Mme le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui vise à rééquilibrer les rapports locatifs, alourdis par des procédures trop longues et complexes, et à garantir un renforcement des moyens d’action face à l’occupation illicite des logements.

Ce texte, qui a été examiné d’abord par l’Assemblée nationale, a été durci par la mise en place de sanctions qui logeaient à la même enseigne squatteurs et locataires défaillants. Il était donc primordial de distinguer, comme les rapporteurs l’ont fait, les squats, pour lesquels la législation doit être renforcée, des situations d’impayés de loyers souvent liées à des accidents de la vie des locataires, qui requièrent un accompagnement précoce et adapté.

À ce titre, je tiens à saluer le travail mené par nos rapporteurs, Dominique Estrosi Sassone et André Reichardt, qui ont nettement rééquilibré l’organisation du dispositif et la gradation des peines. Ils ont su se saisir du sujet complexe des impayés de loyer auquel je m’attacherai particulièrement dans mon intervention.

En effet, à l’aune des échanges que j’ai eus avec les professionnels de mon département, j’ai déposé des amendements allant dans le sens de la position défendue par les rapporteurs et qui visent à en préciser ou modifier certains aspects.

J’exposerai rapidement mes propositions.

Tout d’abord, il me paraît nécessaire de rétablir le délai initial de deux mois entre la délivrance du commandement de payer et l’assignation en justice. Tous les acteurs de terrain nous le disent, dans ce laps de temps, plus de deux tiers des problèmes d’impayés sont résolus à l’amiable. Une réduction du délai mettrait à mal la capacité déjà contrainte des services sociaux à se coordonner et à se saisir des situations, ce qui pourrait produire un effet inverse à celui escompté.

Concernant la procédure contentieuse du litige locatif, pour une meilleure réactivité et pour pouvoir entrer en contact avec la personne concernée par un autre moyen que l’envoi d’un courrier, il apparaît indispensable de communiquer les coordonnées téléphoniques et les adresses électroniques. Je propose donc que cette transmission soit prévue dès la rédaction du bail.

Afin de préserver un climat de confiance, le partage d’informations doit être le plus lisible possible pour les personnes défaillantes. Je souhaiterais que les informations communiquées par les travailleurs sociaux et médico-sociaux, éléments strictement nécessaires à l’évaluation de la situation des ménages au regard de la menace d’expulsion, le soient avec l’accord du locataire, en respect des règles de déontologie.

Enfin, s’il apparaît nécessaire de durcir les sanctions s’appliquant à toute occupation frauduleuse d’un logement d’autrui, il est tout aussi nécessaire de garder le sens de la gradation : une peine de prison de six mois pour un locataire défaillant en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant abouti à un commandement de quitter les lieux ne me paraît pas être la bonne réponse. Je propose de maintenir comme seule sanction les 7 500 euros d’amende.

Plusieurs autres aspects du texte méritent aussi notre attention.

La prévention des impayés de loyers restera toujours la meilleure politique, qu’il faut privilégier pour éviter les situations trop souvent vécues comme des traumatismes par les familles et comme des injustices par les propriétaires. Nous le savons, une part importante des impayés a pour origine le conflit locatif. À défaut d’information et de relais à mobiliser, les locataires n’ont souvent comme seul outil de défense de leurs droits de locataire que la suspension du versement du loyer.

Il faut absolument assurer une meilleure identification des acteurs compétents pour agir en faveur de la réduction des conflits locatifs. Relevant de la compétence du pouvoir réglementaire, cette action se doit d’être renforcée pour mieux prévenir les situations d’impayés.

Concernant le rôle de la Ccapex, cela a été dit à plusieurs reprises, la coordination des acteurs est essentielle pour agir efficacement dans la prévention des expulsions. Je suis convaincue qu’il faut conforter la Ccapex dans ses actions et en faire le pilier central de la prévention de l’expulsion tout au long de la procédure. Je salue le travail de la rapporteure Dominique Estrosi Sassone sur ce point.

Nous voterons donc cette proposition de loi.

Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous occupe ce soir vise à mieux protéger les propriétaires de logement contre les squats.

Rien de plus traumatisant, en effet, pour les propriétaires que de découvrir qu’ils ne peuvent plus rentrer chez eux, car leur domicile est occupé illégalement, et ce alors même qu’ils sont tenus d’entretenir leur logement. Ils finissent par se retrouver engagés dans une procédure lourde, qui implique des frais d’avocats. Nous avons tous en tête des situations profondément injustes, notamment pour les propriétaires modestes qui ont acquis un logement grâce au fruit d’années de travail.

