M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. Je salue son engagement comme présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, un engagement déterminé et particulièrement concret. (Applaudissements.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’Ukraine n’est pas en guerre depuis le mois de février 2022 ; l’Ukraine est en guerre depuis février 2014, date d’annexion de la Crimée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe RDPI. – M. Patrick Kanner applaudit également.)

Elle est même en conflit avec son « grand frère russe » depuis les années 1930 et l’Holodomor – nous le commémorerons le 26 novembre prochain –, cette extermination par la faim d’environ cinq millions de victimes, par la volonté de Staline, alors grand maître du Kremlin, qui avait choisi de piller le grenier à blé de l’Union soviétique pour financer son industrialisation.

L’Ukraine et la Russie sont en guerre depuis fort longtemps, mais jusqu’à présent cela ne nous dérangeait pas.

Depuis février 2022, la guerre en Ukraine a mis fin pour nous au dividende de la paix. Cet événement central a bousculé tous nos arbitrages économiques et politiques. Comme un voile qui se déchire, l’invasion de l’Ukraine par la Russie nous a permis de voir les fractures déjà à l’œuvre dans le tissu économique et social français.

La guerre a martelé, comme la pandémie de covid-19, le message de l’impréparation de la France, sa vulnérabilité en général face aux chaînes de valeur des secteurs stratégiques essentiels. La question des ressources et des approvisionnements s’est posée avec brutalité.

Désormais, les enjeux de sécurité sont devenus prioritaires. La question de l’engagement militaire de la France est centrale.

J’ai eu la chance d’être présente à la Rada le jour où les députés ukrainiens ont longuement applaudi la France, le président Larcher et nos canons Caesar – moment inoubliable.

Nous examinerons bientôt le projet de loi de finances pour 2023, premier budget depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Nous souhaitons savoir quels moyens seront prévus pour la poursuite de l’aide à l’Ukraine.

Le Parlement, dont il est évident qu’il doit être tenu au courant de l’effort de guerre, ressent, madame la Première ministre, une forme de frustration face à ce que je qualifierai d’« opacité » sur la question des volumes précis et du type d’aide fournie.

On annonce un nouveau « paquet militaire » : nous aimerions savoir ce qu’il contient précisément.

Des chiffres circulent sur ce que pourrait être le montant financier de notre aide militaire, mais c’est de vous, madame la Première ministre, que nous devons obtenir une information fiable et précise, qui permettra de situer l’importance de notre effort par rapport à celui des autres nations.

Nous demandons à être informés de façon régulière, ce qui ne remet pas en cause, bien évidemment, notre soutien, particulièrement celui du groupe Union Centriste, à votre action.

Les derniers développements des combats sur le sol ukrainien nous laissent penser que cette situation n’est pas transitoire et, malgré les avancées ukrainiennes, nous avons devant nous un conflit qui s’installe et qui sera long. L’offensive ukrainienne ralentit et la mobilisation partielle décrétée par Vladimir Poutine apportera aux Russes un renfort humain massif, même si les nouveaux soldats seront globalement mal équipés et peu motivés.

Il nous faut donc désormais nous donner des moyens durables de faire face aux conflits de haute intensité sur le sol national et sur le sol européen.

Aujourd’hui, la situation militaire est loin d’être stabilisée. Plus l’armée russe recule, plus le risque d’élargissement du conflit est tangible.

Madame la Première ministre, face à un risque d’escalade nucléaire brandi par le président Poutine, qui parle de façon récurrente, ces derniers jours, de « bombe sale », quel est le plan du Gouvernement ? Quelle est la préparation, en France, pour les populations civiles, à l’heure où les comprimés d’iode sont en tension d’approvisionnement mondiale ? De quels abris atomiques disposons-nous, alors que les agences de notation évoquent le risque nucléaire, dans certains scénarios, comme s’il s’agissait désormais d’une nouvelle normalité ?

Cette guerre est l’accélérateur d’une redistribution des grands équilibres géopolitiques mondiaux. Nous prenons conscience de façon aiguë du positionnement stratégique national, européen et mondial. Nous sommes à l’heure des choix.

Face au risque d’embrasement général en Asie centrale, où le groupe Wagner tente de recruter, quel est le rôle de la France pour empêcher l’extension du conflit aux pays voisins ? Comment aider ces pays à construire leur propre autonomie stratégique entre la Russie, la Chine ou la Turquie ? Quelle est la politique de la France vis-à-vis de cette région ?

