M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà plus de quinze mois que la folle envolée des prix de l’énergie déstabilise le pouvoir d’achat des Européens et des Français, asphyxie les budgets de nos communes et menace la vie économique de nos entreprises.

Et depuis quinze mois, économistes, experts et ministres – à commencer par Bruno Le Maire, ici même, à plusieurs reprises – s’accordent sur un point : il y a un problème avec l’organisation actuelle du marché européen et la fixation des prix de l’électricité.

Or, depuis quinze mois, rien ne se passe. Avec cette proposition de résolution, nous vous proposons d’envoyer un signal fort pour dire : « Ça suffit ! La France ne veut plus du système actuel de fixation des prix. »

En réalité, le problème est structurel. La hausse a été forte et continue bien avant la guerre en Ukraine. La déstabilisation récente n’a fait que révéler des failles profondes, liées aux mécanismes de libéralisation et de privatisation, qui ont enfermé les marchés gazier et électrique dans des logiques concurrentielles court-termistes. L’organisation du marché – market design – inventée par strates successives par les instances européennes a imposé une concurrence artificielle contraire à la rationalité économique du secteur de la production et de la distribution de l’énergie.

Le prétendu marché européen de l’électricité n’est en rien homogène, puisque les mix de production relèvent toujours de la compétence des États membres. Pour notre part, nous visons un mix nucléaire-EnR pour décarboner l’électricité. En conséquence, les coûts de productions et de transition diffèrent d’un État à l’autre.

De plus, faute d’un mécanisme unique de fixation des prix et des tarifs liés à ces coûts réels, le secteur européen de l’électricité est un florilège de réglementations, de contrats et d’échanges toujours plus complexes, le tout pour protéger le trading.

Enfin, s’il n’est évidemment pas question, comme l’a dit Fabien Gay, de mettre fin aux interconnexions, que nous pouvons gérer sur la base de règles définies aisément, nous constatons tous que seule une part mineure de l’énergie produite est échangée sur le marché de gros. Il est souhaitable que cette part demeure, pour favoriser la stabilisation de notre approvisionnement. Pourtant, c’est ce marché minoritaire qui est responsable de l’emballement spéculatif et inflationniste mettant aujourd’hui en danger les particuliers et les entreprises.

Ainsi, l’envolée récente des prix de gros de l’électricité en Europe reflète la réalité non pas de l’ensemble des échanges, mais seulement de ceux qui se réalisent sur les bourses. Seul le marché de court terme fixe le prix alors qu’en France, moins d’un tiers des échanges d’électricité s’y font. Les autres résultent de contrats de long terme avec l’État pour les énergies renouvelables, ou via l’Arenh pour le nucléaire historique…

Dans ces conditions, la règle de la dernière centrale appelée, loin d’optimiser le système électrique, est devenue la source de sa déstabilisation.

C’est pourquoi la sortie de ces mécanismes concurrentiels, sans rapport avec les réalités industrielles de la production, est urgente. Il est impératif non seulement de décorréler le prix de l’électricité de celui du gaz, mais aussi d’organiser la sortie de ces mécanismes pour revenir à une politique tarifaire basée sur les coûts de production, et non en fonction d’acteurs parasites ne cherchant qu’à tirer profit de ces mécanismes contraires à l’intérêt général.

Cette sortie est d’autant plus indispensable qu’une stabilité retrouvée des prix, plus conforme à nos coûts de production, est indispensable. Il s’agit tant de garantir la souveraineté industrielle nécessaire à la sécurité de notre approvisionnement, que de planifier les investissements massifs supposés par la décarbonation. Sans vision de long terme, nous allons dans le mur. Or ce marché est organisé sur le court terme spéculatif. Nous ne pouvons plus accepter que ce bien universel essentiel soit confisqué par des logiques de profit aveugle.

