Mme Éliane Assassi. Vous parlez à vous-même ?

M. Bruno Retailleau. Certains le savent ici et en ont fait les frais. Merci !

Mme Éliane Assassi. C’est un congrès Les Républicains ? Vous êtes candidat à tout, au parti, à l’élection présidentielle…

M. Bruno Retailleau. Je remercie également nos collègues. Il n’est qu’à voir cette présence encore aujourd’hui !

Merci, mes chers collègues, d’avoir enduré des séances qui, souvent, n’apportaient rien, aucune solution, mais au cours desquelles il a fallu faire face aux manœuvres d’obstruction des oppositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Enfin, monsieur le président, je terminerai, une fois n’est pas coutume, en remerciant notre administration et les services du Sénat. Je ne pense pas que, dans l’histoire récente de notre assemblée, ils aient été autant mis à l’épreuve.

Je ne parle pas de la quantité d’arbres qui ont dû être abattus pour être transformés en sous-amendements ! (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)

Je parle du travail de l’administration du Sénat, qui est aussi notre honneur et qui a toujours tenu, dans des moments extrêmement tendus et difficiles. Elle a joué son rôle de conseil et c’est fondamental. Je veux parler, bien sûr, du secrétaire général, de la direction de la séance, mais aussi de tous les collaborateurs.

Je vous propose, mes chers collègues, pour terminer ce marathon, de vous lever et de les applaudir ! (Mmes et MM. les sénateurs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Laurence Cohen et Michelle Gréaume applaudissent également.)

Mme Monique Lubin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je commencerai par remercier à mon tour tous ceux qui ont travaillé sur ce texte très important de cette mandature. (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.)

Je remercie Mme la rapporteure générale, M. le rapporteur, Mme la présidente de la commission des affaires sociales, l’administration dans son ensemble – ceux que l’on voit comme ceux que l’on ne voit pas – et, bien évidemment, tous nos collaborateurs.

Soyez remerciés de ce travail extraordinaire et de ce travail de fond, pour ce qui fut, en effet, un marathon.

Cette journée restera une journée noire pour tous les salariés de ce pays.

M. Bruno Sido. Oh, quand même ! Ce n’est pas vrai !

Mme Monique Lubin. Nous savons que vous voterez le recul de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, parce que nous savons, mes chers collègues, que vous avez négocié avec le Gouvernement pour voir aboutir ce que vous attendez depuis si longtemps.

Nous savons, messieurs les ministres, que le Gouvernement s’est soumis, afin de s’assurer le vote majoritaire du Sénat, dont vous avez impérativement besoin pour apporter un minimum de légitimité à votre texte.

M. Jérôme Durain. Un minimum…

Mme Monique Lubin. J’irai droit au but : vous avez voulu faire peur aux Français, en leur disant que les régimes de retraite étaient en faillite. C’est faux !

M. Bruno Sido. Mais non !

Mme Monique Lubin. Si, c’est faux !

Mme Monique Lubin. Votre réforme est une réforme idéologique. Vous n’avez jamais été favorable aux mesures qui permettent aux salariés de ce pays de vivre mieux.

M. Bruno Sido. Ridicule !

Mme Monique Lubin. Vous n’avez pas aimé la retraite à 60 ans. (Ah non ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Vous n’aimez pas les 35 heures.

Vous n’aimez pas tout ce qui, dans ce pays, va dans le sens d’un moindre asservissement des salariés.

Votre réforme est injuste, parce qu’elle concerne essentiellement les salariés les plus proches du départ à la retraite, ceux qui travaillent depuis longtemps, ceux qui exercent les métiers les plus difficiles, ceux qui perçoivent, la plupart du temps, les salaires les plus modestes.

M. Bruno Sido. Pipeau !

Mme Monique Lubin. Elle est brutale, parce qu’elle prend effet immédiatement, dès le mois de septembre 2023.

Depuis 1982, aucune réforme ne s’est appliquée immédiatement, c’est-à-dire à des salariés dont le départ à la retraite est prêt ou en cours de préparation.

Aucune réforme des retraites n’a jamais été aussi brutale dans ce pays. Elle est brutale, notamment pour les salariés qui ont commencé à travailler entre 18 et 20 ans. Malgré tous les éléments de langage que vous avez déployés pour infirmer cette donne, il y aura bien, en effet, un report de l’âge de 62 ans.

Elle est inéquitable, parce que les seuls efforts vont porter sur les salariés. Rien n’est demandé aux employeurs, au prétexte que nous serions déjà trop exigeants avec les entreprises de ce pays en matière de cotisations sociales et d’impôt.

M. André Gattolin. Le chômage est en baisse !

Mme Monique Lubin. Pourtant, depuis cinq ans, les cadeaux fiscaux et sociaux pleuvent sur les entreprises à un niveau jamais connu en France. (Marques dapprobation sur des travées du groupe SER.)

Elle est brutale dans sa totalité.

Pour vendre votre projet de loi, vous avez essayé – et je mesure mes mots – de nous conter des histoires. Vous avez essayé de nous vendre l’idée que les femmes y trouveraient leur compte, qu’elles en seraient les grandes gagnantes.

Il n’en est rien et cela a été démontré immédiatement.

C’est tellement faux que la majorité vous arrache un bonus pour compenser la perte du bénéfice des droits familiaux qui s’imposera aux mères de famille – elles devront travailler deux ans de plus.

Vous avez aussi essayé – c’est au moins aussi grave ! – de nous faire croire que tous les salariés qui ont une retraite complète auraient un minimum de pension de 1 200 euros brut. Ce n’est pas le cas et cela a aussi été démontré ! Nous avons même eu droit à des excès de langage de la part de certains ministres qui annonçaient deux millions de bénéficiaires, là où l’on se rend compte aujourd’hui que ce sera bien moins.

Elle est brutale avec les seniors, dont tout le monde sait qu’ils rencontrent les plus grandes difficultés à retrouver un emploi. Ils verront leur situation se précariser d’autant plus que vous avez imposé, il y a peu, une diminution des droits à l’assurance chômage.

Ensuite, mes chers collègues, je ne vais pas passer sous silence la manière avec laquelle vous avez abordé ce texte. Vous avez été quasiment mutiques durant toute la durée de son examen. Nous avons fait des dizaines et des dizaines de propositions ; aucune n’a recueilli votre intérêt !

Vous avez refusé le débat et, en le refusant, vous avez manqué de respect à tous ceux qui vont subir les conséquences de ce report et qui voulaient entendre vos arguments.

Certes, vous avez apporté quelques nuances pour faire croire que vous vouliez adoucir un peu la brutalité de ce texte, mais la vérité, c’est que vous vouliez le durcir encore plus. Vous avez par exemple proposé un amendement qui revenait sur la clause du grand-père prévue par ce projet de loi, monsieur Retailleau ; vous vouliez ainsi supprimer les régimes spéciaux avec effet immédiat.

M. Bruno Retailleau. Et j’y reviendrai !

Mme Monique Lubin. Vous n’êtes pas allé au bout, parce que vous risquiez d’être mis en minorité, ce qui aurait sacrément terni votre éventuelle victoire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Que dire enfin de l’attitude du Président de la République qui refuse obstinément de recevoir les organisations syndicales après des semaines de protestation ? Le peuple gronde et le Président de la République regarde ailleurs.

Cela me fait penser à ce qu’avait dit un autre Président de la République, celui qui nous avait donné la retraite à 60 ans (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.),…

M. Bruno Sido. Un désastre !

Mme Monique Lubin. … celui qui avait amené des changements extraordinaires dans les années 1980 pour tous les salariés de ce pays : il nous avait prévenus que vous toucheriez aux retraites et à la protection sociale, que vous vendriez tout au privé. Nous aurions dû l’écouter ! Cette phrase reste désormais marquée en nous.

Le Président de la République actuel n’écoute pas le peuple. Le peuple s’en souviendra ! (Mmes et MM. les sénateurs des groupes SER, CRCE et GEST se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)

M. Olivier Henno. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ça y est, nous y sommes ! Alors, je vais tuer le suspense : la très grande majorité du groupe Union Centriste votera ce texte.

On y est, un peu fatigués…

Mme Éliane Assassi. D’avoir trop parlé ? (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

M. Olivier Henno. … d’avoir travaillé, peut-être aussi de vous avoir écoutés, mes chers collègues. (Rires sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit.)

Nous abordons néanmoins cette fin de discussion sans regret ni remord, avec sérénité et soulagement : un soulagement pour la place et la crédibilité du Sénat, un soulagement pour notre système de retraite par répartition, un soulagement pour la démocratie représentative.

Voilà, nous sommes au bout du texte comme nous l’avait dit le président du Sénat. Vous n’avez pas été pris par surprise, c’était un engagement : le Sénat, en particulier son président – capitaine dans la tempête –, et la majorité sénatoriale ont tenu leur objectif.

Je remercie à mon tour les présidents de groupe, pour l’organisation de nos débats, et les rapporteurs, débatteurs infatigables qui ont réalisé un formidable travail et su argumenter, faisant ainsi notre fierté.

Je salue aussi les groupes d’opposition. Ils ont fait le choix de la flibusterie, mais c’était – cela ne va pas vous faire plaisir, mes chers collègues – une flibusterie de notables ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Ce texte ne mérite pas l’indignation que vous avez manifestée ; il ne mérite pas non plus un enthousiasme excessif. Ce n’est pas la mère des réformes, mais il a une utilité, une exigence morale, c’est même une nécessité pour les jeunes générations.

Je vais vous lire un texte : « Il n’y a pas d’alternative. De nouveaux efforts, notamment des départs à la retraite plus tardifs, devront être réalisés afin de pérenniser notre système de retraite. »

Vous nous avez beaucoup dit aujourd’hui que vous n’alliez rien lâcher, rien lâcher, rien lâcher. (Sourires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Je revendique moi aussi, à cet instant, le droit à la répétition, car il est vrai que la répétition est l’art de la pédagogie.

M. Olivier Henno. Je vais donc répéter ce texte : « Il n’y a pas d’alternative. De nouveaux efforts, notamment des départs à la retraite plus tardifs, devront être réalisés afin de pérenniser notre système de retraite. »

Qui est l’auteur de ce texte ? Un affreux réactionnaire ? Un conservateur rétrograde ? C’est un nom qui sonne à vos oreilles : Pierre Moscovici. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Toine Bourrat applaudit également.) Pierre Moscovici, qui revendique l’héritage de la social-démocratie…

On a parfois entendu beaucoup de bêtises dans cet hémicycle et, tout à l’heure, je crois que nous avons touché le fond, quand l’un d’entre vous a dit : « L’amour des chiffres ne peut pas faire bon ménage avec l’amour des gens. » Quelle responsabilité ! Un orateur a cité Pierre Mauroy, mais, si Jacques Delors avait entendu que l’amour des chiffres était incompatible avec l’amour des gens, il n’aurait pas manqué de réagir ! (Mme Françoise Gatel applaudit.)

Je le disais, c’est un soulagement pour notre système de retraite, un soulagement pour les retraités, parce qu’il y a ceux qui manifestent, mais il y a aussi la part silencieuse de la population. Une minorité ? Une majorité ? Je ne sais pas.

Un soulagement pour les retraités qui, avec le vote de ce texte, voient leurs pensions sécurisées, alors qu’ils risquaient de les voir baisser. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Un soulagement pour les jeunes qui ne vont pas subir la double peine : payer pour leur retraite et payer pour la dette.

Un sénateur du groupe GEST. Vous n’en savez rien !

M. Olivier Henno. Cela aurait été irresponsable de vivre à crédit et de leur faire payer notre dette ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Nous ne faisons pas ce choix.

Ce texte contient des avancées : le CDI senior – le travail des seniors est la clé, cela a été dit par Élisabeth Doineau et René-Paul Savary –, la politique familiale, les carrières longues, l’égalité entre les femmes et les hommes, la prise en compte des périodes de travaux d’utilité collective – mes chers collègues, si vous ne votez pas ce texte, vous ne pourrez pas revendiquer cette avancée –, l’amélioration de la situation des sapeurs-pompiers ou des élus.

Grâce à Sylvie Vermeillet, les maires et les élus pourront ainsi – et ce n’est pas voir les choses par le petit bout de la lorgnette ! – racheter des trimestres, quand ils gagnent moins de 1 830 euros par mois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Ce texte n’est pas pour autant un chèque en blanc. Beaucoup de sujets restent à aborder : la question de la justice – cette réforme des retraites ne peut pas tout –, la question du sens du travail – nous croyons à la valeur travail, mais la qualité de vie au travail est également très importante (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.), nous avons donc besoin d’une grande loi Travail –, la question de la formation tout au long de la vie, la question de l’autonomie, etc.

Nous tenons aussi beaucoup au dialogue social et nous avons besoin d’un paritarisme rénové. C’est la raison pour laquelle, Hervé Marseille et les membres du groupe UC demandent l’ouverture le plus vite possible d’une conférence sociale. (Marques dironie sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Laurence Cohen. C’est mal parti…

M. Olivier Henno. Nous sommes également soulagés pour la démocratie représentative. Les institutions de la Ve République sont solides – tant mieux ! Sans ses dispositions, nous n’y serions pas arrivés.

Aristote disait : la politique, c’est la rhétorique, mais c’est aussi l’action et la délibération. L’obstruction parlementaire est « une impasse » – c’est encore un affreux réactionnaire qui le dit : Laurent Berger ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

L’on nous a dit qu’il y aurait un avant et un après. Quelqu’un a cité Alfred Jarry tout à l’heure : eh bien, oui, mes chers collègues, les voraces ont bien battu les coriaces et, dans vos rangs, la gauche radicale a écrasé la social-démocratie. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Rachid Temal. Caricature !

M. Olivier Henno. C’est en cela que plus rien ne sera pareil. Nous avons vu la gauche se rassembler sur le plus petit dénominateur commun, celui de la radicalité.

Je conclurai avec Charles de Gaulle : « La politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c’est d’être petit. » Je vous livre cette citation en cadeau.

Le Sénat sort renforcé. Les institutions sont solides. La démocratie représentative est plus crédible et nous sommes fiers les uns et les autres d’appartenir à cette majorité sénatoriale. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le choix que nous allons opérer ce soir est un choix de responsabilité et un choix d’efficacité.

Inutile d’être vindicatif, agressif ou caricatural, il y va de l’avenir des générations futures, il y va de l’équilibre de nos systèmes sociaux.

Monsieur le président, notre assemblée a redonné de la noblesse au débat démocratique – nous avons pris le temps pour cela –, mais la noblesse consiste aussi à décider. Une assemblée qui débat sans réussir à voter ne joue pas son rôle, elle s’autodétruit !

Comment s’est déroulé le débat ? En deux mi-temps.

Première mi-temps, du 2 au 7 mars, période durant laquelle chacun a pu s’exprimer longuement.

M. Bruno Sido. Du blabla…

M. François Patriat. Je vous rappelle que l’ensemble de notre débat a donné lieu à presque cinq mille amendements, à dix jours de séance – un nombre élevé, y compris si l’on regarde les précédents débats que nous avons eus sur une réforme des retraites.

Cette première mi-temps s’est déroulée dans un climat plutôt serein : l’opposition souhaitait montrer son soutien à la rue et aux organisations syndicales. Nous avons alors eu une multitude d’amendements, de prises de parole sur article – je me souviens qu’il y en a eu plus de cinquante sur l’article liminaire… –, le plus souvent identiques les unes aux autres pour en demander la suppression… (Non ! sur les travées du groupe SER.)

Seconde mi-temps, à partir du 7 mars, où les masques sont tombés.

Mme Laurence Cohen. Ça, c’est vrai ! Surtout à droite !

M. François Patriat. La volonté de l’opposition n’était pas tant de débattre, ce qu’elle a pourtant affirmé pendant des jours et des jours, c’était plutôt de faire en sorte que nous ne puissions pas aller au bout de l’examen de ce texte et le voter. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Vous l’avez dit clairement, tant dans cette assemblée que dans les couloirs et lors de la réunion de la conférence des présidents. Vous ne vouliez pas que ce texte soit légitimé par un vote du Parlement. Or à qui appartient la légitimité dans ce pays ?

M. Thomas Dossus. Aux Français !

M. François Patriat. La légitimité appartient au Parlement, pas à la rue.

M. François Patriat. Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais c’est au Parlement qu’il revient de décider.

Il n’est pas toujours facile d’affronter la rue, de voter des textes impopulaires, d’appeler à l’effort et à la raison. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Il y a des gens, ici, qui ont pris leurs responsabilités. Nous avons fait le choix de la responsabilité et de l’efficacité.

Y a-t-il eu un bâillonnement ? Nous vous avons écoutés. Vous nous reprochez parfois d’avoir été muets, mais vous répétiez sans arrêt les mêmes choses pour occuper le temps. À chaque fois, les rapporteurs vous répondaient techniquement et de manière approfondie et le Gouvernement vous apportait aussi les réponses nécessaires. Il n’y a donc eu aucun bâillonnement.