Cette guerre est aussi une guerre d’image. Il est nécessaire que la France participe à la mise en lumière des crimes russes envers les civils ukrainiens. Le monde doit connaître les exactions dont se rendent coupables les Russes et leurs milices. En Afrique, et plus particulièrement au Sahel, où les soldats russes sont considérés comme des libérateurs, la France doit couper court à la désinformation. Le resserrement de l’Alliance atlantique ne doit pas empêcher notre pays de faire entendre sa voix.

J’en viens à la question de l’énergie, car la crise géostratégique s’est transformée en crise énergétique, avant de se transformer en crise économique.

L’augmentation du prix du gaz entraîne mécaniquement celle de l’électricité. Il n’y a plus de long terme dans le champ des factures énergétiques. La concertation européenne semble buter actuellement sur ces sujets. Les entreprises sont dans des situations intenables, les collectivités également, et de nombreux particuliers risquent de basculer dans la précarité.

Quelle est la stratégie de la France en matière de recherche de fournisseurs intermédiaires d’énergie ? Comment le Gouvernement est-il en train d’organiser le long terme de l’approvisionnement énergétique national ?

Si nous avons désormais compris que l’énergie n’est pas une évidence, il faut prendre conscience que l’alimentation ne l’est pas davantage. Les perturbations de la production agricole, des chaînes d’approvisionnement et des échanges commerciaux ont donné lieu à une envolée des prix mondiaux des denrées alimentaires et des engrais à des niveaux sans précédent. « La Russie, en faisant de l’alimentation une arme dans sa guerre contre l’Ukraine, a provoqué une crise mondiale de la sécurité alimentaire » : voilà ce que vient de déclarer le Conseil européen.

Madame la Première ministre, il est réellement vital d’obtenir, à ce stade, que les « corridors céréaliers » de la mer Noire restent ouverts au-delà du mois de novembre. La spéculation sur les marchés agroalimentaires et leur dérégulation étaient prévisibles : c’est le grenier du monde qui est visé.

En France, la crise de la covid avait accéléré la demande d’une consommation alimentaire de proximité et de qualité, rémunérée au juste prix. La guerre et son cortège de difficultés économiques amènent désormais les ménages, hélas, à privilégier une alimentation à moindre coût. Nos producteurs en font les frais.

Tous les marchés ont été perturbés, mais il nous faut faire la part des choses : n’oublier ni les phénomènes spéculatifs ni les difficultés préexistantes de notre économie, même si nous avons tendance à rendre le conflit russo-ukrainien responsable de toutes nos difficultés.

Il y a toujours eu, hélas ! ceux qui bâtissent des fortunes en temps de guerre. Dans ce contexte de panique et d’angoisse maximale de l’opinion publique, il y a un enjeu crucial : tenir bon. Poutine espère précisément que les Français se lassent de ce conflit aux conséquences lourdes. Ils ne doivent pas céder.

Le président Roux de Bézieux le disait il y a quelques jours à Nevers : « Les entreprises françaises souffrent, mais, quel que soit le prix à payer, le Mouvement des entreprises de France (Medef) soutient les sanctions, car les valeurs morales, éthiques et philosophiques n’ont pas de prix. Elles sont le prérequis d’un contexte économique garant de la stabilité des entreprises. »

Au-delà de ce constat, il nous faut marteler que, à ce stade du conflit, il s’agit non plus d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine, mais bien d’une guerre entre un agresseur et un pays souverain dont l’intégrité territoriale est remise en cause, d’une guerre entre un pays qui ne respecte plus aucune convention internationale et l’Occident, qui se pose en défenseur du droit humanitaire international.

La France, pays des droits de l’homme, doit être inflexible face aux crimes contre l’humanité perpétrés chaque jour en territoire occupé. Frapper des infrastructures civiles en temps de guerre, c’est un crime de guerre ! Déporter massivement des enfants, ce devrait être un crime de guerre ! Et je ne parle ni des viols ni du traitement inhumain des blessés et des populations civiles, contraires à tous les engagements de la convention de Genève.

Que dire de toutes les atrocités perpétrées sciemment contre des populations innocentes et désarmées ? Les récits, les témoignages, les images sont trop nombreux, ils sont poignants, incontestables et insupportables. La vision des appartements d’Irpin passés au lance-flammes par l’armée russe ne me quittera jamais.