La volatilité des prix obère les investissements dans le système électrique, ainsi que ceux nécessaires à la transformation écologique. Elle dilapide les fonds publics dans des boucliers tarifaires, qui créent autant de trous qu’ils n’en bouchent, tout en continuant à financer des acteurs spéculatifs, alors que la garantie d’un prix stable réglementé offrirait à tous, particuliers, entreprises et collectivités locales, une meilleure sécurité.

Nous proposons, vous le savez, de revenir à un monopole public capable d’évaluer les coûts marginaux à long terme de ses différentes unités de production, ayant la maîtrise de son programme d’appel.

Une chose est sûre : l’expérience a démontré que le principe de concurrence entre fournisseurs d’électricité n’a rien apporté de bon aux usagers, quels qu’ils soient.

Si nous n’opérons pas ce changement, toutes vos inventions – entre autres : plafonnement du prix du gaz et des recettes des producteurs inframarginaux, accords d’achat d’énergie (power purchase agreements, PPA) – constitueront des rustines, mais ne régleront rien.

Vous allez sanctuariser le principe de la prétendue concurrence libre et non faussée tout en passant votre temps à inventer de perpétuelles distorsions à ce principe, financées soit sur fonds publics, soit par transferts artificiels entre acteurs du marché. C’est aberrant, coûteux et inefficace.

Chers collègues, le Parlement doit reprendre la main et taper du poing sur la table des négociations européennes, toujours aussi opaques, comme nous aurions dû le faire depuis longtemps sur le refus de la mise en concurrence des barrages hydroélectriques.

Notre proposition est là pour cela. Vous pouvez vous en saisir ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les auteurs de cette proposition de résolution, qui nous offrent l’occasion, après avoir débattu des tarifs réglementés pour les collectivités en décembre, d’aborder une nouvelle fois les problématiques du marché européen de l’énergie.

Mon collègue Franck Montaugé a exprimé les nombreuses aberrations de ce marché, qui, bien loin de réaliser ses promesses de réduction des factures des consommateurs, n’aura servi qu’à la spéculation et à la multiplication de fournisseurs alternatifs.

Il a également insisté sur la nécessité de considérer l’électricité comme un bien commun devant être décorrélé des logiques du marché. Madame la ministre, si vos promesses de restructuration d’EDF aboutissent, ne perdez pas de vue ce principe fondamental pour nos concitoyens et pour l’intérêt général.

Les textes, nationaux ou européens, devant répondre à la crise énergétique, passent les uns après les autres, mais ils ne sont que des rustines ne répondant aucunement aux tendances structurelles et aux graves dysfonctionnements du marché européen de l’énergie. Les mesures du Gouvernement restent profondément ancrées dans cette logique de marché et ne permettent que d’en combler les insuffisances par de l’argent public.

Comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de résolution, la remise en cause d’une politique tarifaire décidée par l’État et l’abandon des coûts de production comme élément de la base de calcul des prix de l’électricité au profit d’un prix formé sur le marché expliquent l’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Pendant ce temps-là, les consommateurs finaux, particuliers et professionnels, continuent de subir l’explosion de leurs factures, qui se répercute directement sur leur budget du quotidien et sur leurs coûts de production.

Je pense également aux collectivités territoriales, qui, depuis de nombreux mois, réalisent des efforts importants pour réduire leur consommation et ainsi tenter de préserver les budgets qu’elles ont votés.

Ainsi, quand le marché devient obsolète, pour reprendre les mots de votre collègue Bruno Le Maire, et que les conséquences sont majeures pour nos concitoyens, il est du devoir du Gouvernement et des pouvoirs publics de réfléchir immédiatement à la refonte ou à la sortie de ce système.

Madame la ministre, pour que les négociations européennes avancent enfin, entendez et prenez en considération les différents textes de lois et de résolutions examinés par la chambre haute du Parlement.

