M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, sur l’article.

M. Stéphane Ravier. Je l’ai dit et répété, j’ai même organisé un colloque ici même au Sénat pour le démontrer – et j’en ai d’ailleurs été très heureux –, la constitutionnalisation du droit à l’IVG est inutile et dangereuse.

Elle est inutile, car il n’y a pas de sujet chez nous en France : le droit à l’IVG n’est pas menacé.

Alors pourquoi cette proposition ? Pourquoi cette obsession de la gauche ?

La principale raison en est la frustration, la frustration politique.

(Dans lune des tribunes du public, plusieurs jeunes femmes se lèvent et scandent : « Protégez lIVG ! ». Elles sont évacuées par les huissiers.)

M. Stéphane Ravier. Si jeunes et déjà idéologiquement contaminées… (Brouhaha.)

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures onze, est reprise à vingt heures douze.)

M. le président. La séance est reprise.

Mes chers collègues, nous saurons qui a invité ces personnes : telle est la règle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Je vous rappelle que l’article 91 du règlement du Sénat prévoit que le public admis dans les tribunes se tient assis, découvert et en silence et que toute personne donnant des marques d’approbation ou d’improbation est exclue sur-le-champ.

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Stéphane Ravier. Je reprends donc mon propos, après l’interruption de ces agitées.

La loi de dépénalisation de 1975 a été pensée, rédigée et proposée par une ministre de droite, Simone Veil, soutenue par une majorité, un gouvernement et un président de la République de droite.

Depuis quarante-huit ans, la gauche ne l’a toujours pas digéré, elle rumine, elle enrage d’avoir été dépossédée de ce qui lui revenait idéologiquement de droit, au même titre que l’abolition de la peine de mort.

Elle a saisi une actualité tronquée venue d’outre-Atlantique pour, à grands coups d’agit-prop, comme l’a si justement qualifié l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, tenter d’imposer son hold-up politique. Comptant sur la faiblesse de ses opposants, qui s’est effectivement révélée à l’Assemblée nationale, elle souhaite récupérer son patrimoine idéologique.

Mais je vous mets en garde, mes chers collègues de droite : nous sommes en face d’une gauche française minée par son fanatisme, qui la poussera à exiger toujours plus de vous. Après la constitutionnalisation de l’IVG, ce sera la constitutionnalisation de la fin de vie et de l’euthanasie.

Si vous posez un genou à terre, elle exigera que vous posiez le second. Après que vous aurez posé le second, elle exigera que vous vous mettiez à plat ventre. Si vous vous mettez à plat ventre, elle vous fera ramper. Ce sont des fanatiques, ils n’en ont jamais assez !

M. le président. Veuillez conclure !

M. Stéphane Ravier. Alors je vous invite à rester debout, forts et fiers de votre vote. J’en appelle à votre courage et à votre esprit de résistance. Ne lâchez rien ! (Marques dimpatience et dexaspération sur les travées des groupes SER et GEST.) Notre vote nous engage tous… (M. le président coupe le micro de lorateur.)

M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue !

La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, sur l’article.

M. Philippe Bonnecarrère. Mes chers collègues, je propose que nous oubliions l’incident auquel nous venons d’assister.

M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas possible !

M. Philippe Bonnecarrère. Il est bien évident qu’il dessert la cause que ses auteurs voudraient défendre et, même si je ne souscris pas aux arguments de ceux qui soutiennent cette proposition de loi, je suis trop respectueux de l’importance que revêt le sujet pour que notre appréciation se fonde sur ce type d’incident.

Trois réserves justifient le vote négatif de la majorité du groupe UC sur cet article.

La première, vous le comprendrez, concerne notre Constitution. Elle est le socle qui nous a permis de faire face à des moments difficiles et c’est un élément de stabilité.

La Constitution, c’est d’abord le fonctionnement de nos institutions. Si, ce soir, nous faisions évoluer la Constitution vers un recueil de dispositions sociétales, je crois que nous ouvririons la porte à certaines difficultés et que nous ne rendrions pas service au fonctionnement de notre système.

La deuxième réserve tient au fait que la société française est déjà assez troublée. Des suggestions de référendum fusent sur d’autres sujets et je vous trouve bien « joueurs » d’envisager d’en passer par cette voie sur celui-ci.

Comme troisième réserve, alors que certains d’entre vous ont rappelé que les dispositions de la Cour suprême américaine ne nous concernent ni de près ni de loin, j’appelle votre attention sur le fait que, si vous raisonnez en considérant que notre système parlementaire pourrait être, demain, complètement renversé et que le Conseil constitutionnel pourrait revenir sur sa jurisprudence de 2001, un tel défaut de confiance tant dans le Parlement que dans le Conseil constitutionnel témoignerait d’un problème majeur dans notre société. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l’article.

Mme Françoise Gatel. Le sujet dont nous parlons est éminemment important : il s’agissait dans un premier temps de permettre l’effectivité d’un droit, puis nous avons fait un pas de côté pour répondre à une question portant sur la capacité de notre pays à faire respecter le droit à l’IVG, droit qui a été porté par une femme appartenant à la même famille politique que les membres du groupe Union Centriste.

Je regrette que, au sein de cet hémicycle, nous oubliions parfois que nous sommes dans un lieu de raison, un lieu de fabrique de la loi, un lieu d’opinions et de libertés. Je soutiens en tout point les propos qui ont été tenus par Mme le rapporteur, dont le discours est parfaitement rigoureux et factuel.

En outre, je trouve fort inconvenant que l’on ose évoquer ici, même si ce n’est pas dit clairement, mais par allusion ou sous-entendu, le fait qu’il y aurait le camp des bien-pensants et celui des conservateurs, qui seraient peut-être aussi des mécréants. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio applaudit.)

Enfin, malgré tout le respect que j’ai pour nos collègues socialistes, et je sais l’importance qu’ils accordent à ce sujet, je refuse que, si à l’issue de son examen cette proposition de loi n’était pas votée, parce que le délai imparti n’aurait pas été respecté, la responsabilité en incombe à ceux qui se seront exprimés – ils en ont le droit ! Il appartient à chaque groupe, quand il dispose d’une niche parlementaire, de choisir ses sujets, en tenant compte du temps qui est fixé à celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Bas, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »

La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Je vous propose d’effacer totalement la proposition qui nous vient de l’Assemblée nationale pour écrire que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

C’est une formule que l’on retrouve fréquemment dans l’énoncé des libertés constitutionnelles. Elle permet de préserver l’équilibre de la loi Veil et je me réjouis que, sur toutes les travées, on ait manifesté un si fort attachement à cette loi.

Elle permet aussi au législateur de ne pas abdiquer ses droits en faveur du pouvoir constituant, car la loi Veil pourra continuer d’évoluer. Vous savez que, si elle avait été cristallisée dans la Constitution, aucune évolution n’aurait été possible, y compris celles des dernières années.

Grâce à cet amendement, le sujet reste d’ordre législatif, mais s’il y avait un changement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse serait préservée.

Je ne crois à aucun moment à une telle évolution jurisprudentielle, raison pour laquelle je reconnais bien volontiers que cette garantie réelle est aussi virtuelle.

Toutefois, pour le cas où il y aurait une telle inflexion de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, je ne vois pas pourquoi nous nous priverions de l’avantage d’avoir inscrit dans le marbre de la Constitution une liberté qui est déjà reconnue comme une liberté de rang constitutionnel par le Conseil constitutionnel, et cela depuis plus de vingt ans, liberté à laquelle nous sommes tous profondément attachés. (Mme Elsa Schalck et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement qui vise à modifier entièrement et considérablement la proposition de loi est contraire à la position qui a été votée par le Sénat en octobre dernier et nous souhaitons rester cohérents.

Nous considérons que la loi Veil qui autorise l’avortement en France est une garantie forte pour les femmes et qu’il n’y a pas lieu de la constitutionnaliser, alors qu’il n’y a aucune remise en cause de l’IVG en France aujourd’hui.

À supposer que cet amendement, comme l’indique l’auteur, ne change rien à l’existant, la question se pose alors de savoir à quoi il sert.

Nous sommes opposés à la constitutionnalisation pour le symbole, car la commission des lois s’est toujours élevée contre un droit qui serait strictement « expressif ».

En réalité, sur le fond – l’auteur le reconnaît –, cet amendement n’ajoute rien au droit positif, puisque l’article 34 de la Constitution prévoit déjà que la loi détermine des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, ce qui intègre bien évidemment le droit à l’interruption volontaire de grossesse.

De plus – je le redis –, il est important que la Constitution de 1958 ne soit pas un catalogue de droits et de libertés qui en changerait la nature. Ce catalogue serait sans fin : on pourrait y ajouter la liberté de la femme, celle du mariage, celle d’entreprendre et bien d’autres encore.

Ensuite, Simone Veil avait elle-même dit – je le rappelle de nouveau – qu’on ne constitutionnalisait pas pour le symbole, mais simplement pour ajouter un droit nouveau, ce qui n’est pas le cas avec cet amendement.

En outre, si l’on considère qu’il est véritablement nécessaire de constitutionnaliser et de consacrer la jurisprudence du Conseil constitutionnel en ce qui concerne l’interruption volontaire de grossesse, alors, mes chers collègues, il manque une partie du raisonnement, puisque l’amendement ne fait pas expressément référence à la nécessaire conciliation avec la sauvegarde du principe de dignité de la personne humaine. Pourtant, le Conseil constitutionnel concilie toujours ce principe avec la liberté pour la femme de mettre fin à sa grossesse.

Enfin, dernier argument, je répète que nous sommes dans le cadre d’une proposition de loi et que cette procédure imposerait le recours au référendum. Or engager un référendum sur ce sujet ne serait absolument pas responsable.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le questeur Philippe Bas, vous disiez précédemment que j’avais les mains dans les poches ; je dois vous rappeler que non seulement je n’ai pas les mains dans les poches, mais que je n’ai pas non plus la langue dans ma poche. (Sourires.)

J’ai répété à de nombreuses reprises que le Gouvernement soutiendrait les initiatives parlementaires, de sorte que je trouve assez singulier d’entendre de votre bouche – je vous le dis avec beaucoup de sympathie – que vous auriez besoin d’une impulsion gouvernementale, vous qui vous faites si souvent l’ardent défenseur du parlementarisme et de ses initiatives pour la plupart – pour ne pas dire toutes – heureuses.

Pas moins de six textes ont été présentés et, avec la Première ministre, nous avons dit que non seulement nous les examinerions, mais aussi que nous les soutiendrions.

M. Loïc Hervé. Jusqu’au référendum ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Laissez le travail parlementaire se terminer, monsieur Hervé ! Nul n’ignore le principe de la navette.

M. Loïc Hervé. Il y a une Constitution, en France !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour le reste, je salue votre proposition, monsieur Bas, qui démontre à l’évidence – pour ne pas dire, comme toujours – votre volonté de parvenir à une écriture de compromis.

Je conserve toutefois un petit doute, comme je l’ai déjà dit, car il me semble que la rédaction que vous proposez reflète en fait l’état du droit.

Au regard de cet amendement qui fait un pas vers le compromis, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Max Brisson. Quelle hypocrisie !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Le débat porte d’abord sur l’amendement déposé par le questeur Bas, la position du Gouvernement étant une question dont nous pourrons discuter ensuite.

En ce qui concerne le groupe socialiste et aussi – mes collègues le diront, si le délai d’examen le permet – tous ceux qui ont soutenu la proposition de loi déposée par Mélanie Vogel au mois d’octobre dernier, nous voterons l’amendement de Philippe Bas.

Je voudrais dire à ceux qui pensent que la Constitution n’est pas faite pour être un catalogue que le droit à l’IVG n’est pas n’importe quelle liberté. Si nous en parlons aujourd’hui, c’est bien parce qu’il s’agit de la liberté et du droit des femmes que tous les gouvernements illibéraux remettent systématiquement en cause. Ceux qui disent qu’il n’y a pas de danger pour demain sont bien optimistes, mes chers collègues. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Écoutez ce que nous dit le sénateur Ravier ! Écoutez la forme et le fond de son intervention ! Qui d’entre nous peut dire que M. Ravier représente un courant politique qui ne ferait que 1,5 % des voix dans le pays ? M. Ravier représente un courant politique dont on sait très bien qu’il peut un jour gouverner ce pays.

