M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la commission mixte paritaire soit parvenue à une rédaction commune sur l’ensemble des dispositions restant en discussion de cette proposition de loi. Je félicite l’auteure de la proposition de loi et les rapporteurs, de même que je salue votre engagement, monsieur le ministre.

Grâce à ce texte, l’État et ses établissements publics, sans oublier les collectivités et leurs groupements, pourront désormais recourir au tiers-financement. Cette expérimentation représente une avancée majeure, que je salue.

Adopté le 19 janvier dernier à l’Assemblée nationale, puis le 16 février suivant au Sénat, le texte a bénéficié d’apports constructifs de la part des deux chambres. Au fil des débats, le dispositif a gagné en souplesse et en simplicité. Il en a résulté un outil facilitateur, dont je suis certain que nos élus sauront tirer profit.

Je suis particulièrement heureux que la commission mixte paritaire ait conservé une très grande partie des enrichissements proposés lors des débats au Sénat ; je pense notamment aux dispositions visant à améliorer la transparence sur les engagements financiers. Il est essentiel de pouvoir anticiper de manière précise les conséquences financières des engagements qui seront pris au travers de ce dispositif.

Ces contrats sont bien encadrés et favoriseront l’accomplissement des projets de territoire défendus par nos élus, avec toutes les précautions qui s’imposent, afin d’aller vers une réduction importante de l’empreinte carbone dans les années à venir.

Le Gouvernement remettra un rapport d’évaluation qui permettra une analyse rigoureuse du dispositif. Nous jugeons cela utile et serons particulièrement attentifs à l’étude de ses bénéficiaires, mais aussi à la nature des projets accompagnés, ainsi qu’aux catégories d’entreprises qui seront concernées.

Les défis environnementaux s’imposent à nous avec une urgence croissante. Comme le souligne le dernier rapport du Giec, les effets du réchauffement se font ressentir dans nos territoires, à l’image de la sécheresse dramatique qui sévit en ce moment même dans de nombreux départements.

Tous les outils en faveur de la transition écologique mis à la disposition de nos élus sont les bienvenus. Comme nous l’avons rappelé lors de l’examen du texte, cette expérimentation est un atout supplémentaire dans le jeu des élus locaux. Il est très important de leur faire confiance. Nous pouvons donc nous féliciter de participer ensemble à la création d’une nouvelle pratique vertueuse, qui s’ajoutera au panel des solutions existantes.

Cette proposition de loi représente une avancée concrète pour nos territoires. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Mme Esther Benbassa applaudit.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le Giec nous implore encore de prendre la mesure du changement climatique et d’adopter dans l’urgence des dispositions, simplement pour préserver les conditions de vie sur notre planète, nous nous retrouvons pour voter l’accord trouvé par la CMP visant à instaurer de nouvelles modalités d’action en faveur des travaux de rénovation énergétique.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et les écologistes en général lancent depuis bien longtemps l’alerte sur les passoires thermiques et sur les charges que ces dernières font peser sur de nombreux foyers modestes.

Nous considérons cet enjeu comme prioritaire. Nous avons été à l’initiative d’une commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, dont Guillaume Gontard, le président de notre groupe, est rapporteur ; son rapport devrait être rendu au début du mois de juillet prochain. Il s’est prononcé pour aller vers « un reste à charge zéro », et, au vu des sommes à débourser par les ménages, la question du tiers-financement doit se poser.

Elle se pose aussi pour nos collectivités. Le Sénat, chambre des territoires, connaît bien les problèmes auxquels elles sont confrontées.

La crise énergétique et les discussions sur le filet de sécurité ont montré que ces difficultés étaient présentes partout, en milieu rural comme en milieu urbain, dans les petites collectivités comme dans les grandes. Pour autant, les bâtiments publics sont loin d’être épargnés par la surconsommation d’énergie. Ceux de l’État et des collectivités locales sont responsables de 76 % de la consommation énergétique des communes.

À l’occasion de la première lecture du texte, j’avais rappelé que la Cour des comptes, à l’automne dernier, avait noté l’incohérence et le risque d’inefficacité des mesures gouvernementales destinées à améliorer l’empreinte environnementale des bâtiments : « Le secteur du bâtiment, résidentiel et tertiaire, constitue en France la première source de consommation d’énergie. La politique de rénovation énergétique des bâtiments, à laquelle l’État a consacré plusieurs réformes législatives au cours de la dernière décennie, est un outil majeur pour la mise en œuvre de la stratégie bas-carbone et l’accentuation de la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre. »

Par exemple, l’effort sur les écoles a trop longtemps été repoussé. Alors que les diverses échéances se rapprochent, les factures continuent de s’envoler ; le coût du filet de sécurité, si utile, et des rénovations éventuelles ne doit pas être pris à la légère.

En outre, l’effort du Gouvernement en matière de purification d’air, promis par le Président de la République lors de sa campagne, a lui aussi été oublié.

