Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. On est bien d’accord !

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.

Mme Marie Mercier. Lorsque nous avons travaillé au sein de la commission d’enquête Hôpital, nous avons sorti un rapport d’information dont le titre était : Hôpital : sortir des urgences. Nous avions hésité avec un autre titre : Lhôpital en affection de longue durée (ALD)

Il est vrai que nous avons toujours bien posé les diagnostics. Nous avons pris des photographies de la situation, fait des constatations. Pourtant, chaque fois, nous butions sur les solutions à proposer. Je félicite vraiment notre collègue d’avoir proposé une solution innovante. La contrainte suscite l’imagination !

Pour rebondir sur les propos précédents d’une collègue, nous souffrons également d’une médecine extrêmement administrative. Autrefois, dans les couloirs d’un hôpital, on voyait beaucoup de chariots de médicaments ; à présent, on voit des personnes avec des dossiers sous le bras qui filent à une nouvelle réunion de concertation, afin de voir comment s’organiser en mettant en place une autre organisation et une autre réunion…

Dans ce titre, je trouve intéressant le mot « soignants » : le diagnostic et le soin sont notre métier. Voilà ce que nous devons faire : prendre soin de nos patients, c’est-à-dire, mes chers collègues, de vous tous, qui êtes des patients en devenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.

Mme Sonia de La Provôté. Je m’associe également aux félicitations qui ont été adressées aux auteurs de ce texte.

La méthode des quotas est utilisée depuis fort longtemps par l’administration sanitaire pour supprimer des lits, et, en fonction du nombre de lits, supprimer des postes d’infirmier et de soignant, par exemple dans les hôpitaux. Il n’y a pas, d’un côté, des quotas utiles, lorsqu’ils relèvent de la bonne gestion, c’est-à-dire de dépenses moindres – c’est ainsi que l’on entend, depuis des années, la bonne administration sanitaire ! – et, de l’autre, des quotas inutiles, fixant des ratios de présence des soignants auprès des patients, libérant du temps pour les soins.

J’estime que cette proposition de loi a le mérite de remettre, d’une certaine manière, le soin au milieu de l’hôpital. Le plus bel hôpital de la terre ne sera rien sans soignants de qualité, sans prévoir pour ces derniers un temps suffisant passé auprès des patients. Cette proposition de loi remettra peut-être un peu d’humain dans un secteur des soins bien mal en point depuis de nombreuses années. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Je souhaite seulement rendre hommage à la proposition de loi de notre collègue Jomier. Je visitais vendredi l’établissement Paul-Brousse de l’AP-HP, situé dans mon département ; j’ai pu alors demander aux chefs de service et aux soignants que j’ai rencontrés ce qu’ils attendaient, à ce stade, des parlementaires. Deux chefs de service m’ont répondu : « Voter la proposition de loi Jomier. »

Au fond, c’est un hommage qu’ils nous rendent, mais c’est surtout l’expression de leur attente des moyens nécessaires à l’exercice de leur mission dans des conditions acceptables. Je respecterai donc leur injonction, même si c’était déjà mon choix, au préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour explication de vote.

Mme Corinne Imbert. Comme cela a été dit, cette proposition de loi est issue des travaux de la commission d’enquête demandée par notre groupe, dont Catherine Deroche était rapporteure et Bernard Jomier président. Je tiens à saluer le travail qui a alors été fait.

À un moment où l’hôpital n’a jamais été aussi fragile, où, après trois années de pandémie, les professionnels de santé sont épuisés, où nous n’avons jamais autant parlé d’attractivité des métiers et pas seulement dans le domaine de la santé, quel est le message essentiel derrière cette proposition de loi ?

La présidente Catherine Deroche l’a rappelé : le professeur Rémi Salomon, président de la CME de l’AP-HP, parle de ce texte comme d’un signal nécessaire à destination des soignants. L’enjeu est de stopper le départ des soignants de l’hôpital et de mettre un terme à la fermeture de lits, faute de personnel, y compris dans les services de soins palliatifs.

