M. le président. Les amendements nos 1650 et 1662 ne sont pas soutenus.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 1691.

M. Jean-Yves Leconte. Voilà un peu moins de trois ans, nous avons découvert ceux que nous avons appelés à cette époque les « premiers de corvée » : les personnes dont le métier n’est pas « télétravaillable » et qui ont tenu le pays. Or beaucoup des activités visées par la suppression de ces régimes concernent ces personnes, en particulier dans les transports publics et l’énergie.

Aussi, madame la rapporteure générale, opposer les uns aux autres, exacerber les jalousies entre les différents types de droits à pension ne me paraît pas convenable. Le premier principe de la République est de travailler à la cohésion et à la solidarité nationales, non d’expliquer aux uns qu’ils doivent perdre parce que les autres ont moins. Il n’est pas logique de procéder de cette manière.

Je veux bien croire que les évolutions technologiques fassent évoluer les pénibilités, mais celles-ci demeurent. Même si elles ne sont pas les mêmes qu’il y a soixante ans, elles doivent être prises en compte et, pour cela, il faut être crédible, ne pas avoir supprimé, il y a cinq ans, la liste des critères de pénibilité pour le régime général tout en voulant maintenant supprimer certains régimes spéciaux. Ce n’est pas convenable, surtout lorsque l’on sait que, dans les transports collectifs, il y a des métiers en tension et il est nécessaire, pour la sécurité de l’ensemble des usagers, d’avoir des agents respectés et correctement assurés.

Le secteur de l’énergie représente un enjeu important pour l’avenir de notre pays et nous devons même élargir ces régimes à tous ceux qui travaillent dans le secteur, notamment parmi les sous-traitants.

En outre,…

M. le président. Votre temps de parole est épuisé, mon cher collègue.

M. Jean-Yves Leconte. … puisque l’on évoque les premiers de corvée, les travailleurs des plateformes…

M. le président. Vous n’avez plus la parole, monsieur Leconte !

M. Jean-Yves Leconte. … sont les oubliés de cette réforme, alors qu’ils étaient… (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Vous n’avez plus la parole !

M. Martin Lévrier. C’est systématique !

M. le président. Mon cher collègue, quand il y a cinquante et un amendements identiques, chacun a deux minutes pour présenter le sien et deux minutes seulement.

Les amendements nos 1748 et 1789 ne sont pas soutenus.

La parole est à M. Patrick Kanner, pour présenter l’amendement n° 1817.

M. Patrick Kanner. Curieuse ambiance ce matin, encore une fois : comme dans un match de football, on s’attache à comparer les durées de possession de la balle. Manifestement, il y a une partie de l’hémicycle qui maîtrise plus la balle… (Sourires. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Ce n’est pas ainsi que l’on marque des buts !

M. Patrick Kanner. Je ne sais pas s’il y aura des tirs au but – je l’espère – et nous verrons bien, plus tard, s’il y a des buts,…

M. Marc-Philippe Daubresse. Nous avons d’excellents rapporteurs pour cela !

M. Patrick Kanner. … mais n’hésitez pas à animer un peu nos débats, mes chers collègues, moins d’ailleurs pour nous que pour les Français qui nous regardent et qui attendent de nos débats des clarifications politiques.

Finalement, ces multiples amendements de suppression visent à donner un peu de sens au mot de réforme. J’ai retrouvé une phrase assez célèbre d’un fameux premier ministre britannique du XIXe siècle, Benjamin Disraeli, qui était d’ailleurs un conservateur : réformer ce qu’il faut, conserver ce qui vaut.

M. Bruno Retailleau. Très belle phrase !

M. Patrick Kanner. Oui, il faut conserver quand les choses vont plutôt bien et qu’elles ne posent pas de problèmes majeurs. Or ces régimes spéciaux sont les pionniers de notre régime général de retraite, ils correspondent à une histoire, mais aussi à un actuel et à un avenir pour beaucoup de salariés. Ce sont des conquêtes sociales qu’il convient de préserver.

Nous ne voulons pas nous associer à l’opération de démolition sociale qui est la vôtre, monsieur le ministre, et que soutient la droite sénatoriale. Je demande donc à mon tour la suppression de cet article.

M. Marc-Philippe Daubresse. Et la justice dans tout cela ?

M. le président. Si je puis me permettre une parenthèse, monsieur Kanner, Benjamin Disraeli a perdu le pouvoir au profit de Gladstone parce qu’il maltraitait la Chambre des communes. Donc attention à vos références… (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 1990.

Mme Laurence Rossignol. Quand je vous entends, monsieur le président, je regrette que vous soyez au plateau et non dans l’hémicycle, parce que vous contribueriez à nourrir un peu le débat. Cela dit, vous le faites bien de votre place…

Mes chers collègues, il y a une autre raison de voter la suppression de cet article, c’est le débat biaisé, en trompe-l’œil, que nous avons sur la suppression des régimes spéciaux.

En effet, deux voies sont empruntées pour supprimer ces derniers : il y a l’article 1er, proposé par le Gouvernement, et l’amendement n° 2057 de M. Retailleau. Or quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai découvert que cet amendement serait examiné après l’article 7 ! Nous allons donc parler des régimes spéciaux une première fois ce matin, en examinant l’article 1er, et une seconde fois après l’examen de l’article 7. Cela donne l’impression qu’il y a un problème…

Je suppose qu’il s’agit d’une erreur de rédaction : l’amendement n’aurait pas dû commencer par la mention « Après l’article 7 » ; il eût été plus franc, plus sincère, d’écrire « Après la date du 7 mars, date du prochain mouvement social ». Parce que c’est de cela qu’il s’agit, en réalité : ce que vous ne voulez pas, mes chers collègues, c’est que votre amendement sur la suppression des régimes spéciaux soit discuté avant le mouvement du 7 mars prochain !

M. Marc-Philippe Daubresse. Parce que le Parlement est sous pression de la rue !

Mme Laurence Rossignol. C’est d’ailleurs étonnant, parce que, si vous êtes si sûrs que les Français détestent tous les régimes spéciaux…

Mme Laurence Rossignol. … et que vous seriez certains de recueillir une immense adhésion autour de cette suppression, eh bien, soumettez votre amendement au vote dès maintenant, avec l’article sur les régimes spéciaux ! Peut-être les Français vous soutiendront-ils ! Peut-être même déclencherez-vous une manifestation de soutien à votre amendement de suppression des régimes spéciaux ! Peut-être y aura-t-il autant de gens dans la rue pour votre amendement qu’il y en a contre cette réforme !

M. Marc-Philippe Daubresse. Ce sont les plus protégés qui sont dans la rue, non les plus exposés !

Mme Laurence Rossignol. L’amendement n° 2057 devrait être examiné ici, mais ce n’est pas le cas. Donc nous voterons pour la suppression de l’article 1er. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)

M. le président. Les amendements nos 2069 et 2257 ne sont pas soutenus.

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 3871.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Le capitalisme contemporain se caractérise par de multiples dynamiques, qui se déploient tant dans les conditions que dans l’organisation du travail : on appelle cela la précarisation.

Depuis plus de vingt ans, on assiste à la précarisation et à la flexibilisation de l’emploi et des temps de travail, avec une banalisation des emplois précaires, le développement du travail à temps partiel ainsi que la normalisation du travail flexible et irrégulier. À tout cela, il faut ajouter l’insécurité de l’emploi, que de plus en plus de travailleurs perçoivent du fait des multiples restructurations d’entreprises et des licenciements qui vont avec.

Depuis plus de vingt ans, la pénibilité déclarée par les salariés est en nette hausse, sur le plan tant physique, avec le port de charges lourdes, les mouvements répétitifs ou l’exposition à de multiples nuisances, que mental, avec l’exigence d’une vigilance constante, les polyvalences forcées, le raccourcissement des délais ou encore l’exigence d’une réponse immédiate à la demande du marché.

Cette précarisation a des conséquences directes sur la santé des travailleurs, à commencer par l’insuffisance ou l’irrégularité des revenus, qui rendent difficile le maintien en bonne santé. En témoignent l’explosion des pathologies musculo-squelettiques ainsi que les fluctuations du nombre d’accidents du travail, qui sont trop souvent le corollaire des fluctuations de l’activité économique.

Ainsi, au-delà des atteintes physiques et mentales subies par les salariés, il convient de s’interroger profondément sur les conditions et l’organisation du travail. Il est grand temps de réduire le temps de travail prescrit et de revenir à la retraite à 60 ans. En effet, si, comme vous, j’accorde une grande importance à l’emploi et au travail, cela ne doit pas se faire au détriment de la santé des travailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. Avant de demander l’avis de la commission et du Gouvernement sur ces amendements, je demande aux rapporteurs et au ministre de ne procéder à aucune interpellation, afin de tenir compte du rappel au règlement de M. Raynal. Veuillez donc répondre globalement à l’ensemble des amendements, sans interpeller personne.

Quel est l’avis de la commission ?

M. René-Paul Savary, rapporteur. Merci de la liberté de parole que vous accordez aux rapporteurs, monsieur le président…

En tout état de cause, nous serons très vigilants dans nos propos, et ce tout au long du débat.

D’abord, beaucoup d’interventions ont évoqué les acquis sociaux, auxquels un attachement fort a été exprimé, ce que l’on comprend bien. Néanmoins, au fil du temps, ces acquis ont parfois été remis en cause – on a ainsi augmenté la durée de cotisation, puisque l’âge de départ, qui était jadis à 60 ans, est passé à 62 ans –, mais les gouvernements qui se sont succédé n’ont jamais remis cette évolution en cause !

M. René-Paul Savary, rapporteur. Ensuite, c’est vrai, l’accélération de la convergence ne figure pas à l’article 1er, qui est relatif à la fermeture des régimes spéciaux aux nouveaux entrants. La convergence consiste à accélérer le report de l’âge de la retraite et c’est bien l’article 7 qui en traite ; en outre, il s’agit d’une dépense. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas trouvé de moyen d’examiner dans le cadre de l’article 1er l’amendement n° 2057, qui relève, vous en conviendrez, de l’article 7.

M. Rachid Temal. C’est dommage !

M. René-Paul Savary, rapporteur. Enfin, j’ai bien compris que certaines interventions comportaient une interpellation relative aux inégalités dans la prise en compte de la pénibilité. Là encore, la commission a souhaité gommer ces inégalités. En effet, la pénibilité du métier de chauffeur de bus, par exemple, n’est pas prise en compte de la même manière selon que l’on travaille à la RATP, où l’on relève du régime d’un service public ou que l’on travaille dans le secteur privé, puisque, dans le public, la pénibilité relève des services actifs. Or, entre les services actifs et les services « super-actifs », il y a bien des possibilités de convergence.

Vous souhaitez… Pardon, monsieur le président : « certains d’entre vous » souhaitent favoriser la réduction des inégalités en prenant en compte la situation de ceux qui commencent plus jeunes. Mais, cela a été rappelé par M. le ministre, il en résulterait alors une dégradation des comptes publics et du solde des régimes de retraite, qu’il faudrait donc compenser. Cela signifierait que, en contrepartie, on devrait soit augmenter la durée de cotisation de ceux qui n’ont pas de facteurs de pénibilité – ceux qui ne travaillent pas dans les secteurs ou les métiers concernés devraient travailler plus longtemps –, soit recourir à l’impôt. Or notre système est un système contributif, dans lequel 80 % des recettes procèdent des cotisations des salariés et 20 % de la solidarité, dans un souci de justice sociale, et plus on augmente la part des impôts dans un système par répartition, plus on le remet en cause.

C’est pourquoi nous n’avons pas choisi ce dispositif, car nous n’entendons pas remettre en cause le système par répartition. Telle est la position de la commission, qui explique notre avis défavorable sur ces amendements, ce qu’Élisabeth Doineau va préciser maintenant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. La commission émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

Je rappelle que la fermeture des régimes spéciaux ne concerne que le risque vieillesse, pas l’ensemble des autres risques, comme je l’ai dit précédemment. Cela répond à des enjeux de lisibilité, d’équité et de confiance, surtout dans le système de retraite par répartition. D’ailleurs, nous le voyons bien, les sondages pratiqués auprès de l’ensemble de la population le montrent : la jeunesse n’a absolument pas confiance dans notre système actuel.

Les régimes spéciaux, cela a été rappelé et c’est important de le dire, ont été créés par l’ordonnance du 4 octobre 1945 et maintenus à titre provisoire jusqu’à ce jour. Certains ont toutefois été supprimés depuis. C’est le cas par exemple du régime vieillesse des entreprises minières ou encore de celui de la SNCF, qui ont été alignés sur le régime général.

Il a été dit qu’il n’y avait aucune urgence à procéder à l’extinction de ces régimes. C’est justement pour cette raison que nous vous proposons la clause du grand-père !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous avez dit l’inverse tout à l’heure !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Leur extinction se fera très progressivement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas clair !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. On peut toutefois comprendre que d’autres propositions soient faites à cet égard…

La poursuite du mouvement d’extinction des régimes spéciaux est aussi une question d’équité entre les assurés. Ces régimes dérogatoires se justifient de plus en plus difficilement par des critères objectifs. Vos témoignages l’ont d’ailleurs montré, une approche par branche ou par métier n’est pas équitable.

Vous avez parlé de la fluidité du marché du travail. Je pense que l’affiliation au régime général permettra de fluidifier davantage le marché du travail en réduisant la complexité du système et la variation des droits sociaux en fonction du régime d’affiliation.

Enfin, comme l’a indiqué le ministre, l’affiliation au régime d’assurance vieillesse de droit commun permettra de bénéficier du compte professionnel de prévention et donc de la prise en compte des effets de l’exposition à certains risques professionnels. Cette avancée pourra être complétée par des dispositifs conventionnels d’entreprise ou de branche sur le modèle de la SNCF. À cet égard, les représentants de la SNCF que nous avons auditionnés nous ont indiqué que la prise en compte de la pénibilité dans certains métiers était un progrès.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Je serai bref, car les arguments pour défendre ces amendements de suppression, et c’est assez logique, ont déjà été très largement avancés lors des prises de parole sur l’article.

J’apporterai simplement trois précisions, la première en écho à ce que vient de dire Mme la rapporteure générale. L’affiliation des nouveaux embauchés au régime général de l’assurance vieillesse leur permettra, comme cela a été dit, de bénéficier du C2P et des nouveaux dispositifs que nous proposons sur des critères ergonomiques, ce qui n’est pas le cas pour les bénéficiaires des régimes spéciaux, en tout cas pas automatiquement.

Ma deuxième précision porte sur la soutenabilité et la solidité financières des régimes spéciaux, des inquiétudes ayant été exprimées sur le fait que la fermeture du flux pourrait poser des difficultés de financement des pensions des retraités actuels. D’abord, bon nombre de régimes ont la capacité de faire face à ce financement. Par ailleurs, comme nous l’avons fait pour la SNCF, nous veillerons à garantir la soutenabilité de ces régimes dans les futurs textes financiers, notamment dans les futurs projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Ma troisième précision sera de nature lexicale. Pour défendre leur amendement, certains intervenants ont parlé de « privilégiés », d’« inégalités ». Ce n’est pas le champ lexical du Gouvernement. Pour notre part, nous considérons que la fermeture des régimes spéciaux, et donc l’harmonisation des régimes, est une question d’équité. Nous ne parlons pas de « privilégiés ».

Nous savons que ces régimes ont été élaborés au fil du temps et que celles et ceux qui bénéficient de cette situation ne l’ont pas nécessairement construite. Ils ont adhéré à un régime spécial lorsqu’ils ont signé leur contrat de travail.

En revanche, l’équilibre financier de ces régimes et la nécessité de les subventionner ne sont pas des arguments suffisants. Ce sont des arguments majeurs concernant certains régimes, beaucoup d’entre eux étant déséquilibrés, mais la question de l’équité et de l’harmonisation des règles en termes de cotisations, de déroulement de carrière et d’âge de départ à la retraite sont des raisons tout aussi importantes, qui justifient, selon nous, la fermeture en flux des régimes spéciaux.

Pour ces différentes raisons, le Gouvernement émet bien évidemment un avis défavorable sur ces amendements de suppression.

M. le président. Avant de mettre aux voix ces amendements de suppression, je donne la parole à M. Martin Lévrier, pour explication de vote. (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Martin Lévrier. Mes chers collègues, je prends la parole pour répondre à ceux qui se sont demandé pourquoi j’étais là puisque je ne parlais jamais. Il se trouve que je préfère écouter plutôt que de m’exprimer à tout propos. (Mêmes mouvements.) Ainsi, je ne coupe jamais la parole aux autres !

Je vous ai bien écoutés, chers collègues. Je résumerai, en essayant d’être exhaustif, tout ce que vous avez dit concernant exclusivement la suppression des régimes spéciaux de retraite.

Vous nous avez expliqué que ces régimes pionniers furent les premiers à prendre en compte la pénibilité, qu’ils s’appliquent à des métiers en tension, soit du fait d’un manque d’agents, soit pour des raisons d’accidentologie et non de remplacement des agents arrêtés. Vous avez ajouté que ces régimes sont équilibrés, voire excédentaires, et que cette réforme augmenterait les difficultés de recrutement. Vous pensez que l’article 1er a pour but de diviser les travailleurs et de faire des bénéficiaires des régimes spéciaux des boucs émissaires, que l’on veut faire croire que ces agents sont des privilégiés. Vous dites que cet article remet en cause le contrat social, qu’il vise un nivellement par le bas et qu’il n’a d’autre objet que de faire diversion pour faire oublier les autres articles.

J’ai résumé en une minute trente – j’espère n’avoir rien oublié – ce que vous avez dit en deux heures et demie – et il me reste 37 secondes ! Quant aux rapporteurs et au ministre, ils vous ont apporté des réponses claires. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Je partage leur point de vue.

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Ah, l’équité !

Je comprends que les actionnaires de notre pays – mais pas tous –, qui viennent d’encaisser 59,8 milliards d’euros, jugent scandaleux les avantages des chauffeurs de bus de la RATP, dont les conditions de travail sont si favorables que leur employeur ne parvient plus à recruter (Sourires sur les travées du groupe SER.) ou encore les avantages inouïs des clercs de notaire ! Je pense en particulier au 0,1 % des Français qui ont touché les deux tiers de ces dividendes, soit 40 milliards d’euros en 2022, sachant que vous en cherchez 13 pour équilibrer le système de retraite.

D’ailleurs, 200 millionnaires répartis dans treize pays demandent aux dirigeants du monde entier d’être davantage taxés. En France, selon l’association Oxfam, taxer nos milliardaires à hauteur de 2 % permettrait de financer le déficit prétendument hors de contrôle du système de retraite via le FRR (Fonds de réserve des retraites), judicieusement créé par Lionel Jospin pour faire face au papy-boom. Si cela se révélait trop douloureux, de nombreux bénévoles jeunes retraités des Restos du cœur pourraient accueillir ces milliardaires trop taxés ! Une telle mesure permettrait d’économiser deux ans de vie.

Enfin, puisqu’il me reste quelques instants, je tiens à dire que je ne comprends pas comment des sénateurs peuvent défendre, au nom de l’équité, la clôture des régimes spéciaux – j’ai bien dit : « clôture » – des chauffeurs de bus et des clercs de notaire sans réfléchir à leur propre régime autonome et sans voir que, pour les Français, celui-ci n’est pas équitable. D’ailleurs, si nous faisions un référendum, des vents mauvais, je le crains, souffleraient sur notre assemblée.

Monsieur le ministre, alors que nous avons un jeune Président de la République qui veut bouleverser et rénover la démocratie, il fait finalement du Richelieu ! Il maintient secrète la note de synthèse du Conseil d’État, qu’il refuse de diffuser, alors qu’elle éclairerait les Français et les parlementaires. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je relève d’abord l’inconséquence de notre rapportrice (M. Martin Lévrier sexclame.), qui suggère un référendum sur les régimes spéciaux, pensant peut-être le gagner, mais le refuse sur l’ensemble de cette réforme, en particulier sur le report à 64 ans de l’âge de départ à la retraite, lequel est massivement rejeté par les Français.

Madame la rapportrice, je ne crois plus que les Français soient obnubilés par les régimes spéciaux. Ils ont bien compris que le démantèlement des statuts et des régimes spéciaux revenait à poursuivre la dégradation massive des conditions du salariat dans ce pays et qu’il entraînerait leur précarisation.

Les Français considèrent que la France est l’un des pays où les salariés sont les moins bien traités et où les conditions de travail sont mauvaises, et c’est lié au déficit de certains régimes spéciaux. On a tellement externalisé, sous-traité, filialisé, que l’on a précarisé le travail, baissé les salaires, réduit les avantages sociaux. On a tué l’idée qu’une entreprise, c’est une communauté humaine dans laquelle les uns et les autres sont solidaires grâce à un statut, des garanties, une protection sociale.

Vous parlez d’équité, mais peut-on comparer aujourd’hui la situation du salarié d’une grande entreprise et celle de l’employé du sous-traitant de énième rang de cette même entreprise ? On ne peut pas parler d’équité : le sous-traitant est mal payé, précarisé…

M. le président. Vous n’avez plus la parole, madame Lienemann !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne dis pas que les autres ont des avantages, mais le fait est que cet article n’est pas une avancée.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour explication de vote.

Mme Isabelle Briquet. Cela a été dit, les régimes dits spéciaux ne sont pas une concentration de privilèges, dont les cotisants au régime général seraient injustement privés.

M. Laurent Duplomb. Enfin, tout de même…

Mme Isabelle Briquet. C’est pourtant ce que le Gouvernement s’efforce de faire croire pour que cette réforme, aussi inique qu’inutile, ait l’air un tant soit peu juste.

Vouloir fermer des régimes qui prennent en compte des contraintes particulières et la pénibilité de certaines professions, c’est se faire une curieuse idée de la justice ! Je pense ainsi, cela a été dit, au régime des industries électriques et gazières, mais aux autres aussi.

Il serait plus juste de s’inspirer de ces régimes, les travailleurs du régime général étant depuis trop longtemps délaissés au regard de l’évolution des modes de production. Ces régimes spéciaux sont donc des précurseurs en ce qu’ils appréhendent plus justement le travail et ses effets sur les travailleurs.

Pour vous, la justice, ce n’est pas aller vers le mieux pour tous, c’est s’assurer d’une régression sociale collective.

Monsieur le ministre, cette réforme va à contre-courant, comme vous le démontreront les Françaises et les Français le 7 mars prochain.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Je voterai évidemment ces amendements de suppression de l’article 1er pour des raisons de fond, notamment parce que, madame la rapporteure, vous semblez penser que les régimes spéciaux n’ont plus lieu d’être aujourd’hui, car la pénibilité au travail serait un phénomène du XIXsiècle qui n’existe plus.

Je rappelle que, par exemple, les salariés qui font les trois-huit dans nos centrales nucléaires ont une espérance de vie inférieure à celle d’autres salariés. Je rappelle aussi que les autres salariés des IEG ne prennent pas leur retraite par anticipation : ils partent en moyenne à l’âge de 62,9 ans, soit exactement l’âge moyen de départ en France. Vous parlez d’équité, la voilà !

Nous avons souvent ici des débats sur la différenciation, c’est-à-dire sur la possibilité de prendre en considération des réalités différentes et de mener des politiques publiques qui en tiennent compte. Or je suis surprise de constater qu’un certain nombre d’entre vous sont à la recherche d’un égalitarisme parfait, que je ne m’explique pas, qui ne prend en compte ni les difficultés de recrutement ni la réalité de la pénibilité.

Enfin, madame la rapporteure, vous évoquez les chauffeurs de bus qui ne bénéficient pas du régime des chauffeurs de la RATP. Eh bien, ouvrons le débat ! Nous disons depuis le début que les régimes spéciaux sont pionniers et qu’ils ont vocation à être étendus à d’autres catégories de salariés.

Enfin, j’évoquerai une raison, qui paraît peut-être moins de fond, mais qui n’en est pas moins importante. Pouvez-vous nous expliquer quel sera l’effet direct sur les recettes et les dépenses de la sécurité sociale en 2023, qui sont l’objet même de ce PLFRSS, de la fermeture des régimes spéciaux ? Vous avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, que ne seraient concernés par cette fermeture que les nouveaux entrants. Cette mesure n’aura donc absolument aucun impact sur les recettes et les dépenses de 2023. Elle n’a donc rien à faire dans ce texte ! (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE et SER.)