M. Fabien Gay. Les pauvres restent pauvres !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il me semble que nous servons tous ici la même ambition.

En matière de politique économique, la reconnaissance des Français passe notamment par la reconquête industrielle ; je sais que cela vous tient très à cœur, monsieur le président de la commission des finances. Vous m’avez demandé quel était le fil rouge notre politique économique : c’est le travail et la reconquête industrielle.

Comme ministre de l’économie, je me bats matin, midi et soir pour cette reconquête industrielle. J’estime en effet que ce qui nous redonnera de la puissance économique, ce qui nous permettra de jouer notre rôle dans le domaine économique au XXIe siècle, ce qui réellement redonnera du pouvoir d’achat aux Français, ce n’est pas la redistribution ; c’est d’abord la création d’emplois industriels qualifiés formés et bien rémunérés.

M. Fabien Gay. Et les salaires ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Il s’agit d’un enjeu important pour la France, pour notre indépendance technologique, pour les salariés et pour nos compatriotes. Cette reconquête industrielle passe par de la compétitivité, ce qui explique cette baisse des impôts de production qui animera nos débats.

M. Fabien Gay. Encore !

Mme Laurence Cohen. Cela ne marche pas !

M. Bruno Le Maire, ministre. Je le dis à ceux qui me proposent de reporter encore d’un an : il ne faut pas tarder à continuer à baisser les impôts de production dans notre pays. Un an, c’est une éternité pour une entreprise industrielle confrontée à la compétition mondiale ! Personne ne nous fera de cadeaux ; personne ne nous attendra. Nous ne pouvons donc pas attendre douze mois supplémentaires pour poursuivre la baisse des impôts de production. C’est la raison pour laquelle je propose dès 2023 une baisse de 4 milliards d’euros d’impôts de production qui sera concentrée sur les PME industrielles.

Il est un autre enjeu : la formation et la qualification. Nous le savons tous, la première richesse d’une industrie, ce sont les salariés qui y travaillent. Investir dans la formation et la qualification des ingénieurs, des techniciens, des soudeurs, des chaudronniers, c’est le meilleur investissement que la France puisse faire.

Enfin, et c’est l’un des défis qui nous attend pour les décennies à venir, l’énergie sera la grande question économique du XXIe siècle et la grande question économique de l’Europe. Aujourd’hui, l’Europe n’est pas indépendante en matière de production énergétique ; elle doit le devenir. Cela passe par les combats que nous livrons avec le Président de la République, d’abord pour diversifier notre mix énergétique, réinvestir dans six réacteurs nucléaires, dont nous souhaitons la réalisation la plus rapide possible. Nous nommerons dans les tout prochains jours en conseil des ministres le nouveau président-directeur général d’EDF, dont la première mission sera de produire plus d’électricité le plus rapidement possible, pour servir nos industries et nous permettre de passer l’hiver dans les meilleures conditions possible. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Un sénateur du groupe Les Républicains. Il était temps !

M. Fabien Gay. On croyait que sa première mission, c’était de démembrer !

M. Bruno Le Maire, ministre. À l’échelon européen, avec le Président de la République, nous continuerons à nous battre pour une réforme en profondeur du marché européen de l’énergie et pour un découplage définitif des prix du gaz et des prix de l’électricité.

J’en viens au dernier sujet que vous avez abordé à très juste titre, monsieur le président de la commission des finances, parce que c’est probablement celui qui touche le plus nos compatriotes aujourd’hui : la rémunération du travail.

M. Bruno Le Maire, ministre. La fraude n’est pas une question négligeable, mais il me semble qu’avant elle, la rémunération du travail est le sujet qui touche le plus nos compatriotes. Les salariés veulent vivre dignement de leur travail.

M. Fabien Gay. On est d’accord !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous pouvons être fiers que la France soit l’un des seuls pays développés où la rémunération du travail et la rémunération du capital sont restées stables au cours des vingt dernières années.