Le coût de la dette climatique est bien trop nocif pour notre société, et les dépenses énergétiques indues grèvent les finances publiques, en particulier les finances locales. On retrouve donc bien, dans le cadre du patrimoine public, la double peine que vivent les foyers, ce cercle vicieux que nous connaissons trop bien : le renoncement aux travaux de rénovation pour des raisons financières maintient des dépenses énergétiques abyssales.

L’urgence est là ! Ce texte issu de la CMP est une première étape dans la gestion du coût très élevé de travaux souvent nécessaires ; il a pour objet une expérimentation pendant cinq ans de l’aménagement du droit de la commande publique, particulièrement en matière de paiement différé.

Conscient de l’attente des collectivités, et favorable à l’accélération de la transition énergétique des bâtiments publics, notre groupe est favorable à cette expérimentation, mais il continuera à exprimer sa prudence envers un risque de captation par le secteur privé d’une grande partie de la rentabilité des activités économiques suscitées par les économies d’énergie, à la faveur d’une forme de privatisation de la maîtrise d’ouvrage de ces travaux et de leur financement.

Hélas, les fameux partenariats public-privé (PPP) ont souvent été accompagnés d’abus de la part des partenaires privés. L’inertie des dernières décennies a déjà un coût. Il convient de s’assurer qu’il ne soit pas encore amplifié.

Au-delà de cette expérimentation, c’est bien la question du financement de la transition énergétique qui se pose, et je salue le constat de notre rapporteure à ce sujet : cette proposition de loi ne représente qu’« un dispositif complémentaire bienvenu, mais qui ne peut représenter l’unique solution pour réussir la transition énergétique du secteur public », d’autant que « le tiers-financement […] ne doit pas être favorisé de façon systématique en raison des surcoûts finaux qu’il entraîne ».

J’espère que beaucoup sur ces travées sont en accord avec le principe de pollueur-payeur et qu’ils défendraient ainsi une taxation des entreprises les plus polluantes pour mieux alimenter le budget de MaPrimeRenov’ ou de tout autre dispositif d’aide à la rénovation des logements des particuliers…

L’expérimentation proposée dans ce texte reste une bonne idée. Son évaluation, voulue par notre commission, doit faire l’objet d’une réelle et indispensable ambition au vu des sommes qui pourraient être engagées.

L’objectif de réduction de 60 % de la consommation énergétique des bâtiments publics d’ici à 2050 ne peut être atteint sans des mécanismes d’accompagnement, de préférence pérennes, lisibles et peu coûteux. L’expérimentation permettra de dresser le bilan des mécanismes qui fonctionnent ou ne fonctionnent pas.

Cette loi n’offrira qu’un appui très limité aux ambitions qui doivent être les nôtres en matière de rénovation thermique ; elle ne permettra pas à elle seule d’atteindre les objectifs fixés. Nous en sommes loin. Une grande stratégie de rénovation thermique aurait dû et devrait être une priorité majeure de l’État, au même titre que notre stratégie énergétique.

Néanmoins, ce texte va dans le bon sens. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en sa faveur, en restant attentif aux dérives des marchés de rénovation. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Claude Tissot applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, déposée le 29 novembre 2022 par les membres du groupe Renaissance, cette proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 19 janvier dernier, puis par le Sénat le 16 février suivant. Cette quasi-unanimité parlementaire a débouché, logiquement, sur une commission mixte paritaire conclusive, il y a deux semaines. Je remercie les deux rapporteurs, la sénatrice Eustache-Brinio et le député Cazenave, de leurs travaux.

En moins de quatre mois, le Parlement se sera prononcé en faveur de l’ouverture du tiers-financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales, traduisant une volonté de soutenir la réalisation de travaux de rénovation énergétique. Il nous faut bel et bien accélérer, alors que la loi Élan a imposé en 2018 une réduction de 60 % de la consommation d’énergie finale des bâtiments publics d’ici à 2050 par rapport à leur niveau de 2010. C’est le sens du décret dit « tertiaire ».

Réaliser cette transition énergétique, c’est devoir engager, pour le seul parc public, près de 500 milliards d’euros dans les vingt-cinq prochaines années.

Ce cap que nous nous sommes fixé est ambitieux et nécessaire. Il rend impératif un effort massif et continu, notamment budgétaire, afin de rendre possible la rénovation énergétique des 400 millions de mètres carrés concernés.

L’objectif est triple : réduire nos émissions de CO2 et préserver notre environnement, diminuer les factures énergétiques à la charge de l’État et des collectivités territoriales, enfin, améliorer les conditions de travail des agents et d’accueil du public.

C’est dans ce cadre d’action que le groupe RDPI a souhaité créer une mission d’information sur « Le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique », puisque 12 millions d’élèves sont scolarisés chaque année.

Face aux défis colossaux qu’il nous faut relever, de nombreux leviers doivent être activés, afin de bénéficier d’expertises juridiques et techniques de qualité, mais aussi d’établir un diagnostic pour faciliter et de diversifier les sources et les modalités de financement. Le dispositif innovant dont nous discutons aujourd’hui se veut une réponse pertinente pour ce faire. Il vient encourager et faciliter le recours des personnes publiques aux contrats de performance énergétique, qui sont encore trop peu utilisés.

