement seul dans cette bataille ; nous devons l’entendre !

Nous avons ici une occasion, rare, de renforcer utilement la loi Toubon : saisissons-la, monsieur le ministre !

D’aucuns inscriraient sur leur slide de conclusion que c’est now or never qu’il faut réaffirmer ces principes linguistiques, mais, avec l’audace dont nous savons faire preuve au Sénat, sur toutes les travées, nous pouvons dire, beaucoup plus clairement, que c’est maintenant ou jamais ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE et GEST et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer l’initiative des auteurs de cette proposition de loi, Éliane Assassi et Arnaud Bazin. On a pu en mesurer la nécessité lors des travaux de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer.

C’est donc avec la conviction de la nécessité de cet encadrement que j’ai cosigné cette proposition de loi. Je tiens également à saluer le travail de la rapporteure du texte, Cécile Cukierman.

Je ne développerai pas les risques que l’emprise des cabinets de conseil peut faire peser sur la démocratie et sur la légitimité des responsables publics ; chacun les connaît désormais. Au moment de fatigue démocratique forte que connaît notre pays et où le lien de confiance entre les pouvoirs publics et nos concitoyens est pour le moins distendu, il convient de compléter notre arsenal législatif pour encadrer ces pratiques, en définir le périmètre, en piloter l’intervention, les rendre transparentes et protéger les données de l’administration.

Je me bornerai, dans le temps qui m’est imparti, à aborder deux aspects de ce texte : l’interdiction des prestations réalisées à titre gratuit, déjà abordée par Arnaud Bazin, et la protection des données.

J’ai beaucoup insisté, lors des auditions de la commission d’enquête et lors de la réunion d’examen de son rapport, sur le problème majeur que constituent les interventions dites pro bono. Ces prestations, dénuées de tout fondement juridique, peuvent correspondre à une stratégie de « pied dans la porte », en vue de développer un réseau d’influence auprès des décideurs politiques et de l’administration, voire d’orienter des politiques publiques.

Je me réjouis donc que le texte pose le principe de l’interdiction des prestations à titre gratuit. L’équilibre proposé, par lequel on autorise des missions réalisées dans la cadre du mécénat d’entreprise au profit de certains organismes ou œuvres d’intérêt général, me semble bon. Il conviendra bien entendu d’en évaluer la mise en œuvre et la portée, afin de s’assurer qu’il n’y a pas de dérives et que ces organismes d’intérêt général ne sont pas privés par ailleurs de cette ressource.

Le deuxième sujet sur lequel je veux insister est la protection des données de l’administration. S’il est essentiel d’éviter toute confusion entre le consultant et l’administration dans l’action publique, comme le prévoit le texte, il est également crucial de s’assurer que les données de l’administration utilisées par les cabinets de conseil sont protégées. Je parle bien sûr des utilisations ayant une finalité autre que l’exécution de la mission.

Il me paraît équilibré de confier le contrôle de la suppression de toutes ces données à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), sans obligation d’aviser le prestataire avant une éventuelle vérification sur place. Ce recours à la Cnil, sous le contrôle éventuel du juge des libertés et de la détention, me semble relever, comme le recours à la HATVP, mobilisée pour éviter tout conflit d’intérêts, du bon usage de nos autorités indépendantes.

Cette proposition de loi est exemplaire, comme le montrent les nombreuses réactions du Gouvernement aux travaux de la commission d’enquête, en particulier la publication, déjà évoquée, de la circulaire insuffisante de janvier 2022. Elle comprend bien d’autres volets qui feront avancer nos pratiques démocratiques, grâce à l’action du Parlement. L’examen détaillé du texte permettra de souligner chacune de ces avancées, dont je me réjouis par avance, notamment en matière de transparence et de proportionnalité.

Éclairer les décisions, oui, car, plus que jamais, nous avons besoin de dialogue et d’expertise pour nous accorder sur le diagnostic avant d’engager une action ; mais orienter les décisions par des scénarios priorisés et bâtis par les cabinets sur des chemins « prébalisés », non ! Nous non plus ne devons pas être dépossédés, comme certains dans notre société actuelle.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, CRCE et SER.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à l’examen du texte de la commission.

proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

Chapitre IER

Définir les prestations de conseil

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 26 rectifié

Article 1er

I. – La présente loi régit les prestations de conseil réalisées par les prestataires et les consultants pour les administrations bénéficiaires suivantes :

1° L’État et ses établissements publics ;

2° Les autorités administratives et publiques indépendantes ;

3° Les établissements publics de santé.

II. – Sont des prestations de conseil au sens de la présente loi :

1° Le conseil en stratégie ;

2° Le conseil en organisation des services et en gestion des ressources humaines ;

3° Le conseil en informatique, à l’exclusion des prestations de programmation et de maintenance ;

4° Le conseil en communication ;

5° Le conseil pour la mise en œuvre des politiques publiques, y compris leur évaluation ;

6° Le conseil juridique, financier ou en assurance, à l’exclusion des prestations réalisées par les professionnels mentionnés à l’article 56 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, par les experts-comptables et par les commissaires aux comptes.

III. – Sont des prestataires de conseil au sens de la présente loi les personnes morales de droit privé qui s’engagent avec l’administration bénéficiaire pour réaliser une prestation de conseil ou qui réalisent une prestation de conseil pour l’administration bénéficiaire en qualité de sous-traitants.

IV. – Sont des consultants au sens de la présente loi les personnes physiques qui s’engagent à titre individuel avec l’administration bénéficiaire pour réaliser une prestation de conseil ou qui exécutent les prestations de conseil pour le compte des prestataires ou d’autres consultants.

V. – Les prestataires de conseil et les consultants ne prennent aucune décision administrative.

Ils proposent plusieurs scénarios aux administrations bénéficiaires, s’appuyant sur des informations factuelles et non orientées.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, sur l’article.

Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mes collègues pour le travail remarquable et inédit qu’ils ont accompli ; la commission d’enquête du Sénat sur ce sujet a permis de révéler l’omniprésence des cabinets de conseil au cœur de l’État et leur influence sur des décisions stratégiques, notamment dans des domaines régaliens.

J’avais déposé des amendements visant à exclure du champ des prestations de conseil la dimension stratégique de l’État, afin de prévenir l’affaiblissement de celui-ci, l’abandon de sa souveraineté et de ses compétences. J’ai bien conscience des difficultés rédactionnelles et techniques que posent mes amendements, aussi ai-je accepté de les retirer.

Néanmoins, il faut le souligner, la vie quotidienne des Français est de plus en plus envahie par des recommandations de cabinets internationaux de conseil, qui préconisent des stratégies uniformes partout dans le monde, dans des domaines aussi importants que la santé, l’éducation, la justice ou l’énergie.

À titre d’exemple, l’omniprésence du cabinet McKinsey pendant la crise sanitaire illustre les dérives que cette proposition de loi doit encadrer. Qu’il s’agisse du confinement, des tests PCR, des campagnes vaccinales ou encore des aides « covid », McKinsey a piloté toutes les étapes de la stratégie sanitaire. D’autres pays ont décliné les mêmes politiques et ont appliqué les mêmes scénarios, tirés des recommandations de ce cabinet.

Il est urgent de mettre fin à la stratégie du copier-coller, qui nous entraîne finalement de crise en crise ; il est urgent de mettre fin à la déresponsabilisation des décideurs ; il est urgent, enfin, de retrouver une stratégie relevant du courage politique et protégeant les intérêts de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. L’amendement n° 19, présenté par Mme Duranton, MM. Patriat, Richard, Mohamed Soilihi, Théophile, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, MM. Dagbert, Dennemont, Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch et Mme Schillinger, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

dont les dépenses de fonctionnement constatées dans le compte financier au titre de l’avant-dernier exercice clos sont supérieures à 60 millions d’euros

II. – Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Cet amendement a pour objet d’instaurer un seuil à partir duquel les établissements publics de l’État entrent dans le champ d’application de la proposition de loi.

Il est nécessaire de ne pas faire peser une charge déraisonnable sur les entités de taille réduite, pour lesquelles, du reste, les enjeux sont limités. Parmi ces entités figurent notamment les chambres départementales d’agriculture, la majorité des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), certaines écoles de formation de la fonction publique, certains musées de taille réduite et certains établissements publics fonciers.

Concrètement, nous proposons de limiter le champ d’application de la présente proposition de loi aux établissements publics nationaux dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 60 millions d’euros par an, seuil qui correspond à celui des avances obligatoires versées aux PME dans le cadre d’un marché public par certains établissements publics de l’État.

Avec ce seuil, seuls les plus gros établissements publics de l’État entreraient dans le champ d’application de la proposition de loi ; je pense notamment à la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), à Voies navigables de France, à l’Union des groupements d’achats publics (Ugap) ou encore à Météo-France.

Notre amendement tend également à supprimer l’alinéa 4, qui est redondant avec l’alinéa 2, puisque les établissements publics de santé sont une catégorie d’établissements publics de l’État.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Ainsi que je l’ai laissé entendre dans mon propos liminaire, j’émets un avis défavorable sur cet amendement, non pas parce que la question du seuil doit être balayée du revers de la main, mais parce que nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour déterminer précisément quels établissements, parmi ceux que vous citez, seraient concernés par le seuil de 60 millions que vous proposez.

Par ailleurs, si ce seuil de 60 millions d’euros est effectivement connu, il conviendrait d’en étudier plus avant la pertinence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Cet amendement comporte deux dispositions.

Je ne m’attarde pas sur la seconde, qui a une dimension essentiellement légistique, les établissements publics de santé étant effectivement déjà inclus dans la catégorie des établissements publics de l’État.

J’insisterai davantage sur le I de l’amendement, qui vise à fixer un seuil. Cette disposition va dans le bon sens, puisqu’elle favorise l’effectivité et la proportionnalité du texte, en concentrant l’application de la proposition de loi sur les établissements qui sont, non seulement les plus exposés au risque que l’on cherche à éviter et sur lesquels doit porter notre effort de prévention, mais également les plus capables d’intégrer la contrainte administrative qu’engendrera ce texte.

Cette mesure ne soustraira pas du champ de la proposition de loi les établissements visés par les auteurs de celle-ci – je pense notamment à l’Ugap, à Pôle emploi, aux universités ou aux gros établissements publics de santé. Elle permettra d’inclure les 500 plus gros établissements publics de l’État, ce qui correspond bien à la visée de la proposition de loi.

Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. La déontologie n’est pas affaire de chiffre d’affaires ! (Mme Nathalie Goulet applaudit.)

M. Laurent Burgoa. Exactement !

M. Arnaud Bazin. Un établissement, qu’il brasse des sommes considérables ou qu’il soit plus modeste, doit absolument se garder de tout conflit d’intérêts !

MM. Philippe Bas et Laurent Burgoa. Bien sûr !

M. Arnaud Bazin. Je ne vois pas ce que la notion de chiffre d’affaires ou de budget de fonctionnement vient faire là-dedans.

La rédaction adoptée par la commission me paraît raisonnable. Ensuite, nous verrons comment tout cela fonctionne.

Je le répète, ce n’est pas du tout une affaire de recettes et de dépenses de fonctionnement ; il s’agit de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts, qui sont, Nathalie Goulet le rappelait, le cancer de la vie publique.

Nous devons être intransigeants ; nous ne pouvons pas, d’emblée, dès le premier amendement examiné, réduire la portée et l’ambition de cette proposition de loi. Je ne voterai pas donc cet amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je serai bref, car nous voulons tous avancer et ne pas engager un débat trop long dès l’examen du premier amendement.

Le Gouvernement ne souhaite pas épargner à certains établissements publics une contrainte déontologique ; il s’agit simplement d’être extrêmement réaliste. En effet, la proposition de loi impose un certain nombre de contraintes administratives, tout à fait fondées et que je soutiens pour l’immense majorité. Or, pour que le texte soit effectif, il doit prévoir une certaine proportionnalité par rapport aux contraintes que peuvent absorber les établissements publics.

Mme la sénatrice Duranton mentionnait certains établissements publics qui seraient en grande difficulté opérationnelle pour appliquer ce qui est proposé dans la proposition de loi.

Cet amendement ne vise pas à amoindrir pas la portée de la proposition de loi ; au contraire, il tend à la renforcer.

Je tenais à clarifier cette position.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. J’entends bien l’objectif de notre collègue – elle était d’ailleurs membre de la commission d’enquête et elle a validé notre rapport –, mais la disposition que tend à introduire son amendement, si elle était adoptée, réduirait la portée, donc l’ambition, de notre proposition de loi.

En outre, le seuil de 60 millions d’euros n’a aucune pertinence en la matière. Il figure dans le code de la commande publique, mais pour tout à fait autre chose, pour le versement des avances aux PME.

Enfin, sur le fond, cela a été dit, on ne connaît pas la liste des établissements publics qui seraient ainsi exclus, mais on peut déjà citer l’Institut national du service public – l’ex-École nationale d’administration –, l’École nationale de la magistrature, certaines agences de l’eau et certaines agences régionales de santé.

Nous préférons la clarté du texte de la commission. La proposition de loi doit concerner tous les établissements publics de l’État, afin d’éviter les effets de seuil.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par MM. Sueur, M. Vallet, P. Joly, Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° La Caisse des dépôts et consignations ;

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement a pour objet de préciser le périmètre d’application de la proposition de loi, en y incluant explicitement la Caisse des dépôts et consignations, qui n’est, vous le savez, ni un établissement public de l’État ni une autorité administrative ou publique indépendante.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La Caisse des dépôts et consignations n’est en effet ni un établissement public de l’État ni une autorité administrative indépendante. Cependant, elle est faisait partie du périmètre des travaux de la commission d’enquête. La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. La Caisse des dépôts et consignations est effectivement un établissement à part.

Elle fait déjà l’objet d’un contrôle parlementaire, puisque sa commission de surveillance est présidée par un parlementaire. On pourrait donc considérer que son contrôle existe déjà. Néanmoins, je conçois que la Haute Assemblée veuille l’inclure dans le champ de la proposition de loi.

Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. Le dispositif de l’amendement mentionne la « Caisse des dépôts et consignations ». Or les textes qui régissent cet établissement mentionnent désormais « la Caisse des dépôts et consignations et ses filiales ».

La Poste, par exemple, dont nous avons entendu en audition le PDG, Philippe Wahl, est dorénavant une filiale, avec contrôle exclusif, de la Caisse. Inclure la Caisse des dépôts et consignations dans le texte, c’est bien, mais il faudrait plutôt parler de « groupe de la Caisse des dépôts et consignations » ou de « Caisse des dépôts et consignations et ses filiales ».

Cela pourra sans doute être corrigé lors de la navette parlementaire, car, vous ne manquerez pas d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre… (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 27 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac, Cabanel, Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…°Les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 10 000 habitants ;

…°Les établissements publics de coopération intercommunale, à l’exception des communautés de communes.

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Jean-Yves Roux l’a souligné lors de la discussion générale, cette proposition de loi est la bienvenue. Ses apports sont, j’y insiste avec force, indéniables.

Il reste néanmoins un écueil, auquel je vous propose de remédier sans attendre la suite de la navette : une partie de l’administration publique a été oubliée.

En effet, comme l’État, nos collectivités prennent des décisions politiques qui affectent la vie de nos concitoyens et, comme lui, elles sont susceptibles de faire appel à des consultants, engageant ainsi les finances publiques.

Aussi, il ne paraît pas absurde de mieux encadrer ces recours, même si nous savons qu’il existe déjà des mécanismes d’encadrement, via les chambres régionales des comptes ou le contrôle de l’opposition locale, car ces mécanismes n’ont pas suffi, hélas ! à endiguer les phénomènes parfois désastreux, tels les recours aux emprunts toxiques.

Il faut donc renforcer la transparence et le contrôle jusques et y compris dans l’administration décentralisée. C’est la responsabilité du Sénat que de répondre aux problèmes des territoires.

Dans ce contexte, cet amendement vise à inclure dans le périmètre de la proposition de loi les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 10 000 habitants, et les intercommunalités, à l’exception des communautés de communes.

Ces seuils sont peut-être trop bas, aussi avons-nous déposé un amendement de repli, l’amendement n° 45, qui tend à fixer le seuil des collectivités visées à 100 000 habitants, tout en incluant les intercommunalités, exception faite des communautés de communes.

M. le président. L’amendement n° 24 rectifié, présenté par MM. Sueur, P. Joly, Montaugé, M. Vallet et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

… Les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 100 000 habitants ;

… Les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 100 000 habitants.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Au préalable, je veux préciser un point. Certains semblent penser que la proposition de loi doit correspondre exactement au périmètre de la commission d’enquête et affirment que l’on ne saurait aller au-delà. Je ne comprends pas pourquoi. Nous sommes le législateur, nous pouvons déposer des amendements et, si nous pensons qu’il faut élargir le champ du texte, je ne vois pas pourquoi nous ne le ferions pas.

Au travers de cet amendement, nous proposons d’étendre les bienfaits de cette proposition de loi aux collectivités territoriales. Notre proposition comporte un seuil différent de l’amendement n° 1 rectifié de notre collègue et ami Jean-Claude Requier, mais identique à celui de son amendement de repli, car il nous paraît sage d’exclure les communes de moins de 100 000 habitants, mais d’appliquer les dispositions du texte aux autres communes, ainsi qu’aux autres collectivités locales et aux intercommunalités de plus de 100 000 habitants.

M. le président. L’amendement n° 45 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac, Cabanel, Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…°Les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 100 000 habitants ;

…°Les établissements publics de coopération intercommunale, à l’exception des communautés de communes.