À ce sujet, les récents exemples de l’Espagne et du Portugal, qui ont eu l’autorisation de déroger aux règles européennes pour fixer les prix de l’énergie en fonction de leur propre mix énergétique, sont particulièrement intéressants. Cela a fait baisser les factures d’électricité des Espagnols et des Portugais de 10 % à 20 %. La spécificité géographique de ces pays justifie certainement ces adaptations, mais cette dérogation temporaire prouve que ce sont le marché et les interconnexions qui tirent les prix vers le haut.

Alors que notre mix énergétique se base très largement sur nos capacités nucléaires et sur les énergies renouvelables, que nous espérons voir se multiplier dans les années à venir, il est de notre intérêt de demander une dérogation similaire pour tirer profit de nos choix énergétiques.

Pour cela, un opérateur énergétique fort et disposant de capacités d’investissements est indispensable. Pourtant, les doutes continuent de planer sur les évolutions futures du groupe EDF. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire où en sont les négociations sur son avenir ? Le dispositif de l’Arenh va-t-il enfin être revu et adapté aux réalités des coûts de production ?

Enfin, nous adhérons au constat des auteurs de cette proposition de résolution sur la nécessité de ne pas soumettre les concessions hydroélectriques à l’ouverture à la concurrence.

Cette proposition de résolution, que nous voterons, doit donc être entendue comme un appel à relancer activement les négociations européennes sur le marché de l’énergie. Il est particulièrement dommage que la présidence française du Conseil de l’Union européenne n’ait pas permis d’avancer sur le sujet.

Même si certains points de cette résolution mériteraient d’être un peu nuancés, notamment pour permettre des négociations avec nos partenaires européens, nous approuvons pleinement l’objectif de sortie du système électrique des mécanismes concurrentiels. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette proposition de résolution, qui m’offre l’occasion d’intervenir auprès de vous sur les enjeux d’organisation et de concurrence dans le marché électrique. Il me semble indispensable de la lire au regard du contexte dans lequel nous nous trouvons et de ses implications sur le système électrique français.

Le contexte immédiat, c’est tout d’abord celui d’une crise climatique et d’une crise énergétique sans précédent depuis plus de quarante ans. Cette crise sur la sécurité d’approvisionnement m’a conduite à prendre des mesures exceptionnelles pour passer l’hiver dans les meilleures conditions – plan de sobriété, sécurisation de nos importations et de nos interconnexions et augmentation des marges de manœuvre sur les moyens de production d’électricité existants – notamment votées par votre assemblée cet été. Je rappelle que la sécurisation de nos importations est aussi liée au bon fonctionnement du marché européen de l’électricité. Lorsqu’on prétend en sortir, on pose la question de ce bon fonctionnement.

La crise touche également les prix de marché, puisqu’ils sont passés de 50 euros par mégawattheure en 2020 à plus de 500 euros par mégawattheure au second semestre 2022, avec même un pic dépassant les 1 000 euros par mégawattheure au moment où les consommateurs anticipaient des ruptures d’approvisionnement, intégrant cette prime de risque dans les coûts.

M. Fabien Gay. C’est très grave !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous connaissons tous les effets de ces hausses historiques pour les Français, les entreprises et les collectivités locales. C’est pourquoi le Gouvernement a pris un engagement très clair : nous ne laisserons tomber personne !

C’est aussi la raison pour laquelle nous avons pris des mesures exceptionnelles pour protéger le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité de notre économie : bouclier et amortisseur électricité, plafonnement du prix de l’électricité pour les TPE nécessitant une forte puissance, baisse de la fiscalité et guichet d’aide aux électro-intensifs.

M. Fabien Gay. Et l’Arenh ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Pour financer ces mesures, une contribution sur les rentes inframarginales prélevée sur les énergéticiens dont les bénéfices augmenteraient de façon importante du fait de la hausse des prix. Finalement, tout cela est très logique : la rente revient au consommateur. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)

Toutefois, ce contexte appelle une réponse systémique : je vous rejoins, monsieur le sénateur Gay, sur ce point, mais sur ce point seulement. C’est bien la raison pour laquelle je défends, face à mes homologues européens, une position forte au nom de la France : celle d’une refonte équilibrée du marché européen de l’électricité.

Cependant, je veux être claire : nous ne souhaitons pas sortir du marché européen de l’électricité. Ne cédons pas aux fausses bonnes idées, car ce sont toujours les plus nocives pour notre pays. Ainsi, nous devons préserver les avantages actuels du marché, dans l’intérêt des consommateurs et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le marché de l’électricité est, avant tout, un marché physique, où circulent des électrons. Il doit être efficace, ce qui présente l’avantage d’éviter les coupures liées aux déséquilibres entre l’offre et la demande. En termes physiques, il n’y a pas de différence entre un électron espagnol, allemand ou français – je ne parle pas du bilan carbone – et cela n’a rien à voir avec les voitures, Ferrari ou Peugeot, que vous avez mentionnées.

Le deuxième avantage de ce marché, c’est la capacité à importer et à exporter l’électricité de manière juste et selon un principe de solidarité. Nous en avons plusieurs fois eu besoin, l’année dernière et les années précédentes, et nous ne nous sommes alors pas plaints du fait que ce marché ne fonctionnait finalement pas si mal.

Un troisième avantage est une efficacité incitant à investir dans la production d’énergie décarbonée, tout en abaissant notre consommation.

Enfin, je rappelle l’extinction, fin 2025, de l’Arenh. Vous le savez, ce mécanisme a été central dans notre système électrique, jouant un rôle important de protection du consommateur résidentiel et pour la compétitivité industrielle. Il a permis à tous les Français d’accéder à l’énergie nucléaire à un coût très compétitif. (M. Fabien Gay proteste vivement.)

Cela étant, nous le savons, ce mécanisme présente des défauts bien identifiés.

M. Fabien Gay. Nous le disons depuis douze ans !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Tout d’abord, la concurrence n’a pas développé les capacités attendues de production. Ensuite, le prix, initialement fixé selon le coût théorique de production du nucléaire, n’a pas été revalorisé avec l’inflation, réduisant de fait les marges de manœuvre d’EDF. Corriger ces défauts est un enjeu de la réflexion en cours sur le marché européen.

La Commission européenne a annoncé qu’elle travaillait désormais en ce sens. Une proposition législative européenne est attendue pour le premier semestre 2023, à l’occasion du conseil des ministres de l’énergie.

Pour entrer dans le détail de votre proposition de résolution, le principal enjeu auquel nous faisons face est celui de la hausse de la production d’énergies décarbonées. J’entends qu’il faut découpler l’électricité des énergies fossiles, mais, alors que nous dépendons aux deux tiers d’énergies fossiles qui ne sont pas présentes sur notre territoire, il faut accepter une logique de marché, l’alternative étant une logique de pénurie.

Dans ce cadre, nous devons maximiser cette production décarbonée avec une meilleure organisation de marché, concurrentielle ou plus régulée en fonction des spécificités des technologies. Pour les nouvelles énergies renouvelables, la concurrence baisse les coûts de production et met les porteurs de projets au défi de produire au coût le plus bas, dans le champ des contraintes de service public que nous imposons dans les appels d’offres. Cela nous permet de développer des projets photovoltaïques, d’éolien terrestre et d’éolien marin, pour une électricité à moins de 100 euros par mégawattheure, un coût largement compétitif.

M. Fabien Genet. Vous dites bien 100 euros ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Pour être précise, ils sont compris entre 60 euros et 80 euros par mégawattheure.

Pour le nucléaire, la question de la concurrence, comme vous le savez, se pose différemment compte tenu de l’historique et de la spécificité du parc nucléaire français, ainsi que du fait qu’il n’y a qu’une technologie de réacteur de forte puissance en Europe. Je tiens ici à saluer tous les salariés de la filière : ce sont leurs efforts, conjugués à ceux de tous les Français dans la sobriété énergétique, qui nous permettent de réussir le passage de l’hiver.

En tout état de cause, je réaffirme notre attachement à l’exploitation par EDF du parc nucléaire dans une logique intégrée. Ce parc est un atout unique : il n’a pas été construit dans une logique concurrentielle, et il doit jouer, dans notre système, un rôle durablement singulier. (M. Pierre Laurent sexclame.)

J’en viens à la question de l’hydraulique. Comme vous le savez, nous sommes, depuis des années, engagés dans un contentieux avec la Commission européenne. Celle-ci souhaite que nous rouvrions la concurrence les concessions échues. Tel n’est pas notre souhait, au regard des enjeux spécifiques à l’eau : la production électrique et son rôle crucial dans le système électrique global, le soutien à l’étiage, l’irrigation et l’eau potable, sans oublier les besoins de l’agriculture et d’autres activités.

En ce qui concerne ensuite les marchés de gros de l’électricité, l’urgence est de permettre aux consommateurs ou aux fournisseurs de sécuriser à long terme un prix de l’électricité qui soit défini à l’avance et basé sur les coûts de production réels.

Cela réduirait la volatilité des prix facturés au client, donnerait de la visibilité aux producteurs et leur permettrait de prendre des risques.

Plusieurs outils concourent aujourd’hui à l’atteinte de cet objectif de sécurité. Nous promouvons déjà, pour toutes les énergies et en particulier pour les énergies renouvelables, dans le cadre du projet de loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables, les contrats de vente directe d’électricité ou PPA. Ces derniers rencontrent – vous le savez – un certain succès en Europe.

Les contrats pour différence sont également très répandus pour les énergies renouvelables, en France comme à l’étranger.

À plus court terme, en revanche, les marchés de gros jouent un rôle utile dans l’ajustement physique du marché.

Restent enfin les marchés de la fourniture d’énergie, qui ont été ouverts à la concurrence en 2012 et qui semblent être le point focal de notre discussion.

Plusieurs grandes questions peuvent être posées sur l’opportunité de la mise en concurrence sur ces marchés.

A-t-elle permis de favoriser le développement de capacités de production d’énergie décarbonée ? Je l’ai dit : le constat est très mitigé. (Marques dironie sur les travées du groupe CRCE.)

A-t-elle contribué à réduire le prix de l’énergie ? Oui en l’absence de tension sur le marché ; non dès lors qu’un choc s’est produit, celui de la crise en Ukraine et de l’utilisation du gaz russe comme arme de guerre.

On peut noter en revanche que la marge dégagée par l’activité de fourniture est demeurée relativement stable, contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là.

La concurrence a-t-elle ensuite favorisé le développement de types d’offres innovantes en direction des clients ? Sans doute oui, mais de façon très hétérogène. (Nouvelles marques dironie sur les travées du groupe CRCE.)

La question de la concurrence sur le marché de détail de l’électricité renvoie également à celle des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE). Les Français sont profondément attachés au principe des tarifs régulés.

M. Fabien Gay. C’est la raison pour laquelle vous les avez supprimés !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Le Gouvernement les a défendus énergiquement au cours du précédent quinquennat.

M. Gérard Longuet. Sans succès !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Avec succès, que ce soit devant les juridictions françaises ou, à l’échelle européenne, dans le cadre du paquet énergie propre.

Les tarifs réglementés sont une reconnaissance du fait que l’électricité est un bien de première nécessité pour les ménages et les très petites entreprises. Ils constituent une offre universelle, dont peuvent bénéficier tous les consommateurs, sans condition de ressources ou de solvabilité. Ils sont enfin une référence tarifaire utile pour se repérer dans le marché et comparer les offres.

Nous continuerons à les défendre, parce qu’ils protègent les consommateurs. Je rappelle d’ailleurs qu’ils nous permettent aujourd’hui de proposer de l’électricité aux ménages et aux très petites entreprises au prix le plus bas d’Europe. (M. Fabien Gay proteste.)

Protéger le consommateur, c’est s’assurer que son fournisseur, quel qu’il soit, prenne ses responsabilités. C’est s’assurer qu’il se couvre quand il s’engage sur le long terme, qu’il prend des engagements de production, qu’il participe au déploiement du mix décarboné dont nous aurons besoin demain. En fin de compte, c’est s’assurer que les fournisseurs anticipent les défis des dix prochaines années, de sorte que nous ne soyons pas pris au dépourvu.

Mais c’est aussi leur garantir des prix qui couvrent les coûts complets de notre système énergétique, sans marges excessives ni rentes de situation.

Dans ces conditions, on peut se demander si la future régulation ne devrait pas fixer un cadre minimum à la politique de couverture, afin que cette dernière repose davantage sur des signaux-prix prévisibles à long terme.

Cela reviendrait à modifier le cadre concurrentiel du marché de la fourniture d’électricité, au bénéfice d’une plus grande résilience.

La concurrence entre fournisseurs serait certes maintenue, mais elle s’exercerait à armes égales et les fournisseurs seraient tenus de prendre leur part dans leur production et dans les charges de service public.

Là où le gouvernement en place en 2010 avait fixé des obligations fortes à EDF sans véritablement les contrebalancer par de nouveaux devoirs pour ses concurrents, nous équilibrerions ces droits et ces devoirs.

Ces quelques éléments me semblent montrer sans aucune ambiguïté qu’une réponse sur le principe de la concurrence dans notre système électrique ne peut pas être simpliste, au risque d’être grossièrement inexacte.

Elle me semblerait tout aussi imparfaite qu’une doxa idéologique qui revendiquerait la concurrence pour la concurrence.

La question porte non pas tant sur le bien-fondé de la concurrence, mais sur la création d’un cadre de marché dans lequel le jeu de la concurrence permettrait d’atteindre nos objectifs communs de politique publique de long terme, au meilleur coût pour la collectivité et pour les citoyens.

C’est bien la feuille de route que je me suis fixée à la tête de ce ministère. C’est la position que je défendrai dans les discussions du texte que proposera la Commission européenne au premier semestre de 2023.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à ne pas voter cette proposition de résolution. (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution proposant au gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,

Vu le principe à valeur constitutionnelle de continuité du service public consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979,

Vu le code de l’énergie, en particulier le titre Ier du livre Ier ;

Vu la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ;

Vu la programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2023,

Vu le socle européen des droits sociaux approuvé par le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne le 17 novembre 2017,

Vu le protocole n° 26 sur les services d’intérêt général, annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif aux compétences de l’Union européenne en matière d’énergie ;

Vu l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif aux aides accordées par les États ;

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à un instrument d’urgence en matière d’électricité et à une contribution de solidarité du secteur des combustibles fossiles ;

Considérant que l’échec de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie en matière de coûts pour les usagers, de sécurité d’approvisionnement et d’indépendance énergétique n’est plus à démontrer ;

Considérant l’augmentation continue de la précarité énergétique qui touche désormais en France près de douze millions de personnes ;

Considérant que l’augmentation continue des prix de l’électricité a fragilisé notre tissu industriel ;

Considérant que les tarifs réglementés de vente de l’électricité, avec l’inclusion de composantes « marché » de plus en plus importantes, ne répondent pas à leurs objectifs premiers ;

Considérant que l’accès à l’énergie a été reconnu comme un service essentiel intégré à la proclamation interinstitutionnelle sur le socle européen des droits sociaux du 13 décembre 2017 ;

Propose au Gouvernement d’exclure explicitement les barrages hydrauliques de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession ;

Propose au Gouvernement d’exclure explicitement dans notre pays le secteur de l’énergie des mécanismes concurrentiels et de promouvoir une nouvelle conception du marché de l’énergie au service de l’intérêt général au niveau européen.