M. Fabien Gay. C’est faux ! On a perdu 10 points !

M. Bruno Le Maire, ministre. Tous les autres pays développés ont vu exploser la rémunération du capital par rapport à celle du travail. Nous pourrons avoir le débat : je ne soutiens pas qu’elle est parfaite et satisfaisante et qu’il ne faut pas chercher à l’améliorer ; je dis seulement qu’elle est restée stable.

Par ailleurs, nous sommes le seul pays à avoir développé aussi massivement les mécanismes d’intéressement, de participation, de prime défiscalisée, d’actionnariat salarié. Il n’est qu’à voir tout ce qui a été créé par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte. Nous en avons débattu longuement ; les sénateurs qui siègent ici de longue date peuvent en témoigner. Les résultats sont là. Aujourd’hui, 60 % de salariés de PME en plus ont un accord d’intéressement,…

M. Fabien Gay. Ils veulent des salaires !

M. Bruno Le Maire, ministre. … grâce aux mesures de simplification et d’allégement de la fiscalité que vous avez largement votées voilà maintenant plus de quatre ans, mesdames, messieurs les sénateurs, ce dont je vous remercie.

Comment continuer à avancer vers une meilleure rémunération du travail ? D’abord, les salaires. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Laurence Cohen. Alors, là…

M. Bruno Le Maire, ministre. Oui, d’abord les salaires !

Je crois avoir toujours tenu ce discours-là. Je vous le dis à tous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle que soit votre place dans l’hémicycle : toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. Cela fait plus de trois ans que je le répète.

Mme Laurence Cohen. Et vous faites quoi ?

M. Bruno Le Maire, ministre. D’ailleurs, je constate qu’elles les ont augmentés de plus de 4 % en 2022.

Ce ne sont donc pas des paroles en l’air. Ce sont des paroles qui donnent des résultats. Et je tiens à remercier les entrepreneurs qui ont utilisé les marges de manœuvre dont ils disposaient pour augmenter les salaires dans leur entreprise. Je sais que tous souhaitent pouvoir le faire pour récompenser les salariés du travail accompli.

Le salaire est donc bien la première des réponses.

Ensuite, il faut continuer à avancer vers un meilleur partage de la valeur. Tous, Gabriel Attal, les membres de la majorité, moi-même, souhaitons que ce soit le grand débat du début de l’année 2023 : comment mettre en place un dividende salarié ? Comment garantir de manière sûre et certaine qu’à chaque fois qu’une entreprise peut se verser des dividendes, la rémunération du salarié s’améliore ?

Le dividende salarié, c’est le profit pour tous. Je propose que nous y travaillions tous ensemble au début de l’année prochaine.

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Je remercie le rapporteur général de la commission des finances de sa réponse argumentée.

Nos interrogations sur la sincérité et la volonté du travail partagé avec le Parlement demeurent, mais notre groupe ne souhaite en aucun cas qu’il n’y ait pas de débat. Au contraire, nous voulons que ce débat existe et qu’il soit sincère.

Aussi, au nom de mon groupe, je retire cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité pour que ce débat ait lieu au Sénat. Nous verrons si le Gouvernement respecte ou méprise le débat.

M. le président. La motion n° I-1419 est retirée.

(Mme Nathalie Delattre remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Discussion générale

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-1287.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2023.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’invocation à quatre reprises de l’article 49.3 de la Constitution a mis un coup d’arrêt prématuré au débat budgétaire sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

Ce seul état de fait justifie le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable et le rejet du texte, qui, sur beaucoup trop des sujets, n’a pas fait l’objet d’un débat approfondi à l’Assemblée nationale.

Ce matin, un sénateur disait du texte issu des travaux d’une récente commission mixte paritaire qu’il était l’illustration d’un « bicamérisme équilibré ». Cet après-midi, j’ai tendance à dire que le bicamérisme est plutôt déséquilibré…

Notre discussion s’ouvre dans un contexte inédit. La multiplication de mises en jeu de la responsabilité de son gouvernement par la Première ministre souligne à la fois la fragilité du second mandat d’Emmanuel Macron et, paradoxalement, un entêtement autoritaire à affirmer un exercice vertical du pouvoir, sans tenir compte de la volonté exprimée lors du second tour de l’élection présidentielle et des élections législatives.

Le Sénat peut-il accepter ce véritable oukase sans réagir ? Nous devons débattre au préalable de cette situation inédite, car, contrairement à de précédents recours répétés au 49.3, celui dont je parle prend place dans un contexte politique très différent, en France comme à l’international.

Nous n’avons pas peur du débat. Vous nous connaissez : nous y sommes prêts. Mais à quoi bon débattre d’un texte dans lequel le Gouvernement finira par piocher en nouvelle lecture les amendements auxquels il daigne accorder ses préférences ? Nous dénonçons d’emblée ce jeu de dupes. Ses préférences, nous les connaissons : satisfaire sa majorité relative, dont émanent 83 % des amendements retenus.

Nos camarades de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) ont eu l’honneur de ne voir qu’une seule de leurs propositions retenue sur plus de 130 amendements, signe du peu d’égard que le Gouvernement témoigne aux propositions alternatives. Les autres groupes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) sont logés à la même enseigne.

La situation est absolument ubuesque : la Première ministre rejette des amendements adoptés, conserve des amendements rejetés, retient des amendements non discutés… Ce texte « sur mesure » s’est construit au détriment de la souveraineté parlementaire. La nouvelle méthode prônée par le Président de la République tout juste élu attendra. Les dialogues de Bercy s’apparentaient davantage à des monologues de Bercy. Le 49.3 entérine un monologue budgétaire.

Le recours à cet article de la Constitution est, pour citer le constitutionnaliste Pascal Jan, une « arme lourde du parlementarisme rationalisé ». La justification avancée par la Première ministre pour interrompre les débats est, je dois le dire, confondante : « […] nous ne tiendrons pas les délais prévus pour la discussion de cette première partie du PLF. Ensuite, et surtout, les oppositions ont toutes réaffirmé leur volonté de rejeter le texte. En responsabilité, nous devons donner un budget à notre pays. »

Trois arguments se dégagent.

D’abord, donner un budget à notre pays. Nous le souhaitons aussi, évidemment. Agiter la menace d’un shutdown à l’américaine est une manipulation coupable destinée à opposer le débat démocratique et le bon fonctionnement de l’administration publique. En France, le rejet du projet de loi de finances n’entraîne nulle cessation partielle d’activité : nul problème pour la rémunération des fonctionnaires ; nul problème pour les dotations aux collectivités territoriales. Des mécanismes de réserves, de reports et autres acomptes permettent de pallier un désaccord politique. Le chiffon rouge d’un shutdown à la française est brandi dans l’unique objectif de passer outre des désaccords sur l’orientation budgétaire de la Nation.

Le deuxième argument est d’ordre organisationnel : le débat serait long. Mes chers collègues, je vais vous faire une révélation : la démocratie prend du temps ! Le débat parlementaire, de surcroît sur les textes budgétaires, prend du temps. Arguer que les oppositions auraient déposé trop d’amendements pour pouvoir les examiner dans les délais impartis est une manœuvre grossière. Le droit d’amendement est le seul moyen d’expression des parlementaires. Citez-moi une proposition illégitime ! Une seule proposition d’obstruction au débat ! Vous n’en trouverez pas.

Le rôle de notre assemblée devrait être de promouvoir une reprise de contrôle du Parlement en matière budgétaire, et non pas de se soumettre à un cadre de débat de plus en plus restreint, jusqu’à l’usage abusif du 49.3.

Le troisième et dernier argument invoqué par la Première ministre est peut-être le seul légitime. Le Gouvernement et sa majorité insuffisante se sont fait mettre en minorité par les députés de la Nation. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne parlait du 49.3 comme d’un « remède à l’absence de majorité ». Je crois au contraire que c’est un poison pour le pluralisme. Une majorité nette a affirmé qu’elle ne voterait pas ce budget. Là où vous percevez un calcul politicien, je vois pour ma part un rejet politiquement sincère, pour des raisons extrêmement diverses. Je vais vous faire part des nôtres.

Ce texte consacre la poursuite d’une politique libérale, la prolongation d’un nombre incalculable de niches fiscales. Certaines sont utiles ; nous les voterions. D’autres sont inefficientes. Leur coût, de près de 100 milliards d’euros en 2023, ne sert souvent aucune politique publique et érode les recettes nécessaires pour mener à bien les grands chantiers du pays. Pis, certaines, comme c’est le cas encore dans ce projet de loi, sont défavorables au climat. La COP27 est là pour nous le rappeler : nous ne contiendrons pas le réchauffement climatique en deçà de 1,5 degré. Nous croyons qu’il ne convient pas d’opposer la cote d’alerte des finances publiques, qui obnubile M. Le Maire, à la cote d’alerte climatique.

Pour paraphraser cette fois-ci le ministre Gabriel Attal, il y a des économies qui coûtent et des dépenses qui rapportent. Nous ne cesserons de vous rappeler qu’un euro investi aujourd’hui dans la transition écologique, ce sont 100 euros que nous ne dépenserons pas demain pour pallier les conséquences de la crise. Mieux, chaque euro investi dès à présent représente les économies d’aujourd’hui pour nos concitoyennes et nos concitoyens.

Le projet de budget pour 2023 poursuit une logique de courte vue et une vision comptable à la petite semaine. Un bouclier par-ci, un filet de sécurité par-là : vous peinez à répondre à la crise sociale provoquée par l’inflation. La population, comme nos collectivités territoriales connaissent une augmentation de leur facture énergétique que le bouclier tarifaire n’enrayera pas. Pour les ménages et une partie des collectivités, la douloureuse est d’autant plus sèche que, depuis dix années, les factures d’électricité et de gaz avaient déjà augmenté de 50 %.

Le Gouvernement se borne à faire payer le contribuable pour pallier les difficultés du client. Les finances publiques de notre pays méritent mieux que cela.

Ce projet de loi de finances pour 2023 renforce l’injustice fiscale. Il diminue l’impôt sur le revenu de toutes et tous, en prétextant soulager les classes moyennes. Que tous les contribuables de ce pays m’entendent : la classe moyenne, notion au demeurant floue, ne gagne pas 160 336 euros annuels. Dès lors, pourquoi baisser les impôts des plus riches ? C’est un choix politique.

Oui, nous maintenons notre volonté de rétablir une justice fiscale en taxant les plus riches, ce que M. Macron refuse obstinément depuis 2017. Le rétablissement de l’ISF ferait entrer 3 milliards d’euros dans les caisses de l’État, soit exactement le coût du dispositif sur les transports adopté par amendement à l’Assemblée nationale que vous avez enterré avec le 49.3. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

La suppression de l’impôt sur les entreprises est également un marqueur du précédent quinquennat. Vous persistez. La suppression de la CVAE est en réalité celle de la relation entre l’activité économique et les collectivités territoriales, entre la richesse et l’endroit où elle se crée. Je vois dans cette décision, à laquelle nous nous opposons fermement, une fracture fiscale territoriale. J’ajoute que cette imposition constituait un rempart contre l’évasion fiscale, sujet qui devrait toutes et tous nous rassembler ici. Cette décision consacre la politique de l’offre, mais fait peser le coût de la baisse des impôts des entreprises sur les ménages. La compensation d’une part de TVA servira à financer un énième cadeau fiscal injustifié au patronat. Cela s’additionnera aux autres aides fiscales directes ou indirectes et aux subventions d’État, qui culminent à 371 milliards d’euros.

Ces deux exemples sont graves. Je vous le redis, il n’y a qu’un pas entre la continuité et l’obstination.

Ces visions politiques n’ont pas été débattues à l’Assemblée nationale. Et pour cause : vous avez interrompu les débats de la première partie après l’examen de quatre articles et ceux de la seconde après la discussion de sept missions seulement.

J’entends sur les travées de la majorité sénatoriale qu’il conviendrait de débattre pour faire vivre le bicamérisme, pourtant bien mis à mal aujourd’hui, voire la démocratie. Mais débattre pour qui ? Le Gouvernement reprendra du Sénat les seules propositions qu’il estimera bonnes, au mépris de notre institution. Il piochera, comme il l’a fait à l’Assemblée nationale, dans les propositions qui lui sont faites. Qu’il pioche d’ores et déjà dans nos amendements : ils sont à votre disposition ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, mes chers collègues, je confirme ce que j’ai dit tout à l’heure : à mon avis, notre démocratie a grand besoin d’écoute, de dialogue et de respect, ce qui oblige tout autant notre assemblée, sur toutes ses travées, que le Gouvernement, dont on a souvent regretté, au cours du quinquennat précédent, les choix trop unilatéraux, sans doute alors inspirés par le fait majoritaire à l’Assemblée nationale.

C’est, me semble-t-il, l’orientation du Gouvernement. En tout cas, c’est celle du Parlement, du Sénat. Mais, pour bien dialoguer, il faut être deux. Le Gouvernement a donc une responsabilité particulière ici, face au choix du Sénat d’engager le débat : il doit lui aussi faire vivre la démocratie pour de vrai.

Je ne crois pas que nous devions soutenir l’immobilisme ni laisser prospérer des visions qui reposent sur des raccourcis. Le Gouvernement doit montrer concrètement qu’il croit à ce que j’appelle l’intelligence partagée, au lieu de laisser prospérer ce qu’on a appelé hier les fractures territoriales, sociales, écologiques, qui, si on les laisse se développer, deviennent de la fragmentation, pour ne pas dire de l’émiettement. Et je ne suis pas favorable à une France en miettes, au risque de voir les populismes de tout poil en faire leur beurre. Ce n’est absolument pas ce dont nous avons besoin.

Notre assemblée doit donc impérativement débattre avec un gouvernement qui doit écouter et prendre en compte les différentes idées évoquées, sans les balayer d’un revers de main. C’est la responsabilité – elle est éminente – du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis.

Je voudrais confirmer, après les propos du rapporteur général Jean-François Husson, que nous sommes ici dans un esprit de dialogue et de compromis, comme nous l’avons montré sur le PLFR. J’espère que nous pourrons trouver des accords sur des propositions, quelle que soit leur provenance.

Sur la fiscalité, le mérite de notre ligne politique, c’est qu’elle est claire. Nous sommes opposés à toute augmentation de taxes ou d’impôts. Pourquoi ? Parce que nous avons le niveau d’imposition le plus élevé de tous les pays développés. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et GEST.) Augmenter toujours plus un niveau d’imposition qui est déjà le plus élevé de tous les pays développés ne serait donc pas une bonne idée.

Vous me direz que l’impôt n’est pas suffisamment bien réparti. Je constate que 70 % de l’impôt sur le revenu est payé par 10 % des contribuables… On me dit qu’il faut absolument augmenter le prélèvement forfaitaire unique. Mais l’imposition du capital en France est supérieure à celle qui est pratiquée en Allemagne ou dans d’autres grands pays se situant dans la moyenne de la zone euro. On me dit qu’il ne faut pas baisser les impôts de production ni supprimer la CVAE. Je note pourtant que, malgré tous les efforts que nous avons déjà engagés, notre niveau de fiscalité sur la production est encore cinq à six fois plus élevé que celui de l’Allemagne.

On ne peut pas pleurer sur la désindustrialisation de la France, qui est la pire des décisions économiques et politiques à avoir été prise dans ce pays depuis trente ans – nous en payons encore les conséquences économiques et politiques dans nos territoires, lors des élections et s’agissant du rapport de force avec les grandes nations développées – tout en souhaitant conserver un niveau d’imposition cinq à six fois plus élevé que celui de l’Allemagne. Il faut de la cohérence et de la fermeté dans les choix de politique économique.

Les nôtres sont clairs : nous voulons alléger la fiscalité qui pèse sur les entreprises industrielles. Nous voulons garantir la reconquête industrielle. Avant de penser à répartir des richesses, nous songeons d’abord à en créer de nouvelles.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Nous prenons acte des arguments de notre rapporteur général, qui vante, tout comme nous, les vertus du bicamérisme. Mais le Parlement n’est pas que la somme de deux chambres ; il faut le concevoir dans son unité. Les deux chambres doivent se défendre quand l’une ou l’autre est piétinée. Or c’est ce qui s’est passé. L’unité institutionnelle en dépend.

Selon nous, vous devez clarifier votre position. Soutenez-vous le passage en force au titre de l’article 49.3 sur les textes budgétaires ? Quelles garanties avez-vous obtenues sur la considération de l’exécutif vis-à-vis des propositions adoptées au Sénat ?

L’excellent Charles Dickens évoquait en ces termes le mépris de l’exécutif pour le travail législatif : « Désolé de faire quelque chose qui risque d’interrompre des activités aussi sympathiques, comme disait le roi au moment de dissoudre le Parlement. » Le Sénat s’honorerait de ne pas cautionner le mépris avec lequel ont été tranchés des sujets sur lesquels l’Assemblée nationale pouvait débattre.

Les collectivités territoriales, ce sera non en première partie. Le débat sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » est reporté. Puis, le 49.3 annihile ce débat, qui n’aura pas lieu. Le rapporteur général, portant la voix de la majorité, nous explique qu’il faut que nous l’ayons.

Le débat sur le budget pour 2023 s’est fait dans la presse, et quasiment pas dans l’hémicycle. En acceptant ce débat tronqué par un gouvernement qui poursuit ses annonces sans transmettre son texte et qui continue de faire la promotion de celui-ci sans contradicteur, le Sénat se fourvoie.

L’atteinte, mes chers collègues, est grave. Elle se reproduira certainement l’année prochaine et les suivantes, tout au long de ce quinquennat. Que décidera la majorité sénatoriale ? Que le débat doit se tenir pour solde de tout compte de la démocratie ? Selon nous, ce serait un peu léger.

Le Parlement doit faire corps. Il doit présenter un front uni pour refuser les entraves aux conditions sereines du débat démocratique. La question préalable que nous vous opposons, vous le savez, n’est pas une dérobade ; ce n’est pas le genre de la maison. Nous sommes prêts, nous aussi, à affronter le Gouvernement et la majorité sénatoriale. Nous sommes prêts à faire valoir notre projet de justice fiscale, de justice sociale et de renforcement de l’indispensable intervention publique pour enrayer les dérives du marché. C’est un message d’alerte. C’est une opposition franche à la méthode et au contenu du projet de loi. Nous vous appelons à la même clarté. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° I-1287, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 279
Pour l’adoption 27
Contre 252

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Article liminaire

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ouvrons le débat sur le PLF 2023 quelques jours avant la clôture de la COP27 et quelques mois après un été marqué par les canicules, les sécheresses, les incendies de forêt et les épisodes météorologiques gravissimes.

Un Français sur deux vit dans une ville exposée aux surchaleurs urbaines. Bientôt, les deux tiers du pays seront exposés à des sécheresses durables, générant d’immenses problèmes de gestion de la ressource en eau.

Nous ouvrons ce débat alors que la biodiversité et les écosystèmes sont malmenés. Ainsi, 32 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition du territoire, tout comme 19 % des poissons d’eau douce. Ces chiffres, vous les connaissez déjà, puisqu’ils sont issus du site internet du ministère de l’écologie.