Y a-t-il eu du mépris ? Qui a méprisé qui, alors que ce projet de loi a été annoncé aux Français et qu’il a été travaillé durant des mois ?

M. Pierre Laurent. Demandez aux organisations syndicales !

M. François Patriat. Le Président de la République ne méprise pas les syndicats : il les a reçus au printemps, il a fait en sorte qu’ils entrent au Conseil national de la refondation, mais la CGT a refusé de participer à la rencontre organisée à l’Élysée. (M. Xavier Iacovelli applaudit.) Elle a refusé ! Ne dites donc pas qu’il y a mépris. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Il n’y a pas eu non plus de brutalité.

M. Pierre Laurent. Et le vote bloqué, c’est quoi ?

M. François Patriat. Ce texte est débattu depuis quatre ans, ici et en dehors de cette assemblée, lors de rencontres avec tous les syndicats. Ce débat a été mené au fond par M. le ministre du travail et par Mme la Première ministre, ce qui a permis d’aboutir à des avancées notables : les syndicats les reconnaissent en privé, mais ils n’ont jamais voulu le faire en public.

Il n’y a donc pas eu brutalité.

Quitte à vous faire crier et à me faire vilipender, je veux dire que ce texte est à la fois nécessaire et protecteur. D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas,…

M. Daniel Breuiller. C’est sûr…

M. François Patriat. … puisque 80 % d’entre eux estiment qu’il sera voté : ils savent très bien que ce texte est nécessaire pour assurer la survie de notre système de retraite. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Ils le savent très bien !

Il n’y a pas eu brutalité. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Des discussions ont eu lieu, Mme la Première ministre a reçu de nombreuses fois les syndicats. En quoi le Gouvernement ne serait-il pas légitime pour avancer sur ce dossier ?

Ce texte, je l’ai dit, est nécessaire. Vous avez utilisé les rapports du Conseil d’orientation des retraites. Que disent-ils, sinon que, dans la situation la plus favorable, il y aura 13 milliards d’euros de déficit en 2030 et qu’il faut combler ce déficit ?

M. Rachid Temal. C’est 0,4 % du PIB !

M. François Patriat. Vous dites que ce texte est injuste, mais ce qui est injuste, ce n’est pas de travailler plus, c’est de laisser à nos enfants des régimes de retraite en perdition, au rabais, et une dette supérieure pour la France. Voilà ce qui est injuste ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains. – Mme Annick Jacquemet applaudit également.)

Nous allons voter ce texte, parce que nous pensons qu’il est à la fois nécessaire et efficace. Vous nous dites que cela laissera de la rancœur et que nous le paierons aux élections. Mes chers collègues, quand je vote un texte, je ne le fais pas pour des raisons électoralistes, je me demande simplement ce qui est bon pour le pays.

D’ailleurs, comme le ministre vous l’a déjà dit, je suis certain qu’aucun gouvernement ne reviendra sur ce texte. Aucun gouvernement n’est jamais revenu sur une précédente réforme des retraites. Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais, si un jour vous accédez aux responsabilités, ce que je ne souhaite pas, vous ne reviendrez pas dessus – vous pourrez alors relire vos propos d’aujourd’hui.

Pour conclure, je remercie à mon tour la commission et les rapporteurs, qui ont répondu avec beaucoup de sérénité et d’efficacité aux arguments avancés, pour certains fallacieux…

Je remercie aussi M. le ministre du travail, qui a su faire preuve de constance, de pédagogie et d’une admirable connaissance des dossiers. Monsieur le ministre, vous êtes un grand ministre du travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous y sommes ! La droite sénatoriale s’apprête à voter cette réforme scélérate, qui recule l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Elle s’apprête à le faire main dans la main avec le Gouvernement et les sénatrices et sénateurs de la majorité présidentielle.

Vous avez pu parvenir à ce moment du vote malgré la contrainte de l’article 47-1 de la Constitution, parce que vous avez ensemble, Gouvernement et majorité sénatoriale, usé de toutes les procédures réglementaires et constitutionnelles possibles et imaginables pour accélérer les débats, en censurant la gauche sénatoriale.

Vous avez bloqué la démocratie. Le blocage, c’est vous !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce projet de loi est fondamental pour des millions de nos concitoyennes et concitoyens. Il vole deux années de retraite en bonne santé à ces travailleuses et travailleurs qui, quel que soit leur corps de métiers, aspirent au repos.

Ce projet de loi, c’est aussi une nouvelle attaque contre les régimes spéciaux, régimes pionniers qui concernent des professions rudes.

Voter la fin du régime spécial des électriciens et gaziers au moment même où ils sont mobilisés, dans des conditions très difficiles à la suite des intempéries de ces dernières quarante-huit heures, est une insulte pour eux.

Monsieur le ministre, vous vous êtes empêtré pour faire prendre des vessies pour des lanternes à votre peuple, en affichant des avancées sur les carrières longues ou sur le revenu minimum de 1 200 euros – ces avancées se révèlent lilliputiennes et même inconsistantes.

Vous avez multiplié dissimulations et contre-vérités pour tenter de rendre acceptable votre texte – vous avez échoué ! La toile de fond reste la même et personne n’est dupe : vous voulez reculer l’âge de départ à la retraite.

Ce projet de loi, vous l’avez aggravé, mesdames, messieurs de la droite sénatoriale. Comment ne pas évoquer l’introduction par vos soins, via un amendement, du ver de la capitalisation dans le fruit de nos régimes de retraite. Vous avez tombé le masque : votre choix, c’est celui des fonds de pension. Vous vous attaquez au régime par répartition pour rendre, de fait, obligatoire le recours aux assurances privées.

Nous l’avons dit d’entrée, vous violez la Constitution à double titre : d’une part, en empêchant le débat parlementaire, d’autre part, en mettant à mal les principes républicains reconnus par le préambule de la Constitution de 1946 issu du programme du Conseil national de la Résistance.

Pour vous, monsieur le ministre, il n’y a pas de principes. Votre priorité n’est pas le bien-être des travailleurs, c’est d’éviter de demander aux plus riches et au patronat de mettre la main à la poche – il n’y a que cela qui vous intéresse.

Avec vos nouveaux alliés de la droite sénatoriale, vous avez refusé d’examiner sérieusement nos propositions alternatives de financement.

Oui, il est possible de rétablir la retraite à 60 ans, véritable projet de justice sociale à l’heure des progrès scientifiques et technologiques : partager les richesses, partager le travail, penser à un monde plus juste, humain, qui par la transformation sociale et écologique est une alternative complète à votre vision libérale, celle d’un vieux monde où seuls la concurrence et le profit trouvent grâce à vos yeux.

Ce projet de justice, il grandit dans notre peuple, que vous le vouliez ou non, il grandit en Europe et dans l’esprit de tous les peuples du monde.

Cette réforme des retraites, c’est une réforme rétrograde, de classe contre classe. Pour l’imposer, vous avez donc choisi le coup de force antidémocratique. Tous les moyens sont bons pour vous : du détournement initial de la Constitution pour corseter le débat à l’application du vote bloqué au Sénat. Votre choix, c’est l’autoritarisme.

Emmanuel Macron refuse de recevoir les syndicats unis contre votre projet et affirme, dans une dérive bonapartiste assumée, ne parler qu’au peuple. Justement, écoutez le peuple, qui est vent debout contre votre réforme ! Écoutez-le une fois pour toutes ! Le coup de force antidémocratique avec le non-vote de l’Assemblée nationale et le vote bloqué, le vote forcé du Sénat, rend illégitime cette réforme des retraites rétrograde.

M. Macron veut s’adresser au peuple ? Qu’il le fasse, en organisant un référendum avec cette question : « Êtes-vous pour ou contre le recul à 64 ans de l’âge de départ à la retraite ? »

Pour ouvrir cette porte de sortie démocratique à la très grave crise sociale et politique que nous vivons, retirez votre projet, retirez-le avant que la colère populaire ne vous atteigne !

Cette réforme est illégitime, nous l’avons dit sans cesse sur les travées de la gauche. Une dame brandissait une pancarte cet après-midi lors de la manifestation à Paris : « Je suis fatiguée. Laissez-moi ! Laissez-nous enfin le temps d’être heureux et heureuses ! »

Retirez cette réforme ! Croyez-moi, croyez-nous, nous irons jusqu’au bout ! (Mmes et MM. les sénateurs des groupes CRCE, SER et GEST se lèvent et applaudissent. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)