Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Guillaume Gontard. … en faveur de ce symbole politique extrêmement fort qui rayonnera partout dans le monde, en faveur de cette protection juridique suprême. Oui, c’est notre combat. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)

Mme le président. Je remercie les orateurs de bien vouloir respecter leur temps de parole.

La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, au cours d’un mandat, il y a des prises de parole plus importantes que d’autres, il y a des textes que l’on aborde avec le sentiment que nos mots comptent davantage. Cette proposition de loi constitutionnelle en fait partie.

Le groupe RDPI a, dans sa majorité, cosigné ce texte et, s’il est unanimement attaché au droit des femmes à l’IVG et à son plein accès, c’est en tant que cosignataire que je m’exprime aujourd’hui.

Je viens d’un territoire – la Guadeloupe – où le taux d’avortement, trois fois supérieur à la moyenne hexagonale, est le plus élevé de France. On ose à peine imaginer ce qu’un recul de ce droit pourrait y provoquer.

La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons cet après-midi vise à protéger et à garantir ce droit fondamental en l’inscrivant dans la Constitution. Nous l’abordons alors que l’issue de nos débats ne fait guère de doute, même si je souhaite me tromper.

Mais puisqu’il s’agit de prendre rendez-vous, j’aimerais revenir sur les arguments avancés par la commission des lois pour justifier le rejet du texte.

Le premier, d’ordre politique, consiste à dire que le droit à l’IVG n’est pas menacé en France. Il ne l’est pas, en effet, si l’on considère les professions de foi des principaux partis politiques ou même l’attachement des Françaises et des Français à ce droit.

En cela, mes chers collègues, nous vous rejoignons. La vraie question, cependant, est de savoir si le droit à l’IVG sera menacé demain. Cette menace existe aujourd’hui aux États-Unis et, plus près de nous, en Pologne, en Hongrie et même en Italie.

Cette menace, nous la retrouvons dans les propos, actuels ou passés, de responsables politiques qui, s’ils ne s’opposent pas frontalement à l’IVG ou à la contraception, cherchent insidieusement à en écarter les femmes.

C’est ce constat, que nous sommes nombreux à partager sur ces travées et dans notre pays, qui nous amène à contester le deuxième argument soulevé par la commission.

La semaine dernière, elle a estimé qu’une modification de la Constitution ne s’imposait pas et qu’il s’agissait d’une mesure « purement proclamatoire et symbolique » qui ne permettait pas « d’apporter une réponse aux difficultés d’accès à l’IVG ».

Soit. Mais l’enjeu n’est pas ici de renforcer un droit ni même de le rendre plus effectif. Il s’agit d’empêcher un retour en arrière en cas de changement de majorité politique. Peut-être est-ce de la politique-fiction, mais l’actualité nous montre chaque jour que la fiction peut devenir soudainement réalité.

Il s’agit de rehausser le niveau de protection d’un droit, qui fait désormais pleinement partie de notre contrat social, justement consacré par la Constitution, et de rendre plus difficile une régression que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne saurait interdire.

Aucune loi fondamentale ne protège aujourd’hui dans le monde le droit des femmes à avorter. En constitutionnalisant le droit à l’IVG, notre pays ferait également œuvre de pionnier. Fidèle à sa vocation universaliste, il enverrait un message fort aux pays où le droit à l’avortement n’existe pas et un message clair aux pays où ce droit est aujourd’hui bafoué.

Je terminerai en rappelant que la constitutionnalisation du droit à l’IVG ne serait pas exclusive de son inscription dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que, aux côtés du Président de la République, nous appelons de nos vœux.

C’est dans la perspective de ces combats que nous serons nombreux, au sein du groupe RDPI, à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, je m’attacherai tout d’abord, madame la rapporteure, à évoquer votre rapport.

Selon vous, l’IVG ne fait l’objet d’aucune remise en cause aujourd’hui en France. Je ne partage pas votre sérénité.

Les courants hostiles à l’IVG n’ont jamais désarmé depuis 1975. Ils disposent de moyens financiers considérables, drainés à l’international, s’appuient sur des institutions puissantes, comme la Fondation Jérôme Lejeune, sont hyperactifs sur le net et capables d’organiser, comme il y a quinze jours, des manifestations de 600 personnes à Lyon, ce que je prends très au sérieux.

Aujourd’hui, c’est vrai, ils n’ont pas, ou peu, de relais affichés dans le monde politique. Mais, d’autres collègues l’ont dit avant moi, qui gouvernera la France dans cinq ans ? Je n’en sais rien ; je sais, en revanche, que le risque d’une coalition autour de l’extrême droite n’est pas exclu.

J’observe que partout où des conservateurs, des réactionnaires, des populistes d’extrême droite sont au pouvoir, le droit à l’IVG est leur cible et l’hostilité aux droits des femmes est leur étendard.

Je ne crois pas, en effet – Mélanie Vogel a eu la gentillesse de me citer précédemment –, à une quelconque exception française de l’extrême droite en la matière. Et, pour tout vous dire, ce n’est pas l’intervention de notre collègue, représentant de ladite extrême droite au Sénat, qui m’a rassurée sur ce point…

Vous dites que notre proposition de loi importe des débats des États-Unis. Mais point n’est besoin d’aller si loin ! D’autres l’ont dit avant moi : au sein de l’Union européenne, Malte, la Pologne, la Hongrie et maintenant l’Italie sont dirigés par des formations politiques hostiles à l’IVG et élues sur ces programmes d’hostilité.

Quant à la Suède, déjà la nouvelle coalition y a indiqué vouloir mettre un terme à la « diplomatie féministe ». Nous les surveillons avec beaucoup de vigilance.

Vous affirmez que le Sénat est attaché aux lois Veil et Neuwirth. Permettez-moi, madame la rapporteure, de souligner que votre attachement est tout de même assez minimaliste…

Depuis 1975, la loi Veil a été modifiée sept fois, ce que vous avez d’ailleurs rappelé comme étant un acquis collectif. Or vous et vos prédécesseurs vous y êtes systématiquement opposés, et ce encore voilà dix-huit mois, lorsqu’il s’agissait de voter la loi Gaillot. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

Si l’on vous avait écoutés, l’IVG ne serait toujours pas remboursée : en 1982, la loi Roudy a été rejetée par le Sénat. Les femmes devraient toujours prouver qu’elles sont réellement en détresse. Les mineures devraient toujours obtenir l’autorisation de leurs parents. Et je ne suis même pas certaine que la pilule du lendemain serait en vente libre…

Vous êtes terriblement prévisibles : quelle que soit la question, dès lors qu’il s’agit d’améliorer l’accès à l’IVG, la réponse est non.

Enfin, je dirai quelques mots sur la phrase, maintes fois entendue, selon laquelle il ne faudrait modifier la Constitution que d’une main tremblante.

Depuis 2011, le groupe Les Républicains du Sénat a déposé dix propositions de loi constitutionnelle.

M. Philippe Bas. Excellentes !

Mme Laurence Rossignol. Votre main ne tremble donc pas toujours ! Et sous les présidences Chirac et Sarkozy, il y a eu pas moins de cinq réformes constitutionnelles.

Le vote que nous allons émettre tout à l’heure n’est pas destiné à enrichir les chroniques de droit constitutionnel. C’est un vote politique. Que la proposition de loi soit adoptée ou rejetée, le Sénat enverra un signal… et ce ne sera pas le même.

Si nous l’adoptons, nous sécurisons davantage l’avenir et nous envoyons un message aux femmes et aux progressistes qui revendiquent d’affronter l’adversaire de leur liberté.

Si le Sénat rejette ce texte, personne ne retiendra vos subtilités juridiques. Tous les adversaires des libertés des femmes, tous ceux qui préfèrent les avortements clandestins au droit de choisir, se sentiront plus forts parce que moins seuls et appuyés par une puissante institution : la nôtre.

Et ils reviendront, car l’IVG est le totem des réactionnaires, des conservateurs, des néofascistes, de tous ceux qui s’opposent à l’émancipation des femmes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Il y a huit jours, nous étions là, au même endroit, ensemble, pour témoigner de notre solidarité avec les femmes iraniennes. (M. Stéphane Ravier sexclame.) Et nous étions unanimes.

J’ai dit, ce jour-là, que nous devions combattre avec la même détermination tous les intégrismes et les totalitarismes religieux, tous ceux qui prétendent que des lois de Dieu sont supérieures à celles des hommes. Il n’y a pas de différence entre le fait d’obliger les femmes à dissimuler leur corps et celui de leur interdire de choisir quand et avec qui elles seront mères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Qui sont les activistes anti-IVG ? Qui sont-ils, ces militants qui veulent empêcher les femmes d’avorter, qui veulent nous renvoyer aux avortements clandestins ? Civitas, Laissez-les vivre, Les Survivants et d’autres : ce sont tous des militants intégristes et traditionalistes chrétiens, catholiques ou évangéliques, qui clament leur hostilité à la liberté des femmes.