L’actualité récente, dont la presse s’est fait largement l’écho, a été ponctuée de situations dramatiques de squats qui ont indigné à juste titre tous les Français.

Voilà la raison d’être de ce texte, qui est équilibré. Je veux saluer ici le travail de notre commission des lois et de son rapporteur, soucieux d’assurer un équilibre entre la nécessité de lutter plus fermement contre les squats et l’indispensable sécurisation des rapports locatifs. La commission a repris une partie des travaux qu’elle avait menés en vue de l’adoption par le Sénat en 2021 de la proposition de loi de Dominique Estrosi Sassone tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, dont plusieurs dispositions figurent dans le texte de l’Assemblée nationale.

Sur le plan pénal, la distinction est faite entre la situation du squatteur, entré dans les lieux illégalement, et celle du locataire qui rencontre des difficultés pour régler son loyer. Pour mieux garantir le droit de propriété, la commission a créé une nouvelle infraction sanctionnant le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile et a élargi aux logements qui ne constituent pas un domicile le champ d’application de la procédure d’évacuation forcée prévue par la loi Dalo.

Notre texte vise donc seulement les comportements malhonnêtes, et non les locataires défaillants qui sont dans une situation économique difficile.

Naturellement, il est important d’accompagner parallèlement au mieux les personnes qui ont du mal à payer leur loyer, et de favoriser les conditions permettant de prévenir cette situation. Mais c’est précisément parce que des mesures d’accompagnement existent que nous devons également renforcer fortement les moyens de lutter contre les squats.

Rappelons que le droit de propriété est un droit fondamental consacré par l’Assemblée constituante de 1789 dans l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce droit est un des fondements de notre société. C’est pour cette raison que le Sénat avait souhaité par le passé sanctionner l’incitation au squat. Le nouvel article introduit en séance publique à l’Assemblée nationale vise à punir la propagande ou la publicité en faveur de méthodes visant à faciliter ou à inciter au squat par une amende de 3 750 euros. Il est en effet légitime que ceux qui font de la publicité pour encourager et faciliter le squat sachent à quoi s’en tenir.

On a vu ces dernières années fleurir des guides ou des manuels du parfait squatteur expliquant méthodiquement comment procéder pour préparer son occupation illicite sans risque et s’y maintenir au mépris des droits du propriétaire. Il s’agit là d’une insulte pour ceux qui voient leur droit fondamental de propriété bafoué et nié. Le pacte social républicain est rompu.

De manière plus insidieuse ou sournoise, la mal nommée Ligue des droits de l’homme considère que ce texte, et alors même que nous avons pris la précaution de distinguer les situations, vise à « criminaliser les victimes de la crise du logement » et affirme qu’il « s’attaque […] à toutes les personnes en situation de pauvreté ou de mal-logement » : il y a là une volonté de tronquer les choses et d’ignorer le travail minutieux du législateur, par pur dogmatisme.

Quant à la Défenseure des droits, elle n’a aucune considération pour les propriétaires victimes : à aucun moment, elle ne s’est autosaisie pour faire valoir leurs droits. Quand elle nous dit que ces mesures n’auront aucun effet, je m’interroge : y aurait-il deux poids, deux mesures ? Il y a là une lecture hémiplégique et sélective de la défense des intérêts fondamentaux des propriétaires victimes. Parler « d’acharnement contre les squatteurs, de discriminations, de criminalisation » est hors de propos. Je veux voir un déni de réalité dans le fait de ne pas prendre en compte ces situations d’occupations délibérées et caractérisées par des squatteurs professionnels et de se contenter de noyer tout cela sous le problème de la « crise du logement ».

Quand je vois qu’on minimise la situation en ramenant les squats à un phénomène marginal, je m’interroge.

Oui, le contentieux locatif n’a cessé de s’aggraver ces dernières années et essayer de traiter les cas les plus lourds d’occupations illicites est une nécessité pour rétablir la confiance des propriétaires, qui se sentent floués après avoir vécu ce genre de situation traumatisante.

Oui, nous assumons de renforcer les droits des propriétaires victimes de procédures interminables.

Telles sont les raisons pour lesquelles cette proposition de loi, enrichie par le Sénat, relève d’une impérieuse nécessité pour rétablir un début d’équilibre en faveur des propriétaires floués.

Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Else Joseph. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, si nous examinons ce texte adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale, c’est parce que les problèmes subis par les propriétaires, confrontés à des occupations qu’ils n’ont pas voulues, persistent.

