compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Daniel Gremillet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Conventions internationales

Adoption en procédure d’examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et la cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la cour

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l'exécution des peines prononcées par la Cour
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour, signé à La Haye le 11 octobre 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour (projet n° 196, texte de la commission n° 333, rapport n° 332).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l'exécution des peines prononcées par la Cour
 

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la principauté d’andorre relatif à l’exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à l’exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles (ensemble une annexe), signé à Andorre-la-Vieille le 4 mai 2021 et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à l’exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles (projet n° 143 [2021-2022], texte de la commission n° 251, rapport n° 250).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales
Discussion générale (suite)

Aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales (proposition n° 244, texte de la commission n° 331, rapport n° 330).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales
Article 1er

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous tenons entre nos mains un objet précieux, l’un de ces objets législatifs particuliers qui, dès la seconde même où ses dispositions seront appliquées, changera immédiatement des vies.

Parce qu’en cas de violences conjugales il est toujours difficile de tourner définitivement le dos à son bourreau, nous devons faire en sorte que, lorsqu’une femme décide de recouvrer une liberté qu’elle n’aurait jamais dû perdre, rien ne puisse freiner son courage.

Le drame de celles qui subissent au quotidien la violence de leur conjoint connaîtra, grâce à cette proposition de loi, un facteur contraignant en moins.

Bien sûr, si je le pouvais, si nous le pouvions, nous aiderions chaque victime de violence, physique ou psychologique, et nous ferions disparaître cette emprise mortifère par laquelle les hommes violents détruisent à petit feu leurs compagnes. Si je le pouvais, si nous le pouvions, nous aiderions chacune de ces victimes à boucler sa valise.

Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est agir en acteurs responsables des politiques publiques. C’est ce que fait le Gouvernement via le « pack nouveau départ », annoncé par la Première ministre dès le mois de septembre 2022. C’est ce qu’a fait la sénatrice Valérie Létard – merci, madame la sénatrice – en déposant cette proposition de loi. C’est ce qu’ont fait l’Assemblée nationale et le Sénat en l’adoptant à l’unanimité en première lecture.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincue que le texte que vous examinez aujourd’hui en seconde lecture fera de nouveau l’objet d’un vote favorable et transpartisan. Je m’en réjouis de tout cœur : face à ce fléau, seule l’union fait la force.

C’est pour que le dispositif convienne à toutes et s’adapte à chacune, quels que soient son parcours, son âge, son orientation sexuelle, son lieu d’habitation, son statut social ou sa profession, que le Gouvernement a souhaité modifier l’article 1er.

Les principes énoncés dans cette proposition de loi sont ceux qui sont portés haut dans notre République, ceux dont vous, mesdames, messieurs les sénateurs, représentants du pouvoir législatif, êtes les gardiens. Ainsi, nous l’avons élaborée de manière qu’elle ne contienne rien d’autre que des solutions pratiques, qui permettent aux femmes une aide concrète au départ.

Tout au long de ma carrière de magistrate, j’ai croisé des femmes qui n’étaient plus que l’ombre d’elles-mêmes. J’ai écouté leurs souffrances, des heures durant. J’ai dû juger, arbitrer, apporter une réponse pénale à leur calvaire.

Je me souviens de Giselle, séquestrée, violée pendant des mois chez elle par son conjoint, qui un jour, avec la complicité d’une amie, parvint à prendre la fuite. Je me souviens de Solange, qui réussit à partir, à 75 ans, après des années d’humiliations et de violences.

J’aurais voulu leur offrir bien plus, mais ce n’était pas mon rôle. Alors j’ai gardé leurs mots en mémoire, et je n’oublierai jamais non plus les visages de celles que je n’ai vues que sur photo, parce que c’était trop tard : comme Leïla, massacrée toute la nuit par son conjoint, devant ses trois enfants. J’aurais voulu aider Leïla à partir.

Ces femmes m’accompagnent chaque jour, particulièrement aujourd’hui. (Mme la ministre déléguée est gagnée par lémotion.)