Il n’y a pas plus de liberté pour les femmes dans les idéologies religieuses qui leur imposent le port du foulard islamique que dans celles qui leur refusent le droit à l’avortement ou à la contraception.

Mme Laurence Rossignol. Voilà ce que nous voulons faire avec cette proposition de loi : protéger les droits des femmes et dire clairement à ceux qui refusent les valeurs de la République que, dans la confrontation avec les intégristes de tout poil, à la fin, grâce à nous, c’est toujours la République qui gagne !

Enfin, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, bien sûr, vos deux interventions nous ont confortés. Mais prenez la main ! Si vous considérez que les rédactions présentées ne sont pas bonnes, proposez-en une autre.

Vous aussi auriez pu amender, madame la rapporteure. Il n’est pas rare, en effet, que vous amendiez des propositions de loi de l’opposition… (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

Déposez un projet de loi ! Épargnez-nous ces aller et retour, ces votes aléatoires. Dites que le Gouvernement ne soutient pas simplement le Parlement, mais qu’il veut que le droit à l’IVG soit constitutionnalisé ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE, RDPI et INDEP. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir inscrit dans sa niche parlementaire cette proposition de loi, cosignée par 114 sénatrices et sénateurs, dont les membres de mon groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Cette volonté de constitutionnaliser le droit à l’IVG n’est pas nouvelle. Cela fait dix ans, depuis 2012, que le parti communiste défend cette idée. Mon groupe avait déposé une proposition de loi en ce sens dès 2017 – avant même le récent arrêt de la Cour suprême des États-Unis. Et faute d’avoir pu l’inscrire dans notre espace réservé, nous avions proposé un débat sur ce thème, qui s’était tenu dans cet hémicycle.

Avions-nous tort de vouloir protéger davantage ce droit ? Nos craintes face à la montée de mouvements conservateurs et réactionnaires étaient-elles infondées, exagérées ? Malheureusement non ! Je ne redonnerai pas la liste des pays qui, depuis, ont pris ou prennent un chemin inquiétant, mais personne ne peut affirmer ici que le monde actuel s’apaise et va vers un renforcement des droits des femmes.

Avec cette proposition de loi, importe-t-on, comme cela a été reproché en commission des lois, un débat lié notamment à l’organisation constitutionnelle propre aux États-Unis ?

Mes chers collègues, en France, pays des Lumières, des droits de l’homme, il me semble que des signes concrets et inquiétants existent ; et nous venons d’en avoir encore une preuve…

De la Manif pour tous aux groupes pro-choix, aux mensonges déversés sur internet pour culpabiliser et détourner les jeunes femmes de leur projet d’avortement, en passant par l’élection récente de 89 députés de la droite extrême, la remise en cause du droit à l’IVG est constante et s’inscrit dans un tout cohérent d’atteintes aux libertés individuelles. D’autant que l’on ne peut ignorer la fermeture de 58 centres d’interruption volontaire de grossesse (CIVG) en 2018, après celle de 130 d’entre eux de 2000 à 2010.

À cette casse organisée s’ajoute le manque de gynécologues, qui renforce les difficultés d’accès à l’IVG. Je pourrais aussi citer l’existence de la double clause de conscience ou encore la non-parution des décrets autorisant les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales.

Ainsi en France, le droit à l’IVG est sans cesse menacé, malgré quelques récentes dispositions législatives favorables, obtenues contre l’avis de la majorité sénatoriale – je pense particulièrement à la loi Gaillot.

Maîtriser le corps des femmes, vieille lune du patriarcat, est un enjeu de pouvoir. Sinon, comment comprendre que ce droit soit remis en cause partout ? Toutes ces attaques sont révélatrices du fait que les femmes sont toujours considérées comme des êtres mineurs qu’il faut encadrer, contrôler, car elles ne peuvent décider seules.

Alors que le droit à l’IVG est inscrit dans le code de la santé publique, la question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : ce droit chèrement conquis par la lutte des féministes, des progressistes, a-t-il besoin d’être protégé ? Au regard des quelques éléments que je viens de citer, cela ne fait aucun doute. La question de l’inscription dans la Constitution est donc en réalité secondaire et ne peut servir de prétexte pour ne pas soutenir ce texte.

