M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pourquoi n’avez-vous pas agi quand vous étiez en position de le faire ?

Mme Valérie Boyer. Le 1er décembre dernier, les députés du groupe Les Républicains devaient inscrire à l’ordre du jour un texte sur ce sujet. Malheureusement, la majorité présidentielle, comme souvent, a souhaité reprendre une grande partie de nos recommandations et les insérer dans son propre texte au lieu d’engager un travail commun sur la base de nos réflexions.

M. François Bonhomme. Et les droits d’auteur ? (Sourires.)

Mme Valérie Boyer. Ce qui compte, néanmoins, c’est bien sûr l’intérêt des Français. Je déplore, mes chers collègues, sur ce sujet comme sur d’autres, que la majorité présidentielle perde son temps en stratégies et en récupérations politiciennes. Dans l’intervalle, les injustices courent et les situations de détresse prospèrent, au grand dam des Français : tant de temps perdu pour revenir en définitive, avec ô combien de retard, à ce que nous avions déjà proposé…

Quant à nous, nous sommes constants sur cette question. Nous soutenons donc ce texte assorti des modifications apportées par la commission des lois – et je remercie notre collègue rapporteur André Reichardt. Je vous invite par conséquent, mes chers collègues, à vous rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.

Notre souci est de protéger davantage les Français, les propriétaires, mais aussi de lutter contre le recours à une justice privée, qui est la conséquence regrettable de l’impuissance d’une action publique considérée comme injuste.

Comment ne pas être révolté devant ces reportages montrant des familles dont le bien est occupé, dégradé, saccagé pendant des années, et qui doivent de surcroît s’acquitter de frais de justice ? Une telle situation s’est produite à Marseille, dans le XIIe arrondissement : je me souviens très bien avoir reçu les propriétaires de la maison concernée ; lorsque l’évacuation a enfin eu lieu, eux qui avaient été si seuls pendant toutes ces années ont vu les services sociaux voler au secours des personnes qui les avaient spoliés, qui avaient volé tous leurs souvenirs et dégradé la maison de leur enfance quand toutes les voies de recours semblaient épuisées.

Mme Valérie Boyer. Autant il est tout à fait normal de prendre en compte des situations de mal-logement, autant il y a dans les cas que je vous ai présentés l’expression d’une injustice et d’un aveu d’impuissance, et comme une prime aux personnes qui trichent et qui volent, spoliant les honnêtes gens.

Derrière ce texte, il y a des décennies de souffrance pour des citoyens honnêtes qui ont été broyés par les travers du droit, et il y a même une économie (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) : il arrive que des personnes sollicitent ces pauvres Français spoliés, leur proposant de racheter leur maison à vil prix avant, armées de gros bras, de faire pression sur les squatteurs pour qu’ils partent !

M. Guy Benarroche. C’est digne de Cendrillon…

Mme Valérie Boyer. Tout cela est particulièrement injuste. Il faut protéger nos concitoyens qui respectent le droit ! Les personnes qui connaissent de telles difficultés nous regardent aujourd’hui ; soyons leurs porte-parole. Espérons, surtout, qu’en leur redonnant confiance dans la propriété, nous encouragerons ces personnes à remettre leur bien en location ; ainsi contribuerons-nous à atténuer la crise du logement plutôt que de l’aggraver en laissant perdurer les incertitudes qui pèsent sur les propriétaires. (Soupirs sur les travées du groupe GEST.)

C’est sur des mesures simples que je vous demande, mes chers collègues, de vous engager ; si nous sommes ici, c’est pour œuvrer en faveur des Français et de l’intérêt général.

Si vous me le permettez, je conclurai en citant Jaurès : « Le premier des droits de l’homme… (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce n’est pas croyable…

Mme le président. Votre temps de parole est épuisé, ma chère collègue.

Des sénateurs des groupes CRCE et GEST. On l’a échappé belle !