Cet amendement a déjà été défendu.

L’amendement n° 44, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…°Les régions, la collectivité territoriale de Guyane, la collectivité territoriale de Martinique, la collectivité de Corse, les départements, les communes de plus de 100 000 habitants, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants et la métropole de Lyon ;

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Mon argumentation sera assez similaire à celles de MM. Sueur et Requier.

La question est, au fond, celle de l’appréciation que l’on a de la proposition de loi. Soit on considère que celle-ci doit être punitive pour la puissance publique – ce n’est ni mon cas ni, je crois, le vôtre –, soit on considère qu’elle renforce les acteurs publics concernés, auquel cas je ne vois pas de bonne raison pour exclure les collectivités territoriales du bénéfice de ces dispositions.

Ces collectivités, personne n’en disconviendra ce soir, ont recours aux organismes de conseil. Il peut s’agir, pour une région, de bâtir une politique stratégique d’attractivité économique, moyennant quelques centaines de milliers d’euros. Il peut s’agir aussi, pour un département, de concevoir un schéma directeur en matière de politique sociale, moyennant quelques dizaines de milliers d’euros. Il peut s’agir encore, pour une métropole, de réorganiser des services. Voilà quelques exemples concrets, tirés de la vie réelle des collectivités.

Or je considère, comme les auteurs des autres amendements en discussion commune, qui émanent de diverses travées de la Haute Assemblée, que l’intégration des collectivités, loin d’être punitive pour celles-ci, leur permettrait de bénéficier de la proposition de loi.

En outre, l’objectif de proportionnalité – vous m’entendrez beaucoup en parler ce soir – me semble respecté si l’on considère que les collectivités de plus de 100 000 habitants, c’est-à-dire les régions, les départements et les 42 communes les plus importantes du pays, doivent être concernées par le texte. En effet, ces collectivités ont la capacité d’intégrer les contraintes administratives que j’évoquais précédemment et de se mettre en conformité avec les dispositions de la proposition de loi. De plus, elles doivent être prioritairement protégées du risque de conflit d’intérêts.

Tel est l’objet de cet amendement, qui tend à instituer un seuil de 100 000 habitants. Ma rédaction diffère légèrement de celle des trois autres amendements, car je ne vise les établissements publics de coopération intercommunale que s’ils comptent plus de 100 000 habitants.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Le débat sur l’inclusion des collectivités dans le champ du texte est légitime ; il n’est pas question de l’expédier sans autre forme de procès.

Personne ne prétend, monsieur Sueur, que la loi ne peut aller plus loin que la commission d’enquête. Simplement, en concertation avec les auteurs du texte, j’ai proposé à la commission des lois un équilibre politique respectant le consensus, le point d’équilibre, obtenu par la commission d’enquête. La rédaction qui en résulte permet de ne pas élargir le champ d’application à des secteurs qui n’ont été examinés ni par la commission d’enquête ni – je le dis humblement – par la rapporteure de la commission des lois.

En outre, les quatre amendements ont des rédactions et des seuils différents et ne visent pas les mêmes collectivités. C’est bien la preuve qu’il faut un peu de temps et d’expertise pour viser juste.

Par ailleurs, puisque nous sommes au Sénat, j’appelle l’attention des auteurs de ces amendements sur le fait que, à l’heure où l’on plaide pour la concertation, pour la prise en compte de la réalité territoriale, vécue par les élus locaux, il serait malvenu et surtout peu efficace d’inclure les collectivités territoriales dans le champ de la proposition de loi via de tels amendements.

De plus, les auteurs de ces amendements ne tirent pas les conséquences sur les autres articles du texte des dispositions qu’ils proposent, ce qui rend celles-ci non effectives.

La commission propose plutôt de travailler en profondeur, avec les élus locaux et les associations de collectivités, la question du recours excessif aux cabinets de conseil dans les collectivités territoriales et celle des règles de déontologie qu’elles doivent respecter, lesquelles seront inévitablement différentes de celles qui s’imposent aux administrations de l’État.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces quatre amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Madame la rapporteure, vous développez deux arguments : vous indiquez, d’une part, qu’il faudrait approfondir la réflexion pour parfaire les dispositions de la proposition de loi et, d’autre part, que l’on mesure mal l’impact réglementaire et financier sur les collectivités des dispositions proposées.

Je développerai donc, pour vous répondre, deux contre-arguments.

D’abord, vos réserves tirées de l’impact de ces dispositions pour les collectivités, vous ne les avez pas eues pour les établissements publics de santé.

Ainsi, 220 hôpitaux locaux et, de mémoire, 3 300 établissements publics de santé sont concernés par le texte. Je ne crois pas que la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques se soit penchée sur les conséquences d’une telle disposition, bien que vous ayez auditionné Martin Hirsch sur ce sujet. Et aujourd’hui, vous reprenez cet argument pour justifier le fait que le texte ne s’intéresse pas aux collectivités !

Vous l’avez dit vous-même, madame la rapporteure, ce texte est non un point d’arrivée, mais un point de départ, puisqu’il y aura une navette parlementaire. Je souhaite que cette proposition de loi puisse cheminer et il est tout à fait possible de travailler dans le temps de cette navette. À cet égard, je suis extrêmement ouvert sur la forme. Vous avez évoqué la nomination de parlementaires en mission : je suis prêt à le faire et à donner les moyens nécessaires au Parlement, dans le cadre de la navette, pour parfaire le texte et en envisager les conséquences concrètes. Ma position est très sincère : je souhaite intégrer les collectivités à ce stade du texte, car il s’agit bien d’un point de départ.

Par conséquent, pour les raisons que je viens d’évoquer, je demande le retrait des deux amendements similaires en termes de seuil à l’amendement n° 44 du Gouvernement, par cohérence avec la situation des EPCI.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. En commission des lois, je me suis ému de l’absence des collectivités locales dans le périmètre d’intervention de ce texte.

Je me suis interrogé sur la possibilité de présenter un amendement. Après y avoir un peu travaillé, je suis resté « sec » devant ma feuille blanche. Je l’avoue, mon entrée en matière était celle retenue pour la rédaction de votre amendement, monsieur le ministre, même si je n’ai pas pensé à la Guyane… J’aurais pu penser à l’Alsace, plus proche de moi, région que j’aimerais retrouver bientôt, à la place du Grand Est – mais c’est un autre débat… (Sourires.)

L’autre entrée en matière était bien évidemment celle du seuil. Je prie mon collègue Jean-Claude Requier de m’excuser, mais j’observe qu’il remplace le seuil de 10 000 habitants par celui de 100 000 habitants, en passant de l’amendement n° 1 rectifié à l’amendement n° 45 rectifié, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Cela aurait pu être 20 000 habitants ou 50 000 ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conséquences sont relativement lourdes pour les collectivités concernées.

J’ai été convaincu par les explications de Mme la rapporteure en commission et répétées ce soir. Il faut vraiment mener un travail approfondi sur ce dossier et engager une indispensable concertation.

Par ailleurs, je suis très sensible à l’observation formulée voilà quelques instants par le président de la commission d’enquête, M. Arnaud Bazin. Selon moi, la question de la déontologie l’emporte sur celle du seuil. Nous avons tous en tête des cas d’espèce qu’il vaut mieux ne pas citer et qui nous conduisent à nous poser des questions de déontologie.

Je voterai contre l’extension proposée par ces amendements. Toutefois, je le répète, nous devrons prendre le temps de mener ce travail.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. En effet, monsieur le ministre, la question est légitime. C’est d’ailleurs l’une des toutes premières que nous nous sommes posées avec Éliane Assassi, après la fin des travaux de la commission d’enquête, pour déterminer ce que nous allions retenir dans la proposition de loi dont nous débattons ce soir.

Il nous est assez vite apparu qu’il ne fallait pas inclure les collectivités territoriales, pour les raisons rappelées par Mme la rapporteure. Toutefois, je voudrais insister sur deux points tout à fait déterminants.

Premièrement, l’influence des cabinets de conseil sur l’État concerne à l’évidence des sujets beaucoup plus vastes, y compris dans le domaine de la défense nationale ou dans le domaine sanitaire, qui intéressent toute la Nation. Les décisions prises dans un département ou une région, si elles ne sont pas négligeables, ont tout de même des conséquences beaucoup plus limitées.

Deuxièmement, pourquoi sommes-nous ici ce soir ? Parce que nous avons constaté qu’il est nécessaire de renforcer la transparence, le contrôle du recours et la déontologie. En ce qui concerne la transparence, il nous a fallu tous les outils d’une commission d’enquête, avec tous ses pouvoirs, qui ne sont pas minces – auditions sous serment, communication obligatoire des documents, vérifications sur place et sur pièces –, pour savoir ce que l’État dépensait en matière de recours aux cabinets de conseil.

Notre contrôle de l’action du Gouvernement a donc nécessité tous ces moyens, raison pour laquelle nous les avons intégrés dans le texte.

Dans les collectivités territoriales, il y a des assemblées délibérantes, des oppositions et des communications obligatoires de documents. Quand j’étais président du département du Val-d’Oise, j’ai fourni à mon opposition tout un ensemble de documents – comptes administratifs, comptes de gestion… Sans oublier l’encadrement des services de l’État et de la trésorerie, qui vérifient que les décisions sont conformes à ce qui a été voté.

Ainsi, tout un contre-pouvoir est déjà en place dans les collectivités locales, ce qui ne nous empêchera pas de nous pencher sur le sujet. Les choses ne sont donc absolument pas symétriques. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de ne pas retenir les collectivités territoriales dans le champ de ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Dans le cadre de la commission d’enquête, nous avons documenté l’influence des cabinets de conseil sur les décisions de l’État, de ses établissements publics et des hôpitaux, que nous avons intégrés dans nos travaux.

Si je comprends le sens des amendements déposés par nos collègues, j’estime qu’il ne faut pas être sur la défensive en la matière. Il convient en effet d’aborder le sujet frontalement. C’est l’une des raisons pour lesquelles plusieurs d’entre nous ont émis l’idée d’un échange approfondi, qui pourrait faire l’objet d’un rapport, entre M. le ministre et les associations d’élus. Mme Goulet proposait une mission flash ; des parlementaires pourraient aussi demander une mission d’information ou une commission d’enquête.

Il s’agit d’un vrai sujet : des collectivités, parmi les plus importantes, ont recours à des cabinets privés. Or nous ne disposons d’aucune donnée consolidée sur le niveau des dépenses de conseil des collectivités territoriales.

Veuillez m’excuser, monsieur le ministre, mais il est tout de même paradoxal de vous voir tout à fait disposé à étendre la proposition de loi aux collectivités, alors que vous avez déposé plusieurs amendements visant à réduire l’ambition de notre texte sur vos propres services.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. À mon tour, je veux me réjouir du travail conduit par Mme Éliane Assassi et M. Arnaud Bazin qui illustre parfaitement la capacité du Sénat à dépasser les clivages, à prendre le temps de travailler sur de vraies questions et des sujets importants.

Monsieur le ministre, je comprends la nécessité, pour l’État comme pour les collectivités, de recourir à des expertises extérieures. Il n’est pas dans l’intention du groupe centriste de pratiquer une sorte de chasse aux sorcières.

Pour autant, nous sommes tous d’accord sur l’impératif d’une plus grande transparence, d’une plus grande exigence et d’un plus grand contrôle.

Vous avez raison, la question des collectivités se pose. Il ne faudrait pas que ceux qui nous écoutent ce soir aient l’impression que nous nous dérobons et que nous voulons échapper à la transparence. Ce n’est pas le genre de la Haute Assemblée !

Monsieur le ministre, vous avez salué la qualité et la rigueur du travail mené, qui nous conduisent, en nous fondant sur notre expertise, à formuler des propositions. La commission d’enquête a écarté de son champ de travail les collectivités. Pourtant, nous disons tous qu’il y a là un champ à investiguer. Pardonnez-nous, mais nous n’allons pas décider à la hussarde, à minuit passé, de ce qui arrivera aux collectivités, alors même que nous ne les avons pas entendues et que nous ne cessons, avec le Président de la République, de déplorer les décisions prises sur un coin de table, dont on s’aperçoit ensuite qu’elles ne fonctionnent pas.

Si je puis me permettre, monsieur le ministre, je me demande pourquoi les métropoles de Marseille et de Paris, qui ont un statut particulier, sont absentes du dispositif de votre amendement. Mais peut-être l’ai-je mal lu…

Nous sommes là face à un éventail de propositions, qui nécessitent des investigations sérieuses et exigeantes. Ce soir, vous seriez le premier à regretter ce que nous pourrions faire, l’enfer étant pavé de bonnes intentions. La commission d’enquête peut se poursuivre au Sénat ou l’Assemblée nationale peut se saisir du sujet, mais nous ne pouvons décider quoi que ce soit ce soir, sans en avoir parlé au préalable aux associations d’élus.

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour explication de vote.

M. Patrice Joly. J’ai été maire, président d’une intercommunalité, président d’un syndicat mixte et président d’un département. J’ai pu constater des dérives en matière de recours à des cabinets de conseil. Je ne parle pas des enjeux déontologiques, mais plutôt du contenu de ces recours. En effet, la loi suscite ce recours aux cabinets de conseil, au travers d’exigences telles que l’élaboration d’un certain nombre de documents stratégiques de développement ou de documents d’urbanisme, ce qui peut avoir des conséquences particulières.

On observe ainsi une standardisation de la manière d’aborder les sujets, qu’elle soit matérielle, par le biais de copier-coller, ou intellectuelle, alors même qu’il nous faut repenser l’ensemble de nos concepts et compromis sur les différents enjeux de société.

Une absence ou une insuffisance de maîtrise des travaux par les fonctionnaires de la collectivité territoriale ou les élus sont souvent évoquées pour justifier le recours à une forme de « délégation de pouvoir », dans le cadre des documents ou des schémas exigés.

Il s’agit, au travers de ce regard sur l’intervention des cabinets de conseil, de s’assurer que le recours à ces derniers ne constitue pas une facilité, mais correspond à une nécessité d’expertises techniques particulières, pour mener et définir les politiques locales.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Permettez-moi de compléter les propos tout à fait légitimes de ma collègue Françoise Gatel, dans le droit fil d’une double sincérité très centriste.

Notre groupe s’abstiendra sur l’ensemble de ces amendements. En effet, le sujet existe, et il n’est donc pas question de voter contre. Parallèlement, le périmètre de la commission d’enquête et la nécessité d’auditionner et de travailler fait que nous ne pourrons pas voter pour.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.

M. Emmanuel Capus. Les discussions que nous avons, qui sont très intéressantes, démontrent que ce texte est extrêmement complexe.

D’un côté, on dit que la notion de déontologie n’est pas liée au chiffre d’affaires ou au budget de fonctionnement. On ne peut donc pas limiter son application aux seuls établissements publics administratifs de plus de 60 millions d’euros de budget.

D’un autre côté, on ne souhaite pas appliquer cet article aux collectivités territoriales de plus de 100 000 habitants, dont le budget de fonctionnement est d’au moins 500 000 euros.

Mme Françoise Gatel. Ce n’est pas ce que nous disons !

M. Emmanuel Capus. On a dit également que le conflit d’intérêts constituait le cancer de nos institutions. Nous rencontrons donc une difficulté pour établir le périmètre de cet article. Il me semble que ce texte n’est pas prêt, raison pour laquelle je m’abstiendrai.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Jusqu’à ce point, chacun s’est abstenu de caricaturer le propos des autres, et il est important que nous puissions continuer d’avancer ainsi. Aucun d’entre nous n’a dit que les collectivités territoriales ne constituaient pas un sujet.

Notre collègue Arnaud Bazin l’a rappelé, les mécanismes de contrôle, de régulation, de transparence et d’information des collectivités territoriales diffèrent de ceux de la plupart des administrations de l’État.

Par ailleurs, comme Mmes Gatel et Assassi l’ont souligné, nous ne voulons pas que la question des collectivités territoriales se résume à une simple référence au code général des collectivités territoriales. Nous voulons mener un travail d’expertise et, surtout, une réflexion avec les élus locaux, qui administrent ces collectivités.

Je le redis, si cette proposition de loi prenait en compte les collectivités territoriales, elle deviendrait en partie incompréhensible. Que deviendrait, par exemple, l’article 8 ? Mais je sais, monsieur le ministre, que vous allez me répondre qu’il faut, de toute façon, réécrire cet article.

Nous devons veiller à préserver la cohérence trouvée par la commission. C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à ces quatre amendements.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je veux rebondir sur le dernier point évoqué : que faisons-nous pour les établissements publics, pour lesquels vous n’avez fait référence à aucun seuil, dans le cadre d’un certain nombre de mesures, à commencer par celles de l’article 8 ?

S’agissant des seuils, je comprends bien le syndrome de la page blanche, monsieur Reichardt. Simplement, la rédaction que nous avons choisie est celle qui a été adoptée par votre assemblée dans le cadre de la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique. J’espère que ce rappel lèvera vos appréhensions en la matière.

Monsieur Bazin, l’un de vos arguments me paraît quelque peu circulaire : selon vous, il faut laisser de côté les collectivités territoriales, faute d’une bonne connaissance de leur recours aux services des cabinets de conseil. Mais les articles 3, 4 et 8 de la proposition de loi permettront justement une meilleure transparence, en listant le recours aux prestations des cabinets de conseil.