En effet, Michelle Meunier, Christine Bonfanti-Dossat et moi-même organisions hier une table ronde pour entendre diverses associations, au cours de laquelle il nous a été assuré que des lits sont fermés, y compris dans les services de soins palliatifs. Vous imaginez bien le drame, à la fois pour les patients et pour les familles. Ce sont ces situations que nous ne supportons plus.

Comme Catherine Deroche, je remercie la rapporteure d’avoir étalé dans le temps l’application de cette proposition de loi afin de la rendre plus réaliste. Je remercie également le Gouvernement de l’écoute qu’il accordera à cette proposition et du travail qu’il mènera afin que ces dispositions deviennent réalité et que des lits ne soient plus fermés, ce qui est insupportable pour tous les patients et soignants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Pour répondre à la question sur les dispositions de la loi Rist relatives à l’intérim, elles entreront en vigueur le 3 avril 2023.

Le travail en amont a été fait avec les ARS et les directeurs d’hôpital. Quant au travail préparatoire, il est en train de se faire, en concertation, bien sûr, avec les élus. Consigne a été donnée en ce sens aux ARS.

Madame Imbert, vous venez de le dire, il est insupportable que les lits ferment. Nous le savons tous. Pourquoi sont-ils fermés ? Parce qu’il n’y a pas plus de personnel soignant !

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Et pourquoi n’y a-t-il plus de soignants ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Ce n’est pas parce que les ratios seront appliqués que les personnels reviendront. Nous en sommes intimement convaincus, il faut prendre soin des patients avec les effectifs suffisants, au bon endroit, au pied du lit du patient. Et ce personnel doit être formé.

Permettre aux soignants de revenir travailler à l’hôpital, tel est l’enjeu auquel nous devons faire face, qu’il s’agisse de la qualité de vie au travail, de la flexibilité à l’échelle du service, de l’autonomie, de la liberté et de la confiance.

Si nous partageons la philosophie du travail mené par votre commission, madame la présidente, travail que je salue, nous n’apportons pas tout à fait la même réponse.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 117 :

Nombre de votants 336
Nombre de suffrages exprimés 272
Pour l’adoption 256
Contre 16

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, INDEP, UC et Les Républicains.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé
 

9

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse
Discussion générale (suite)

Droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse

Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (proposition n° 143, résultat des travaux de la commission n° 284, rapport n° 283).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse
Question préalable

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, dans sa version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 novembre dernier.

Ce texte n’est pas encore abouti – le rapport de la commission des lois du Sénat ne manque d’ailleurs pas de le relever –, mais il est le fruit d’un travail constructif et transpartisan entre les nombreux groupes politiques de la chambre basse. Je veux d’ailleurs saluer ici les présidentes de groupe Aurore Bergé et Mathilde Panot.

Depuis l’arrêt rendu le 24 juin 2022 par la Cour suprême des États-Unis, six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées sur les bureaux des assemblées. Six propositions, six visions différentes, et de beaux débats passés, présents et à venir devant vos deux assemblées.

L’importance des initiatives parlementaires dans cette matière démontre que le revirement de jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis a eu l’effet, chez nous, d’un électrochoc. Nous devons veiller à ce que la solidité de nos institutions se maintienne à l’épreuve du temps et à ce que ce droit, chèrement conquis, de chaque femme à disposer de son corps, soit préservé.

Disons-le, en la matière, nous ne partons pas de rien et il ne faut pas mésestimer l’œuvre du Conseil constitutionnel.

Celui-ci, depuis sa décision du 27 juin 2001, reconnaît en effet que le droit à l’IVG résulte de « la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Mais il s’agit à présent d’aller plus loin et de conférer un fondement constitutionnel autonome à l’interruption volontaire de grossesse en l’érigeant explicitement, au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en liberté fondamentale.