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Reichardt, rapporteur. Nos collègues du groupe CRCE rappellent l’ampleur de la crise du logement. Ils évoquent à juste titre les chiffres de 300 000 personnes sans abri et de 3 millions de logements vacants.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et cela ne vous émeut pas ?

M. André Reichardt, rapporteur. Ces données démontrent, s’il en était besoin, la nécessité de réformer le marché du logement. Mais beaucoup de propriétaires hésitent à mettre leur bien en location parce qu’ils craignent d’avoir toutes les peines du monde à le récupérer en cas d’impayés de loyer.

La présente proposition de loi vise précisément à rétablir la confiance pour ramener des logements sur le marché de la location.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !

M. André Reichardt, rapporteur. Elle a également pour objet de lutter avec davantage de fermeté contre un phénomène distinct de celui que je viens d’évoquer, à savoir le phénomène du squat.

J’ajoute, cher Pascal Savoldelli, que nous avons 80 amendements à examiner sur ce texte, dont certains émanent du groupe CRCE ; or je m’apprête précisément à aller dans le sens que vous souhaitez en émettant un certain nombre d’avis favorables… Pourquoi voudriez-vous que nous arrêtions là notre discussion alors qu’il est sans doute possible d’avancer, pour le bien-être des locataires comme des propriétaires de ce pays ?

Je vous demande donc, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre motion tendant à opposer la question préalable ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Klein, ministre délégué. Avis défavorable également.

Nous l’avons dit, ce texte est équilibré. À aucun moment, j’y insiste, il ne mélange les squatteurs et les personnes en situation d’impayés de loyer.

M. Olivier Klein, ministre délégué. Le texte sera encore amélioré ; il l’a déjà très largement grâce au travail de la commission, notamment sur la question de la bonne foi. Soyez vous-mêmes de bonne foi ! Vous savez bien – la lecture du texte suffit à s’en convaincre – qu’aucun locataire de bonne foi ne finira en prison pour impayés de loyer.

Je vous livre maintenant quelques chiffres, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la situation actuelle : 203 000 places d’hébergement sont ouvertes dans ce pays ; ce chiffre n’a jamais été atteint, par le passé, par aucun des gouvernements précédents. Autre chiffre extrêmement important : 5,7 millions d’euros sont dépensés chaque soir par l’État pour mettre des personnes à l’abri. Je puis vous assurer que nous menons, avec toutes les associations, un travail quotidien, certes difficile à percevoir, pour obtenir de tels résultats…

Le plan Logement d’abord, lancé par le gouvernement précédent, a déjà permis à 440 000 personnes de quitter la rue et de trouver un logement. Aucun gouvernement n’avait agi dans cette proportion en ce domaine ; nous honorons là un engagement fort. Demain, lors du conseil des ministres, je ferai une communication sur l’acte II du plan Logement d’abord. Et j’irai, comme tous les ans, à la présentation du rapport de la Fondation Abbé Pierre pour dire que le mal-logement est un mal insupportable, que nous travaillons à combattre depuis des années.

Comme ancien maire de Clichy-sous-Bois, largement confronté aux squatteurs, je suis bien placé pour le savoir : si les copropriétés dégradées sont dans un tel état, si, par exemple, le chantier de la démolition du Chêne Pointu a près d’un an de retard, c’est parce que nous n’avons pas toujours eu tous les moyens de lutter contre les squatteurs.

Vous le savez aussi bien que moi, monsieur Savoldelli : en tant qu’élu du Val-de-Marne, vous connaissez ces situations. Quant à vous, madame Lienemann, en tant qu’actrice du logement social, vous ne tolérez pas le squat, et vous avez raison, car ce phénomène est insupportable.

Comme vous, nous protégeons les gens qui sont en situation d’impayés de loyer. Comme vous – j’y suis très attentif –, nous luttons contre les expulsions locatives et continuerons de le faire, car chaque expulsion est un échec. J’ai présidé, depuis que je suis ministre, toutes les Ccapex. Et j’ai réuni dernièrement l’ensemble des énergéticiens pour qu’ils accroissent encore leur contribution au pot des fonds de solidarité pour le logement (FSL), car tel est leur devoir.

Pour ma part, je ne suis pas sûr d’avoir beaucoup de leçons à recevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. On nous décrit encore et encore, à juste titre, quelques cas dramatiques : une personne voit son domicile habituel occupé par des squatteurs. Normalement, la loi protège déjà les citoyens contre ce genre d’occupations. Je ne sais par quelle incurie du système on échoue à faire appliquer le droit en vigueur, car il est évidemment interdit d’aller s’installer dans le logement d’autrui !

J’aurais été tout à fait disposée, si l’on nous avait expliqué pourquoi la loi est mal foutue, à ce qu’elle soit durcie sur ce point ! D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, je vous enverrai la liste des bailleurs sociaux qui, dans un passé récent, ont saisi le procureur de la République d’une demande relative à des squats illicites de leurs logements ; ces demandes sont systématiquement classées sans suite – il m’est arrivé d’interpeller le préfet à ce propos.

Par ailleurs, tous les squats ne relèvent pas de ce genre de cas. Certains squatteurs occupent des locaux vides depuis des lustres ; ce n’est pas bien, c’est sûr. Mais où iront-ils, avec leurs gamins, s’ils sont délogés ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Et les services sociaux ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est précisément la question que vous ne posez pas. Je ne parle pas là de ceux qui occupent le domicile d’autrui, dont le nombre est infime.

Ceux dont je parle maintenant, où iront-ils ? Ceux-là, vous ne pleurez pas sur leurs gosses ! Il n’y a pas assez de logements pour loger toutes les personnes concernées, vous le savez bien – tous les maires le savent.

M. Guy Benarroche. Exactement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. On aurait donc pu être beaucoup plus pragmatique ; j’ai d’ailleurs en mémoire que Mme Procaccia, lors d’un débat précédent, avait clairement dit que l’enjeu était celui de l’occupation illicite de domiciles.

Mme le président. Il est temps de conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une seule solution : la garantie universelle des loyers ; j’en ferai la proposition.

Mme le président. Je vous remercie, mes chers collègues, de respecter le temps de parole qui vous est imparti.

La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote.

Mme Viviane Artigalas. Comme ma collègue, je considère qu’il n’y a pas lieu de légiférer de nouveau sur la question du squat. Nous sommes évidemment tous ici contre l’occupation illicite de logements par des squatteurs. En application de la loi Asap de 2020, le délai d’évacuation d’un squatteur est désormais de soixante-douze heures ; cela permet en principe de mettre fin rapidement aux occupations illicites de logements. Pourquoi la loi ne s’applique-t-elle pas comme elle le devrait ? Je ne le sais pas plus que ma collègue…

En outre, depuis le 1er février 2022, un accompagnement est proposé aux propriétaires victimes de squat jusqu’à la restitution de leur logement. Il n’y a pas lieu de légiférer pour prendre des mesures toujours plus répressives sans gain d’efficacité – les petits propriétaires ne seront pas davantage protégés.

Concernant le deuxième volet de la proposition de loi, qui est une atteinte aux procédures de prévention des impayés et des expulsions locatives, il n’y a pas lieu de délibérer non plus, dans un pays qui compte 15 millions de familles fragilisées par la crise du logement, dans un pays où le logement pourrait être la bombe sociale de demain, comme vous l’avez si bien rappelé, monsieur le ministre du logement.

Ce texte n’est pas un texte de justice sociale, contrairement à la présentation qui en est faite par la majorité présidentielle.

Il n’est pas équilibré, car il accroît la pression sur les plus vulnérables de nos concitoyens, contrairement à ce que vous soutenez, monsieur le ministre du logement.

Il n’est pas du tout consensuel : les instances de défense des droits de l’homme y sont fortement opposées, tout comme l’ensemble des acteurs de la solidarité et les services sociaux. En conséquence, notre groupe votera la motion tendant à opposer la question préalable déposée par nos collègues du groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt notre collègue Savoldelli. Son propos me semble l’illustration d’une certaine inversion des valeurs et de la logique. En effet, je ne vois pas en quoi le risque d’exclusion – et je ne parle pas du risque d’atteinte à la vie privée – justifierait tout, y compris les violations caractérisées de domicile, en totale négation du droit de propriété.

À mon tour de faire une piqûre de rappel en évoquant non pas la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais la Constitution de 1793, qui a été validée, vous le savez, par un certain Robespierre,…

Mme Cécile Cukierman. C’est quand ça vous arrange, Robespierre !

M. François Bonhomme. … bien connu pour son sens de la mesure et son humanisme. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Figurez-vous, mes chers collègues, que l’article 2 de ce texte réaffirme le caractère sacré et inaliénable du droit de propriété ; et, si cela n’était pas suffisant, son article 19 dispose que « nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement ». Cela vaut tous les discours…

Mme Cécile Cukierman. C’est la différence entre vous et moi, monsieur Bonhomme : je n’ai jamais, pour ma part, cité Robespierre !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La Constitution de 1793 reconnaît aussi le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique…

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Je veux donner raison à Mme Boyer : je suis d’accord avec vous, ma chère collègue, il faut tout faire pour protéger nos concitoyens.

Je rappellerai donc un certain nombre de chiffres déjà cités ; derrière ces chiffres, il y a, précisément, des femmes et des hommes qu’il faut protéger.

Le nombre de personnes sans domicile fixe a été multiplié par deux en dix ans, pour atteindre 330 000 aujourd’hui. Selon la Fondation Abbé Pierre, 85 000 foyers sont reconnus comme étant en attente de logement au titre du droit au logement opposable ; il y a 2 millions de demandeurs de logement social, 4 millions de mal logés, 3,1 millions de logements vacants. En 2021, la rue a tué 623 personnes.

Oui, en effet, nous devons protéger nos concitoyens et nos concitoyennes. Le 115, cela a été dit, refuse un hébergement à plus de 6 000 personnes, dont 1 700 enfants ; 42 000 enfants, en France, sont à la rue et sans abri. Peut-on s’en satisfaire ? Un logement sur dix est vacant – la hausse est de 55 % en vingt ans.

Quant aux squats, qui sont l’objet de notre discussion, ils représentent 0,05 % des logements recensés. Gardons le sens des réalités !

J’aurais aimé que le ministre du logement, qui a dit qu’il n’avait pas de leçons à recevoir, nous invite à débattre ce soir, plutôt que d’actes qui sont déjà punis par la loi – certes, la question de son application mérite d’être posée –, de garantie universelle des loyers, d’encadrement des loyers, de revalorisation des APL (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas le sujet !

M. Guillaume Gontard. … de respect de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), autant de réelles solutions susceptibles de protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 6 tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 91
Contre 253

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite
Article 1er A (début)

Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Denis Bouad. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Denis Bouad. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, bien souvent, pour être pertinente et efficace, une mesure politique doit s’inscrire dans un bon timing et porter un juste équilibre. Le texte dont notre assemblée doit débattre aujourd’hui ne satisfait pas ces deux exigences. À mes yeux, il n’est ni équilibré ni dans la bonne temporalité. Sur un sujet comme celui-ci, la complexité relève de l’arbitrage entre le droit à la propriété et le droit au logement.

Concrètement, il s’agit de concilier la protection des locataires et celle des bailleurs.

Nous nous devons de faire la différence entre certains faits divers médiatisés et la réalité des chiffres qui nous démontrent que, fort heureusement, ces situations restent exceptionnelles. Dans son rapport, la Défenseure des droits indique d’ailleurs que le squat reste un phénomène très marginal.

En 2021, sur l’ensemble du pays, seulement 160 squats de domicile ont été signalés. Et, selon les chiffres communiqués par Mme la rapporteure pour avis, il n’y aurait eu qu’environ 40 cas d’intervention effective de la force publique. Dans une grande majorité des cas, les propriétaires ont pu retrouver leur logement sans recourir à la justice. La loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique a également permis d’accélérer les procédures liées à l’occupation illégale d’un logement. Cela témoigne que l’arsenal législatif en vigueur nous permet déjà d’apporter des réponses à ces situations.

Aussi, sur ce point, nous nous retrouvons assez bien dans la position du président de notre assemblée qui, lors de ses vœux, appelait à une certaine forme de sobriété législative. Plutôt que de légiférer une nouvelle fois sur ce sujet, veillons à l’application du droit existant !

Au-delà de la simple question du squat, la protection des propriétaires contre des situations abusives est une préoccupation plus que légitime… Nous devons traiter ce problème, tout en conservant l’ambition de faire des expulsions une solution de dernier recours. Si celles-ci sont parfois nécessaires pour libérer le bien d’un propriétaire, il n’en demeure pas moins qu’elles créent des situations humaines compliquées.

La réduction des délais de traitement des contentieux telle qu’elle est prévue dans cette proposition de loi remet en cause l’ensemble du travail d’accompagnement social et de relogement. Cela pose d’abord la question de l’efficacité : dans des délais aussi contraints, comment mobiliser les aides nécessaires à une régularisation de la dette ? Comment, le cas échéant, chercher une solution de relogement ?

Toutes les associations du secteur nous le disent : le délai de deux mois entre le commandement de payer et l’assignation en justice n’est pas de trop ! Le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoyait de limiter ce délai à un mois…

Madame, monsieur les rapporteurs, vous avez reconnu le caractère contre-productif d’une réduction de la période au cours de laquelle la majeure partie des impayés se résolvent. Vous avez ainsi ramené ce délai à six semaines.

Si quinze jours de plus ou de moins ne bouleversent pas fondamentalement l’intérêt du propriétaire bailleur – cela peut même aller à l’encontre de son intérêt –, le même délai en plus ou en moins risque d’avoir des conséquences fort dommageables sur le travail d’accompagnement social qui doit être effectué auprès des locataires en difficulté.

Concrètement, mes chers collègues, ce texte nous conduit à légiférer pour réduire de deux semaines les délais de procédure de prévention des expulsions ! On y revient : c’est parfait… Au-delà de l’efficacité de cette mesure, dont on peut douter, s’agit-il pour nous, collectivement, d’une urgence et d’une priorité, alors même que les difficultés d’accès au logement et de maintien dans celui-ci persistent dans notre pays, voire s’aggravent ?

Mon groupe demande le maintien des délais actuels, nécessaires pour prévenir les expulsions, pour trouver les solutions d’une reprise des paiements et, au besoin, pour mettre en place un accompagnement social. Il s’agit là d’une demande forte de l’ensemble des acteurs de la solidarité.

Je tiens néanmoins à saluer le travail de Mme le rapporteur pour avis, lequel a permis de supprimer certaines dispositions totalement déraisonnables qui étaient inscrites dans le texte transmis par l’Assemblée nationale.

Je pense ici à l’amalgame qui était fait entre « squatteurs » et « locataires en défaut de paiement ».

Je pense aussi à la suppression de certaines prérogatives que le juge peut exercer d’office, et qu’il était question de conditionner à une demande des locataires.

Cela traduit l’ambition des auteurs de ce texte qui est de déséquilibrer le système existant, en fragilisant des locataires en difficulté et souvent de bonne foi.

Je salue également la proposition visant à renforcer le rôle des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex). Mais qu’en sera-t-il des moyens concrets pour agir ? Y aura-t-il davantage de personnel pour accompagner cette évolution ?

Si le contenu de cette proposition de loi nous pose question, pour les raisons que je viens d’évoquer, nous nous interrogeons également sur sa temporalité.

Dans cet hémicycle, nous avons eu régulièrement l’occasion de débattre de la crise du logement que traverse notre pays. Il y a seulement quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de finances, nous étions nombreux, sur les travées de cette assemblée, à partager cette préoccupation.

Aujourd’hui, en France, quelque 14,6 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement ; plus de 4 millions sont mal logées, dont 300 000 sont dépourvues de domicile ; 12 % des foyers sont en situation de précarité énergétique ; 2,2 millions de ménages sont dans l’attente d’un logement social.

Face à cette crise du logement, cette proposition de loi est à contre-emploi et à contresens.

Nous savons que des propriétaires peuvent se retrouver eux-mêmes dans une situation difficile, car ils subissent des impayés de loyers de la part de leurs locataires. Ces situations ne sont pas acceptables. Nous devons les regarder en face et, bien sûr, y répondre.

Ce texte, qui arrive après cinq ans d’une politique consistant à faire des économies sur le logement des ménages les plus modestes, est-il réellement de nature à sécuriser les petits propriétaires bailleurs ? Est-il de nature à inciter les investissements locatifs ? Est-il de nature à alléger les procédures de sélection appliquées au moment de la mise en location ?

Les rapports entre propriétaires et locataires sont certes importants, mais la réalité, aujourd’hui, qu’il s’agisse de location ou d’achat, c’est que les logements sont de plus en plus inaccessibles pour une grande partie de nos concitoyens. C’est l’un des principaux facteurs d’inégalité dans notre pays. Face à un tel défi, ce sont des politiques structurelles et ambitieuses qui doivent être mises en place.

En réponse à l’explosion des dépenses de logement, nous devons réfléchir à une revalorisation des aides au logement, et notamment à une réévaluation du forfait « charges » des APL.

Nous devons agir sur le prix du foncier en mettant en œuvre une réelle stratégie de mobilisation du foncier public.

Nous devons également permettre une réappropriation du bâti existant au travers d’un grand plan de rénovation afin de lutter contre la vacance qui impacte, en premier lieu, les territoires ruraux. Je rappelle, à ce titre, que plus de 3 millions de logements sont actuellement vacants.

Bien sûr, nous devons également accroître nos efforts en matière de rénovation thermique afin de favoriser les rénovations globales qui ont une réelle incidence sur la facture énergétique.

Enfin, nous devons construire davantage de logements sociaux. Ces dernières années, la fragilisation financière des acteurs a enrayé la dynamique de construction. Nous devons impérativement trouver un nouvel élan.

Monsieur le ministre, vous évoquiez l’objectif de construction de 125 000 logements, et de 250 000 sur deux ans. Nous en sommes à peine à 85 000 !

Alors qu’il était député, Victor Hugo, qui par la suite siégea dans cet hémicycle, interrogeait le législateur : « Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ? » Messieurs les ministres, mes chers collègues, je reprendrai cette logique : comment sécuriser les propriétaires bailleurs sans se préoccuper des locataires en difficulté ?

Des politiques volontaristes visant à diminuer le poids des dépenses de logement dans le reste à vivre des Français ne sont-elles pas la meilleure garantie que l’on puisse apporter aux petits propriétaires ?

Le groupe des sénateurs socialistes pense que nos politiques ont tout à gagner en termes d’efficacité lorsqu’elles s’attaquent aux causes plutôt que de traiter les symptômes.

Mme le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue !

M. Denis Bouad. Si certains des amendements qui seront débattus vont dans le bon sens,… (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rassure, je ne convoquerai ici ni Robespierre ni Jean Jaurès, mais plutôt, parce que l’urgence est là, les 400 millions de mal logés ainsi que les 170 propriétaires spoliés, pour rappeler que cette proposition de loi ne règle rien et ne répond pas au problème crucial qui se pose dans notre pays : avoir un logement digne.

Les récentes périodes de confinement ont démontré l’importance d’un logement de qualité pour bien vivre.

La présente proposition de loi porte un coup violent au progrès collectif visant à prévenir les expulsions locatives et les mises à la rue. De fait, elle fait fi des plus précaires. Sous couvert de rééquilibrage des rapports entre locataires et propriétaires, vous nous proposez, mes chers collègues, de criminaliser la précarité.

Dans cette proposition de loi, tout est mélangé et mis au même niveau. Rappelons que 170 foyers sont concernés par ce que l’on qualifie de « squat habité ». Leur situation est inacceptable, et le droit en vigueur permet d’ailleurs d’y répondre.

Pour autant, l’objet de cette proposition de loi n’est pas de résoudre cette situation. Au contraire, elle stigmatise les plus pauvres, ces femmes et ces hommes qui sont locataires et n’ont pas les moyens de payer leur quittance, dans des zones où la spéculation et le profit rendent les loyers de plus en plus chers, où les locataires sont, de fait, précarisés, et où le nombre de personnes sans domicile fixe (SDF) ne cesse d’augmenter.

Nous réaffirmons, à l’inverse, que l’urgence est aujourd’hui de défendre le droit au logement, le droit de chacun à une vie digne, quelles que soient ses difficultés.

L’urgence est d’éviter que davantage de personnes et de familles en situation de précarité ne se retrouvent demain à la rue.

Criminaliser la précarité sans même un mot contre les bailleurs spéculateurs et autres marchands de sommeil qui empêchent l’accès des plus pauvres à un logement abordable, stable et décent est inacceptable dans une République qui arbore avec raison sa devise, « Liberté, Égalité, Fraternité », sur les frontons des mairies.

Concrètement, ce texte prévoit une accélération considérable de l’expulsion des locataires en cas d’impayés de loyers, empêchant tout travail sérieux d’accompagnement et retirant à la justice son pouvoir d’appréciation. Environ 300 000 personnes sont actuellement sans domicile et plusieurs millions de nos concitoyens sont mal, voire très mal, logés, dans un pays qui compte plus de 3,1 millions de logements vides.

La plupart de ces personnes occupent pourtant un emploi, souvent précaire, qui ne leur permet pas d’assumer l’ensemble de leurs dépenses. Aucune d’entre elles ne s’invite chez quelqu’un pour y passer une nuit tranquille !

À l’heure de voter ce texte, ayons conscience qu’une personne expulsée ne pourra pas trouver d’hébergement après sa mise à la rue, et encore moins un logement. Elle est condamnée à vivre dehors, éventuellement avec sa famille.

Messieurs les ministres, en tant que représentants de la majorité présidentielle, vous pourriez me répondre que j’ai certes décrit une réalité, mais qu’il ne revient pas aux propriétaires de faire les frais de la pauvreté qui touche un nombre de plus en plus important de nos concitoyens. Je vous rétorquerais alors : « Que font le Gouvernement et la majorité présidentielle pour résorber cette situation ? »

Où sont les nombreuses propositions de loi qui permettraient de s’attaquer résolument à la spéculation foncière et immobilière, laquelle rend de plus en plus difficile l’accès au logement dans les grandes métropoles, là même où le travail précaire se concentre ?

Que fait la majorité présidentielle pour assurer des salaires et des pensions dignes permettant de se loger sans avoir à arbitrer, le 1er ou le 15 du mois, entre plusieurs postes de dépenses – payer le loyer, les factures d’énergie, remplir le frigo, s’acquitter des frais liés à l’éducation des enfants ?

La facilité consistant à stigmatiser les plus démunis n’est pas acceptable, et notre groupe l’a toujours refusée. Nous préconisons un tout autre projet pour notre pays !

Nous ne pouvons donc que dénoncer cette proposition de loi, laquelle ne sert in fine, au vu des premiers débats quelque peu chaotiques que nous avons eus au Sénat, ni les intérêts des propriétaires ni ceux des locataires.

En l’état, vous l’aurez compris, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)