Enfin, d’après vous, les enjeux déontologiques de l’État, dont le champ d’action est plus large, diffèrent de ceux d’un certain nombre de collectivités. Je ne peux partager un tel argument : les collectivités territoriales agissent sur la vie quotidienne des Français, qu’il s’agisse du logement, de l’action sociale ou du transport. En la matière, les enjeux de déontologie sont tout aussi présents que pour ce qui relève de l’action de l’État.

Je persiste à émettre un avis favorable sur ces amendements.

M. le président. Mes chers collègues, dans la mesure où nous sommes d’accord pour finir ce texte cette nuit, je vous rappelle que nous avons pris trois quarts d’heure pour examiner six amendements.

La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Le seuil de 10 000 habitants correspond à un premier jet. Puis, l’ayant estimé trop bas, nous l’avons fixé à 100 000 habitants.

Je retire les amendements nos 1 rectifié et 45 rectifié au profit de l’amendement n° 44.

M. le président. Les amendements nos 1 rectifié et 45 rectifié sont retirés.

Je mets aux voix l’amendement n° 24 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 44.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mmes Muller-Bronn et Bonfanti-Dossat, MM. Guerriau, Meurant, Bonneau, Belin, Charon, Bouchet et Chauvet, Mme Dumont, MM. Houpert et Joyandet, Mmes Goy-Chavent et Noël et M. H. Leroy, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.

L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, MM. Belin et Bonneau, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bouchet, Chauvet, Charon et Chasseing, Mme Dumont, MM. Guerriau, Houpert et Joyandet, Mme Goy-Chavent, MM. Meurant et H. Leroy et Mme Noël, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Le conseil pour le pilotage des décisions prises au préalable par l’État et les autorités publiques ;

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.

L’amendement n° 20, présenté par Mme Duranton, MM. Patriat, Richard, Mohamed Soilihi, Théophile, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, MM. Dagbert, Dennemont, Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch et Mme Schillinger, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Supprimer les mots :

et en gestion des ressources humaines

La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Cet amendement a pour objet d’exclure du champ d’application de la loi les prestations de conseil en gestion des ressources humaines.

Nous considérons que ces prestations, à l’instar de l’aide au recrutement, ne relèvent pas du conseil stratégique, mais visent essentiellement à répondre aux besoins pratiques des administrations.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La commission est défavorable à cet amendement.

Les projets de restructuration et de transformation peuvent comprendre un volet relatif aux ressources humaines. Ainsi, l’adoption de cet amendement conduirait à affaiblir la portée de la loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. L’adoption de cet amendement conduirait à déplumer considérablement le texte. Les recours aux cabinets de conseil sont très nombreux pour tout ce qui concerne les recrutements, les évaluations et les ressources humaines au sens large.

Il est essentiel que tout cela reste dans le périmètre de la proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Pour illustrer mon propos, permettez-moi de vous renvoyer, mes chers collègues, à la page 244 du rapport de la commission d’enquête, qui décrit une prestation de Citwell, en accompagnement aux ressources humaines : « Aide au recrutement d’un analyste opérationnel à Santé publique France, SPF, qui entrera en fonction le 23 septembre 2020 : identification de profils, recueil de CV, prise de contact et proposition de profils à SPF ; réalisation des entretiens avec SPF ; matrice de synthèse des candidats short listés. »

Il s’agit donc de sujets délicats et pointus engageant des politiques régaliennes de l’État, ce qui n’est pas du tout neutre.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 29 est présenté par M. Segouin.

L’amendement n° 30 rectifié est présenté par MM. Longuet et Capus.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

Ils ne sont pas soutenus.

L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, MM. Anglars et Bonneau, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Belin, Bouchet, Charon et Chauvet, Mmes Dumont et Goy-Chavent, MM. Houpert, Joyandet et Meurant, Mme Noël et MM. H. Leroy et Guerriau, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Rédiger ainsi cet alinéa :

4° Le conseil pour le déploiement opérationnel d’outils de communication ;

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.

L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, MM. Bonneau et Belin, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bouchet et Chasseing, Mme Dumont, MM. Charon, Chauvet et Guerriau, Mme Goy-Chavent, MM. Houpert, Joyandet, H. Leroy et Meurant et Mme Noël, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

5° Le conseil pour l’application et l’exécution opérationnelle des politiques décidées par l’État et les autorités publiques ;

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.

L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, M. Belin, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonneau, Bouchet, Chasseing, Charon et Chauvet, Mmes Dumont et Goy-Chavent, MM. Guerriau, Houpert, Joyandet, H. Leroy et Meurant et Mme Noël, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Compléter cet alinéa par les mots :

, une prestation de conseil s’inscrivant dans un périmètre d’exécution et de déploiement des stratégies préalablement décidées par l’État et les autorités publiques

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié est retiré.

L’amendement n° 21, présenté par Mme Duranton, MM. Patriat, Richard, Mohamed Soilihi, Théophile, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, MM. Dagbert, Dennemont, Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch et Mme Schillinger, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Remplacer les mots :

à titre individuel

par les mots :

en qualité d’indépendant

La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Cet amendement vise à préciser la définition des consultants au sens de la loi.

L’article 1er prévoit l’inclusion, dans la catégorie des consultants, des « personnes physiques qui s’engagent à titre individuel avec l’administration bénéficiaire pour réaliser une prestation de conseil ».

Si les termes « qui s’engagent » renvoient assurément aux personnes physiques ayant passé un contrat avec l’administration bénéficiaire, les termes « à titre individuel » sont beaucoup plus ambigus et sources de difficultés d’interprétation. Une lecture extensive de ces termes pourrait, par exemple, conduire à inclure, dans la définition des consultants, les agents contractuels de droit public ou les vacataires recrutés pour assurer des tâches ponctuelles relevant des prestations de conseil.

De tels agents sont en effet des personnes physiques, qui s’engagent à titre individuel avec leur administration d’emploi. Or il convient de ne pas inclure les ressources humaines internes à l’administration dans le champ d’application.

Dans un souci de clarté et d’intelligibilité, nous proposons de substituer aux termes « à titre individuel » les termes « en qualité d’indépendant ». Les agents de l’administration recrutés par contrat seraient ainsi clairement exclus du champ d’application de la loi, alors que les personnes physiques exerçant des activités de consultance au profit d’une administration, sans être employées ni par celle-ci ni par un cabinet de conseil, seraient soumises au respect de la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Dans le cadre de cet article, les termes « à titre individuel » s’entendent par contraste avec les personnes qui interviennent au travers d’une personne morale. Nous souhaitons donc en rester à la rédaction proposée par la commission : avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Il me semble que la visée de l’amendement n’est pas dénaturée par l’expression « à titre indépendant ».

En revanche, l’expression « à titre individuel » est particulièrement ambiguë. Il serait tout de même extrêmement dommageable que les agents contractuels entrent dans la définition de la proposition de loi.

Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 21.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes Muller-Bronn et Bonfanti-Dossat, MM. Bonneau, Belin, Bouchet, Charon et Chauvet, Mme Dumont, MM. Guerriau, Joyandet et H. Leroy, Mme Goy-Chavent, M. Meurant, Mme Noël et M. Houpert, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Compléter cet alinéa par les mots :

ni stratégique

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié est retiré.

L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes Muller-Bronn et Bonfanti-Dossat, MM. Bonneau, Belin, Bouchet, Charon et Chauvet, Mme Dumont, M. Guerriau, Mme Goy-Chavent, MM. Houpert, Joyandet, H. Leroy et Meurant, Mme Noël et M. Chasseing, est ainsi libellé :

Alinéa 15

Remplacer les mots :

aux administrations bénéficiaires, s’appuyant sur des informations factuelles et non orientées

par les mots :

et projections fondés sur des données chiffrées et sourcées ainsi que sur des estimations factuelles

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Cet amendement a pour objet de s’assurer que l’expertise sous-traitée par l’État aux cabinets de conseil repose sur de réelles compétences.

Le rapport de la commission du Sénat, ainsi que l’enquête publiée par deux journalistes, intitulée Les infiltrés, ont révélé le manque de rigueur et le caractère parfois désinvolte et inutile des travaux et livrables rendus par les consultants.

Ainsi, dans le cadre des recommandations de McKinsey pour la campagne sur la quatrième dose de vaccination, l’unique scénario portait sur 100 % d’adhésion. Quant au scénario de réduction des coûts sociaux avec la baisse de 5 euros de l’APL, l’aide personnalisée au logement, on voit ce qu’il en reste aujourd’hui. Autre exemple, l’invention des masques grand public a été une décision publicitaire et non une décision émanant d’une autorité sanitaire.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Je remercie notre collègue Laurence Muller-Bronn d’avoir retiré un certain nombre d’amendements. En effet, même si nous avions salué l’état d’esprit qui avait présidé à leur rédaction, ils allaient presque à l’encontre du but recherché.

La commission est défavorable à l’amendement n° 8 rectifié, qui relève d’un degré de précision qui ne semble pas utile.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. L’ensemble des prestations de conseil ne repose pas forcément et systématiquement sur des données chiffrées. L’adoption de cet amendement poserait donc un problème d’application : avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 16, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Alinéa 15

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les cabinets de conseil indiquent aux administrations les différents scénarios de projet qu’ils ont décidé d’exclure et expliquent les raisons pour lesquelles ces scénarios de projet n’ont pas été retenus.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Le présent amendement vise à renforcer la lutte contre l’influence indue des cabinets de conseil sur les décisions publiques.

Il semble important que ces cabinets indiquent aux administrations les nombreuses pistes envisagées lors de la construction d’un projet, afin que les consultants n’aient pas de marge de manœuvre disproportionnée dans le choix du scénario proposé.

Ainsi, les auteurs du présent amendement demandent que les prestataires et consultants soient par principe obligés de proposer l’ensemble des scénarios envisagés et de motiver leur décision d’abandon de l’un ou l’autre de ces mêmes scénarios, ce qui paraît constituer une garantie supplémentaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Même si nous en mesurons le sens, l’adoption de cet amendement rendrait complètement inopérant l’application de l’article 1er.

En effet, la liste des scénarios non retenus pourrait devenir illimitée. Si la volonté des auteurs de l’amendement est d’aller vers plus de transparence et une meilleure justification de ce qui est retenu par rapport à ce qui ne l’est pas, les dispositions proposées risqueraient davantage de bloquer les processus que d’assurer une plus grande transparence.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 28, présenté par Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Ils n’effectuent pas d’action de représentation d’intérêts, au sens de l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, au nom de tiers, au sens de l’article 18-3 de la même loi.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à créer une incompatibilité légale formelle entre les cabinets de conseil, qui contractualisent avec l’État, et les cabinets d’affaires publiques, qui contractualisent auprès de clients privés pour exercer en leur nom des activités de représentation d’intérêts auprès des décideurs publics.

La commission d’enquête parlementaire – je pense notamment à l’audition du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – a bien démontré que les cabinets de conseil intervenant auprès de l’État, n’étant pas des représentants d’intérêts au sens propre, n’étaient pas inscrits au répertoire de la HATVP, sauf rare exception.

Le risque, à défaut de garanties légales réaffirmées, serait évidemment qu’un cabinet de conseil se prévale de sa mission auprès de l’État pour vendre à ses clients privés une influence supposée ou réelle, ce qui serait constitutif d’un avantage indu et même, dans certains cas, d’un délit pénal de trafic d’influence.

Il apparaît donc nécessaire et utile d’établir légalement que les cabinets de conseil qui contractualisent avec l’État ont l’interdiction d’effectuer auprès des pouvoirs publics toute action de représentation d’intérêts au nom de tiers.

Je précise bien évidemment que cette interdiction n’exclurait pas du tout la possibilité que ces cabinets effectuent des actions de représentation d’intérêts en leur nom propre ou via leurs associations professionnelles.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La question de la représentation d’intérêts, que vous soulevez, peut être réglée dans le cadre créé par la proposition de loi en matière de conflit d’intérêts des cabinets de conseil.

Un prestataire qui utiliserait la mission de conseil qu’il effectue auprès d’une administration pour faire de la représentation au profit d’un autre client serait de fait en situation de conflit d’intérêts, donc punissable par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Il ne nous semble donc pas opportun d’introduire dans le texte la précision d’une incompatibilité générale entre ces professions : avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 28.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 2

Après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 26 rectifié, présenté par MM. Sueur, M. Vallet, P. Joly, Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le bureau de chaque assemblée parlementaire détermine les règles applicables aux prestations de conseil réalisées à son bénéfice par les prestataires et consultants mentionnés à l’article 1er de la présente loi. Ces règles sont rendues publiques.

L’organe chargé, au sein de chaque assemblée, de la déontologie parlementaire s’assure du respect de ces règles par les prestataires et les consultants. Il peut se faire communiquer toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission.

Lorsqu’il est constaté un manquement aux règles déterminées par le bureau, l’organe chargé de la déontologie parlementaire saisit le président de l’assemblée concernée. Celui-ci peut adresser au prestataire ou consultant concerné une mise en demeure, qui peut être rendue publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l’avoir mis en état de présenter ses observations.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Dès lors que la série de mesures contenue dans ce texte apparaît bénéfique pour l’ensemble des services de l’État, il est logique qu’elle s’applique aussi aux assemblées parlementaires. Je ne vois pas pourquoi il en irait autrement.

Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause l’indépendance des assemblées parlementaires. De même que la loi qui a établi un cadre pour les activités de représentation d’intérêts s’applique au Sénat dans les conditions fixées en toute indépendance par le bureau du Sénat, nous souhaitons que les dispositions de la présente proposition de loi s’appliquent au Sénat comme à l’Assemblée nationale selon les modalités qui seront définies et mises en œuvre par le bureau de chaque assemblée, dont, précisément, il s’agit de préserver l’indépendance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. En l’état, rien n’empêche le bureau de chaque assemblée parlementaire de mettre en place ses propres règles en l’absence de base légale. Il nous semble un peu prématuré d’imposer par amendement une telle extension de la présente proposition de loi aux chambres parlementaires : avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Au nom de la séparation des pouvoirs, avis de sagesse, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 26 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Chapitre II

En finir avec l’opacité des prestations de conseil

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 26 rectifié
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Article 3

Article 2

I. – Les consultants sont tenus d’indiquer leur identité et le prestataire de conseil qui les emploie dans leurs contacts avec l’administration bénéficiaire et les tiers avec qui ils échangent pour les besoins de leurs prestations. Ils ne peuvent se voir attribuer une adresse électronique comportant le nom de domaine de l’administration bénéficiaire.

II. – Le prestataire et les consultants ont l’interdiction d’utiliser tout signe distinctif de l’administration bénéficiaire ou des tiers mentionnés au I dans leurs relations avec ceux-ci et sur les documents qu’ils produisent pour le compte de l’administration bénéficiaire.

III. – Lorsqu’un document a été rédigé avec la participation, directe ou indirecte, de consultants, l’administration bénéficiaire y mentionne cette information, précise la prestation de conseil réalisée et le cadre contractuel dans lequel s’inscrit ladite prestation.

IV. – (Supprimé) – (Adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

Le Gouvernement remet au Parlement, le premier mardi d’octobre de chaque année, un rapport relatif au recours aux prestations de conseil au sens de l’article 1er.

Il comprend la liste des prestations de conseil réalisées au cours des cinq dernières années, à titre onéreux ou dans le cadre d’actions menées au profit des personnes morales relevant des catégories mentionnées à l’article 238 bis du code général des impôts.

Pour chacune de ces prestations, la liste indique, sous réserve du secret de la défense nationale, de la conduite de la politique extérieure de la France, de la sûreté de l’État, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes ou de la sécurité des systèmes d’information :

1° La date de notification de la prestation et sa période d’exécution ;

2° Le ministère ou l’organisme bénéficiaire ;

3° L’intitulé et la référence de l’accord-cadre auquel se rattache la prestation, le cas échéant ;

4° L’intitulé et le numéro d’identification du marché, l’intitulé et le numéro du lot et, lorsque la prestation se rattache à un accord-cadre, le numéro du bon de commande ou du marché subséquent ;

5° L’objet résumé de la prestation ;

6° Le montant de la prestation ;

7° Le nom et le numéro de système d’identification du répertoire des établissements du prestataire et de ses éventuels sous-traitants ;

8° Le groupe de marchandise auquel se rattache la prestation au sens de la nomenclature des achats de l’État.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. On ne saurait sous-estimer l’importance de l’amendement déposé par le Gouvernement à cet article : il acte le recul du Gouvernement quant à la transparence des prestations de conseil. Il faut d’ailleurs le replacer dans son contexte, qui a été évoqué lors de la discussion générale : nous sommes dans une situation où, par exemple, un journal, Le Monde, est obligé d’aller devant le tribunal administratif pour obtenir des informations…

En pratique, les ministères ne répondent pas aux sollicitations des journalistes : ils refusent de communiquer les documents demandés. Ils perdent devant la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), mais jouent la montre – ils savent que les procédures judiciaires engagées prennent des mois, voire des années, et qu’ils seront « tranquilles » dans l’intervalle… C’est ainsi que les choses se passent, notamment pour le rapport McKinsey sur l’avenir du métier d’enseignant, que le Gouvernement refuse toujours de publier.

D’une manière générale, nous assistons à un retour de l’opacité depuis que la commission d’enquête a achevé ses travaux. L’amendement présenté par le Gouvernement vise, sous des airs techniques, à supprimer au moins quatre garanties de transparence prévues par notre texte.