Par conséquent, voter un amendement qui vise à inscrire dans la Constitution la liberté des femmes d’accéder à l’avortement, c’est envoyer un signal non pas aux jeunes gens qui manifestaient il y a dix jours pour demander au Sénat de ne pas voter la constitutionnalisation, mais à tous les progressistes qui veulent la constitutionnalisation de l’IVG, c’est-à-dire 81 % des Français.

Notre vote montrera à qui nous parlons : aux adversaires de l’IVG ou à ceux qui promeuvent les droits des femmes. (Vives protestations sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Les seuls qui nous demandent de ne pas voter la constitutionnalisation, les seuls qui manifestent pour cela, ce sont les adversaires de l’IVG. C’est à eux qu’il faut dire non !

Nous voterons cet amendement, parce que nous défendons le droit des femmes et leur liberté. Aucune femme ne peut en être privée. Tel est le sens de l’amendement de Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Il est tout de même troublant de constater que, dès que l’on aborde le sujet de l’interruption volontaire de grossesse, le débat devient passionné et tumultueux. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier proteste également.)

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. La faute à qui ?

Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues, écoutez mes arguments au lieu de vociférer ! Je n’ai encore rien dit. Vous ne pouvez donc pas savoir si vous allez vous inscrire pour ou contre ce que j’avancerai. Jusqu’à présent, je n’ai fait que constater que le débat était houleux, et c’est un fait.

Pour ce qui est de l’amendement de M. Bas, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, j’y vois un signe positif, parce qu’il pourrait permettre au Sénat, rassemblé, d’affirmer la nécessité de constitutionnaliser ce droit, et cela même si, avec l’ensemble de mon groupe, je considère que le mot « liberté » est insuffisant, car l’interruption volontaire de grossesse n’est pas seulement une liberté, mais aussi un droit chèrement acquis. Nous aurions donc souhaité que les deux termes soient mentionnés.

Je vous invite aussi à réfléchir : pourquoi, quand il s’agit du droit à l’interruption volontaire de grossesse, est-il toujours indispensable de faire des compromis et de l’encadrer, voire de dire – je l’ai entendu et, là encore, c’est un fait – que l’on ne peut pas mettre n’importe quoi dans la Constitution ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Entendez ce que nous demandons ! Nous souhaitons que ce droit soit considéré comme un droit fondamental parce qu’il l’est pour les femmes, qui sont des êtres majeurs à égalité avec les hommes dans ce pays et dans le monde, de sorte qu’elles doivent pouvoir décider d’avoir une grossesse ou pas, quand elles le souhaitent. Pour moi et pour l’ensemble de mon groupe, c’est un droit fondamental !

Il me semble, au regard de ce qui se passe dans le pays, que des collègues sur les travées d’autres groupes politiques peuvent souscrire à notre position. Je vous encourage donc à réfléchir et à voter l’amendement de M. Bas. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.

Mme Muriel Jourda. La situation est assez curieuse : Mme Cohen votera cet amendement, tout en étant en désaccord avec ses termes, et moi, je ne le voterai pas, tout en considérant qu’il constitue une amélioration par rapport à la rédaction initiale.

M. Patrick Kanner. Faites un beau geste !

Mme Muriel Jourda. Cet amendement me paraît en effet plus précis juridiquement, car un droit et une liberté ne sont pas tout à fait la même chose. Or, même si je ne dispose pas du temps nécessaire pour retracer la genèse de cette liberté qu’est l’IVG, il s’agit bien d’une liberté et non pas d’un droit. On peut donc au moins reconnaître comme mérite à l’amendement de Philippe Bas le fait de dire exactement ce que sont les choses.

Toutefois, je reprendrai l’argumentation de Mme le rapporteur, même si je le fais de manière beaucoup plus rapide. La liberté pour les femmes de pouvoir recourir à l’avortement découle d’une liberté déjà constitutionnellement reconnue et nous ne pouvons pas inscrire dans la Constitution toutes les libertés qui en découlent, sauf à en faire un code parfaitement inutilisable et qui ne remplirait plus la fonction à laquelle il est destiné.

Enfin, je voudrais rappeler – je l’ai déjà fait, mais manifestement il faut le répéter – que nous ne nous partageons pas ici entre partisans de l’IVG et opposants à l’IVG, comme je l’ai entendu dire. On peut parfaitement ne pas voter ce texte et être tout à fait favorable à la liberté des femmes de recourir à l’IVG.

Bien évidemment, on peut dire que les droits et les libertés ne sont jamais acquis – c’est exact. Mais il faut tout de même être sérieux : depuis 1975, les parlementaires – quelle que soit leur opinion sur la question, car il y a des parlementaires qui sont opposés à l’IVG et ils en ont le droit – n’ont jamais déposé un quelconque texte pour revenir sur la loi Veil. Les modifications qui lui ont été apportées – elles sont au nombre de sept – ont toujours rendu plus aisé l’exercice de cette liberté.

Arrêtons donc de nous faire peur avec des choses qui n’existent pas ! Aujourd’hui, rien n’est menacé et il est inutile de faire entrer dans la loi fondamentale une liberté qui n’a rien à y faire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. En préambule, et alors que certains ont cherché à opposer des camps, je voudrais dire qu’il n’y a pas d’un côté les spécialistes du droit et de la Constitution, qui seraient contre la constitutionnalisation, et de l’autre ceux qui seraient complètement hors sujet. Nous, qui sommes pour la constitutionnalisation, nous avons également la responsabilité pleine et entière de l’écriture de la loi.

Je remercie notre collègue Philippe Bas de cette rédaction de compromis qui pourrait nous rassembler et nous permettre d’avancer sur le chemin de la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Il s’agit pour moi non d’un symbole, mais de la protection d’un droit fondamental.

Je voterai, bien entendu, cet amendement de compromis, parce que personne ne peut garantir aujourd’hui que le droit à l’IVG n’est pas menacé. Certes, je ne peux pas vous dire qu’il l’est, mais vous ne pouvez pas non plus me dire qu’il ne l’est pas. D’ailleurs, la passion qui s’est parfois déchaînée dans les débats ce soir et certains des arguments qui ont été avancés le démontrent.

Je voterai donc cet amendement qui vise à garantir un droit fondamental pour les femmes dans la Constitution. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, SER, GEST et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote. (Protestations.)

M. Stéphane Ravier. Merci de votre accueil chaleureux !

Monsieur le sénateur Philippe Bas, je suis étonné à plusieurs égards par votre amendement.

Tout d’abord, il est étonnant venant d’un gaulliste : vous souhaitez participer à l’horizontalisation de la Constitution, qui est un texte de verticalité gaullienne, minant ainsi l’intérêt général qui avait présidé à sa rédaction. Vous contribuez à découdre notre contrat social et vous appuyez cette manie dangereuse d’en faire un self-service normatif.

Il l’est ensuite venant d’un opposant aux inutilités constitutionnelles : vous disiez en juin 2018 que l’introduction d’une mention à l’environnement à l’article 1er de la Constitution n’était « pas une question de numérotation, car cela ne change rien à ce que dit déjà la charte de l’environnement ». Ici non plus, ce n’est pas une question de numérotation et votre rédaction ne change rien à ce que dit la loi en vigueur.

Il l’est également venant d’un sénateur attaché au rôle du Parlement : vous choisissez de nous déposséder un peu plus de notre pouvoir de décision au profit d’un juge constitutionnel.

Il l’est encore venant d’un proche collaborateur de Simone Veil : vous prétendez soutenir l’esprit de sa loi qui était une dépénalisation. Or, en l’inscrivant sur la clé de voûte de notre édifice normatif, vous assumez de l’ériger en panacée sociétale.

Enfin, il l’est venant d’un élu de droite – je crois… – : vous validez, comme on l’a encore vu aujourd’hui dans les tribunes, l’initiative d’agit-prop de l’extrême gauche qui ne cherche qu’à procéder sur le dos de la Constitution à une OPA, une « opération politique sur l’avortement ».