Pour toutes ces raisons, je persiste et je signe, le Gouvernement soutiendra toutes les initiatives parlementaires qui viseraient à constitutionnaliser le droit à l’IVG.

À ceux qui opposent à cette initiative parlementaire que le droit à l’avortement n’est pas menacé en France, je réponds ceci : n’attendons pas qu’il soit trop tard pour le défendre. Le droit des femmes à disposer de leur corps doit être inaliénable.

En 1975, Simone Veil expliquait que l’objectif du gouvernement était de créer « une loi réellement applicable, […] dissuasive, […] protectrice ». Le législateur, au travers de nombreux textes successifs, a atteint ces objectifs.

Mais l’objectif que nous visons aujourd’hui est autre. Il s’agit à présent de protéger ce droit en l’élevant au plus haut rang de la hiérarchie des normes, à savoir notre Constitution.

Ce faisant, nous donnerions à voir à toutes les femmes – je répète, toutes les femmes – qu’elles ont le choix, que celui-ci leur appartient, et qu’elles sont soutenues par la société tout entière dans ce choix.

Car, oui, les exemples étrangers partout dans le monde nous le démontrent, une démocratie digne de ce nom ne peut exister sans l’émancipation totale de la moitié de sa population !

J’appelle votre attention sur la nécessité de ne pas se tromper de débat. J’entends évidemment la commission des lois lorsqu’elle pointe qu’une telle inscription ne résoudrait pas les difficultés concrètes d’accès à l’IVG, qui peuvent se rencontrer sur le terrain. Le Gouvernement, notamment mes collègues François Braun et Isabelle Rome, est pleinement engagé pour rendre ce droit le plus effectif, concrètement, sur le terrain.

Mais il s’agit là de deux sujets différents : d’une part, l’effectivité d’un droit, d’autre part, sa protection juridique.

Si les modalités d’exercice du droit à l’interruption volontaire de grossesse doivent pouvoir continuer à être encadrées par le législateur, car il s’agit du niveau normatif le plus adapté pour le faire, le droit à l’interruption volontaire de grossesse lui-même ne doit pas être entravé, restreint ou, pis, aboli. Une garantie constitutionnelle peut nous l’assurer pour l’avenir.

Et ce pour une raison que j’avais évoquée devant vous au mois d’octobre dernier : constitutionnaliser le droit à l’IVG, c’est s’assurer que ceux qui auraient ce néfaste projet ne puissent le faire sans l’accord du Sénat. Oui, inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution, c’est garantir que le Sénat aura le dernier mot pour protéger celui-ci, comme il en a en déjà protégé tant d’autres, dans la noble mission qui est la sienne.

Vous l’aurez compris, tout comme la commission, le Gouvernement n’a pas changé d’avis : il est, lui, favorable à l’inscription du droit à l’IVG dans notre Constitution.

J’en viens maintenant au sujet qui est sans doute le plus complexe, comme en témoignent les nombreuses versions et amendements déposés dans les deux chambres : je veux bien sûr parler de l’emplacement et de la rédaction de cette inscription. (M. Philippe Bas acquiesce.)

Je le dis d’emblée, il nous faut faire montre de la plus grande humilité relativement à ces deux questions. Nul ne détient la vérité révélée et les propositions méritent toutes d’être examinées pour les avantages qu’elles contiennent, aussi bien que pour les réserves qu’elles entraînent.

L’emplacement de ce droit au sein de la Constitution n’est pas une question purement symbolique. C’est avant tout une question juridique. Or, je l’ai déjà dit, il ne faut toucher à notre Constitution, selon la formule désormais consacrée, que d’une main tremblante.

La commission des lois ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a relevé qu’une telle disposition devait trouver sa place dans notre Constitution, pour s’y fondre, au risque, sinon, de la fragiliser.

Le choix de cet emplacement sera également la traduction de la portée que le Parlement a voulu lui assigner. Il participera directement à donner tout son sens à la reconnaissance de ce droit.

À cet égard, M. le sénateur Philippe Bas a déposé un amendement ayant pour objet, outre qu’il propose une rédaction alternative, de placer la reconnaissance de ce droit à l’article 34 de la Constitution.

Je l’ai dit, cette proposition, comme les précédentes, mérite un examen attentif.

Sans déflorer les débats que nous aurons dans quelques instants, et malgré le fait, monsieur le sénateur, que, comme à votre habitude, vous ayez pesé chaque mot au trébuchet, la rédaction que vous proposez soulève plusieurs interrogations. Elle renvoie en effet entièrement au législateur le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les femmes peuvent recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

C’est, très exactement, l’état de notre droit.

Vous le savez, il résulte déjà de l’article 34 de la Constitution qu’il revient au seul législateur de prévoir les garanties, tout comme les limites, du droit à l’avortement.

C’est ce qu’il a fait encore récemment, par la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, ce dont, par ailleurs, je me réjouis.

J’entends votre argument : cet alinéa, en faisant référence à cette liberté qu’il revient à la loi d’organiser, consacrerait implicitement cette liberté au niveau constitutionnel. Le doute subsiste sur la réalité de cet effet.

Je comprends et partage par ailleurs votre souci de laisser une certaine marge de manœuvre au législateur : il est en effet souhaitable que les conditions dans lesquelles le droit à l’avortement s’exerce puissent évoluer avec le temps.

L’Assemblée nationale a, quant à elle, retenu la création d’un nouvel article 66-2. Cet emplacement a été choisi par les députés afin de donner une chance supplémentaire au texte d’être voté par le Sénat, puisque vous aviez rejeté, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques semaines plus tôt, la proposition de loi de votre collègue Mélanie Vogel, qui proposait le même emplacement. Le sujet reste donc ouvert sur ce point.

Par ailleurs se pose bien évidemment la question de la rédaction de cette inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Là encore, et à plus forte raison, il nous faut être humbles face à la tâche. Chaque mot doit bien évidemment être réfléchi, pesé, justifié. Et il ne s’agit pas là d’une entreprise très aisée.

Après le refus net du Sénat de constitutionnaliser le droit à la contraception, l’Assemblée nationale a fait un premier pas. Elle a ainsi renoncé, par son vote, à l’inscription du droit à la contraception dans la Constitution, recentrant ainsi la proposition sur la constitutionnalisation de l’IVG.

Pour motiver son refus, la commission des lois a, à son tour, relevé, à bon droit, les risques d’une rédaction inaboutie ou inadaptée.

Les termes retenus d’« effectivité et d’égal accès » semblent ainsi ouvrir un nouveau débat. Il est vrai, comme je l’ai indiqué devant l’Assemblée nationale, qu’une rédaction inadaptée pourrait conduire à consacrer un accès sans aucune condition à l’interruption volontaire de grossesse, par exemple à des IVG réalisées bien au-delà de la limite légale en vigueur.

Une écriture mal jaugée pourrait également se révéler trop rigide et empêcher une adaptation possible du dispositif actuel, si celle-ci était nécessaire, comme cela a été le cas lors de l’adoption de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, laquelle a permis l’allongement du délai légal de recours à l’IVG de douze semaines à quatorze semaines.

Vous l’avez compris, la tâche est ardue, mais la volonté est claire.

Le Parlement se mobilise comme jamais auparavant pour consacrer le droit à l’IVG dans la Constitution.

Le Gouvernement est venu, devant chaque assemblée, soutenir les initiatives, d’où qu’elles émanent, en participant aux débats, dans le rôle qui est le sien.

La navette parlementaire fait son œuvre, car je crois comprendre que l’Assemblée nationale a pris acte du premier refus du Sénat et vous présente une version prenant en compte un certain nombre de craintes.

Comme je vous l’ai dit, toutes les craintes ne sont pas levées, car l’œuvre est complexe. Mais l’espoir est permis, l’espoir que le Parlement, avec l’appui du Gouvernement, poursuive ses travaux pour trouver un accord. Il y va du droit des femmes à disposer de leur corps. Cela seul devrait suffire à nous convaincre tous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE et UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne faire ni plaisir ni tort, mais faire la loi, tel est notre mandat. Notre responsabilité de législateur est d’élaborer une norme avec une certaine hauteur, retenue et maîtrise, a fortiori quand celle-ci tend à réviser la Constitution.

Le 24 novembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté un texte porté par la présidente du groupe La France insoumise (LFI) visant, de nouveau, à inscrire dans la Constitution le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Aujourd’hui, il est soumis à notre examen.

Il tend à introduire un nouvel article 66-2 au sein du titre VIII consacré à l’autorité judiciaire, article selon lequel « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

La question n’est donc pas de savoir si nous sommes pour ou contre l’IVG. Ne nous laissons pas enfermer dans une lecture simpliste, binaire et, parfois, manichéenne.

La véritable question qui nous est posée est la suivante : faut-il réviser la Constitution pour y inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse ? Faut-il modifier la norme supérieure pour reconnaître la liberté pour toute femme de mettre fin à sa grossesse ?

Nous pensons que, même si l’opinion publique est forte, cette idée est une fausse bonne idée. En effet, si les députés ont supprimé la référence à la contraception, cette évolution n’est pas de nature à lever les doutes, déjà émis par le Sénat, sur la pertinence de la constitutionnalisation du droit à l’IVG.

Le 19 octobre dernier, notre assemblée a rejeté une proposition de loi similaire présentée par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. La majorité sénatoriale avait déjà jugé que la protection juridique du droit à l’IVG était très solide.

Comme vous le savez, l’IVG est inscrite à l’article L. 2212-1 du code de la santé publique, selon lequel « la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l’interruption de sa grossesse […] ».

La liberté de la femme d’avorter est, aujourd’hui, pleinement protégée par la loi du 17 janvier 1975 portée par Simone Veil, loi qui fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique, et à laquelle le Sénat s’est toujours montré fortement attaché.

L’accès à l’IVG n’a jamais cessé d’être conforté par le législateur : allongements successifs des délais, élargissement des praticiens pratiquant des IVG, amélioration de la prise en charge financière, suppression du critère de « situation de détresse » ou encore du délai de réflexion préalable.

Certes, le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré de droit constitutionnel à l’avortement, mais il l’a toujours jugé conforme à la Constitution, les quatre fois où il s’est prononcé sur le sujet : en 1975, en 2001, en 2014 et en 2016.

Le Conseil constitutionnel, peu importe le contexte ou l’époque, n’a donc jamais remis en question ce droit fondamental des femmes.

Depuis sa décision du 27 juin 2001, il rattache le droit à l’IVG au principe général de la liberté de la femme découlant de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qu’il concilie avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation.

La jurisprudence établie du Conseil constitutionnel offre d’ores et déjà une protection forte de cette liberté de la femme.

Dès lors, existe-t-il un réel danger de remise en cause de l’IVG en France ? Aucun groupe politique n’a jamais indiqué vouloir remettre en cause ce principe : il n’est donc pas crédible de soutenir que ce droit est menacé en France, de la même manière qu’aux États-Unis ou dans d’autres pays de l’Union européenne.

À cet égard, la situation institutionnelle de la France n’est en rien comparable à celle des États-Unis. Dire le contraire, c’est méconnaître la réalité profonde de la décision de la Cour suprême du 24 juin 2022, Dobbs v. Jackson, qui a renvoyé aux États fédérés la compétence pour légiférer sur l’avortement.

En France, la situation est radicalement différente. Notre République est une et indivisible. Le législateur national dispose ainsi d’une plénitude de compétences et les lois sont les mêmes pour tous.

En définitive, le dispositif « anti-Trump » envisagé par cette proposition de révision constitutionnelle n’a pas lieu d’être en France.

Je préfère donc rester fidèle aux conclusions rendues par le comité présidé par Simone Veil, en décembre 2008, qui avait recommandé de ne pas modifier le préambule ni d’intégrer dans la Constitution « des dispositions de portée purement symbolique ». Car ce n’est pas un symbole qui résoudra l’accès effectif à l’interruption volontaire de grossesse.

Je m’indigne, tout comme vous, des difficultés que rencontrent certaines femmes pour interrompre leur grossesse. Il est profondément inacceptable que des femmes qui souhaitent recourir à l’IVG ne puissent le faire dans de bonnes conditions, en particulier dans certains territoires.

Mais est-ce que la constitutionnalisation résoudra ce problème ? Malheureusement non, une telle voie est illusoire.

L’accès effectif à l’IVG en France impose des moyens supplémentaires pour le planning familial, impose l’accès à un médecin dans tous les territoires, impose le développement des mesures de prévention auprès des jeunes, impose un ensemble de mesures concrètes, d’ordre réglementaire ou législatif, mais en aucun cas de nature constitutionnelle.

Il est clair, par ailleurs, que la Constitution du 4 octobre 1958 n’a jamais été conçue pour qu’y soient intégrées toutes les déclinaisons des droits et libertés énoncés de manière générale dans son préambule.

Pourquoi, dès lors, se limiter à l’IVG et ne pas constitutionnaliser d’autres manifestations de la liberté, qui n’ont pas non plus, en tant que telles, valeur constitutionnelle ? Pourquoi ne pas inscrire dans le dur tous les droits et libertés reconnus par le Conseil constitutionnel ? Pourquoi ne pas inscrire demain tous les droits liés à la bioéthique ou à la fin de vie ? Parce que notre Constitution ne doit pas être un catalogue de droits au contenu limité.

Enfin, mes chers collègues, ce débat sur la constitutionnalisation n’est pas aujourd’hui abouti. La proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons, tout comme les multiples initiatives législatives, soulève l’épineuse question de la manière de réviser la Constitution.

La difficulté de trouver une place pertinente parmi les dispositions constitutionnelles témoigne de l’absence de cohérence de la proposition de révision avec le texte de la Constitution.

Son intégration au sein du titre VIII relatif à l’autorité judiciaire, juste après l’abolition de la peine de mort, a de quoi surprendre.

Les propositions d’inscription à l’article 34, qui détermine le domaine de la loi, ou à l’article 1er, qualifié d’« âme de la Constitution » par le doyen Carbonnier, ne sont pas plus satisfaisantes. Cette diversité démontre qu’il n’y a pas de place naturelle, dans la Constitution, où inscrire ce droit fondamental pour toute femme de mettre fin à sa grossesse.

En outre, la formulation proposée – « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’IVG » – laisse entendre que son accès pourrait être inconditionnel. Or le législateur doit pouvoir en fixer les conditions, comme pour toutes les libertés publiques : l’avortement ne saurait être un droit absolu, sans limites.

Enfin, je réitère les mêmes réserves de procédure qu’en octobre dernier : il convient d’avoir un débat serein sur les « mérites » d’une constitutionnalisation de l’IVG. Si ceux-ci étaient réellement démontrés, l’introduction dans la Constitution devrait suivre la voie d’un projet de loi constitutionnelle afin d’éviter de mettre au cœur de l’actualité, par un référendum, un sujet sur lequel il n’y a pas de débat public.

Pour toutes ces raisons, étant très attachée au droit à l’interruption volontaire de grossesse, composante de la liberté de la femme, je vous invite à ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot et MM. Philippe Bonnecarrère et Pascal Martin applaudissent également.)