Première garantie : la publication des bons de commande. Ces documents sont bel et bien communicables, en vertu d’un principe rappelé par la Cada ; pour qu’ils puissent être transmis, il suffira de biffer le nom du fonctionnaire en charge, ce qui ne me semble pas insurmontable à l’heure du numérique…

Nous demandons aussi, deuxièmement, l’établissement d’une cartographie des ressources humaines (RH) des ministères, afin que l’État puisse mieux mobiliser ses compétences internes et moins recourir aux consultants extérieurs, ainsi que, troisièmement, l’inclusion des informations relatives aux prestations de conseil dans le rapport social unique des administrations concernées, document transmis aux représentants du personnel, afin que ces derniers puissent en débattre.

Nous souhaitons, quatrièmement, que les données rendues publiques fassent l’objet d’une consolidation sur cinq ans. Le Gouvernement, quant à lui, propose que cette durée soit réduite à deux ans et que l’information ainsi retracée soit décentralisée au niveau de chaque établissement public, ce qui reviendrait à la rendre éparse. Les établissements publics sont certes autonomes sur le plan administratif, mais ils sont rattachés à l’État via leur ministère de tutelle.

Le Gouvernement propose également d’ajouter des exceptions à la transparence afin d’éviter la publication de certains documents – je n’y reviens pas dans le détail, il y a déjà été fait référence. Les informations basiques – objet résumé des prestations de conseil, montant – dont nous demandons la communication ne sont pas couvertes par le secret des affaires. Au regard des règles de la commande publique, elles devraient d’ailleurs déjà faire l’objet d’une publication. Elles recoupent la liste dont la commission d’enquête a préconisé la publication sans que cela soulève de difficultés.

Le Gouvernement ne saurait donc se cacher derrière le secret des affaires pour refuser cette publication : une telle position serait à la fois juridiquement infondée et démocratiquement contestable.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Je m’associe à tous ceux de nos collègues qui sont intervenus précédemment pour rendre hommage au travail de grande qualité effectué par la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, qui aboutit à la présente proposition de loi de nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin.

L’article 3 prévoit la création d’un document budgétaire où seraient recensées les prestations de conseil réalisées au profit des administrations publiques – État, établissements publics, hôpitaux. En effet, les travaux de la commission d’enquête ont mis en évidence les difficultés que rencontrait l’État lui-même pour chiffrer l’étendue du recours auxdites prestations. Le rapport fait état de sommes considérables et croissantes : 900 millions d’euros environ en 2021, comme l’ont rappelé différents intervenants.

Il s’agirait d’annexer un tel document au projet de loi de finances pour créer un véritable jaune budgétaire, au nom de la transparence et de la lisibilité des données. La commission des lois a approuvé cette mesure, tout en la redéfinissant, afin de garantir le respect du domaine exclusif des lois de finances.

Je me rallierai donc, pour ce qui est de cet article 3, à l’avis de Mme la rapporteure et des collègues de la commission, qui se sont investis sur ces sujets.

M. André Reichardt. Très bien !

M. le président. L’amendement n° 32, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le Gouvernement remet au Parlement, le premier mardi d’octobre de chaque année, un rapport relatif au recours aux prestations de conseil au sens de l’article 1er.

Il comprend pour chaque ministère :

- une description de la stratégie poursuivie en matière de recours au conseil extérieur ;

- les transferts de compétences réalisés au bénéfice de l’administration ainsi que les mesures mises en œuvre pour développer et valoriser les compétences de conseil en interne ;

- la liste des prestations de conseil réalisées au cours des deux exercices précédents, à titre onéreux ou relevant du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts.

Pour chacune de ces prestations, la liste indique :

- le montant par ministère, mission et programme des autorisations d’engagement et crédits de paiement consacré aux dépenses de conseil extérieur et la part de ces dépenses sur le total des crédits alloués au ministère, à la mission et au programme ;

- l’objet résumé de la prestation, son montant, sa date de notification, sa période d’exécution, l’organisme bénéficiaire au sein du ministère et le prestataire.

Ces informations sont publiées dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé sous réserve du secret de la défense nationale, de la conduite de la politique extérieure de la France, de la sûreté de l’État, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes, de la sécurité des systèmes d’information, du secret des affaires et à l’exclusion des marchés entrant dans le champ d’application des dispositions de l’article L. 1113-1 du code de la commande publique et de ceux que le ministre concerné estime nécessaire de ne pas diffuser dans le cadre de la protection du patrimoine scientifique et technique de la Nation.

Les administrations, autres que l’État, mentionnées à l’article 1er de la présente loi publient annuellement les mêmes éléments que ceux définis aux alinéas précédents.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Par souci de cohérence et afin que nos débats avancent au rythme souhaité en cette heure tardive, je présenterai d’un même mouvement l’amendement n° 32 et les amendements nos 33 et 34 respectivement déposés par le Gouvernement aux articles 3, 4 et 8 de ce texte. La proposition que je souhaite vous soumettre consiste en effet à fusionner ces articles.

Je procéderai en deux temps : après vous avoir dit les réserves que m’inspire la lecture du texte issu des travaux de la commission, je vous exposerai la proposition du Gouvernement, que j’ai déjà évoquée lors de la discussion générale. Cette proposition n’affaiblit en aucun cas le dispositif ; elle a vocation, au contraire, à le rendre plus opérant et plus efficace, c’est-à-dire tout simplement effectif.

Tout d’abord, la dispersion des informations dans différents documents obéissant à différentes temporalités souhaitée par la représentation nationale ne me semble pas de nature à rendre effectives les mesures envisagées. Certaines informations seront retracées dans un rapport remis au Parlement, dit jaune budgétaire, d’autres figureront dans le rapport social unique, d’autres encore, relatives aux bons de commande, seront publiées au fil de l’eau sans que leur « réceptacle » soit très bien défini dans la proposition de loi. Quant à la question des compétences, elle fera l’objet d’un second rapport au Parlement…

Cette dispersion, je l’ai dit, mesdames, messieurs les sénateurs, ne me paraît pas conforme à votre objectif.

Je dirai un mot du rapport social unique, visé à l’article 4, alors qu’il n’a pas vocation à retracer les informations dont il est question ce soir. L’objet de ce document est en effet défini très précisément par la loi et par le décret, autour de dix rubriques : l’emploi, le recrutement, les parcours professionnels, la formation, les rémunérations, la santé et la sécurité au travail, l’organisation du travail et la qualité de vie au travail, l’action sociale et la protection sociale, le dialogue social, la discipline. Son objet n’est donc pas, je le répète, le recours aux prestations de conseil. Le rapport social unique est d’ailleurs rédigé par les services des ressources humaines des ministères et non par les agents administratifs qui auraient la charge d’examiner ces prestations.

J’attire vraiment votre attention sur ce point : y faire figurer les informations relatives aux prestations de conseil dont l’administration concernée a bénéficié serait un dévoiement de l’objet de ce document très utile, à partir duquel sont établies notamment les lignes directrices de gestion.

Je mentionnais un autre point, celui des diverses temporalités auxquelles obéissent respectivement les différentes informations dont on demande la publication : coexisteraient une annexe budgétaire, c’est-à-dire un rapport annuel, et un rapport fait tous les cinq ans sur la question des compétences, sans parler des bons de commande intégralement publiés au fil de l’eau. Là encore, une telle hétérogénéité n’est pas de nature à rendre ce dispositif effectif et utilisable, donc à satisfaire l’objectif visé.

Puisque j’évoque les bons de commande, je dois vous dire mes réserves quant à l’idée de leur publication exhaustive. Non que je souhaite affaiblir les mesures de transparence proposées – je m’apprête à faire des propositions nettes et précises sur cette question –, mais il faut bien comprendre ce que signifierait, opérationnellement parlant, une telle publication.

En 2021 ont été passées 4 854 commandes au sens du code de la commande publique. Le travail de biffage ou de caviardage d’un certain nombre d’informations, par exemple du nom des agents publics, dont vous ne remettez pas en cause le principe, prend du temps : au bas mot, à peu près cinq heures par prestation de conseil. Cela reviendrait à consacrer 25 000 heures de travail à la simple publication de l’intégralité des bons de commande. La proportionnalité d’une telle mesure pose question.

Au chapitre des éléments qui ne me paraissent pas de bonne législation dans le texte ainsi rédigé, je citerai par ailleurs un point qui pourrait mettre en cause, en cas d’erreur, la responsabilité, y compris devant la loi, des agents qui auraient à mener ce travail assez monumental – nous pouvons en convenir – de préparation ou de caviardage des bons de commande.

Quelle est la proposition du Gouvernement ?

Il s’agit de faire figurer l’ensemble des informations utiles au sein d’un document unique. M’exprimant à la tribune, j’ai pris l’engagement que ce document devienne une annexe permanente, gravée dans le marbre, de nos textes budgétaires, mis chaque année à la disposition des assemblées.

Figureraient dans ce rapport la liste exhaustive des commandes de prestations de conseil passées par l’État et, pour chaque prestation, l’intitulé, l’administration bénéficiaire, le montant, ainsi qu’une description de la stratégie menée, ministère par ministère, pour contrôler le recours auxdites prestations. Ce document, qui sera peut-être imparfait dans un premier temps, aura vocation à être enrichi et précisera par ailleurs quels transferts de compétences auront été réalisés au bénéfice de l’administration, indiquant, en d’autres termes, quelle stratégie de réinternalisation des compétences aura été mise en œuvre.

Je m’arrête un instant sur ce point, dont vous avez raison de souligner le caractère décisif. Il me semble que c’est là l’enjeu essentiel du texte : quels moyens l’État se donne-t-il pour réinternaliser un certain nombre de compétences ? Cette fusée comprend trois étages : premièrement, les compétences réinternalisées au sein de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) – j’ai annoncé la création de quinze postes et je compte continuer cet effort de réinternalisation ; deuxièmement, la mobilisation de fonctionnaires tout à fait capables, car formés, via le travail de formation effectué avec la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) – nous vous en livrerons le bilan année après année ; troisièmement, la mobilisation de nos corps d’inspection – il arrive en effet, je vous en donne crédit, qu’il existe des redondances entre des missions menées par des cabinets de conseil et le travail accompli par les corps d’inspection.

Je prends devant vous l’engagement de faire figurer l’ensemble des informations afférentes à cet effort de réinternalisation des compétences dans ce jaune budgétaire.

J’assume, madame Assassi, qu’il puisse être fait exception au principe de la publication des bons de commande, et ce pour des raisons qui ne tiennent pas simplement au secret des affaires. Je vous en donne un ou deux exemples très précis, afin de faire réfléchir votre assemblée sur la nature des informations dont vous vous apprêtez à autoriser la publication.

Songez au travail que réalise le fisc pour optimiser sa stratégie de lutte contre la fraude fiscale en s’appuyant sur un cabinet de conseil spécialisé dans l’intelligence artificielle. (Rires ironiques sur les travées du groupe CRCE. – Mme Nathalie Goulet se gausse également.)

M. Fabien Gay. Il faut vite en changer, parce qu’on est loin du compte…

M. Stanislas Guerini, ministre. J’assume qu’en l’espèce nous ne fassions pas publicité de notre stratégie d’optimisation de la lutte contre la fraude fiscale – et j’espère convaincre les sénateurs communistes du bien-fondé de cette position. Cet exemple n’a rien de théorique : vous n’êtes pas sans savoir que nous nous sommes appuyés sur un cabinet de conseil pour mener une mission visant à mieux repérer et traquer les propriétaires de piscines non déclarées.

Je prends un autre exemple emblématique : des cabinets de conseil nous aident à travailler sur des stratégies telles que la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène, sujet sur lequel la France est en compétition avec d’autres pays. J’assume, en l’occurrence, de ne pas laisser des puissances étrangères lire à livre ouvert l’intégralité du bon de commande relatif aux missions afférentes.

Je vous l’ai dit : la règle que je me suis fixée consiste à vous faire des contre-propositions. Tel que nous l’envisageons, ce jaune budgétaire serait régi par un principe de justification par les ministères de la non-publication éventuelle, la nature de la raison invoquée devant être communiquée. Toutes les demandes formulées par votre assemblée au travers de cette proposition de loi seraient donc satisfaites, me semble-t-il, par la publication d’un tel document unifié.

Pardon d’avoir été un peu long, monsieur le président, mais cette présentation valait argumentation pour les amendements aux articles 3, 4 et 8.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. « Document unique pérenne », jusque-là, nous nous retrouvons, monsieur le ministre ! (Sourires.)

Vous me permettrez malgré tout de noter que l’adoption de vos amendements – réécriture de l’article 3, suppression des articles 4 et 8 – aurait pour conséquence d’appauvrir le texte de la commission.

La suppression de l’article 8, par exemple, nous priverait d’un élément essentiel du document dont nous souhaitons la publication, à savoir la cartographie des ressources humaines dont disposent les ministères en matière de conseil. Or, comme l’ont rappelé plusieurs intervenants en discussion générale, une telle cartographie est plus que jamais nécessaire.

De surcroît, la liste des prestations serait amputée des données relatives à l’accord-cadre auquel se rattache la prestation de conseil, ainsi que des données relatives au marché, au lot et au bon de commande afférents. Ces données participent pourtant pleinement de l’objectif de traçabilité que souhaitent promouvoir les auteurs de cette proposition de loi.

Votre réécriture de l’article 3 revient par ailleurs à élargir le champ des exceptions au principe de la publication des données. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 32.

Sur l’amendement de suppression de l’article 4 – je me permets, comme M. le ministre, d’anticiper sur la suite de la discussion –, la commission a également émis un avis défavorable. La publication en données ouvertes des informations relatives aux prestations de conseil et des bons de commande représenterait à nos yeux l’aboutissement du mouvement de transparence engagé. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique prévoit d’ailleurs que l’ouverture des données publiques est la règle et que « la mise à disposition des données de référence en vue de faciliter leur réutilisation constitue une mission de service public relevant de l’État. »

Je suis déjà intervenue sur la proposition de suppression de l’article 8 ; je n’y reviens pas.

Avis défavorable, donc, aux amendements nos 32, 33 et 34 du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je ne suivrai le Gouvernement sur aucun de ces trois articles, 3, 4 et 8.

En matière de fraude fiscale, et notamment de fraude à la TVA, nous avons eu énormément de difficultés à obtenir le moindre conseil extérieur. On nous a expliqué en long, en large et en technicolor que les ressources internes étaient suffisantes. Pour quel résultat ? Nous sommes le dernier pays d’Europe pour ce qui est de lutter contre la fraude à la TVA !

Mme Parly, lors de son audition par notre commission d’enquête, s’était engagée à nous donner le résultat de ses consultations privées sur le projet de logiciel Louvois, dont on sait le succès foudroyant… (Sourires.)

Je me fie au travail de notre commission et ne voterai pas les amendements du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, merci et de vos explications et des deux exemples précis que vous nous avez donnés.

En matière de stratégie industrielle, l’honnêteté oblige à dire que des questions se posent… Vous avez parlé de l’hydrogène. Vous auriez aussi pu évoquer la question spatiale, la question énergétique, celle des télécommunications. Toutes valent bien un débat au Parlement sur les filières industrielles qu’il nous faut protéger d’intérêts étrangers.

En revanche, je vous prie de nous excuser d’avoir souri à l’évocation de l’évasion fiscale. Nous voudrions bien savoir quel cabinet aide le ministère de l’économie et des finances sur cette question…

Mme Nathalie Goulet. Et dans quel sens !

M. Fabien Gay. Espérons qu’il ne s’agit pas de McKinsey ! Si tel était le cas, il faudrait que le cabinet inscrive son propre nom tout en haut de la liste, lui-même pratiquant « plein pot » l’optimisation fiscale, n’ayant pas payé d’impôts pendant dix ans…

Nous voulons donc bien savoir quel cabinet vous aide et quelles sont ses pratiques en matière fiscale : sont-elles au moins en adéquation avec l’objet de la mission que vous lui confiez ?

Le deuxième exemple que vous avez invoqué, nous l’entendons. Quant au premier exemple, s’agissant d’une question régalienne – Mme Goulet ne nous détrompera pas – et complexe, il faut des fonctionnaires en nombre suffisant pour s’en acquitter correctement. Les membres de notre groupe n’ont cessé d’alerter le Gouvernement quant à la réduction du nombre de fonctionnaires affectés à la lutte contre la fraude fiscale et contre l’optimisation fiscale, phénomènes qui pèsent lourdement dans le déficit de l’État.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Très respectueux de cette proposition de loi – vous avez pu le constater –, j’essaie d’argumenter à l’appui de mes positions en donnant des exemples concrets. Un tel effort n’empêche pas de faire preuve d’un peu de malice… J’ai choisi, en connaissance de cause, un exemple qui vous ferait réagir.

M. Fabien Gay. C’est réussi !

M. Stanislas Guerini, ministre. Nous sommes tout autant que vous attachés à la lutte contre la fraude fiscale. Je n’ai pas pris cet exemple en l’air : j’ai fait référence à un vrai projet, qui a trait à la capacité du fisc à mieux traquer les fraudeurs, et notamment les possesseurs de piscines. Ce projet, qui a abouti et même donné lieu à des articles de presse, a été mené par mon administration avec l’appui d’un cabinet. Je souhaite vous rassurer : il ne s’agit pas de McKinsey.

Je réitère néanmoins mon affirmation : dès lors que la non-publication des informations relatives à l’intitulé de la commande, à son montant et à l’identité du ministère concerné fait l’objet d’une justification dans le jaune budgétaire, dès lors également, Mme la rapporteure, que la question des transferts de compétences reste bien intégrée au document budgétaire unique qui serait soumis à votre analyse, ma conviction sincère est qu’il n’y a là nul recul.