Nous l’ouvrons dans un contexte également marqué par la guerre menée par la Russie en Ukraine, tragédie humaine à quelques milliers de kilomètres, dont certains – hélas ! – profitent. Envolée des cours des énergies, inflation, voire récession : les conséquences sont brutales pour nos concitoyens, pour les territoires et pour notre économie.

Le pouvoir d’achat des Français est mis à mal, ce dont les effets peuvent être redoutables, notamment pour les personnes âgées, les étudiants, les foyers modestes à la limite du seuil de pauvreté. Un taux de 5 % d’inflation n’a pas les mêmes conséquences lorsqu’on gagne 1 500 euros ou lorsqu’on touche plus de 5 000 euros.

Voilà trois ans, alors que la pandémie s’étendait au monde entier, le Président de la République déclarait : « Nous sommes en guerre. » Il invitait le gouvernement d’alors et chaque composante de la société à se mobiliser. Nous n’avions aucune anticipation stratégique pour faire face à cette épidémie, dont l’ampleur était inédite.

Aujourd’hui, votre incapacité à anticiper concrètement les effets des dérèglements climatiques est affligeante. Alors que la COP27 souligne l’urgence absolue, le PLF que vous mettez en débat relève, au-delà de quelques mesures ponctuelles bienvenues, de la sacro-sainte orthodoxie libérale : baisse des impôts, retour à un moindre déficit et désarmement financier de l’État.

Cette trajectoire marque une absence de conviction et de volonté de s’attaquer vraiment à la crise climatique, de l’anticiper si possible et de nous y adapter.

Au fond, ces crises confortent – hélas ! – les analyses que portent les écologistes sur notre société depuis tant d’années. J’aurais préféré qu’il en fût autrement, mais la crise est là, et les incertitudes s’amplifient. Elles exigent une boussole et un cap.

Edgar Morin rappelle que vivre, c’est « naviguer dans une mer d’incertitude, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille ». Des îlots et des archipels vers la transition écologique, nous en identifions. En voici un, qui fut voté à l’Assemblée nationale : il consiste à s’engager efficacement et immédiatement dans l’isolation thermique des bâtiments.

Vous mettez 47 milliards d’euros dans des boucliers énergétiques et 2,5 milliards d’euros pour la rénovation du bâti. Cette proportion dit tout : c’est une erreur ; c’est même une faute. Le bouclier doit être plus ciblé – je vous ai entendu le reconnaître –, et la rénovation doit être plus large.

Un investissement massif dans l’isolation thermique permettrait à des millions de familles de ne plus vivre dans la précarité énergétique, diminuerait notre dépendance aux fossiles et nos émissions de CO2, dont un quart proviennent du chauffage. C’est aussi rendre ces logements habitables, ce qui est essentiel aujourd’hui.

On peut aussi ravitailler financièrement le bateau France en créant un ISF climatique. Au-delà des 10 milliards d’euros de recettes potentielles, vous permettriez aux plus aisés, qui sont aussi ceux qui polluent le plus, de contribuer bien plus activement à la bifurcation écologique. Je suis sûr qu’ils vous en sauraient gré. Le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes françaises dépassant les 1 000 milliards d’euros, cette participation serait un effort modeste et acceptable en rapport avec la soutenabilité de leur mode de vie pour que notre planète reste habitable.

Il faudrait aussi instaurer un système de bonus-malus : bonus, avec une fiscalité moindre pour tout ce qui répare, ce qui recycle et ce qui soutient la sobriété ; malus pour tout ce qui augmente les émissions et pour les consommations excessives.

Il convient également de soutenir vigoureusement la recherche, la création culturelle, la vie associative, l’éducation, et tout ce qui fait de notre société une démocratie humaniste et éclairée.

L’école, l’hôpital, la justice, l’accueil du grand âge ou de la petite enfance, l’accès au logement… Pas un secteur où les besoins d’intervention améliorée de l’État ne soient criants. C’est pourquoi nous plaidons pour une redistribution des richesses par un impôt plus progressif, et pour la taxation des dividendes, celle des profits excessifs et celle – je répète le mot – des superprofits.

Même les intérêts de la dette, qui passent à 50 milliards d’euros, soit 14 milliards d’euros de plus que l’an passé, justifieraient que vous ne désarmiez pas la capacité financière de l’État.

Pourtant, vous supprimez 8 milliards d’euros de CVAE en deux ans, comme si nous pouvions à ce point nous passer de recettes fiscales, si nécessaires pour améliorer nos services publics, qui sont en souffrance.

Les outils de l’État en faveur de la transition écologique – je pense à l’Office national des forêts, à Météo-France, à l’Office français de la biodiversité, au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) – ont tous besoin de moyens humains et financiers. Les quelques unités supplémentaires que vous leur accordez ne compensent pas les coupes sombres des dernières années. Pis, vous diminuez de 4 295 équivalents temps plein (ETP) les services de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Nous voulons aussi, messieurs les ministres, une société plus inclusive et plus juste. Avec 57 milliards d’euros de dividendes versés l’an passé, notre pays pulvérise le record d’Europe en la matière. En athlétisme, face à une performance aussi incroyable, on aurait exigé un contrôle antidopage.

Mais cette performance ne se traduit pas par une hausse des rémunérations des salariés. Les écarts de revenus sont toujours plus insupportables et exigent des réponses nouvelles et, en premier lieu, une meilleure rémunération du travail.

Nous devrions aussi garantir à tous nos concitoyens un accès à un coût très bas aux premiers mètres cubes d’eau ou aux premiers mégawattheures de gaz ou d’électricité, pour que chacun puisse se voir garantir ce qui lui est essentiel pour vivre. Quant au superflu ou au non essentiel, que chacun le paye ! Voilà une mesure simple de justice sociale.

Le Gouvernement doit réorienter ses financements publics vers tout ce qui rend notre société plus durable et résiliente : une agriculture paysanne, une équité d’accès au service public sur tout le territoire, une alimentation bio et locale abordable, via le chèque alimentaire promis et toujours attendu, la lutte contre les îlots de chaleur… La liste pourrait être longue. Nous déposerons des amendements en ce sens sur tous ces sujets, et nous les défendrons avec ferveur.

Le fonds vert de deux milliards d’euros a l’avantage d’être un fonds de recyclage, mais il ne suffira pas à couvrir tous ces besoins.

Enfin, nous voulons, messieurs les ministres, une République de territoires et une véritable acceptation de votre part de la décentralisation.

Laissez les collectivités, confrontées à la crise du logement et à l’impossibilité de loger les étudiants et les jeunes ménages en raison de la multiplication des résidences secondaires et des Airbnb, libres de fixer leur taxe d’habitation sur les résidences secondaires, celles sur les hôtels de luxe ou les logements vacants ! Laissez aux collectivités chargées des transports collectifs la possibilité de moduler le versement mobilité des entreprises. Protégez-les en élargissant le bouclier énergétique ou même en indexant la dotation globale de fonctionnement (DGF) à l’inflation, comme ce fut si longtemps le cas.

Et, surtout, renoncez à votre volonté de contrôler leurs choix ! Supprimez l’article 23, maquillé en article 40 quater ! Mais vous ne répondez pas sur ce sujet.

Les marges d’amélioration de ce PLF sont nombreuses. Notre groupe fera des propositions. Il me semble toutefois indispensable de poser deux postulats. D’une part, la fraternité et l’égalité de notre devise républicaine nécessitent de réduire les injustices et de mieux distribuer la richesse produite dans notre pays. D’autre part, la dette climatique est, pour aujourd’hui comme pour demain, au moins aussi dangereuse que la dette financière. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)