Le Conseil européen vient de prendre une position très ferme : « L’agresseur devra rendre des comptes », dit-il. Nous serons les témoins de demain, mais notre rôle aujourd’hui est d’aider le monde à trouver le chemin de la paix.

Madame la Première ministre, la conséquence la plus évidente de ce conflit, pour la France et les Français, est d’avoir mis la guerre à portée de voiture. Les élus de nos communes et les Français ont généreusement ouvert leur porte à des familles, celles de nos voisins, impressionnants de courage et de résilience. Ils les prennent en charge et les soutiennent chaque jour, sans compter.

L’invasion de l’Ukraine a provoqué un renforcement de certaines valeurs qui doivent rester un socle commun.

Vous aurez compris que mon groupe, collectivement, m’a demandé de porter un message de fermeté, de soutien intangible au peuple ukrainien et de dénonciation des crimes de guerre.

Dans le prolongement du débat de ce soir, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, le Sénat souhaite être votre partenaire de chaque jour dans cette crise majeure.

À titre personnel, j’exprime ma solidarité à nos collègues et amis de la Rada ukrainienne et à leur président Rouslan Stefantchouk, qui ont vaillamment siégé sans discontinuer depuis février 2022, parfois sous les bombes.

J’ai une pensée profondément émue pour toutes les victimes de cet affreux conflit.

Je vous remercie, malgré toutes les conséquences que cela emporte, de nous assurer que la France restera pour l’Ukraine un soutien indéfectible et fort jusqu’au jour tant espéré, celui de la paix. (Vifs applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en préalable à mon propos, je voudrais tout d’abord saluer la tenue, ce soir, de ce débat dans l’hémicycle.

Si la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie il y a maintenant huit mois, traverse toutes les discussions de toutes nos commissions parlementaires, sans exception, nous n’avons jusqu’à présent guère eu l’occasion d’en débattre solennellement, en séance plénière, avec le Gouvernement.

Lors de la déclaration, suivie d’un débat, du Gouvernement devant le Sénat le 1er mars dernier, chaque groupe politique a pu s’exprimer. Cependant – si je puis me permettre – beaucoup d’eau, depuis, a coulé sous les ponts de Paris et sous les ponts du Dniepr, ou du moins ce qu’il reste de ponts sur ce très majestueux fleuve européen.

La responsabilité de cette éclipse du débat parlementaire incombe moins au Gouvernement et à notre assemblée qu’à un calendrier électoral absurde qui, lors des années d’élections présidentielle et législatives, voit nos travaux dans l’hémicycle suspendus durant plus de quatre mois.

Cette situation ne valorise guère, aux yeux de nos concitoyens, la démocratie parlementaire, notamment en période de grave crise, qui conduit l’exécutif à prendre des décisions importantes sans consultation formelle du Parlement.

Je veux donc ici saluer la présence conjointe au banc de la Première ministre et d’une partie du Gouvernement, qui, fort heureusement, ont tenu régulièrement informé notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de l’évolution de la situation.

Cependant, comme nous le rappelait pas plus tard qu’hier soir le ministre des armées, il est essentiel que l’information « percole » auprès de l’ensemble de la représentation parlementaire. Nous y voici donc, monsieur le ministre !

Certes notre pays n’est pas en guerre, mais il se trouve néanmoins aujourd’hui indirectement très impliqué dans ce conflit. Nous en mesurons chaque jour les conséquences multiples, tant à l’échelle de la vie quotidienne de nos concitoyens qu’à l’échelle de la Nation et de l’Europe.

Je concentrerai mon intervention autour de deux grands constats provisoires, qui appellent chacun quelques questions.

Premier constat : la guerre en Ukraine, qui vient s’ajouter à la crise sanitaire, agit comme un révélateur des fragilités et dépendances de notre économie.

Comme l’a clairement relevé le rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) de mai dernier, notre appareil productif fait face à deux problèmes majeurs : la hausse des prix de l’énergie et des matières premières et les ruptures d’approvisionnement qui menacent d’arrêt certaines activités. Tous les secteurs de notre économie sont touchés.