Certains sujets, à l’image des sujets industriels – vous avez eu l’amabilité de les mentionner, monsieur le sénateur –, font l’objet de travaux et de bons de commande dont nous assumons la non-publication.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Pardonnez-moi, monsieur le ministre, de rebondir sur la traque des piscines non déclarées, exemple savoureux s’il en est. Google devait 7 milliards d’euros à la France. On a discuté, transigé, et le chèque n’est plus que de 1,7 milliard d’euros… Google, en guise de « remerciements », va donc aider le Gouvernement à repérer les piscines non déclarées ? Cette affaire devient complètement cocasse… (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

Le Gouvernement est-il prêt, monsieur le ministre, à publier le document que McKinsey a produit sur le métier d’enseignant, rapport cité à de nombreuses reprises dans nos échanges comme dans le rapport de la commission d’enquête ?

M. Fabien Gay. Existe-t-il seulement ?

M. Éric Bocquet. Allez-vous rendre ce rapport public ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. À propos du travail considérable qu’exige de la part du Gouvernement et de chaque administration la publication, ministère par ministère, de l’intégralité des documents sur lesquels la Cada a émis un avis favorable de publication, je vous réponds très clairement : ce travail est en cours, coordonné par le secrétariat général du Gouvernement.

Le ministère de la transformation et de la fonction publiques a communiqué à la Cada l’intégralité des bons de commande demandés par les journalistes. Et ce travail se poursuit : les documents dont la publication a fait l’objet d’un avis favorable de la Cada seront tous transmis aux journalistes qui les ont demandés. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 32.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

I. – Les informations mentionnées dans le rapport prévu à l’article 3 respectent des normes d’écriture fixées par arrêté du ministre chargé des comptes publics.

Ces mêmes informations :

1° Sont publiées sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ;

2° Figurent dans le rapport social unique de l’administration bénéficiaire prévu à l’article L. 231-1 du code général de la fonction publique.

II. – Lorsque la prestation de conseil se rattache à un accord-cadre, le bon de commande ou l’acte d’engagement du marché subséquent est publié sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.

M. le président. L’amendement n° 33, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Cet amendement a été précédemment présenté par le Gouvernement. La commission a émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 33.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Chapitre III

Mieux encadrer le recours aux consultants

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Article additionnel après l'article 5 - Amendement n° 11

Article 5

Il est interdit de proposer, de réaliser ou d’accepter une prestation de conseil à titre gracieux, à l’exclusion des actions menées au profit des personnes morales relevant des catégories mentionnées à l’article 238 bis du code général des impôts.

M. le président. L’amendement n° 43, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Il est interdit aux personnes mentionnées aux III et IV de l’article 1er de la présente loi de proposer, de réaliser ou d’accepter des prestations de conseil à titre gracieux, à l’exclusion de celles qui relèvent du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts ou en cas de circonstances exceptionnelles compromettant la vie ou la santé de la population.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Que cela soit dit extrêmement clairement : je partage la finalité de l’article 5, qui est de mettre fin aux missions pro bono, pour les raisons exactes qui ont été indiquées.

Je propose deux modifications.

L’une est de pure légistique : il s’agit de préciser la mention dont vous avez vous-mêmes souhaité l’ajout à l’article 238 bis du code général des impôts et, toujours au chapitre des modifications rédactionnelles, de permettre, par exception, la réalisation à titre gracieux de prestations de conseil entre administrations. La rédaction actuelle du texte ne le permet pas, rendant par exemple impossible la réalisation par une université d’une mission gratuite au bénéfice d’une administration. Je propose donc de faire droit à cette exception.

L’autre est d’établir une seule exception à l’interdiction des missions pro bono, sur les situations les plus exceptionnelles. Nous avons, à dessein, rédigé cette disposition en des termes extrêmement stricts, précisant qu’elle vaudrait seulement « en cas de circonstances exceptionnelles compromettant la vie ou la santé de la population », c’est-à-dire une guerre ou une pandémie. Dans ces moments, les temps d’urgence ne correspondent pas toujours au temps des démarches administratives, par exemple pour passer des commandes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Si l’article 5 ne précise pas explicitement que les prestataires et les consultants sont visés par l’interdiction posée, le champ d’application de la proposition de loi est défini à l’article 1er. Dès lors, nous pouvons déduire de cet article que l’interdiction des prestations de conseil réalisées à titre gratuit vaut pour les prestataires et les consultants.

Par ailleurs, en ce qui concerne la dérogation en cas de circonstance exceptionnelle compromettant la vie ou la santé de la population, le code de la commande publique dispose : « L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu’une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu’il ne pouvait pas prévoir ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. »

Surtout, il revient à d’éventuelles lois d’urgence de revenir, en cas de circonstances compromettant la vie ou la santé de la population, sur ce principe d’interdiction générale.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 43.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 17, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Durant les cinq années qui précèdent une action de mécénat, il est interdit aux prestataires et consultants de réaliser, proposer ou d’accepter une prestation de conseil à destination de leurs bénéficiaires d’actions de mécénat mentionnés à l’article 238 bis du code général des impôts.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Cet amendement vise à compléter l’article 5 en interdisant aux prestataires et consultants de fournir des prestations de conseil à un client ayant bénéficié d’actions de mécénat de leur part dans les cinq années précédentes, afin de prévenir et d’empêcher l’instrumentalisation du mécénat à des fins commerciales.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Les articles 5 et 11 de la proposition de loi nous semblent déjà constituer un cadre solide et équilibré pour les prestations de conseil réalisées au titre du mécénat. Nous ne voyons pas de raisons particulières d’encadrer davantage encore ces prestations : avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 5.

(Larticle 5 est adopté.)

Article 5
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Article 6

Après l’article 5

M. le président. L’amendement n° 11, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’administration ne peut recourir aux prestataires et consultants privés pour la rédaction des études d’impact et pour la rédaction de l’exposé des motifs des projets de loi.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Je tiens à préciser que l’amendement précédent avait été rédigé en concertation avec l’association Sherpa, qui travaille beaucoup sur ce sujet.

L’amendement n° 11 vise à interdire le recours aux prestataires et consultants privés pour la rédaction des études d’impact et de l’exposé des motifs des projets de loi.

Comme certains de nos collègues l’ont déjà souligné, cet exercice doit être exclusivement réservé aux services de l’État. Il s’agit d’éviter toute dépossession de leur rôle en matière d’orientation des politiques publiques.

En 2018, par exemple, le gouvernement d’Édouard Philippe avait décidé de lancer un appel d’offres pour sous-traiter à une entreprise l’exposé des motifs ainsi que l’étude d’impact de sa future loi sur les transports, moyennant 30 000 euros hors taxes, ce qui paraît tout de même un peu surprenant… Cette affaire avait d’ailleurs alerté l’opinion publique sur les problèmes d’externalisation du processus de rédaction des lois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Comme mes collègues, j’estime anormal que l’État ne rédige pas lui-même les études d’impact et les exposés des motifs de ses projets de loi.

Cela étant, je rappelle que le III de l’article 2 de la proposition de loi crée une obligation de transparence quant à la participation de cabinets de conseil à la rédaction de documents pour le compte de l’administration, ce qui inclut bien évidemment les études d’impact et les exposés des motifs des projets de loi.

Cette obligation de transparence devrait permettre de freiner cette pratique, fortement réprouvée et qui a pu heurter nos concitoyens. Cet amendement me semble donc superfétatoire.

J’insiste sur le fait que nous devons croire à l’effectivité de cette proposition de loi qui entraînera tout le monde, je n’en doute pas, à travailler et à agir différemment.

M. Benarroche a précisé avoir travaillé avec l’association Sherpa sur son amendement : voilà une dizaine d’années, bien peu de parlementaires citaient les associations ou organismes avec lesquels ils avaient rédigé leurs amendements. Aujourd’hui, c’est monnaie courante, quels que soient les groupes. Cela démontre bien que, avec de la volonté et le soutien de la loi, les choses peuvent changer.

La commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Vous avez raison, madame la rapporteure : « la vérité vous rendra libres », pour reprendre les citations bibliques de M. Sueur.

Le Gouvernement était pleinement favorable aux mesures inscrites dans les premiers articles, notamment à la fin des « marques blanches », ces situations dans lesquelles on ne sait pas très bien qui du cabinet de conseil, du ministre ou de l’administration tient le stylo.

Le Gouvernement soutient sans réserve ces avancées, qui répondent en grande partie aux attentes des auteurs de cet amendement : avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. En ce qui concerne l’exposé des motifs, monsieur Benarroche, vous avez mille fois raison : il suffit que le ministre l’écrive.

M. Montaugé et moi-même avons déposé une proposition de loi sur la question des études d’impact. Je ne sais pas s’il vous arrive d’en lire, mais c’est très ennuyeux et donne même envie de dormir. Les études d’impact sont rédigées par les services du ministre qui présente le projet de loi. C’est donc bien l’État qui est à la plume. Or jamais aucun ministre ne publiera une étude d’impact critiquant son projet, bien au contraire. Cette littérature un peu compassée n’est pas intéressante.

Ce n’est pas non plus à McKinsey ou à d’autres cabinets de conseil qu’il faut confier les études d’impact. Pour ma part, je ferais plutôt confiance à des organismes scientifiques – universités, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)… –, qui ne diront pas nécessairement du bien du travail des fonctionnaires du ministère.

Nous devons réfléchir à cette question, car les études d’impact, telles qu’elles sont réalisées aujourd’hui, sont une fausse bonne idée. (Mme la rapporteure approuve.)

M. le président. Il s’agit tout de même une obligation constitutionnelle… (Sourires.)

Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 5 - Amendement n° 11
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Article 7

Article 6

I. – Toute prestation de conseil fait l’objet d’une évaluation par l’administration bénéficiaire, qui précise :

1° La liste des documents rédigés avec la participation, directe ou indirecte, des consultants, ainsi que tout autre travail réalisé par ces derniers ;

2° Le bilan de la prestation, l’apport des consultants et les éventuelles sanctions infligées au prestataire ;

3° Les transferts de compétences réalisés au bénéfice de l’administration ;

4° Les conséquences de la prestation sur la décision publique.

II. – Les évaluations prévues au I sont rédigées à partir d’un modèle fixé par décret.

Elles sont publiées sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, sur l’article.

Mme Laurence Muller-Bronn. Cet article constitue un pilier essentiel de la proposition de loi pour mettre fin à l’opacité dont le Gouvernement fait preuve, aujourd’hui encore.

En effet, le document sur le détail des missions et leur prix, tant attendu par le Sénat et obtenu début octobre, laisse perplexe. Les dépenses sont toujours très élevées : leur coût total dépassera en 2022 son niveau d’avant la crise sanitaire, soit environ 230 millions d’euros.

Ce coût pose question sur le maintien de certaines missions, dont le caractère superflu, voire inutile, avait pourtant été largement documenté, tant par le Sénat que par les enquêtes journalistiques.

Enfin, le contenu du document reste trop évasif pour contrôler les objectifs de ces prestations. Nous y apprenons, par exemple, que le cabinet espagnol Tecnoambiente a réalisé six missions pour le ministère de la transition écologique pour un montant de 25,3 millions d’euros. Il s’agit, selon le document, d’études géophysiques pour l’implantation d’un parc éolien au large de la Bretagne. Nous y lisons que « le prestataire a mis à disposition un navire et un équipage pour étudier les zones d’implantation, réaliser des tests de forage en pleine mer, etc. » Ce « etc. », vous en conviendrez, semble un peu léger pour comprendre et justifier une telle dépense.

C’est pourquoi il faut impérativement inscrire dans la loi le contenu, l’évaluation et les conséquences concrètes des prestations fournies.

M. le président. L’amendement n° 35, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

Sous réserve des secrets protégés par la loi et à la condition qu’elles ne portent pas sur des prestations de conseil préparatoires à une décision administrative en cours d’élaboration ou sur des marchés entrant dans le champ d’application des dispositions de l’article L. 1113-1 du code de la commande publique, les évaluations sont publiées sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je partage la finalité de l’article 6, qui vise à renforcer le principe d’évaluation des prestations de conseil. Je ferai d’ailleurs remarquer que ce principe figurait dans la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 et a été intégré dans l’accord-cadre renouvelé de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) que j’ai présenté voilà quelques instants.

La DITP a établi un modèle type, que je tiens à votre disposition, pour encadrer et « normer » la façon dont on évalue les prestations de conseil.

L’amendement que je présente concerne deux mises en cohérence.

La première rejoint le débat que nous venons d’avoir. Il s’agit de soustraire à la publication des évaluations des prestations de conseil les informations couvertes par un secret protégé par la loi.

La deuxième est une mise en cohérence avec la loi de 1978, qui s’intéressait déjà aux documents publiables par l’administration. Elle avait ainsi introduit un article L. 311-2 dans le code des relations entre le public et l’administration selon lequel seules les évaluations portant sur des décisions prises par l’autorité et la puissance publique pouvaient être publiées, ce qui entraînait une exception pour les évaluations des décisions portant sur des avis que l’État n’a pas encore rendus.

Je propose donc au Sénat de se mettre en conformité avec la volonté du législateur de 1978.

M. le président. Subsiste ici un survivant de cette époque : c’était mon premier texte ! (Sourires.)

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Par cet amendement, le Gouvernement cherche à exclure l’obligation de publication des évaluations des prestations de conseil qui porteraient atteinte à l’ensemble des secrets protégés par la loi, ainsi que les évaluations des prestations de conseil préparatoires à une décision administrative en cours d’élaboration.

La rédaction de cet amendement semble un peu trop large : elle englobe le secret des affaires et risque de priver de leur portée une grande partie des dispositions prévues à l’article 6. Un certain nombre de protections ont déjà été prévues, notamment pour les décisions administratives en cours.

Il s’agit d’un vrai sujet. En l’état, la commission est défavorable à cet amendement, mais souligne sa volonté de trouver une rédaction à même de répondre aux impératifs de protection.

M. Stanislas Guerini, ministre. Ce serait affaiblir le texte que de ne pas intégrer cette modification pour permettre une mise en cohérence avec la loi de 1978.

Dès lors que la décision publique a été rendue, cette exception tombe et l’évaluation est publiée de façon pleine et entière.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, en introduisant subrepticement le secret des affaires dans le texte, vous ajoutez un élément qui peut être lourd de conséquences et risque même de faire exploser tout l’intérêt de la proposition de loi.

Les cabinets de conseil pourraient ainsi exciper à tout moment du secret des affaires. Je crains l’effet déflagrateur de votre proposition par rapport à notre exigence de transparence.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 35.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 6.

(Larticle 6 est adopté.)

Article 6
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Article 8

Article 7

Après l’article 5 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, il est inséré un article 5-1 ainsi rédigé :

« Art. 5-1. – I. – Les consultants mentionnés à l’article 1er de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques emploient la langue française dans leurs échanges avec l’administration bénéficiaire et la rédaction des documents auxquels ils participent.

« Ils ne peuvent utiliser ni expression ni terme étranger lorsqu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l’enrichissement de la langue française.

« II. – Outre la rédaction en langue française, les documents auxquels les consultants participent peuvent comporter une ou plusieurs versions en langue étrangère. »

M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet, sur l’article.

M. Mickaël Vallet. Je profite de cette explication de vote pour préciser et éclaircir les choses. J’aimerais, monsieur le ministre, vous entendre sur cet article et savoir ce que vous en pensez sur le fond.

En France, il n’y a pas de police de la langue. Nous devons démystifier cette idée et ne pas tomber dans la caricature. Dans le privé, sur les réseaux sociaux, les gens parlent entre eux comme ils l’entendent – et c’est heureux. Mais plus on entre dans les interactions sociales, à commencer par le monde du travail, plus les règles se précisent.

Nous parlons dans cet article des pouvoirs publics. Le Premier ministre, chef de l’administration, et les ministres sont là pour faire appliquer un droit, qui découle de certaines normes telles que la Constitution et la loi Toubon, par exemple. L’administration doit aussi suivre les circulaires primo-ministérielles, notamment sur la féminisation des titres. On doit dire aujourd’hui « Mme la préfète » et pas autrement. Si des préfètes, dans certains départements, continuent de se faire appeler « Mme le préfet », elles sont en contradiction avec ce que dit leur administration.

De la même façon, quand Édouard Philippe, par circulaire, demande à son administration de s’exprimer d’une certaine façon, et pas d’une autre, sur la question du point médian, et non sur celle de l’écriture inclusive, objet de tous les fantasmes, il en a parfaitement le droit.

Cet article précise la loi Toubon et souligne que l’administration a l’obligation de travailler et de s’exprimer en français, mais aussi qu’elle doit exiger de ceux qu’elle paye pour lui rendre des documents qu’ils s’expriment également en français.

Nous ne pourrons malheureusement pas étendre cette disposition aux grandes entreprises, y compris celles qui sont issues de grands monopoles d’État et qui ont une belle histoire publique – je pense notamment à La Poste, qui parvient à pondre des idées aussi idiotes que « Ma French Bank ». Peut-être cela viendra-t-il un jour, mais ce texte n’est pas le bon véhicule législatif. Nous en restons à l’obligation faite à l’administration de s’exprimer en français.

La question de la bonne application de cette disposition relève presque uniquement de l’administration et de ceux qui la dirigent. Vous pourrez compter sur le Parlement pour la contrôler.