Non, le squat n’est pas une opération festive, un acte de justice sociale ou une transgression qu’on pourrait comprendre ! C’est l’occupation illicite d’un bien immobilier qui porte préjudice aux droits légitimes d’un propriétaire. Un propriétaire privé des différentes facultés qui constituent classiquement le droit de propriété ; un propriétaire découragé parce qu’il se heurte à des difficultés juridiques et judiciaires ; un propriétaire qui, enfin, doit subir un maquis de procédures et des délais souvent trop longs.

Le terme « squat » peut contribuer à brouiller les consciences par l’emploi d’un mot anodin ou connoté. Il y a deux ans, ma collègue Dominique Estrosi Sassone et plusieurs sénateurs avaient déposé et fait adopter une proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière. Nos collègues députés ont fait le choix de déposer un texte différent, mais il reprend des dispositions de notre texte qui mettaient le doigt sur des problèmes réels. Je veux saluer cette avancée. Plusieurs points de notre droit pénal méritaient d’être complétés. Notre assemblée a été source de propositions.

Nous nous réjouissons d’abord de la création d’un délit spécifique d’occupation frauduleuse d’un logement appartenant à un tiers. L’exécution des décisions de justice est également un thème important : ces dernières ne suffisent pas à mettre fin à une occupation devenue doublement illicite, avec la violation d’une décision du juge. Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire qui a donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois sera donc aussi puni.

Ces deux dispositions n’affecteront pas les locataires bénéficiant de la trêve hivernale ou d’une décision de sursis à expulsion.

D’autres clarifications sont bienvenues.

La peine encourue par l’auteur du délit de violation de domicile est portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. C’est ce que prévoyait la proposition de loi de Mme Estrosi Sassone. Sur ce point, il fallait aussi clarifier les choses par une peine dissuasive, identique à celle qui punit le délit de maintien sans droit ni titre.

Dans cette même optique de clarification du délit de violation de domicile, le délit sera tout aussi bien caractérisé lorsque le logement est inoccupé et qu’il contient des meubles, peu importe qu’il constitue ou non la résidence principale de la personne y ayant son domicile. Le délit de violation de domicile sera également caractérisé, même si l’électricité et l’eau ont été coupées. Ces précisions mettent fin aux failles de la jurisprudence actuelle, qui est habilement exploitée par des personnes mal intentionnées.

Autre dispositif bienvenu : le constat de cette occupation pourra être fait par des huissiers et par le maire, qui devrait être davantage associé à la procédure.

Mais la lutte contre ces occupations illicites suppose que d’autres comportements soient également incriminés. Ainsi, se faire passer pour le propriétaire d’un bien en vue de sa location sera aussi puni, tout comme l’incitation au squat ou la publicité en ligne de méthodes visant à le faciliter. De telles dispositions figuraient aussi dans notre proposition de loi.

Enfin et surtout, le propriétaire doit être appuyé. Ainsi, alors qu’il est lésé dans l’exercice de son droit de propriété, il serait paradoxal que la législation n’en tienne pas compte, faisant comme si de rien n’était. Le régime de responsabilité de l’occupant sans droit ni titre devait être clarifié : le propriétaire doit donc être libéré de son obligation d’entretien du fait de l’occupation illicite.

Le propriétaire doit être appuyé en amont aussi, et non pas seulement pendant l’occupation illicite. Le bailleur doit être protégé dans l’exécution du contrat de bail. Le travail du juge ne doit pas seulement s’intéresser à une occupation illicite et à ses conséquences, mais aussi à l’exécution du contrat, qui peut être problématique.

Ainsi, l’inclusion systématique dans le contrat de bail d’une clause de résiliation de plein droit est bienvenue.

Mes chers collègues, je voterai donc pour ce texte, tel qu’il sera modifié par les amendements approuvés par la commission des lois. Il s’agit d’aider les Français dans leur vie quotidienne ; pour ce faire, je me réjouis que la voix du Sénat soit écoutée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite

Chapitre Ier

Mieux réprimer le squat du logement

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite
Article 1er A (interruption de la discussion)

Article 1er A

Le titre Ier du livre III du code pénal est complété par un chapitre V ainsi rédigé :

« CHAPITRE V

« De loccupation frauduleuse dun local à usage dhabitation ou à usage économique

« Art. 315-1. – L’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage économique à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

« Le maintien dans le local à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.

« Art. 315-2. – Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

« Le présent article n’est pas applicable lorsque l’occupant bénéficie des dispositions prévues à l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque le juge de l’exécution est saisi sur le fondement de l’article L. 412-3 du même code, jusqu’à la décision rejetant la demande ou jusqu’à l’expiration des délais accordés par le juge à l’occupant, ou lorsque le logement appartient à un bailleur social ou à une personne morale de droit public. »

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 36 est présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

L’amendement n° 58 est présenté par Mme Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 36.

M. Guy Benarroche. Par cet amendement de suppression de l’article 1er A, notre groupe entend affirmer que les personnes qui n’arrivent plus à payer leur loyer ne sont pas des délinquants.

Cet article reflète de façon singulière les priorités de l’auteur de ce texte. En instaurant un nouveau délit pénalisant l’occupation sans droit ni titre de tout local à usage d’habitation ou à usage économique, fût-ce une résidence secondaire, un appartement dépourvu de meuble ou un local commercial désaffecté, on fait primer de manière absolue la propriété immobilière sur la nécessité pour une personne de disposer d’un logement.

Par ailleurs, en visant également les locataires défaillants, cette disposition fait des personnes ayant du mal à payer leur loyer de véritables délinquants. Condamner des personnes en grande difficulté financière à une amende pouvant atteindre jusqu’à quinze fois le montant du revenu de solidarité active, le RSA, est aussi absurde qu’injuste : cela ne les aidera en aucun cas à régulariser leur situation, mais aggravera certainement leur précarité financière.

Notre groupe s’inquiète également des nouveaux pouvoirs conférés par cette disposition aux marchands de sommeil : des locataires liés par un bail verbal et victimes d’un propriétaire indélicat ou d’un faux bailleur pourraient être pénalement sanctionnés.

Nous ne cesserons de le rappeler au cours de l’examen de ce texte : ce n’est pas par choix, mais bien par nécessité que l’énorme majorité des personnes concernées choisissent de se maintenir dans leur logement lors des procédures d’expulsion, notamment en raison de l’absence totale de solution de relogement, alors que les pouvoirs publics peinent à résoudre la crise du logement et que la hausse générale des prix aggrave les situations de précarité.

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 58.

Mme Cécile Cukierman. Je ne reprendrai évidemment pas tous les arguments exposés par notre collègue Guy Benarroche en faveur de la suppression de cet article. Nous sommes là au cœur de ce texte, où deux projets s’opposent, voire s’affrontent, dans le respect du débat démocratique.

Le débat est pourtant biaisé, preuve s’il en est besoin que cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux du moment. Elle oppose le droit de propriété à un autre droit fondamental, celui de disposer d’un logement pour vivre dignement. La façon dont nous sommes logés a un impact sur les femmes et les hommes que nous sommes, sur les citoyens qui, ensemble, font société.

Pour notre part, nous sommes viscéralement convaincus que la qualité du logement est intrinsèquement liée à la qualité de vie, comme les récentes périodes de confinement l’ont démontré. Or que se passe-t-il aujourd’hui ? Les hébergements d’urgence sont saturés ; l’effort de construction n’est pas à la hauteur des besoins en logements sociaux.

Monsieur le ministre du logement, j’ai entendu votre plaidoyer en faveur de ce qui a été fait ces dernières années. Je pourrais vous rétorquer que c’est au cours de ce même premier quinquennat Macron que l’on a baissé les APL et fragilisé la capacité des bailleurs sociaux à construire davantage pour mieux répondre aux besoins. En tout état de cause, comme vient de le rappeler M. Benarroche, la réponse que vous apportez in fine – criminaliser les locataires en difficulté – n’est pas à la hauteur des besoins.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Reichardt, rapporteur. Comme vous l’avez vu, mes chers collègues, la commission a retouché l’article 1er A afin de mieux délimiter le champ des infractions et d’instaurer une meilleure gradation de l’échelle des peines. Elle ne souhaite pas pour autant supprimer entièrement cet article, considérant qu’il est important de garantir le respect du droit de propriété. Aujourd’hui, le code pénal sanctionne seulement le squat du domicile, au nom du respect de la vie privée, ce qui ne nous paraît pas suffisant pour couvrir toutes les situations.

La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression de l’article.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce que vient de dire M. le rapporteur est parfaitement juste. L’état actuel du droit ne couvre pas toutes les réalités. C’est bien pourquoi il est nécessaire de légiférer ; nous ne le faisons pas pour le plaisir !

Madame Cukierman, monsieur Benarroche, vous accusez ce texte de criminaliser les pauvres : vous ne le dites pas, mais c’est présent dans votre esprit. Ces mots sont excessifs, je vais vous expliquer pourquoi.

Le procureur de la République a toujours la possibilité de classer l’affaire sous condition ; en l’occurrence, sous condition de quitter le logement, par exemple. Le tribunal pourrait aussi retenir, dans certains cas extrêmes, l’état de nécessité.

Quant à l’amende prévue, monsieur Benarroche, vous dites qu’elle pourrait atteindre quinze fois le montant du RSA. Mais vous n’ignorez pas qu’on demande systématiquement à un prévenu, quand il comparaît devant une juridiction pénale, de justifier de ses revenus, car le juge a l’obligation, quand il prononce une amende, de la moduler en fonction des facultés contributives du condamné, de sorte que vos propos ne sont pas tout à fait justes ni exacts.

Alors, sortons de ces postures idéologiques ! Personne ici, me semble-t-il, n’a envie de criminaliser quiconque ; nous voulons simplement couvrir toutes les situations de notre actualité, de notre réalité, afin qu’il ne soit plus possible à quiconque de squatter des locaux qui ne lui appartiennent pas. Les choses me semblent plus justes ainsi.

Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements de suppression de l’article.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne veux pas parler d’idéologie, encore que ce ne soit pas un gros mot ! Il me semble simplement important de savoir quelle lecture chacun d’entre nous fait de la République, comment chacun l’imagine.

Concernant les locataires qui n’ont pas pu payer leur loyer, si le Gouvernement considérait de nouveau ce sujet comme très important, même si les chiffres semblent montrer que, jusqu’à ce jour – croisons les doigts ! –, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre d’impayés, il aurait dû consulter les acteurs du secteur et les élus locaux.

Il aurait surtout dû reprendre le débat sur la garantie universelle des loyers, mécanisme qui a été voté, je le rappelle, par les deux assemblées. Cette solution a été défendue par notre ancien collègue Jacques Mézard, que personne ne pourrait taxer de bolchevisme, en tant que rapporteur du groupe du travail qui lui était consacré.

La garantie universelle des loyers n’aurait pas ruiné le pays. En effet, au bout de deux ans, 80 % des impayés sont résolus. Elle avait l’immense avantage d’obliger les propriétaires voulant en bénéficier à signaler dès le deuxième mois – d’ailleurs, la rapporteure pour avis reprend ce délai – la situation auprès des comités compétents, afin qu’ils puissent déterminer si le locataire a besoin d’une aide sociale ou s’il est potentiellement de mauvaise foi. Dans tous les cas de figure, le propriétaire était payé et l’État pouvait se retourner contre les locataires de mauvaise foi.

On aurait pu reprendre ce débat, plutôt que de le mélanger avec le cas des squats. À ce propos, on pourrait se demander pourquoi tant de laxisme du temps de M. Sarkozy, ou de M. Chirac…

Mme le président. Merci, ma chère collègue ; je ne puis vous laisser dépasser votre temps de parole.

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. À entendre le débat sur ce texte, on pourrait croire que l’on part de rien. M. le ministre a pourtant rappelé que la violation de domicile est déjà un délit, puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Je ne vois donc pas vraiment ce qu’apportera le fait de passer à trois ans de prison et 30 000 euros d’amende, puisque vous-même, monsieur le ministre, avez très bien expliqué que la difficulté essentielle est l’application de la peine. La vraie responsabilité consisterait déjà à appliquer les peines prévues.

Je le répète : au travers de ce texte, on procède à une vraie criminalisation de la précarité, tout en se montrant incapable de répondre à la question du relogement, en l’absence d’une politique satisfaisante du logement. C’est là qu’est le problème !

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 36 et 58.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 61, présenté par Mme Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer les mots :

ou à usage économique

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Je voudrais d’abord dire un petit mot de la proportion de petits propriétaires parmi les détenteurs du parc immobilier locatif : 3 % des propriétaires possèdent 50 % de ce parc.

Après avoir apporté ce point de repère, je voudrais poser une question aux auteurs de ce texte…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ils ne sont pas ici !

M. Pascal Savoldelli. Pourquoi avez-vous, à cet article, ajouté aux logements les locaux « à usage économique » ? Je ne voudrais pas voir un loup se cacher là où il n’y en a pas ; simplement, alors que nous vivons actuellement un important mouvement social, je me rappelle que certains mouvements sociaux, à un moment donné, conduisent à l’occupation par les salariés des locaux de certaines entreprises. Alors, quelle réalité d’une ampleur considérable représente selon vous un tel problème qu’il faille inscrire à cet article les locaux à usage économique ? Que se passe-t-il, en matière de squats de tels locaux, qui nous ait échappé ?

Nous déterminerons notre position en fonction de l’explication qui nous sera fournie.

Mme le président. L’amendement n° 15, présenté par MM. Patriat, Richard, Théophile, Mohamed Soilihi, Buis et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 4

Remplacer le mot :

économique

par les mots :

commercial, agricole ou professionnel exploité

La parole est à M. François Patriat.