Le prix de gros de l’électricité, qui a quasiment été multiplié par douze en un an, s’envole. La pénurie de composants électroniques, apparue durant la crise sanitaire, est aujourd’hui aggravée par le conflit ukrainien. Fin septembre, les usines Renault du Nord étaient à l’arrêt en raison des difficultés d’approvisionnement en semi-conducteurs. Citons également les ruptures de stock dans l’agroalimentaire, passées de 2 % à plus de 10 %, sans parler du domaine de l’armement et des moyens capacitaires de nos armées, qui appellent d’importantes réorientations et des investissements élevés.

Compte tenu de nos contraintes budgétaires et humaines, quels sont, mesdames, messieurs les ministres, les secteurs que vous considérez comme prioritaires et les échéances que vous vous fixez pour acquérir une autonomie assez significative dans les domaines concernés ?

Second constat : malgré les chocs subis, force est de constater l’admirable résilience de l’opinion publique française face à la propagande et au narratif russes. Selon un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) paru au début du mois, on note que si les Français sont majoritairement inquiets des conséquences de la guerre en Ukraine pour la France, ils sont cependant 70 % à avoir une bonne opinion de l’Ukraine, contre 16 % seulement pour la Russie.

Nous observons surtout que les deux tiers des Français se déclarent favorables aux sanctions économiques et approuvent la livraison d’armes à l’Ukraine par l’Europe.

Pourtant, très tôt, une petite musique s’est propagée sur les réseaux sociaux, et parfois dans des médias plus officiels, sous-entendant que toutes les difficultés actuelles des Français proviendraient du soutien que nous apportons à Kiev : un choix qui nous aurait été insidieusement inoculé par une Amérique forcément prédatrice.

Au fil des ans, la Russie est passée maître en matière de désinformation et de guerre hybride. Il faut, en l’état, se féliciter de son relatif échec à déstabiliser notre pays et son opinion publique.

Les services de l’État en matière de lutte contre les attaques cyber et la désinformation ont, notamment grâce à Viginum, créé il y a un an, beaucoup contribué à endiguer l’offensive informationnelle de la Russie depuis le début de la guerre. Il serait injuste de ne pas leur accorder un satisfecit très mérité.

L’Europe n’a pas non plus été en reste : la création récente d’un système de signalement des tentatives de désinformation par le service « communication stratégique, groupes de travail et analyses de l’information », dit « STRAT.2 », du service européen pour l’action extérieure (SEAE) a déjà démontré son utilité.

Cependant, c’est sans doute l’interdiction de la diffusion sur tout le territoire de l’Union de RT News et de Sputnik, décidée dès les premières semaines de l’agression russe, qui a eu le plus d’impact dans ce combat.

Pour autant, il ne faut pas négliger d’autres facteurs extérieurs : la faiblesse du narratif poutinien pour justifier l’attaque contre l’Ukraine, en particulier les accusations de nazisme et d’antisémitisme proférées à l’encontre de Kiev et de la population du pays ; la défection de nombreux hackers qui gravitaient dans la nébuleuse russe de cybercombattants et qui ont souvent rallié le camp ukrainien ; et – last but not least – le très efficace et percutant contre-narratif ukrainien développé par le président Volodymyr Zelensky et son entourage.

La figure de héros de la liberté et de résistant à l’oppresseur, celle de David contre Goliath, n’échappe ici à personne et donne, sur la forme, un sacré coup de vieux à la communication politique partout dans le monde.

Cependant, la guerre de l’information contre la France, et plus généralement contre les pays occidentaux, n’est pas encore gagnée. Un hiver potentiellement très difficile, ajouté à un possible enlisement de la guerre, pourrait sérieusement affecter la solidarité actuelle de l’opinion à l’égard de l’Ukraine.

Contenu en France et en Europe, le narratif autoritaire de la Russie s’est fortement redéployé et accentué en Afrique, en particulier contre notre pays. RT News et Sputnik se développent à vitesse « grand V » partout sur le continent, et la nébuleuse Wagner de l’oligarque Yevgeny Prigozhin déploie, notamment à travers sa société de production de films Aurum, un narratif prorusse qui connaît un vif succès auprès des populations les plus jeunes et les plus populaires d’Afrique. Les effets à l’encontre de nos soldats, de nos diplomates et de nos entreprises sont dévastateurs, au Mali, en République centrafricaine, au Burkina Faso et sans doute demain en Guinée.