De quoi avez-vous peur, mes chers collègues ? De dénaturer notre Constitution ? Je remarque que celles et ceux qui s’opposent à la constitutionnalisation du droit à l’IVG et à la contraception, sous le prétexte juridique qu’elle ne serait pas nécessaire, sont les mêmes qui s’opposent systématiquement au renforcement de ce droit et, d’une manière plus générale, à la conquête de nouveaux droits pour les femmes.

Depuis des années et aujourd’hui encore, que cela vous plaise ou non, les femmes veulent maîtriser leur fécondité et choisir ou non de mener à bien une grossesse. « Notre corps, nos choix, nos droits ! », disent-elles.

Mes chers collègues, il est l’heure de regarder objectivement ce qui se passe en France, à l’aune de ce que l’on observe également en Europe ou dans le monde. Ne croyons pas que nous vivions dans un État de droit qui serait meilleur et plus solide qu’ailleurs – le garde des sceaux l’a souligné. Utilisons, au contraire, tous les outils à notre disposition pour renforcer notre législation actuelle face à un droit de toute part menacé.

Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Laurence Cohen. Cinquante ans après le procès de Bobigny, agissons tant que nous le pouvons, pour ne pas dire un jour : « Si on avait su ! » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Michel Dagbert applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la volonté d’inscrire l’interruption volontaire de grossesse et la contraception dans le marbre constitutionnel n’est pas nouvelle : pas moins de six propositions de lois ont été déposées entre fin juin et début septembre 2022 sur les bureaux des deux assemblées.

C’est bien évidemment l’actualité américaine qui nous fait siéger cet après-midi.

M. Xavier Iacovelli. Et l’Italie, la Pologne, la Hongrie ?…

M. Loïc Hervé. C’est même l’actualité d’une juridiction, la Cour suprême des États-Unis, pays dans lequel un revirement de jurisprudence, l’arrêt Dobbs v. Jackson Womens Health Organization est venu, cette année, modifier l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973, qui avait accordé une protection fédérale à l’avortement sur le fondement du quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis.

Cet amendement dispose notamment qu’aucun État « ne privera quiconque de la vie, de la liberté ou de la propriété, sans procédure légale régulière ». Désormais, aux États-Unis, la question de l’avortement est redevenue une compétence des États fédérés.

Chère collègue Mélanie Vogel, vous avez commencé votre intervention en disant que la Constitution fonderait le contrat social. C’est confier à notre texte fondamental une fonction qui ne peut évidemment pas être la sienne…

Je m’explique : si votre proposition de loi était adoptée dans les mêmes termes au Sénat puis à l’Assemblée nationale, et enfin par une ratification populaire par référendum, c’est le Conseil constitutionnel qui deviendrait l’instance en charge de veiller à la portée du texte constitutionnel lui-même.

Cela revient à risquer de déposséder la représentation nationale de la capacité de modifier les règles qui encadrent l’IVG et la contraception. Depuis 2008, le Conseil constitutionnel peut être saisi de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui permettraient de rendre contraires à la Constitution des dispositions législatives plus anciennes encore. C’est donc à des membres nommés par le Président de la République, par le président du Sénat et par celui de l’Assemblée nationale qu’il reviendrait d’en décider, qu’ils soient davantage conservateurs ou progressistes, avec, par principe, l’absence de tout contrôle démocratique sur cette institution.

Notre pays, conformément à l’article 1er de la Constitution est une République indivisible : le législateur dispose d’une plénitude de compétence et les lois s’appliquent de la même manière à chacun de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national. À cet égard, aucune comparaison avec les États-Unis n’est possible. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Rossignol. Et avec l’Italie ?

M. Loïc Hervé. Je voudrais revenir sur deux lois qui définissent aujourd’hui l’accès à l’IVG et à la contraception.

La première est la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse – portée par Simone Veil, alors ministre de la santé, et dont les liens avec le groupe Union Centriste ne sauraient être remis en cause –, qui est venue encadrer une dépénalisation de l’avortement. Depuis, les conditions de son application n’ont jamais cessé d’évoluer – remboursement de l’IVG, possible accès d’une femme mineure sans le consentement d’un adulte, suppression des notions de « situation de détresse » et de « délai obligatoire de réflexion ».

La seconde est la loi du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du code de la santé publique, portée par Lucien Neuwirth. Depuis lors, l’accès à la contraception a, lui aussi, évolué considérablement au fil des années.

Il semble important de rappeler qu’aucun parti politique n’a jamais appelé à remettre en cause l’IVG dans son principe, et encore moins la contraception.

Nous sortons tout juste d’échéances électorales majeures. Or nous n’avons entendu aucun candidat à l’élection présidentielle, y compris aux extrêmes de l’échiquier politique, remettre en cause les acquis des lois Veil et Neuwirth.

Mme Laurence Rossignol. Mais bien sûr, ils ne sont pas dangereux…

M. Loïc Hervé. Autrement dit, le risque politique que vous invoquez en France, en 2022, n’existe pas, et c’est tant mieux.

Notre collègue Mélanie Vogel y a insisté en commission : ce serait justement parce que ce droit n’est pas encore menacé qu’il faudrait modifier notre norme fondamentale ; après, « il serait trop tard »… Cet argument ne m’a bien évidemment pas convaincu.

Par ailleurs, mes chers collègues, n’oublions pas le vrai sujet. Je vous le dis en tant que membre de la délégation sénatoriale aux droits de femmes, dans un contexte de désertification médicale, l’accès à l’IVG est rendu parfois très difficile, notamment parce qu’il n’est pas évident d’obtenir les rendez-vous médicaux obligatoires. Les plus touchées sont les femmes originaires des territoires ruraux. Si ce droit existe, il n’est pas appliqué de manière pleine et entière sur l’ensemble du territoire.

Avant de nous interroger sur la nécessité, avant tout symbolique, d’une inscription dans la Constitution, nous devons nous préoccuper – et le Gouvernement aussi ! – de l’effectivité de l’application de la loi.

Il est vain d’inscrire ce droit dans la Constitution si, au quotidien, dans l’ensemble de nos territoires, certaines de nos compatriotes ne peuvent in concreto s’en prévaloir.

Notre commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes du Sénat se sont intéressées à ces complexités. Elles estiment que ces sujets reposent avant tout sur l’organisation du système de soins et sur des mesures concrètes relevant du pouvoir réglementaire, ce qui dépasse largement ce débat relatif à une révision constitutionnelle.

En respectant les collègues de mon groupe qui ont cosigné cette proposition de loi constitutionnelle, ainsi que tous ceux qui s’apprêtent à voter ce texte, le groupe Union Centriste, dans sa majorité, suivra les conclusions de Mme la rapporteure Agnès Canayer et ne soutiendra pas l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Xavier Iacovelli. Eh bien, ce n’est pas beau !

M. Loïc Hervé. Mais c’est mon droit…

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte pour la légalisation de l’IVG a été d’abord incarnée par Gisèle Halimi, signataire du « manifeste des 343 salopes ». Ces Françaises courageuses ont alors publiquement assumé leur avortement, malgré les poursuites pénales encourues. S’ensuivit le procès de Bobigny, en 1972, qui bouleversa l’opinion et ouvrit la voie, trois ans plus tard, à la fameuse loi défendue par Simone Veil, dont je salue l’œuvre et la mémoire.

Nous ne voulons pas d’un retour en arrière. Nous sommes probablement quelques-unes dans cette assemblée à avoir avorté. Même aujourd’hui, nous n’osons pas le dire ouvertement en raison des convenances qui régissent encore notre milieu. J’en fais partie.

En revanche, notre tour est venu de protéger nos filles, nos sœurs et nos concitoyennes en leur garantissant formellement le droit de choisir leur maternité. Sans souffrance, sans honte ni culpabilité. Nous voulons librement disposer de notre corps. Aux hommes, la société accorde bien le privilège de choisir leur paternité, y compris le droit de reconnaître ou non leur enfant. Pourquoi la sexualité féminine devrait-elle toujours être contrôlée ?

Le contexte social est particulièrement difficile, et l’extrême droite ne cesse de gagner du terrain. La menace d’un Donald Trump français à l’Élysée, dans quelques années, n’est pas illusoire.

Il nous faut donc légiférer sans plus attendre. Pour empêcher qu’un jour la majorité au pouvoir puisse décider de revenir sur ce droit fondamental, sans qu’il y ait face à elle une véritable armure constitutionnelle.

Je tiens à saluer l’initiative parlementaire de ma collègue Mélanie Vogel et des cosignataires de ce texte, qui nous donne l’occasion de débattre de ce sujet, et porte le droit à l’avortement et à la contraception jusqu’au sommet de notre ordre juridique.