Monsieur le ministre, je suis curieux de connaître votre position sur cet article. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je suis tout à fait favorable à cet article. Je salue le travail de la commission des lois et de son président qui lui ont donné une base solide avec cette référence à la loi Toubon.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, sur l’article.

M. Emmanuel Capus. Comme l’ensemble de mes collègues, je partage l’objectif de cet article.

Toutefois, comme la présidente Assassi l’a souligné en discussion générale, l’article 2 de la Constitution définit déjà le français comme langue de la République. Il me semble donc que cet article est satisfait.

Il l’est même depuis l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 – peut-être Mme Assassi l’a-t-elle oublié, car antérieur à la Révolution française. Toujours d’application, il précise que la langue de l’administration est le français. Il ne peut donc s’agir d’une autre langue. À l’époque, la concurrente était le latin, désormais c’est l’anglais.

Je ne suis pas opposé au principe, mais cet article est peut-être inutile, surtout si nous voulons éviter d’avoir des lois bavardes…

M. le président. Je mets aux voix l’article 7.

(Larticle 7 est adopté.)

Article 7
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Article 9

Article 8

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, puis tous les cinq ans, le ministre chargé de la fonction publique remet, au nom du Gouvernement, au Parlement et au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État un rapport présentant pour chaque ministère :

1° La cartographie des ressources humaines dont le ministère dispose en matière de conseil, en interne et dans le cadre interministériel ;

2° Les mesures mises en œuvre pour valoriser ces ressources humaines et développer des compétences de conseil en interne ;

3° Les conséquences de ces mesures sur le recours par le ministère aux prestations de conseil.

M. le président. L’amendement n° 34, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Cet amendement a été précédemment présenté par le Gouvernement. La commission a émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 34.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 18, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La cartographie précise le libellé des postes occupés, les compétences attachées aux fiches de poste, ainsi que les compétences hors fiches de poste dont les employés disposent ;

II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

…° Pour chaque recours à un prestataire ou consultant, les raisons pour lesquelles il a été choisi de recourir à un prestataire ou consultant externe.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Les auteurs de cet amendement souhaitent que le libellé des postes occupés et les compétences attachées aux fiches de poste des fonctionnaires soient précisés dans le rapport présenté au Parlement et au Conseil supérieur de la fonction publique.

Nous demandons également au Gouvernement de motiver, dans ce même rapport, ses recours à un prestataire ou consultant externe.

Il s’agit de définir les postes, de connaître les compétences requises pour les occuper et de comprendre les raisons du recours du Gouvernement à un prestataire en fonction de ces données.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 8.

(Larticle 8 est adopté.)

Chapitre IV

Renforcer les exigences déontologiques

Section 1

Mieux lutter contre les conflits d’intérêts

Article 8
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Article 10

Article 9

I. – Le prestataire et les consultants réalisent leurs prestations avec probité et intégrité.

Ils veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts, défini comme une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de leur mission.

II. – Avant chaque prestation de conseil, l’administration bénéficiaire, le prestataire et les consultants s’engagent sur un code de conduite, qui précise les règles déontologiques applicables et les procédures mises en œuvre pour les respecter.

III. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique répond aux demandes d’avis de l’administration bénéficiaire, du prestataire ou des consultants sur les questions d’ordre déontologique qu’ils rencontrent dans la préparation ou l’exécution des prestations de conseil.

L’avis peut être rendu par le président de la Haute Autorité, sur délégation de cette dernière.

IV. – Après le 7° du I de l’article 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il est inséré un 8° ainsi rédigé :

« 8° Elle contribue au contrôle déontologique des prestations de conseil, dans les conditions fixées par la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. » – (Adopté.)

Article 9
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Article 11

Article 10

I. – Avant chaque prestation de conseil, le prestataire et les consultants adressent à l’administration bénéficiaire une déclaration exhaustive, exacte et sincère des intérêts détenus à date et au cours des cinq dernières années.

En cas de modification substantielle des intérêts détenus au cours de la prestation, le prestataire et les consultants actualisent leur déclaration dans un délai de quinze jours et selon les mêmes modalités.

II. – Pour le prestataire, la déclaration d’intérêts porte sur les éléments suivants :

1° Les missions qu’il a réalisées dans le même secteur que la prestation de conseil au cours des cinq dernières années, pour des clients de droit public ou privé ;

2° Les missions réalisées, dans les mêmes conditions, par les sociétés dans lesquelles il détient une participation financière ;

3° Les missions réalisées, dans les mêmes conditions, par la société qui contrôle, directement ou indirectement, le prestataire au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce.

III. – Pour les consultants, la déclaration d’intérêts porte sur les éléments suivants :

1° Les activités professionnelles ayant donné lieu, au cours des cinq dernières années, à rémunération ou à gratification ;

2° Les missions qu’ils ont réalisées dans le même secteur que la prestation de conseil au cours des cinq dernières années, pour des clients de droit public ou privé ;

3° Les participations, au cours des cinq dernières années, aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société intervenant dans le même secteur que la prestation ;

4° Les participations financières directes détenues, à date, dans le capital d’une société intervenant dans le même secteur que la prestation ;

5° Les activités professionnelles exercées, à date, par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin ;

6° Les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître, à date, un conflit d’intérêts ;

7° Les fonctions et mandats électifs exercés au cours des cinq dernières années.

IV. – En cas de doute sur l’exhaustivité, l’exactitude ou la sincérité d’une déclaration d’intérêts, l’administration bénéficiaire saisit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui en assure le contrôle en application de l’article 12.

V. – Le modèle, le contenu et les modalités de transmission, de mise à jour et de conservation des déclarations d’intérêts sont fixés par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, sur l’article.

M. Arnaud Bazin. Nous abordons un chapitre essentiel de la proposition de loi consacré aux obligations déontologiques des cabinets de conseil et des consultants.

Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, nous assistons, depuis quelques années, à un renforcement bienvenu des règles dans toutes les sphères de la société.

Le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique déclarait, le 26 janvier dernier, devant la commission d’enquête que « L’intervention des cabinets de conseil peut […] légitimement susciter des inquiétudes en matière de déontologie. »

Nous avons documenté ces risques dans le cadre de la commission d’enquête et ils ne sont pas virtuels.

Dans son édition du jour, le journal Le Monde publie un article sur le risque de conflits d’intérêts dans la gestion du plan de relance européen. L’État a le droit, et même le devoir, de connaître les autres clients de ces cabinets de conseil qui ne doivent pas pouvoir servir deux intérêts divergents en même temps.

C’est la raison pour laquelle nous sommes très circonspects face aux six prochains amendements qui seront présentés par M. le ministre. En matière de déontologie, les reculs souhaités par le Gouvernement sont en effet nombreux : sur le périmètre des déclarations d’intérêts, qui ne concerneraient plus que les dirigeants des cabinets de conseil ; sur les moyens de contrôle de la Haute Autorité qui ne pourrait plus faire de contrôle sur place, alors que la majorité des autorités indépendantes le peuvent ; sur la saisine de la HATVP par les représentants des fonctionnaires ; sur les amendes administratives, qui seraient remplacées par des sanctions pénales beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre ; sur le contrôle du pantouflage lorsqu’un consultant intègre l’administration et réciproquement ; enfin, sur les modalités d’entrée en vigueur : vous ne souhaitez pas que notre proposition de loi ait des effets rétroactifs, ce qui voudrait dire que ces nouvelles règles ne s’appliqueraient ni à l’accord-cadre de l’Union des groupements d’achats publics (Ugap), conclu l’été dernier, ni à l’accord-cadre de la DITP qui sera conclu en fin d’année.

J’ose espérer qu’il s’agit d’une erreur matérielle et que cela ne reflète pas la volonté du Gouvernement. Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que nous ne pourrons être favorables à vos prochains amendements.

La navette permettra d’améliorer encore le texte. Nous ne souhaitons pas revoir son ambition à la baisse, en particulier en ce qui concerne la lutte contre les conflits d’intérêts.

M. le président. L’amendement n° 36, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

1° Remplacer les mots :

Avant chaque prestation de conseil

par les mots :

Avant la première prestation de conseil réalisée au profit d’une administration bénéficiaire dans un des secteurs mentionnés au II de l’article 1er de la présente loi

2° Remplacer les mots :

les consultants

par les mots :

ses dirigeants

3° Remplacer les mots :

à l’administration

par les mots :

au référent déontologue de l’administration

4° Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Cette déclaration est valable pour une durée d’un an à compter de sa remise au référent déontologue de l’administration bénéficiaire. Toutefois, si le même prestataire de conseil réalise une prestation dans un autre secteur mentionné au II de l’article 1 au profit de la même administration, il est tenu de lui adresser une nouvelle déclaration selon les mêmes modalités.

II. – Alinéa 2

Remplacer les mots :

les consultants

par les mots :

ses dirigeants

III. – Alinéa 7

Remplacer les mots :

les consultants

par les mots :

les dirigeants du prestataire

IV. – Alinéas 12 et 13

Supprimer ces alinéas.

V. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

VI. – Chaque consultant exécutant une prestation de conseil remplit une attestation sur l’honneur, répondant à un modèle fixé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, par laquelle il justifie ne pas être dans une situation de conflits d’intérêts. Lors de la remise du dernier document de la prestation, celui-ci est accompagné par l’ensemble des attestations sur l’honneur.

En cas de doute sur la sincérité d’une attestation sur l’honneur, l’administration bénéficiaire saisit la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui en assure le contrôle.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je veux tout d’abord souligner que le Gouvernement partage l’objectif de renforcement de la déontologie, qui est une finalité de ce texte. J’en profite pour dire notre soutien à l’article 9, que nous venons d’adopter et qui renforce ces aspects déontologiques.

Par ailleurs, et dans la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 et dans l’accord-cadre renouvelé de la DITP, nous avons intégré des mesures renforçant le contrôle déontologique, notamment les déclarations sur l’honneur des consultants.

En ce qui concerne ces mêmes déclarations, mon argument porte sur des questions à la fois de proportionnalité et d’effectivité des finalités recherchées par la loi.

Ce texte vise à instaurer une publication exhaustive pour l’ensemble des consultants. Or ce terme de consultant engloberait l’ensemble des salariés des cabinets de conseil, soit environ 120 000 personnes, dont 15 % travaillent avec l’État. Cela veut dire que des dizaines de milliers de personnes seraient concernées par les mêmes déclarations d’intérêt exhaustives que celles demandées aux parlementaires et ministres, tout comme leurs conjoints.

Le moindre consultant junior qui démarrerait sur une mission serait donc soumis, ainsi que sa conjointe ou son conjoint, à une déclaration exhaustive sur ses activités professionnelles…

De surcroît, vous avez ajouté en commission une possibilité de contrôle sur place, par la HATVP, qui ne s’applique pas aux parlementaires et ministres. J’insiste sur cet argument de proportionnalité : la proposition de loi, telle qu’elle est actuellement rédigée, fait peser sur des consultants juniors, voire sur des employés administratifs des cabinets de conseil, des dispositions plus exigeantes que celles qui s’appliquent aux responsables publics.

En l’état, la rédaction de l’article présente un risque constitutionnel. Je crois très sincèrement qu’il ne passerait pas sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Une question analogue a déjà été posée lors de l’examen de la loi relative à la transparence de la vie publique : le Conseil constitutionnel avait alors estimé que le recours élargi à une telle obligation de déclaration pour les conjoints entraînait une atteinte disproportionnée au droit constitutionnellement garanti à la préservation de la vie privée.

J’essaye sincèrement de vous convaincre de la bonne foi du Gouvernement sur cette question de proportionnalité.

J’insiste aussi sur la question de l’effectivité.

Quel serait le résultat concret du texte tel qu’il nous est soumis aujourd’hui ? Des dizaines de milliers de déclarations exhaustives d’intérêt arriveraient entre les mains non pas des référents déontologues des administrations, mais probablement des acheteurs. Qu’en feraient-ils et comment les administrations pourraient-elles les prendre en charge ?

Cela poserait un réel problème d’effectivité, qui pourrait mettre en danger la responsabilité même des agents publics. En effet, si, par la suite, on se trouvait face à un conflit d’intérêts, on ne manquerait pas de se demander si l’administration a bien joué son rôle, alors que l’acheteur, contrairement aux membres de la HATVP, n’est pas spécialisé dans l’analyse des déclarations d’intérêt – à moins que vous ne vouliez que l’intégralité des déclarations d’intérêts remonte à la HATVP, au risque de provoquer son embolisation.

J’émets donc des réserves sincères et motivées sur la rédaction de cet article.

Pour autant, le Gouvernement n’est pas sans contre-proposition : l’amendement n° 36 vise à centrer les déclarations exhaustives d’intérêt sur les dirigeants, ainsi que sur les cabinets de conseil, ce qui permettrait de répondre à la question soulevée.

À juste titre, vous avez affirmé vouloir connaître les autres clients des cabinets de conseil, ce que permet la rédaction proposée par le Gouvernement.

Centrons les déclarations exhaustives d’intérêt sur les dirigeants et sur les cabinets de conseil et demandons à tous les consultants de fournir, mission par mission, une déclaration sur l’honneur de non-conflit d’intérêts pour la mission sur laquelle ils sont appelés à intervenir. J’insiste sur le fait que ce document serait juridiquement et pénalement opposable si un conflit d’intérêts était avéré.

La proposition du Gouvernement ne constitue donc absolument pas un affaiblissement en matière de déontologie, mais vise au contraire à rendre cette proposition de loi plus effective.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, pour les raisons qu’a exposées Arnaud Bazin et que je ne rappelle pas.

Le Conseil constitutionnel a censuré l’élargissement de la déclaration aux parents et aux enfants ; or cet article le circonscrit au conjoint.

Par ailleurs, à la différence de ce qui se passe pour les élus, dont la déclaration est rendue publique, la déclaration sera remise à l’administration et contrôlée sur demande par la HATVP. Le respect de la vie privée n’est donc pas remis en cause : je le précise, puisque cette question suscite une grande inquiétude du côté des cabinets de conseil.

Je me souviens des débats que nous avons eus ici même lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique, y compris dans les couloirs : quelle que soit notre appartenance politique, nous avions tous peur du déballage de notre vie privée que cela provoquerait. Les murs garderont le secret des plaisanteries et boutades qui ont émaillé nos conversations en dehors de l’hémicycle.

Aujourd’hui, cette mesure peut encore être vécue comme une contrainte ; pour autant, dans leur très grande majorité, les élus s’y plient. Le caractère public de la déclaration et la possibilité pour le citoyen de la consulter en préfecture – ce qui est sans doute perfectible – sont acceptés et la presse ne commente pas la déclaration de chaque nouveau ministre.

C’est en la généralisant que nous désacraliserons la transparence et rassurerons ceux qui ont peur d’en être les victimes, alors qu’il s’agit de les aider.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Nous ne demandons pas la publication de la déclaration d’intérêt du conjoint, nous souhaitons en revanche que soit précisée sa profession.

D’ailleurs, monsieur le ministre, c’est ce que vous avez fait vous-même dans le cadre de l’accord-cadre de la DITP. Cette mesure ne doit donc pas soulever de difficultés particulières. Nous avons besoin de connaître les intérêts de ceux qui interviennent.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Arnaud Bazin. En outre, si l’acheteur qui sera le destinataire de cette déclaration d’intérêt ne s’estime pas suffisamment armé pour en juger, il pourra se retourner vers la HATVP : c’est prévu, même si je doute que les cas soient très nombreux.

Nous souhaitons donc maintenir le dispositif tel qu’il a été proposé.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 36.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 10.

(Larticle 10 est adopté.)

Article 10
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Article 12

Article 11

I. – Tout prestataire de conseil communique à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, par l’intermédiaire d’un téléservice :

1° Les actions de démarchage ou de prospection réalisées auprès des administrations mentionnées au I de l’article 1er ;

2° Les actions menées au profit des personnes morales relevant des catégories mentionnées à l’article 238 bis du code général des impôts, en précisant le montant des dons et versements du prestataire, les ressources humaines qu’il a mobilisées et les contreparties qu’il a reçues.

II. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique détermine, pour la mise en œuvre du I :

1° Le modèle, le contenu, les modalités et le rythme des déclarations ;

2° Les modalités de publication des informations correspondantes, sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.

M. le président. L’amendement n° 22, présenté par Mme Duranton, MM. Patriat, Richard, Mohamed Soilihi, Théophile, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, MM. Dagbert, Dennemont, Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch et Mme Schillinger, est ainsi libellé :

Alinéas 4 à 6

Rédiger ainsi ces alinéas :

II. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, précise :

1° Le rythme et les modalités des communications prévues au I du présent article, ainsi que les conditions de publication des informations correspondantes ;

2° Les modalités de présentation des actions du prestataire de conseil.

La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Cet amendement a pour objet de renvoyer à un décret en Conseil d’État pris après avis public de la HATVP la définition des modalités de publication des informations relatives aux actions de démarchage, de prospection et de mécénat.

Le dispositif que nous proposons d’adopter s’inspire de celui qui a été prévu par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.

J’insiste à mon tour sur le fait que ce décret d’application sera rendu après avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Un travail conjoint sera donc mené pour en élaborer la rédaction.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Nous avons confiance dans le Gouvernement, mais prévoir un décret d’application présente toujours un risque.

Il n’est qu’à raviver ce souvenir un peu délicat : le président de la HATVP rappelle souvent que, si la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, est bien écrite, le décret qui a été pris en application l’a complètement dévitalisée. Ce problème persiste depuis plus de cinq ans.