Mesdames, messieurs les ministres, notre pays fait d’ores et déjà face à un second front. Quelles sont les mesures que nous comptons mettre en œuvre pour gagner la guerre de la communication menée contre nous en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 24 février, Vladimir Poutine ordonnait l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe. En violant le droit international et l’intégrité d’un État souverain, il déclenchait sur le continent un conflit d’une ampleur inédite depuis 1945, qui appelle notre solidarité auprès du peuple ukrainien.

Illégale, et terriblement meurtrière, cette guerre ne connaît depuis février que l’escalade. Elle menace aujourd’hui la sécurité internationale.

Cette guerre, c’est à ce jour, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 8 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’extérieur de l’Ukraine, des millions de déplacés intérieurs, plus de 15 000 victimes civiles tuées ou blessées ; ce sont des dizaines de milliers de morts au combat, Ukrainiens et Russes ; ce sont des crimes de guerre, et la répression des dissidents et des conscrits en fuite. Chaque jour, la jeunesse des deux pays est fauchée dans les combats.

La guerre, c’est l’effondrement de moitié du PIB ukrainien, la destruction du tiers des infrastructures énergétiques. Le Premier ministre ukrainien annonce déjà que, en l’état, le coût de la reconstruction se chiffrera en centaines de milliards de dollars.

La guerre, c’est l’aggravation de la crise économique et énergétique, partout sur la planète, frappant d’abord les plus faibles. C’est le spectre de la famine, comme en Somalie, où le manque de nourriture tuera aussi sûrement et même plus que les bombes. Cette guerre, c’est l’engloutissement quotidien de ressources considérables qui manquent tant aujourd’hui pour répondre aux défis du développement humain et du changement climatique. C’est l’aggravation catastrophique des émissions de gaz à effet de serre, qui bat en brèche tous les objectifs climatiques. La nouvelle dépendance de l’Europe au gaz naturel liquéfié (GNL) américain, 2,5 fois plus émetteur de CO2 que le gaz naturel, en est un exemple frappant.

La guerre, c’est l’embrasement possible à tout instant en Moldavie, en Géorgie ; il est déjà à l’œuvre en Arménie, avec l’attaque azérie.

Ce sont tous les points de tension du globe ravivés, le spectre d’un nouveau conflit mondial, le retour de la menace de l’annihilation nucléaire.

Moscou réinterprète dangereusement sa grammaire de la dissuasion, et la surenchère peut mener de manière irresponsable à un éventuel conflit nucléaire. Ces faits alarmants devraient, d’ailleurs, inviter à relancer, de la manière la plus vigoureuse qui soit, les discussions mondiales sur le désarmement multilatéral et sur un régime mondial d’interdiction des armes nucléaires.

La guerre entre la Russie, l’Ukraine et, derrière elle, les forces de l’Otan est un terrible engrenage. Il sera, nous le savons, difficile d’en sortir. Faut-il dès lors se résigner à l’escalade ? Sauf à accepter de voir s’amplifier la catastrophe en cours pour des semaines, des mois, et peut-être des années encore, nous pensons, madame la Première ministre, qu’il faut avoir le courage de ne pas abandonner l’exigence d’un cessez-le-feu le plus rapide possible sur le front.

Dire cela, est-ce céder aux Russes, comme on l’entend dire, comme s’il s’agissait d’accepter de geler la situation sur la ligne de front actuelle ? Bien sûr que non. Dire cela, c’est demander que, dans la guerre, la voie de la paix et de la diplomatie ne s’éteigne pas et qu’elle reprenne la main au plus vite, sans accepter le terrible prix humain de son amplification, sans perspective de fin, et probablement sans vainqueur parmi les peuples.

Nous voulons le retour de la diplomatie au plus vite pour tracer le chemin d’une négociation globale, récusant le changement de frontières et l’acquisition des territoires par la force, demandant le retrait des troupes russes et rouvrant le dialogue sur l’autodétermination, la garantie de souveraineté et de sécurité pour tous les peuples.

À ceux qui préconisent la guerre, et forcément son escalade, avec toutes ses conséquences imprévisibles, en faisant miroiter sa fin prochaine, je leur demande de me dire dans quel pays la guerre a, ces trente dernières années, apporté la solution et la paix promise : en Afghanistan ? en Irak ? en Syrie ? en Libye ? au Yémen ? au Sahel ? Tous ces pays sont en ruine et en proie aux violences. Pourtant, les ennemis étaient tout aussi condamnables.

