M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, demain, la diplomatie sera plus nécessaire que jamais.

Ce constat, nourri par l’inquiétante marche du monde, voilà déjà longtemps que nous le faisons. L’année écoulée, loin de l’infirmer, aura néanmoins constitué une rupture, un basculement accéléré vers une nouvelle ère. Elle aura fait de notre conviction une évidence.

En effet, le réveil des ambitions impérialistes est désormais acté, le recours à la force désinhibé, et les cadres internationaux contestés. Une nouvelle géographie des tensions et des rapports de force se dessine, amplifiée par les défis de notre temps, qu’ils soient climatiques, énergétiques, alimentaires ou démographiques.

Ce débat a permis de rappeler que c’est précisément quand le monde devient plus instable, plus imprévisible et plus dangereux que la mission de nos diplomates se révèle plus essentielle encore. Dans le brouillard du nouveau désordre mondial, ceux-ci sont à la fois les éclaireurs et les porte-voix de notre pays. Permettez-moi, au nom tant du groupe Les Républicains que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de leur rendre un hommage particulier.

Nos diplomates méritent donc des moyens à la hauteur de la tâche qui leur incombe. Ceux qui relèvent de la mission « Action extérieure de l’État » progresseront de 5,2 % en 2023, s’établissant à 3,2 milliards d’euros. Naturellement, nous nous en réjouissons et vous remercions, madame la ministre, d’avoir obtenu cette avancée inédite.

Toutefois, il ne suffit pas d’approuver ces crédits, par ailleurs modestes au regard de ceux qui sont accordés à d’autres ministères. Nous devons surtout nous interroger sur les conséquences, pour notre politique étrangère, de la montée des périls et de l’essoufflement du multilatéralisme.

En effet, l’agression russe en Ukraine a agi comme le révélateur du nouvel état des relations internationales.

Bien sûr, le courage admirable et la détermination de la nation ukrainienne, comme d’ailleurs la contestation populaire en Iran ou en Chine, ébranlent les certitudes de ceux qui annonçaient déjà le triomphe des régimes autoritaires sur les démocraties.

Néanmoins, un constat s’impose : les autocrates, quelle que soit leur obédience, ne célèbrent plus seulement la primauté de la force sur le droit, ils la mettent en pratique. Le 24 février fut la violente affirmation de cette tendance de fond, qui nous interroge profondément.

Quelles conclusions devons-nous en tirer pour notre pays et pour notre diplomatie ? Les formats doivent-ils être adaptés ? La France a entrepris de concentrer ses personnels vers les zones de croissance en Indo-Pacifique. Doit-elle poursuivre dans cette voie et dans quelles conditions ? Ne doit-elle pas d’abord réexaminer l’état de ses forces en Europe ?

En quelques semaines, la guerre en Ukraine a balayé nos vieilles certitudes et mis un coup d’accélérateur aux recompositions géopolitiques qui couvaient. Les exemples ne manquent pas : hier, l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan était inimaginable, elle est aujourd’hui quasiment actée.

La Russie s’est profondément et durablement éloignée de l’Europe pour se rapprocher de la Chine. Une Chine qui tire d’ailleurs consciencieusement tous les enseignements de cette guerre impliquant les pays occidentaux, même si ses plans sont également contrariés par les déboires de son partenaire russe, qui s’enferre dans son isolement.

Prenons garde toutefois, la condamnation de Moscou n’est pas unanime, tant s’en faut ! C’est une autre des leçons de la guerre en Ukraine qu’il nous faut regarder en face : le temps où les positions occidentales donnaient le la aux relations internationales est révolu. Les positions du G77 expriment la réticence et, parfois, le refus de soutenir les motions occidentales condamnant l’invasion russe.

La position de l’Inde, allié stratégique et ami, nous interpelle également. Elle regrette que cette guerre affaiblisse son allié russe en Asie, déplore les retards de livraison d’armement russe, mais tire aussi parti de l’affrontement en achetant en quantité un pétrole russe à prix cassé.

Enfin, l’humanité se montre toujours incapable d’apporter une réponse globale au changement climatique – quelle meilleure illustration de l’affaiblissement du multilatéralisme ? Les opinions publiques se mobilisent, les États sont jugés responsables et sont de plus en plus souvent condamnés par la justice… Et pourtant, la COP27 n’a guère convaincu.

En effet, le fonds pour les pertes et préjudices reste à construire et, faute d’élan, il a semblé nécessaire d’annoncer un sommet à Paris en 2023, avant la prochaine COP. Madame la ministre, vers quelles perspectives nous dirigeons-nous ?

Dans ces temps troubles, plus que jamais, la France a besoin d’une diplomatie forte.

Elle doit tout d’abord pouvoir tenir son rang. Nous sommes un État doté, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, disposant du troisième réseau diplomatique au monde. Membre fondateur de l’Union européenne, la France a un positionnement géographique stratégique, au cœur de l’Europe, qui fait d’elle un trait d’union entre les pays du Nord et le bassin méditerranéen.

Cette place nous oblige et nous donne une responsabilité particulière : celle de tenir le positionnement singulier qui a toujours été celui de notre pays.

Nous sommes tout à la fois un allié loyal, fiable et efficace au sein de l’Otan, et un promoteur de l’autonomie stratégique européenne. Sachons cultiver cette position équilibrée. La France parle à tout le monde, sans jamais renier ses valeurs – nous en avons fait l’expérience commune aux États-Unis ces derniers jours, madame la ministre. Elle répond au désir de France que les sénateurs constatent dans toutes leurs missions à l’étranger.

Face à tous ces enjeux, le PLF pour 2023 amorce la fin de l’éreintement. Mais les temps d’appauvrissement de notre diplomatie ont tant duré que cela ne peut être qu’une première étape.

Certes, l’attrition des personnels connaît un réel coup d’arrêt, avec 106 ETP créés. C’est un début, mais c’est encore trop peu, quand on les compare aux 3 000 postes que votre département a perdus depuis 2007. Surtout, on ne sait toujours pas comment ceux-ci seront répartis – vous nous éclairerez sur ce point, madame la ministre. On nous annonce un renforcement des capacités d’analyse politique et des implantations dans l’immense Indo-Pacifique.

Ne faudrait-il pas toutefois concentrer ces moyens sur une politique en particulier, pour garantir l’impact de l’effort consenti ? Je pense notamment au renforcement des équipes de nos consulats, qui ont tant souffert des restrictions budgétaires passées. Car, ne l’oublions pas, s’ils sont le guichet unique pour nos concitoyens vivant hors de France, ils le sont aussi pour les étrangers qui souhaitent s’y rendre.

Le traitement des demandes de visas constitue donc la première étape d’une politique migratoire plus efficace. À ce titre, la façon dont on a créé une différence de traitement entre l’Algérie et le Maroc en matière de visas continue de poser des problèmes, même si des évolutions sont en cours.

L’examen du PLF doit être un moment de clarification pour nos compatriotes : la France a plus que jamais besoin de diplomates et de moyens pour défendre ses intérêts, dans un monde devenu plus dangereux, plus difficile à anticiper et à comprendre – monde sur lequel nos leviers d’action pourraient, si l’on n’y prend pas garde, perdre de leur efficacité.

Pour toutes ces raisons, le Sénat attend des États généraux de la diplomatie qu’ils confortent le corps diplomatique, lui qui a été si meurtri par la réforme qui le vise et auquel nous rendons régulièrement un hommage appuyé. Il le mérite, ne serait-ce que pour son action en faveur du rapatriement de nos compatriotes pendant la pandémie, l’évacuation de Kaboul, ou la gestion du dossier nucléaire iranien.

Cette réforme du corps diplomatique a soulevé beaucoup d’hostilité contre elle, et même bien des moqueries de la part de nos compétiteurs stratégiques. Elle a parfois suscité la perplexité de nos alliés, qui, au contraire, renforcent dans le même temps leur diplomatie professionnelle. Si le Parlement avait eu voix au chapitre, peut-être aurions-nous évité la grève des personnels du Quai d’Orsay massivement suivie en juin dernier. Il s’agissait de la première depuis deux décennies – c’est dire le ressentiment de nos diplomates. C’est un signal pour nous tous.

Ainsi, il nous faut désormais apaiser ce trouble et trouver, malgré tout, les voies et moyens pour conforter notre outil diplomatique.

Dans leur rapport d’information sur l’avenir du corps diplomatique, nos collègues André Vallini et Jean-Pierre Grand offrent, parmi les huit recommandations qu’ils formulent, plusieurs pistes pour tenter de corriger les effets de bord de la réforme. Je n’en citerai qu’une, très importante : la consultation des commissions des affaires étrangères du Parlement avant la nomination aux postes d’ambassadeur les plus importants, par exemple dans les grands pays européens, à Pékin, Washington ou au Conseil de sécurité des Nations unies.

Il s’agirait en fait d’étendre le dispositif de l’article 13 de la Constitution, qui prévoit déjà la consultation des commissions parlementaires compétentes pour une cinquantaine de postes d’importance dans d’autres domaines – ce serait un signal en manière d’hommage à l’action du Parlement dans ce domaine.

En tout état de cause, soyez assurée, madame la ministre, que le Sénat restera vigilant et mobilisé sur ce sujet fondamental pour notre pays. Nous participerons à vos travaux ; nous vous tendons la main pour faire en sorte que l’apaisement suive l’orage.

Le groupe Les Républicains votera le budget de la mission « Action extérieure de l’État », conformément aux recommandations de nos rapporteurs. Nous sommes toutefois conscients que les temps qui viennent seront lourds de menaces et que nous aurons besoin, pour y faire face, d’un outil diplomatique conforté dans ses missions et dans ses moyens.

Nous le savons tous : la voix de la France est attendue, donnons-lui les moyens d’être entendue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Joël Guerriau, André Guiol et Jean-Pierre Grand applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir connu une pandémie, le monde connaît à présent de grandes tensions.

Le 24 février dernier, la Russie a envahi l’Ukraine, ramenant la guerre sur notre continent. Ce conflit est l’affaire de tous les Européens. En plus de mettre en cause la liberté d’un peuple, il détériore significativement les conditions de notre prospérité.

Dans ce contexte troublé, et en sachant que des périodes difficiles nous attendent, comme l’a rappelé très justement Christian Cambon, par ailleurs président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, il est essentiel que la France puisse faire entendre sa voix.

Elle l’a fait lors de la crise sanitaire, en contribuant à la mise en place d’un emprunt commun au sein de l’Union. Ce mécanisme a permis de donner corps à la solidarité européenne et a constitué une véritable avancée.

« Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », nous disait le général de Gaulle. Notre pays est en effet porteur d’un idéal et de valeurs qui ont, plus d’une fois, influencé le cours de notre histoire : la liberté, bien sûr, mais également l’égalité femmes-hommes, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou encore le destin commun des peuples européens.

Il faut préserver la capacité de notre pays à se faire entendre. D’autres pays investissent massivement dans leur diplomatie et se donnent ainsi les moyens de gagner en influence et de peser sur le cours des événements internationaux. La France ne doit pas se laisser distancer.

Les crédits que nous examinons contribuent à maintenir notre influence et revêtent donc une importance toute particulière.

À cet égard, nous nous réjouissons que les dépenses de personnel de la mission soient en hausse. La hausse des prix globale explique en partie cette augmentation. Le contexte inflationniste n’épargnant pas notre pays – ni aucun autre –, il fait progresser le coût des indemnités de résidence à l’étranger.

Il ne doit cependant pas masquer le renforcement des effectifs : 106 équivalents temps plein supplémentaires sont prévus pour 2023.

Ces personnels permettent à la France de savoir avec précision ce qui se passe à l’étranger, d’analyser, de comprendre, d’anticiper et d’agir en conséquence. Ils contribuent également à faire rayonner notre culture, nos valeurs, nos entreprises.

En effet, la France dispose de l’un des réseaux diplomatiques les plus étendus au monde ; c’est un atout qu’il faut préserver. Dans un monde où la désinformation est une arme redoutable en infectant les réseaux sociaux, il est important d’y voir clair par nous-mêmes. La représentation diplomatique est essentielle pour nous assurer d’une évaluation objective des situations à travers le monde.

Il nous faudra également continuer d’investir dans le parc immobilier. Le contexte économique pèse sur ces budgets comme sur ceux qui sont consacrés aux personnels : l’inflation érode l’ensemble des crédits. En outre, la remontée du cours du dollar aggrave encore cette situation, en raison de la position dominante de cette monnaie à l’international.

Ces augmentations de crédits se justifient amplement : l’influence fait pleinement partie des objectifs stratégiques de la France. Plus que le rayonnement de notre pays, cette capacité doit nous permettre de renforcer notre poids sur la scène internationale.

La diplomatie, en temps de crise, et a fortiori en temps de guerre, peut sembler accessoire à certains ; il n’en est rien. C’est à travers elle que les alliances se nouent et que les rapports de force évoluent, à condition d’y consacrer des moyens suffisants.

De son côté, la Chine ne s’y trompe pas. Elle consacre ainsi plus de 10 milliards de dollars par an au développement de son influence. La France et ses partenaires européens font face à de graves défis militaires, économiques et écologiques. Ces défis nous placent devant une alternative : y répondre collectivement ou bien céder à l’opportunisme de court terme.

Aucun État européen ne peut parvenir seul à l’indépendance stratégique. C’est par la coopération et la diplomatie que nous pourrons développer des solutions de long terme conformes à nos intérêts communs.

Le budget pour 2023 maintient globalement les fonds consacrés à ces capacités. Même s’il ne les accroît pas autant que nous le souhaiterions, le groupe Les Indépendants votera en faveur des crédits de cette mission.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget consacré à la diplomatie culturelle et d’influence en 2023 augmente de 40 millions d’euros à périmètre constant, pour un total de 671 millions d’euros.

Les moyens de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger sont renforcés à hauteur de 30 millions d’euros, tandis que ceux qui sont consacrés au réseau de coopération culturelle sont stables.

Comme cela a été rappelé par les orateurs précédents, en mars 2018, le Président de la République fixait pour objectif au réseau d’enseignement du français à l’étranger le doublement de ses effectifs à l’horizon 2030, soit une cible de 700 000 élèves. Cela correspond à une croissance moyenne de l’ordre de 7 % à 8 %.

Depuis cette annonce, et malgré la crise sanitaire qui a de facto ralenti le processus de développement, le réseau de l’AEFE a gagné 72 établissements et plus de 30 000 élèves.

Le rythme moyen de croissance annuelle des effectifs est toutefois loin d’être assez soutenu pour atteindre l’objectif présidentiel dans le calendrier imparti.

Cette ambition présidentielle se heurte notamment à trois enjeux structurels.

Le premier est celui des effectifs des personnels enseignants et de leur formation, question centrale pour garantir la qualité de l’offre éducative. Atteindre la cible de 700 000 élèves suppose de recruter 25 000 enseignants supplémentaires – les besoins sont donc importants. Sans enseignants bien formés en nombre suffisant, le plan ne pourra pas fonctionner.

Le deuxième enjeu est immobilier : pour se développer et faire face à la concurrence internationale, les établissements déjà membres du réseau ont besoin d’améliorer l’état de leur bâti, voire de l’agrandir.

Si un outil d’accompagnement existe pour les établissements conventionnés et partenaires, tel n’est pas le cas pour les EGD, qui éprouvent de grandes difficultés à financer leurs projets immobiliers. À l’heure de la définition du prochain schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) pour les années 2023 à 2027, l’AEFE évalue le besoin de financement de l’immobilier des EGD à 300 millions d’euros pour les cinq prochaines années.

Le troisième enjeu concerne la régulation de la croissance du réseau, afin d’éviter la concurrence déloyale entre établissements anciennement membres et établissements nouvellement homologués.

À ces enjeux structurels s’ajoutent les crises conjoncturelles auxquelles le réseau peut être confronté : l’invasion de l’Ukraine a par exemple touché directement cinq établissements de la région.

La crise inflationniste n’épargne aucune zone géographique et suscite de très vives inquiétudes pour 2023. L’envolée des prix des fluides – le chauffage, l’électricité – renchérit directement les coûts de fonctionnement des établissements.

Les établissements en gestion directe du réseau ont reçu pour consigne de ne pas répercuter l’entièreté des surcoûts sur les familles et de trouver un équilibre entre hausse des droits d’écolage et économies de dépenses. En 2023, les droits de scolarité devraient augmenter en moyenne de 8 % dans les EGD. Dans certains établissements, la hausse pourrait même atteindre 10 %, voire 12 %, ce qui nourrit de fortes inquiétudes chez les parents d’élèves.

En conclusion, le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Action extérieure de l’État », tout en restant attentif aux difficultés qui viennent d’être soulevées. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de saluer la qualité de vos interventions successives, qui reflètent bien l’intérêt que le Sénat porte au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Cet intérêt s’est également traduit par un vote favorable des crédits de mon ministère par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées comme par la commission des finances. Je vous en remercie.

Vous le savez, le contexte international n’a pas été aussi critique et dangereux depuis longtemps. Nous vivons en effet dans un monde en voie de fracturation, un monde plus brutal, plus instable, où les menaces globales se renforcent et où les crises se multiplient, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président Cambon.

De plus, nous voyons que nos intérêts sont souvent contestés, qu’ils soient politiques ou économiques. Nous sommes confrontés à des menaces qui visent nos ressortissants et nos emprises, des menaces qui se déploient aussi dans le champ numérique ou informationnel, où nous sommes la cible d’opérations de propagande et de désinformation.

Cette tendance à ce qu’on a pu appeler la « brutalisation » du monde ne date certes pas d’hier, mais elle a pris une ampleur nouvelle il y a neuf mois, lorsque la Russie a choisi d’envahir et d’agresser militairement l’Ukraine, un pays voisin souverain, et ainsi de ramener la guerre sur le continent européen.

Du fait de cette agression, des situations de tension deviennent des situations de crises, énergétique ou alimentaire, par exemple, qui exacerbent les divisions et risquent de fragmenter plus encore la scène internationale.

Dans cet environnement stratégique dégradé, la diplomatie est plus que jamais nécessaire – merci à ceux d’entre vous qui l’ont rappelé. Une diplomatie d’action, une diplomatie combative a besoin de moyens pour être efficace.

Ces moyens, ce projet de budget nous les fournit. En 2023, il devrait en effet atteindre 6,65 milliards d’euros en crédits de paiement pour l’ensemble des missions, en augmentation de 543 millions d’euros, soit une hausse de 9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022. Cette hausse bénéficierait à hauteur de 160 millions d’euros supplémentaires à la mission « Action extérieure de l’État », dont les crédits atteindraient ainsi 3,218 milliards d’euros. Il s’agit là d’une augmentation substantielle pour un ministère comme le nôtre.

Nos effectifs avaient baissé de 30 % au cours des deux dernières décennies. Je dis bien : 30 % ! Je ne connais aucun autre ministère régalien qui ait subi une telle attrition. Aussi, j’insisterai sur la hausse des moyens humains en 2023, pour la première fois depuis 1993. Cette hausse va nous permettre de disposer de 106 ETP de plus qu’en 2022. Je vous l’avais dit et je vous le confirme, la répartition de ces nouveaux effectifs concernera très majoritairement la mission « Action extérieure de l’État », prioritairement à l’étranger, pour les deux tiers d’entre eux, comme je l’avais annoncé en commission.

Grâce aux moyens de la mission « Action extérieure de l’État », nous pourrons maintenir un outil diplomatique universel, capable de se déployer partout dans le monde et d’agir dans la quasi-totalité des organisations internationales et régionales.

La France dispose – dois-je le rappeler ? – du troisième réseau diplomatique mondial : celui-ci compte 163 ambassades, 16 représentations permanentes et 90 consulats généraux. Cette universalité nous permet d’être présents partout et nous met en mesure de parler à tout le monde. C’est essentiel pour promouvoir le dialogue politique entre États, construire des partenariats et renforcer nos coopérations dans tous les domaines.

À cet égard, madame la sénatrice Vogel, je vous rappelle que les crédits consacrés à la transition écologique sont inscrits dans la mission « Aide publique au développement », que nous examinerons en fin d’après-midi.

Notre outil universel est aussi un atout majeur pour bâtir les coalitions d’action dont nous avons besoin pour agir, à l’ONU et dans les organisations internationales. C’est enfin un outil puissant au service de nos ressortissants, que nous avons ainsi pu aider partout dans le monde lors de la pandémie, comme vous avez bien voulu le rappeler, monsieur le sénateur Guiol.

À cet égard, permettez-moi de revenir sur la hausse des crédits de personnels évoquée par M. le rapporteur spécial. Cette hausse est bien évidemment liée à la création des nouveaux postes à l’étranger dont notre diplomatie a tant besoin, mais beaucoup également à l’inflation mondiale, qui est supérieure à celle que nous connaissons en France en règle générale. Elle est liée, enfin, à la baisse de l’euro.

Dans un contexte de persistance et souvent d’aggravation de la menace en Afrique – on l’a encore vu au Burkina Faso – ou encore en Ukraine – tout le pays est frappé par des bombes, aujourd’hui encore –, les moyens nouveaux du programme 105 concerneront d’abord la sécurité. Ils permettront de sécuriser nos ambassades là où nos agents sont le plus exposés à des situations de crise ou d’instabilité. Nous proposons d’y consacrer 5 millions d’euros en autorisations d’engagement et 3 millions d’euros en crédits de paiement.

La progression des crédits du programme 105 bénéficiera à une autre priorité : le numérique. Nous continuerons à consentir des investissements soutenus afin d’améliorer l’efficacité de nos outils, de pallier les inégalités de déploiement selon les pays et de renforcer la cybersécurité de notre réseau. Nous souhaitons allouer une enveloppe de 52 millions d’euros à cette priorité, soit une hausse de 4,4 millions d’euros par rapport à l’année dernière.

La communication stratégique est un autre enjeu, de plus en plus important alors que nous sommes confrontés à des opérations hostiles de désinformation et de propagande, souvent d’origine russe, mais pas exclusivement, qui visent à attiser les discours antifrançais sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique ou en Europe.

Afin de mieux lutter contre ces pratiques, nous souhaitons augmenter de 2,5 millions d’euros les moyens de la direction de la communication et de la presse. Dans son discours de Toulon du 9 novembre, le Président de la République déclarait en effet : « l’influence sera désormais une fonction stratégique, dotée de moyens substantiels […] avec, pour sa déclinaison internationale, un rôle central du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ».

Enfin, l’éducation en français, et à la française, sera une autre priorité. L’AEFE, qui compte 566 établissements dans 138 pays et près de 390 000 élèves, poursuivra son plan de développement avec des moyens renforcés à hauteur de 30 millions d’euros. J’ajoute que le nombre d’élèves connaît une augmentation à bon rythme, après deux années de ralentissement dues au covid-19, lesquelles ont faussé les projections.

Pour poursuivre à bon rythme, il faut des moyens, monsieur le rapporteur pour avis Claude Kern. Comme nous ne pouvons pas avoir recours à l’emprunt, nous cherchons des solutions et réfléchissons à une possible utilisation des subventions pour charges d’investissement.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ces priorités s’accompagneront d’une préoccupation constante : aider et protéger les Français de l’étranger, car le Quai d’Orsay est aussi le grand service public des Français à l’étranger.

En 2023, notre action consulaire, portée par le programme 151, pourrait être dotée de 141,1 millions d’euros. Alors que nos compatriotes sont confrontés dans de nombreux pays à des contextes économiques dégradés, ils pourront continuer de compter sur une gamme d’aides sociales inégalées chez nos partenaires.

Les bourses scolaires, destinées aux enfants français de nos établissements scolaires, retrouveraient leur niveau de 2021, le budget qui y est consacré atteignant 105,8 millions d’euros. Nous solliciterons moins la soulte. Soyez assurés que chaque enfant répondant aux critères d’attribution d’une bourse en percevra une.

Afin de répondre aux besoins accrus de la communauté française à l’étranger, des crédits supplémentaires seront aussi alloués au titre de l’aide sociale : 16,2 millions d’euros en 2023, soit 1 million d’euros de plus par rapport à l’année 2022. Toutes ces aides seront distribuées en lien avec les élus consulaires, qui constituent pour nous un précieux relais des besoins des Français de l’étranger et de nos actions.

Telles sont, en quelques mots, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les observations que je tenais à faire après vous avoir entendus et avant d’examiner les amendements portant sur les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Olivier Cadic et Hugues Saury applaudissent également.)