Cette proposition de loi dont nous débattons à présent permettra à d’autres Gisèle, Solange ou Leïla de relever la tête et de recouvrer la dignité dont leur bourreau les a spoliées.

Chaque cas est unique et il nous faut apporter une solution, même aux cas les plus complexes.

Lorsqu’elle sera votée, cette proposition de loi viendra donc compléter et renforcer nombre de mesures que nous avons déjà mises en place, comme le « pack nouveau départ », que j’ai proposé à la Première ministre et qu’elle a annoncé au début du mois de septembre dernier. Ce dispositif vise à proposer aux victimes un parcours coordonné afin d’assurer le déblocage rapide de toutes les aides auxquelles elles peuvent prétendre. Le Président de la République a réaffirmé son caractère prioritaire le 25 novembre dernier.

Je pense également au Grenelle des violences conjugales, auquel j’ai activement participé lorsque j’étais au ministère de la justice et dont la quasi-totalité des mesures ont été mises en œuvre.

Grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, nous irons encore plus loin.

Selon sa situation, une femme victime de violences peut faire face à une multitude d’obstacles qui constituent autant de freins à son départ. Lorsque ces obstacles peuvent être levés par des politiques publiques, il est essentiel que nous soyons au rendez-vous.

Car c’est aussi dans ce moment charnière que les victimes sont les plus faibles, dans cette zone grise qu’elles ne connaissent que trop bien, dans ce moment où tout peut encore basculer et où l’emprise trouve toute la place de s’exercer. Nous pouvons alors, en faisant cesser cette situation de dépendance matérielle et économique, mettre fin à l’emprise et rompre le cycle de la violence. Tout non-départ, tout retour en arrière peut être fatal.

C’est pour cette raison que j’ai voulu que le prêt initialement prévu puisse aussi prendre la forme d’un don. Il est tout simplement impensable que la victime se retrouve en position de débiteur face à qui que ce soit du fait des actions qu’elle engage pour se protéger, parce que le déséquilibre provoqué par un départ peut faire vaciller une décision déjà difficile à prendre et donc fragile. Or nous voulons à tout prix éviter un faux départ.

Ce que nous proposons, c’est de poser le principe d’une aide financière d’urgence aux victimes de violences conjugales. Cette aide sera financée par l’État et prendra la forme d’un don ou d’un prêt, qui, le cas échéant, devra être remboursé par l’auteur condamné.

Ce dispositif émancipateur, lorsqu’il est attribué sous forme de prêt, aura le mérite de mettre l’auteur des violences face à sa responsabilité financière : celui-ci pourra, dans le cadre de la procédure pénale, se voir réclamer le recouvrement de l’aide accordée à la victime.

Nous faisons reposer notre proposition sur un triptyque alliant la souplesse, la rapidité et l’universalité : la souplesse, parce qu’il nous faut répondre aux besoins de chaque victime ; la rapidité, parce que notre réponse doit prendre en compte le fait que chaque seconde que la victime passe en compagnie de son bourreau est une seconde de trop ; l’universalité, parce que nous voulons que nos dispositifs soient accessibles, sans conditions de ressources, aux victimes qui en ont besoin.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que j’appelle de mes vœux devant vous, aujourd’hui, c’est que nous admettions ensemble que protéger nos concitoyennes du danger qui les guette dépasse les clivages partisans.

En votant ce texte, vous permettrez son application rapide. En votant ce texte, vous soulagerez les souffrances de celles qui veulent s’extraire des griffes de leur bourreau, vous leur donnerez le souffle pour partir et vous sauverez leur peau.

Quelle que soit notre appartenance politique, nous devons vaille que vaille protéger ces femmes.

À l’issue de cette séance, nous aurons la possibilité de sauver des vies. Nous aurons l’occasion de faire un pas de plus dans la lutte contre les violences faites aux femmes : saisissons-la !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Mme Valérie Létard applaudit.)

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 20 octobre dernier, le Sénat adoptait à l’unanimité la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, déposée par notre collègue Valérie Létard. Moins de quatre mois plus tard, le texte nous revient après avoir recueilli le vote, là aussi unanime, de l’Assemblée nationale, qui y a toutefois apporté des modifications substantielles.

La proposition de loi adoptée par le Sénat prévoyait un dispositif d’avances d’urgence, octroyées par les caisses d’allocations familiales (CAF), sous la forme d’un prêt à taux zéro. L’objectif de ces avances était d’aider les victimes à quitter le domicile conjugal alors que, en 2020, 19 % des femmes victimes ont déclaré subir des violences économiques, lors de leur appel au 3919, le numéro de la plateforme dédiée aux violences conjugales.

Le premier des trois versements mensuels constituant cette aide devait intervenir dans les trois jours ouvrés suivant la demande. Le dispositif et ses paramètres étaient issus d’une expérimentation menée dans le Nord par le conseil départemental et la caisse d’allocations familiales.

En outre, le texte que nous avions adopté assortissait le service de l’aide d’un mécanisme de remboursement par l’auteur des violences conjugales. La CAF avait la possibilité de se constituer partie civile pour le compte de la victime, si celle-ci renonçait à exercer ses droits, afin de récupérer les sommes sur les dommages et intérêts prononcés lors d’un procès pénal.

Nos collègues députés ont apporté au texte du Sénat des modifications qui ne sont pas négligeables. Certaines ont été proposées par le Gouvernement, qui, à cette occasion, est sorti de la réserve dont il avait fait preuve devant nous. Toutefois, la proposition de loi a gardé intacte l’ambition de donner aux victimes de violences conjugales, dans un délai très court, les moyens financiers pour se séparer du conjoint violent. C’est pourquoi la commission a adopté cette proposition de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale sans modification pour permettre son application rapide.

L’article 1er du texte, qui prévoit le dispositif de l’aide d’urgence, a fait l’objet d’un amendement de rédaction globale du Gouvernement largement sous-amendé.

Il faut souligner d’emblée notre satisfaction face au texte qui nous a été transmis. Le financement de l’aide d’urgence a été transféré de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) à l’État, qui assumera ainsi une mission lui incombant naturellement.

L’Assemblée nationale a également affirmé le droit de toute victime conjugale à bénéficier d’un accompagnement global.

Enfin, le Gouvernement a proposé des modifications que nous appelions de nos vœux, mais que les règles de recevabilité financière ne nous permettaient pas d’introduire. Ainsi, les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) se trouvent désormais intégrées au service de cette nouvelle aide, ce qui est nécessaire si l’on veut que le dispositif puisse s’étendre à leurs allocataires.

S’agissant des caractéristiques de l’aide, sa nature a été dédoublée avec la possibilité d’octroyer à la victime soit un prêt, soit une aide non remboursable, selon sa situation financière et sociale. C’était un point important.

La détermination du montant de l’aide a également été revue : le montant pourra être modulé, dans le respect de plafonds limitatifs, selon l’évaluation des besoins de la personne, notamment sa situation financière et sociale. De même, le montant devra tenir compte de la présence d’enfants à la charge de la victime, comme le Sénat le souhaitait. Cette modulation semblait impérative, alors que, dans la plupart des cas, les victimes ne quittent pas le domicile sans leurs enfants.

L’Assemblée nationale a également assoupli les délais pour le premier versement de l’aide. Le délai pourra, par dérogation, être porté de trois à cinq jours ouvrés, dans le cas où la victime n’est pas déjà enregistrée comme allocataire de l’organisme payeur. Cet allongement n’est pas souhaitable en soi, mais demeure plus conforme aux inquiétudes relayées par la Cnaf et aux délais qui pourront réellement être respectés par les caisses sur le terrain.

Enfin, toujours à l’article 1er, le mécanisme de récupération de l’aide a été amendé tout en conservant le principe selon lequel l’auteur des violences doit s’acquitter du paiement lorsque l’aide est versée sous la forme d’un prêt. Dorénavant, le remboursement fait partie des peines que les juridictions pénales peuvent prononcer contre l’auteur reconnu coupable, ainsi que des dispositifs à la main des parquets dans le cadre d’un classement sous condition de la procédure ou de mesures de composition pénale.

La navette parlementaire a donc enrichi l’article 1er de nouvelles dispositions. Toutefois, comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, celles-ci demeurent fidèles à l’objectif du texte adopté par le Sénat en première lecture. Nos collègues députés ont d’ailleurs maintenu inchangées les conditions d’octroi de l’aide d’urgence, ainsi que le bénéfice aux droits et aides accessoires au revenu de solidarité active (RSA), qui accompagne le versement de l’aide pécuniaire.

À l’article 2, les députés ont maintenu l’obligation faite aux gendarmes et policiers d’informer la victime déposant plainte de la possibilité de demander l’aide d’urgence.

En revanche, si l’enregistrement de la demande dans le commissariat ou la gendarmerie demeure une faculté, il n’est plus systématique. Sans doute les députés ont-ils estimé que de telles dispositions seraient appliquées par les engagements volontaires des acteurs du terrain, et non par la norme contraignante.

D’autres dispositions de la proposition de loi concernent son applicabilité aux outre-mer. Comme vous le savez, mes chers collègues, en proportion, les victimes de violences conjugales sont encore plus nombreuses en outre-mer que dans l’Hexagone. L’article 1er bis habilite ainsi le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter la loi à Mayotte.

Enfin, l’Assemblée nationale a inséré quelques nouveaux articles. Pour avoir examiné ces dispositions en commission, la sincérité m’oblige à dire que leur pertinence est toute relative. Toutefois, elles sont annexes au dispositif de l’aide d’urgence et ne gênent pas son application.

L’article 1er ter prévoit ainsi qu’une loi de programmation pluriannuelle détermine la trajectoire des finances publiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Pour symbolique et médiatique que soit cette disposition, elle est dépourvue de portée normative, le Gouvernement ne pouvant constitutionnellement être tenu de déposer un tel projet de loi.

Enfin, les articles 2 ter et 2 quater sont des demandes de rapport sur lesquelles – une fois n’est pas coutume – la commission a été indulgente.

En deuxième lecture, la commission a donc adopté sans modification le texte transmis, en raison du maintien de l’essentiel de la proposition de loi adoptée par le Sénat en première lecture et des améliorations introduites au cours de la navette parlementaire. Nous nous réjouissons notamment de la suppression de l’article 3 par amendement du Gouvernement, permettant ainsi de lever le gage financier.

Une adoption conforme du texte, aujourd’hui, signifierait une belle avancée d’initiative sénatoriale dans la lutte contre les violences conjugales.

Issue de l’expérience de nos territoires, cette proposition de loi, qui entrera en vigueur au plus tard neuf mois après sa promulgation, viendra utilement compléter les dispositifs existants. C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission vous invite à adopter la proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je renouvelle mes remerciements à notre collègue Valérie Létard pour la rédaction et le dépôt de cette proposition de loi, pour son obstination et l’énergie qu’elle a mise à la faire adopter, ainsi que pour la vigilance qu’elle a exercée tout au long du parcours du texte.

Je me réjouis que cette proposition de loi puisse être adoptée, aujourd’hui. Il est temps que la navette parlementaire s’arrête (Marques dapprobation sur toutes les travées.) et que le texte soit adopté, promulgué et mis en œuvre. Les femmes l’attendent et je crois que la version que nous voterons est la bonne.

L’un des premiers écueils auxquels les femmes sont confrontées lors de la dénonciation des violences subies est la crainte de devoir quitter le domicile et de se retrouver sans ressources, dans une précarité matérielle menaçant la survie quotidienne. Cette crainte est d’autant plus grande lorsqu’il y a des enfants à charge ; elle peut d’ailleurs être si forte que les femmes se refusent à demander de l’aide ou à dénoncer leur calvaire et se résignent à rester au domicile conjugal, qui devient pour elles une prison où l’auteur des violences les enferme.

C’est notamment pour cette raison que la défense de l’indépendance économique des femmes est cruciale. C’est une étape indispensable dans leur émancipation, qu’elles soient ou non victimes de violences. Nous avons progressé à grands pas sur le sujet grâce à la mobilisation féministe : accès au compte bancaire, droit de travailler sans le consentement du mari, suppression des interdictions professionnelles faites aux femmes et quantité d’autres mesures – la liste est longue et réjouissante.

Nous poursuivons cette mobilisation au travers de différentes initiatives mises en œuvre pour avancer sur le chemin de l’égalité professionnelle et pour faire tomber les stéréotypes qui entravent l’orientation des filles. D’ailleurs, en cette journée consacrée au numérique responsable, je souhaite attirer l’attention du Sénat sur la faible part de femmes qui œuvrent dans ce secteur, alors qu’il est celui des métiers de demain : on se prive ainsi de ressources humaines et l’on empêche les femmes d’accéder à des métiers qui deviennent de plus en plus importants.

Nous nous mobilisons également pour éliminer les inégalités salariales, accompagner les mères dans le cadre des familles monoparentales et défendre l’augmentation des bas salaires.

Nous avons déjà des outils pour cela. C’est la raison pour laquelle je défends régulièrement certaines propositions comme la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial ou encore l’augmentation du Smic, puisque – je le rappelle – 60 % des salariés au Smic sont des femmes, de sorte que, en augmentant le Smic, on augmente le salaire des femmes.

Mes chers collègues, nous fêtons cette année les cinq ans du mouvement #MeToo, qui s’est développé grâce aux témoignages et au mouvement féministe, grâce à la mobilisation des associations et de l’ensemble de la société et aussi grâce à celle des pouvoirs publics et – je peux désormais l’ajouter – des collectivités territoriales, ce qui est un élément nouveau dans la lutte contre les violences intrafamiliales.

En effet, j’ai constaté cette année que, lors du congrès des maires de France, un atelier était consacré – nous y étions, madame la ministre – à la manière dont les collectivités territoriales pouvaient s’impliquer dans cette lutte. D’ailleurs, sur le terrain, dans mon département, le sujet est traité en lien avec la gendarmerie, et comme délégués aux droits des femmes, nous nous en emparons : que peuvent faire les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et quelles réponses peuvent-ils apporter ?

Trois types de violences conjugales concernent les collectivités territoriales : celles dont sont victimes les habitantes dans les communes, celles dont sont victimes les fonctionnaires territoriales dans les communes ou les collectivités locales, celles qui sont subies par les conseillères municipales et les élues et – le sujet est parfois plus difficile – celles qui sont le fait de collègues conseillers municipaux. Malheureusement en effet, les statistiques globales ne varient pas, mais se retrouvent strictement à l’identique dans chaque catégorie et à chaque échelon de la société.

Cette mobilisation des collectivités territoriales est un élément important et encourageant dans la lutte pour éradiquer les violences faites aux femmes.

Sans me livrer à une digression trop longue, je citerai quelques-uns des nombreux chantiers qu’il nous reste à ouvrir : la restriction des modalités d’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement de l’auteur des violences, l’exclusion de la résidence principale de l’enfant chez l’auteur des violences, l’augmentation de la durée et de la portée de l’ordonnance de protection, la dissimulation de l’adresse de résidence et de l’école des enfants à l’ex-conjoint violent, le signalement à la victime de la remise en liberté de son agresseur présumé, le renforcement de la lutte contre les violences post-séparation, l’abrogation du délit de non-représentation d’enfant, qui est aujourd’hui une arme à fragmentation contre les mères qui cherchent à protéger leurs enfants. À cela s’ajoute le très beau chantier pour lequel, madame la ministre, je connais votre engagement et votre volonté de réussir – nous serons à vos côtés pour cela –, celui de la mise en place d’une juridiction spécialisée en matière de violences intrafamiliales, conjugales et sexuelles, qui rassemble justice civile et justice pénale.

La création d’une aide financière d’urgence à l’intention des victimes est donc un moyen concret et immédiatement mobilisable pour faciliter la sortie des violences. Le dispositif que vous proposez, chère Valérie Létard, ne résoudra pas tout, mais il est essentiel.

Les violences contre les femmes coûtent 3,3 milliards d’euros par an à la société. Par conséquent, les sommes que nous engagerons par l’intermédiaire des caisses d’allocations familiales seront bien peu, comparées au coût collectif que nous assumons du fait de ces violences. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales que nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture aura connu un parcours des plus tumultueux.

Cette proposition de loi de Valérie Létard reprend en effet une proposition de loi déposée par Michelle Gréaume au mois de février 2021. Je veux les remercier toutes deux, ainsi que notre rapporteure Jocelyne Guidez.

Face aux nombreuses insuffisances de l’action publique en matière de lutte contre les violences conjugales, le Gouvernement a déposé et fait adopter un amendement visant à réécrire intégralement l’article 1er.

Tout d’abord, nous saluons le fait que plusieurs amendements des élus du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), nos homologues à l’Assemblée nationale, aient été adoptés pour enrichir le texte et supprimer la condition que le Gouvernement avait instaurée sur la régularité au séjour et sur les difficultés financières immédiates. Une aide universelle se doit de l’être, même si elle est modulée en fonction des besoins.

Que la présence d’enfants à charge ait été prise en compte et que ce soit l’État et non plus la Cnaf qui gère ces dépenses de l’aide sont également des mesures positives.

L’introduction de l’article 1er ter qui prévoit une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre les violences faites aux femmes, en ciblant l’accompagnement psychologique et social, l’hébergement et la formation est extrêmement importante. Madame la ministre, même sans caractère normatif, pouvez-vous nous confirmer que, quand cette loi verra le jour, vous dégagerez les moyens nécessaires pour la mettre en œuvre, que ce soit pour le 3919, comme cela est d’ailleurs prévu, ou pour l’ensemble des associations qui nous alertent ?

De plus, le groupe Les Républicains et le groupe centriste de l’Assemblée nationale ont également enrichi cette proposition de loi.

Enfin, plusieurs amendements du groupe socialiste ont complété le texte, dont l’objet était notamment de préciser que l’accord de la victime était nécessaire avant l’information du président du conseil départemental.

Le texte est donc largement transpartisan.

Cette construction partagée s’explique en grande partie par la progression des violences conjugales dans notre pays. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, 213 000 femmes ont été victimes de violences physiques et sexuelles commises par leur partenaire ou ex-partenaire en 2019.

Le ministère de l’intérieur alerte sur l’augmentation de 20 % entre 2020 et 2021 du nombre des féminicides : 122 de nos sœurs, nos mères, nos cousines, nos voisines, nos filles ou nos amies sont décédées sous les coups d’un conjoint ou ex-conjoint, contre 102 en 2020.

Par conséquent, il est indispensable d’accompagner les victimes de violences conjugales pour les aider à sortir de l’emprise morale et économique exercée par le conjoint. L’instauration d’une aide financière d’urgence aux victimes permettra d’encourager cette démarche de départ salvatrice.

Nous ne pouvons que regretter, madame la ministre, si du moins vous me permettez de revenir sur le sujet, que la grande cause du quinquennat d’Emmanuel Macron ne bénéficie pas des 2 milliards d’euros qui sont demandés par les associations féministes afin d’engager une lutte véritablement efficace contre les violences, en agissant sur l’éducation et la prévention plutôt que d’attendre l’apparition des comportements violents.

J’en profite, madame la ministre, pour insister sur un point important : pour débarrasser notre société de ce fléau – je sais que c’est votre objectif –, je vous appelle à soumettre au Parlement, assez rapidement, un projet de loi-cadre sur les violences faites aux femmes, en vous appuyant sur le travail réalisé par les associations féministes, notamment le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF).

Tel est notre souhait, que, je le crois, nous partageons tous.

En attendant, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront en faveur de ce texte, en espérant une adoption conforme pour une entrée en vigueur la plus rapide possible. (Applaudissements.)