Nous connaissons tous ici la difficulté que poserait l’organisation d’un référendum si une telle proposition de loi était adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres, particulièrement en cette période politique instable. J’appelle donc l’exécutif à se saisir de ce texte et à le faire sien en présentant un projet de loi.

Je profite également de cette intervention pour demander au Président de la République de faire transférer la dépouille de Gisèle Halimi au Panthéon. Son combat a contribué à changer la vie de millions de Françaises ; sa place est auprès de Simone Veil. (Applaudissements sur des travées des groupes GEST et SER.)

Mme Laurence Rossignol. Très bien ! Bravo !

Mme le président. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Madame le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, faut-il inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution ? Est-ce nécessaire et utile pour garantir son accès aux femmes ?

À part quelques groupuscules, personne dans notre pays ne remet en cause cette liberté des femmes, pas plus que la loi Veil. On compte ainsi 220 000 IVG par an en France, pour 700 000 naissances.

L’inscription de ce droit dans la Constitution est une fausse bonne idée, pour ne pas dire une fausse protection.

C’est un principe général qui serait inscrit dans la Constitution : « Les femmes ont le droit d’avorter. » Mais les modalités resteraient définies par une loi qui pourrait en restreindre les contours actuels. Par ailleurs, s’il est plus compliqué de modifier la Constitution qu’une loi, c’est pour autant possible ; nous l’avons déjà vu.

J’ajoute, en tant que médecin, élue locale et parlementaire, défenseur convaincu et déterminé des droits des femmes et de l’IVG, que bien des droits humains nécessitent d’être protégés, que bien des nobles causes et des grands principes méritent d’être sanctuarisés. Comment peut-on imaginer les faire entrer tous dans la Constitution ? Et qui peut déterminer une priorité ? Je pense, par exemple, à l’inceste…

Un texte utile ? Encore moins ! Il est peut-être même dangereux. S’il devait y avoir référendum, campagne et débats, les répercussions pourraient être malheureuses, inattendues, imprévisibles pour les femmes, (Mme Laurence Rossignol le conteste.) à l’heure où notre démocratie est fatiguée, où le socle de notre vie commune est malmené.

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, n’est-ce pas avoir peu confiance en l’avenir de notre démocratie ? Avez-vous si peur de 2027 ? (Oui ! sur des travées du groupe SER.)

La seule véritable garantie que nous ayons quant au maintien de ce droit consiste à protéger, à animer notre vie démocratique, à éduquer nos enfants à la démocratie, au vote, au respect de l’autre, à la protection des plus fragiles. Seuls le populisme, l’ultra-conservatisme, les dérives autoritaires, les gouvernements rétrogrades conduisent à une régression démocratique et menacent le droit à l’avortement. Notre vrai combat est là.

Si l’on observe le monde, en quoi la Constitution serait-elle un obstacle pour les ennemis de la démocratie et des droits des femmes ? Il y a une naïveté à le penser, et peut-être une fausseté politique à prétendre le contraire. Or il faut se parler vrai et juste.

Sanctuariser le droit à l’IVG passe par la préservation de nos institutions – très différentes de celles des États-Unis, par exemple – et de notre démocratie.

Y a-t-il quelque chose à faire ? Oui !

Une loi doit être assortie d’une obligation de moyens. Il faut soutenir les plannings familiaux, promouvoir les médecins et les infirmiers scolaires, lutter contre la sous-densification médicale et les inégalités territoriales : une maternité qui ferme, c’est potentiellement aussi un centre IVG qui disparaît.

Dans une scène du film Simone, on voit Simone Veil, ministre de la santé, refuser d’entrer dans une chambre vide, « de faire semblant » en adoptant des postures purement symboliques. Quelle leçon !

Les femmes méritent en effet mieux qu’« un faire semblant », qu’une inscription dans la Constitution « au cas où » qui ne serait en réalité qu’un faux-semblant.

Oui, il faut prévenir et protéger. Il faut prévenir nos jeunes, garçons et filles, en leur dispensant une éducation sexuelle sérieuse.

Il faut protéger les femmes, en permettant un égal accès à l’IVG pour toutes dans des conditions médicales correctes, par des professionnels formés et à leur écoute. Cela consiste aussi à les accompagner « dans l’après », avec une prise en charge adaptée.

Voilà ce qui servirait réellement la cause des femmes, voilà ce que nous sommes en droit d’exiger, voilà ce que nous sommes en droit d’obtenir ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)