Mes chers collègues, à votre tour ne tombez pas dans ce piège électoral ! Soyez fermes dans vos convictions, sinon – je l’ai déjà dit – jusqu’où irons-nous ? J’espère que vos votes d’automne ne se seront pas envolés sous l’action du vent mauvais venant de la gauche et que vous serez amenés, à la lumière des quelques paradoxes que je viens de soulever, à rejeter cet amendement, prélude au rejet du texte.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je veux simplement rappeler un point de droit. L’article 34 de la Constitution dans lequel l’amendement de notre collègue s’insère… (Mme Laurence Rossignol marque son impatience.) Je peux faire durer le débat, madame Rossignol, avec beaucoup de plaisir. Ce n’est pas mon objectif, mais je peux le faire, si vous le souhaitez, sans aucune difficulté.

Je disais donc que l’article 34 a pour vocation première de répartir les compétences du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. C’est sa seule vocation. Il résulte du fait que, sous la IVe République, les pouvoirs n’étaient pas clairement définis, ce qui a entraîné de l’instabilité, de sorte que le constituant de 1958 a voulu clarifier les choses.

Par conséquent, l’inscription de cet amendement à cet endroit précis de la Constitution ne changera rien. Il n’aura pas, en tout cas, l’effet juridique que certains souhaitent, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel continuera de s’appliquer.

Voilà simplement ce que je voulais dire pour que chacun ait bien conscience des enjeux.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. J’avoue que la position du garde des sceaux me laisse sur ma faim, si je peux m’exprimer ainsi. Il représente le Gouvernement et l’on aurait été content de savoir ce que comptait faire celui-ci, si l’amendement de M. Bas était adopté ou si, dans le cas contraire, le texte initial était adopté.

En effet, monsieur le garde des sceaux, nous avons été un certain nombre à vous interroger sur les intentions du Gouvernement et le calendrier envisagé et pour savoir s’il était opportun d’organiser un référendum dans le contexte actuel. Or vous ne nous avez pas répondu ; je le regrette, parce que ces questions mériteraient un éclaircissement.

En tout cas, un certain nombre de mes collègues seraient contents de savoir ce que compte faire le Gouvernement. Davantage que de nous dire que vous soutenez l’initiative, nous aimerions savoir comment vous allez le faire.

Ensuite, malgré tout le respect que je porte à notre collègue Philippe Bas, qui est un fin juriste, j’avoue que j’ai du mal à discerner ce qu’apporterait dans la Constitution la formule qui consiste à dire que la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de mettre fin à sa grossesse, car c’est déjà le cas. Par conséquent, qu’est-ce que cette formule apporte, sinon d’introduire un alinéa supplémentaire où figure non pas le terme d’« IVG », mais celui de « fin de grossesse » ?

Il faut le dire clairement : en réalité, la proposition de Philippe Bas ne change rien, il le reconnaît d’ailleurs lui-même. Je ne vois pas l’intérêt d’adopter quelque chose qui ne change rien… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote. (Marques dimpatience sur des travées du groupe SER.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. N’en déplaise à certains, je vais reprendre la parole, parce que je suis attristée par le tour que prennent nos débats.

Nous examinons un texte sur la constitutionnalisation de l’IVG et nous finissons par avoir un débat de fond sur l’IVG, certains voulant absolument nous entraîner dans une dialectique selon laquelle il y aurait d’un côté les gentils, ceux qui sont pour l’IVG, de l’autre, les méchants, ceux qui sont contre l’IVG. Or ce n’est pas le débat d’aujourd’hui, je le répète.

Je fais partie d’une génération qui dit merci à Simone Veil et je n’ai de leçon à recevoir d’aucun camp, quel qu’il soit. Nous avons tous eu nos combats ; nous avons tous eu nos engagements. Aujourd’hui, personne ne remet en cause l’IVG. On veut nous emmener vers un autre débat que celui de ce texte. Je suis désolée de dire à certains de nos collègues que ce n’est pas digne du Sénat. (Mme Muriel Jourda et M. Rémy Pointereau applaudissent.)