Il serait bon d’éviter de reproduire les mêmes erreurs.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 11.

(Larticle 11 est adopté.)

Article 11
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Article 13

Article 12

I. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’assure du respect des règles déontologiques fixées par la présente section et par les articles 2 et 5.

La Haute Autorité peut se saisir d’office ou être saisie par :

1° L’administration bénéficiaire de la prestation de conseil ;

2° Une organisation syndicale de fonctionnaires ;

3° Le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat ;

4° Les associations agréées par la Haute Autorité dans les conditions prévues au deuxième alinéa du II de l’article 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

II. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peut se faire communiquer, sur pièces, par l’administration bénéficiaire de la prestation de conseil, le prestataire ou les consultants, toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission. Elle peut entendre ou consulter toute personne dont le concours lui paraît utile.

La Haute Autorité peut également procéder à des vérifications sur place, dans des locaux professionnels ou des locaux affectés au domicile privé, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

La visite s’effectue sous l’autorité et le contrôle du juge des libertés et de la détention qui l’a autorisée, en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant qui peut se faire assister d’un conseil de son choix ou, à défaut, en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous l’autorité des personnes chargées de procéder au contrôle.

Seuls peuvent être opposés à la Haute Autorité le secret de la défense nationale, de la conduite de la politique extérieure de la France, de la sûreté de l’État, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes ou de la sécurité des systèmes d’information.

III. – Lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate un manquement aux règles déontologiques fixées par la présente section ou par les articles 2 ou 5, elle :

1° Adresse au prestataire ou au consultant concerné une mise en demeure, qu’elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l’avoir mis en état de présenter ses observations ;

2° Avise l’administration bénéficiaire et, le cas échéant, lui adresse des observations.

M. le président. L’amendement n° 37, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Le prestataire de conseil ;

II. – Alinéas 8 et 9

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Cet amendement a deux objets.

D’une part, il s’agit de supprimer la possibilité de saisine de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par une organisation syndicale. Cette disposition prévue dans le texte me gêne, parce qu’en l’état du droit aucune organisation syndicale ne peut saisir une autorité administrative indépendante. Ce texte créerait donc un précédent. J’ai un respect absolu pour les organisations syndicales, mais je ne crois pas qu’il revienne aux représentants syndicaux de saisir la HATVP sur les cabinets de conseil. Les organisations syndicales ont pour mission de protéger les agents de la fonction publique, de défendre leurs droits et leurs intérêts. Cette possibilité de saisine reviendrait à dévoyer leur rôle.

D’autre part, il s’agit d’écarter la mise en place d’un pouvoir de contrôle sur place de l’ensemble des salariés des cabinets de conseil qui serait accordé à la HATVP. Là encore, cette disposition créerait un précédent et une inégalité devant la loi, puisque ce pouvoir de contrôle n’existe ni pour les ministres ni pour les parlementaires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La commission émet un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 37.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 25 rectifié, présenté par MM. Sueur, M. Vallet, P. Joly, Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

En cas d’opposition et après mise en demeure préalable, le président de la Haute Autorité peut saisir la commission des sanctions qui statue sur le bien-fondé du motif invoqué. Lorsque le secret de la défense nationale est invoqué, celle-ci saisit pour avis la commission du secret de la défense nationale dans le cadre de l’article L. 2312-1 du code de la défense.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. En cas de refus à la suite d’une demande de communication de pièce ou de documents de la HATVP, il est proposé que cette instance puisse saisir la commission des sanctions, qui a notamment été mise en place à cette fin.

Je remercie Mme la rapporteure d’avoir formulé des suggestions très judicieuses pour améliorer cet amendement dont la rédaction était à l’origine imparfaite.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Défavorable, par cohérence avec la position du Gouvernement. (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 25 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 12, modifié.

(Larticle 12 est adopté.)

Article 12
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Article 14

Article 13

I. – Est passible d’une amende administrative le fait, pour les prestataires de conseil et les consultants :

1° De ne pas respecter les exigences fixées à l’article 2 ou de ne pas mettre fin à un conflit d’intérêts au sens du second alinéa du I de l’article 9 ;

2° De proposer, de réaliser ou d’accepter une prestation de conseil à titre gracieux, à l’exclusion des actions menées au profit des personnes morales relevant des catégories mentionnées à l’article 238 bis du code général des impôts ;

3° De ne pas adresser la déclaration d’intérêts prévue à l’article 10 de la présente loi ou d’omettre de déclarer une partie substantielle de ses intérêts ;

4° De ne pas communiquer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique les informations sur les actions de démarchage, de prospection et de mécénat, mentionnées à l’article 11 ;

5° D’entraver l’action de la Haute Autorité en refusant de lui communiquer toute information ou pièce utile à l’exercice de sa mission, quel qu’en soit le support, sous réserve de la préservation des secrets mentionnés au dernier alinéa du II de l’article 12, ou en transmettant des informations mensongères.

Le montant de l’amende mentionnée au premier alinéa du présent I ne peut excéder 15 000 € par manquement constaté pour une personne physique et 2 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent pour une personne morale. Son montant est proportionné à la gravité des manquements constatés ainsi qu’à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée.

II. – Les amendes administratives prévues au I sont prononcées par la commission des sanctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans les conditions fixées à l’article 19-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Leur produit est recouvré comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.

La commission des sanctions de la Haute Autorité peut également :

1° Rendre publiques les amendes administratives prononcées, aux frais de l’intéressé ;

2° En cas de faute professionnelle grave, exclure l’intéressé de la procédure de passation des contrats de la commande publique, pour une durée maximale de trois ans.

M. le président. L’amendement n° 38, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende, le fait :

1° De ne pas respecter les exigences des dispositions des articles 10 et 11 ;

2° D’entraver l’action de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en refusant de lui communiquer toute information ou pièce utile à l’exercice de sa mission, quel qu’en soit le support, sous réserve de la préservation des secrets au sens du II de l’article 12.

Les personnes physiques coupables de l’une des infractions prévues au présent article encourent également l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, dans les conditions prévues à l’article 131-34 du code pénal.

Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal de l’une des infractions prévues au présent article encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal, la peine prévue au 5° de l’article 131-39 du même code.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je présenterai dans le même temps cet amendement, ainsi que l’amendement n° 39 sur l’article 14 et l’amendement n° 40 sur l’article 15, puisqu’ils forment un tout.

Le débat dépasse ici, à mon sens, le périmètre de la proposition de loi telle qu’elle nous est soumise. La question du rôle de la HATVP renvoie aux débats sur la loi relative à la transparence de la vie publique ou sur la loi Sapin 2, qui portaient justement sur cette question, ainsi que sur celle du pouvoir que nous donnions à la Haute Autorité de transparence pour la vie publique.

Adopter les articles 13, 14 et 15 reviendrait à remettre fondamentalement en cause la façon dont a été pensée la HATVP pour les cas spécifiques des cabinets de conseil. Il est en effet question des régimes de sanctions. Le législateur s’est déjà penché sur la question du bon régime de sanctions applicables aux représentants d’intérêts ; il a admis une exception, celle de permettre à la HATVP d’effectuer des contrôles sur place, chez les représentants d’intérêt. Malgré cette exception, un pouvoir de sanction pénale a été réaffirmé, qui ne relevait pas de la HATVP, puisqu’il ne s’agissait pas d’un pouvoir de sanction administrative.

Ce nouveau pouvoir de sanction spécifique pour les seuls cabinets de conseil constituerait, selon moi, une dissonance par rapport au rôle de la HATVP et au droit élaboré par le législateur.

On peut débattre de ce qui serait le plus dissuasif. Pour ma part, je considère que les sanctions pénales, qui sont définies par la loi, sont dissuasives.

J’entends parfois que la HATVP serait démunie de ce pouvoir de sanction et que son rôle serait de fait inopérant. Ce n’est pas vrai : la HATVP a déjà transmis des éléments au procureur de la République : 178 dossiers ont ainsi été transmis à la justice depuis 2014, donnant lieu à 28 condamnations effectives et définitives pour des ministres et des parlementaires. Ce pouvoir est donc pleinement effectif et le dispositif déjà prévu n’est pas du tout inopérant ; bien au contraire, il me semble largement dissuasif.

L’amendement n° 39 à l’article 14 est un amendement de suppression, en cohérence avec ce que je viens d’indiquer : je suis contre la création d’un régime de sanctions, donc contre la création d’une commission des sanctions.

L’amendement n° 40 à l’article 15 est quant à lui un amendement de cohérence avec le droit européen. Le dispositif de sanctions pénales prévoit déjà des mécanismes d’exclusion des marchés publics et des mises en cohérence avec les mécanismes existants d’auto-apurement prévus par les textes européens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 38.

Ce n’est pas qu’une question de procédure : nous pensons que la sanction administrative sera, en la matière, bien plus efficace, car plus rapide dans son application, par rapport à une sanction pénale qui prend beaucoup plus de temps. Nous demeurons favorables à la création d’une commission des sanctions.

Les cabinets de conseil constituent un cas spécifique. L’objectif est non pas de généraliser le dispositif à d’autres champs, mais de garder le périmètre initial prévu par cette proposition de loi. C’est pourquoi nous souhaitons maintenir la création d’une commission des sanctions au sein de la HATVP, réservée à ces seuls acteurs.

Par voie de conséquence, la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 39 et 40 déposés respectivement aux articles 14 et 15. Je précise que, dans le respect du droit européen, l’article 15 prévoit un mécanisme de régulation, en s’appuyant sur une collaboration « active », qui reprend la disposition de la directive, entre, d’une part, la HATVP et, d’autre part, l’administration qui a bénéficié de la prestation de conseil.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. L’amendement n° 38 vise à supprimer des sanctions, par exemple lorsqu’un cabinet de conseil réalise une prestation pro bono ou qu’il utilise le logo de l’administration, ce qui est bien évidemment inacceptable à nos yeux.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 38.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 31, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Alinéa 7, première phrase

Remplacer le mot :

total

par le mot :

consolidé

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

L’adjectif « total » permet un parallélisme des formes avec la rédaction de l’article 20 de la loi de 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés créant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Cet adjectif est également utilisé pour définir le montant de la sanction pécuniaire, puisqu’il est question de « chiffre d’affaires annuel total ».

Cette modification rédactionnelle créerait donc une difficulté.

Mme Nathalie Goulet. Je retire cet amendement !

M. le président. L’amendement n° 31 est retiré.

Je mets aux voix l’article 13.

(Larticle 13 est adopté.)

Article 13
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Article 15

Article 14

Après l’article 19 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il est inséré un article 19-1 ainsi rédigé :

« Art. 19-1. – I. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique comprend une commission des sanctions, qui peut prononcer les amendes et sanctions administratives prévues à l’article 13 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

« II. – La commission des sanctions est composée de trois membres, dont :

« 1° Un membre du Conseil d’État ou du corps des conseillers de tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, en activité ou honoraire, désigné par le vice-président du Conseil d’État ;

« 2° Un magistrat de la Cour de cassation ou des cours et tribunaux, en activité ou honoraire, désigné par le premier président de la Cour de cassation ;

« 3° Un magistrat de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes, en activité ou honoraire, désigné par le premier président de la Cour des comptes.

« L’écart entre le nombre de femmes et d’hommes ne peut pas être supérieur à un.

« Des suppléants sont nommés selon les mêmes modalités.

« Le président de la commission des sanctions est élu par ses membres.

« III. – Les membres titulaires et suppléants de la commission des sanctions sont nommés pour une durée de six ans, non renouvelable.

« Ils ne peuvent pas être membres du collège ou des services de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Ils sont soumis aux incompatibilités et aux obligations déclaratives prévues au IV de l’article 19.

« IV. – La commission des sanctions est saisie par le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, après la mise en demeure mentionnée au III de l’article 12 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

« Aucune amende ou sanction administrative ne peut être prononcée sans que l’intéressé ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment appelé.

« Un représentant du collège de la Haute Autorité peut présenter des observations pour le compte de celle-ci.

« La commission des sanctions délibère hors la présence de l’intéressé ou de son représentant et du représentant du collège de la Haute Autorité. Elle statue par décision motivée à la majorité de ses membres. En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.

« V. – La commission des sanctions établit son règlement intérieur, qui précise ses règles de fonctionnement, les procédures applicables devant elle et les conditions dans lesquelles elle peut être assistée de rapporteurs. »

M. le président. L’amendement n° 39, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Cet amendement a précédemment été présenté par le Gouvernement. La commission a émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 39.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 14.

(Larticle 14 est adopté.)

Article 14
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Article 16

Article 15

Le code de la commande publique est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 2141-5, il est inséré un article L. 2141-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-5-1. – Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui font l’objet d’une exclusion prononcée par la commission des sanctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et devenue définitive, en application de l’article 13 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

« Cette exclusion n’est pas applicable à la personne qui établit qu’elle a régularisé sa situation en réglant l’ensemble des amendes et indemnités dues, en collaborant activement avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et avec l’administration bénéficiaire de la prestation de conseil et en prenant des mesures concrètes de nature à prévenir la commission d’une nouvelle faute. » ;

2° À l’article L. 2341-2, la référence : « L. 2141-5 » est remplacée par la référence : « L. 2141-5-1 » ;

3° Le tableau constituant le second alinéa des articles L. 2651-1, L. 2661-1, L. 2671-1 et L. 2681-1 est ainsi modifié :

a) La vingt-deuxième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

 

«

L. 2141-4 et L. 2141-5

L. 2141-5-1

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

L. 2141-6 à L. 2142-1

» ;

b) La quatre-vingt-unième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

 

«

L. 2341-1

L. 2341-2

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

L. 2341-3 à L. 2342-2

» ;

4° Après l’article L. 3123-5, il est inséré un article L. 3123-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3123-5-1. – Sont exclues de la procédure de passation des contrats de concession les personnes qui font l’objet d’une exclusion prononcée par la commission des sanctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et devenue définitive, en application de l’article 13 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

« Cette exclusion n’est pas applicable à la personne qui établit qu’elle a régularisé sa situation en réglant l’ensemble des amendes et indemnités dues, en collaborant activement avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et avec l’administration bénéficiaire de la prestation de conseil et en prenant des mesures concrètes de nature à prévenir la commission d’une nouvelle faute. » ;

5° La quatorzième ligne du tableau constituant le second alinéa des articles L. 3351-1, L. 3361-1, L. 3371-1 et L. 3381-1 est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

 

«

L. 3123-4 et L. 3123-5

L. 3123-5-1

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

L. 3123-6 à L. 3126-2

»

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 9 rectifié est présenté par Mme N. Goulet.

L’amendement n° 46 rectifié bis est présenté par Mme Assassi, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. - Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Au premier alinéa de l’article L. 2141-1, après la référence : « 434-9-1 », est insérée la référence : « , 434-13 » ;

II. - Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

… ° Au premier alinéa de l’article L. 2341-1, après la référence : « 434-9-1 », est insérée la référence : « , 434-13 » ;

III. - Après l’alinéa 10

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Au premier alinéa de l’article L. 3123-1, après la référence : « 434-9-1 », est insérée la référence : « , 434-13 » ;

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié.

Mme Nathalie Goulet. L’examen attentif des dispositions ayant pour objet d’entraîner l’exclusion de la commande publique révèle que celles-ci omettent de viser l’article L. 434-13 du code pénal relatif au faux témoignage.

Le travail de la commission d’enquête a montré que cela pouvait arriver. C’est pourquoi il convient d’ajouter à la liste des infractions pouvant entraîner l’exclusion de la commande publique les personnes qui auraient été condamnées pour ce motif.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 46 rectifié bis.

M. Éric Bocquet. Je rappelle l’un des temps forts de cette commission d’enquête, qui a fait le buzz, comme on dit aujourd’hui en bon français (Sourires) – disons plutôt qui a fait beaucoup parler –, à savoir la déclaration de M. Tadjeddine, alors directeur associé du cabinet McKinsey : « Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France. »

Arnaud Bazin a rappelé les pouvoirs d’investigation d’une commission d’enquête, dont il faut se féliciter. La commission d’enquête s’est rendue à Bercy et a constaté que le cabinet McKinsey n’avait pas payé d’impôt sur les sociétés depuis au moins dix ans, alors que le chiffre d’affaires de la firme en France a, par exemple, atteint 329 millions d’euros en 2020 – dont environ 5 % réalisés dans le secteur public – et qu’elle y emploie environ 600 salariés.

À l’évidence, nous sommes face une forme de parjure, puisque les personnes auditionnées par une commission d’enquête parlent sous serment. La commission d’enquête a donc saisi le bureau du Sénat, qui a invoqué l’article 40 du code de procédure pénale pour suspicion de faux témoignage, ce qui n’est pas rien.

Par conséquent, comme Nathalie Goulet, nous estimons qu’il n’est pas question de donner le moindre euro d’argent public à un cabinet qui serait convaincu de parjure ni de lui permettre de soumissionner pour un quelconque marché public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Avis favorable !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Mon cabinet, qui n’a eu besoin d’aucun cabinet de conseil pour me donner cette position, me signale des difficultés rédactionnelles quant à la conformité de cette mesure par rapport aux textes européens.

C’est pourquoi je vous propose, dans un esprit très constructif, de retravailler la rédaction de ces amendements à l’occasion de la navette parlementaire, afin de l’améliorer.

