Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

climat social

M. Jean-Claude Requier ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Jean-Claude Requier.

pouvoir d’achat, mobilisation sociale et budget

M. Daniel Breuiller ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Daniel Breuiller.

blocages dans les raffineries et les centrales nucléaires

M. Claude Malhuret ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre.

meurtre de lola à paris

M. Bruno Retailleau ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Bruno Retailleau.

aides à l’industrie automobile française

M. Loïc Hervé ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Loïc Hervé.

défense de la souveraineté industrielle de la france dans les secteurs stratégiques

Mme Marie-Noëlle Lienemann ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; Mme Marie-Noëlle Lienemann.

revenu de solidarité active

M. Michel Dagbert ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

hausse des salaires

Mme Monique Lubin ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion ; Mme Monique Lubin.

mobilisation interprofessionnelle et hausse des salaires

Mme Anne Chain-Larché ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion ; Mme Anne Chain-Larché.

finances locales et inflation

M. Rachid Temal ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Rachid Temal.

coût de l’énergie pour les collectivités territoriales

M. Thierry Meignen ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

aides à la voiture électrique française

M. Patrick Chauvet ; M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports ; M. Patrick Chauvet.

remboursement des prêts garantis par l’état

M. Vincent Segouin ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications ; M. Vincent Segouin.

qualité de l’air et décision du conseil d’état

Mme Angèle Préville ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

situation en arménie

Mme Valérie Boyer ; Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Valérie Boyer.

réforme du lycée et enseignement des mathématiques

Mme Laure Darcos ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

3. Mises au point au sujet de votes

4. Demande de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi

5. Communication d’un avis sur un projet de nomination

6. Rappels au règlement

M. Patrick Kanner

M. Guillaume Gontard

7. Droit fondamental à l’IVG et à la contraception. – Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale :

Mme Mélanie Vogel, autrice de la proposition de loi constitutionnelle

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances

Question préalable

Motion n° 1 de M. Stéphane Ravier. – M. Stéphane Ravier ; Mme Mélanie Vogel ; Mme Agnès Canayer, rapporteur ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux ; M. Xavier Iacovelli ; M. Philippe Bas : M. Loïc Hervé. – Rejet par scrutin public n° 7.

Discussion générale (suite)

M. Stéphane Artano

Mme Muriel Jourda

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Guillaume Gontard

M. Dominique Théophile

Mme Laurence Rossignol

Mme Laurence Cohen

M. Loïc Hervé

Mme Esther Benbassa

Mme Marie Mercier

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Philippe Bas

Vote sur l’ensemble

M. Éric Kerrouche

Mme Michelle Meunier

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

M. Philippe Bas

M. Stéphane Ravier

Mme Laurence Rossignol

M. Max Brisson

Mme Laurence Cohen

M. François-Noël Buffet

M. Xavier Iacovelli

Mme Michelle Gréaume

Rejet, par scrutin public n° 8, de la proposition de loi constitutionnelle.

Suspension et reprise de la séance

8. Évolution de la formation de sage-femme. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé

Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Else Joseph

Mme Colette Mélot

Mme Monique de Marco

M. Xavier Iacovelli

Mme Émilienne Poumirol

Mme Laurence Cohen

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Stéphane Ravier

Mme Guylène Pantel

M. Bruno Belin

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er, 1er bis, 2, 3 et 4 – Adoption.

Article 5 (suppression maintenue)

Vote sur l’ensemble

M. Laurent Burgoa

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’invite chacun à observer le respect des uns et des autres et celui du temps de parole.

climat social

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la Première ministre, après la crise des « gilets jaunes » et la pandémie de covid-19, qui a mis à l’arrêt le monde durant deux années, notre pays est confronté depuis plusieurs mois à un nouveau choc économique majeur, avec l’explosion des coûts de l’énergie et, plus largement, de très fortes hausses du prix des matières premières et de l’alimentation.

Cette accélération de l’inflation, en partie importée, frappe désormais toute notre économie et le quotidien de nos compatriotes, engendrant de fortes tensions sociales dans de nombreux secteurs.

Les revendications de revalorisation salariale sont bien sûr légitimes, dans un contexte inflationniste auquel nous n’étions plus habitués. Nous devons entendre ceux qui demandent une répartition plus juste de la valeur ajoutée à laquelle ils contribuent et une rémunération digne de leur travail.

La solidarité doit aussi continuer à s’exercer envers les plus fragiles.

Dans ce climat social tendu, le dialogue et la négociation doivent demeurer les outils de la sortie de crise, en particulier dans les raffineries et les transports publics. Les revendications sont connues et ont pu s’exprimer ; elles ne peuvent cependant plus justifier un blocage indéfini de notre économie, au risque de pénaliser des millions de personnes et d’entraîner le pays dans une boucle de récession.

Nous savons, madame la Première ministre, la volonté de votre gouvernement d’œuvrer pour le pouvoir d’achat et le niveau de vie des Français. Mais nous comptons aussi sur la responsabilité des entreprises pour répondre sur le long terme aux attentes des salariés.

Madame la Première ministre, comment envisagez-vous maintenant d’agir pour répondre aux attentes de nos compatriotes ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP. – M. Michel Canévet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président Requier, vous êtes l’élu d’un département où la voiture n’est pas un luxe : c’est une nécessité pour le travail, pour le quotidien. Et je sais votre attention particulière à tous nos compatriotes qui veulent vivre de leur travail, qui s’inquiètent face à la montée des prix, qui subissent de plein fouet les tensions d’approvisionnement dans les stations-service et craignent le blocage du pays.

Monsieur le président Requier, ces préoccupations, ce sont aussi les nôtres. Certains cultivent les inquiétudes et veulent les changer en colère ; tout comme vous, monsieur le président, nous voulons y répondre, apaiser le pays et rassembler les Français.

Aussi, pour protéger nos compatriotes face à l’inflation, nous avons pris, dès le précédent quinquennat, des mesures fortes avec un bouclier tarifaire en octobre 2021.

En juillet, vous avez voté des textes d’urgence en faveur du pouvoir d’achat.

Plus récemment, j’ai annoncé la prolongation des boucliers tarifaires et le maintien jusqu’à mi-novembre de la remise de 30 centimes sur les carburants.

Ce sont les mesures les plus protectrices d’Europe et nous avons l’inflation la plus basse de la zone euro.

Mais je garde une conviction, une conviction que nous avons en commun sur bon nombre de ces travées, une conviction partagée par nos compatriotes : le pouvoir d’achat durable viendra du travail.

Alors, concernant particulièrement les salaires, vous le savez, notre pays dispose d’un système unique au monde de revalorisation automatique du Smic. De ce fait, celui-ci a augmenté de 8 % en un an, c’est-à-dire plus que l’inflation, qui est autour de 6 %.

Cette augmentation doit conduire, en conséquence, à une revalorisation des grilles salariales dans les différentes branches professionnelles.

La dynamique est lancée puisque, depuis le début de l’année, plus de 500 accords de branche sur les salaires ont été signés. (M. David Assouline sexclame.)

Mais, au-delà, je l’ai dit, je le crois et je le répète : les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires.

M. David Assouline. Pas de 49.3 pour elles ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Elles le doivent d’autant plus dans le contexte d’inflation, et elles ont une responsabilité particulière si elles ont réalisé plus de profits, malgré le contexte.

Plusieurs sénateurs du groupe SER. Des superprofits !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Pour y parvenir, des négociations doivent se tenir dans les branches et dans les entreprises, et elles doivent avoir lieu rapidement, car, j’en suis convaincue, la solution vient toujours du dialogue social ; le blocage, le refus de la discussion par une minorité ou la grève préventive ne sont jamais les solutions.

Je pense ici à tous les Français qui rencontrent encore aujourd’hui des difficultés pour trouver du carburant. Heureusement, la situation s’améliore, mais nous serons mobilisés jusqu’à un retour à la normale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.

M. Jean-Claude Requier. La France rurale et la France périphérique, sans transports collectifs suffisants, ont besoin pour se déplacer de voitures. Et les voitures, sauf celles qui fonctionnent à l’électricité, ont besoin d’essence. Il faut approvisionner les stations-service. Dans cette France-là, la voiture est indispensable et, contrairement aux centres-villes qui la bannissent, son usage est apprécié et le mot « bagnole » n’y est pas un gros mot ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

pouvoir d’achat, mobilisation sociale et budget

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Breuiller. Madame la Première ministre, ma question est simple : travaillons-nous pour rien ? Conseil national de la refondation (CNR), travail transpartisan, Dialogues de Bercy : votre gouvernement multiplie les annonces et les rendez-vous dits « de concertation ». Mais, en même temps, vous laissez planer, depuis plusieurs mois, la menace du recours, éventuel, potentiel, à l’article 49.3 de la Constitution. Et, cela, sur les sujets essentiels de la vie des Françaises et des Français : les retraites, l’assurance chômage, le projet de loi de finances.

Cette conception de la démocratie est déroutante, surtout dans ce contexte de crises multiples et d’inquiétudes grandissantes des citoyens comme des collectivités.

Les mobilisations contre la vie chère, l’inaction climatique ou pour la hausse des salaires montrent bien les attentes de nombre de nos compatriotes.

Les députés ont, en responsabilité face aux besoins de justice sociale et écologique, largement amendé le projet de loi de finances. C’est leur rôle. Des consensus ont été trouvés. Par exemple, pour que MaPrimeRénov’ finance davantage des rénovations globales que des petits travaux ; ou encore pour taxer à 35 % les superdividendes.

Je pense également au crédit d’impôt pour le reste à charge de tous les résidents en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Madame la Première ministre, alors que vous choisissez d’écourter les débats au moyen du 49.3, prenez-vous l’engagement de présenter au Sénat le projet de loi de finances enrichi par le travail parlementaire de nos collègues députés ?

Pouvez-vous nous assurer que nous ne travaillons pas pour rien et nous confirmer que les amendements sénatoriaux n’ont pas également vocation à disparaître dans les poubelles de tri présidentielles ? Ou bien, précisez-nous, le cas échéant, s’il faut désormais soumettre nos amendements directement au Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Daniel Breuiller, je vous remercie de votre question. Merci, d’abord, d’avoir souligné en préambule la démarche qui est celle du Gouvernement depuis des mois, désormais, celle de la concertation, de la main tendue (Rires ironiques sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.), de la volonté farouche de travailler en commun et d’arriver à trouver, au-delà des clivages politiques traditionnels, des voies, des chemins de crête pour pouvoir travailler ensemble à l’intérêt général de notre pays.

Il en est ainsi avec l’examen du budget. Vous l’avez souligné, l’Assemblée nationale en est au huitième jour de l’examen de sa première partie : les débats sont riches, ils sont passionnants, évidemment passionnés. Certains consensus ont pu être trouvés et le Gouvernement, par la voix de la Première ministre, a déjà annoncé que, quelle qu’en soit l’issue, il s’engageait à reprendre un certain nombre d’amendements venant à la fois des groupes de la majorité et des rangs des oppositions et ayant permis d’enrichir le texte.

Mme Éliane Assassi. Reprenez-les tous !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Madame la sénatrice, si nous devions reprendre la totalité des amendements des oppositions qui ont été adoptés, j’ai fait le compte : à l’heure à laquelle je vous parle, nous en serions à 8 milliards d’euros de surdépenses, 8 milliards qui ne sont pas financés, 8 milliards qui correspondraient ou bien à de la dette supplémentaire pour notre pays, ou bien à des impôts supplémentaires pour les Français ! (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE et Les Républicains.)

M. Didier Marie. Huit milliards, c’est la CVAE !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Or, si le chemin du dialogue est réel et si la volonté de trouver des compromis, je le répète, est permanente, nous ne rognerons pas un certain nombre de principes chers au Président de la République, à la Première ministre et à cette majorité : il n’y aura pas de hausses d’impôts, il n’y aura pas de hausse de la dette (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.), nous ne détricoterons pas l’ensemble des mécanismes qui ont permis à notre pays de retrouver son attractivité et sa richesse en cinq ans et nous ne renierons pas les engagements qui ont été pris par le Président de la République lors de la dernière campagne présidentielle et pour lesquels il a été élu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.

M. Daniel Breuiller. Monsieur le ministre, retenez nos propositions comme la taxation des superprofits. La démocratie sans dialogue social et sans Parlement, ce n’est plus tout à fait la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

blocages dans les raffineries et les centrales nucléaires

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Claude Malhuret. Madame la Première ministre, les idées des cégétistes, si j’ose accoler ces deux mots (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.), sont simples : Total ne nous accorde que 8 %, vengeons-nous sur les Français, ouvriers bloqués dans les queues des stations-service, infirmières en panne et leurs patients qui attendront, artisans aux chantiers suspendus.

Le syndicalisme trash, c’est ça : des salariés payés le double de la moyenne qui empêchent les autres de travailler et qui, en plus, prétendent les défendre. (Ouh ! sur les travées du groupe CRCE. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

À tous ceux tentés de croire à cette arnaque, je voudrais rappeler ce dicton : « On finit toujours par payer le joueur de pipeau. »

Le comble du cynisme, c’est quand on apprend que ces grèves n’ont rien à voir avec le pouvoir d’achat, mais que c’est Règlements de comptes à CGT Corral ! (Mme Laurence Cohen sexclame.) Les durs de la « fédé » Chimie, mécontents que Martinez, fidèle à sa conception de la démocratie, ait nommé tout seul sa successeure qu’ils trouvent trop molle, déclenchent la grève pour le déstabiliser. Pour les faire taire, il en rajoute dans la radicalité. Sur le dos des Français, comme toujours.

Personne n’est dupe et l’automne chaud que nous promettent les agents d’ambiance de l’agit-prop piétine. Les grèves sont condamnées par une majorité de Français,…

Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas vrai !

M. Claude Malhuret. … la journée d’hier fut un échec, comme le fut dimanche la marche des groucho-marxistes de la Nupes emmenés par le Che Guevara de Nation-Bastille. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

La prochaine étape est encore plus obscène. La récession guette la planète, le prix de l’énergie met des usines à l’arrêt, les Français vont avoir froid cet hiver, mais la même CGT, pour la plus grande joie de Poutine, empêche la maintenance des centrales nucléaires qui nous permettraient de surmonter la coupure du gaz russe. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Madame la Première ministre, vous avez commencé de prendre les réquisitions qui s’imposent. Pouvez-vous nous assurer que vous continuerez à prendre toutes les mesures nécessaires pour que 90 personnes ne puissent interdire à la moitié de la France de se déplacer et que quelques centaines d’autres ne puissent empêcher nos concitoyens de se chauffer au cœur de l’hiver ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président Malhuret, le conflit social chez Total et Esso a des répercussions dans tout notre pays et touche le quotidien de millions de Français.

Comme vous, monsieur le président, j’entends et je partage les préoccupations de nos concitoyens, qui craignent de ne pas avoir de carburant pour aller travailler, de ne plus voir leur aide à domicile qui ne peut plus circuler, ou de devoir renoncer à retrouver leurs proches pendant les vacances de la Toussaint.

Pour eux, nous devions agir fort et vite. En lien avec le Président de la République, le Gouvernement est totalement mobilisé et je réunis quotidiennement une cellule interministérielle de crise pour coordonner l’action des services de l’État.

Dès les premiers jours de la grève, nous avons pris des mesures pour augmenter les livraisons de carburant dans les stations-service. Nous avons notamment libéré des stocks stratégiques de l’État, nous avons augmenté les importations, nous avons autorisé l’ouverture des dépôts et les livraisons le week-end.

Ces mesures ont eu des effets importants sur les livraisons de carburant et, ces derniers jours, celles-ci étaient jusqu’à deux fois plus nombreuses qu’en temps normal.

Mais, compte tenu des inquiétudes des Français face au risque de pénurie, nous avons assisté à une augmentation de la demande plus forte que cette augmentation des livraisons. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. C’est la faute des Français…

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Aussi, il était essentiel de sortir du conflit social. Je me suis impliquée personnellement pour que le dialogue social ait lieu chez Esso et chez Total. Dans ces deux entreprises, des accords ont pu être signés avec des syndicats représentant une majorité de salariés.

Quand il y a un accord majoritaire, le travail doit reprendre ! Une minorité ne peut pas, ne doit pas bloquer le pays. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et UC.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux préfets de réquisitionner, dans certains dépôts, les personnels nécessaires à leur fonctionnement. Aujourd’hui, avec la fin du conflit social chez Esso et l’ensemble des mesures prises par le Gouvernement, la situation continue à s’améliorer nettement.

Sur le plan national, ce matin, 20 % des stations étaient en rupture sur au moins un produit ; elles étaient 30 % ce week-end.

Puisque la situation peut être contrastée selon les territoires, je voudrais souligner que la situation s’améliore partout. Dans les Hauts-de-France, on était à 55 % de stations en rupture il y a une semaine ; nous sommes aujourd’hui à 15 %. En Île-de-France, la situation s’améliore également, le taux de stations bloquées ayant diminué de 8 points. Dans votre région, en Auvergne-Rhône-Alpes, le déblocage du dépôt de Feyzin permet des améliorations sensibles : depuis hier matin, nous sommes passés de 36 % à 26 % de stations en rupture.

Mme Anne Chain-Larché. Tout va bien !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je sais que la situation est encore difficile pour beaucoup de nos compatriotes, mais la dynamique est là et je veux une nouvelle fois appeler les salariés grévistes à reprendre le travail. Il est inacceptable qu’une minorité bloque un pays. De notre côté, monsieur le président Malhuret, nous continuerons à agir jusqu’au retour à la normale. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

meurtre de lola à paris

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Madame la Première ministre, depuis dimanche dernier, la France est sous le choc : Lola (Murmures sur des travées des groupes SER, GEST et CRCE.), une jeune fille de 12 ans, a été sauvagement agressée. Elle est morte, agressée par une ressortissante algérienne qui n’aurait pas dû être sur le sol français.

Depuis dimanche, des voix s’élèvent pour que d’autres voix se taisent, pour imposer le silence, pour bâillonner le débat. Mais l’essence même de la démocratie, mes chers collègues, précisément, c’est le questionnement, c’est le débat.

Le meurtre de Lola me rappelle un autre meurtre, qui m’avait touché personnellement. Le meurtrier, à l’époque, était depuis plus de dix ans en situation irrégulière sur le sol de France. Bien que frappé par trois obligations de quitter le territoire français (OQTF), il n’avait pas été expulsé, il n’était pas non plus en prison ; d’une santé mentale précaire, il n’était pas davantage en hôpital psychiatrique. Et il avait incendié la cathédrale de Nantes !

Vous voudriez que nous nous taisions, madame la Première ministre. Ce sont les Français qui réclament des comptes. Il faut l’admettre : le désordre migratoire peut tuer. (Murmures sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.) Si cette Algérienne n’avait pas été sur le sol français, Lola serait encore en vie.

M. Xavier Iacovelli. Récupération !

M. Bruno Retailleau. J’ai une double question à vous poser.

Premièrement, reconnaissez-vous des défaillances de l’État, une part de responsabilité ?

M. Xavier Iacovelli. Quand a lieu le congrès de LR ?

M. Bruno Retailleau. Deuxièmement, que dites-vous aux Français pour que ces tragédies et ces drames ne se reproduisent plus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président Retailleau, je crois qu’en politique, quelles que soient les circonstances, nous devons toujours faire le choix de la dignité. (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes RDPI, GEST, SER, CRCE, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Une jeune fille de 12 ans a été tuée dans des conditions effroyables. Une famille, des amis, des voisins, un collège sont en deuil et tout le pays partage leur émotion.

M. Philippe Pemezec. La faute à qui ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C’est pour les parents de Lola que je veux avoir mes premiers mots. Le Président de la République a eu l’occasion de les recevoir hier (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.) et de leur dire toute l’émotion et la solidarité de la Nation.

Je souhaite de nouveau dire à cette famille, au nom du Gouvernement et, j’en suis sûre, en votre nom à tous, notre plein soutien.

Monsieur le président Retailleau, savez-vous ce qu’ont demandé les parents de Lola ? Du respect, la paix pour la mémoire de Lola et qu’on les laisse faire leur deuil dans la dignité. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Et alors ? Cela n’a rien à voir !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Nous le leur devons.

Je le dis franchement : je crois que la dignité nous commande de ne pas exploiter la douleur indicible d’une famille (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, GEST, SER, CRCE, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.), de ne pas utiliser la mort d’une enfant à des fins politiciennes. (Mêmes mouvements.)

M. Max Brisson. C’est indigne !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Ce que nous devons à la mémoire de Lola et à toute sa famille, c’est la justice. Une enquête a été immédiatement lancée et les services de police ont pu identifier et interpeller des suspects en quelques heures. Deux personnes ont été mises en examen par les juges d’instruction et l’une d’elles se trouve en détention provisoire. L’enquête se poursuit aujourd’hui pour déterminer précisément les faits.

Un sénateur du groupe Les Républicains. Et l’OQTF ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Et il y a une autre chose à laquelle je crois profondément, monsieur le président Retailleau : c’est l’indépendance de l’autorité judiciaire. Je n’ai donc pas d’autre commentaire à faire : laissons les enquêteurs travailler, laissons les membres de la famille de Lola faire leur deuil en paix. Nous leur devons justice, ils l’auront, et c’est la République qui la rendra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER.)

M. Max Brisson. Quel rapport ?

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.

M. Bruno Retailleau. Madame la Première ministre, vous vous trompez en réduisant la mort de Lola à un simple fait divers. (Mme Patricia Schillinger sexclame.)

Voyez-vous, je pense que la politique se diminue quand elle refuse le débat ; je pense que la politique ne peut pas se contenter de pleurer sur les conséquences, elle doit dénoncer aussi clairement les causes, elle doit affronter la réalité pour que ces meurtres ne se reproduisent plus.

M. Bruno Retailleau. Madame la Première ministre, vous êtes une responsable publique, et chaque responsable public doit avoir le courage d’affronter la réalité et doit protéger les Français avec une politique qui ne s’abandonne pas justement au laxisme et au laisser-faire migratoire. (Protestations sur les travées des groupes RDPI et SER.) Vous devez prendre des décisions, tout de suite, pour aujourd’hui et pour demain. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

aides à l’industrie automobile française

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ou plutôt à M. le ministre délégué chargé de l’industrie…

Le Mondial de l’Auto a été l’occasion d’annonces politiques d’importance pour continuer d’accompagner la filière vers sa transformation, qu’il s’agisse d’un entretien du Président de la République dans Les Échos ou des propres déclarations du ministre Bruno Le Maire.

La filière automobile française dans son ensemble, des donneurs d’ordres aux sous-traitants, est un fleuron qu’il nous faut savoir préserver malgré les contraintes considérables auxquelles elle se trouve confrontée : coût de l’énergie, compétitivité, normes, etc.

Le virage de l’électrification va nécessiter en soi des évolutions majeures de l’outil de production. Après les différentes vagues du plan de relance, de nouvelles aides sont prévues.

Dans mon département de Haute-Savoie, singulièrement dans la vallée de l’Arve, l’industrie du décolletage est au cœur de ces enjeux avec quelques entreprises de taille intermédiaire (ETI), mais surtout une myriade de PME qu’il faut accompagner une par une, avec les meilleures chances d’être aidées.

Monsieur le ministre, pouvez-vous garantir que les aides pourront bien aller aux entreprises qui les méritent ?

Comment envisagez-vous de garantir l’accès équitable à ces aides pour toutes les entreprises sans qu’elles aient l’obligation implicite d’avoir recours à des cabinets de « chasseurs de primes » dont les rémunérations sont indécentes et qui amoindrissent d’autant le montant de ces aides ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Loïc Hervé, votre question tombe bien puisque cette semaine commence le Mondial de l’Auto, le premier depuis quatre ans et le seul salon de ce type en Europe, auquel il faut ajouter le salon Équip Auto. Toute la filière, constructeurs et équipementiers, est donc réunie porte de Versailles.

Je vous engage à vous y rendre à vos moments perdus (Murmures sur des travées des groupes UC et Les Républicains.), parce que c’est toute l’industrie automobile française qui y brille.

Un sénateur du groupe Les Républicains. Surtout la Chine !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Vous l’avez dit, le Gouvernement a accompagné cette filière dans ce moment difficile qu’a été la crise de la covid-19. Le plan France Relance, c’est environ 750 millions d’euros pour l’industrie automobile.

Avec Bruno Le Maire, je me suis rendu dans votre département il y a quelques semaines – vous étiez là. Celui-ci a été le premier à être accompagné, avec 54 millions d’euros d’argent public, qui ont permis d’engager 125 millions d’investissements dans la filière du décolletage.

Nous allons poursuivre dans cette voie, et nous allons même accélérer. Vous disiez que l’objectif est la préservation de la filière. J’irai plus loin : l’objectif est de la développer, de s’assurer que l’industrie automobile prenne le virage de l’électrification en toute souveraineté, par la réindustrialisation de nos territoires et en développant ces filières qui en ont bien besoin.

Vous l’avez dit, pour cela, il faut accompagner toute la filière, y compris les « petits » sous-traitants, qualificatif que je n’apprécie pas beaucoup, parce que, s’ils sont petits par la taille, ils ont néanmoins une très grande importance pour celle-ci, notamment chez vous. Il faut également s’assurer que les 5 milliards d’euros de France 2030 destinés à accompagner la filière, dont 1 milliard d’euros dédiés à la sous-traitance, puissent aussi bénéficier aux petites et moyennes entreprises.

Je n’ai évidemment pas à décider, à la place des entrepreneurs, s’il leur faut recourir ou non aux services d’un cabinet de conseil pour demander telle ou telle aide. Mais ce que je peux vous dire, c’est que nous souhaitons que les appels d’offres soient simples, accessibles et qu’on puisse même, sur le terrain, prévoir un accompagnement public des entreprises pour y répondre. On s’appuiera notamment sur les chambres de commerce et sur les pôles de compétitivité pour que les entreprises, petites, moyennes ou grandes, puissent profiter à plein de France 2030. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.

M. Loïc Hervé. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais ça tombe mal : le pôle de compétitivité de la vallée de l’Arve a été politiquement assassiné il y a quelques mois ! Il n’existe donc plus !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Les chambres de commerce !

M. Loïc Hervé. Restent les chambres de commerce, vous avez raison, mais la structuration collective dans la vallée de l’Arve et en Haute-Savoie reste quelque chose de très important.

Apprenons de ce qui s’est passé ces dernières années avec les trois vagues du plan de relance et moralisons l’octroi des aides pour permettre à toutes les entreprises d’en percevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

défense de la souveraineté industrielle de la france dans les secteurs stratégiques

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le ministre de l’industrie, en quelques semaines, deux fleurons de notre industrie aéronautique et spatiale sont passés sous pavillon américain, devenant la propriété de la même société Heico : d’une part, la société Exxelia, qui intervient dans l’aéronautique, le spatial, l’armement, mais aussi le médical – qui plus est, celle-ci devrait bénéficier du programme France 2030 – ; d’autre part, la société Trad, spécialisée dans la technologie des tests et analyses des effets des radiations sur les matériaux et composants électroniques, fondamentale pour la recherche spatiale, les avions de haute altitude et l’armement, entre autres.

Comment ne pas voir qu’il s’agit de secteurs de haute technologie, essentiels pour l’autonomie stratégique de la France et qui concourent à notre souveraineté industrielle ? Comment pouvez-vous laisser faire cela ?

Doit-on revoir le sinistre scénario consécutif aux décisions d’Emmanuel Macron de vendre à l’américain General Electric les turbines fabriquées par Arabelle, essentielles pour les centrales nucléaires ? Nous devons aujourd’hui les racheter au double du prix de vente, et sans en récupérer les brevets. C’est une perte d’emplois, d’argent et de savoir-faire… Vous auriez dû vous en souvenir !

Monsieur le ministre délégué, pourquoi n’avez-vous pas déclenché les dispositifs du décret Montebourg permettant au Gouvernement de contrôler les investissements étrangers dans les secteurs clés en France ? Que comptez-vous faire pour qu’Exxelia et Trad restent françaises ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Madame la sénatrice Lienemann, ce que vous appelez le décret Montebourg est en réalité la procédure de contrôle des investissements étrangers en France, qui a été élargie et renforcée lors du mandat précédent, à la suite d’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet à l’Assemblée nationale, car j’y étais, à l’époque, président la commission des affaires économiques, et rapporteur général sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte).

Nous avons élargi les secteurs concernés. Nous avons également renforcé la procédure de contrôle du Parlement sur les investissements étrangers en France. Un rapport vous est envoyé une fois par an. Il vous permet de connaître le nombre d’investissements concernés et le nombre de ceux qui ont fait l’objet d’autorisations sous conditions. En 2021, sur 328 dossiers soumis à la procédure dite Montebourg, 124 ont été autorisés, dont 67 sous conditions.

Aller plus loin supposerait de mettre en cause le secret des affaires, voire le secret de la défense nationale. Pour pallier ce défaut, nous avons voté dans le cadre de la loi Pacte – là encore – une disposition permettant l’examen, sous le sceau du secret, de certains cas particuliers, par les présidents des commissions des affaires économiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, et par les rapporteurs généraux du budget.

Pour cette raison, je ne peux commenter en détail les cas particuliers que vous mentionnez.

Pour autant, sachez que nous examinons les dossiers des entreprises Exxelia et Trad au regard des intérêts stratégiques de la Nation, de la souveraineté industrielle et des enjeux de secret-défense, et nous continuerons de le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Hussein Bourgi. Pour quels résultats ?

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la réplique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nos concitoyens ne comprennent rien.

Nous laissons partir deux fleurons français – vous êtes ministre délégué auprès du ministre de la souveraineté industrielle, tout de même ! – alors que nous savons qu’un débat a eu lieu, notamment sur le cas d’Exxelia : vous n’avez pas trouvé au cours d’un premier tour de table d’actionnaire français – ce n’est pas un secret d’État, puisqu’on peut le lire dans tous les journaux de France et de Navarre !

Nous aimerions vous croire, mais nous voyons s’aggraver la perte de souveraineté industrielle du pays. Pouvez-vous nous garantir que l’État protégera Exxelia et Trad grâce à des capitaux majoritairement français ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – M. Philippe Pemezec applaudit également.)

revenu de solidarité active

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Michel Dagbert. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

Monsieur le ministre, si depuis 2004 les départements assurent, avec le concours de l’État, le versement de l’allocation aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), l’exercice de cette compétence a été – et demeure – au cœur de bien des discussions entre les départements et les gouvernements successifs.

Les départements sont chargés de l’accompagnement social et/ou professionnel de chaque bénéficiaire. Cette politique publique participe – c’est heureux – à la cohésion sociale dans le pays.

Sans remettre en cause la détermination des conseillers départementaux et le professionnalisme de leurs équipes et en leur reconnaissant un certain nombre de réussites, il faut noter que, en dépit de la baisse significative du chômage, une longue liste de propositions d’emploi reste non pourvue.

Les métiers concernés sont divers : serveurs de cafés-restaurants, agents d’entretien, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), aides à domicile, aides ménagères, voire professionnels de l’animation socioculturelle.

C’est suffisant pour réinterroger légitimement l’adéquation entre les parcours d’insertion proposés et la réalité du marché de l’emploi.

Monsieur le ministre, je sais que quelques départements se sont portés volontaires pour réaliser une expérimentation à ce sujet. Toutefois, celle-ci fait craindre à une importante association du secteur social une réforme qui, selon elle, s’apparente à un « retour du servage ».

N’ayant aucun doute sur la volonté qui vous anime en la matière, pouvez-vous, monsieur le ministre, devant mes collègues de la chambre haute, préciser les contours de cette évolution des politiques d’insertion et nous en donner le calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Monsieur le sénateur Dagbert, pendant la campagne de l’élection présidentielle de 2022, le Président de la République, alors candidat, a réinterrogé les modalités du RSA et la réussite de cet outil, héritier du revenu minimum d’insertion (RMI), créé en 1988 dans le but – c’est une fierté de notre modèle social – d’accorder et d’apporter un revenu minimum à celles et à ceux qui se trouvent sans revenus.

Aujourd’hui, les résultats en matière d’insertion professionnelle et de retour à l’emploi ne sont pas satisfaisants, comme l’a montré la Cour des comptes dans son rapport public sur le revenu de solidarité active publié en janvier 2022, car 42 % des bénéficiaires du RSA, sept ans après, le sont encore, soit de façon permanente, soit de façon discontinue, mais très régulière. De même, sept ans après leur entrée dans le RSA, seuls trois bénéficiaires sur dix ont retrouvé un emploi et seul un sur dix a retrouvé un emploi stable.

Cette situation nous oblige à agir. Nous pouvons continuer de penser que la société est quitte de son devoir de solidarité une fois qu’elle a attribué une indemnité d’un peu moins de 600 euros à une personne dépourvue de revenus.

Notre conviction toutefois est que la société sera quitte de son devoir de solidarité lorsqu’elle aura permis de retrouver un emploi – de recevoir de nouveau un revenu –, car c’est un élément d’émancipation, d’autonomie et de dignité.

C’est ce que nous favorisons au moyen d’un accompagnement plus intensif des bénéficiaires du RSA. Soyons clairs, il s’agit non pas de travail gratuit ni de bénévolat obligatoire – je tiens à le souligner, car ces idées ne correspondent pas à notre modèle –, mais de formation, d’accompagnement et de remobilisation collective et individuelle.

Le RSA est un droit inconditionnel – le Président de la République l’a dit –, pour tous ceux qui sont privés de revenus. Le devoir de la puissance publique est de garantir une offre d’insertion et de formation adaptée et personnalisée, sur l’ensemble du territoire. Lorsque ces deux conditions sont remplies, ceux qui bénéficient du RSA doivent s’inscrire – c’est une logique de droits et de devoirs – dans des parcours de retour vers l’emploi et d’insertion par l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

hausse des salaires

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Madame la Première ministre, le prix du gazole dépasse 2 euros par litre, les tarifs des différentes sources d’énergie augmentent considérablement, les produits de première nécessité, tels que les pâtes ou le beurre, voient leur prix augmenter de 22 % à 47 %, et la liste de tout ce qui concourt à la vie quotidienne des Français est longue…

Une partie d’entre eux n’aura d’ailleurs pas d’autres choix que de se priver dans les semaines à venir… Nous savons tous qui seront les premiers à sacrifier des biens pourtant indispensables à une vie « décente ».

Vous répondez à cette situation par des primes aléatoires, de la défiscalisation, de la désocialisation d’heures supplémentaires, des rachats de RTT et par d’autres mesures encore qui n’impliquent que les salariés.

Vous refusez obstinément de satisfaire notre demande – et surtout celle des salariés –, de prendre l’initiative d’un grand débat sur les salaires. Les salariés ne demandent pas l’aumône : ils veulent vivre de leur travail !

Vous ne cessez de rappeler l’importance de la valeur travail – souvent d’ailleurs pour stigmatiser ceux qui en sont privés. Nous rétorquons : pas de valeur travail, sans travail de valeur !

La valeur d’un travail se mesure notamment à l’aune de sa rémunération. Depuis 2008, le salaire des 10 % des personnes les mieux payées a augmenté trois fois plus vite que celui des 10 % les moins rémunérées. Le travail du patron d’une enseigne de la grande distribution vaut-il 300 fois plus que celui de sa caissière ?

Il est temps de parler du partage de la masse salariale dans les entreprises. Quand mettrez-vous en œuvre une conférence nationale afin d’aborder, enfin, tous ces sujets et de soutenir, par là même, tous les salariés de France ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail du plein emploi et de l’insertion.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Madame la sénatrice, vous avez commencé votre question en rappelant le contexte inflationniste, mais vous auriez pu faire le même constat que nous : nous sommes le pays d’Europe qui, par les mesures mises en place – le bouclier tarifaire sur les dépenses énergétiques et les aides apportées aux ménages –, a réduit le plus possible l’inflation.

Cette dernière s’élève à environ 6,5 % – c’est beaucoup, car c’est le taux le plus haut que nous ayons connu depuis 1985 –, ce qui ne représente que la moitié du taux d’inflation que connaissent nos voisins européens. Cela montre que la politique que nous menons protège les Français.

Vous nous appelez à augmenter les salaires. Notre conviction est que l’augmentation globale des salaires ne se décide pas par la loi, mais relève du dialogue social – j’y reviendrai.

Vous avez appelé de vos vœux, dans les débats, l’indexation du Smic sur les prix, mais elle ne concerne qu’une partie des salariés ! Notre position est d’encourager les branches et les entreprises au dialogue social. Dans le cadre de l’examen du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, le Parlement a voté des mécanismes permettant de faciliter l’ouverture des négociations dès lors qu’un des niveaux de rémunération conventionnels serait inférieur au Smic.

Vous avez parlé de certains outils – défiscalisation, désocialisation –, mais vous avez oublié de dire les efforts que nous faisons pour améliorer le partage de la valeur, pour faciliter les accords d’intéressement et pour que les primes – vous les qualifiez d’aléatoires, mais des millions de Français en bénéficient ! – soient elles aussi plus faciles à verser. Je vous assure que celles et ceux qui peuvent en bénéficier sont bien plus heureux que ne le laissent entendre les mots que vous employez pour les qualifier.

Vous avez dit que, depuis 2008 – cette date nous fait réfléchir sur la responsabilité des uns et des autres, tous confondus ! –, un écart croissant se serait creusé. Or, l’écart entre le premier et le dernier décile ne s’est pas creusé, grâce aux outils de redistribution dont notre pays dispose, car ils permettent de compenser les écarts entre les revenus primaires – c’est également un motif de fierté !

Dans quelques semaines, j’ouvrirai, sous l’autorité de la Première ministre, une négociation interprofessionnelle ayant pour objet le partage de la valeur. Ce sera une première. J’espère que vous utiliserez à meilleur escient l’énergie que vous mettez à critiquer la politique du Gouvernement, en accompagnant cette discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Pierre-Antoine Levi et Pierre Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.

Mme Monique Lubin. C’est au service des salariés que je continuerai à déployer mon énergie, monsieur le ministre !

Vos propos, dont certains éléments sont factuels, je vous l’accorde, ne sont à l’évidence pas entendus par la majorité des salariés, en dépit de ce que vous venez de dire. Ils ont besoin de cette conférence salariale pour que tous les entrepreneurs de France, à la mesure de leurs moyens et de la taille de leur entreprise, soutiennent leur pouvoir d’achat.

Je constate que vous êtes plus prompt à dégainer le 49.3 pour mettre fin à un débat budgétaire – pourtant riche, comme l’a rappelé M. Véran plus tôt –, qu’à donner suite au vœu exprimé depuis quelque temps maintenant par la majorité des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

mobilisation interprofessionnelle et hausse des salaires

M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Chain-Larché. Ma question s’adressait à Mme la Première ministre.

Madame la Première ministre, à vous entendre, tout va bien.

Or, les Français le constatent chaque jour, la France devient le pays de la pénurie ! Nous sommes en pénurie de médicaments, en pénurie de carburants et, confrontés à la grève, en pénurie de transports, alors même que la pénurie d’électricité est annoncée pour cet hiver !

Face à ces pénuries, nous faisons un terrible constat : le Gouvernement n’a rien anticipé ! Il aura fallu attendre quelques semaines avant de réquisitionner une partie du personnel de quelques raffineries seulement. Pour quel résultat ? Les Français font la queue, pendant des heures, devant les rares stations-service ouvertes.

La grève s’étend aux centrales nucléaires : onze sur dix-huit étaient touchées hier.

Si cette grève se poursuit, elle pourrait provoquer une terrible pénurie d’électricité, dont l’entreprise Réseau de transport d’électricité (RTE) redoute les « conséquences lourdes » pour cet hiver.

Qu’attendez-vous pour protéger les Français des pénuries dans ces secteurs stratégiques ? Vous faudra-t-il, comme pour les raffineries, attendre plusieurs semaines avant d’agir ? Allez-vous enfin réquisitionner toutes les raffineries ?

Allez-vous réquisitionner le personnel des centrales nucléaires ? (Murmures sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Allez-vous mettre en place un service minimum dans les transports, comme le prévoit la proposition de la loi de Bruno Retailleau votée au Sénat ? (Exclamations sur les mêmes travées.)

La situation exige des mesures fortes et du courage, mais en avez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Madame la sénatrice, pour avoir la chance d’accompagner Mme la Première ministre dans un certain nombre de rencontres avec les différents présidents de groupe parlementaire dans le cadre de la réforme des retraites,…

M. Bruno Retailleau. C’est relaté dans Le Canard enchaîné !

M. Olivier Dussopt, ministre. … je puis vous assurer que les partenaires sociaux qui participent aux négociations salariales dans les différents secteurs ne se posent pas la question de savoir si Mme la Première ministre a du courage : ils le constatent. Je puis témoigner des efforts qu’elle fait elle-même pour promouvoir ce dialogue. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Concernant les centrales nucléaires, comme dans l’ensemble des secteurs, nous encourageons la négociation. EDF doit ouvrir un cycle de négociations. Nous espérons qu’il soit de nature à dissuader les salariés de se mettre en grève pour assurer un bon fonctionnement de l’entreprise.

Concernant les réquisitions, je suis désolé de vous rappeler, madame la sénatrice, que nous sommes respectueux du droit de grève, garanti par la Constitution. La jurisprudence en la matière est claire : les réquisitions doivent être proportionnées, justifiées par un impératif d’urgence…

Mme Sophie Primas. Elle y est, l’urgence !

M. Olivier Dussopt, ministre. … ou de trouble à l’ordre public, et respectueuses de l’exercice du droit syndical. C’est ce que nous avons fait, en veillant à ce que les réquisitions auxquelles nous avons procédé dans les raffineries s’inscrivent parfaitement dans ce cadre. À ce titre, les tribunaux administratifs de Lille et de Rouen ont considéré que les décisions prises par le Gouvernement étaient conformes à la loi et qu’elles pouvaient ainsi s’appliquer.

S’affranchir de la règle de droit ou encore des principes constitutionnels, cela n’est pas possible ! Ce serait la meilleure façon d’être inefficace : les décisions seraient immédiatement censurées par le juge administratif. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour la réplique.

Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le ministre, l’impératif est là ! Il faut agir vite, car chaque jour de grève fait perdre plusieurs milliards d’euros à l’économie française. Cela vient creuser encore plus le trou abyssal de la dette !

En vérité, votre Gouvernement est débordé par ses contradictions, par son arrogance, par son déni de la réalité (Exclamations sur les travées du groupe RDPI.), par son incapacité à ressentir une quelconque empathie vis-à-vis des Français qui galèrent toujours plus dans notre pays où règne – excusez-moi de le dire –, la chienlit ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Nouvelles exclamations sur les travées du groupe RDPI.)

finances locales et inflation

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rachid Temal. Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, permettez-moi d’être ici, pour quelques instants, le porte-parole des régions, des départements, des intercommunalités, des villes et villages de notre pays.

Ces collectivités sont très durement affectées par l’inflation : leurs coûts sont multipliés par huit à ce jour. Or elles représentent, rappelons-le, 70 % des dépenses d’investissement public dans notre pays. Ainsi, sans leurs investissements, des pans entiers de notre économie s’effondreraient et des milliers d’emplois seraient détruits.

Nous travaillons tous, sur ces travées, au quotidien, avec les élus et les associations d’élus – nous étions dans le Val-d’Oise ce week-end, avec mes collègues ici présents. Nous constatons que, pour la première fois, ils n’arrivent pas à boucler leur budget.

Ils sont obligés de s’interroger, nous disent-ils, sur la fermeture de services et sur la suppression de postes. Nous ne pouvons qu’imaginer les Français qui, dans quelques semaines ou mois, en allant dans les piscines ou gymnases publics de leur commune, trouveront porte close, car les collectivités n’auront plus les moyens de les ouvrir.

Ma question est simple, monsieur le ministre : qu’entendez-vous modifier dans le projet de loi de finances pour 2023 pour que les collectivités territoriales puissent enfin fonctionner dignement et assurer leurs missions de service public ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Temal, les élus que vous avez croisés dans le Val-d’Oise,…

M. Rachid Temal. Comme ailleurs !

M. Christophe Béchu, ministre. … les membres du Gouvernement, les députés et les sénateurs des autres groupes les rencontrent aussi. Personne ne peut nier que le retour de l’inflation, à des niveaux que nous n’avions plus connus, même si elle est plus faible en France qu’ailleurs, ne nous aide pas à résoudre les équations dont nous parlons.

S’ajoute à cette question celle de l’énergie. Or je tiens à rappeler que les régions, les départements, les villes et les villages de ce pays, dont vous vous êtes fait le porte-parole, sont – je tiens à le rappeler – protégés par le bouclier tarifaire qui est le même que celui qui vaut pour les ménages. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. Jean-Raymond Hugonet. C’est de la flûte ! (Lorateur joint le geste à la parole.)

M. Laurent Duplomb. C’est faux !

M. Christophe Béchu, ministre. Premièrement, si l’inflation pèse sur les dépenses, elle contribue parfois aux recettes. La progression des recettes de TVA des régions s’élèvera à 9 % pour l’année en cours, la revalorisation des bases des impositions sera de plus de 1,2 milliard d’euros, et la revalorisation automatique sera plus forte encore l’année prochaine.

Deuxièmement, les collectivités locales ont déjà connu des difficultés à boucler leur budget lorsque les gouvernements que vous soutenez ont baissé de 11 milliards d’euros la dotation globale de fonctionnement (DGF), il y a quelques années. Pour la première fois depuis treize ans, le gouvernement dirigé par Élisabeth Borne propose de revaloriser le montant de la DGF de 200 millions puis de 320 millions d’euros – ces chiffres vous seront présentés dans quelques jours. (M. Emmanuel Capus applaudit.)

M. Christophe Béchu, ministre. Troisièmement, un filet de sécurité, autrement plus robuste que celui auquel vous avez contribué pendant l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR), sera inclus dans le projet de loi de finances (PLF) qui vous sera transmis. Ce n’est que la deuxième étape de notre grande bataille qui consiste à obtenir une baisse des prix de l’énergie et qui se joue demain et après-demain lors du Conseil européen.

Enfin, concernant l’établissement d’un dispositif de protection tarifaire pour les collectivités et les entreprises qui ne sont pas couvertes, à ce stade, par les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRV), nous agissons dans trois directions (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) : nous le défendons à l’échelle européenne, nous utilisons la contribution sur les rentes pour solvabiliser les dispositifs de compensation et nous prévoyons un filet de sécurité renforcé pour compenser le reste. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.

M. Rachid Temal. Monsieur le ministre, je ne suis pas certain que le maire Béchu tiendrait les mêmes propos que vous. J’ai bien indiqué dans ma question que je parlais pour tous les groupes, je crois que tous les sénateurs et toutes les sénatrices entendent parler des mêmes difficultés lorsqu’ils rencontrent les maires.

Vous nous parlez des villages – tant mieux ! –, mais les maires des villages, quand nous les rencontrons, nous disent la même chose.

Je rappelle que 45 millions de Français ne sont pas inclus dans vos mesures, ils vont donc également être pénalisés. On peut toujours tourner en rond…

Aujourd’hui, les associations d’élus proposent qu’il existe un bouclier fiscal pour l’ensemble des communes et qu’il n’affecte pas leur capacité d’investissement. Acceptez-vous ou non cette proposition ? De plus, se pose la question des bases locatives.

Vous nous parlez de mesures, mais je vous rappelle que vous supprimez la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)…

M. Laurent Duplomb. Très bien !

M. Rachid Temal. C’est 8 milliards d’euros en moins pour les collectivités ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)

coût de l’énergie pour les collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Thierry Meignen, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Thierry Meignen. Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la réponse que vous avez apportée à M. Temal ne nous satisfait pas.

Je vous rappelle que, à compter du 31 octobre, les contrats d’électricité et de gaz se termineront pour de nombreuses collectivités territoriales. Les nouveaux contrats devront être signés au 1er novembre, c’est-à-dire dans quelques jours, sous peine de coupure totale.

Les régions, départements et villes devront donc acheter l’électricité et le gaz au prix du marché, dans un contexte de flambée des prix de l’énergie. De nombreux élus locaux vous ont alerté sur ce point.

On annonce, chez nous, en Seine-Saint-Denis, des prix tout à fait insupportables : une multiplication par quinze du prix du gaz, par trente-deux du prix de l’électricité ! En Seine-Saint-Denis, comme partout en France, une commune moyenne passerait donc de 2 millions à 15 millions d’euros de dépenses d’énergie.

Comme vous en avez pris l’habitude, lorsqu’il s’agit des collectivités territoriales et des élus locaux, votre réponse n’est pas à la hauteur, monsieur le ministre. Le ministre chargé des comptes publics a proposé une aide de 438 millions d’euros – largement insuffisante. S’il avait ouvertement souhaité afficher son mépris pour les maires, il ne s’y serait pas pris autrement.

Cette aide ne s’appliquera qu’aux communes dont l’épargne brute s’est fortement dégradée ces dernières années. Comme d’habitude, vous avez choisi de sanctionner d’abord les bons élèves, c’est-à-dire les communes qui gèrent correctement l’argent de leurs administrés. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le ministre, vous demandez beaucoup d’efforts aux collectivités, aux entreprises, aux Français. Vous avez demandé aux salariés de porter des cols roulés dans les bureaux (Protestations sur les travées du groupe RDPI et au banc du Gouvernement.), vous avez demandé aux écoliers de grelotter dans leurs salles de classe, les Français ont consenti beaucoup d’efforts, ils en consentiront encore, mais ils ne doivent pas être les seuls !

Monsieur le ministre, que répondez-vous aux nombreux maires qui ne savent pas aujourd’hui comment ils feront face à la flambée des prix de l’énergie ? Doivent-ils sacrifier les services à la population pour payer leurs factures de gaz et d’électricité ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Férat et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Vous avez utilisé le mot de mépris, je ne l’aurais pas choisi ! Il existe plusieurs manières de mépriser les gens : être dans l’outrance, être dans la caricature (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, GEST, SER et CRCE.) et présenter les choses d’une manière totalement déviée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

Avoir un débat respectueux et fondé sur la réalité, oui, c’est possible ! Voici la réalité : pour la première fois depuis treize ans, la dotation globale de fonctionnement (DGF) a augmenté ! La DGF a été désindexée non pas par l’actuel Gouvernement (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.),…

M. Hussein Bourgi. Et l’inflation ?

M. Christophe Béchu, ministre. … mais d’abord par la majorité du Sénat qui se trouve à ma droite, ensuite par celle qui se trouve à ma gauche ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Revenons à la réalité, c’est nécessaire ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Concernant les tarifs d’électricité, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a présenté les tarifs cibles. Ainsi, leur multiplication par quinze ou par trente est en dehors de toute pratique. Dans ces cas-là, le conseil est de ne pas signer des contrats proposant des tarifs délirants, établis par des opérateurs qui profitent de la situation dans laquelle nous nous trouvons. (Exclamations sur de nombreuses travées. – M. Emmanuel Capus applaudit.)

M. Thierry Meignen. Qu’est-ce qu’on fait alors ?

M. Christophe Béchu, ministre. Faites votre part ! Je ne peux pas croire que vous passiez votre temps, dans vos départements, à relayer de fausses informations ou à alimenter des inquiétudes au lieu d’insister sur les dispositifs qui peuvent exister. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Vives exclamations, puis huées sur les travées des groupes Les Républicains, GEST, SER et CRCE.)

Plusieurs sénateurs du groupe SER. Pardon ?

M. Max Brisson. C’est honteux !

M. Hussein Bourgi. Allez sur le terrain !

M. Vincent Éblé. Venez parmi nous, monsieur le ministre !

M. Christophe Béchu, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, les choses sont très simples : dire au Sénat, en se faisant applaudir, que l’État ne donne pas assez pour les collectivités locales qui sont bien gérées par rapport à l’État qui l’est mal, voilà le succès garanti à tous les coups !(Brouhaha continu à droite et sur certaines travées à gauche. – M. le ministre doit élever la voix pour se faire entendre.)

La réalité, c’est la responsabilité par rapport aux finances publiques – vous ne cessez de l’invoquer ! – et par rapport à un dispositif qui tienne la route au regard des règles européennes. De ce point de vue, enrichissez ce qui vous sera proposé, regardez la robustesse du nouveau filet de sécurité qui a été conçu et prenez conscience de la réalité des hausses de DGF. À ce moment-là, nous pourrons débattre sur le fond et pas sur les postures ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC. – Huées sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

aides à la voiture électrique française

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Patrick Chauvet. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des transports. La voiture électrique est sans conteste la star du Mondial de l’Auto – et pour cause, la vente de véhicules thermiques sera interdite à partir de 2035 !

Si cet objectif se justifie sur le plan environnemental, il fait toutefois peser un risque majeur sur l’industrie automobile française. En l’état actuel des choses, généraliser la voiture électrique revient à dérouler le tapis rouge à la Chine. Les grands constructeurs européens ont consenti des investissements colossaux pour améliorer les performances écologiques des moteurs thermiques. Avec le tout électrique, ces efforts sont passés par pertes et profits.

Nous sommes en train d’offrir une industrie d’excellence à l’Asie. (Mme Sophie Primas applaudit.) Aujourd’hui, la moitié de la chaîne de valeur du véhicule électrique est encore située en Asie. La Chine contrôle 56 % de la production mondiale des batteries. Nous devons d’ailleurs en importer les principaux composants quand nous les fabriquons en France.

En conséquence, nous ne sommes pas compétitifs. Les voitures électriques chinoises coûtent 20 % à 30 % moins cher que les européennes.

Les constructeurs estiment qu’il leur faudra entre cinq et sept ans pour résorber cet écart, car 19 % des voitures électriques vendues en Europe sont d’ores et déjà fabriquées en Chine.

Ce ne sont pas les dispositifs d’aide à l’acquisition d’une voiture électrique qui vont les aider. La location avec option d’achat ne sera pas possible avant 2024. C’est bien pour cela que vous venez d’augmenter la prime à l’achat, qui va passer de 6 000 à 7 000 euros, pour les ménages les plus modestes.

Ainsi, nous allons subventionner massivement les constructeurs chinois. Les États-Unis viennent de réserver leurs incitations fiscales aux seuls véhicules électriques dotés de batteries produites en Amérique. Ne pouvons-nous pas également cibler nos aides sur les constructeurs européens ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.

M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le sénateur Chauvet, vous avez tout d’abord raison de souligner l’importance du Mondial de l’Auto – le premier depuis quatre ans –, d’autant plus qu’il est entièrement consacré aux véhicules décarbonés, notamment électriques – ce qui n’aurait sans doute pas été imaginable il y a quelques années, comme l’a rappelé Roland Lescure.

Vous avez également raison de nous alerter sur les risques d’atteinte à notre souveraineté et sur la nécessaire protection de notre filière automobile.

Face à ce risque, deux réponses sont possibles : soit nous considérons que le choix de la transition écologique peut être remis en cause, soit nous considérons que nous ne pouvons faire l’économie d’investissements massifs et rapides dans le véhicule électrique. Or personne ne propose de renoncer à la décarbonation, à la transition écologique ou à l’électrification !

Nous devons donc assumer cette transition. Sans être naïfs, non plus qu’excessivement optimistes, nous avons démontré ces dernières années qu’en l’affrontant plutôt qu’en la refusant et en nous réfugiant, si je puis dire, dans le confort du thermique et du statu quo, nous avions engagé une réindustrialisation. Cela a d’ailleurs conduit à souligner que la production avait baissé avant même que ne se pose la question de l’électrification.

Il y a cinq ans, nous n’aurions pas imaginé que la France, ainsi que vous l’avez relevé, commence à produire des batteries et à retrouver, progressivement et rapidement, son indépendance. Le Président de la République a fixé ce cap, qui est aujourd’hui crédible : sur les batteries, nous serons en mesure d’atteindre l’indépendance de production d’ici à 2027.

Nous devons mener la transition électrique en réindustrialisant, en investissant, en soutenant l’achat de véhicules électriques, en incitant notre filière, nos constructeurs et l’ensemble de l’écosystème à produire électrique en France et en Europe.

On ne peut pas renoncer à cet objectif ; en revanche, on peut y faire face en construisant une filière. C’est possible : votre département de la Seine-Maritime en témoigne, avec les transformations en cours des sites de Renault à Cléon et à Dieppe.

Ce qui paraissait improbable il y a quelques années est en cours : nous pourrons relever le défi de l’industrialisation électrique en Europe. Cela nécessitera de réformer nos outils de concurrence et de protection commerciale, d’aller vers la réciprocité et de faire en sorte que les aides que nous devons aux consommateurs et aux constructeurs ne soient pas ciblées vers ceux qui, depuis la Chine, essaient aujourd’hui de gagner notre marché.

Mme Sophie Primas. C’est pourtant bien le cas !

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour la réplique.

M. Patrick Chauvet. La réponse ne correspondait pas entièrement à la question.

Vous avez toutefois évoqué le droit européen ; il importe en effet de se pencher sur cette question, car, au-delà des discours, ses conséquences sur l’emploi dans la filière automobile seront terribles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

remboursement des prêts garantis par l’état

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, crise énergétique, difficultés d’approvisionnement et de recrutement, l’industrie est de plus en plus affectée. La situation de trésorerie continue de se dégrader dans tous les secteurs et ressort très en deçà de sa moyenne de long terme. Ces propos résument le Point sur la conjoncture française à début octobre 2022 publié par la Banque de France.

À ces difficultés s’ajoutent le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) et le paiement des charges sociales qui n’ont pas été réclamées depuis 2021. Bien sûr, ces charges exceptionnelles sont trop lourdes pour les entreprises et les rendent vulnérables.

Nous vous avions déjà alerté, en commission des finances, sur la durée de remboursement des PGE, que nous jugions incompatible avec la marge des entreprises. Vous me répondrez sans doute que celles-ci peuvent la réviser, en passant par la médiation du crédit. C’est vrai, mais cette médiation relève d’une entité adossée à la Banque de France.

Si la réponse est négative, l’entreprise devra entrer dans une procédure collective ; si elle est positive, l’emprunt s’apparentera à une restructuration de la dette et sera donc considéré sur le bilan comme non performant. Cela emportera des conséquences sur la cotation de l’entreprise, quelle que soit sa taille, car celle-ci ne pourra plus souscrire d’emprunts bancaires pour innover ou pour se développer.

Vous comprenez dès lors pourquoi cette option est si peu utilisée et pourquoi bon nombre de chefs d’entreprise réinvestissent leur patrimoine personnel, au risque de tout perdre.

L’entreprise française, toutes tailles confondues, en incluant le CAC 40, emploie six salariés en moyenne. Vous avez entrepris une démarche de réindustrialisation de la France, ne laissons pas tomber ces TPE et ces PME, qui se découragent.

Face à cette situation, envisagez-vous de réviser l’étalement du remboursement du PGE, sans requérir de médiation particulière ? Comptez-vous surseoir temporairement au remboursement des cotisations sociales des années antérieures ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le sénateur, merci de votre question, qui m’offre l’occasion de rappeler à quel point les prêts garantis par l’État ont permis, au début de la crise de la covid-19, de sauver notre tissu entrepreneurial. Ainsi, 140 milliards d’euros de prêts ont été consentis ; dans votre seul département de l’Orne, plus de 260 millions d’euros ont été prêtés à plus de 1 700 entreprises.

Vous avez raison de le rappeler, la question de leur remboursement se pose à présent. À ce stade, nous n’avons pas identifié de risque systémique : le taux prévisionnel de défaut concernant ces prêts est estimé à 5 %.

Nous sommes toutefois conscients que, dans la conjoncture actuelle, un certain nombre d’entreprises rencontrent des difficultés pour les rembourser. Ce dispositif a évolué tout au long de la crise et nous avons décidé, en juillet 2021 et en février 2022, qu’il ferait l’objet de facultés d’amortissement.

Les entreprises qui avaient souscrit un prêt inférieur à 50 000 euros peuvent se tourner vers le médiateur du crédit placé auprès de la Banque de France ; celles qui ont emprunté plus de 50 000 euros ont la possibilité de saisir le conseiller départemental de sortie de crise, qui les orientera vers une solution de restructuration de leur dette, que celle-ci relève du PGE ou des Urssaf, ou vers une procédure préventive de conciliation.

Vous nous avez alertés sur la question de la notation. Il est vrai que certaines entreprises sont inquiètes de voir leur note dégradée. Pour autant, les entreprises qui font moins de 750 000 euros de chiffre d’affaires ne reçoivent pas une notation inscrite au fichier bancaire des entreprises (Fiben). Seule la banque concernée sera donc informée d’une éventuelle restructuration.

Concernant les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 000 euros, je rappelle que la dégradation de la note n’est pas systématique, mais fait l’objet d’une analyse au cas par cas par la Banque de France et d’une discussion ouverte.

En conclusion, je rappelle que ces facultés viennent en complément des décisions prises par Mme la Première ministre pour aider de manière conjoncturelle nos TPE et nos PME face à la hausse des prix de l’énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, je suis tout d’abord surpris, au vu de vos attributions, que ce soit vous qui répondiez à ma question.

Ensuite, vous prenez en compte le taux de contentieux, mais pas le nombre de radiations des entreprises, qui dépasse de 37 % son niveau de 2019. Aujourd’hui, les entreprises abandonnent.

Nous vous avions prévenu que la durée de remboursement du PGE était trop courte. Vous répondez : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Vous étiez fiers de défendre les entreprises, mais, aujourd’hui, vous les jetez dans le décor. J’en suis navré. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

qualité de l’air et décision du conseil d’état

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Angèle Préville. Encore une condamnation pour inaction : avant-hier, le Conseil d’État a condamné l’État à une astreinte de 20 millions d’euros pour non-respect des seuils de pollution de l’air en dioxyde d’azote dans les grandes agglomérations, Paris, Lyon et Marseille, sur la période du 1er juillet 2021 au 1er juillet 2022.

L’État avait déjà été condamné il y a un an, pour les mêmes raisons, à 10 millions d’euros d’astreinte. Cela sanctionne l’insuffisance des mesures et des moyens mis en œuvre pour ramener les émissions de ce gaz sous le seuil de 40 microgrammes par mètre cube. Les moteurs thermiques, c’est-à-dire le trafic routier, en sont les principaux émetteurs.

Le dioxyde d’azote se dissout dans l’eau pour donner de l’acide nitrique ; c’est d’ailleurs un des procédés de fabrication de ce produit corrosif par excellence. Si vous le respirez, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le dioxyde d’azote va se dissoudre dans l’humidité de votre nez et de vos poumons et de l’acide nitrique dilué va se former sur leurs parois. C’est pourquoi vous ressentirez des picotements et des irritations. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Si vous y êtes exposés régulièrement, des inflammations se produiront, avec, pour conséquence, nombre de pathologies : crises d’asthme, maladies pulmonaires, cancers du poumon. Les plus vulnérables – les enfants et les plus pauvres – sont les plus touchés. Le bilan annuel est de 40 000 décès prématurés.

Dans la nature, le même phénomène de formation d’acide nitrique au contact de l’eau provoque pluies acides, acidification des océans, eutrophisation des eaux douces et constitue un facteur majeur de baisse de la biodiversité.

Or le trafic routier par camion n’a pas diminué, il s’intensifie ; le fret ferroviaire n’est toujours pas revenu au niveau des années 1980, soit 30 % du transport de marchandises, et les mobilités douces ne sont toujours pas suffisamment encouragées.

Monsieur le ministre, selon vous, sommes-nous sur la bonne voie ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, nous avons évidemment pris acte du maintien, par le Conseil d’État, de ces astreintes pour les deux semestres ayant suivi la condamnation d’août 2021.

Je ne doute pas, au vu du degré de précision dans lequel vous êtes entrée, que vous avez lu cette décision du Conseil d’État, lequel pointe un maintien des dépassements de seuil, tout en relevant une amélioration de la situation.

En 2017, ces dépassements concernaient treize agglomérations, ce chiffre est passé à huit en 2020 puis à cinq en 2021. Aujourd’hui, ils se produisent encore dans trois agglomérations : Paris, Lyon et Aix-Marseille.

Le sujet n’est toutefois pas le nombre de villes concernées, mais bien le nombre de décès liés à la pollution de l’air : plus de 40 000. Notre engagement est de le faire baisser. La ligne du Gouvernement, c’est la protection des Français, et cela vaut, d’abord, pour les sujets environnementaux.

Le Conseil d’État nous appelle à amplifier, à renforcer et à rendre plus efficientes les zones à faibles émissions (ZFE). Mardi prochain, je recevrai au ministère, avec Clément Beaune, les présidents des intercommunalités, des métropoles et les maires de toutes les villes de plus de 150 000 habitants, pour faire un point de situation.

Une dizaine d’agglomérations sont déjà passées aux ZFE, d’autres ne l’ont pas fait, certaines d’entre elles rencontrent des difficultés, d’autres en anticipent. De vrais problèmes d’accessibilité sociale se posent, parce que ces dispositifs ne doivent pas empêcher les plus fragiles d’entrer dans les villes.

Nous devons donc aborder la question des compensations, mais aussi celle des moyens ainsi que celle de l’information. Certaines villes mettent en place des dispositifs innovants : Strasbourg teste un passe, d’autres majorent des aides ou des primes à la conversion.

Tous ces sujets seront sur la table, avec un objectif : protéger les Français et améliorer la qualité de l’air, particulièrement en matière de dioxyde d’azote et de particules fines. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

situation en arménie

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Madame la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, j’associe à ma question les amis de la justice et de la liberté et, en particulier, les membres du groupe d’amitié France-Arménie.

Le 13 septembre, l’Azerbaïdjan a lancé une nouvelle offensive contre l’Arménie. Malgré l’indifférence presque générale qui règne, c’est bien une nouvelle guerre de conquête et d’extermination qui se joue aux portes de l’Europe. Elle s’accompagne d’un premier lot de crimes de guerre, fièrement exhibés sur la toile par les militaires azerbaïdjanais se filmant dans leurs œuvres de viol, de torture et de démembrement.

Cette logique génocidaire, cette arménophobie, ce racisme d’État pratiqués par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie n’ont pas vocation à s’arrêter à ce pays. Ilham Aliev a d’ailleurs déclaré vouloir « chasser ces chiens d’Arméniens ».

Alors, madame la ministre, que comptez-vous faire pour éviter que cette part de l’histoire de l’humanité, que ce pays souverain, la République d’Arménie, ne disparaisse ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Boyer, je vous remercie de cette question qui me permet de revenir sur quelques points évoqués récemment ici même.

Vous le savez, la France est pleinement solidaire de l’Arménie face aux violations de sa souveraineté, pour stabiliser la situation, pour que le pays recouvre son intégrité territoriale et pour accompagner la reprise des négociations.

Cette mobilisation porte ses fruits. Outre la relance de la dynamique au Conseil de sécurité des Nations unies sous présidence française, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne ont décidé, lundi, le lancement rapide d’une mission européenne d’observation, qui se déploiera le long de la frontière arménienne.

Cela a été rendu possible par l’accord trouvé entre les deux pays sous l’égide du Président de la République, qui y a consacré du temps dans la nuit du 6 au 7 octobre.

Comme le souhaitait l’Arménie, par ailleurs, nous sommes parvenus également à faire accepter une mission d’évaluation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui sera sur place dès vendredi et qui permettra de dresser un constat de la situation et des besoins, notamment humanitaires. Elle visera à relancer le processus de négociation et de délimitation de la frontière.

J’avais évoqué avec vous ces trois sujets, tous les trois ont avancé. Aucun de ces progrès n’aurait été possible sans l’engagement de la France, jusqu’au plus haut niveau de l’État, madame la sénatrice.

Vous le voyez, l’Arménie peut compter sur la France, qui œuvre pour la paix et pour la stabilité dans le Caucase, dans l’intérêt de tous.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.

Mme Valérie Boyer. Comment y croire, madame la ministre ? Comment croire une Europe qui, d’un côté, envoie cette mission civile sur place, mais qui, de l’autre, renforce la coopération avec l’Azerbaïdjan, notamment en matière énergétique ?

Avec Ursula von der Leyen, qui voit en Aliev un partenaire fiable sur lequel on peut compter, Bruxelles est prête à sacrifier la vie des Arméniens sur l’autel de ses intérêts énergétiques. Qu’en est-il vraiment de la France ? La vie des Arméniens vaut-elle moins que celle des Ukrainiens ? Cette tartufferie européenne va plus loin encore, puisque le gaz vendu par l’Azerbaïdjan proviendrait d’une exploitation détenue en partie par une société russe.

L’Arménie est une part de nous-mêmes, une part de notre civilisation, de notre culture, de nos croyances. Notre calendrier prévoit même une journée nationale pour commémorer le génocide de 1915. Les Arméniens ne demandent qu’une chose : le droit de vivre et de disposer d’eux-mêmes.

Ce qui est valable pour la Russie devrait l’être pour l’autocratie azerbaïdjanaise. Il y a d’ailleurs une entente entre ces deux pays. « Poutine veut prendre la géographie. Aliev veut annuler l’Histoire. Le premier conquiert. Le second efface. », écrit justement Sylvain Tesson, ce grand témoin.

Demandons des sanctions contre l’Azerbaïdjan et appliquons-les ! Gelons les avoirs du clan Aliev sans avoir la main qui tremble ou qui triche ; opposons-nous à la diplomatie de la menace, à la caviar connection ; envisageons un soutien militaire, des armes pour l’Arménie ! Ce que nous avons fait pour le Mali, pourquoi ne pas le faire pour l’Arménie ? Enfin, dénonçons cet accord inique sur le gaz.

Refuser ces sanctions, ce serait cautionner l’épuration ethnique des Arméniens, une nouvelle phase du génocide, peut-être la Solution finale pour eux ! Cela reviendrait à clamer à la face du monde que les valeurs dont nous nous réclamons ne sont que des supercheries. Agissons concrètement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER.)

réforme du lycée et enseignement des mathématiques

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Républicains.

Mme Laure Darcos. Ma question s’adresse à monsieur le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Monsieur le ministre, la République a toujours besoin de savants, elle doit donc commencer par favoriser les pépinières scientifiques.

La réforme du lycée a été bâclée, avec pour seul objectif une économie de moyens. Deux ans plus tard, le bilan que nous pouvons en dresser est bien inquiétant. Oui, l’heure est grave, monsieur le ministre, c’est toute une filière qui est en train de couler. Nous ne formons plus assez de scientifiques, alors même que la France a fait le choix de réinvestir massivement dans la recherche publique et dans l’innovation.

En deux ans, entre 2019 et 2021, le nombre d’élèves scientifiques en terminale a diminué de 24 % ; les élèves bénéficiant d’un enseignement renforcé en mathématiques sont de moins en moins nombreux ; la part des jeunes filles dans l’ensemble des parcours scientifiques est également en chute libre. Ainsi, vingt ans d’efforts pour les amener à s’engager dans des formations exigeantes, autrefois largement réservées aux garçons, ont été balayés d’un trait de plume.

Les mathématiques, la physique, la chimie, le numérique, les sciences informatiques, les sciences de l’ingénieur ont tous disparu du tronc commun et sont aujourd’hui relégués au rang d’enseignement de spécialité ou d’enseignement optionnel en première et en terminale.

Les mesures annoncées à la hâte à la fin de l’année scolaire 2021-2022 ne sont qu’un écran de fumée. On ne saurait former un ingénieur en ajoutant une heure trente de mathématiques dans le tronc commun en première et trois heures d’option « mathématiques complémentaires » pour tous en terminale.

C’est toute la structure du cycle terminal qu’il faut revoir sans délai, pour répondre à l’exigence scientifique des formations du supérieur et produire les compétences dont dépend notre économie.

Ma question est simple, monsieur le ministre, et dictée par l’urgence : allez-vous suspendre cette réforme et réunir toutes les parties prenantes afin de réfléchir à la mise en œuvre de solutions efficaces et durables pour renverser ce déclin dès la rentrée 2023 ?

À défaut, il est à craindre que notre compatriote Hugo Duminil-Copin, qui a reçu en juillet dernier la médaille Fields pour ses travaux en physique statistique et qui travaille à Bures-sur-Yvette, dans mon département, ne soit le dernier Français à recevoir cette prestigieuse récompense. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Laure Darcos, je vous remercie de cette question qui m’offre l’occasion de souligner deux points.

Le premier commence par un paradoxe : l’école française de mathématiques compte parmi les meilleures au monde, c’est un sujet de fierté pour notre pays : treize médailles Fields, des prix Nobel scientifiques, cette année encore.

D’un autre côté, le niveau moyen en mathématiques y est médiocre dans la population générale ainsi que dans la population scolaire, comme le démontrent les évaluations nationales, mais aussi les classements internationaux, dans lesquels la place en mathématiques de la France et de sa population scolaire n’est pas reluisante.

Face à cela, nous avons d’abord rapidement réintroduit une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun pour les élèves de première, en réponse à une demande insistante des sociétés de mathématiques. Nous allons poursuivre cet effort l’année prochaine.

M. Max Brisson. Cela ne suffit pas !

M. Pap Ndiaye, ministre. Pour autant, je le reconnais, cela ne suffit pas. Nous devons porter un regard global sur l’enseignement des mathématiques. La solution ne dépend pas du volume d’heures,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout de même un peu !

M. Pap Ndiaye, ministre. … car la France se situe plutôt dans le haut du panier en la matière, cependant les résultats ne correspondent pas à ce niveau. Le sujet est donc la pédagogie de l’enseignement des mathématiques, comme le rapport de Charles Torossian et Cédric Villani l’a très clairement relevé. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Max Brisson. Pas seulement !

M. Pap Ndiaye, ministre. Le second point que vous abordez concerne la baisse du nombre de filles dans ces enseignements, qui atteint 28 % entre 2019 et 2021. Je sais que Mme la Première ministre est très motivée par cette question et je vous annonce que, pour réfléchir et prendre des mesures fortes qui s’imposent en la matière, nous tiendrons cet automne des Assises nationales… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. On est sauvés !

M. Pap Ndiaye, ministre. … sur la place des femmes dans l’enseignement et dans le monde scientifique.

M. Stéphane Piednoir. Sur tirage au sort ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Mes collègues la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances y participeront.

Je vous l’accorde, c’est désormais une priorité pour nous et nous devrons en tenir compte dans les retouches de la réforme du lycée que nous opérerons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 26 octobre, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La séance est reprise.

3

Mises au point au sujet de votes

Mme le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Lors du scrutin n° 5 portant sur l’ensemble de la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale, je souhaitais m’abstenir et non pas voter pour. Il en va de même de mon collègue Michel Dagbert.

Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Lors du scrutin n° 3 sur l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, je souhaitais voter pour.

Mme le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

4

Demande de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi

Mme le président. Par courrier en date du mardi 18 octobre, M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande que le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, inscrit à l’ordre du jour du jeudi 27 octobre à dix heures trente, soit examiné selon la procédure normale et non selon la procédure simplifiée.

Acte est donné de cette demande.

Dans la discussion générale, nous pourrions attribuer un temps de quarante-cinq minutes aux orateurs des groupes.

Le délai limite pour les inscriptions de parole serait fixé au mercredi 26 octobre à quinze heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

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Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion du mardi 18 octobre 2022, un avis favorable – vingt voix pour, une voix contre – à la nomination de Mme Marie-Anne Barbat-Layani à la présidence de l’Autorité des marchés financiers.

Acte est donné de cette communication.

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Rappels au règlement

Mme le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, nous aborderons dans quelques instants l’examen d’une proposition de loi extrêmement importante et très symbolique sur la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), c’est-à-dire l’inscription de ce droit dans le texte fondamental de notre République. Ce texte a fait l’objet, historiquement, d’un avis favorable de la part du Gouvernement et nous savons le contexte dans lequel s’inscrira cette discussion, celui d’une remise en cause de ce droit dans de nombreux pays, y compris en Europe. Il nous faut donc y consacrer du temps et de l’énergie, et surtout faire preuve de conviction en la matière.

Je ne peux que regretter que, au même moment, trois commissions se réunissent, dont la commission des affaires sociales. Je me suis ouvert au président Larcher, récemment, des mêmes regrets au sujet du débat sur les atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran. Or la situation se répète.

Je conçois que la Haute Assemblée travaille beaucoup et que les dossiers en cours soient nombreux.

Le ministre de la santé, François Braun, est effectivement entendu en audition par la commission des affaires sociales, en ce moment, alors que par définition il est concerné par l’examen de ce texte.

Par conséquent, de nombreux collègues seront privés de ce débat important, car ils doivent se partager entre les travaux de commission et la séance plénière.

Tel est l’objet de ce rappel au règlement et je ne doute pas que nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’associeront à cette démarche, par le biais de leur président. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour un rappel au règlement.

M. Guillaume Gontard. Mon intervention ira dans le même sens que celle de Patrick Kanner. Le problème est réel. Alors que nous examinons deux textes importants, l’un sur l’inscription de l’IVG dans la Constitution – le débat sera particulièrement observé –, l’autre sur l’évolution de la formation de sage-femme, au même moment trois commissions procèdent à des auditions de ministres, dont le ministre de la santé.

Il me semble que nous devons préserver le travail parlementaire, en particulier lorsqu’il s’exerce dans le cadre de l’ordre du jour réservé aux groupes politiques. J’en appelle aux présidents des commissions pour qu’ils veillent, à l’avenir, à ce que nos collègues n’aient plus à faire ce choix complexe de participer à une réunion de commission ou de suivre un débat important en séance publique. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme le président. Acte vous est donné de vos rappels au règlement, mes chers collègues.

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Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
Discussion générale (suite)

Droit fondamental à l’IVG et à la contraception

Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
Question préalable

Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 872 [2021-2022], résultat des travaux de la commission n° 43, rapport n° 42).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Mélanie Vogel, autrice de la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, RDPI, SER et CRCE.)

Mme Mélanie Vogel, autrice de la proposition de loi constitutionnelle. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, chers collègues, nous sommes réunis pour répondre à une question d’une simplicité extrême et d’une importance majeure.

À l’heure où partout dans le monde les forces réactionnaires progressent, à l’heure où les droits des femmes, les droits reproductifs et sexuels sont partout attaqués, à l’heure où, en Europe, les femmes se préparent à la contre-offensive, à l’heure où la France peut retrouver un rôle de pionnière, de modèle et de source d’espérance, nous devons répondre à cette question : préférons-nous une société où le droit à l’avortement est protégé au sommet de la hiérarchie des normes ou bien une société dans laquelle une simple loi peut le défaire ?

Préférons-nous agir, au risque, dans le pire des cas, que cette garantie ne se révèle jamais nécessaire ou bien ne rien faire, au risque de balayer le droit fondamental des générations futures ? Voulons-nous répondre positivement ou non aux 81 % des Françaises et des Français, toutes catégories sociales, préférences politiques et appartenances religieuses confondues, qui demandent que le droit à l’avortement soit reconnu dans le texte qui fonde notre contrat social ?

Souhaitons-nous dire à toutes les femmes de ce pays que le Parlement est de leur côté, que l’honneur de la France, c’est son idéal d’égalité, c’est de considérer que la maîtrise de la fécondité est non seulement une affaire de liberté, mais aussi simplement de citoyenneté et d’égalité des droits et que, pour cette raison, nous l’érigeons au sommet de nos normes ?

Souhaitons-nous montrer à toutes les femmes du monde, à toutes celles et à tous ceux qui se battent si nombreux contre le fascisme, contre le totalitarisme religieux, celui des mollahs iraniens, des évangélistes texans ou des intégristes bien français, à toutes celles et à tous ceux qui, en Pologne, en Hongrie, en Italie, aux États-Unis, en Iran, au Maroc, à Malte et dans tant d’autres pays se battent pour avoir le droit d’être considérés comme des êtres humains disposant de leur corps et, au fond, de leur destin et de leur vie, que non, tout n’est pas perdu et que dans cette période si sombre, il existe en ce monde un chemin de progrès sur lequel notre pays a fait le choix de s’engager tout en invitant les autres nations à l’y rejoindre ?

Le droit à l’avortement est un acquis féministe et comme tous les acquis féministes, il n’est jamais hors de danger. Non, jamais ! C’est aussi un acquis profondément républicain, parce qu’il répond à la promesse républicaine et universaliste d’égalité des droits. Tel est l’acquis qu’il vous est proposé de mieux protéger.

Où trouver l’envie, en 2022, d’argumenter contre une loi qui ne ferait rien d’autre que sanctuariser un droit que, prétendument, nous chérissons tous ? C’est, je vous l’assure, pour tant de personnes qui nous regardent un profond mystère.

Je remercie, bien évidemment, Mme la rapporteure de son travail, dont je sais qu’il n’a pas toujours été des plus faciles. Toutefois, je voudrais revenir sur les arguments utilisés contre cette proposition de loi.

Premièrement, l’argument classique consiste à dire qu’elle ne sert à rien, parce que le droit à l’IVG n’est pas menacé. Si l’on suit cette pente, il ne servirait à rien de mettre sa ceinture en voiture tant qu’un accident ne survient pas. (Mme Laurence Rossignol approuve.)

M. Loïc Hervé. C’est caricatural !

Mme Mélanie Vogel. Cet argument n’a aucun sens puisque, par définition, on se protège d’un risque avant qu’il n’advienne.

En outre, chacun sait parfaitement que le jour où il y aura un risque concret en France, c’est-à-dire un nombre important d’élus tentés de remettre en cause le droit à l’IVG, la possibilité d’une protection constitutionnelle sera hors de portée, car il faut pour changer la Constitution une majorité supérieure à celle nécessaire pour changer la loi. Telle est bien la raison pour laquelle nous voulons inscrire ce droit dans la Constitution.

Par conséquent, c’est bien parce qu’une écrasante majorité de Français se prononce par les urnes, dans la rue et au sein des institutions en faveur du droit à l’avortement que l’on peut et que l’on doit le protéger dès à présent.

Deuxièmement, ce texte ne sert à rien, parce qu’il ne constitue pas une protection absolue et que l’on peut toujours modifier la Constitution. Autrement dit, le conducteur refuserait de mettre sa ceinture de sécurité au prétexte qu’il pourrait y avoir un tsunami. Certes, on n’est jamais à l’abri d’un putsch, d’une révolution ou d’un astéroïde qui percuterait la France…

Mais alors, je ne suis pas certaine que l’on puisse justifier l’utilité de la Constitution ou même le fait que des élus se lèvent le matin pour aller légiférer. Quoi que l’on fasse, il y aura toujours des gens pour violer les lois et des élus pour les changer en permanence.

Par conséquent, l’argument se résume à dire que le texte ne sert à rien tantôt parce qu’il n’y a pas de risque, tantôt parce que le risque est trop grand.

Troisièmement, cette proposition de loi ne sert à rien parce que le droit à l’IVG est déjà protégé par la Constitution. Autrement dit, le conducteur ne devrait pas mettre sa ceinture parce qu’il l’a déjà mise. Si je récapitule, il ne doit surtout pas la mettre parce qu’il n’y a pas de risque, parce que le risque est trop grand et, finalement, mesdames, messieurs, parce que – heureusement – il l’a déjà mise. C’est épatant, mais là encore c’est faux.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel n’a jamais dégagé de manière positive un droit à l’interruption volontaire de grossesse, absolument jamais. Elle s’est contentée d’affirmer que les différentes lois qui encadrent de droit à l’IVG ne violaient pas la Constitution.

Or les fins juristes que vous êtes perçoivent bien la différence. Si, demain – toutes les personnes qui nous écoutent doivent en prendre conscience –, une loi régressive qui viserait à réduire les délais légaux, à dérembourser l’acte, à ajouter des conditions pour accéder à l’avortement ou bien à imposer une ordonnance pour accéder à la pilule du lendemain venait à être présentée devant le Conseil constitutionnel, ce dernier n’aurait absolument aucun élément pour statuer sur son inconstitutionnalité. C’est là ce que nous voulons corriger.

Autre argument, ce texte ne changera rien, parce que l’important est ailleurs – comme toujours – : l’enjeu, ce n’est pas le droit, mais l’accès au droit. Pourtant, laissez-moi vous dire que l’on ne peut pas avoir accès à un droit qui n’existe plus. En outre, quel est le rapport ? Cette loi favorisera non seulement un meilleur accès au droit, partout en France, mais surtout, elle ne vous empêchera pas – jamais et bien au contraire, je vous l’assure –, de voter l’augmentation des crédits pour les associations et les centres de soins.

Argument suivant, la Constitution ne doit pas être un catalogue des droits et n’a pas à protéger les Français contre des changements – par exemple le recul du droit à l’avortement –, qu’ils pourraient démocratiquement choisir à l’avenir. Si c’était le cas, à quoi serviraient la Constitution et le bloc de constitutionnalité ? À quoi servirait-il de protéger le caractère laïc de la République, de rappeler notre attachement au préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu’à l’interdiction de la peine de mort ? À rien !

Dernier argument – sans doute, je l’avoue, mon préféré –, il ne faut pas importer un débat qui vient des États-Unis. Comme s’il n’y avait qu’aux États-Unis qu’on attaquait le droit à l’IVG ! En Italie, pays voisin du nôtre, une proposition de loi vient d’être déposée par la droite – pas par l’extrême droite – pour restreindre le droit à l’avortement, mais en France on serait nationalement immunisé contre de telles dérives.

En outre, la haine que nourrit une partie de cet hémicycle contre les débats importés, en particulier des États-Unis, est très sélective. En effet, quand il s’agit d’importer un débat totalement fabriqué, portant sur un prétendu danger, causé par un prétendu concept, dont personne ne se réclame en France et que personne n’est capable de définir, c’est bien. Mais un débat prétendument importé, qui porte sur des risques bien réels et qui peut assurer des progrès non moins réels, c’est mal.

Si l’on m’exclut de la liste, il y figurera toujours Laurence Rossignol, qui défend ce sujet depuis 2012, Éliane Assassi et Laurence Cohen qui, dès 2017, soit cinq ans avant l’arrêt de la Cour suprême, avait déjà fait cette proposition, Daphné Ract-Madoux, Xavier Iacovelli, Maryse Carrère, Joël Guerriau, que je remercie une fois encore. Loin d’être importés, ils siègent dans cet hémicycle et ils posent au Sénat français une question bien française.

La France a en son cœur des femmes qui, depuis des siècles, se battent pour conquérir leurs droits et, par là même pour protéger les droits de tous.

Par conséquent, s’il fallait trouver une spécificité à la France, ce ne serait pas d’être prétendument le seul pays au monde à l’abri d’un recul des droits, mais au contraire de devenir le premier pays au monde à décider d’agir en amont plutôt que de réagir quand il est trop tard, pour s’en protéger.

En tant que coprésidente du Parti vert européen, partageant ma vie avec une féministe allemande qui se bat depuis toujours pour que, en Allemagne, l’avortement soit retiré du code pénal, je peux vous assurer que vous mesurez très mal l’importance du vote de ce texte pour l’Europe entière et la force que cela donnerait à des millions de défenseurs des droits humains. C’est un aspect que ne peut pas mépriser le pays qui se veut celui des droits universels.

J’ai passé ces dernières semaines, nuit et jour, à chercher les meilleurs arguments pour convaincre la droite sénatoriale de voter ce texte, au nom de ce que je crois être le sens profond de notre mandat. J’en ai conclu que, en réalité, il vous revenait, chers collègues, de convaincre les Françaises et les Français que le droit à l’avortement est vraiment pour vous un droit fondamental. Vous avez la majorité : une victoire aujourd’hui serait la vôtre, un échec aussi.

Pour finir, je voudrais m’adresser à toutes les personnes mobilisées sur ce sujet, qui nous écoutent et qui attendent que nous les protégions. Je veux leur dire : « Même si je ne suis pas certaine d’y parvenir aujourd’hui, je sais que nous y arriverons un jour. Et ce jour-là, tous ceux qui s’opposent pour l’instant à ce progrès l’applaudiront très fort et en seront très fiers, tandis qu’ils seront encore occupés à en freiner d’autres. Ne lâchez rien, jamais ! C’est vous qui, par votre mobilisation, depuis toujours, écrivez l’histoire, en particulier celle des combats pour les droits des femmes. » (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE, RDSE et RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception fait partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental. Cet acquis a été obtenu grâce au courage et à l’engagement de Simone Veil et de Lucien Neuwirth,…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Grâce à la gauche !

Mme Agnès Canayer, rapporteur. … qui se sont battus avec détermination pour le faire inscrire dans la loi. Il est pleinement protégé par le droit positif. Le Sénat s’est toujours montré fortement attaché à préserver les droits et les libertés de la femme.

Depuis la loi du 17 janvier 1975, la liberté d’interrompre sa grossesse n’a cessé d’être confortée. Par sept fois, le législateur l’a renforcée, encore récemment grâce à l’allongement du délai à quatorze semaines.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Quant à la contraception, consacrée par la loi du 28 décembre 1967, son accès n’a cessé d’être étendu au fil des années. Elle est délivrée gratuitement pour les mineurs ; depuis cette année, elle l’est aussi pour toutes les femmes de moins de 26 ans. Et à partir de 2023, la contraception d’urgence sera gratuite pour toutes les femmes.

À ma connaissance, personne dans cette assemblée ne veut revenir sur ces avancées.

La proposition de loi constitutionnelle dont nous avons à débattre est défendue par notre collègue Mélanie Vogel et cosignée par 118 sénateurs. Elle a été introduite en réaction à l’actualité américaine marquée par le revirement de la jurisprudence de la Cour suprême du 24 juin dernier, dans l’affaire Dobbs v. Jackson.

Cette proposition de loi constitutionnelle tend à inscrire au titre VIII de la Constitution un article 66-2 ainsi rédigé : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. »

Selon les auteurs, cette inscription vise « à garantir un accès effectif, libre et inconditionnel à l’IVG, ainsi qu’à la contraception et à prévenir toute régression ».

Si l’on peut comprendre l’émotion suscitée outre-Atlantique par la jurisprudence de la Cour suprême, la révision constitutionnelle ne peut être, en France, une réponse pertinente.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Tout d’abord, il n’y a pas lieu d’importer dans notre pays un débat lié à la culture américaine et à la nature fédérale des États-Unis. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Et la Hongrie ?

M. David Assouline. Que faites-vous du Brésil ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ce débat n’est pas le nôtre. La situation institutionnelle en France n’est en rien comparable à celle des États-Unis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Dites que vous êtes contre l’IVG, ce sera plus simple !

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Contrairement à ces derniers, la République française est une et indivisible. Autrement dit, les lois Veil et Neuwirth, qui ne sont pas remises en cause à ce jour, s’appliquent de manière identique sur tout le territoire.

La question centrale qui se pose dans notre pays reste celle de l’effectivité du droit à l’IVG et à la contraception. Seules des mesures concrètes, comme la lutte contre les déserts médicaux, notamment en milieu rural, la valorisation des actes médicaux des personnels soignants pratiquant l’IVG et l’augmentation des moyens des plannings familiaux, permettront le plein accès à ce droit. Ces mesures relèvent du domaine réglementaire.

L’inscription dans la Constitution du droit à l’IVG, alors qu’il fait déjà partie de notre patrimoine juridique, n’est donc pas la réponse adaptée pour en renforcer la garantie.

En effet, il fait déjà l’objet d’une protection constitutionnelle solide et durable. Solide, car l’IVG figure dans notre droit depuis 1975. Le Conseil constitutionnel l’a toujours jugé conforme à la Constitution. Par quatre fois, il s’est prononcé en sa faveur en 1975, en 2001, en 2014 et en 2016.

Le droit à l’IVG est désormais une composante de la liberté de la femme, découlant de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui se concilie avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation.

Plus que solide, cette protection est durable, comme en témoigne la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, qui a toujours considéré que, même si le législateur dispose de larges marges de manœuvre pour définir les conditions d’exercice d’un droit ou d’une liberté, il ne peut remettre en cause son effectivité. C’est le fameux « effet artichaut » que nous devons au doyen Favoreu : on ne peut pas toucher au cœur des droits et des libertés reconnus.

D’ailleurs, en 2018, Agnès Buzyn et Nicole Belloubet alors ministres, avaient affirmé devant le Parlement l’inutilité d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution en raison de l’extrême solidité de sa protection constitutionnelle.

Quatre années plus tard, la proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons comporte toujours des risques largement supérieurs à la seule portée symbolique recherchée par les auteurs.

L’inscription dans la Constitution du droit à l’IVG et à la contraception tend à dénaturer l’esprit du texte fondamental et à ouvrir une boîte de Pandore. En effet, la Constitution voulue par le général de Gaulle est avant tout un texte qui régit le fonctionnement des institutions. En faire un catalogue des droits risque de porter atteinte au rôle protecteur de la norme suprême et de minorer la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, gardien des droits et des libertés. (M. Loïc Hervé approuve.)

En 2008, Simone Veil, présidente du comité de réflexion sur le préambule de la Constitution et la philosophie des droits de l’homme, recommandait de ne pas modifier ce préambule et de ne pas inscrire dans la Constitution des droits et des libertés liés à la bioéthique, notamment ceux portant sur l’IVG. Elle préconisait clairement le refus « d’inscrire des dispositions de portée purement symbolique ».

Seules quatre raisons justifient que l’on modifie la Constitution. On peut le faire pour introduire un droit nouveau, pour déroger à un principe que la Constitution impose – ce fut le cas en 1999 et en 2008 pour autoriser la parité –, pour ratifier un engagement international – l’inscription dans la Constitution de la peine de mort en 2007 était nécessaire pour entériner le Pacte international relatif aux droits civils et politiques –, ou bien pour revenir sur une interprétation jurisprudentielle du Conseil constitutionnel, comme en 1993 au sujet du droit d’asile.

Or l’objet de la proposition de loi soumise à notre examen ne peut se rattacher à aucune de ces raisons.

De plus, force est de constater qu’il n’existe aucun consensus sur la manière de constitutionnaliser le droit à l’IVG et à la contraception. Six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat, en réaction à l’actualité américaine. Chacune propose une version différente.

L’inscription par défaut de ce droit au titre VIII de la Constitution, comme la prévoient plusieurs de ces textes, dont celui de la sénatrice Vogel, n’est pas satisfaisante. En effet, le faire figurer au sein d’un titre consacré à l’autorité judiciaire, juste après l’article consacré à l’abolition de la peine de mort, a de quoi surprendre et favoriser une possible interférence du juge dans le droit des femmes à avorter, ce qui n’a pas lieu d’être.

Les propositions de rattachement à l’article 1er ou à l’article 34 de la Constitution, relatif aux compétences du législateur, ne font pas plus consensus auprès des constitutionnalistes.

De plus, la formulation soumise à notre examen soulève des difficultés importantes. Elle laisse entendre que l’accès à ce droit serait inconditionnel. Or le législateur doit pouvoir en fixer les conditions comme pour toutes les libertés publiques.

Enfin, une procédure de révision constitutionnelle sur l’initiative des parlementaires impose le recours au référendum conformément à l’article 89 de la Constitution. Or il existe un risque réel que cette initiative se retourne contre le droit qu’elle est censée protéger, point sur lequel nous ont alertés toutes les personnes que nous avons entendues en audition, y compris des auteurs du texte. Recourir au référendum placerait au cœur d’une actualité bouillonnante un sujet qui n’est pas remis en cause, au risque de favoriser un réveil des opposants à l’IVG. N’oublions pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Pour toutes ces raisons, la commission des lois vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est plutôt la droite de la commission !

M. Loïc Hervé. Il y a eu un vote !

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, l’histoire fourmille d’exemples de libertés et de droits fondamentaux, conquis au prix du sang et des larmes, que tous croyaient définitivement acquis et qui, dans la stupeur ou l’indifférence, ont été balayés comme des fétus de paille. C’est d’ailleurs l’histoire des femmes qui nous en offre les plus cruels exemples, car, oui, les premiers droits qui disparaissent sont souvent ceux des femmes.

C’est ce que nous rappelle la décision de la Cour suprême des États-Unis : le droit à l’avortement qu’on croyait acquis depuis cinquante ans ne l’était pas, en réalité. Désormais, dans cette grande démocratie, l’interruption volontaire de grossesse n’est plus un droit garanti par la Constitution fédérale et les États fédérés sont libres de l’interdire ou de la légaliser.

Cet exemple rend plus que jamais criants de vérité les célèbres mots de Simone de Beauvoir, rapportés par Claudine Monteil : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Parce que nous avons désormais la preuve que plus aucune démocratie, même la plus grande d’entre toutes, n’est à l’abri ; parce qu’il nous faudra toujours rester vigilants, les auteurs de la présente proposition de loi, la sénatrice Mélanie Vogel en tête, proposent d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution. Je veux les remercier chaleureusement pour cette initiative.

Le 13 juillet dernier, en accord avec la Première ministre, j’avais solennellement déclaré devant cette assemblée que je soutiendrais avec force, en tant que garde des sceaux, pour les voir aboutir, toutes les initiatives parlementaires qui viseraient à constitutionnaliser le droit à l’IVG. Me voici donc au rendez-vous, accompagné de ma collègue Isabelle Rome. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)

J’ai déjà entendu s’élever des voix pour dire que le droit à l’IVG est suffisamment protégé en France et que l’exemple américain n’est pas transposable dans notre pays. Qui aurait pu penser qu’un jour le wokisme arriverait chez nous ?

M. Roger Karoutchi. Au moins, ce n’est pas dans la Constitution !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous pourrions multiplier les exemples. La liste est très longue. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nul ne peut nier que nos institutions fonctionnent différemment. Oui, cela est vrai, le Conseil constitutionnel français n’est pas la Cour suprême américaine. Oui, bien sûr, les juges constitutionnels français, passés et actuels, ont une conscience accrue de leur rôle et jugent régulièrement qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur. Tels sont l’usage républicain et l’esprit de nos institutions.

Oui, il est vrai encore que le droit à l’IVG a été conforté au fil des ans, depuis qu’il a été consacré pour la première fois dans notre droit par la loi Veil du 17 janvier 1975. Je pense à la dernière loi, en date du 2 mars 2022, qui a allongé le délai légal pour recourir à l’IVG, en le portant de douze à quatorze semaines. Je pense aussi aux lois précédentes, comme la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui a supprimé le critère de la situation de détresse.

Pour autant, je persiste et je signe : accompagner les initiatives parlementaires pour graver dans le marbre de notre Constitution le droit fondamental à l’IVG me paraît aujourd’hui pertinent, en ces temps troublés où des projets politiques, qui n’ont certes pas cours dans cet hémicycle – ou si peu –, grandissent et rendent possible des reculs drastiques pour les droits des femmes.

Tout d’abord, cette inscription aurait la force du symbole ; ce n’est pas anodin lorsqu’on évoque la loi suprême de notre pays. Car oui, la Constitution est le texte fondateur de notre État de droit, le socle commun des valeurs de notre République et des libertés fondamentales de notre société. Dès lors, quel beau symbole pour la France, pays des droits de l’homme, que celui d’élever au plus haut rang de la hiérarchie de ses normes le droit de la femme à disposer de son propre corps ! (M. Stéphane Ravier ironise.)

En ces temps de division, de perte des repères, existe-t-il plus beau message, envoyé à plus de la moitié de la population française, pour lui dire que la Constitution lui garantit le droit à disposer de son corps, et donc le droit à l’émancipation ? Car oui, au-delà du symbole, les conséquences sont concrètes. Alors que le Conseil constitutionnel a rattaché l’IVG à « la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration de 1789 », inscrire l’IVG dans la Constitution permettrait de le consacrer enfin comme un droit fondamental et non simplement comme une liberté-autonomie, comme disent les juristes constitutionnels.

Il existe une autre raison, plus pragmatique, sur laquelle, en tant que garde des sceaux, je veux insister quelques instants. Cette raison est évidente : changer la Constitution est beaucoup plus difficile que changer la loi. Aujourd’hui consacré par la loi, si le droit à l’IVG était demain protégé au niveau constitutionnel, il ne pourrait être remis en cause que par le pouvoir constituant.

Cela nécessiterait à tout le moins que les deux chambres – vous connaissez la règle – y consentent. Voilà une première difficulté, et pas des moindres ! Dans un second temps, il faudrait que le Parlement, réuni en Congrès, ou nos concitoyens, par référendum, valident ce qui serait une régression terrible pour la condition des femmes.

Je veux m’appesantir un instant pour vous dire le fond de ma pensée, du fond de mes tripes – je vous prie de me pardonner cette familiarité. Je veux vous montrer comment la « course des choses », comme disait Alain, justifie que nous soutenions l’inscription de l’IVG dans notre Constitution.

Alors que Simone Veil s’exprimait le 26 novembre 1974 devant l’Assemblée nationale pour présenter cette grande loi, elle inscrivait son projet sous le signe de l’espérance. Permettez-moi, humblement, de reprendre ici ses mots, alors qu’elle concluait son discours pour convaincre les députés encore hésitants : « Je ne suis pas de ceux et de celles qui craignent l’avenir. »

C’est simple, Simone Veil croyait profondément que la loi qu’elle défendait alors permettrait à la société française de progresser. L’avenir lui a, bien heureusement, donné raison ; mais, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais tant vous dire à cette tribune, un 19 octobre 2022, presque cinquante ans après la légalisation de l’avortement, que non, moi non plus, je ne redoute pas l’avenir. J’aimerais tant aujourd’hui ne pas être de ceux qui tremblent face à l’avenir et aux incertitudes qu’il charrie. J’aimerais tant être de ceux qui, tranquilles et d’un pas assuré, avancent insouciants sur le chemin de la vie, croyant que ce qui est acquis est acquis, et que ce qui est là le sera pour toujours. J’aimerais tant, enfin, être de ceux qui, d’un revers de main, balayent les exemples étrangers – en particulier l’exemple américain –, où le droit recule, et avec lui, souvent, la condition des femmes. Qui peut aujourd’hui dire que ce qui s’est produit aux États-Unis ne pourrait pas se produire en France ?

Soyons clairs ! Qu’est-ce qui a amené la décision de la Cour suprême américaine ? C’est l’élection d’un président populiste, certes légitimement élu, disposant d’une majorité au Sénat américain et qui a pu nommer au cours de son mandat quatre juges de la Cour suprême.

M. Loïc Hervé. Cela peut être ainsi, demain, au Conseil constitutionnel !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne pense pas que les membres du Conseil constitutionnel soient exclusivement nommés par un président de la République, fût-il populiste.

M. Philippe Bas. Justement…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il y aurait là de quoi déstabiliser cette institution ; je ne pense pas que nos textes le permettent.

Le constat est donc simple : politiquement et juridiquement, un président – ou une présidente –, disposant presque naturellement d’une majorité, pourrait – je dis bien « pourrait » – revenir, en l’état actuel du droit, sur cette avancée historique et démocratique que représente le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Tel est le cas chez certains de nos voisins européens.

C’est donc pour des raisons totalement opposées à celles de l’illustre Simone Veil, parce que précisément je redoute l’avenir, que je suis aujourd’hui favorable à ce que l’on élève sa grande loi, celle de 1975, telle qu’aujourd’hui modifiée, sa grande conquête, celle de toutes les Françaises, au sommet de la hiérarchie des normes.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution, là précisément où il ne sera pas possible de l’en retirer sans l’accord du Sénat. Je sais que, là encore, il sera, comme toujours, le garant de nos droits les plus fondamentaux. Je le dis, sans aucune flagornerie : inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, c’est aussi s’assurer que le Sénat, dans sa grande sagesse, soit assuré d’avoir le dernier mot, si d’aventure un président, une présidente, et sa majorité souhaitaient l’abroger. Je crois fermement au rôle presque informel, mais pourtant bien réel et durable, du Sénat en tant que garant de notre bien commun, de notre conscience collective.

On dit souvent que le président Mitterrand a été particulièrement courageux d’abolir en 1981 la peine de mort, alors que nos compatriotes y étaient majoritairement opposés. Ce que l’on ne dit jamais, c’est que le Sénat a lui aussi, tout aussi courageusement, adopté conforme, douze jours à peine après l’Assemblée nationale, la loi défendue par Robert Badinter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ne vous trompez pas : inscrire aujourd’hui le droit à l’IVG dans notre Constitution n’est pas une mesure gadget, un artifice de communication ou un mouvement de panique face à un exemple étranger lointain. Inscrire le droit à l’IVG, cette liberté fondamentale et inaliénable de la femme, dans la Constitution, c’est une sécurité pour toutes les femmes de ce pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, faites en sorte que personne ne puisse abolir demain ce droit sans que vous soyez consultés. Les temps troublés et les remous ne sont jamais loin sur le frêle esquif de la démocratie, qui mérite toute notre attention.

En tant qu’ancien avocat, mais aussi en tant que citoyen, j’ai toujours essayé de faire en sorte que jamais l’on n’oublie que notre démocratie, notre état de droit et les libertés fondamentales qu’il consacre sont des biens précieux, nos joyaux communs, pour lesquels il est indispensable de se battre sans relâche. En tant que garde des sceaux, il est désormais de mon devoir de les préserver.

C’est pourquoi je dis aux sénatrices et sénateurs que vous êtes de ne pas prendre de risque. Protégeons autant que notre droit le permet cette liberté fondamentale des femmes qu’est le droit à l’IVG.

Que les choses soient claires, il ne s’agit pas là d’une entreprise aisée. Je le dis avec gravité : on ne doit toucher à la Constitution, selon la formule consacrée, que d’une main tremblante.

C’est pourquoi il nous faut avoir à l’esprit que le détail de la rédaction in fine retenue sera déterminant, tout comme le périmètre exact de la réforme. Une rédaction inadaptée pourrait en effet conduire à consacrer un accès sans condition à l’IVG.

M. Loïc Hervé. Bien sûr !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je pense, par exemple, à des IVG bien au-delà de la limite légale en vigueur, ce qui n’est pas souhaitable – nous en convenons.

Une écriture mal pesée pourrait également s’avérer trop rigide et empêcher une adaptation possible du dispositif actuel, si celle-ci s’avérait nécessaire, comme cela a été le cas en mars dernier. Il nous faudra, au cours des débats, ici et à l’Assemblée, rester très vigilants sur les possibles effets de bord.

Il nous faudra également rester vigilants sur le choix de la place à laquelle inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, afin de donner tout son sens à cette reconnaissance et lui donner toute sa cohérence au regard des autres dispositions constitutionnelles.

Quoi qu’il en soit, ma crainte première – elle semble fondée –, est qu’il n’y ait justement pas de débat, car j’ai pris acte du rejet du texte par votre commission des lois. Laissez-moi vous dire, avec la liberté qui est la mienne, que je le regrette.

Je le regrette, pas tant pour le détail de l’écriture de la proposition de loi de la sénatrice Vogel, sur laquelle je rejoins d’ailleurs un certain nombre de craintes de la rapporteure Agnès Canayer, mais parce que cette décision souveraine de votre commission acte, au fond, un refus de principe de constitutionnaliser le droit à l’IVG.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il n’est même pas question pour la commission de travailler sur la meilleure rédaction possible ; non, il s’agit d’un refus pur et simple, qui condamne par anticipation toute initiative, d’où qu’elle vienne.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je ne peux laisser dire cela !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Or vous le savez, sans vous, sans l’aval du Sénat, le verrou sacré de notre Constitution ne peut être levé.

Il faut pourtant que le débat vive. J’espère donc que l’hémicycle dira : « Non, nous ne fermons pas la porte d’emblée. Essayons d’avancer ensemble sur cette proposition ou sur celle de la présidente Bergé ou Panot. »

Essayons d’entendre les « pour », mais aussi les « contre ». Essayons d’entendre les craintes pour les apaiser, et surtout travaillons ensemble pour trouver la meilleure rédaction possible et ne pas manquer cette occasion, alors que les planètes s’alignent aujourd’hui en faveur de cette constitutionnalisation.

Je le dis et je le répète, si le Sénat est prêt à avancer sur cette question avec prudence et sans idéologie, le Gouvernement répondra présent. De fait, il répond déjà présent, aujourd’hui, devant vous. Car oui, le Gouvernement est favorable à la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Il répondra présent pour soutenir chacune des nombreuses initiatives parlementaires en la matière.

Les rédactions proposées sont diverses et je suis persuadé que ces initiatives – je pense à celle de la présidente Aurore Bergé et de sa collègue Marie-Pierre Rixain, qui mènent toutes les deux avec constance ce combat – nous permettront d’atteindre la meilleure rédaction possible.

Avant de conclure mon propos, je veux dire à ceux qui nous regardent qu’il ne s’agit pas de livrer ici tel ou telle parlementaire à la vindicte des réseaux sociaux, comme cela a pu être le cas pour la présidente Annick Billon, lors de la présentation de sa proposition de loi.

J’ai éprouvé personnellement, depuis deux ans, et sur de nombreux textes, votre engagement sans faille, madame la sénatrice Canayer, pour la défense de notre État de droit et des droits de nos concitoyens.

Le débat politique est fait de désaccords, et tout le monde a le droit, dans cet hémicycle, d’exprimer librement ses opinions sans crainte d’être inquiété. Le débat politique est aussi fait d’accords et de convergences patiemment construits sur le chemin du compromis.

Avançons ensemble sur ce chemin, mesdames, messieurs les sénateurs, comme nous l’avons fait tant de fois, sans démagogie, sans idéologie, pour renforcer à nouveau les droits de l’homme qui sont, cet après-midi, ceux de la femme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mmes Daphné Ract-Madoux et Elsa Schalck applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je remercie le garde des sceaux pour son discours puissant et pour ses mots.

C’est la première proposition de loi qu’il me revient de soutenir aujourd’hui devant vous, comme ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je suis fière qu’il s’agisse d’une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution ; à entourer d’un rempart ce droit conquis de haute lutte après des années de combats féministes et grâce à l’opiniâtreté et à la force de Simone Veil. Il faut préserver ce droit, le protéger contre les menaces de vent mauvais ou les courants réactionnaires. Ce rempart doit être à la hauteur de ce qui fonde notre République, une, libre, égale, fraternelle.

C’est pourquoi il est nécessaire d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution du 4 octobre 1958. Vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, il est beaucoup plus difficile de modifier une Constitution que de changer la loi, qu’une autre majorité peut défaire en quelques mois.

Non, madame la rapporteure, malgré tout le respect que j’ai pour vos travaux, nous ne sommes à l’abri de rien. Quelle Américaine aurait imaginé, voilà encore deux ou trois ans, voir s’effondrer la protection de ce droit, soumis désormais aux aléas politiques des différents États membres des États-Unis ?

Aurait-on pensé, il y a moins de deux ans, au sein même de l’Union européenne, que des États reviennent sur le droit à l’IVG, en autorisant les femmes à avorter seulement en cas de viol ou de grave danger, ou en les contraignant à écouter le cœur du fœtus avant de prendre leur décision ?

Depuis 2017, le Gouvernement et la majorité n’ont, au contraire, cessé de renforcer la législation en matière de droits sexuels et reproductifs : en donnant un accès gratuit à la contraception pour toutes les femmes jusqu’à 25 ans ; en allongeant les délais d’accès à l’IVG de douze à quatorze semaines de grossesse ; en prévoyant le tiers payant intégral de l’IVG, afin, notamment, d’en assurer la confidentialité ; enfin, en soutenant résolument le planning familial, dont les financements seront augmentés pour le lancement de leur tchat visant à lutter contre la désinformation.

Ce combat, François Braun, ministre de la santé et de la prévention, et moi-même, nous le poursuivons en rendant dès l’an prochain la pilule du lendemain gratuite sans ordonnance, pour toutes les femmes.

Ce combat, Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, et moi-même, nous le menons cet après-midi avec la représentation nationale.

Je remercie Mme la sénatrice Mélanie Vogel de nous en donner l’occasion, par le biais de cette proposition de loi constitutionnelle, proposition que soutient également la majorité parlementaire emmenée par Aurore Bergé.

Je remercie, par ailleurs, l’ensemble des parlementaires engagés, particulièrement les membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, conduite par Annick Billon, avec laquelle j’échange de manière très régulière et très constructive.

Ce combat, la France le mène également hors de ses frontières. C’est dans ce sillon que le Président de la République a affirmé, le 19 janvier dernier, devant les eurodéputés, vouloir inscrire le droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

C’est dans ce sillon que s’inscrit notre diplomatie féministe, dont le Forum Génération Égalité, organisé à Paris en juillet 2021, a constitué le point culminant.

La contribution de la France à la défense des droits sexuels et reproductifs à l’échelle internationale se hisse à hauteur de 400 millions d’euros sur cinq ans.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les droits sexuels et reproductifs conditionnent tous les autres droits des femmes. Détricoter, écorner ou nier ces droits constitue assurément une forme de violence fondée sur le genre. Parce que les droits des femmes sont des droits humains, ils ne sont ni sécables ni hiérarchisables. Ce ne sont pas des droits à moitié, mais des droits fondamentaux, inaliénables, qu’il convient de protéger et de consolider.

Aucune femme, aucune de nos filles ne doit vivre, en France, dans la peur d’être un jour dénoncée, arrêtée, jugée pour avoir avorté, comme ce fut le cas de Marie-Claire en 1973, jugée au tribunal de Bobigny et remarquablement défendue par Gisèle Halimi. Notre République doit leur apporter cette garantie.

C’est pour toutes ces raisons que, comme l’a déjà exprimé la Première ministre, le Gouvernement est favorable à la constitutionnalisation de l’IVG.

N’en déplaise à l’extrême droite, qui, malgré le vernis qu’elle tente de nous montrer, n’a jamais été et ne sera jamais l’alliée des droits des femmes, nous devons être collectivement lucides : la menace d’un retour en arrière n’est pas une chimère. L’exemple américain, dans le pays d’Elizabeth Cady Stanton, est un avertissement.

S’attaquer à l’avortement, c’est s’attaquer à toutes les femmes, et c’est s’attaquer à la liberté. Le Gouvernement sera toujours du côté des femmes et de la liberté. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mmes Daphné Ract-Madoux et Elsa Schalck applaudissent également.)

Mme le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
Discussion générale

Mme le président. Je suis saisie, par M. Ravier, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat s’oppose à l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 872, 2021-2022).

La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la motion.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, l’immigration jusqu’au remplacement, l’islamisme jusque dans nos écoles,… (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)

M. Xavier Iacovelli. Toujours les mêmes caricatures !

M. Stéphane Ravier. … l’insécurité jusqu’à la barbarie, la fiscalité jusqu’au racket, la précarité jusqu’à la pauvreté de masse, les sujets graves ne manquent pas en France. Et nous voilà à perdre un temps précieux en discutant d’une problématique importée des États-Unis, sans aucun rapport avec la réalité de notre pays. C’est pourtant ce dont les auteurs de ce texte se réclament dans l’exposé des motifs.

Vous êtes hors sujet, je dirais même qu’il n’y a pas de sujet. C’est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, d’enterrer ce texte avant même son examen. Un texte dangereux, inutile, qui permet à ses auteurs de faire de l’agit-prop, comme l’a lui-même analysé et dénoncé, dans Le Figaro du jour, l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl.

Vous avez voté le prolongement de l’avortement jusqu’à seize semaines d’aménorrhée dans un texte de loi du mois de mars dernier. Ces attaques envers la vie ne vous suffisent-elles pas ? Il est complètement anachronique de dire que l’avortement est menacé dans notre pays, quand il existe un délit d’entrave de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour quiconque tenterait d’y opposer un avis contraire.

En 2021, 223 000 avortements ont encore été réalisés, aggravant l’hiver démographique français. Cela ne vous suffit-il toujours pas ? Notre pays a affaire à des impératifs sanitaires dont ce texte nous détourne. L’avortement pour les cas d’urgence, invoqué dans la loi Veil, est devenu en 2022 un avortement banalisé, encouragé.

Pourtant, ce n’est pas un acte anodin. Je suis inquiet de la tournure que prennent les propositions actuelles. Je vous rappelle cet amendement sur l’avortement à neuf mois ! Neuf mois ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)

Mme Laurence Rossignol. Quel menteur !

M. Stéphane Ravier. En invoquant une détresse psychosociale, vous considérez que cet infanticide légalisé est un progrès. Je considère que c’est une ignominie qui vous déshonore ! (Protestations redoublées sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)

M. Xavier Iacovelli. Comment peut-on dire des choses pareilles ?

M. Stéphane Ravier. Souvent les femmes avortent sous la contrainte psychologique ou économique ; accompagnons-les, soutenons-les ! Elle est là, la mission du politique ; il est là, notre devoir !

De plus, sur le plan juridique, ce texte vient encombrer la Constitution, dans son titre VIII pourtant consacré au pouvoir judiciaire. La Constitution régit l’organisation des pouvoirs publics, elle n’est pas une charte de droits. (Marques de désapprobation de la ministre déléguée.)

J’ai entendu que les auteurs de la loi souhaitaient constitutionnaliser un droit pour empêcher des lois régressives. Je considère que l’adjectif régressif est tout à fait celui qui correspond aux infâmes lois bioéthiques que nous avons votées, que vous avez votées ces dernières années.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Et il se dit progressiste ?

M. Stéphane Ravier. Et quelque chose me dit que le pire est encore devant nous ! Cette proposition de loi cosignée par cinq présidents de groupe – par les écologistes, les socialistes, les communistes, Renaissance et les radicaux – nous donne à voir un front commun : c’est une clarification de position, pour une plus grande clarification encore…

Mme le président. Merci, cher collègue.

M. Stéphane Ravier. Je vous propose donc…

Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, je vous trouve bien à cheval, aujourd’hui, sur le temps de parole !

Mme le président. Je le suis toujours.

M. Stéphane Ravier. Ça dépend pour qui !

M. Xavier Iacovelli. Bravo, madame la présidente !

Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, contre la motion.

Mme Mélanie Vogel. Merci, madame la présidente. Monsieur Ravier, j’aurais presque envie de vous remercier – bien évidemment, je ne vais pas le faire –, car vous démontrez exactement pourquoi nous sommes en train de faire ce que nous faisons ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

Comme le dit si souvent – et souvent si bien – Laurence Rossignol, il n’y a pas d’exception française eu égard à l’extrême droite. L’extrême droite française est comme l’extrême droite partout ailleurs : elle s’oppose aux droits des femmes, elle s’oppose aux droits sexuels et reproductifs, elle déteste tous les acquis de la République, tous les progrès que les féministes ont acquis de haute lutte, elle déteste l’égalité des droits et la liberté. N’ayez aucun doute, chers collègues ! Sa détermination à les détruire, si par le pire des malheurs de l’histoire elle arrivait au pouvoir en France, est totale, évidente et parfaitement transparente.

Et de nous raconter que le droit à l’IVG n’est pas menacé en France, qu’aucun parti politique en France ne peut revenir sur le droit à l’avortement. Voilà que la force politique qui a recueilli 42 % des voix au second tour de l’élection présidentielle vient de vous prouver le contraire. Alors oui, une clarification a lieu : il y a celles et ceux qui, dans cet hémicycle, sont en faveur des droits et des libertés fondamentales, y compris des droits et libertés fondamentales des femmes, et celles et ceux qui ne le sont pas. Chers collègues, la question est : de quel côté êtes-vous ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé proteste également.)

Je le demande, encore une fois, surtout à celles et ceux qui, dans cet hémicycle, tiennent encore à tenir l’extrême droite et son projet à distance. Prenez la mesure du moment historique que nous vivons. Les fascismes progressent, et avec eux les attaques envers nos droits les plus fondamentaux. Personne ne sait qui gouvernera la France en 2027, quelle sera la prochaine majorité à l’Assemblée nationale… personne !

La majorité d’entre nous, au sein de cette assemblée, semble attachée au droit à l’IVG. Prouvons-le ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois n’a pu se réunir pour examiner la motion, mais j’émets un avis défavorable.

Même si nous avons des opinions contraires, le débat démocratique doit avoir lieu, au sein de cet hémicycle, de manière calme et sereine. C’est la force du Sénat de pouvoir débattre en respectant les convictions des uns et des autres. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Stéphane Artano applaudit également.)

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous pensions avoir exposé tous les arguments qui nous étaient venus à l’esprit ; nous en avons d’ailleurs partagé un certain nombre. Et voilà que M. le sénateur Ravier nous chamboule !

Monsieur le sénateur, l’imaginaire est souvent le dernier refuge de la liberté. Vous venez de nous donner une formidable raison de voter ce texte.

M. Stéphane Ravier. C’est vous qui êtes dans le fantasme, dans l’imaginaire, et c’est bien le problème !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Imaginons qu’un jour, à Dieu ne plaise, vous soyez au pouvoir : l’avortement serait alors sérieusement menacé dans ce pays ! (Marques dapprobation et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Quand il s’agit des droits de l’homme, et surtout des droits de la femme, on n’est jamais hors sujet, monsieur le sénateur. Et il suffit de vous écouter pour que la question se pose.

M. Ravier n’est plus mariniste ; il est devenu zemmourien !

M. Stéphane Ravier. Zemmour ou rien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il a changé de bord, pour aller encore un peu plus à droite. Mais laissons cela, c’est de la petite politique politicienne.

Je vous remercie de nous avoir apporté ce témoignage. (M. Stéphane Ravier proteste.) Monsieur le sénateur, les mots que vous avez utilisés à la tribune, je n’aurais jamais osé les prononcer ! Je vous remercie vraiment d’être présent parmi nous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, la France ne vit pas en vase clos. Les débats de société transcendent les frontières. Nous ne pouvons donc rester insensibles aux atteintes aux droits des femmes commises non seulement outre-Atlantique, mais aussi sur le continent européen, notamment en Italie, où Giorgia Meloni, qui est aux responsabilités avec vos amis, monsieur Ravier, souhaite développer des solutions de substitution à l’avortement et propose l’octroi d’une allocation pour inciter les femmes à y renoncer.

M. Stéphane Ravier. Mon dieu, une allocation ! Mais quelle horreur ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Xavier Iacovelli. En Pologne, où d’autres de vos amis sont au pouvoir, un arrêt rendu par le tribunal constitutionnel (Vives protestations de M. Stéphane Ravier.) équivaut à une interdiction de l’interruption volontaire de grossesse.

En Hongrie, le mois dernier, un autre encore de vos amis, monsieur Ravier, a durci la réglementation en demandant aux femmes qui souhaitent avorter d’écouter battre le cœur du fœtus pour les en dissuader ! (Mme Éliane Assassi manifeste avec véhémence son indignation, tandis que M. Stéphane Ravier se récrie.) Voilà quelle est la réalité de votre famille politique à travers l’Europe et des attaques qu’elle mène contre l’interruption volontaire de grossesse !

Mme Marie-Arlette Carlotti. Il ne faut pas lui donner autant d’importance !

M. Xavier Iacovelli. Mes chers collègues, j’ai quatre questions à vous poser. En tant que législateurs, soutenons-nous le droit à l’interruption volontaire de grossesse, cette grande loi de progrès ? Soutenons-nous le droit des femmes à disposer de leur corps ? Sommes-nous attachés à ce que la France demeure ce phare des droits de l’homme au milieu de cet océan de pays qui attaquent les droits des femmes à travers le monde ?

M. Stéphane Ravier. Vous fantasmez !

M. Xavier Iacovelli. Souhaitons-nous, par cette constitutionnalisation, pousser le Gouvernement – et je lui pose également la question – à faire en sorte que ce droit soit effectif dans l’ensemble de nos territoires, notamment ruraux ?

Mme le président. Merci, cher collègue.

M. Xavier Iacovelli. J’ai été interrompu, madame la présidente !

Mme le président. J’accorderai le même temps de parole à tous, à savoir deux minutes. (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Mes chers collègues, le Sénat de la République est-il encore capable de discuter sereinement d’un sujet essentiel pour la vie de notre société ? Sommes-nous capables de laisser un instant de côté les passions et de faire un travail utile pour notre pays ? Je le souhaite.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez invoqué Simone Veil. Bien que j’aie été l’un de ses plus proches collaborateurs et que je lui sois resté fidèle jusqu’au bout, je ne parlerai pas en son nom. Nul n’a le droit de le faire.

Le vrai combat, c’est elle qui l’a mené. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.) Le vrai courage, c’est elle qui l’a eu. Il importe de lui en rendre hommage, car les équilibres qu’elle a su trouver sont ceux sur lesquels nous vivons encore, un peu moins de cinquante après. Ne les modifions pas !

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Philippe Bas. Monsieur le garde des sceaux, je ne comprends pas exactement votre position.

M. Philippe Bas. Vous avez évoqué un « beau symbole ». Mais ici, nous légiférons.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Justement, nous légiférons !

M. Philippe Bas. Et lorsqu’il s’agit de la Constitution, nous ne sommes pas à la recherche de symboles ; nous cherchons d’abord à être utiles à notre pays.

M. Philippe Bas. À la fin de votre propos, vous n’avez d’ailleurs pas manqué – et comment faire autrement ? – de prendre des distances par rapport au texte de la proposition de loi, soulignant qu’il devrait être amélioré sur bien des points, car il ne vous paraît pas apporter toutes les garanties nécessaires.

Le Gouvernement n’ayant pas pris l’initiative de déposer de projet de loi constitutionnelle,…

Mme le président. Merci, cher collègue.

M. Philippe Bas. … l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle nous condamnerait à l’organisation d’un référendum. Est-ce réellement votre souhait ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste ne votera pas cette motion tendant à opposer la question préalable.

Le débat a eu lieu sereinement en commission, où Mme Vogel a été invitée à présenter sa proposition de loi. (M. David Assouline ironise.) Mme le rapporteur a réalisé un travail équilibré.

Le principe d’une discussion générale est de permettre à chacun d’exprimer son opinion. Or, à ce moment de notre discussion, il me semble que le débat dérape. J’aurai l’occasion d’exposer la position majoritaire du groupe Union Centriste, dans le respect de ceux de nos membres qui voteront différemment. Je souhaite, au nom de mon groupe, que ce débat puisse avoir lieu et que le calme revienne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi constitutionnelle.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 7 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l’adoption 1
Contre 344

Le Sénat n’a pas adopté. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
Article unique

Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, monsieur le ministre, mes chers collègues : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».

Oui, vigilants, nous devons l’être, mes chers collègues. Cet avertissement de Simone de Beauvoir est tristement prémonitoire et d’actualité.

En effet, cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, force est de constater que le droit à l’avortement est loin d’être acquis. Entre interdiction totale et restriction, les avortements clandestins provoquent, en moyenne, la mort d’une femme toutes les neuf minutes dans le monde.

Sans me livrer à un commentaire de la jurisprudence de la Cour suprême américaine, je retiendrai que le droit à l’avortement est l’une des premières cibles des conservateurs excessifs.

J’entends et, d’une certaine façon, je comprends les arguments mis en avant par notre rapporteure. Il n’est pas faux de dire que l’inscription de ce droit dans la Constitution n’empêcherait pas une nouvelle révision constitutionnelle afin de faire céder la disposition protectrice ni qu’elle participerait à une inflation des droits constitutionnels, guère plus enviable que l’inflation législative. Les reproches faits à la « loi bavarde » concerneraient alors aussi la Constitution, et plus largement le bloc de constitutionnalité, qui perdrait en efficacité en devenant trop large.

Ajoutez à cela que le Conseil constitutionnel défend déjà l’accès à l’IVG comme composante de la liberté de la femme, qui découle de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Du point de vue du droit, tout cela se tient – d’autant que ceux qui voudraient remettre en cause l’IVG et la contraception sont extrêmement minoritaires en France.

Nous sommes donc face à un texte qui ne semble nécessaire ni d’un point de vue juridique ni d’un point de vue social. Pour autant, je suis cosignataire de cette proposition de loi défendue par Mélanie Vogel et je la voterai.

J’y vois tout d’abord un moyen de défense des droits des femmes dans notre pays. Mais c’est aussi une façon de dire que la France ne reculera pas devant l’obscurantisme et le populisme. Montrons l’exemple, quand d’autres cèdent au recul des idées de liberté et d’émancipation.

Continuons d’affirmer que les droits à l’IVG et à la contraception ne sauraient être malmenés à l’avenir ; ils ne sont pas tributaires d’interprétations. Sur un tel sujet, il est trop précaire de se résoudre à la seule interprétation du juge constitutionnel, en 2001, sur un article datant de plus de deux siècles.

Par ailleurs, un revirement de jurisprudence et d’interprétation serait trop simple à justifier. J’entends déjà ceux qui nous expliqueraient que l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne se réfère, au sens strict ou historique, ni à l’IVG ni à la contraception. Autrement dit, ce qui est arrivé aux États-Unis pourrait arriver chez nous. C’est la raison pour laquelle il faut aller au-delà.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le garde de sceaux, la constitutionnalisation d’un droit permet de le sanctuariser dans le texte suprême en un droit autonome et de le protéger de toute volonté politique, celle du législateur comme celle des juges.

Bien évidemment, dire qu’un droit constitutionnel fondamental existe ne sera pas suffisant. Nous devrons poursuivre nos efforts pour qu’il devienne effectif, qu’il s’inscrive dans les mœurs. À cet égard, l’éducation des jeunes générations est essentielle.

Il faut aussi empêcher toute restriction de personnels et suppression de centres pratiquant l’avortement lors de restructurations hospitalières.

Vous l’aurez compris, dans sa grande majorité, le groupe RDSE votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Madame le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, à l’instar de la quasi-totalité des sénateurs du groupe Les Républicains, je ne voterai pas ce texte.

Disposant de peu de temps pour vous en expliquer les raisons, mon propos risque d’être un peu brutal.

Je ne le voterai pas, car c’est de la mauvaise législation. Or nous sommes essentiellement des législateurs : lorsque nous pénétrons dans cet hémicycle, nous ne sommes pas des militants ; nous ne délivrons pas des brevets de morale ; nous ne faisons pas de la politique-fiction. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.) Nous faisons la loi…

Mme Muriel Jourda. … et ce texte, à l’évidence, serait de la mauvaise loi.

Ce serait de la mauvaise loi, car il s’agit d’un texte de réaction à une décision de la Cour suprême des États-Unis, qui vise à renvoyer aux États fédérés le soin de légiférer sur l’IVG. Pas moins de six propositions de loi ont été déposées depuis, preuve que ce texte visant à constitutionnaliser la liberté des femmes de recourir à l’IVG est bien un texte de réaction.

La réaction précède toujours la réflexion. Elle nous fait envisager une situation à travers la fenêtre étroite et déformante de l’émotion plutôt que d’en appréhender toute la complexité.

Deuxième défaut, cette législation, vraisemblablement sans le vouloir, mettrait à mal notre ordonnancement juridique. Je ne suis pas une fétichiste du droit, qui n’est qu’un outil. Toutefois, reconnaissons que nous disposons, en France, d’une boîte à outils assez garnie. Si nous voulons qu’elle reste opérationnelle, elle doit être toujours rangée.

La Constitution décrit l’organisation des pouvoirs publics et affirme un certain nombre de droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, nous indique, dans une jurisprudence constante, que le droit des femmes, la liberté des femmes de recourir à l’IVG est la déclinaison d’un de ces droits fondamentaux.

Si nous inscrivons dans la Constitution la déclinaison de tous les droits fondamentaux, au mieux nous en ferons une espèce de code général, au pire nous la rendrons illisible et en réduirons tous les effets à néant. (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Cela est à peu près certain, mes chers collègues.

Enfin, comme l’a souligné le garde des sceaux, ce texte est fait pour être un symbole.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce n’est pas uniquement un symbole !

Mme Muriel Jourda. Or la loi n’est pas un symbole, non plus que la Constitution. Nous sommes tous ici touchés par ces femmes américaines…

M. Xavier Iacovelli. Et l’Italie ?

Mme Muriel Jourda. … qui ne pourront plus, selon l’État dans lequel elles vivront, profiter de cette liberté d’avoir recours à l’IVG. Nous l’entendons parfaitement.

Toutefois, même si la France est – ou a été – le phare des libertés individuelles et de l’universalisme, nous ne pouvons nous servir de notre Constitution pour envoyer un message aux femmes du monde entier.

Un texte de loi doit produire des effets juridiques ; il n’est pas fait pour être symbolique. Il ne m’échappe pas que l’effet escompté de ce texte est de protéger la liberté des femmes de recourir à l’IVG. Mais là encore, mes chers collègues, la Constitution n’est pas un coffre-fort ; ou alors, le législateur en détient le code depuis fort longtemps, puisque nous avons modifié la Constitution pas moins de vingt-quatre fois depuis 1958. Cet effet protecteur serait donc assez moindre – mais d’autres de mes collègues développeront ce sujet.

Surtout, de quoi faut-il protéger les femmes ? Quel danger menace aujourd’hui leur liberté ?

M. François Patriat. Et la Hongrie et l’Italie ?

Mme Muriel Jourda. Lors des récentes élections nationales, quel parti politique a inscrit dans son programme l’abrogation de l’interruption volontaire de grossesse ? Aucun ! (On le conteste sur les travées du GEST.) Ce n’est pas à l’ordre du jour ; personne n’est opposé à l’IVG en France.

Mme Émilienne Poumirol. On l’attaque ici même ! (M. Stéphane Ravier sexclame.)

Mme Muriel Jourda. Cela ne veut pas dire que personne ne le soit, à titre personnel, mais ceux qui le sont gardent leur conviction en leur for intérieur.

C’est précisément tout le danger de ce texte. Comme vous le savez, cette procédure, pour aboutir, est soumise à l’organisation d’un référendum, proposé par le Président de la République. Chacun sait que les résultats des référendums éclairent moins sur l’état de l’opinion par rapport à la question posée que sur la popularité de celui qui la pose. Voilà qui me semble très hasardeux.

Surtout, chaque référendum donne lieu à un débat. En l’espèce, ceux qui conservaient leur opposition à l’interruption volontaire de grossesse dans leur for intérieur seront amenés, tout à fait légitimement, à en faire état sur la place publique. Nous en arriverons donc à la situation étonnante où, pour protéger la liberté des femmes d’une menace inexistante en France (Protestations sur les travées du groupe SER.) – et nous légiférons pour le sol français et pour le droit français –, nous allons rouvrir le débat sur une liberté qui paraissait acquise aux femmes depuis des décennies.

Mes chers collègues, si véritablement vous voulez protéger les femmes, ne votez pas ce texte ! (Protestations sur les travées du groupe SER. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Stéphane Ravier applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, avant janvier 1975 – c’était hier –, l’avortement était un délit pénal sanctionné jusqu’à cinq ans de prison. Les médecins pouvaient être condamnés à une interdiction d’exercer et les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l’étranger ou de recourir à des avortements clandestins.

La reconnaissance de l’interruption volontaire de grossesse a été le fruit d’un long combat : on se souvient du « manifeste des 343 » ou de l’acquittement de la jeune Marie-Claire ; on se souvient moins de la première tentative – très encadrée – de légalisation, défendue par Michel Poniatowski, qui échoua en 1973.

À l’époque, ce sujet a profondément divisé la société. Les débats au Parlement se sont déroulés dans une rare violence. Simone Veil, soutenue par Jacques Chirac, par une partie de la majorité et par l’opposition, défendit son texte avec acharnement malgré les attaques personnelles. Son combat était celui de toutes les femmes.

Lors de son discours devant l’Assemblée nationale, elle déclara : « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement ». Cette phrase est évidemment toujours une réalité : même s’il s’agit d’une décision réfléchie, pesée et assumée, un avortement demeure et demeurera toujours un événement marquant, un drame dans la vie d’une femme.

Suppression de la notion de détresse, allongement des délais d’avortement, remboursement à 100 % par la sécurité sociale… Depuis son adoption, la loi a été largement adaptée et améliorée.

Nous pouvons en convenir, la France n’est actuellement pas menacée d’un retour en arrière sur ce sujet. D’ailleurs, aucune parole crédible, ou reconnue comme telle, ou à tout le moins ayant une certaine audience, ne le réclame ou ne le revendique.

Bien qu’attachés à la protection fondamentale de l’interruption volontaire de grossesse, certains des membres de mon groupe ne voient pas la justification juridique de cette démarche. Ils considèrent qu’il s’agit d’un texte déclaratif, qui n’aura pas d’issue positive ; un symbole qui ne fera pas avancer concrètement l’accès à l’IVG et à l’avortement. Enfin, selon eux, toucher à la Constitution en matière de questions sociétales revient à ouvrir une boîte de Pandore. C’est la raison pour laquelle ils s’abstiendront ou voteront contre cette proposition.

En ce qui concerne l’IVG, force est de constater que toutes les autres démocraties n’avancent pas au même rythme que la France. Au sein même de l’Union européenne, en Pologne, une loi vient de restreindre le droit à l’avortement, qui n’est plus autorisé qu’en cas de viol ou d’inceste.

De l’autre côté de l’Atlantique, la Cour suprême a remis en cause l’avortement : chaque État fédéré est désormais libre de l’interdire – une dizaine d’entre eux font d’ailleurs déjà marche arrière.

À nos frontières, en Italie, Mme Meloni, qui vient de remporter les élections, assume de favoriser le droit à ne pas recourir à l’IVG. Preuve que le combat perdure et que la liberté d’avorter n’est pas acquise, là où nous aurions pu la penser intouchable.

Madame la sénatrice, je ne partage pas certaines des convictions que vous défendez. Votre conception de la société n’est pas vraiment la mienne. Les propos que vous avez tenus plus tôt sont un peu agressifs et culpabilisants, et je ne suis pas certain qu’ils servent de la meilleure manière la cause que vous défendez. Néanmoins, comme d’autres collègues de mon groupe, je voterai en faveur de votre proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

Ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire ; il sera beaucoup plus difficile de s’attaquer à cette liberté quand elle sera gravée dans le marbre de la Constitution.

Pour conclure, je dirai qu’il ne manque pas de saveur de voir celles et ceux qui remettent en cause nos institutions, qui défendent l’idée d’une VIe République, s’appuyer aujourd’hui sur la Constitution voulue par le général de Gaulle (Sourires sur les travées du groupe UC.) pour protéger un droit fondamental et essentiel des femmes de ce pays. Je voulais souligner cette avancée.

Comme je l’ai rappelé, fidèles à l’ADN du groupe Les Indépendants – République et Territoires, chacun de nos membres votera selon ses convictions. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’est-ce qu’une Constitution ?

Les étudiants en première année de droit et de sciences politiques sont soumis à cette épineuse question dès leur premier cours de droit constitutionnel. La réponse tient en trois points : il s’agit, premièrement, d’un traité d’organisation des pouvoirs publics garantissant leur séparation ; deuxièmement, d’un système de subordination des normes ; troisièmement, d’un corpus de droits et de valeurs.

La Constitution est notre norme suprême. Chacun, dans cet hémicycle, connaît la force aussi bien juridique que symbolique du texte constitutionnel et des principes à valeur constitutionnelle. Entendre sur nos travées qu’inscrire le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution ne serait pas ou peu utile me stupéfait, encore plus après les propos abjects du sénateur Ravier.

M. Stéphane Ravier. Décidément !

M. Guillaume Gontard. Non, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne protège pas positivement le droit à l’IVG. Oui, son inscription dans le marbre constitutionnel, bien plus dur à tailler que le calcaire de la loi, est une protection considérable accordée aux femmes. Beaucoup en rêvent à travers le monde ; on la pleure de l’autre côté de l’Atlantique.

Il est un truisme qu’il faut étrangement répéter, et vous avez raison, monsieur le ministre, de le faire : il est bien plus complexe de modifier le texte constitutionnel que la loi, a fortiori dans notre Ve République rationalisée, où l’exécutif tient le Parlement dans sa main. De l’autre côté des Alpes, malgré sa victoire d’une ampleur inédite, la coalition des fascistes et de la droite n’est pas en mesure de changer la Constitution. C’est un soulagement.

Comme M. le garde des sceaux l’a rappelé, ne prenons pas de risque ! Le funeste destin politique de nos voisins transalpins nous rappelle que si l’IVG n’est pas aujourd’hui menacée dans notre pays, il faut profiter de ce moment pour protéger ce droit avant qu’il ne soit trop tard. Pareille occasion ne se représentera pas de sitôt.

Comment inscrire le droit à l’IVG dans le corpus de droit et de valeurs qu’est notre Constitution ?

Ce débat est légitime. Dans la tradition constitutionnelle française, ces droits et valeurs sont plutôt énumérés dans des textes historiques, qui font la grandeur de notre pays : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le magnifique préambule de la Constitution de 1946, textes rattachés au préambule de la Constitution de 1958.

Mais ce n’est pas une exclusive : nombre de valeurs cardinales et de droits fondamentaux de notre République sont énoncés au long des articles de la Constitution, tels que l’égalité, la laïcité, la souveraineté nationale, l’abolition de la peine de mort.

Alors que faire ? Écrire une nouvelle charte des droits des femmes pour compléter la trop masculine Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Renforcer l’article 1er de la Constitution, qui assure déjà la parité politique ? Créer un article 66-2 pour interdire l’entrave à l’IVG ? Ce débat est fécond et légitime, mais ce n’est pas celui du jour.

Nous ne souhaitons pas, sur la base de ce texte, engager aujourd’hui un processus de révision constitutionnelle d’origine parlementaire qui déboucherait sur un référendum. Nous souhaitons envoyer un message politique au Gouvernement pour le rassurer et lui signifier qu’il trouvera au Sénat une majorité pour faire adopter un projet de loi inscrivant le droit fondamental à l’IVG dans notre Constitution.

Libre à lui, libre à vous, monsieur le garde des sceaux, de choisir la rédaction qui conviendra le mieux, de convoquer une commission spéciale d’éminents juristes, ou même une Convention citoyenne, pour écrire une charte des droits des femmes.

Aujourd’hui, nous souhaitons que le Sénat se prononce en faveur de ce principe,…

Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Guillaume Gontard. … en faveur de ce symbole politique extrêmement fort qui rayonnera partout dans le monde, en faveur de cette protection juridique suprême. Oui, c’est notre combat. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)

Mme le président. Je remercie les orateurs de bien vouloir respecter leur temps de parole.

La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, au cours d’un mandat, il y a des prises de parole plus importantes que d’autres, il y a des textes que l’on aborde avec le sentiment que nos mots comptent davantage. Cette proposition de loi constitutionnelle en fait partie.

Le groupe RDPI a, dans sa majorité, cosigné ce texte et, s’il est unanimement attaché au droit des femmes à l’IVG et à son plein accès, c’est en tant que cosignataire que je m’exprime aujourd’hui.

Je viens d’un territoire – la Guadeloupe – où le taux d’avortement, trois fois supérieur à la moyenne hexagonale, est le plus élevé de France. On ose à peine imaginer ce qu’un recul de ce droit pourrait y provoquer.

La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons cet après-midi vise à protéger et à garantir ce droit fondamental en l’inscrivant dans la Constitution. Nous l’abordons alors que l’issue de nos débats ne fait guère de doute, même si je souhaite me tromper.

Mais puisqu’il s’agit de prendre rendez-vous, j’aimerais revenir sur les arguments avancés par la commission des lois pour justifier le rejet du texte.

Le premier, d’ordre politique, consiste à dire que le droit à l’IVG n’est pas menacé en France. Il ne l’est pas, en effet, si l’on considère les professions de foi des principaux partis politiques ou même l’attachement des Françaises et des Français à ce droit.

En cela, mes chers collègues, nous vous rejoignons. La vraie question, cependant, est de savoir si le droit à l’IVG sera menacé demain. Cette menace existe aujourd’hui aux États-Unis et, plus près de nous, en Pologne, en Hongrie et même en Italie.

Cette menace, nous la retrouvons dans les propos, actuels ou passés, de responsables politiques qui, s’ils ne s’opposent pas frontalement à l’IVG ou à la contraception, cherchent insidieusement à en écarter les femmes.

C’est ce constat, que nous sommes nombreux à partager sur ces travées et dans notre pays, qui nous amène à contester le deuxième argument soulevé par la commission.

La semaine dernière, elle a estimé qu’une modification de la Constitution ne s’imposait pas et qu’il s’agissait d’une mesure « purement proclamatoire et symbolique » qui ne permettait pas « d’apporter une réponse aux difficultés d’accès à l’IVG ».

Soit. Mais l’enjeu n’est pas ici de renforcer un droit ni même de le rendre plus effectif. Il s’agit d’empêcher un retour en arrière en cas de changement de majorité politique. Peut-être est-ce de la politique-fiction, mais l’actualité nous montre chaque jour que la fiction peut devenir soudainement réalité.

Il s’agit de rehausser le niveau de protection d’un droit, qui fait désormais pleinement partie de notre contrat social, justement consacré par la Constitution, et de rendre plus difficile une régression que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne saurait interdire.

Aucune loi fondamentale ne protège aujourd’hui dans le monde le droit des femmes à avorter. En constitutionnalisant le droit à l’IVG, notre pays ferait également œuvre de pionnier. Fidèle à sa vocation universaliste, il enverrait un message fort aux pays où le droit à l’avortement n’existe pas et un message clair aux pays où ce droit est aujourd’hui bafoué.

Je terminerai en rappelant que la constitutionnalisation du droit à l’IVG ne serait pas exclusive de son inscription dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que, aux côtés du Président de la République, nous appelons de nos vœux.

C’est dans la perspective de ces combats que nous serons nombreux, au sein du groupe RDPI, à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, je m’attacherai tout d’abord, madame la rapporteure, à évoquer votre rapport.

Selon vous, l’IVG ne fait l’objet d’aucune remise en cause aujourd’hui en France. Je ne partage pas votre sérénité.

Les courants hostiles à l’IVG n’ont jamais désarmé depuis 1975. Ils disposent de moyens financiers considérables, drainés à l’international, s’appuient sur des institutions puissantes, comme la Fondation Jérôme Lejeune, sont hyperactifs sur le net et capables d’organiser, comme il y a quinze jours, des manifestations de 600 personnes à Lyon, ce que je prends très au sérieux.

Aujourd’hui, c’est vrai, ils n’ont pas, ou peu, de relais affichés dans le monde politique. Mais, d’autres collègues l’ont dit avant moi, qui gouvernera la France dans cinq ans ? Je n’en sais rien ; je sais, en revanche, que le risque d’une coalition autour de l’extrême droite n’est pas exclu.

J’observe que partout où des conservateurs, des réactionnaires, des populistes d’extrême droite sont au pouvoir, le droit à l’IVG est leur cible et l’hostilité aux droits des femmes est leur étendard.

Je ne crois pas, en effet – Mélanie Vogel a eu la gentillesse de me citer précédemment –, à une quelconque exception française de l’extrême droite en la matière. Et, pour tout vous dire, ce n’est pas l’intervention de notre collègue, représentant de ladite extrême droite au Sénat, qui m’a rassurée sur ce point…

Vous dites que notre proposition de loi importe des débats des États-Unis. Mais point n’est besoin d’aller si loin ! D’autres l’ont dit avant moi : au sein de l’Union européenne, Malte, la Pologne, la Hongrie et maintenant l’Italie sont dirigés par des formations politiques hostiles à l’IVG et élues sur ces programmes d’hostilité.

Quant à la Suède, déjà la nouvelle coalition y a indiqué vouloir mettre un terme à la « diplomatie féministe ». Nous les surveillons avec beaucoup de vigilance.

Vous affirmez que le Sénat est attaché aux lois Veil et Neuwirth. Permettez-moi, madame la rapporteure, de souligner que votre attachement est tout de même assez minimaliste…

Depuis 1975, la loi Veil a été modifiée sept fois, ce que vous avez d’ailleurs rappelé comme étant un acquis collectif. Or vous et vos prédécesseurs vous y êtes systématiquement opposés, et ce encore voilà dix-huit mois, lorsqu’il s’agissait de voter la loi Gaillot. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

Si l’on vous avait écoutés, l’IVG ne serait toujours pas remboursée : en 1982, la loi Roudy a été rejetée par le Sénat. Les femmes devraient toujours prouver qu’elles sont réellement en détresse. Les mineures devraient toujours obtenir l’autorisation de leurs parents. Et je ne suis même pas certaine que la pilule du lendemain serait en vente libre…

Vous êtes terriblement prévisibles : quelle que soit la question, dès lors qu’il s’agit d’améliorer l’accès à l’IVG, la réponse est non.

Enfin, je dirai quelques mots sur la phrase, maintes fois entendue, selon laquelle il ne faudrait modifier la Constitution que d’une main tremblante.

Depuis 2011, le groupe Les Républicains du Sénat a déposé dix propositions de loi constitutionnelle.

M. Philippe Bas. Excellentes !

Mme Laurence Rossignol. Votre main ne tremble donc pas toujours ! Et sous les présidences Chirac et Sarkozy, il y a eu pas moins de cinq réformes constitutionnelles.

Le vote que nous allons émettre tout à l’heure n’est pas destiné à enrichir les chroniques de droit constitutionnel. C’est un vote politique. Que la proposition de loi soit adoptée ou rejetée, le Sénat enverra un signal… et ce ne sera pas le même.

Si nous l’adoptons, nous sécurisons davantage l’avenir et nous envoyons un message aux femmes et aux progressistes qui revendiquent d’affronter l’adversaire de leur liberté.

Si le Sénat rejette ce texte, personne ne retiendra vos subtilités juridiques. Tous les adversaires des libertés des femmes, tous ceux qui préfèrent les avortements clandestins au droit de choisir, se sentiront plus forts parce que moins seuls et appuyés par une puissante institution : la nôtre.

Et ils reviendront, car l’IVG est le totem des réactionnaires, des conservateurs, des néofascistes, de tous ceux qui s’opposent à l’émancipation des femmes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Il y a huit jours, nous étions là, au même endroit, ensemble, pour témoigner de notre solidarité avec les femmes iraniennes. (M. Stéphane Ravier sexclame.) Et nous étions unanimes.

J’ai dit, ce jour-là, que nous devions combattre avec la même détermination tous les intégrismes et les totalitarismes religieux, tous ceux qui prétendent que des lois de Dieu sont supérieures à celles des hommes. Il n’y a pas de différence entre le fait d’obliger les femmes à dissimuler leur corps et celui de leur interdire de choisir quand et avec qui elles seront mères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Qui sont les activistes anti-IVG ? Qui sont-ils, ces militants qui veulent empêcher les femmes d’avorter, qui veulent nous renvoyer aux avortements clandestins ? Civitas, Laissez-les vivre, Les Survivants et d’autres : ce sont tous des militants intégristes et traditionalistes chrétiens, catholiques ou évangéliques, qui clament leur hostilité à la liberté des femmes.

Il n’y a pas plus de liberté pour les femmes dans les idéologies religieuses qui leur imposent le port du foulard islamique que dans celles qui leur refusent le droit à l’avortement ou à la contraception.

Mme Laurence Rossignol. Voilà ce que nous voulons faire avec cette proposition de loi : protéger les droits des femmes et dire clairement à ceux qui refusent les valeurs de la République que, dans la confrontation avec les intégristes de tout poil, à la fin, grâce à nous, c’est toujours la République qui gagne !

Enfin, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, bien sûr, vos deux interventions nous ont confortés. Mais prenez la main ! Si vous considérez que les rédactions présentées ne sont pas bonnes, proposez-en une autre.

Vous aussi auriez pu amender, madame la rapporteure. Il n’est pas rare, en effet, que vous amendiez des propositions de loi de l’opposition… (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

Déposez un projet de loi ! Épargnez-nous ces aller et retour, ces votes aléatoires. Dites que le Gouvernement ne soutient pas simplement le Parlement, mais qu’il veut que le droit à l’IVG soit constitutionnalisé ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE, RDPI et INDEP. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir inscrit dans sa niche parlementaire cette proposition de loi, cosignée par 114 sénatrices et sénateurs, dont les membres de mon groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Cette volonté de constitutionnaliser le droit à l’IVG n’est pas nouvelle. Cela fait dix ans, depuis 2012, que le parti communiste défend cette idée. Mon groupe avait déposé une proposition de loi en ce sens dès 2017 – avant même le récent arrêt de la Cour suprême des États-Unis. Et faute d’avoir pu l’inscrire dans notre espace réservé, nous avions proposé un débat sur ce thème, qui s’était tenu dans cet hémicycle.

Avions-nous tort de vouloir protéger davantage ce droit ? Nos craintes face à la montée de mouvements conservateurs et réactionnaires étaient-elles infondées, exagérées ? Malheureusement non ! Je ne redonnerai pas la liste des pays qui, depuis, ont pris ou prennent un chemin inquiétant, mais personne ne peut affirmer ici que le monde actuel s’apaise et va vers un renforcement des droits des femmes.

Avec cette proposition de loi, importe-t-on, comme cela a été reproché en commission des lois, un débat lié notamment à l’organisation constitutionnelle propre aux États-Unis ?

Mes chers collègues, en France, pays des Lumières, des droits de l’homme, il me semble que des signes concrets et inquiétants existent ; et nous venons d’en avoir encore une preuve…

De la Manif pour tous aux groupes pro-choix, aux mensonges déversés sur internet pour culpabiliser et détourner les jeunes femmes de leur projet d’avortement, en passant par l’élection récente de 89 députés de la droite extrême, la remise en cause du droit à l’IVG est constante et s’inscrit dans un tout cohérent d’atteintes aux libertés individuelles. D’autant que l’on ne peut ignorer la fermeture de 58 centres d’interruption volontaire de grossesse (CIVG) en 2018, après celle de 130 d’entre eux de 2000 à 2010.

À cette casse organisée s’ajoute le manque de gynécologues, qui renforce les difficultés d’accès à l’IVG. Je pourrais aussi citer l’existence de la double clause de conscience ou encore la non-parution des décrets autorisant les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales.

Ainsi en France, le droit à l’IVG est sans cesse menacé, malgré quelques récentes dispositions législatives favorables, obtenues contre l’avis de la majorité sénatoriale – je pense particulièrement à la loi Gaillot.

Maîtriser le corps des femmes, vieille lune du patriarcat, est un enjeu de pouvoir. Sinon, comment comprendre que ce droit soit remis en cause partout ? Toutes ces attaques sont révélatrices du fait que les femmes sont toujours considérées comme des êtres mineurs qu’il faut encadrer, contrôler, car elles ne peuvent décider seules.

Alors que le droit à l’IVG est inscrit dans le code de la santé publique, la question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : ce droit chèrement conquis par la lutte des féministes, des progressistes, a-t-il besoin d’être protégé ? Au regard des quelques éléments que je viens de citer, cela ne fait aucun doute. La question de l’inscription dans la Constitution est donc en réalité secondaire et ne peut servir de prétexte pour ne pas soutenir ce texte.

De quoi avez-vous peur, mes chers collègues ? De dénaturer notre Constitution ? Je remarque que celles et ceux qui s’opposent à la constitutionnalisation du droit à l’IVG et à la contraception, sous le prétexte juridique qu’elle ne serait pas nécessaire, sont les mêmes qui s’opposent systématiquement au renforcement de ce droit et, d’une manière plus générale, à la conquête de nouveaux droits pour les femmes.

Depuis des années et aujourd’hui encore, que cela vous plaise ou non, les femmes veulent maîtriser leur fécondité et choisir ou non de mener à bien une grossesse. « Notre corps, nos choix, nos droits ! », disent-elles.

Mes chers collègues, il est l’heure de regarder objectivement ce qui se passe en France, à l’aune de ce que l’on observe également en Europe ou dans le monde. Ne croyons pas que nous vivions dans un État de droit qui serait meilleur et plus solide qu’ailleurs – le garde des sceaux l’a souligné. Utilisons, au contraire, tous les outils à notre disposition pour renforcer notre législation actuelle face à un droit de toute part menacé.

Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Laurence Cohen. Cinquante ans après le procès de Bobigny, agissons tant que nous le pouvons, pour ne pas dire un jour : « Si on avait su ! » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Michel Dagbert applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la volonté d’inscrire l’interruption volontaire de grossesse et la contraception dans le marbre constitutionnel n’est pas nouvelle : pas moins de six propositions de lois ont été déposées entre fin juin et début septembre 2022 sur les bureaux des deux assemblées.

C’est bien évidemment l’actualité américaine qui nous fait siéger cet après-midi.

M. Xavier Iacovelli. Et l’Italie, la Pologne, la Hongrie ?…

M. Loïc Hervé. C’est même l’actualité d’une juridiction, la Cour suprême des États-Unis, pays dans lequel un revirement de jurisprudence, l’arrêt Dobbs v. Jackson Womens Health Organization est venu, cette année, modifier l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973, qui avait accordé une protection fédérale à l’avortement sur le fondement du quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis.

Cet amendement dispose notamment qu’aucun État « ne privera quiconque de la vie, de la liberté ou de la propriété, sans procédure légale régulière ». Désormais, aux États-Unis, la question de l’avortement est redevenue une compétence des États fédérés.

Chère collègue Mélanie Vogel, vous avez commencé votre intervention en disant que la Constitution fonderait le contrat social. C’est confier à notre texte fondamental une fonction qui ne peut évidemment pas être la sienne…

Je m’explique : si votre proposition de loi était adoptée dans les mêmes termes au Sénat puis à l’Assemblée nationale, et enfin par une ratification populaire par référendum, c’est le Conseil constitutionnel qui deviendrait l’instance en charge de veiller à la portée du texte constitutionnel lui-même.

Cela revient à risquer de déposséder la représentation nationale de la capacité de modifier les règles qui encadrent l’IVG et la contraception. Depuis 2008, le Conseil constitutionnel peut être saisi de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui permettraient de rendre contraires à la Constitution des dispositions législatives plus anciennes encore. C’est donc à des membres nommés par le Président de la République, par le président du Sénat et par celui de l’Assemblée nationale qu’il reviendrait d’en décider, qu’ils soient davantage conservateurs ou progressistes, avec, par principe, l’absence de tout contrôle démocratique sur cette institution.

Notre pays, conformément à l’article 1er de la Constitution est une République indivisible : le législateur dispose d’une plénitude de compétence et les lois s’appliquent de la même manière à chacun de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national. À cet égard, aucune comparaison avec les États-Unis n’est possible. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Rossignol. Et avec l’Italie ?

M. Loïc Hervé. Je voudrais revenir sur deux lois qui définissent aujourd’hui l’accès à l’IVG et à la contraception.

La première est la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse – portée par Simone Veil, alors ministre de la santé, et dont les liens avec le groupe Union Centriste ne sauraient être remis en cause –, qui est venue encadrer une dépénalisation de l’avortement. Depuis, les conditions de son application n’ont jamais cessé d’évoluer – remboursement de l’IVG, possible accès d’une femme mineure sans le consentement d’un adulte, suppression des notions de « situation de détresse » et de « délai obligatoire de réflexion ».

La seconde est la loi du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du code de la santé publique, portée par Lucien Neuwirth. Depuis lors, l’accès à la contraception a, lui aussi, évolué considérablement au fil des années.

Il semble important de rappeler qu’aucun parti politique n’a jamais appelé à remettre en cause l’IVG dans son principe, et encore moins la contraception.

Nous sortons tout juste d’échéances électorales majeures. Or nous n’avons entendu aucun candidat à l’élection présidentielle, y compris aux extrêmes de l’échiquier politique, remettre en cause les acquis des lois Veil et Neuwirth.

Mme Laurence Rossignol. Mais bien sûr, ils ne sont pas dangereux…

M. Loïc Hervé. Autrement dit, le risque politique que vous invoquez en France, en 2022, n’existe pas, et c’est tant mieux.

Notre collègue Mélanie Vogel y a insisté en commission : ce serait justement parce que ce droit n’est pas encore menacé qu’il faudrait modifier notre norme fondamentale ; après, « il serait trop tard »… Cet argument ne m’a bien évidemment pas convaincu.

Par ailleurs, mes chers collègues, n’oublions pas le vrai sujet. Je vous le dis en tant que membre de la délégation sénatoriale aux droits de femmes, dans un contexte de désertification médicale, l’accès à l’IVG est rendu parfois très difficile, notamment parce qu’il n’est pas évident d’obtenir les rendez-vous médicaux obligatoires. Les plus touchées sont les femmes originaires des territoires ruraux. Si ce droit existe, il n’est pas appliqué de manière pleine et entière sur l’ensemble du territoire.

Avant de nous interroger sur la nécessité, avant tout symbolique, d’une inscription dans la Constitution, nous devons nous préoccuper – et le Gouvernement aussi ! – de l’effectivité de l’application de la loi.

Il est vain d’inscrire ce droit dans la Constitution si, au quotidien, dans l’ensemble de nos territoires, certaines de nos compatriotes ne peuvent in concreto s’en prévaloir.

Notre commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes du Sénat se sont intéressées à ces complexités. Elles estiment que ces sujets reposent avant tout sur l’organisation du système de soins et sur des mesures concrètes relevant du pouvoir réglementaire, ce qui dépasse largement ce débat relatif à une révision constitutionnelle.

En respectant les collègues de mon groupe qui ont cosigné cette proposition de loi constitutionnelle, ainsi que tous ceux qui s’apprêtent à voter ce texte, le groupe Union Centriste, dans sa majorité, suivra les conclusions de Mme la rapporteure Agnès Canayer et ne soutiendra pas l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Xavier Iacovelli. Eh bien, ce n’est pas beau !

M. Loïc Hervé. Mais c’est mon droit…

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte pour la légalisation de l’IVG a été d’abord incarnée par Gisèle Halimi, signataire du « manifeste des 343 salopes ». Ces Françaises courageuses ont alors publiquement assumé leur avortement, malgré les poursuites pénales encourues. S’ensuivit le procès de Bobigny, en 1972, qui bouleversa l’opinion et ouvrit la voie, trois ans plus tard, à la fameuse loi défendue par Simone Veil, dont je salue l’œuvre et la mémoire.

Nous ne voulons pas d’un retour en arrière. Nous sommes probablement quelques-unes dans cette assemblée à avoir avorté. Même aujourd’hui, nous n’osons pas le dire ouvertement en raison des convenances qui régissent encore notre milieu. J’en fais partie.

En revanche, notre tour est venu de protéger nos filles, nos sœurs et nos concitoyennes en leur garantissant formellement le droit de choisir leur maternité. Sans souffrance, sans honte ni culpabilité. Nous voulons librement disposer de notre corps. Aux hommes, la société accorde bien le privilège de choisir leur paternité, y compris le droit de reconnaître ou non leur enfant. Pourquoi la sexualité féminine devrait-elle toujours être contrôlée ?

Le contexte social est particulièrement difficile, et l’extrême droite ne cesse de gagner du terrain. La menace d’un Donald Trump français à l’Élysée, dans quelques années, n’est pas illusoire.

Il nous faut donc légiférer sans plus attendre. Pour empêcher qu’un jour la majorité au pouvoir puisse décider de revenir sur ce droit fondamental, sans qu’il y ait face à elle une véritable armure constitutionnelle.

Je tiens à saluer l’initiative parlementaire de ma collègue Mélanie Vogel et des cosignataires de ce texte, qui nous donne l’occasion de débattre de ce sujet, et porte le droit à l’avortement et à la contraception jusqu’au sommet de notre ordre juridique.

Nous connaissons tous ici la difficulté que poserait l’organisation d’un référendum si une telle proposition de loi était adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres, particulièrement en cette période politique instable. J’appelle donc l’exécutif à se saisir de ce texte et à le faire sien en présentant un projet de loi.

Je profite également de cette intervention pour demander au Président de la République de faire transférer la dépouille de Gisèle Halimi au Panthéon. Son combat a contribué à changer la vie de millions de Françaises ; sa place est auprès de Simone Veil. (Applaudissements sur des travées des groupes GEST et SER.)

Mme Laurence Rossignol. Très bien ! Bravo !

Mme le président. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Madame le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, faut-il inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution ? Est-ce nécessaire et utile pour garantir son accès aux femmes ?

À part quelques groupuscules, personne dans notre pays ne remet en cause cette liberté des femmes, pas plus que la loi Veil. On compte ainsi 220 000 IVG par an en France, pour 700 000 naissances.

L’inscription de ce droit dans la Constitution est une fausse bonne idée, pour ne pas dire une fausse protection.

C’est un principe général qui serait inscrit dans la Constitution : « Les femmes ont le droit d’avorter. » Mais les modalités resteraient définies par une loi qui pourrait en restreindre les contours actuels. Par ailleurs, s’il est plus compliqué de modifier la Constitution qu’une loi, c’est pour autant possible ; nous l’avons déjà vu.

J’ajoute, en tant que médecin, élue locale et parlementaire, défenseur convaincu et déterminé des droits des femmes et de l’IVG, que bien des droits humains nécessitent d’être protégés, que bien des nobles causes et des grands principes méritent d’être sanctuarisés. Comment peut-on imaginer les faire entrer tous dans la Constitution ? Et qui peut déterminer une priorité ? Je pense, par exemple, à l’inceste…

Un texte utile ? Encore moins ! Il est peut-être même dangereux. S’il devait y avoir référendum, campagne et débats, les répercussions pourraient être malheureuses, inattendues, imprévisibles pour les femmes, (Mme Laurence Rossignol le conteste.) à l’heure où notre démocratie est fatiguée, où le socle de notre vie commune est malmené.

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, n’est-ce pas avoir peu confiance en l’avenir de notre démocratie ? Avez-vous si peur de 2027 ? (Oui ! sur des travées du groupe SER.)

La seule véritable garantie que nous ayons quant au maintien de ce droit consiste à protéger, à animer notre vie démocratique, à éduquer nos enfants à la démocratie, au vote, au respect de l’autre, à la protection des plus fragiles. Seuls le populisme, l’ultra-conservatisme, les dérives autoritaires, les gouvernements rétrogrades conduisent à une régression démocratique et menacent le droit à l’avortement. Notre vrai combat est là.

Si l’on observe le monde, en quoi la Constitution serait-elle un obstacle pour les ennemis de la démocratie et des droits des femmes ? Il y a une naïveté à le penser, et peut-être une fausseté politique à prétendre le contraire. Or il faut se parler vrai et juste.

Sanctuariser le droit à l’IVG passe par la préservation de nos institutions – très différentes de celles des États-Unis, par exemple – et de notre démocratie.

Y a-t-il quelque chose à faire ? Oui !

Une loi doit être assortie d’une obligation de moyens. Il faut soutenir les plannings familiaux, promouvoir les médecins et les infirmiers scolaires, lutter contre la sous-densification médicale et les inégalités territoriales : une maternité qui ferme, c’est potentiellement aussi un centre IVG qui disparaît.

Dans une scène du film Simone, on voit Simone Veil, ministre de la santé, refuser d’entrer dans une chambre vide, « de faire semblant » en adoptant des postures purement symboliques. Quelle leçon !

Les femmes méritent en effet mieux qu’« un faire semblant », qu’une inscription dans la Constitution « au cas où » qui ne serait en réalité qu’un faux-semblant.

Oui, il faut prévenir et protéger. Il faut prévenir nos jeunes, garçons et filles, en leur dispensant une éducation sexuelle sérieuse.

Il faut protéger les femmes, en permettant un égal accès à l’IVG pour toutes dans des conditions médicales correctes, par des professionnels formés et à leur écoute. Cela consiste aussi à les accompagner « dans l’après », avec une prise en charge adaptée.

Voilà ce qui servirait réellement la cause des femmes, voilà ce que nous sommes en droit d’exiger, voilà ce que nous sommes en droit d’obtenir ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

Mme le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle initiale.

proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

Le titre VIII de la Constitution est complété par un article 66-2 ainsi rédigé :

« Art. 66-2. – Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. »

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Mme Rossignol veut « envoyer un message ».

Mme Laurence Rossignol. C’est vous qui allez envoyer un message !

M. Philippe Bas. M. le garde des sceaux dit : « Quel beau symbole ! »

Or nous devons écrire le droit, la législation. Je suis convaincu que ce texte n’est pas seulement inutile, mais également inefficace au regard des objectifs que s’assignent ses auteurs. Et j’attends, en juriste, que l’on vienne me démontrer le contraire.

Tout d’abord, cette proposition de loi est inutile. En effet, le Conseil constitutionnel, dès 1975, a validé la loi sur l’IVG, en soulignant que son article 1er, qui énonce le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, doit pouvoir connaître des limites – c’est-à-dire justement, en cas de nécessité, le droit à l’IVG.

En 2001, le Conseil constitutionnel est allé beaucoup plus loin, en disant que le droit à l’IVG résultait de la liberté de la femme enceinte sur le fondement des articles II et IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Ce texte est donc, j’y insiste, inutile.

Toutefois, il est également inefficace, car aucune des « avancées » – pour reprendre les termes de ceux qui se sont exprimés dans ce sens –, mises en place depuis la loi Veil – le délai passé à douze, puis à quatorze semaines, le remboursement, la suppression de la condition de détresse, le raccourcissement du délai de réflexion, l’accès des mineures à l’IVG – ne serait protégée par la rédaction qui a été proposée.

À partir du moment où l’on permet le libre accès à l’IVG, mais que l’on reconnaît que ce droit ne peut être illimité, le législateur garde pleine compétence pour apporter des restrictions à son exercice.

Je le répète, ce texte est donc à la fois inutile et totalement inefficace. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Les civilisations ne sont pas les seules à être mortelles : les édifices juridiques le sont aussi ! Les conquêtes se font en général par le droit, mais il peut en aller de même pour les reculs et les remises en cause…

Croire que le droit, notamment la jurisprudence du Conseil constitutionnel, suffira à nous sauver est une grave erreur. C’est comme dans l’histoire des trois petits cochons : le loup est toujours là – un louveteau s’est d’ailleurs exprimé précédemment… (M. Stéphane Ravier manifeste son ironie.) – et il peut souffler jusqu’à détruire les édifices juridiques.

Les arguments qui ont été utilisés pour remettre en cause l’arrêt Roe v. Wade sont très simples : il ne s’agissait que d’une décision juridique, elle était erronée et elle constituait un abus d’autorité judiciaire. Des considérations non juridiques ont été prises en compte : affirmer que tuer un être humain qui n’est pas encore né pose des problèmes de morale, c’est non pas du droit, mais de l’idéologie ; prétendre que la vie des Américaines n’a pas été transformée par l’arrêt Roe v. Wade, c’est encore de l’idéologie.

Mes chers collègues de droite, la proposition de loi aurait certes pu être améliorée, mais vous avez choisi de ne rien faire.

M. Philippe Bas. Vous aussi !

M. Éric Kerrouche. Je terminerai en rappelant, puisque Philippe Bas aime le droit, ce que déclarait le grand constitutionnaliste anglais Walter Bagehot au XIXe siècle : une constitution comprend deux parties, l’une qui est efficace et l’autre qui suscite le respect. Cet après-midi, ensemble, nous aurions pu construire un texte qui, justement, suscite le respect de toutes et de tous. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI. – M. André Guiol applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.

Mme Michelle Meunier. La proposition de loi qui nous réunit ce soir vise à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Avec celles et ceux qui ont déposé ce texte, nous voulons affirmer de nouveau et avec plus de détermination le droit des femmes dans notre pays à disposer de leur corps.

Je ne reviens pas sur les arguments juridiques avancés à la droite de cet hémicycle pour repousser cette inscription dans la Constitution.

Notre combat est politique et symbolique, comme Laurence Rossignol l’a rappelé à la tribune. Il vise à soutenir encore et toujours les femmes qui souhaitent une IVG. Nous assistons, impuissantes, à un recul de l’accès à l’avortement non seulement à l’étranger, mais aussi en France, où ce droit est de plus en plus attaqué par des franges minoritaires et réactionnaires, qui veulent imposer au plus grand nombre leurs convictions religieuses personnelles. Nous ne pouvons laisser passer cela !

Récemment, lors d’un rassemblement à Nantes en soutien aux femmes privées du droit à l’avortement dans le monde, des banderoles haineuses ont été brandies par des anti-IVG. Des inscriptions assimilant l’avortement à un génocide ont sali nos trottoirs. Cela n’est pas tolérable !

J’attendais de l’ensemble de nos groupes politiques au Sénat une forme d’unanimité, un consensus, sur la question de la constitutionnalisation de l’IVG. Ce n’est pas le cas, et je le regrette.

Chers collègues de la majorité, combien de temps encore entretiendrez-vous le flou sur les idées de l’arc réactionnaire ? Votre famille politique ne risque-t-elle pas de se déshonorer par son silence ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Notre groupe votera évidemment cette proposition de loi, dont nous sommes les consignataires. Nous remercions Mélanie Vogel d’avoir été à son initiative et de l’avoir, avec son groupe, inscrit dans son temps de débat parlementaire.

J’ai entendu des propos qui me surprennent venant de mes collègues à la droite de cet hémicycle, parce que je les ai connus, dans d’autres circonstances, plus courageux et plus sincères. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Car les arguties juridiques avancées par Philippe Bas ne sont pas opérantes.

M. Loïc Hervé. Voilà qui est sévère !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est intéressant de constater que l’on a recours à ces arguties lorsque l’on n’a pas le courage de dire simplement que l’on est hostile à l’IVG. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. C’est scandaleux !

M. Stéphane Piednoir. Honte à vous !

M. Xavier Iacovelli. Assumez, chers collègues !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président Bas, vos arguments ne sont pas opérants, parce que vous vous référez à une jurisprudence. Or une jurisprudence, vous le savez bien, peut être modifiée… (Les protestations sur les travées du groupe Les Républicains couvrent la voix de loratrice.)

Mme le président. Mes chers collègues, veuillez laisser Mme de La Gontrie poursuivre son propos !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ne vous inquiétez pas, madame la présidente, je poursuivrai mon propos quoi qu’il arrive !

C’est donc une faiblesse que de se référer à la jurisprudence. Nous avons suffisamment parlé de l’exemple américain, mais il constitue une bonne illustration. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont qu’une jurisprudence ; nous voulons désormais une inscription dans la loi. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Mais c’est déjà dans la loi !

M. Stéphane Piednoir. Vous n’êtes pas au niveau…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous dites que nous sommes des législateurs. C’est vrai, mais nous sommes aussi des responsables politiques et nous avons à en référer aux Français.

Je le dis au président Bas et à vous tous à droite qui vous apprêtez à rejeter ce texte : ayez le courage d’assumer votre position ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Madame la présidente, je me suis senti insulté par les propos de Mme de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le fait personnel, c’est en fin de séance !

M. Philippe Bas. Je n’y reviens pas, mais je tenais à le dire.

Nous sommes tous ouverts à la discussion et nous avons voulu que ce débat ait lieu, car nous aurions pu l’empêcher. (Marques dironie sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Émilienne Poumirol. Belle conception de la démocratie…

M. Philippe Bas. Mais encore faut-il que l’objet du texte soit au cœur des échanges. Or, à aucun moment, nous n’avons discuté de la réalité de la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise.

M. Philippe Bas. Je l’ai déjà dit, ce texte est en réalité inefficace et inutile. Si ses auteurs avaient voulu consacrer dans la Constitution l’article 1er de la loi Veil, qui pose le principe fondamental du droit à l’interruption volontaire de grossesse, alors peut-être aurions-nous accepté d’en discuter ensemble. En effet, nous vivons depuis maintenant près de cinquante ans sur ce principe essentiel, validé par le Conseil constitutionnel, qui empêcherait aujourd’hui la suppression de l’IVG.

M. Philippe Bas. En revanche, le Conseil constitutionnel n’empêcherait pas, même si ce texte était adopté, des retours en arrière sur le périmètre de l’IVG. C’est une réalité juridique, et ce n’est pas la peine d’agiter des idées générales, qui sont parfois des idées creuses, je regrette de le dire ! (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous aurions dû débattre aujourd’hui et si nous ne l’avons pas fait, c’est parce que c’est un mauvais texte. Revenez avec un bon texte, et nous en reparlerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Pierre de La Gontrie manifeste son ironie.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.

M. Stéphane Ravier. Sur quel argument juridique reposent les déclarations et les prises de position des défenseurs de cette proposition de constitutionnalisation de l’IVG ? Une catastrophe économique, militaire, environnementale ou autre pourrait peut-être, un jour, éventuellement, conduire un pouvoir à vouloir changer la loi… Votre démarche repose sur un fantasme !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Elle repose sur ce que l’on observe !

M. Stéphane Ravier. Vous cherchez en quelque sorte à créer une phobie. Vous avez en réalité la volonté de diviser, de faire de l’agitation et de la provocation jusqu’à, comme l’a si bien dit notre collègue Philippe Bas, insulter les sénateurs qui n’abondent pas dans votre sens et qui critiquent une virgule ou un mot de votre texte. (Huées sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly sexclame.)

Même si l’on ne remet pas en cause l’IVG – personne ne le fait ici –, vous poussez le bouchon toujours plus loin. Vous êtes constamment dans la provocation pour exister politiquement !

M. Éric Kerrouche. Parole d’expert !

Mme Laurence Cohen. C’est vous qui dites cela ?

M. Stéphane Ravier. Vous essayez aujourd’hui de monter un coup politique, comme l’a très bien dit l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, M. Jean-Éric Schoettl. Vous êtes dans l’agit-prop qui, pour le coup, n’est pas vraiment très propre…

Vous faites, comme à votre habitude, de la propagande wokiste. (Protestations sur les travées des groupes GEST et CRCE.) Mais cela ne prend pas !

Je le confirme, vous pourrez toujours compter sur moi pour dénoncer vos méthodes. Vous marchez sur les talons de Fouquier-Tinville. Vos pratiques rappellent les siennes !

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur Ravier, je ne crois pas un mot de ce que vous nous dites et de vos dénégations.

Les courants politiques auxquels vous appartenez, les auteurs auxquels vous vous référez parlent continuellement d’« avortements de confort » et « d’avortements de convenance ». Or je sais depuis des années que ces expressions n’ont qu’une finalité : réduire le droit des femmes à l’IVG, en soumettant l’accès à ce droit à un jugement extérieur sur les raisons qui les conduisent à avorter. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.) Voilà pourquoi vous êtes un représentant d’un courant politique dangereux pour le droit à l’IVG !

À mes collègues de la droite, je veux dire que j’ai écouté avec intérêt leurs explications juridiques. J’ai un peu d’expérience avec eux, puisque je suis là depuis bientôt douze ans ! Douze ans que je défends les droits des femmes à disposer de leur corps et que je soutiens des textes en faveur de l’égalité d’accès à l’IVG, de l’allongement des délais, de la suppression de la condition de détresse…

J’ai même défendu ici, en tant que ministre, un texte visant à sanctionner les sites internet qui, sous prétexte d’informer les femmes, les trompent pour les dissuader de recourir à l’IVG.

Pas une fois, vous n’avez trouvé que ce que nous défendions valait la peine d’être voté ! Au bout d’un moment, les pointillés forment une ligne. Quand le droit ne vous convient jamais, c’est que le problème vient non pas du droit, mais du fond du dossier dont nous discutons.

Aussi, pour une fois, votez un texte en faveur de l’IVG, et je vous croirai ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

M. Laurent Somon. Et la loi Veil ?

Mme Laurence Rossignol. C’est la gauche qui l’a votée !

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Je n’avais pas l’intention d’intervenir, mais, après les propos de Mme de La Gontrie et de Mme Rossignol, je veux témoigner à Philippe Bas toute notre solidarité et notre amitié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

Je ne suis pas juriste comme lui, mais je sais deux ou trois choses.

Tout d’abord, la France n’est pas l’Amérique. Les contextes constitutionnels et juridiques ne sont absolument pas les mêmes. La France n’est pas un État fédéral, elle n’a pas à trancher entre celui-ci et les États fédérés. Son rapport à la Constitution est historiquement tout à fait différent de celui des États-Unis.

M. Éric Kerrouche. Ce n’est pas la question !

M. Max Brisson. Ensuite, je veux dire avec force que je suis favorable à l’ensemble des lois qui autorisent le droit à l’IVG et que je me battrai pour les défendre si elles étaient menacées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Rossignol. Non, puisque vous n’avez jamais voté aucun texte !

M. Max Brisson. C’est ma conviction, mais j’ai aussi la conviction que notre Constitution ne peut être soumise au débat et aux émotions qui viennent d’outre-Atlantique.

Vous voulez, madame Rossignol, le monopole de la défense des droits des femmes dans cette assemblée. Or notre majorité sénatoriale, en particulier avec les travaux de la délégation aux droits des femmes, notamment son dernier rapport auquel vous avez participé avec Alexandra Borchio Fontimp, a permis de grandes avancées. C’est ici que cela s’est passé, et c’est bien la majorité sénatoriale qui a porté le débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues de la droite, dramatiser le débat comme vous le faites n’est pas digne du Sénat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

En effet, quelle que soit la cause que l’on défend, nous nous devons le respect mutuel.

M. Philippe Bas. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. Je ne réponds pas à la droite extrême, car ce serait lui faire trop d’honneur, et je ne confonds pas droite et droite extrême.

Toutefois, vous devez prendre vos responsabilités.

Mme Gisèle Jourda. Nous les prenons !

Mme Laurence Cohen. Les lois qui ont été votées jusqu’à présent, y compris la loi Veil – et Simone Veil était une très grande dame, extrêmement courageuse –,…

M. Stéphane Piednoir. Et de droite !

Mme Laurence Cohen. … ont été discutées au Parlement grâce à la mobilisation des femmes et des féministes. Et rien ne s’obtient sans un rapport de force dans la rue.

Par ailleurs, il est important de le dire, la loi Veil n’aurait jamais été votée sans la mobilisation totale de la gauche. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Et Giscard d’Estaing ? Et Chirac ?

Mme Laurence Cohen. Cela ne vous plaît pas, mais ce sont les faits !

N’essayez pas de trouver des prétextes. Depuis 2011, je siège au sein d’un Sénat qui fait preuve habituellement de responsabilité. Quand une loi n’est pas bien ficelée, on formule des propositions pour la voter ensemble. Si vous étiez vraiment d’accord pour protéger le droit à l’IVG, c’est ce que vous auriez fait avec ce texte. Là, et c’est bien le fond du problème, vous allez envoyer un message qui dit le contraire. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. C’est votre interprétation !

M. Stéphane Ravier. Encore un procès d’intention !

Mme Laurence Cohen. Voilà ce que nous vivons chaque fois que nous défendons le droit des femmes à disposer de leur corps ! Là encore, c’est la réalité des faits, et si cela ne vous plaît pas, changez votre vote ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.

M. François-Noël Buffet. Madame de La Gontrie, vous ne pouvez pas dire à Philippe Bas qu’il est contre l’IVG.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La parole est libre ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Quel niveau !

M. François-Noël Buffet. Certes, mais il existe des vérités. Par ailleurs, le respect est l’une des règles de notre Haute Assemblée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’observe quels sont ses votes ici !

M. François-Noël Buffet. Il l’a rappelé, il a été le plus proche collaborateur de Mme Simone Veil et il a lui-même rédigé une partie du texte, qu’il soutenait. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Contestez-vous ce fait ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je ne sais pas, il n’était pas ministre !

M. François-Noël Buffet. Ben voyons… Votre réponse suffit à qualifier votre attitude, je n’en dirai pas plus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

J’ai écouté avec intérêt tout à l’heure les propos tenus à la tribune par M. Gontard, reconnaissant à demi-mot que le texte soulève des difficultés. Il faudrait trouver le moyen d’avancer. Le ministre l’a dit, plusieurs initiatives parlementaires ont été lancées – par Mélanie Vogel au sein de notre assemblée et par d’autres collègues à l’Assemblée nationale –,…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas par la droite !

M. François-Noël Buffet. … et la mobilisation sur cette thématique est réelle. Il serait intéressant que le Gouvernement, parce que c’est son rôle, y mette un peu d’ordre, ce qui nous permettrait d’avoir un débat serein et sérieux, avec des propositions qui pourraient émaner des différentes travées de notre assemblée.

Nous sortirions de l’impasse de cette discussion, qui dérape parfois de façon tout à fait inutile, alors que nous sommes tous d’accord, sans exception, pour protéger les droits des femmes.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. François-Noël Buffet. Aussi, de grâce, terminons ce débat sans invectives et en faisant preuve de sérieux. Car l’image que nous venons de donner pourrait être celle que nous connaîtrions dans notre pays en cas de référendum. Nous n’avons pas besoin de cela !

Une initiative du Gouvernement nous permettrait d’avoir une autre porte de sortie juridique, beaucoup plus sérieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mmes Nathalie Delattre et Colette Mélot applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Je voudrais répondre à Max Brisson.

Mon cher collègue, vous essayez aujourd’hui de défendre une loi que, je vous le rappelle, vous n’avez pas votée : vous avez même adopté la motion tendant à opposer la question préalable en première lecture et en deuxième lecture.

M. Max Brisson. En 1974 ? Je n’étais même pas né ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Xavier Iacovelli. Aussi, venir maintenant nous donner des leçons de morale sur la défense de l’IVG et des droits des femmes, c’est un peu fort de café ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.

Mme Michelle Gréaume. Je ne ferai de procès d’intention à personne. Je veux simplement rappeler la loi française, qui garantit le respect de l’autonomie personnelle en matière de droits à la procréation et d’accès aux soins et aux services de santé.

Toute personne a droit à une contraception adaptée et gratuite et à recourir librement à l’IVG. Inscrire cette loi dans la Constitution, à laquelle s’attache une certaine stabilité, ferait du respect de l’autonomie personnelle un droit fondamental et assurerait sa pérennité.

Personne n’est obligé de faire quoi que ce soit, mais la personne qui le désire doit pouvoir bénéficier du droit à l’autonomie personnelle.

Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 8 :

Nombre de votants 336
Nombre de suffrages exprimés 311
Pour l’adoption 139
Contre 172

Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
 

8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme
Discussion générale (suite)

Évolution de la formation de sage-femme

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme
Article 1er

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarités et Territoires, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme (proposition n° 224 [2021-2022], texte de la commission n° 16, rapport n° 15).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée se prononce cette après-midi sur une proposition de loi inscrite à l’ordre du jour du sénat sur l’initiative du groupe Écologiste – Solidarités et Territoires.

Le Gouvernement accueille favorablement la mise à l’ordre du jour de cette proposition de loi. Elle est le fruit, vous le savez, d’une initiative parlementaire à l’Assemblée nationale sous la précédente législature. Le groupe Agir ensemble, qui était le mien, avait défendu cette proposition visant à mieux reconnaître les spécificités de la profession de sage-femme, qui joue un rôle essentiel dans l’accès à l’offre de soins de premier recours.

Je tiens d’ailleurs à souligner l’implication de l’ordre des sages-femmes, aux côtés de l’ensemble des ordres réunis dans le cadre du Clio santé (comité de liaison des institutions ordinales des professions de santé), dans la signature, le mercredi 12 octobre dernier, d’un accord prévoyant des solutions concrètes en matière d’accès à la santé pour nos concitoyens.

Face à la situation d’urgence que nous connaissons, cet accord apporte des solutions inédites en vue de libérer du temps médical et de répondre aux besoins des Français dans tous les territoires, grâce au développement de l’interprofessionnalité.

Le fruit de ce travail collectif constitue une avancée majeure, qui s’inscrit pleinement dans la démarche de refondation engagée par François Braun et moi-même dans le cadre du CNR santé – le volet santé du Conseil national de la refondation –, lancé au Mans le 3 octobre dernier.

L’amélioration de l’attractivité des professions de santé figure parmi les propositions des ordres. Il s’agit de mieux valoriser les compétences des professionnels de santé au moyen de leur formation initiale et continue.

Il s’agit aussi de garantir une démographie des professionnels de santé cohérente avec les besoins de la population. C’est une nécessité, et cette proposition de loi constitue une partie de la réponse, car elle accomplit un nouveau pas vers l’intégration universitaire de la formation initiale des sages-femmes.

L’inclusion des formations paramédicales et de maïeutique dans l’université permettra le développement de la recherche, par exemple en sciences infirmières, en réadaptation et en maïeutique.

L’objectif est que tous les étudiants en santé apprennent à coopérer dès les bancs de l’université et bénéficient des mêmes droits et des mêmes services que les étudiants inscrits dans un cursus licence-master-doctorat (LMD).

Nous avons avancé sur ce sujet depuis la loi du 21 juillet 2009, même s’il reste encore du chemin à parcourir. En particulier, la transformation de plusieurs facultés de médecine en facultés de santé a accéléré les rapprochements avec les écoles de maïeutique.

La loi d’organisation et de transformation du système de santé du 24 juillet 2019 a ouvert la voie à des expérimentations en la matière et relancé le processus d’intégration universitaire des écoles de maïeutique.

La création d’une section du Conseil national des universités en 2019 constitue une étape supplémentaire dans le renforcement du caractère universitaire de la formation. Une mission relative à l’universitarisation des formations en santé, en lien avec les services des ministères de la santé et de l’enseignement supérieur, sera prochainement confiée à Mme la professeure Christine Ammirati. L’inspection générale de l’enseignement supérieur et de la recherche sera également mandatée sur ce sujet.

La création d’un statut de maître de stage universitaire en maïeutique prévue par l’article 1er bis constitue une réponse aux besoins d’encadrement des étudiantes et des étudiants. Il est essentiel cependant que ce statut fasse l’objet d’un travail plus large, à des fins d’harmonisation avec les autres professions.

En ce sens, un groupe de travail relatif à la maîtrise de stage universitaire associant les acteurs de la formation et les représentants tant des étudiants que des employeurs sera lancé cet automne par la direction générale de l’offre de soins (DGOS).

La rédaction du troisième alinéa de cet article sur la formation du maître de stage universitaire a pu susciter des interrogations au sein de la communauté universitaire. Nous travaillons sur ce sujet en lien étroit avec la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Je tiens ici à dissiper d’éventuelles inquiétudes. Les conditions de l’agrément des sages-femmes sont renvoyées à un décret en Conseil d’État. Même si la rédaction actuelle précise qu’elles comprennent « une formation obligatoire auprès de l’université de leur choix ou de tout autre organisme habilité », il ne s’agit pas en réalité d’élargir au-delà des centres de formation actuels.

Votre commission l’avait d’ailleurs utilement souligné lors de ses débats : la rédaction prévue à l’article 1er bis reprend les dispositions de l’article L. 4131-6 du code de la santé publique qui concernent la filière de médecine. En cohérence, dans le cadre de l’élargissement de la maîtrise de stage universitaire à la filière de maïeutique, il est plus adapté de maintenir ce dispositif.

Le code de la santé publique a été modifié par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi OTSS, pour permettre, aux universités de former des praticiens agréés maîtres de stage des universités, au-delà des organismes habilités par l’Agence nationale du développement professionnel continu. Finalement, ce sont bien les universités qui donneront les agréments aux maîtres de stages universitaires.

J’en viens à la création d’un troisième cycle d’études de maïeutique prévue par cette proposition de loi.

Vous le savez, les missions des sages-femmes, progressivement élargies depuis 2009, couvrent désormais le suivi de prévention et de contraception des femmes tout au long de leur vie, tant en ville qu’à l’hôpital.

Le suivi de la santé de la femme, le suivi des femmes avant et après leur accouchement s’est par ailleurs ouvert sur une prise en charge en ville. Ces nouvelles missions justifient une adaptation de la formation initiale.

Le Gouvernement soutiendra la proposition de loi, telle qu’elle résulte des travaux de votre commission. Par des amendements de Mme la rapporteure, la commission des affaires sociales a choisi de reporter l’entrée en vigueur de la réforme à la rentrée universitaire 2024, c’est-à-dire aux étudiants qui entrent en première année de parcours accès santé spécifique (Pass) et de licence avec accès santé (LAS) à la rentrée universitaire de 2023.

Le Gouvernement partage pleinement cette analyse : le maintien du dispositif actuel aurait conduit à embarquer dans la réforme les étudiants actuellement en deuxième et troisième années de premier cycle. Il était judicieux de décaler son entrée en vigueur pour gérer dans de bonnes conditions l’harmonisation des différents cycles de formation entre eux, la préparation des terrains de stage supplémentaires et l’impact de l’« année blanche » en 2028.

Le Gouvernement soutiendra cette proposition de loi, d’ailleurs saluée par les représentants de la profession. À l’issue de son examen à l’Assemblée nationale, elle avait fait l’objet d’un soutien unanime des députés. Je formule le vœu qu’il en soit de même au Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en novembre, comme par la commission des affaires sociales du Sénat le 5 octobre dernier.

« Merci pour les femmes ! ». Cette phrase, lancée par des sages-femmes lors de la dernière audition, témoigne de la forte attente de la profession quant à l’adoption de ce texte visant à faire évoluer la profession de sage-femme. Cette phrase, nous la leur adressons en retour : merci aux sages-femmes !

Les sages-femmes, ce sont à près de 97 % des femmes mobilisées pour la santé des femmes. Lors des auditions, à de nombreuses reprises, une question a été posée par des sages-femmes : « Pourquoi si peu de considération ? Est-ce parce que nous sommes des femmes qui prennent soin des femmes ? »

En France, le champ de compétences des sages-femmes est le plus important d’Europe et n’a cessé de s’étendre ces dernières années. Notre pays reconnaît depuis plus de deux siècles le caractère médical de la maïeutique et confie aux sages-femmes des responsabilités plus importantes qu’ailleurs. En opérant un accompagnement global des femmes et des familles, les sages-femmes pratiquent un métier du care, du « prendre soin ».

Connues pour leur présence en salle de naissance, elles effectuent aussi la surveillance gynécologique, le suivi prénatal et postnatal, celui du nouveau-né, et cela en maîtrisant la frontière entre physiologique et pathologique.

Malgré ces avancées majeures contribuant à asseoir son rôle, la profession vit actuellement un profond mal-être : depuis trop longtemps, elle a la conviction, qu’elle a exprimée ces derniers mois à plusieurs reprises, de ne pas être reconnue.

Les conditions de travail des sages-femmes à l’hôpital se dégradent. Le taux d’encadrement y est toujours fixé par des décrets de périnatalité de 1998, qu’il serait temps de réviser. Leur formation ne s’est pas suffisamment adaptée et demeure établie sur un modèle hospitalier et régional correspondant à celui des professions paramédicales.

Leurs conditions de rémunération et leur statut ne correspondent pas, de l’avis de toutes les organisations représentatives de la profession, aux responsabilités aujourd’hui exercées. Il faudrait que la courbe des rémunérations reflète celle de l’élargissement des compétences.

L’attractivité de la formation en maïeutique et de la profession semble d’ailleurs se dégrader. Lors de la rentrée 2022, environ 20 % des places offertes en deuxième année de maïeutique sont restées vacantes. Les étudiantes font état d’une formation incomplète, dont l’intensité serait pourtant bien supérieure à celle d’autres formations médicales ; 70 % d’entre elles déclarent souffrir de symptômes dépressifs.

Or la profession de sage-femme, à l’hôpital comme en ville, est essentielle à la santé des femmes et à la santé publique partout sur le territoire. À cet égard, le récent rapport sur la santé périnatale de Santé publique France fait état « d’une situation préoccupante de la santé périnatale de façon globale en France » et rappelle que l’état de santé de la petite enfance et de l’enfance conditionne la santé à l’âge adulte.

Avec la présente proposition de loi, si nous ne résolvons pas l’ensemble des difficultés auxquelles la profession est confrontée, nous posons les jalons d’une meilleure reconnaissance de la profession.

Ainsi, nous entendons en premier lieu renforcer le caractère universitaire de la formation en maïeutique. L’article 1er vise à achever l’intégration universitaire des formations de sages-femmes, lancée par le législateur il y a plus de treize ans.

Ce processus est aujourd’hui à l’arrêt : d’après le ministère, seulement 14 des 35 écoles de sages-femmes sont intégrées à l’université. La majorité des écoles demeurent donc adossées à un centre hospitalier. Ce modèle, qui correspond à celui des formations paramédicales, n’est pas adapté à la profession de sage-femme et ne favorise pas le développement de la recherche en maïeutique.

C’est pourquoi nous substituons à la faculté d’intégration une obligation assortie d’un délai : l’intégration des écoles de sages-femmes à l’université devra être achevée au 1er septembre 2027. Ce délai nous semble nécessaire en regard des nombreux obstacles, y compris en termes de rémunérations, qui localement ont souvent entravé le processus.

La loi fixe également les modalités de cette intégration : point important, les écoles de sages-femmes seront préférentiellement intégrées aux UFR (unités de formation et de recherche) mixtes en santé réunissant plusieurs professions médicales. C’est seulement quand cela ne sera pas possible qu’elles seront intégrées aux UFR de médecine.

Ces dispositions, soutenues par l’ensemble des organisations de sages-femmes auditionnées, permettent de préserver l’autonomie pédagogique et de gouvernance des écoles de sages-femmes tout en favorisant la nécessaire collaboration entre professions médicales interdépendantes. La maïeutique, n’est-ce pas l’art de faire accoucher les esprits ?

Afin d’encourager le recrutement d’enseignants-chercheurs dans la discipline, l’article 3 vise par ailleurs à faciliter la conciliation des activités d’enseignement et de recherche avec le maintien d’une activité clinique, en ambulatoire comme à l’hôpital. Contrairement aux autres professions médicales, les sages-femmes ne bénéficient aujourd’hui d’aucun statut leur permettant de cumuler ces activités.

Malgré l’ouverture en 2019 d’une section maïeutique par le Conseil national des universités, le recrutement de sages-femmes enseignantes-chercheuses reste marginal : au milieu de cette année, notre pays comptait une seule professeure des universités – un second poste est en cours de création – et quelques dizaines de maîtres de conférences. La recherche en maïeutique est peu développée, alors même que la France compte parmi les pays où la formation est la plus longue et où la profession exerce le plus de responsabilités.

La proposition de loi vise en deuxième lieu à renouveler profondément le contenu de la formation des sages-femmes, pour l’adapter aux mutations de la profession. Elle crée un statut de sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, inspiré de celui existant pour les médecins généralistes.

Ce statut permettra de mieux encadrer les stages en ambulatoire et d’accompagner leur déroulement en cohérence avec les nouvelles conditions d’exercice de la profession. Le Gouvernement doit cependant également réfléchir à la manière de mieux encadrer les stages à l’hôpital : les personnes auditionnées l’ont fréquemment décrit comme un terrain de stage difficile, et ont regretté le manque de valorisation de la fonction de référent.

Surtout, l’article 2 de la proposition de loi réforme en profondeur le contenu de la formation. Il crée un troisième cycle d’études de maïeutique. Lors d’une audition, une sage-femme le soulignait : « Enfin un troisième cycle, comme pour les autres professions médicales ! »

Parallèlement, une révision de l’ensemble des référentiels de formation est prévue. Les étudiantes obtiendront désormais, à l’issue de leurs études et après la soutenance d’une thèse d’exercice, un diplôme d’État de docteur en maïeutique.

Cette mesure, soutenue par l’ensemble des organisations de sages-femmes que nous avons auditionnées, réduira l’intensité d’études jugées trop denses et enrichira leur contenu, pour mieux tenir compte des nouvelles compétences confiées à la profession comme de la diversification des modes d’exercice. Elle favorisera nettement le développement de la recherche.

Enfin, cette proposition de loi vise à conforter la reconnaissance des sages-femmes comme profession médicale. Le quatrième article invite à modifier la classification des sages-femmes dans deux nomenclatures de l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques. La statistique est, elle aussi, traversée par le genre ; bien plus qu’un miroir, elle participe à créer les catégories.

Nombre de sages-femmes auditionnées s’en réjouissent, car, selon les mots d’une d’entre elles, « c’est un peu l’histoire de notre vie de ne pas être dans la bonne case ».

Si la commission a approuvé ces dispositions, elle a toutefois modifié leurs modalités d’application. Le texte imposait la réforme aux étudiants actuellement en deuxième et troisième années d’études, qui se sont engagés dans cette filière sans savoir que celle-ci serait allongée. Surtout, cet échéancier ne permettait pas d’assurer la cohérence du cursus.

Pour tenir compte des inquiétudes tant des étudiants que des enseignants, la commission a adopté deux amendements visant à reporter la réforme à la rentrée universitaire 2024 et à ne l’appliquer qu’aux étudiants qui entreront à compter de cette date en deuxième année.

Ce report facilitera la gestion de l’« année blanche » sans sortie de sage-femme diplômée que la réforme générera nécessairement. Je souhaite qu’il permette également d’établir les nouveaux référentiels de formation, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes.

En conclusion, ce texte est à la fois nécessaire et urgent. À cet égard, j’aurais souhaité vous proposer, mes chers collègues, son adoption dans des termes identiques à ceux du texte de l’Assemblée nationale, afin qu’il puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible.

Si les inquiétudes partagées relatives au calendrier m’ont conduite à proposer à la commission des affaires sociales de le modifier, je souhaite toutefois que ce texte soit rapidement mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

En votant cette proposition de loi, nous répondons à la huitième proposition du livre blanc des sages-femmes : à la naissance d’une trajectoire professionnelle se trouve la formation.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. Alors, oui, donnons aux sages-femmes cet élan attendu pour leur reconnaissance et l’attractivité de ce métier. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Else Joseph. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, savez-vous pourquoi l’on dit « sage-femme » ? Non pas parce que la femme serait sage, mais parce que cette personne connaît les femmes. Sachez donc, messieurs, que l’on peut être un homme et une sage-femme. (Sourires.)

Le texte proposé représente une bonne nouvelle pour les sages-femmes. Sa rédaction non seulement reprend les propositions de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur leur formation, mais prend en compte, d’abord et avant tout, les revendications légitimes formulées depuis des années par celles et ceux qui exercent l’un des plus beaux métiers du monde.

Les missions de cette profession ont évolué : elles vont désormais de la déclaration de grossesse au suivi postnatal, et se situent également hors du champ de la grossesse, avec un pouvoir de diagnostic et un droit de prescription élargis.

Les sages-femmes assurent des responsabilités médicales dans le cadre limité de leur métier et de leurs compétences. Elles peuvent répondre à tous les actes lorsque la mère est en bonne santé.

Cette profession est plus que jamais incontournable. Le législateur a enfin tenu parole, et ce combat a été mené par tous les membres du Parlement.

Loin de son image d’Épinal, la profession de sage-femme, profondément exigeante, suppose une formation longue, qui sera intégrée à l’université après nos débats. Elle concerne autant la naissance que les périodes qui la précèdent et la suivent. À l’instar de certains métiers liés à la santé, la profession de sage-femme mérite d’être honorée d’un parcours universitaire : c’est logique par rapport à nos politiques de santé publique et à notre souci de la cohérence de l’enseignement universitaire.

Pour cette raison, je me réjouis de cette universitarisation, que celle-ci ait lieu dans les UFR de santé ou dans une composante de formation en médecine. Comme il s’agit d’une formation longue, j’approuve la mise en place d’un doctorat, qui pourra couronner ce parcours universitaire.

Dans cette même logique, j’approuve la création d’un troisième cycle d’études pour les étudiants en maïeutique, qui rapproche le parcours des sages-femmes des autres disciplines faisant l’objet d’un troisième cycle, ce qui correspond à notre époque où la spécialisation concerne tous les parcours d’études.

Enfin, nous tenons compte, dans cette proposition de loi, des impératifs propres à ceux qui enseignent, qui pourront exercer conjointement des activités de soins, de recherche et d’enseignement. Cet aspect important se retrouve notamment en médecine, car il est difficile de dissocier la théorie de la pratique, surtout dans le domaine de la naissance. En raison de cette proximité, définir le statut de maître de stage universitaire en maïeutique est pertinent : cela participe d’un accompagnement optimal des étudiants pendant leurs stages.

La reconnaissance de ce statut universitaire ne constitue pas la seule avancée de cette proposition de loi tant attendue.

La place des sages-femmes dans la nomenclature de l’Insee est modifiée. Je me réjouis de les voir classées dans le groupe nouvellement intitulé « Activité des médecins, des dentistes et des sages-femmes » et non plus dans celui des « Autres activités pour la santé humaine », ce qui fragilisait leur positionnement. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce métier n’est pas éloigné de la médecine. Les sages-femmes doivent devenir des acteurs de référence pour la prévention, et il est urgent que la santé gynécologique des femmes soit une priorité. C’est une juste reconnaissance.

Tous ces dispositifs doivent rendre la profession plus attractive, lui donner plus de visibilité en repensant les carrières et encourager les vocations. C’est nécessaire, comme en témoigne la pénurie dans les hôpitaux.

Ce métier connaît une crise profonde. Les fortes mobilisations du début de 2021 n’ont pas reçu beaucoup d’échos, car les sages-femmes sont peu nombreuses. Je salue l’amélioration représentée par cette proposition de loi, que je vous invite à approuver, mais elle doit être accompagnée d’autres progressions, en particulier en matière de statut et de rémunération. Pourquoi ne pas aller vers un statut de praticien hospitalier ?

Certes, les conditions d’études seront améliorées, mais il ne faut pas oublier les conditions d’exercice de cette profession jeune. Il faut investir dans cette filière où les résultats sont bons.

Comme pour d’autres professions, nous avons besoin d’attirer davantage les sages-femmes dans les zones rurales et périurbaines. Une femme doit pouvoir accoucher au plus près de son lieu de vie et en sécurité.

Les sages-femmes sont pour le Gouvernement un exemple. Madame la ministre, nous connaissons les résistances freinant le déploiement des infirmiers en pratique avancée (IPA). Les sages-femmes, par leur pratique et leur histoire, éclairent le chemin. Au lieu d’ignorer leurs demandes ces dernières années, il fallait les écouter et en faire un exemple.

Grâce à leurs compétences dans le domaine de la santé gynécologique, de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse, instrumentale ou expérimentale, les sages-femmes permettent au quotidien l’accès à des soins essentiels. En augmentant leur champ d’expertise, on répond ainsi à un sujet démographique médical préoccupant. Les sages-femmes l’attendent depuis longtemps ; de nouvelles perspectives vont s’offrir pour elles en matière de recherche et d’exercices du métier.

Les sages-femmes sont indispensables à la santé des femmes. Leur expertise est nécessaire, en particulier pour détecter les violences sexuelles, les maltraitances dans la famille et les personnes vulnérables. N’oublions pas le rôle social joué par les sages-femmes !

Nous ne sommes qu’au milieu du gué. Il reste encore beaucoup à faire pour les sages-femmes et pour les personnes qui bénéficient de leurs soins.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Else Joseph. Je me réjouis de voir tout le monde, y compris le Gouvernement, soutenir les sages-femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)

Mme le président. Pardonnez-moi de vous rappeler à l’ordre, mes chers collègues, mais si nous ne terminons pas l’examen de ce texte à vingt heures quarante, celui-ci sera repoussé à une date ultérieure.

La parole est à Mme Colette Mélot. (M. Daniel Chasseing applaudit.)

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nos sages-femmes ont une fonction majeure dans notre société : donner la vie. Leur rôle est essentiel pendant la grossesse, l’accouchement et le suivi postnatal. Car n’oublions pas qu’elles réalisent 80 % des accouchements dits « normaux » en France.

Bien que chacun s’accorde sur leur importance tant pour les familles que pour le secteur de la santé, la profession est plutôt mal reconnue. C’est paradoxal alors que leur champ de compétences et leurs revendications, tout naturellement, ne cessent de s’accroître. Le métier évolue continuellement, apportant toujours plus de sécurité pour les parturientes et leurs bébés.

Je tiens à saluer les auteurs de cette proposition de loi adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, signe, s’il en fallait, du caractère crucial du sujet que nous examinons. Je remercie le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de l’avoir inscrite au sein de sa niche parlementaire. La proposition de loi a également été votée à l’unanimité par les membres de la commission des affaires sociales, et je remercie notre rapporteure de son travail visant une application très prochaine de ces nouveaux dispositifs.

Les cinq articles de ce texte constituent une véritable réforme. Ils visent purement et simplement à supprimer le flou qui entoure l’appartenance de la profession au secteur médical ou au secteur paramédical.

Grâce à la création du diplôme d’État de docteur en maïeutique, ce flou n’a plus lieu d’être. Les sages-femmes sont insérées au sein du statut médical. Leur formation fera désormais partie des formations médicales et universitaires, ce qui répond à la principale revendication des sages-femmes.

Je me réjouis de cette avancée, qui est essentielle pour la formation, bien sûr, mais aussi pour l’attractivité et la rémunération de la profession, ainsi que pour l’offre et la qualité des soins prodigués.

Je tiens à encourager le développement de cette formation sur tous nos territoires. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à savoir combien il est important de disposer d’offres de formation implantées sur l’ensemble de l’Hexagone. Les étudiantes et étudiants restent généralement dans les villes où ils ont étudié, y renforçant l’offre de soins.

À l’heure où l’on évoque de manière récurrente les déserts médicaux, cette pratique pourrait contribuer à des avancées significatives dans ce domaine. C’est pourquoi je me félicite également de la création du statut de sages-femmes agréées maîtres de stage des universités. L’accompagnement des étudiantes et étudiants est gage d’une formation complète et de professionnels compétents.

Bien sûr, malgré son caractère essentiel, cette proposition de loi ne sera pas suffisante. Elle apporte cependant une solution adéquate à la situation actuelle : clarifier le statut de sage-femme doit être appréhendé comme la première étape d’une réforme plus profonde.

Cette réforme doit être plus globale et concerner l’ensemble de notre système de santé. Celui-ci a déjà bien évolué, mais les dernières années ont montré que des changements doivent être déployés. Pour cela, nous devons poursuivre nos réflexions et ajouter aux avancées déjà réalisées de nouveaux progrès.

Le groupe Les Indépendants, conscient de l’importance de cette proposition de loi et des améliorations qu’elle engendrera, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mmes Émilienne Poumirol et Christine Bonfanti-Dossat applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a été adoptée il y a près d’un an à l’Assemblée nationale. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a souhaité l’inscrire à l’ordre du jour pour aider une profession en souffrance, dès les études.

En 2018 déjà, l’Association nationale des étudiants sages-femmes relevait que 70 % des sages-femmes en formation présentaient des symptômes dépressifs et que 27 % d’entre elles songeaient à quitter leur formation.

Malgré ces signaux d’alerte, peu de choses ont été faites pour répondre à cette détresse. En juillet 2021, un rapport de l’Igas relançait la question de l’intégration du cursus de sage-femme à l’université. Une circulaire de 2012 fixait déjà le même objectif. Elle n’a jamais été appliquée.

Nous avons conscience de la dégradation des conditions d’exercice des sages-femmes, placées désormais sous l’autorité de médecins obstétriciens, dans un contexte budgétaire hospitalier contraint. Dans le même temps, le rapport de notre société à la natalité a évolué, avec la baisse du taux de fécondité et l’accroissement des exigences des patients envers l’ensemble du corps médical.

La détérioration des conditions d’exercice des personnes accompagnant les mères durant la grossesse et l’accouchement n’a pas été prise à bras-le-corps. Nous cherchons aujourd’hui à apporter une première pierre à l’édifice de la revalorisation de cette profession essentielle à la vie. Nous voulons dire ici aux sages-femmes toute notre confiance.

La santé des femmes et celle des sages-femmes vont de pair. L’histoire nous montre d’ailleurs que la valorisation de cette fonction, autrefois confiée à des matrones sans formation, a toujours amélioré la prise en charge des patientes et des nouveau-nés.

La professionnalisation et le renforcement du matériel pédagogique, sous l’impulsion de personnalités ingénieuses comme Angélique du Coudray au XVIIIe siècle, qui avait créé un petit mannequin pour expliquer les manœuvres obstétricales, ont contribué à faire chuter la mortalité des nouveau-nés et des mères.

Avec cette proposition de loi, nous répondons donc sans ambiguïté au besoin de revalorisation du métier de sage-femme, notamment par l’intégration universitaire de l’ensemble des écoles de sages-femmes d’ici à 2027 et par la création du titre de docteure en maïeutique.

Nous facilitons ensuite la possibilité pour les sages-femmes d’enseigner et de faire de la recherche tout en maintenant une activité clinique. Enfin, la profession de sage-femme est reconnue dans la nomenclature de l’Insee comme médicale, au même titre que les médecins et les dentistes, et non comme paramédicale. Il s’agit d’une demande de longue date de la profession.

Avec ce texte, nous ne répondons pas à toutes les attentes, notamment aux espérances en matière de rémunération. Madame la ministre, notre geste parlementaire de revalorisation du statut universitaire devra se doubler d’un geste du Gouvernement pour une revalorisation budgétaire.

Pour un exercice apaisé de la profession, d’autres changements doivent intervenir. Je pense notamment au statut de sage-femme référente, proposé par le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires en 2021 lors de l’examen de la loi visant à améliorer la santé par la confiance et la simplification. Nous attendons toujours la publication du décret pour que cette nouvelle disposition entre en vigueur.

Grâce à l’initiative d’Annie Chapelier, dont je salue la présence en tribune, et au travail de Raymonde Poncet Monge dans son rôle de rapporteure, nous espérons que cette proposition de loi pourra entrer en vigueur rapidement et dans les meilleures conditions. Je souhaite que notre chambre fasse preuve de sagesse transpartisane, en lui apportant un soutien unanime, comme à l’Assemblée nationale et au sein de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Monique Lubin applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la profession de sage-femme a progressivement évolué.

Elle a évolué du point de vue de sa reconnaissance, qui est nécessaire et qui a toujours fait l’objet de combats, de cris d’alarme, de mobilisations de ces femmes et de ces hommes qui tiennent avant nous-mêmes nos enfants dans leurs bras.

Elle a évolué, surtout, du point de vue de leurs compétences et de leurs missions, qui se sont largement renforcées au fil du temps, dans le domaine de l’obstétrique et de la périnatalité, mais également, depuis les années 2000, de la gynécologie.

Les missions de ces professionnelles sont essentielles, puisqu’elles suivent en toute autonomie une patiente, de la déclaration de grossesse à la réalisation des soins postnataux du nouveau-né et de la mère, en passant par la réalisation de certaines vaccinations. Elles peuvent également conduire l’entretien prénatal précoce, fondamental pour préparer l’arrivée d’un enfant, aider les futurs parents à le devenir et dissiper les doutes et questionnements qui peuvent peser sur eux dans cette période particulière.

La loi du 21 juillet 2009 précitée a encore élargi leur champ de compétences, sous réserve du suivi d’une formation. Elles peuvent désormais réaliser des échographies gynécologiques et des actes d’ostéopathie, prescrire des contraceptifs hormonaux, poser des dispositifs contraceptifs sous-cutanés ou encore conduire des consultations de contraception ou de suivi gynécologique, dans une logique de prévention. Enfin, depuis 2021, elles peuvent prescrire certains médicaments et des arrêts de travail sans limitation de durée.

Pourtant, ces évolutions majeures ne se sont pas accompagnées d’une plus grande reconnaissance de leur métier. Or c’est bien de cela qu’il s’agit ici.

En effet, le nombre d’étudiants sages-femmes n’a jamais été aussi bas, avec 20 % de places vacantes pour cette année universitaire, malgré l’action du Gouvernement, qui avait acté une augmentation de 1,5 % du nombre de places par rapport à 2020. Le constat est alarmant : 40 % des sages-femmes quittent la profession dans les deux ans qui suivent l’obtention de leur diplôme.

Face à cette pénurie, due au décalage criant entre le niveau de responsabilité et la reconnaissance dont bénéficient ces professionnelles, le Gouvernement a apporté des réponses concrètes, afin de renforcer l’attractivité de ce métier.

Je pense bien sûr à la revalorisation financière, à hauteur de 500 euros net par mois en moyenne, des sages-femmes hospitalières, mais également à la prolongation du doublement du taux de promus-promouvables dans la fonction publique hospitalière, pour la période 2022-2024. Il s’agit d’un engagement inédit du Gouvernement, puisque l’ensemble de ces mesures de revalorisation représente 100 millions d’euros en 2022.

Par ailleurs, la création d’un entretien postnatal précoce obligatoire et les campagnes d’information, confiées à la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) par la dernière loi de financement de la sécurité sociale visant à promouvoir les compétences des sages-femmes, traduisent la reconnaissance de l’État envers celles et ceux qui œuvrent aux côtés des parents et des nouveau-nés.

La proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme, que nous examinons aujourd’hui, comporte des dispositions intéressantes que nous saluons, puisqu’elles vont dans le sens d’une meilleure reconnaissance de ce métier.

Elle renforcera la qualité de la formation, en créant un diplôme d’État de docteur en maïeutique et en systématisant l’implantation au sein de l’université de la formation initiale. Elle crée également un statut de maître de stage universitaire pour mieux accompagner les étudiants, ainsi qu’un troisième cycle, conformément à l’engagement du Gouvernement, afin de permettre aux étudiants en maïeutique de découvrir les différents modes d’exercice sur le territoire.

La place consolidée de ces étudiants dans les nomenclatures statistiques permettra de reconnaître davantage le caractère médical de la promotion ; nous le saluons.

Cette proposition de loi comporte d’autres dispositions intéressantes. En particulier, en vertu de ce texte, les sages-femmes ayant une activité d’enseignement-recherche pourront désormais exercer une activité de soins en parallèle.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, ainsi que la rapporteure du texte, Mme Raymonde Poncet Monge, d’avoir fait inscrire ce texte à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

Cette proposition de loi, très attendue par les sages-femmes, sera, je l’espère l’occasion de faire entendre la voix de ces professionnelles et de promouvoir la reconnaissance et la valorisation que cette profession mérite.

Au fil du temps, parallèlement à la médicalisation et à la technicisation croissante des accouchements, le rôle des sages-femmes a évolué et leurs compétences se sont élargies, mais leur statut, lui, est resté inchangé. En effet, alors que le code de la santé publique reconnaît le métier de sage-femme comme une profession médicale, les actes de ces professionnelles ne sont que partiellement reconnus dans les nomenclatures.

Cette situation est paradoxale, car, en raison du manque de gynécologues, les sages-femmes sont devenues les relais et les piliers indispensables du parcours de santé des femmes.

Ainsi, depuis quelques années, elles exercent de nouvelles activités en dehors du champ traditionnel de la grossesse, telles que le suivi gynécologique, la prescription de contraceptifs, la pratique de l’IVG, la préparation à l’assistance médicale à la procréation, ainsi que la prévention et l’éducation à la sexualité.

Cet enrichissement de leurs compétences a nécessairement conduit à enrichir leur formation initiale, qui paraît aujourd’hui trop dense, bien plus en tout cas que celle des autres professions médicales. En effet, les études de sage-femme comportent un volume supérieur de 1 246 heures par an par rapport à certaines formations médicales qui durent au minimum six ans.

Cette intensité des études nuit au bien-être étudiant et à l’attractivité des études en maïeutique. Selon l’Association nationale des étudiants sages-femmes (Anesf), en 2018, plus de deux tiers des étudiants en maïeutique souffraient de symptômes dépressifs.

Face à ces constats, il était indispensable de réformer la formation des sages-femmes et, à cet égard, la présente proposition de loi comporte des avancées que nous saluons.

À l’article 1er, le texte parachève l’intégration universitaire des sages-femmes, afin de lutter contre les inégalités entre les différentes écoles. En effet, aujourd’hui, 24 écoles sur 35 fonctionnent encore selon une régulation et un financement à l’échelon régional, 11 ayant opté pour un financement universitaire. Cela crée une disparité préjudiciable.

Ainsi, dans certaines écoles, les financements régionaux n’ont pas évolué et la réforme du numerus apertus de l’année dernière n’a pu être mise en œuvre. Le nombre de places de formation pour les sages-femmes n’a donc pas augmenté. En donnant aux universités la compétence d’agréer et de financer les écoles, le texte renforce le statut médical des sages-femmes.

La création, à l’article 1er bis, d’un statut de sage-femme agréée maître de stage des universités, à l’instar de ce qui existe pour les médecins généralistes, représente une avancée importante dans l’encadrement des étudiants et dans la valorisation de l’encadrement des sages-femmes.

L’article 2, qui consacre la mise en place d’un troisième cycle universitaire, répond à une demande forte de la profession, et le groupe SER, qui soutient depuis longtemps cette mesure, se félicite de sa mise en œuvre dès la rentrée 2024. Nous regrettons néanmoins qu’il ne soit pas prévu de renforcer la formation continue des sages-femmes en portant le nombre de jours de formation de 2,5 à 15 par an, comme le demandent les syndicats et l’ordre de cette profession.

L’article 3 offre aux doctorants de la filière maïeutique la possibilité d’exercer simultanément leur activité professionnelle et des activités d’enseignement et de recherche, afin de renforcer l’attractivité de la profession.

Enfin, l’article 4 de la présente proposition de loi reconnaît l’activité de sage-femme comme une activité de pratique médicale au sein de la nomenclature des activités françaises de l’Insee. Cette mesure répond à une demande récurrente de la profession et met fin à une situation injustifiée au regard de ses activités.

Mes chers collègues, cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, comporte de réelles avancées pour la reconnaissance de la profession de sage-femme. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la soutiendra.

Néanmoins, la réforme de la formation ne représente qu’une partie de la réponse à apporter au sentiment de déclassement et au besoin d’attractivité de cette profession. Depuis de nombreux mois, les sages-femmes alertent les pouvoirs publics sur leurs conditions de travail, et, face au silence de ces derniers, elles manifestent et font grève.

Par conséquent, les sujets restant en suspens, tels que la rémunération, encore inférieure à celle des autres professions médicales, les conditions de travail – nous sommes loin du modèle « une femme, une sage-femme », mis en place par certains de nos voisins européens –, le manque de personnel ou la révision du décret de périnatalité, devront faire prochainement l’objet d’autres textes.

Aujourd’hui, une sage-femme est amenée à prendre en charge jusqu’à trois patientes par garde de douze heures en salles de naissance et jusqu’à vingt-cinq en suites de couches. Dans ce contexte, il paraît difficile pour les sages-femmes de consacrer assez de temps à l’accompagnement correct de tous les couples qu’elles doivent suivre.

Les conditions de travail dégradées ont des conséquences sur la santé mentale des sages-femmes et, dans le milieu hospitalier, près de 40 % d’entre elles font un burn-out. Le métier de sage-femme est tellement en perte d’attractivité que l’on enregistre en France près de 20 % de postes vacants.

Je me permets donc de vous interpeller, madame la ministre, sur la nécessité d’un texte plus large sur la périnatalité et l’accompagnement de la santé des femmes et des nouveau-nés, dans la lignée du rapport sur les 1 000 premiers jours.

Ce texte est d’autant plus nécessaire que l’Agence nationale de santé publique note, dans son rapport du 20 septembre dernier sur la santé périnatale, de grandes inégalités territoriales et une aggravation de la situation.

Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Émilienne Poumirol. Cette dégradation inquiétante plaide donc pour un nouveau texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour de remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, ainsi que la rapporteure Raymonde Poncet Monge, d’avoir repris un texte, adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation des sages-femmes.

En France, ces professionnelles sont au nombre de 23 400 et prennent en charge, chaque année, plus de 750 000 femmes qui accouchent et autant de nouveau-nés. Elles assurent la surveillance et le suivi médical de la grossesse et préparent à la naissance et à la parentalité.

Cette proposition de loi vise à moderniser la formation des sages-femmes, d’une part, en parachevant l’intégration universitaire de leur formation, en créant un troisième cycle d’études et en facilitant la recherche en maïeutique, et, d’autre part, en réaffirmant le statut médical de ce métier.

Depuis de nombreuses années, les étudiants en maïeutique, ainsi que la communauté des sages-femmes, militent pour l’intégration universitaire des études de sages-femmes. Parmi les professions médicales, celle-ci est en effet la seule dont la formation ne soit pas intégralement assurée par les universités. Cette situation entraîne de fortes disparités sur le territoire.

Selon une enquête de l’Anesf réalisée en 2019, seulement 16 % des écoles auraient mis en place des référents de terrain pour les élèves, durant les stages. La création d’un statut de maître de stage universitaire, prévue dans le texte, répond donc à une attente forte des étudiants.

Les études en maïeutique comportent aujourd’hui un volume horaire nettement supérieur à celui des autres formations médicales, ce qui explique, en partie, le fait que sept étudiantes sur dix présentent des symptômes dépressifs. La création d’un troisième cycle en maïeutique vise donc à alléger le volume horaire des enseignements et à mettre en cohérence la formation des sages-femmes avec leurs compétences, qui n’ont cessé de s’étendre au cours des dernières années, en matière tant obstétrique, gynécologique et pédiatrique que de prévention.

Les sages-femmes constituent une profession de santé aux conditions de travail dégradées, à qui l’on demande toujours plus sur le plan médical sans que la reconnaissance statutaire et salariale suive.

Nous nous souvenons tous de leur longue mobilisation pour se faire entendre. En effet, les gouvernements successifs ont accru les compétences et les attributions de ces professionnelles sans compensation salariale, sans amélioration de leurs conditions de travail et sans revalorisation de leurs qualifications.

Comment expliquer que cette profession médicale soit si mal reconnue, si ce n’est par le fait qu’elle est exercée quasi exclusivement par des femmes ?

Dans la fonction publique hospitalière, les sages-femmes n’appartiennent pas à la catégorie du personnel médical. Alors qu’elles sont titulaires d’un diplôme de niveau bac+5, incluant une première année de médecine, elles commencent leur carrière avec 1 600 euros à 1 800 euros net par mois et elles sont exclues du bénéfice de diverses primes. Il faudra donc continuer de légiférer pour reconnaître ce métier, en améliorer les conditions de travail et en revaloriser la rémunération.

Contrairement au Gouvernement, qui ajoute une dixième année de médecine via le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 sans discussion préalable avec les internes ni réflexion sur les études, cette proposition de loi ajoute une année d’étude en prenant en compte le rythme de la formation, le contenu pédagogique et les nouvelles compétences des sages-femmes.

En outre, elle autorise les enseignants-chercheurs en maïeutique à cumuler la recherche et une activité clinique, sans qu’un refus puisse leur être opposé. Ce sont des avancées importantes.

Je note que l’Anesf aurait voulu que le texte aille plus loin, en créant un statut spécifique permettant la biappartenance hospitalière et universitaire. C’est vrai, cette proposition ne répond pas à l’ensemble des revendications de la profession, mais elle constitue une première étape importante. Je pense que mon ami et camarade le docteur Paul Cesbron l’aurait saluée, lui qui fut le militant infatigable de la reconnaissance de cette profession comme hautement médicale.

En attendant un autre texte, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il est loin, le temps des accoucheuses ! Voilà deux siècles que le législateur donne de plus en plus de responsabilités aux sages-femmes, à celles qui nous offrent le premier souffle de vie.

Quitter le domicile pour la maternité fut une évolution dans la prise en charge de l’accouchement, de plus en plus médicalisé, mais l’exigence accrue de sécurité entraîna la fermeture, en vingt-cinq ans, de 40 % des maternités, celles qui étaient trop petites ou ne comptaient pas d’obstétricien, et, au passage, suscita la marginalisation du rôle des sages-femmes.

Le discrédit est tel aujourd’hui que, selon l’Anesf, à peine plus de la moitié d’entre elles envisage d’exercer uniquement à l’hôpital. Pis, 20 % des places ouvertes cette année en formation sont restées vacantes, ce qui souligne ce désamour.

La souffrance au stade de la formation, mais également dans les fonctions professionnelles, nous interpelle, et les mouvements sociaux de l’année passée nous l’ont très justement rappelé. En effet, si la barque des sages-femmes a été chargée au fil du temps de nouvelles responsabilités médicales, qu’en est-il de leur reconnaissance ? Le sentiment exprimé par la profession est celui d’un entre-deux, d’une zone grise, qui ne reconnaît pas leur travail à sa juste valeur.

Au fond, je crois que l’on ne saurait dissocier la question du statut des sages-femmes de celle de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous ne pouvons plus laisser cette profession dans un statut qui ne correspond pas à son rôle dans notre système de santé. Défendre les sages-femmes, c’est également défendre les femmes.

Le Gouvernement a apporté une première réponse, que je salue, avec les salaires. Aujourd’hui, le Parlement se charge de la question de la formation. Je me félicite que cette proposition de loi s’appuie sur une démarche aussi consensuelle.

L’article 1er vise ainsi à revaloriser la formation initiale des sages-femmes, en posant les bases de son intégration universitaire – un chantier vieux d’une décennie. En décloisonnant les formations en santé, nous pourrons tendre vers une plus grande égalité entre les étudiants et, je l’espère, rendre cette filière plus lisible et plus attractive.

C’est aussi l’occasion de faire de la pluridisciplinarité une richesse pour notre système de santé, afin de ne plus enfermer les acteurs dans une spécialité dans laquelle il leur sera difficile d’évoluer, voire qu’il sera difficile de quitter. Cela fait écho à l’accord, que vous avez évoqué, madame la ministre, et dont je me réjouis, qui vient d’être conclu entre l’ordre des médecins, celui des kinésithérapeutes et celui des infirmiers.

Dans la continuité de l’article 1er, l’article 2 crée un troisième cycle d’études. Réaffirmer les connaissances physiologiques des sages-femmes est nécessaire ; renforcer leur discernement dans les situations pathologiques, en y associant bien entendu l’apport des nouvelles technologies, l’est également.

Ce passage à bac+6 constitue donc une avancée dans le chantier de l’amélioration de l’attractivité de ce métier. Toutefois, la faiblesse de la rémunération des sages-femmes était déjà criante à bac+5 ; il faudra donc y être encore plus attentif.

Pour ce qui concerne la formation, l’article 3 permettra de rompre avec l’inégalité – une de plus – entre, d’une part, les sages-femmes et, de l’autre, les médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes. En autorisant les doctorants de la filière maïeutique à exercer simultanément une activité professionnelle et une activité d’enseignement-recherche, le texte permet aux sages-femmes de demain d’y gagner.

L’article 4, enfin, reconnaît l’activité de sage-femme comme pratique médicale. Alors que le code de la santé publique considérait les sages-femmes comme une profession médicale, la nomenclature des activités française les cantonnait au domaine paramédical. Cette évolution est donc bienvenue.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera pour ce texte. Néanmoins, il restera attentif au fait que ce premier pas en faveur de la formation en amène d’autres, plus francs, sur les conditions de travail. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, oui, les sages-femmes vont mal, nous en convenons tous. Les maux de la profession sont connus : des salaires trop faibles, qui s’établissent, en début de carrière, à 1 700 euros net par mois, après cinq, peut-être bientôt six années d’études sélectives ; un manque d’attractivité, puisque, à la rentrée 2022, quelque 20 % des places en deuxième année sont restées vacantes ; des études très intenses, 70 % des étudiantes présentant des symptômes dépressifs ; enfin, des sous-effectifs chroniques, ayant pour conséquence le fait que 44 % des sages-femmes ont déjà fait un burn-out.

Une sage-femme a toujours plusieurs femmes, plusieurs mères, à gérer en même temps, alors qu’elle ne devrait en avoir qu’une seule pour assurer un suivi de qualité. Car, oui, n’en déplaise au planning familial et aux idéologues d’extrême gauche, ce sont bien les femmes qui tombent enceintes, qui accouchent et que l’on appelle « maman » et non « parent 1 » ou « parent 2 » ! (Protestations sur les travées des groupes GEST et CRCE.)

Au-delà de ces chiffres alarmants, il y a une réalité, qui n’est pas quantifiable. Toutes les sages-femmes que j’ai rencontrées m’ont dit une chose : elles manquent de reconnaissance. Qu’ont fait pour elles les gouvernements macroniens depuis cinq ans ? Au mieux, ils les ont ignorées ; au pire, ils les ont méprisées.

Au début de la crise sanitaire, elles ont été tout bonnement oubliées dans la distribution des masques destinés à protéger les professionnels de santé. Les syndicats de sages-femmes ont également été négligés dans les négociations du Ségur de la santé de 2020. Aujourd’hui encore, leur profession n’est toujours pas reconnue comme « essentielle », puisque, sur une grande partie du territoire, elle ne fait pas partie des métiers prioritaires, permettant d’accéder prioritairement aux stations d’essence.

Ces vexations répétées ne sont peut-être rien pour vous, mais elles disent beaucoup de la considération dans laquelle la majorité les tient.

Surtout, qu’a fait le Gouvernement contre le manque d’effectifs, qui transforme leurs journées de travail en enfer ? Comme pour les autres professions médicales, il a décidé de suspendre les sages-femmes non vaccinées contre le covid-19. Ainsi, parce qu’elles souhaitent disposer librement de leur corps, ces personnes ont été brutalement humiliées.

À l’heure où toutes les études démontrent que ces vaccins n’empêchent pas la transmission du virus, il n’est pas trop tard pour faire amende honorable et pour revenir sur cette décision odieuse. Remédier au manque d’effectifs est une urgence. Aussi, avant de prétendre former de nouvelles sages-femmes, ce qui prendra six ans, il faudrait commencer par réintégrer celles qui le sont déjà.

En ce mois d’octobre rose, durant lequel nous alertons sur les dangers des cancers du sein, rappelons que les sages-femmes sont des interlocutrices de choix pour effectuer des dépistages. À ce titre, aussi, nous devons les choyer.

Cette proposition de loi n’est donc pas dépourvue d’intérêt et elle reprend certaines demandes de la profession. Chez moi, à Marseille, l’ensemble de la formation est déjà intégré à l’université, et cela fonctionne.

Néanmoins, plus que de mesurettes, c’est de reconnaissance que les sages-femmes ont besoin, afin de retrouver la dignité liée à une profession essentielle, car une société qui ne sait plus accueillir la vie est une société qui meurt.

Mme le président. Jolie formule !

La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nombre d’éléments pertinents ont été évoqués par les orateurs précédents. Je ne m’y attarderai donc pas.

Je souhaite simplement souligner en introduction de mon propos l’importance du texte que nous examinons aujourd’hui au Sénat, après son adoption à l’Assemblée nationale, le 25 novembre 2021. En effet, au cours du premier confinement, au printemps 2020, la notion de « travailleur essentiel » a fait irruption dans le débat public, suscitant quelques controverses sur le périmètre que cela pouvait recouvrir, certes, mais recueillant un large consensus autour de leur nécessaire revalorisation.

Le secteur de la santé ayant été nettement paupérisé au cours des dernières décennies, les professionnels comme les sages-femmes ont fait partie des personnes exerçant à l’hôpital ou en libéral et identifiées par nos concitoyens comme n’étant pas reconnues à leur juste mesure.

J’ai recueilli plusieurs témoignages, notamment celui d’une sage-femme travaillant en établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic). Selon cette professionnelle, ce déficit de reconnaissance s’ajoute à des stéréotypes sur la profession, consistant à les imaginer comme de douces subalternes dont le rôle se limite à la participation aux accouchements. Or une prise de recul, si petite soit-elle, montre que c’est bien loin d’être leur seule mission et que d’autres responsabilités tacites se greffent à leur quotidien.

C’est en grande partie ce qui a motivé les auteurs de cette proposition de loi à étoffer la formation de sage-femme et à la rapprocher des études de médecine. L’intégration universitaire de la formation de sage-femme est une mesure positive, qui permettra à cette profession de mieux appréhender les relations qu’elle aura avec la myriade d’acteurs qu’elle sera amenée à côtoyer. De même, la création d’un troisième cycle leur conférera de solides compétences et un statut pérenne de docteur en maïeutique.

La possibilité de combiner leur activité professionnelle avec des activités d’enseignement et de recherche est une belle ambition, mais qui ne doit pas se traduire par des pertes de revenus. En effet, nous connaissons la grande précarité des doctorants en France…

Par ailleurs, ces avancées notables ne doivent pas nous faire oublier les alertes liées aux difficultés de recrutement. Comme cela a été dit à maintes reprises, la profession souffre d’une véritable pénurie de main-d’œuvre. Les explications sont plurielles. On souligne notamment le rôle du syndrome d’épuisement professionnel, qui trouve son origine dans la surcharge de travail.

En outre, les sages-femmes constatent une extension de leurs attributions, alors que la durée d’une journée n’est pas extensible. L’une d’elles affirmait : « Dès qu’il y a une tâche supplémentaire à réaliser en raison de l’absence d’un collègue, secrétaire, aide-soignant et autre, c’est à nous de l’assumer ! » Et je ne parle même pas des autres paramètres, comme la relation étroite qu’elles entretiennent avec les patientes et l’identification de difficultés intrafamiliales nécessitant un accompagnement social de toute urgence, qui n’est pas toujours opérationnel selon l’établissement.

Par ailleurs, pour faire écho aux débats précédents sur la proposition de loi constitutionnelle sur la protection de l’IVG et de la contraception, déposée par notre collègue Mélanie Vogel, n’oublions pas le rôle essentiel des sages-femmes en matière d’information fiable et de soins de qualité et individualisés.

Malgré ces quelques éléments de réflexion, qui sont annexes à la proposition de loi, mais qui devront inévitablement faire l’objet d’une attention particulière à l’avenir, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera à l’unanimité en faveur de ce texte. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, je soutiens bien sûr totalement ce texte. Notre collègue Else Joseph a rappelé tout à l’heure la position de notre groupe, l’historique de ce sujet et la nécessité de faire évoluer cette profession.

Je souhaite rappeler trois vérités.

Premièrement, la création d’une année supplémentaire de formation est une nécessité. En effet, le volume des compétences exigées pour les sages-femmes a augmenté depuis la dernière réforme du statut de leur formation, qui doit dater de 2011. Je pense notamment à l’entretien post-natal précoce, au calendrier des vaccinations, à l’endométriose – un sujet totalement passé sous silence voilà encore quelques années – et à leurs interventions en matière de lutte contre un certain nombre d’addictions.

Deuxièmement, nous manquons de sages-femmes et de candidats dans les écoles. La réalité du numerus apertus, je l’ai déjà dit hier, c’est que l’on ne voit pas comment il apportera une solution pour un certain nombre de professionnels de santé, dont les sages-femmes. Voilà une réalité criante !

La gynécologie libérale est totalement absente dans une dizaine de départements. Les sages-femmes libérales sont quasiment inexistantes en milieu rural. On voit même arriver – il n’y a pas été fait allusion au cours du débat – un certain nombre de péri-professionnels. Je pense à des coaching en natalité ou à des « doulas », qui m’inspirent une certaine méfiance. Par conséquent, on doit augmenter le nombre des sages-femmes en France.

Troisièmement, nous sommes dans une situation d’urgence. Il faut valoriser le statut de ces professionnelles, pour lequel les disparités sont grandes. Laurence Cohen a évoqué tout à l’heure les salaires : il est vrai qu’il existe une forte disparité en la matière, selon que les sages-femmes exercent dans la fonction publique territoriale, dans le cadre d’un conseil départemental ou d’un centre de PMI, ou bien dans la fonction publique hospitalière.

Par conséquent, si l’on veut promouvoir cette profession, il faudra bien, à un moment donné, que toutes les sages-femmes bénéficient de la même grille de salaire.

Madame la ministre, vous le savez comme moi, cela fait quinze ans que l’on parle des déserts médicaux. C’est un sujet que nous connaissons par cœur. Quand apporterons-nous des réponses concrètes pour pallier toutes ces carences en matière de professionnels de santé sur les territoires ?

La compétence de partage des tâches, entendez-le bien, madame la ministre, entre les IPA, les infirmiers en pratique avancée, les sages-femmes et les pharmaciens devrait permettre d’apporter des réponses.

Nous soutenons donc ce texte, qui constitue un message de soutien à la profession de sage-femme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir défendu ce texte. Je veux également saluer son autrice, Mme Annie Chapelier, et Mme la présidente de l’ordre, qui sont toutes deux présentes dans nos tribunes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter une réponse aux questions soulevées par certains d’entre vous. Il y avait bien évidemment urgence à reconnaître le métier des sages-femmes. Ce sera aujourd’hui chose faite. À charge pour le texte de poursuivre sa vie parlementaire. Comptez sur moi pour qu’il soit déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, puis voté.

Je veux vous dire à quel point le Gouvernement est mobilisé sur cette question. Monsieur Belin, vous avez fait allusion à la capacité des sages-femmes à travailler avec les autres professionnels de santé.

Or, voilà une semaine, les sept ordres professionnels – oui, les sept !– ont signé un texte permettant à tous les professionnels de travailler ensemble. Puisque les sages-femmes ont un ordre, elles ont fait partie des signataires et elles seront, avec les pharmaciens, les pédicures-podologues, les dentistes, les infirmiers, les pharmaciens et les kinésithérapeutes, aux côtés des médecins, pour apporter des réponses et dégager du temps médical.

Vous avez fait une demande qui est d’ores et déjà exaucée. Nous allons désormais travailler sur ce principe.

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme
Article 1er bis

Article 1er

I. – Le chapitre Ier du titre V du livre Ier de la quatrième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 4151-5 est ainsi modifié :

a) Le 1° est complété par les mots : «, pour les étudiants ayant débuté la deuxième année du premier cycle des études de maïeutique avant le 1er septembre 2024 » ;

b) Après le même 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Soit le diplôme français d’État de docteur en maïeutique ; »

2° Les articles L. 4151-7, L. 4151-7-1, L. 4151-8 et L. 4151-9 sont abrogés.

II. – (Non modifié) Au chapitre V du titre III du livre VI du code de l’éducation, il est inséré un article L. 635-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 635-1. – Les études de maïeutique théoriques et pratiques sont organisées par les universités au sein des unités de formation et de recherche de santé ou, à défaut, au sein d’une composante qui assure la formation de médecine au sens de l’article L. 713-4. Elles doivent permettre aux étudiants de participer effectivement à l’activité hospitalière.

« Les modalités d’application du présent article sont précisées par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la santé. »

III. – (Non modifié) À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 162-22-13 et au 1° de l’article L. 162-23-8 du code de la sécurité sociale, la référence : « L. 4151-9, » est supprimée.

IV. – (Non modifié) Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport dressant un état des lieux de l’intégration de la formation de sage-femme au sein de l’université. Ce rapport identifie notamment les conditions de réussite d’une telle intégration.

V. – (Non modifié) Le 2° du I et les II et III du présent article s’appliquent à compter du 1er septembre 2027.

Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 2

Article 1er bis

(Non modifié)

Après l’article L. 4151-9 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 4151-9-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 4151-9-1. – Les étudiants de deuxième et de troisième cycles de maïeutique peuvent être autorisés à effectuer une partie de leurs stages pratiques auprès de sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, dans des conditions fixées par décret.

« Les conditions de l’agrément des sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, qui comprennent une formation obligatoire auprès de l’université de leur choix ou de tout autre organisme habilité, sont fixées par décret en Conseil d’État. » – (Adopté.)

Article 1er bis
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Article 3

Article 2

I. – (Non modifié) Au chapitre V du titre III du livre VI du code de l’éducation, il est inséré un article L. 635-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 635-2. – Le troisième cycle des études de maïeutique est accessible aux étudiants ayant obtenu la validation du deuxième cycle des études de maïeutique.

« Le référentiel de formation ainsi que la durée de ce troisième cycle sont fixés par voie réglementaire.

« Le diplôme d’État de docteur en maïeutique est conféré après validation de ce troisième cycle et soutenance avec succès d’une thèse d’exercice. »

II. – (Non modifié) Au 2° de l’article L. 6153-1 du code de la santé publique, après le mot : « odontologie », il est inséré le mot : « , maïeutique ».

II bis. – Une révision des référentiels de formation des premier et deuxième cycles des études de maïeutique est mise en œuvre pour la rentrée universitaire 2024.

III. – Le présent article s’applique aux étudiants ayant débuté la deuxième année du premier cycle des études de maïeutique après le 1er septembre 2024. – (Adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

(Non modifié)

Après la section 3 bis du chapitre II du titre V du livre IX du code de l’éducation, est insérée une section 3 ter ainsi rédigée :

« Section 3 ter

« Dispositions propres aux enseignants-chercheurs en maïeutique

« Art. L. 952-23-2. – Les sages-femmes titulaires d’un poste de maître de conférences ou de professeur des universités consacrent à leurs fonctions de soins en maïeutique, à l’enseignement et à la recherche la totalité de leur activité professionnelle, sous réserve des dérogations qui peuvent être prévues par leur statut. Elles exercent leur activité de soins en milieu hospitalier ou en ambulatoire.

« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article ainsi que les conditions de leur recrutement et d’exercice de leurs fonctions. » – (Adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

(Non modifié)

I. – L’activité des sages-femmes est intégrée au groupe 86.2 de la nomenclature d’activités françaises qui regroupe les professions de médecin et de chirurgien-dentiste. Une classe « 86.24 – Activité des sages-femmes » est créée à cet effet. Le groupe 86.2 est renommé « Activités des médecins, des dentistes et des sages-femmes ». La sous-classe 86.90D est renommée « Activités des infirmiers ».

II. – Dans la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles, les sages-femmes sont regroupées dans les catégories détaillées 31 et 32, en fonction de leur mode d’exercice, hospitalier ou libéral.

III. – Les modalités d’application du présent article sont définies par décret et entrent en vigueur deux ans après la promulgation du décret, et au plus tard le 1er janvier 2025. – (Adopté.)

Article 4
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 5

(Suppression maintenue)

Vote sur l’ensemble

Article 5
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.

M. Laurent Burgoa. Je voterai bien sûr ce texte. À mon tour, je souhaite rendre hommage à Annie Chapelier, à qui en revient l’initiative. Elle a été députée du Gard de 2017 à 2022. Comprenez que, entre parlementaires, il existe une solidarité départementale ! (Sourires.)

Ce soir, elle peut être fière du travail qu’elle a accompli. Je lui dis – c’est un clin d’œil qu’elle seule comprendra – qu’elle pourra désormais dire qu’être parlementaire sert à quelque chose. En effet, sa proposition de loi avance. Après les propos de Mme la ministre, j’en suis sûr, ce texte sera bientôt inscrit en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et deviendra une loi, que l’on appellera « loi Annie Chapelier ». (Applaudissements.)

Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme le président. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je veux tout d’abord remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour et Raymonde Poncet Monge d’en avoir été la rapporteure, en y apportant une modification importante sur le délai, après avoir consulté l’ordre et les étudiants.

Je salue également Mme la présidente de l’ordre et les représentants de l’Association nationale des étudiants sages-femmes. (Applaudissements.)

Je salue enfin Annie Chapelier. Celle-ci, je le sais, souhaitait aller un peu plus loin sur certains points. Mais il vaut mieux tenir que courir, et il nous semblait important de « cranter » certaines dispositions dans un texte. Désormais, madame la ministre, il n’y a plus qu’à inscrire très vite cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, qui devrait l’adopter conforme et le rendre définitif. (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme
 

9

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 20 octobre 2022 :

De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

Proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 22, 2022-2023) ;

Proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, présentée par Mme Denise Saint-Pé (procédure accélérée ; texte de la commission n° 24, 2022-2023).

De seize heures à vingt heures :

(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)

Proposition de loi en faveur du développement de l’agrivoltaïsme, présentée par MM. Jean-Pierre Decool, Pierre-Jean Verzelen, Pierre Médevielle, Daniel Chasseing, Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 14, 2022-2023) ;

Proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 37, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER