M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette séance s’ouvre après plusieurs semaines de travaux en commission des finances et au sein des commissions saisies pour avis. Je remercie les rapporteurs spéciaux, qui ont passé en revue l’ensemble des crédits et qui ont formulé des propositions.

L’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale fait que très peu de dispositions du PLF ont pu être examinées. Le Sénat a donc une responsabilité très particulière.

Dans cette intervention liminaire, je ne balaierai pas l’ensemble des sujets que nous aurons tout le temps d’approfondir d’ici au 6 décembre. Le rapporteur général a déjà fait un point très exhaustif.

Je voudrais plutôt partager quelques réflexions avec vous, messieurs les ministres, et m’échapper, si vous m’y autorisez, quelque peu des chiffres pour essayer de comprendre le sens de l’exercice de ce PLF 2023, tant il est vrai que sa lecture interroge. S’agit-il, dans un contexte incertain et, par bien des aspects, angoissant, de soutenir les Français face à l’inflation et à la crise énergétique notamment ? De maintenir notre outil industriel ? De stabiliser notre dette et nos comptes publics ? Sans doute un peu tout cela, nous direz-vous. D’ailleurs, c’est à peu près ce que vous avez dit… Mais la copie peine à convaincre.

En 2017, les choses étaient claires. Au bénéfice d’une situation des comptes publics rétablie, avec une croissance de 2,3 % et un déficit ramené à 3 % du PIB, une politique néolibérale on ne peut plus classique a été appliquée : baisse des impôts des entreprises et des particuliers, soutien aux investisseurs privés, baisse de l’impôt sur le patrimoine.

Personne encore aujourd’hui – ni France Stratégie ni, voilà quelques jours encore, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital – ne se risquait à faire un lien entre ces mesures et un renforcement par les bénéficiaires d’une réorientation de l’épargne vers le financement des entreprises.

J’étais opposé à votre politique, monsieur le ministre de l’économie, mais au moins j’en comprenais les attendus et les objectifs…

Puis vint la pandémie, et le quasi-arrêt de pans entiers de l’économie. Là encore, j’ai compris et, pour l’essentiel, approuvé votre action. Prêts garantis par l’État (PGE), chômage partiel, plans divers de soutien, puis plan de relance : les résultats en termes de reprise économique ont été au rendez-vous. On peut le dire, cela a été une réussite.

La crise russo-ukrainienne de cette année, ramenant la guerre en Europe, puis la crise énergétique et l’inflation sont venues mettre fin à un scénario favorable.

La situation est aujourd’hui difficile ; nous le reconnaissons tous. Mais là – surprise ! – tâtonnements, choix malheureux, imprécisions se multiplient. Je prendrai quelques exemples.

Premier exemple, mais vous avez dénoncé cette politique menée dans le passé pour promouvoir votre nouvelle politique : les aides aux Français non ciblées, mettant sur un pied d’égalité ceux d’entre nous ayant de bons revenus et ceux qui ne peuvent plus s’en sortir, comme les ristournes ou les aides portant sur le prix du gaz et de l’électricité, au prix d’une dépense publique inconsidérée et aujourd’hui complètement insoutenable.

Autre exemple : la contribution sur la rente inframarginale des producteurs d’énergies renouvelables (EnR), mise à mal par la dénonciation des contrats par ces producteurs.

Je crois avoir compris que vous allez très bientôt nous proposer une taxation directe de ces « superprofits » – j’ose employer ce terme – pour résoudre le problème. Comme quoi, calculer et taxer des superprofits n’est pas si difficile que cela, monsieur le ministre… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Et puis, au fond, ce qui choque aujourd’hui, c’est qu’il ne soit pas tenu compte de la situation réelle de nos finances publiques pour poursuivre dans votre ligne idéologique de baisse des impôts, alors que notre déficit se creuse à plus de 150 milliards d’euros cette année. Dernière part de taxe d’habitation pour les 20 % les plus aisés, suppression de la redevance télé, suppression de la CVAE : les recettes de l’État diminueront de 2,7 % en volume l’an prochain, et le mouvement devrait se poursuivre en 2024.

Au moment où, à court terme, vous devez faire face aux conséquences de la crise énergétique et – vous l’avez évoqué – alimentaire pour les familles les plus en difficulté, où vous devez soutenir des entreprises électro-intensives qui sont en grande difficulté, à l’instar de nombreuses entreprises ou collectivités locales, vous poursuivez la même ligne politique qu’en 2017, comme si de rien n’était !

Et si encore vous aviez la reconnaissance du Medef… (Exclamations amusées sur diverses travées.) Vous savez, ceux qui, après l’annonce de la répartition de la baisse de la CVAE sur deux ans, ont déclaré : « Vu ce qui est abondamment distribué par ailleurs, nous ne comprenons pas que la CVAE soit une variable d’ajustement budgétaire au moment où les entreprises souffrent. » Les mêmes ont relevé votre « manque d’ambition en matière de baisse des dépenses publiques »…

Le Medef a déjà oublié les PGE, le chômage partiel, qui a permis aux entreprises de conserver leurs compétences, les plans de soutien à l’industrie ; cela va vite ! (Sourires.) Les entreprises souffrent, paraît-il ! Beaucoup de petites sûrement, mais certainement pas celles du CAC 40, en tout cas ! En 2021, on a connu un record de dividendes distribués. On peine à dire le montant : 57,5 milliards d’euros. En France, on a une véritable passion de la distribution des dividendes ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER et RDSE.) Ce sera d’ailleurs sans doute plus en 2022. Je n’oublie pas les rachats d’actions, totalement insupportables, qui consistent à relever l’action des actionnaires qui n’en auraient pas assez, pour 23 milliards d’euros.

Sur tout cela, l’État a prélevé, hors prélèvements sociaux, un peu plus d’un milliard d’euros. Ne croyez-vous pas que le temps n’est plus aux cadeaux fiscaux,…

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … mais plutôt à un juste équilibre entre fiscalité du travail et dividendes ? Ne croyez-vous pas qu’au lieu de refuser par principe tout débat sur les superprofits, il aurait mieux valu que vous essayiez de trouver avec le Parlement une solution solide à cette situation ?

Alors, je le sais, monsieur le ministre, comme moi, vous n’avez pas goûté les propos du Medef. Vous l’avez marqué : colère ! (Rires sur les travées du groupe UC. – M. le ministre rit également.) Vous leur avez même proposé de « faire le ménage dans les crédits d’impôt dont bénéficient les entreprises ». Voilà une offre généreuse ! (Exclamations amusées.)

M. Jérôme Bascher. Je peux vous aider, monsieur le ministre ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je suis sûr que l’organisation patronale a répondu très favorablement. (Nouvelles exclamations amusées.)

En ce qui me concerne, je voudrais vous aider, monsieur le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Tout arrive !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il faut se méfier ! (Sourires.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je sens comme un doute… (Nouveaux sourires.)

Comme vous le savez, l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) a recensé 2 000 mécanismes de soutien aux entreprises pour un montant estimé de 180 milliards d’euros annuels – on peut discuter cette évaluation à la dizaine de milliards d’euros près, mais pas plus –, soit plus de 8 % du PIB : niches fiscales, allégements des cotisations sociales, dépenses budgétaires…

Monsieur le ministre, vous qui aimez tant les comparaisons internationales, notamment s’agissant des impôts de production – on se souvient de vos magnifiques graphiques ! –, pouvez-vous nous dire combien de pays soutiennent annuellement leurs entreprises à hauteur de plus de 8 % du PIB ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Je vous le dis, parce que c’est fatigant de regarder les problèmes en silo. On a baissé les impôts ; j’avais voté cette baisse à l’époque, mais cela appartient désormais au passé. Aujourd’hui, on baisse des impôts de production. En revanche, sur les crédits d’impôt et sur tout ce qui est mis en place en France, là, il n’y a plus de comparaison internationale !

Pour vous aider à répondre, monsieur le ministre, je proposerai au rapporteur général que notre commission s’intéresse au sujet. Il faut en effet vous donner quelques éléments d’appréciation. Je ne doute d’ailleurs pas que cela sera instructif.

Messieurs les ministres, il faut savoir hiérarchiser les sujets. La question d’aujourd’hui n’est pas d’afficher une cohérence de long terme ; elle est plutôt de répondre aux priorités du moment. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – MM. Jérôme Bascher et Georges Patient applaudissent également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Breuiller, Parigi, Gontard, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Labbé, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, d’une motion n° I-1419.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat reconnaît que le projet de loi de finances pour 2023 (n° 114, 2022-2023) est contraire au texte de la Constitution française.

La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la motion.

M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les écologistes croient et agissent pour une République plus parlementaire. À l’occasion de l’examen de ce projet de loi de finances, texte le plus important que nous ayons à voter, nous posons la question de la sincérité du Gouvernement dans ce débat. Messieurs les ministres, respecterez-vous le travail du Parlement ?

Lors de son discours de politique générale, Mme la Première ministre a tracé un cap et une méthode. Au-delà des mots, quels sont les actes ?

Le travail de l’Assemblée nationale a été sabordé à coups de 49.3. Le vote du Sénat n’est pas respecté ; prenons l’exemple de l’article 23, supprimé dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, que vous réintroduisez dans le projet de loi de finances pour 2023. J’y reviendrai, monsieur le ministre, mais cet exemple justifie à lui seul de vous poser la question : voulez-vous sincèrement travailler avec le Parlement ?

Certes, nous sommes invités aux dialogues de Bercy. Certes, vous venez présenter vos projets de loi en commission, exposer le contexte et répondre à nos questions. Mais quel sens tout cela a-t-il si vous n’écoutez pas ?

Nous ne sommes pas les premiers. Vous avez procédé de même avec les Françaises et les Français au moment des grands débats et des cahiers de doléances, comme lors de la Convention citoyenne pour le climat, dont trop peu de propositions ont été retranscrites dans la loi.

M. François Bonhomme. Heureusement !

M. Daniel Breuiller. En réalité, de même que certaines entreprises font du greenwashing pour colorer en vert des actions qui ne sont pas écologiques, vous inventez le democraticwashing : vous faites croire que vous nous écoutez, mais vous ne nous entendez pas.

Ma collègue Éva Sas disait dernièrement à juste titre : « Finalement, le Gouvernement montre non seulement son déni du débat parlementaire, mais, surtout, son absence d’écoute des problèmes du pays. »

Les Français ont élu une assemblée sans majorité absolue. La Première ministre a estimé que cela invitait à des « pratiques nouvelles » et à la « recherche de compromis ». En effet, ce choix nous oblige. La loi doit être le fruit de la concertation, enrichie de la diversité de nos convictions républicaines et de nos assemblées.

Le discours de politique générale de la Première ministre en a pris acte ; sa pratique législative, non.

Pourtant, on a rarement raison seul, et jamais en restant droit dans ses bottes, sans le peuple, contre les partenaires sociaux et le Parlement. C’est encore plus vrai dans ce contexte, où les fascismes et les populismes prennent place sur l’échiquier des décisions, dans le monde, en Europe comme en France, et où les dangers grandissent ; vous l’avez évoqué, monsieur le ministre.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par deux exemples du dévoiement démocratique que nous dénonçons aujourd’hui.

Tout d’abord, si l’usage du 49.3 est parfaitement constitutionnel, votre tri des amendements est bien plus discutable pour qui revendique la concertation comme méthode.

Nos collègues députés ont débattu avec conviction et volonté d’infléchir et d’enrichir le texte qui leur a été présenté. Ce travail interrompu prématurément fut sérieux et exigeant, comme le sera celui que nous nous apprêtons à accomplir durant les trois semaines qui viennent et les plus de 140 heures programmées de jour comme de nuit.

Pourtant, vous avez choisi d’éliminer l’essentiel des amendements votés à l’Assemblée.

Parmi les amendements écologistes, vous avez choisi de n’en retenir qu’un, sans doute pour montrer – toujours votre democraticwashing – que vous preniez des contributions sur tous les bancs de l’Assemblée nationale. Ce fut celui de Julien Bayou visant à utiliser l’huile de friture pour combustible automobile. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un amendement utile, qui permet de réutiliser comme une nouvelle ressource ce qui est considéré comme un déchet. Mais, reconnaissons-le, son adoption ne suffira pas à influer sur la trajectoire carbone de notre pays,…

Mme Laurence Cohen. C’est sûr ! (Sourires.)

M. Daniel Breuiller. … contrairement à celui de ma collègue Éva Sas sur l’isolation thermique des logements. Le logement, c’est un quart des émissions de CO2. L’objet de son amendement concernait 11 millions de foyers en précarité énergétique, 5 millions de passoires thermiques et, bien évidemment, la baisse de nos dépendances aux marchés fossiles.

Personne ne pourra ralentir la nécessaire transition énergétique, venez-vous de déclarer, monsieur le ministre. Le Parlement a formulé des propositions et indiqué vouloir une inflexion conforme à ce que revendiquent l’ensemble des organisations non gouvernementales (ONG) et organismes spécialisés.

Vous avez rejeté cet amendement, comme vous avez rejeté celui de Jean-Paul Mattei, député Modem, pourtant voté très majoritairement. Je ne parle pas là de la volonté de taxer les superprofits ou de créer un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) « climatique », auquel vous êtes idéologiquement opposé. Je parle d’une taxation temporaire à 35 % de bénéfices exponentiels en période de grave crise et dans un contexte exceptionnel de guerre en Europe.

Avouez-le : ce n’était pas la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges ; c’était la traduction par le Parlement d’une demande profonde de plus de justice sociale.

La liste est longue des amendements qui auraient pu et dû enrichir votre projet de loi de finances et que vous avez choisi de jeter dans les poubelles gouvernementales.

Je reviens donc à ma question : respecterez-vous le travail du Sénat ou voulez-vous entraver le pouvoir d’agir des élus, nationaux et locaux ?

L’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 a pour objet de mettre au pas les collectivités. Cet article inacceptable a, évidemment, été massivement rejeté. Il est inacceptable, car les collectivités votent des budgets à l’équilibre, contrairement à l’État. Il est inacceptable, car ce que vous appelez « contrat de confiance » est une remise en cause de leur autonomie, principe consacré par l’article 72 de la Constitution. Il est inacceptable pour le Sénat, chambre des territoires, qui l’a rejeté à une immense majorité, pour l’Assemblée nationale, qui l’a également rejeté, ou encore pour les associations d’élus, qui n’ont eu de cesse de vous interpeller sur le sujet.

Lorsque le Parlement, par ses deux chambres, les associations de maires et d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) vous disent que ce texte est inacceptable, que faites-vous dans votre nouvelle méthode démocratique revendiquée par la Première ministre ? Vous le retirez ? Non ! Au contraire : sorti par la porte, vous le réintroduisez par la fenêtre sous la forme d’un article additionnel à l’article 40 du projet de loi de finances pour 2023 !

Étrange conception de la démocratie parlementaire.

Étrange conception de la démocratie tout court.

Qui plus est, messieurs les ministres, en vous attaquant aux collectivités territoriales, vous vous attaquez aussi au dernier échelon démocratique qui résiste encore dans l’avancée inquiétante des doutes saisissant notre démocratie et notre peuple.

Vous devriez, nous devrions, au contraire, tout faire pour préserver et soutenir les communes et les élus locaux. Chaque crise, des « gilets jaunes » à la pandémie, nous a montré à quel point ils sont la digue la plus solide en termes de cohésion sociale.

Leur diversité de choix et de situations est une formidable opportunité d’évaluer les réponses politiques les plus efficaces face aux crises sociales, démocratiques et climatiques.

À ma question, voulez-vous travailler avec le Parlement ? Je vous réponds que, nous, nous souhaitons travailler, proposer, contribuer, car l’urgence climatique est là, et bien là. Elle est plus encore redoutable pour les plus fragiles d’entre nous. Il est impossible de rester sans débattre et sans agir pour faire face aux défis qui sont devant nous.

La situation exige une autre gouvernance. Les solutions concrètes doivent être travaillées et mises en œuvre avec les collectivités, avec le Parlement, avec les partenaires sociaux, avec les associations et les ONG, avec les citoyens.

La trajectoire écologique doit être forte, équitable et immédiate. L’anecdotique ne peut plus suffire, ni les boucliers ponctuels. Combien d’hivers mauvais et d’étés suffocants faudra-t-il pour que vous entendiez ces propositions ?

Si les débats sénatoriaux sur le projet de loi de finances pour 2023 n’ont pour vocation que de renforcer le democraticwashing, si, à l’arrivée, vous refaites le choix du 49.3 et celui de ne retenir que quelques amendements gouvernementaux ou d’affichage, alors, messieurs les ministres, notre débat est dénué de sens. Dites-le-nous, assumez ce cap, et ne perdons pas notre temps !

Cependant, le péril est grand, parce que la démocratie sans le Parlement, ce n’est déjà plus la démocratie !

Messieurs les ministres, pouvez-vous prendre l’engagement d’un dialogue sincère avec le Sénat ? Si vous y êtes prêts, sachez que notre groupe y tiendra sa juste place. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cela ne surprendra personne : la commission demande le retrait de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je donnerai à ce stade deux éléments d’appréciation.

D’une part, l’exception d’irrecevabilité peut être invoquée lorsque le texte concerné est considéré comme contraire à la Constitution. Pour avoir attentivement écouté la présentation de Daniel Breuiller, je note que, s’il souligne des désaccords sur les choix politiques du Gouvernement, il n’évoque absolument aucun problème de nature constitutionnelle qui pourrait justifier la mise en œuvre de l’exception d’irrecevabilité prévue par le règlement du Sénat.

D’autre part, il ne faut surtout pas priver la France d’un débat au Parlement. Le débat a été écourté par le recours à une procédure constitutionnelle autorisée, qui a d’ailleurs été utilisée à la fin des années 1980, dans une période politique, elle aussi, difficile, notamment par le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard.

Nous sommes aujourd’hui en 2022, avec une majorité relative à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement a réduit le temps des débats, et un certain nombre de grandes missions de nos politiques publiques n’ont fait l’objet d’aucune discussion, alors même qu’elles ont été accompagnées d’annonces nouvelles.

C’est la raison pour laquelle notre assemblée aura une responsabilité particulière. D’une certaine manière, les projecteurs de l’actualité sont davantage braqués sur le Sénat, assemblée constitutive du bicamérisme français. Voilà qui nous donne l’occasion de montrer un débat serein, animé, sérieux sur l’ensemble de nos travées et tourné vers l’avenir pour tous nos concitoyens.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis.

Je profite de l’occasion pour répondre aux interventions, comme toujours, honnêtes et solides du rapporteur général et du président de la commission des finances, afin de clarifier quelques points.

Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, je veux vous dire avec beaucoup de force que l’heure des choix n’est pas repoussée : l’heure des choix, c’est maintenant. Les choix que nous faisons, comme le ciblage des aides publiques pour faire face à l’inflation, sont des choix pour maintenant, qui nous engagent pour l’avenir et qui doivent nous conduire à ramener les prix de l’énergie – électricité, gaz – en France vers les prix de marché. En effet, après avoir amorti le choc, il est normal et juste que ce soient les plus modestes, les plus fragiles qui soient protégés, mais qu’ensuite, les prix de marché puissent reprendre leurs droits pour permettre à l’économie de fonctionner normalement.

De ce point de vue, les choix que nous faisons dans ce projet de loi de finances pour 2023 sont clairs : nous soutenons, vous l’avez rappelé, certaines politiques publiques qui en ont besoin.

Il est indispensable de continuer à soutenir nos forces de l’ordre. Il est indispensable de donner à notre école les moyens de fonctionner correctement. Il est indispensable de soutenir massivement, comme nous le faisons, l’hôpital public, qui continue aujourd’hui à rencontrer de très grandes difficultés.

Par ailleurs, sur les aides pour faire face à l’augmentation des prix, je le répète : nous ciblons, avec l’objectif d’un retour progressif à la normale.

Enfin, sur la trajectoire des finances publiques, je le redis également : Gabriel Attal et moi-même sommes prêts à ouvrir la discussion avec l’ensemble des sénateurs pour essayer de nous entendre sur une trajectoire de loi de programmation des finances publiques plus ambitieuse avec, pour les collectivités locales comme pour l’État, une réduction des dépenses en volume de 0,5 % sur la durée du quinquennat.

Monsieur le président de la commission des finances, je vous remercie d’avoir salué les politiques que nous avons menées face au covid-19 et de les avoir qualifiées de « réussite ». Il s’agit d’une politique qui a été adoptée collectivement ; c’est aussi ce qui a fait sa force. Je salue cette honnêteté de jugement de votre part.

Sur la crise en Ukraine et l’inflation qui en a résulté, je rappelle que le choix initial fait au mois d’octobre 2021 visait à protéger massivement l’ensemble des Français, avec la mise en place de ce bouclier énergétique unique en Europe : gel des prix du gaz et plafonnement des prix de l’électricité. Vous avez raison, cette politique était coûteuse, et elle protégeait tout le monde de manière indifférenciée. C’est bien pour cela que nous la modifions au fur et à mesure de son application : il est désormais temps qu’elle protège plus les plus modestes et que ceux qui en ont les moyens puissent assumer une partie de ce coût avec une augmentation de 15 %.

Je signale néanmoins que cette politique a eu un avantage stratégique important, celui de nous permettre d’avoir le niveau d’inflation le plus faible de tous les pays de la zone euro. Je ne mésestime pas les revers que vous avez indiqués, monsieur le président de la commission des finances, mais j’estime que l’avantage stratégique de contenir l’inflation à un niveau qui est le plus faible de tous les pays de la zone euro l’emportait sur les inconvénients. Toutefois, il est en effet temps maintenant de faire évoluer ces aides.

Sur la contribution inframarginale, la taxation des superprofits – appelez cela comme vous voulez –, une seule chose comptait pour nous : pouvoir taxer les rentes des énergéticiens. Je note que le nouveau ministre des finances britannique s’engage dans cette voie. Je note que tous les pays européens s’y engagent. Je note que ceux qui avaient privilégié une taxation sur les superprofits de toutes les entreprises font un double constat : d’une part, cela rapporte moins qu’une taxation sur les seuls énergéticiens ; d’autre part, cela pénalise leurs grandes entreprises industrielles de secteurs qui n’ont rien à voir avec la crise énergétique dans la compétition mondiale.

Par conséquent, je crois que la mise en place d’une taxation sur les rentes – appelez-les superprofits, si vous le voulez – de tous les énergéticiens, que ce soit TotalEnergies, Engie ou EDF, était à la fois juste et efficace. Je ne veux pas que nos compatriotes puissent croire un instant que nous avons laissé de très grands groupes énergétiques profiter de l’explosion des prix de l’énergie. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Fabien Gay. Sans blague !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons récupéré tous les profits qu’ils ont réalisés au-delà d’un certain niveau. En 2023, cela rapportera 26 milliards d’euros. Aucun pays européen ne peut en dire autant.

Cette intuition était tellement bonne qu’elle a, je le constate, été reprise par les autres pays européens, le système de taxation inframarginale proposé par la Commission européenne étant le simple décalque du système de taxation des énergéticiens que nous appliquons depuis maintenant deux ans !

Pour ma part, je préfère taxer ceux qui ont des rentes plutôt que pénaliser l’ensemble des grands groupes industriels français au risque de les fragiliser dans la compétition mondiale. On peut conjuguer justice fiscale et efficacité fiscale. Il me semble que c’est ce que nous avons fait. Croyez-moi, je ne compte pas m’arrêter là.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je rappelle que nous sommes le premier pays à avoir mis en place une taxation sur les géants du numérique. Nous nous sommes battus en ce sens. Cela rapporte 620 millions d’euros. Nous mettrons en place au plus tard au début de l’année 2023 une taxation minimale à l’impôt sur les sociétés pour éviter l’évasion et l’optimisation fiscales.

Vous me demandez ensuite si je cherche la reconnaissance du Medef, et vous le faites avec un sourire qui fait plaisir. (M. le rapporteur général de la commission des finances rit.) Vous me connaissez suffisamment pour savoir que nous ne cherchons tous ici que la reconnaissance des Français. (Marques dironie sur les travées du groupe CRCE.)