Par conséquent, sur ces amendements dont il partage la finalité, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 rectifié et 46 rectifié bis.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 40, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 3 et 12

Remplacer les mots :

exclusion prononcée par la commission des sanctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et devenue définitive, en application

par les mots :

peine d’exclusion de l’accès à la commande publique en application du 1°

II. – Alinéa 4

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Cette exclusion n’est pas applicable à la personne qui établit qu’elle n’a pas fait l’objet d’une peine d’exclusion des marchés publics inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire en application de l’article 775-1 du code de procédure pénale, qu’elle a réglé l’ensemble des amendes et indemnités dues, qu’elle a régularisé sa situation en prenant des mesures concrètes de nature à prévenir la commission d’une nouvelle infraction pénale.

« Cette exclusion n’est pas non plus applicable en cas d’obtention d’un sursis en application des articles 132-31 ou 132-32 du code pénal, d’un ajournement du prononcé de la peine en application des articles 132-58 à 132-62 du code pénal ou d’un relèvement de peine en application de l’article 132-21 du code pénal ou des articles 702-1 ou 703 du code de procédure pénale. » ;

III. – Alinéa 13

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Cette exclusion n’est pas applicable à la personne qui établit qu’elle n’a pas fait l’objet d’une peine d’exclusion des contrats de concession inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire en application de l’article 775-1 du code de procédure pénale, qu’elle a réglé l’ensemble des amendes et indemnités dues, qu’elle a régularisé sa situation en prenant des mesures concrètes de nature à prévenir la commission d’une nouvelle infraction pénale.

« Cette exclusion n’est pas non plus applicable en cas d’obtention d’un sursis en application des articles 132-31 ou 132-32 du code pénal, d’un ajournement du prononcé de la peine en application des articles 132-58 à 132-62 du code pénal ou d’un relèvement de peine en application de l’article 132-21 du code pénal ou des articles 702-1 ou 703 du code de procédure pénale. » ;

Cet amendement a précédemment été présenté par le Gouvernement. La commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 40.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 15, modifié.

(Larticle 15 est adopté.)

Section 2

Mieux encadrer les « allers-retours » entre l’administration et les cabinets de conseil

Article 15
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Article 17

Article 16

Le chapitre IV du titre II du livre Ier du code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 124-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité est préalablement saisie, dans les mêmes conditions, lorsque l’agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, souhaite fournir des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif. » ;

2° À la première phrase de l’article L. 124-7, les mots : « à l’article » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa de l’article » ;

3° L’article L. 124-8 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité est préalablement saisie, dans les mêmes conditions, lorsque l’autorité hiérarchique envisage de nommer une personne fournissant ou ayant fourni des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif au cours des trois dernières années. » ;

4° L’article L. 124-18 est ainsi modifié :

a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa rédigé :

« Lorsque l’avis porte sur la fourniture de prestations de conseil dans le secteur privé lucratif, en application du second alinéa de l’article L. 124-5, l’agent public rend compte de son activité à la Haute Autorité au moins tous les six mois, dans les conditions fixées par cette dernière et durant les trois années qui suivent le début de son activité de conseil. » ;

b) Au second alinéa, les mots : « de réponse » sont remplacés par les mots : « d’élément » ;

5° Au 3° de l’article L. 124-26, la première occurrence du mot : « à » est remplacée par les mots : « au premier alinéa de ».

M. le président. L’amendement n° 41, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le chapitre IV du titre II du livre Ier du code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa de l’article L. 124-4 est ainsi modifié :

a) Après les mots : « précédant le début de cette activité, », sont insérés les mots : « s’agissant en particulier des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif, » ;

b) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique élabore des recommandations afin d’harmoniser l’examen par l’autorité hiérarchique et par le référent déontologue des demandes émanant d’un agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, et souhaitant fournir des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif. »

2° L’article L. 124-7 est ainsi modifié :

a) Après les mots : « une activité privée lucrative », sont insérés les mots : « , en particulier des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif, » ;

b) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique élabore des recommandations afin d’harmoniser l’examen par l’autorité hiérarchique et par le référent déontologue de la compatibilité des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif fournies au cours des trois dernières années par la personne qu’il est envisagé de nommer avec les fonctions auxquelles elle candidate. »

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. La question du contrôle des aller et retour entre le public et le privé constitue sans doute le dernier débat que nous aurons sur ce texte.

Je constate que la rédaction de l’article 16 s’écarte très nettement de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et des principes relatifs à l’architecture de contrôle déontologique, introduits, non par le gouvernement de l’époque, mais bien par le Parlement. Il s’agit de principes dont la HATVP dit le plus grand bien et de mécanismes de contrôle que les administrations se sont appropriés.

Cet article créerait deux distorsions par rapport au mécanisme introduit dans la loi de 2019.

Première distorsion : il n’y aurait plus aucune hiérarchie entre les agents concernés. Alors que la loi de 2019 était centrée sur les postes à responsabilité au sein des administrations, ce qui me semble correspondre à l’exercice, à l’objectif et à la finalité de ce texte, à savoir éviter les influences, absolument tous les agents administratifs seraient concernés par le dispositif que vous voulez mettre en place. En d’autres termes, un agent administratif, tout en bas de l’échelle hiérarchique, aurait les mêmes prérogatives ou les mêmes contraintes en termes de contrôle par la HATVP que les agents occupant des postes à plus forte responsabilité.

Seconde distorsion : cet article crée un régime ad hoc pour les cabinets de conseil. Si je peux en comprendre la philosophie, cela sous-entend qu’il y a moins d’enjeux déontologiques ou d’influence pour un haut fonctionnaire qui rejoindrait l’industrie de l’armement, alors qu’il viendrait du ministère des armées, que pour un simple fonctionnaire très bas dans l’échelle hiérarchique qui rejoindrait un cabinet de conseil pour diversifier son parcours professionnel.

Dans une logique de proportionnalité et d’effectivité du texte, il vaudrait mieux se reposer sur l’architecture créée par la loi de 2019 permettant aux responsables de l’administration d’apprécier s’il existe une situation de conflit avant d’en référer au référent déontologue et, en cas de difficultés, à la HATVP pour les postes concernés. Il s’agit d’un mécanisme qui fonctionne, qui a fait ses preuves et sur lequel nous devrions pouvoir nous reposer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Sans surprise, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Monsieur le ministre, vous proposez un compromis un peu bancal entre le droit commun et la dérogation visée à cet article.

De deux choses l’une : soit le secteur du conseil entre déjà dans le cadre des dispositions prévues par le code général de la fonction publique et il faudrait alors aller au bout de la logique et supprimer complètement l’article 16, soit il est nécessaire de prévoir des dispositions spécifiques pour l’activité de conseil privé, ce qui correspond à la position de la commission.

Même si j’entends les réserves que vous avez émises, monsieur le ministre, nous souhaitons conserver l’article 16 dans sa rédaction actuelle pour gagner en clarté et en lisibilité.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Un mot sur votre appréciation du caractère bancal de ce que nous proposons, madame la rapporteure. En l’occurrence, notre intention est d’améliorer le dispositif actuel d’architecture prévu dans la loi de 2019 en mentionnant les enjeux spécifiques liés aux cabinets de conseil et en s’appuyant sur la HATVP pour contribuer à la rédaction des lignes directrices de gestion dans le but de mieux travailler avec les référents déontologues des administrations.

Il s’agit donc d’un mécanisme tout à fait effectif et amélioré.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Je ne crois pas trahir l’esprit de la commission d’enquête et des cosignataires de cette proposition de loi en précisant que nous visions les responsables publics et non tous les agents publics – d’ailleurs, l’exposé des motifs le rappelle, ce qui restreint bien le périmètre.

Dans l’article 16, il est fait mention d’« agent public », ce qui peut entraîner quelques confusions. La navette parlementaire pourrait être l’occasion d’améliorer et de préciser cette rédaction.

Le nombre de responsables publics concernés chaque année est assez limité, de l’ordre d’une centaine – il n’est qu’à s’appuyer sur les données des années précédentes.

La transmission à la HATVP ne présente pas de difficulté d’examen. Sur ces questions, nous avons identifié une véritable zone de risque. J’ai déjà pris l’exemple d’un responsable de cabinet de conseil qui prend un poste à l’Élysée et qui fait venir ce même cabinet de conseil pour réorganiser le service dont il a la responsabilité : voilà une réelle zone de risques.

Nous avons besoin de prévenir de telles situations par une transmission pour avis à la HATVP, afin qu’elle détermine la liste des exclusions nécessaires et se donne les moyens du contrôle.

Une telle mesure nous paraît tout à fait proportionnée et réalisable.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Dans son rapport, la commission des lois fait mention d’agent public. À mon sens, il y a bien un véritable problème de rédaction, puisque l’article 16 concernerait l’ensemble des agents publics.

Quant au cas particulier de recrutement par l’Élysée que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, il n’aurait pas été remis en cause par la HATVP et aucun conflit d’intérêts n’a été mis en lumière. (M. Arnaud Bazin manifeste sa circonspection.)

Ce cas particulier, dont nous avons déjà discuté en amont de ce texte, n’aurait pas été visé par le dispositif proposé, j’ai eu l’occasion de le vérifier.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 41.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 16.

(Larticle 16 est adopté.)

Chapitre V

Assurer une meilleure protection des données de l’administration

Article 16
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Article 18

Article 17

I. – Les données que le prestataire et les consultants collectent auprès de l’administration bénéficiaire ou des tiers avec qui ils échangent pour les besoins de leur prestation sont utilisées dans le seul objectif d’exécuter cette même prestation. Toute utilisation pour une autre finalité est interdite.

Le prestataire et les consultants suppriment ces mêmes données dans un délai d’un mois à l’issue de la prestation.

II. – Le I ne s’applique pas aux données publiées par l’administration bénéficiaire ou par les tiers mentionnés au même I.

III. – Lorsque l’administration bénéficiaire ou les tiers mentionnés au I ont un doute sur le respect du présent article, ils peuvent saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés peut procéder aux contrôles prévus à l’article 19 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, y compris pour des données qui n’ont pas de caractère personnel.

IV. – Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. – (Adopté.)

Article 17
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Article 19

Article 18

I. – (Supprimé)

II. – Pour participer à la procédure de passation d’un contrat de la commande publique pour une administration bénéficiaire, le prestataire de conseil produit les conclusions d’un audit de sécurité réalisé par un tiers prestataire d’audit de sécurité des systèmes d’information qualifié conformément au référentiel établi par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, attestant d’un niveau minimal de sécurité.

III. – Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.

M. le président. L’amendement n° 23, présenté par Mme Duranton, MM. Patriat, Richard, Mohamed Soilihi, Théophile, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, MM. Dagbert, Dennemont, Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch et Mme Schillinger, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après le mot :

publique

insérer les mots :

qui nécessite un haut niveau de sécurité des systèmes d’information

La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Cet amendement vise à limiter l’obligation de réaliser un audit de sécurité aux seuls contrats de la commande publique nécessitant un haut niveau de sécurité des systèmes d’information.

Nous souhaitons ainsi assurer la compatibilité de l’article 18 avec les directives européennes relatives à la passation des concessions et des marchés publics qui prévoient que les exigences en matière de recevabilité et de sélection des candidatures ne sont destinées qu’à garantir qu’un candidat ou un soumissionnaire dispose de la capacité juridique et financière, ainsi que des compétences techniques et professionnelles nécessaires à l’exécution du contrat.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. L’adoption de cet amendement aiderait les cabinets de plus petite taille, qui ne disposent pas toujours des ressources financières nécessaires pour mener les audits en sécurité informatique exigés : avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 18.

(Larticle 18 est adopté.)

Chapitre VI

Appliquer la loi aux prestations en cours

Article 18
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 19

I. – La présente loi s’applique aux prestations de conseil en cours à la date de sa promulgation, sous réserve des dispositions suivantes :

1° Le code de conduite prévu au II de l’article 9 est rédigé dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi ;

2° Les déclarations d’intérêts des prestataires de conseil et des consultants, prévues à l’article 10, sont adressées à l’administration bénéficiaire dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi.

II. – Les prestations de conseil à titre gracieux, en cours à la date de promulgation de la présente loi, cessent de plein droit, à l’exclusion des actions menées au profit des personnes morales relevant des catégories mentionnées à l’article 238 bis du code général des impôts.

III. – L’article 16 s’applique aux avis rendus par la Haute Autorité de la transparence de la vie publique à compter de la promulgation de la présente loi.

M. le président. L’amendement n° 42, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Cet amendement vise à supprimer l’article 19, qui ne me paraît pas conforme au droit régissant la relation contractuelle. L’article 2 du code civil dispose en effet que « la loi ne dispose que pour l’avenir » et qu’« elle n’a point d’effet rétroactif. »

Lorsque votre assemblée, en 2017, a examiné le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, vous avez réaffirmé la protection constitutionnelle des contrats en cours. Adopter l’article 19 remettrait en cause cette protection constitutionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Le débat est là depuis le début, mais nous souhaitons que ce texte s’applique, notamment aux accords-cadres de l’UGAP et de la DITP, alors même que le premier vient d’être renouvelé et que le second est en passe de l’être.

Ces accords-cadres représentent des sommes significatives et ne peuvent être ignorés : pour la DITP, il s’agit de 150 millions d’euros hors taxes entre 2023 et 2027, avec un plafond de 200 millions d’euros. Il serait donc excessif d’attendre l’expiration de ces accords-cadres, dans quatre ans, pour que la proposition de loi puisse s’appliquer pleinement.

De plus, l’absence d’application immédiate aurait pour conséquence une rupture d’égalité entre les prestations de conseil se rattachant à un accord-cadre et celles qui auraient été contractées hors accord-cadre.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 42.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 19.

(Larticle 19 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 19
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nicole Duranton, pour explication de vote.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, au nom du groupe RDPI, saluer la qualité de nos débats.

Je me réjouis de constater que l’objectif visé par la proposition de loi fait largement consensus sur les travées de notre assemblée. Les modifications apportées au texte initial vont dans le bon sens, à commencer par celles relatives à son champ d’application.

Parmi les autres avancées figure l’interdiction pour l’administration d’attribuer une adresse électronique aux consultants. Je mentionnerai également l’obligation pour les prestataires de conseil de produire les conclusions d’un audit attestant d’un niveau minimal de sécurité.

En ce qui concerne les mécanismes de transparence et de contrôle déontologique, des ajustements sont nécessaires, pour ne pas dire indispensables. Nous regrettons donc que nos amendements n’aient pas été adoptés. Nous regrettons également le rejet des amendements présentés par le Gouvernement.

À l’instar du ministre, nous souhaitons que la proposition de loi chemine. Nous sommes en effet convaincus que la navette permettra de trouver un point d’équilibre et d’aboutir à un dispositif effectif et proportionné. Elle sera aussi l’occasion de trancher la question des modalités d’inclusion des collectivités territoriales dans le champ d’application du texte.

Vous l’avez dit, madame la rapporteure, le débat de ce soir est un point d’étape, et non d’aboutissement. Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Nous pouvons être satisfaits du travail qui a été fait, non seulement en commission, mais aussi au cours de ces débats.

Merci, monsieur le ministre, d’avoir mentionné à plusieurs reprises la navette, ce qui nous donne beaucoup d’espoir sur le suivi des dispositions que nous nous apprêtons à voter et sur leur avenir parlementaire. Il est incontestable que la navette sera nécessaire pour rendre ce texte meilleur et plus précis.

Je regrette que nous n’ayons pas voté l’amendement n° 11 de Guy Benarroche qui visait à interdire les prestations ayant pour objet la rédaction d’études d’impact et d’exposés des motifs. Il s’agit pourtant d’un sujet très important, en ce qu’il touche à une délégation de ce qu’il y a de plus régalien dans nos ministères : la rédaction des projets de loi. Je comprends bien les propos de Jean-Pierre Sueur sur les études d’impact. Mais en ce qui concerne l’exposé des motifs, quand on sait que les cabinets d’avocats n’offrent strictement aucune garantie sur les liens d’intérêts, pour ne pas dire les conflits d’intérêts, il faudra creuser le sujet au cours de la navette.

Nous nous reverrons donc pour évoquer ces questions. Nous aborderons également, dans le cadre du projet de loi de finances, que nous examinerons dans quelques jours, le sujet d’un jaune ou d’un orange budgétaire sur les prestations de conseil.

En attendant, nous voterons ce texte avec enthousiasme. (M. Guy Benarroche applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Le groupe Les Républicains votera ce texte.

On m’indique que la mesure proposée par M. Benarroche, dans son amendement n° 11, relèverait d’une loi organique. Plusieurs sujets restent à approfondir pour parfaire et polir cette proposition de loi. Nous faisons confiance à la navette pour y parvenir.

Le principal est que l’esprit et l’architecture de la proposition de loi ont été conservés. Un État qui serait aveugle en matière de déontologie serait en danger, comme je l’ai déjà souligné. Lorsque ces dispositions auront été définitivement adoptées et stabilisées, les administrations s’en porteront mieux, car elles seront sécurisées dans leurs rapports avec les cabinets de consultants. De même, les ministres n’en seront que plus sereins.

Nous avons fait un travail intéressant sur le fond, totalement transpartisan, tout en préservant l’esprit et les objectifs de cette proposition de loi, que nous voterons donc avec beaucoup de satisfaction. (M. Marc Laménie applaudit.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 6 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 331

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
 

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 19 octobre 2022 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

De seize heures trente à vingt heures trente :

(Ordre du jour réservé au GEST)

Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues (texte n° 872, 2021-2022) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme (texte de la commission n° 16, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 19 octobre 2022, à deux heures dix.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER