M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.

M. Guillaume Gontard. Les régimes spéciaux reviennent à chaque réforme comme le mal absolu. Je note d’ailleurs – cela a été dit – que l’on choisit ceux qui sont concernés… Pourquoi cet acharnement ? Pourquoi vouloir revenir sur ces acquis sociaux ?

Je pense que c’est tout simplement pour diviser, cliver, mépriser les travailleurs, opposer l’agent EDF aux contractuels, le conducteur de car Macron au chauffeur de bus de la RATP. Je ne vois que cette raison.

Le problème n’est pas le statut de la RATP – Raymonde Poncet Monge l’a rappelé –, mais c’est le fait que le chauffeur d’un car Macron n’en bénéficie pas.

Diviser pour éviter de parler des vraies inégalités, des vrais privilèges, des profits records, des profiteurs de crise.

Diviser pour éviter de parler de justice sociale et d’équité, parce que vous n’aimez pas cela !

Bien plus, l’article 1er est caractéristique de la méthode du Gouvernement : quelques petits accords avec ses alliés de droite, une absence d’études et d’analyses – on les attend toujours ! –, un nivellement par le bas. Bref, tout simplement du bricolage, à l’image de l’ensemble de ce texte !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, sur l’article.

M. Jean-Luc Fichet. Le Président Macron a supprimé des critères de pénibilité, en expliquant qu’il ne fallait pas donner le sentiment que le travail était pénible.

En visitant le marché de Rungis, le président a peut-être – je dis bien, peut-être – entendu que les horaires, les charges lourdes, le stress, les troubles musculo-squelettiques, la charge mentale sont autant de raisons qui rendent les métiers pénibles, difficiles et peu attractifs.

En visitant le salon de l’agriculture, le Président de la République nous a expliqué que le monde agricole travaillait beaucoup, que ses métiers étaient pénibles – pas de week-end ni de jour férié – et qu’il était important de regarder avec attention les conditions de travail de ce secteur. Il a expliqué que les difficultés du monde agricole justifiaient la retraite à 64 ans pour tous.

Je pense au contraire que nous devrions nous poser la question de créer de nouveaux régimes spéciaux pour tous ceux qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles – les salariés de Rungis, le secteur agricole, etc. Nous devons faire en sorte que ces métiers redeviennent attractifs, tant par les conditions de travail que par l’espérance d’une retraite agréable après la vie professionnelle.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, par cet article, vous comptez mettre fin à la plupart des régimes spéciaux que notre système de retraite permet actuellement. Ces régimes constituent, selon vous, une dépense exagérée qui ne serait plus soutenable par notre système de retraite.

En réalité, et vous le savez, les dépenses liées aux régimes spéciaux demeurent contenues en proportion des recettes totales de cotisations sociales.

Plus encore, ces régimes permettent à des secteurs et à des cadres d’emploi de rester attractifs là où la main-d’œuvre, pourtant essentielle, peine à être trouvée.

Par ailleurs, nous avons bien noté – c’est un exemple – que vous préservez la faculté pour les hauts fonctionnaires de cotiser, donc de bonifier leur future retraite sans exercer la mission de service public en rapport avec cette retraite future – ce n’est pas un regret de ma part, bien au contraire.

Vous demeurez dur avec les faibles et faible avec les forts ! Avec cet article 1er, nous avons une fois de plus la preuve que, depuis 2017, votre grand œuvre est bien de casser tous les statuts un tant soit peu protecteurs.

Le « quoi qu’il en coûte » socialement comme viatique politique, voilà votre seule boussole ! Ce n’est pas comme cela que l’on donnera au travail la place et la valeur qui doivent être les siennes en France et qu’appellent de leurs vœux toutes les composantes de notre société.

Plus encore, monsieur le ministre, au-delà de ceux qui sont directement concernés par les régimes spéciaux, les Français ne veulent pas de votre réforme. Écoutez-les !

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, sur l’article.

Mme Angèle Préville. Prévoir dès le début de l’examen de ce projet de loi de supprimer certains régimes spéciaux, c’est agiter un chiffon rouge ! Que pensez-vous faire ? Diviser les Français, les monter les uns contre les autres ? Pourquoi certains régimes et pas les autres ? Quelles sont les justifications de ce choix ? Au fond, pourquoi les supprimer ?

Les régimes spéciaux, c’est une longue histoire sociale de conquêtes de haute lutte, car, il faut le rappeler, rien n’a jamais été donné. C’est tout simplement la prise en compte de la dureté du travail, ce que l’on appelle maintenant pénibilité. Oui, certains métiers sont durs, abîment.

Finalement, avons-nous abandonné l’idée même de progrès social ? Oui, j’ai bien dit progrès, ce n’est pas un gros mot : le progrès, c’est un avenir qui donne envie. C’est tout l’archaïsme de ce débat : il est déconnecté de la transformation profonde de notre société, qui aspire à mieux vivre au travail. Au regard de toute la richesse produite dans notre pays, d’autres financements sont largement possibles. Voilà le vrai défi que ce texte devrait relever ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier article de ce projet de loi prévoit la suppression de régimes de retraite spécifiques à un certain nombre de professions.

Cette place, en début de texte, ne doit rien au hasard. Elle est étonnante : on aurait pu débattre du rétablissement d’un certain nombre de facteurs de pénibilité au travail, on aurait pu débattre de progrès social… Non !

En réalité, la ficelle est un peu grosse. Personne n’est dupe de cette tentative de diversion. Vous voulez monter les Français les uns contre les autres, mais vous n’y arriverez pas. Il n’y a aucune justice sociale, aucun progrès social dans le recul des droits des travailleurs. Personne ne souhaite niveler par le bas les conditions de travail. Vous ne parviendrez pas à briser l’union de tous les travailleurs contre votre projet de réforme.

Cela a été dit, la particularité des régimes spéciaux ne vient pas de nulle part. Elle est le fruit d’une histoire, l’histoire sociale de notre pays, de notre République – parce que, oui, la République française est sociale. Justement, où sont les défenseurs de ce roman national, des valeurs de notre République ? Où sont celles et ceux qui n’ont de cesse de défendre l’universalisme, ce phare que devraient être la France et son modèle, celles et ceux qui ont la République à la bouche, mais uniquement pour nous diviser ?

Nous sommes face à une crise du travail, de l’emploi de l’attractivité d’un certain nombre de métiers, qui met notamment à mal nos services publics. Votre engouement à détériorer en permanence les conditions et statuts de celles et ceux qui portent notre société, les essentiels, les premiers de cordée met à mal notre société et notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.

M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, comme agriculteur, je suis rompu à des conditions de travail difficiles. Je crois pouvoir en parler.

Comme parlementaire, je me suis spécialisé dans les questions de transport et j’ai réalisé diverses immersions pour mieux comprendre ce milieu. J’ai ainsi accompagné un conducteur de train – ce n’est pas l’objet de nos débats – et un conducteur de métro. Je pourrais vous en parler, mais je vous parlerai plutôt des conducteurs de bus de la RATP de la grande couronne. Allez faire un tour dans les bus de nuit dans la Seine-Saint-Denis : vous verrez l’épreuve que représente le contact avec des usagers à la limite de la violence. Vous verrez si de telles situations font envie !

M. Philippe Pemezec. La Seine-Saint-Denis, c’est vous qui l’avez faite ainsi !

M. Olivier Jacquin. J’ai envie de vous parler de ce régime spécial de la RATP, avec ses horaires atypiques, la fréquence des astreintes, l’usure physique, pour les uns liée au travail souterrain, pour les autres, soumis au contact avec des usagers difficiles, au travail en surface, à l’air libre.

Dans un contexte d’ouverture à la concurrence, de crise du recrutement, le mal-être des conducteurs est important. Plus de 4 000 offres de conducteurs ne sont pas pourvues en Île-de-France.

La dérégulation que vous proposez via la suppression du régime spécial de la RATP ne facilitera certainement pas les choses, bien au contraire : elle contribuera à rendre cette profession encore plus injuste. C’est absolument inacceptable et c’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, sur l’article.

M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le système de retraite est un ensemble complexe, qui produit de multiples interactions. Dès lors que l’on modifie l’un des éléments, celui-ci interagit avec d’autres, générant des effets induits, qu’il est important de discerner. C’est pourquoi le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est trop étriqué pour traiter l’ensemble du sujet.

J’en veux pour preuve – nous en avons discuté hier – l’irrecevabilité de nombreux amendements et les nombreuses demandes de rapports, dès lors que l’on est en dehors du cadre de financement de la sécurité sociale. Nous abordons l’article qui supprime certains régimes spéciaux sous un angle budgétaire, sans nous soucier d’une vision globale sur ces régimes et des conséquences qui découleront de leur suppression.

Comme l’ont souligné de nombreux orateurs, ces régimes spéciaux sont le fruit d’une histoire, l’aboutissement de longues négociations, la prise en compte d’une spécificité liée aussi à l’intérêt national.

Ils sont souvent discrédités et jetés en pâture à l’opinion, sans tenir compte de l’ensemble des conditions dans lesquelles s’exercent les professions concernées, de leurs contraintes particulières, certes, mais aussi de l’ambition qui a présidé à leur création : en 1945, il fallait reconstruire, relever les défis et mobiliser l’ensemble des acteurs et des citoyens.

En 2023, nous avons l’immense défi de la transition énergétique, du développement des transports collectifs, des énergies et mobilités. Tels sont les enjeux pour lesquels il faut désormais une ambition politique. Cette ambition ne pourra jamais être atteinte en stigmatisant ceux qui doivent en être les acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’attaquer l’examen des très nombreux amendements à l’article 1er, je souhaite réagir à ce qui a d’ores et déjà pu être dit sur les régimes spéciaux.

Premièrement, il ne s’agit pas de supprimer les régimes spéciaux : il s’agit de fermer le régime de retraite. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Les autres risques de sécurité sociale continueront à être couverts par les régimes spéciaux.

Attention, chers collègues du groupe CRCE ! Vous qui êtes férus de sémantique, soyez prudents : ce n’est pas une suppression, c’est une fermeture, et d’un seul risque.

Mme Annick Jacquemet et M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Deuxièmement, vous avez beaucoup fait appel à l’histoire. Pour ce qui me concerne, je respecte l’histoire et ceux qui se sont battus pour ces régimes spéciaux – ils font, de fait, partie de l’histoire. Reste que nous avons avancé : les choses se passent différemment aujourd’hui. Cela me fait penser à la « mutabilité », terme qui désigne l’adaptation à la vie contemporaine, dans l’intérêt général.

Puisque vous demandiez un référendum hier, je vous propose d’organiser un référendum pour demander aux Français s’ils veulent ou non maintenir les régimes spéciaux. (Chiche ! et vives exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Vous verrez que le résultat ne sera pas le même, parce que les choses ont changé ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. le président. Mes chers collègues, c’est encore moi qui fais la police dans cette assemblée !

De la même manière que nous avons écouté tous les intervenants à l’article 1er, nous écouterons dans le calme tous ceux qui défendent leur amendement. Je vous demande de ne pas interrompre les orateurs qui ne sont pas membres de votre groupe.

Veuillez poursuivre, madame la rapporteure générale – et vous seule. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Je tiens à rappeler que les régimes spéciaux devaient avoir un caractère provisoire lorsqu’ils ont été créés, ainsi que cela transparaît dans la rédaction de l’article L. 711-1 du code de la sécurité sociale : « demeurent provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale […] les branches d’activités ou entreprises… » Les régimes spéciaux n’étaient pas faits pour durer.

Vivait-on après la Libération comme l’on vit aujourd’hui ? Non !

Ces métiers sont-ils aussi pénibles qu’ils l’étaient hier ? (Oui ! sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Non !

Quand on parle par exemple des conducteurs de bus aujourd’hui, ne doit-on pas réfléchir en termes de branche plutôt que de statut ? (Marque dapprobation sur les mêmes travées.) Il me semble que oui. Être un chauffeur de la RATP à Paris, n’est-ce pas la même chose que l’être dans une autre ville ? Je pose la question.

Ces débats ont lieu dans toutes les familles. Tous se demandent : est-ce juste ? Est-ce équitable ? Non, cela ne l’est pas.

Si nous souhaitons fermer ces régimes spéciaux de retraite, c’est parce qu’ils sont, aujourd’hui, déficitaires et qu’ils le sont de façon importante.

Il n’est qu’à regarder le coût de la subvention publique versée à la SNCF – sa situation est différente, puisque ce régime est déjà fermé, mais l’État compense encore, et aujourd’hui encore plus qu’avant –, à la RATP et aux industries électriques et gazières : 5,7 milliards d’euros. Certes, il s’agit des trois régimes spéciaux les plus importants, mais la somme est énorme ! Est-ce juste ? C’est la solidarité nationale qui intervient. Les autres régimes sont financés par des taxes, payées par l’ensemble des Français : c’est encore la solidarité nationale. Là aussi, est-ce normal ?

En fait, pour beaucoup de régimes spéciaux, le nombre des cotisants est largement inférieur à celui des pensionnés. C’est pourquoi il faut les faire entrer dans le régime de base d’aujourd’hui.

Mes chers collègues, nous aurons l’occasion, au travers des amendements que vous présenterez, de revenir sur chacun de ces régimes spéciaux.

Si nous sommes évidemment attachés à l’histoire, il faut ouvrir les yeux et s’adapter au présent. Fermer ces régimes spéciaux aujourd’hui n’est tout de même pas très difficile en soi ! (M. Pierre Laurent sexclame.) En effet, qu’est-ce que cela représente par rapport à l’ensemble des Français qui feront des efforts du fait de l’adoption de projet de loi ? Il convient de se poser la question.

On demande des efforts à tous les Français, quels qu’ils soient ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse. Je ferai ce rappel très factuel : la majorité sénatoriale est constante dans ses positions. Voilà quatre ans que nous présentons un projet de réforme qui prend en compte une convergence des régimes spéciaux. Monsieur le ministre, je vous remercie de nous avoir rejoints sur cette philosophie.

Vous proposez une fermeture aux nouveaux entrants. Ce n’est pas d’une redoutable brutalité, puisque ceux qui sont actuellement dans le régime pourront continuer à bénéficier de leur retraite pendant en moyenne vingt ans, à l’issue d’une carrière d’une quarantaine d’années. La fermeture des régimes n’interviendra donc pas avant au moins soixante ou soixante-dix ans. Que les choses soient bien claires.

Nous verrons, à l’article 7, que nous pensons que nous pouvons accélérer un peu les choses : il n’est pas nécessaire que le processus dure autant d’années.

Par ailleurs, mes chers collègues, vous avez décrit des métiers particulièrement durs, pénibles et, parallèlement, vous avez mentionné le manque d’attractivité. Je crois que, plus on met en exergue la brutalité de ces métiers, moins on trouvera de nouveaux entrants ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. C’est spécieux !

M. René-Paul Savary, rapporteur. Par ailleurs, il me semble important qu’il n’y ait pas de différence de traitement au sein des entreprises concernées. Les Français sont sensibles à ce que le chauffeur de bus de Paris soit traité à l’égal de celui qui travaille dans d’autres grandes villes, puisqu’il est soumis aux mêmes contraintes. Pensez-vous normal que la pension des uns soit calculée sur les six derniers mois, alors que celle des autres l’est sur les vingt-cinq meilleures années ? Cette inégalité peut sans doute se réduire dans le temps. Pour notre part, nous le pensons.

Nous proposons d’aligner les règles applicables aux différents métiers et de faire en sorte que l’on prenne en compte les difficultés. Il faudra bien qu’un jour on arrive à harmoniser les statuts pour ceux qui exercent le même métier, que ce soit dans la fonction publique ou dans le secteur privé…

Les âges de départ doivent être rapprochés pour ceux qui exercent le même métier, qu’ils soient actifs ou sédentaires, quelle que soit la région où ils travaillent. Il ne s’agit pas d’occulter les difficultés : il existe des catégories actives dans les régimes spéciaux, dans le régime de la fonction publique… N’est-il pas légitime d’aligner les âges de départ ? Les superactifs peuvent également être pris en compte.

On le voit, la réforme est très progressive quant à la fermeture des régimes spéciaux.

On peut se demander pourquoi on ne nous propose la fermeture que de cinq régimes. C’est la question qui se pose au Gouvernement et M. le ministre y répondra sans doute.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le prolongement des propos de M. le rapporteur, la question qu’il faut se poser lorsque l’on parle des régimes spéciaux est celle de l’équité.

Cela signifie non pas qu’il faille supprimer la prise en compte de la pénibilité, mais qu’il faut faire en sorte que l’ensemble des salariés voient les conditions d’exercice de leurs activités prises en compte de la même manière. La pénibilité, l’exposition à l’usure doivent être mesurées de la même façon, dans une logique d’effectivité des conditions d’exercice plutôt que dans une logique de statut. En effet, derrière une logique de statut, il peut y avoir des inégalités et, derrière un même statut, l’effectivité de l’exposition à la pénibilité et des conditions de travail n’est évidemment pas la même.

Nous avons cette volonté et nous aurons l’occasion, lors de l’examen de l’article 9, dans quelques heures,…

Plusieurs sénateurs du groupe CRCE. Dans quelques jours !

M. Olivier Dussopt, ministre. … d’avancer sur la prise en compte des critères ergonomiques comme sur l’amélioration du compte professionnel de prévention et, ainsi, de faire en sorte que les salariés et, au-delà, l’ensemble des travailleurs exposés à des conditions d’exercice difficiles soient mieux protégés.

Nous avons fait le choix de proposer au Parlement la fermeture du régime d’assurance vieillesse uniquement pour cinq régimes spéciaux et de conserver tout particulièrement les avantages et conditions de régimes spécifiques – je pense à la Comédie-Française et à l’Opéra de Paris, essentiellement pour des questions d’âge et d’aptitude physique requise pour la pratique de la danse et la représentation des spectacles.

Monsieur Lahellec, nous ne voulons pas toucher à la question du régime spécial des marins et des pêcheurs. À travers eux, en réalité, nous pensons à tous ceux qui sont affiliés à l’Établissement national des invalides de la marine (Enim). En effet, le métier de marin-pêcheur est le plus exposé à des conditions d’exercice particulièrement difficiles.

M. Michel Canévet. C’est vrai !

M. Olivier Dussopt, ministre. Ce qui est encore plus dramatique, c’est qu’il s’agit du métier où la part des accidents mortels est la plus importante : pour les pêcheurs en haute mer, notamment en eau très froide, le moindre accident peut être absolument tragique et mortel. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons fait le choix de maintenir l’Enim.

Pour le reste, en matière de régimes d’assurance vieillesse, l’objectif est de parvenir à une véritable harmonisation, à l’exception des trois régimes que je viens d’évoquer.

Pour conclure, je formulerai trois remarques. Les deux premières portent sur les régimes spéciaux et la troisième a trait à une question que j’ose qualifier de « récurrente » dans le débat depuis hier.

La première remarque concerne la question de l’équilibre économique et financier des régimes spéciaux. En réalité, la plupart de ces régimes ne sont pas équilibrés. De fait, on ne peut pas considérer qu’un régime est équilibré quand il l’est grâce au versement d’une subvention de l’État ou au paiement d’une contribution par les usagers.

Je pense au régime des IEG, puisque la contribution tarifaire d’acheminement, qui porte mal son nom, s’élève à 1,8 milliard d’euros. Pardon de le dire ainsi, mais il est plus facile d’équilibrer un régime quand il bénéficie d’une contribution fiscale spécifique à hauteur de 1,8 milliard d’euros !

La notion d’équilibre des régimes ne tient donc pas dès lors que l’on retire les subventions spécifiques versées par l’État à certains régimes – par exemple, la RATP – ou des contributions ayant un caractère fiscal payées sur la facture de chacun des consommateurs – je pense aux IEG.

Nous avons un devoir de responsabilité par rapport au coût pour la collectivité que représentent aujourd’hui des régimes qui, par leur logique de statut, entretiennent des iniquités, alors même qu’ils sont coûteux pour l’ensemble des contribuables. Tout cela n’est évidemment pas légitime.

La seule question, derrière le financement des régimes spéciaux, se résume à cette alternative : est-ce au contribuable qu’il revient de financer les dispositions particulières d’un régime spécial, quand bien même il serait considéré que ce dernier détermine l’attractivité des métiers, ou est-ce aux entreprises dans lesquelles subsisteront des régimes spéciaux, au titre de l’application de la clause du grand-père, qu’il revient d’assurer l’attractivité des métiers par le dialogue social et un financement spécifique, quitte à ce que ce financement passe, selon les cas, par l’usager ou le client plutôt que par le contribuable général ? C’est la question de l’équité. Revient-il au contribuable ou à l’employeur, dans le cadre du dialogue social, d’assurer l’attractivité d’un métier ?

La deuxième remarque concerne une solution qui a été proposée à l’occasion des différentes interventions : s’il existe une difficulté ou une forme d’iniquité – c’est peut-être, d’ailleurs, une façon de la reconnaître –, il faudrait que l’ensemble de celles et de ceux qui exercent des métiers identiques ou proches puissent bénéficier des mêmes conditions.

J’ai notamment entendu que les agents de conduite des métros et des bus d’autres communes que celles qui sont couvertes par la RATP devraient pouvoir bénéficier des mêmes conditions de départ anticipé.

Souvent, cette solution nous est proposée au nom du pragmatisme. C’est la démonstration que le pragmatisme et le réalisme ne font pas toujours bon ménage, en tout état de cause qu’ils ne sont pas synonymes ! En effet, une telle mesure aurait un coût absolument impossible à financer, sauf à renchérir de manière drastique le coût des services rendus par celles et ceux qui seraient concernés, ce qui est évidemment inenvisageable.

La troisième et dernière remarque n’a pas grand-chose à voir avec les régimes spéciaux. À plusieurs reprises est revenue, aujourd’hui comme hier, la question de la fameuse note de synthèse du Conseil d’État. (Exclamations sur des travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Sans vouloir faire offense à quiconque en le rappelant, je répète, comme je l’ai dit hier, que le Conseil d’État est bicéphale : il a un rôle de juridiction et un rôle de conseiller du Gouvernement. Un certain nombre de documents qu’il produit dans le cadre des conseils qu’il délivre au Gouvernement sont publics, conformément à une décision orale prise par le président François Hollande en 2015. D’autres, qui concernent les lois de finances ou les lois de financement de la sécurité sociale, n’ont pas de caractère public : seuls un certain nombre de parlementaires, du fait de leurs prérogatives de contrôle et d’évaluation, peuvent y avoir accès, s’ils le souhaitent et dans des conditions déterminées par la loi, mais aussi par le secrétariat général du Gouvernement. Je souligne, au passage, qu’y avoir accès ne signifie pas être autorisé à les publier.

Le secrétariat général du Gouvernement est à la disposition de ceux qui, parmi vous, mesdames, messieurs les sénateurs, disposent de ces prérogatives – je ne doute pas qu’il y en ait parmi vous, parce que vous êtes, sur ce plan, organisés comme le sont les députés – et souhaiteraient consulter ces documents. Cependant, s’il est dans votre droit de me demander, autant de fois que vous le souhaitez, de rendre publique une note qui n’a pas vocation à l’être, il est dans le mien de maintenir ma réponse et même de considérer qu’elle a un caractère définitif.

Au reste, je m’étonne de devoir rappeler à un ancien président de la commission des lois le principe de séparation des pouvoirs et le rôle du Conseil d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Rappels au règlement