Non, la voie de la diplomatie pour la paix n’est pas celle de la reddition. Elle est peut-être celle de l’espoir, celle qui épargne aux peuples la misère, la destruction et la barbarie.

Nous livrons des armes à l’Ukraine. Malgré nos demandes répétées, le Parlement ne dispose pas, à ce jour, de toutes les informations, ni sur ce que nous livrons ni sur les incidences de ces livraisons sur nos propres capacités de défense. Qui peut, tant que la guerre dure, dénier à un État agressé comme l’Ukraine le droit de se défendre et de faire appel à ses alliés ? Personne. Cependant, qui peut assurer que ces livraisons, même massives, ouvriront la voie à la solution militaire du conflit en cours ?

Quelles que soient les décisions prises, rien ne doit nous détourner d’un effort immédiat pour retrouver la voie de la paix par la négociation internationale, au plus vite.

Le Président de la République a eu raison, le 12 octobre dernier, sur France 2, puis ce dimanche en Italie, de remettre dans le débat la perspective de la paix et le retour à la table des négociations ; mais il semble, dans le même mouvement, en repousser toujours l’échéance.

La France, avec d’autres pays, doit y travailler sans tarder. Que pensez-vous, madame la Première ministre, de la proposition d’un ancien ambassadeur de France, dans un grand journal du soir, d’engager sans tarder entre Ukrainiens et alliés une discussion sur ce que devrait être un calendrier et une position de négociation ?

Que pensez-vous des voix qui s’élèvent, dans une tribune d’anciens diplomates italiens, s’exprimant sur les bases possibles d’un règlement négocié, ou dans la lettre adressée par 35 démocrates de la Chambre des représentants à Joe Biden pour lui enjoindre de « déployer de vigoureux efforts diplomatiques en soutien à un règlement négocié » ?

Que pensez-vous des déclarations du pape François, que le Président de la République vient de rencontrer, et qui n’a cessé d’appeler à ce que les armes se taisent depuis le début du conflit ? (Murmures.)

Pour avancer dans ce sens, parce que nous savons que le chemin est rempli d’obstacles, nous pouvons travailler à conforter tous les accords partiels déjà négociés pour élargir les brèches.

Je pense à l’accord sur les exportations de céréales, qui arrive à échéance le 22 novembre : allons-nous travailler à sa reconduction ? Est-il également possible de conforter l’accord sur la sécurisation des centrales nucléaires, en lien avec l’ONU et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ?

Comment agir pour que les organisations humanitaires puissent travailler, alors que le droit international humanitaire est aujourd’hui, partout, bafoué ? Comment assurer la protection des installations civiles indispensables aux populations ?

La priorité est également de prévenir l’extension du conflit aux pays frontaliers. Un engagement réciproque des parties prenantes, doublé d’un engagement multilatéral à ne pas impliquer de nouveaux pays frontaliers dans la guerre, pourrait être un objectif. Au-delà, le but est de rouvrir une négociation globale de sécurité, sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Madame la Première ministre, pour toutes ces raisons, nous pensons que la France devrait entamer la construction d’une grande coalition mondiale pour la paix, qui ne peut être enfermée dans le seul bloc de l’Otan. La logique des blocs fait partie du problème. Elle nous voit, en ce moment, sans barguigner, classer la Turquie, l’Arabie saoudite et des gouvernements d’extrême droite européens dans le camp de la démocratie.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Pierre Laurent. De nombreux pays, qui refusent l’alignement derrière la Russie, mais aussi derrière l’Otan, souhaitent une telle coalition de la paix, qui se donne pour but la construction commune et mondiale de la paix, par la construction de sécurités collectives et de sécurités humaines, alimentaires, sanitaires, énergétiques et climatiques partagées.

La France devrait en prendre l’initiative. Nous devons pour cela parler à de grands pays comme l’Inde, comme la Chine – sans les jeter dans les bras des Russes, comme certains le font –, à des pays plus modestes, en Asie centrale, comme le Kirghizstan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, qui sont intervenus à plusieurs reprises pour critiquer la guerre, et à des pays africains, menacés par les conséquences de celle-ci, et qui veulent un ordre mondial plus juste et plus solidaire, sans avoir à choisir entre deux systèmes de domination.

Pour constituer cette grande coalition, la France doit reprendre sa liberté d’initiative pour assumer pleinement, en Europe et dans le monde, son rôle au service de la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul et M. Joël Bigot applaudissent également.)