En levant quelques freins à l’investissement qui résultent du coût élevé que représentent les travaux, le texte que nous nous apprêtons à adopter définitivement vient déroger, sous forme expérimentale et pour une durée de cinq ans, au code de la commande publique. Il vise ainsi à engager plus facilement des travaux de rénovation énergétique en différant leur paiement.

Il s’agit ni plus ni moins de lisser le coût de la rénovation en faisant porter par un tiers le paiement immédiat des travaux, d’où le terme de « tiers-financement ». Cela permettra un remboursement progressif, sous forme de loyer annuel, en partie réalisé grâce aux économies d’énergie induites. Il s’agit bel et bien d’un nouvel outil au service de la transition énergétique, un « dispositif complémentaire » parmi d’autres, qu’il nous faudra évaluer.

Comme je le rappelais à l’occasion de l’examen en première lecture, il viendra s’ajouter, d’une part, aux partenariats public-privé, lesquels permettent aussi le tiers-financement, mais qui, en matière de rénovation énergétique, ne sont presque jamais utilisés par les collectivités territoriales, et, d’autre part, aux marchés globaux de performance.

Pour les élus locaux, le tiers-financement permettra de conserver la maîtrise d’ouvrage et de contractualiser en se basant sur une offre qui intégrera le financement et la réalisation des travaux de bout en bout.

Le texte de compromis trouvé en CMP ne diverge du texte établi par le Sénat que sur quelques points mineurs, comme vous nous l’avez précisé, madame la rapporteure.

En ce qui concerne l’article 1er bis, l’étude préalable à l’engagement de la procédure de passation d’un marché global de performance devra « démontre[r] que le recours à un tel contrat est plus favorable que le recours à d’autres modes de réalisation du projet », et non « au moins aussi favorable ». Mon groupe soutient cette formulation.

Il a également été précisé que la durée du marché global sera déterminée « en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues » ; encore une fois, nous y sommes favorables.

Le groupe RDPI votera pour ce nouvel outil mis au service de la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet est majeur, mais il ne s’agit pas pour autant d’un grand moment de la vie parlementaire. Au travers de ce texte, nous ne résoudrons pas le problème du réchauffement climatique, ni même celui de la rénovation de l’ensemble des 400 millions de mètres carrés de bâtiments publics…

Pour autant, grâce au texte élaboré en commission, puis grâce à la CMP conclusive, le Parlement peut rapidement mettre un nouvel outil au service des collectivités et des établissements publics pour atteindre des objectifs importants. Beaucoup d’entre vous ont évoqué ceux qui sont présents dans la loi Élan ; j’ajouterai pour ma part ceux du paquet Fit for 55.

En effet, ce paquet vise une réduction de 55 % des émissions carbone d’ici à 2030. Un trilogue, réuni en décembre dernier, a abouti à la mise en place à partir de 2027 d’un marché carbone pour les bâtiments.

Ce marché conduira à une augmentation du coût du chauffage pour l’ensemble des bâtiments publics et abondera le Fonds social pour le climat à hauteur de 25 %, le reste devant être financé par les différents pays de l’Union européenne. On estime ses revenus à environ 210 milliards d’euros pour la période 2027-2032, un montant consacré à l’accompagnement des efforts en matière de rénovation énergétique et, d’une manière générale, de lutte contre le réchauffement climatique.

Toutefois, face aux 400 millions de mètres carrés à rénover, qui, comme cela a été précisé, comprennent de nombreuses écoles, il est indispensable de disposer de nouveaux outils. Ce texte tend à déroger provisoirement au code de la commande publique, pour permettre aux collectivités ou aux établissements publics de faire porter de manière transitoire le financement d’opérations par un tiers-financeur. Un tel outil peut être utile.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain émet quelques réserves et inquiétudes sur la proposition de loi issue de la CMP conclusive. J’en citerai trois.

Tout d’abord, l’effet rebond, bien connu en matière de rénovation énergétique, est à craindre : si les économies réalisées poussent à consommer plus que prévu dans d’autres secteurs, alors même qu’il faudra payer en décalage les travaux réalisés, les budgets de nos collectivités ou des établissements publics pourraient être fragilisés.

Ensuite, se concentrer sur la rénovation énergétique conduit à oublier d’autres rénovations indispensables, notamment, cela a été dit, en matière de sécurité ou de conservation du patrimoine. Si la rénovation se limite à la dimension énergétique et ne prend pas en compte l’ensemble des normes, des difficultés risquent de se présenter.

Enfin, nous avons une réserve sur les opérateurs potentiellement intéressés par ce tiers-financement. Il s’agira probablement des plus grosses entreprises, au détriment de celles qui présentent des compétences plus locales, qui n’auront pas la surface financière pour accompagner ce tiers-financement dont un certain nombre de collectivités ou d’établissements publics auront besoin.

Au-delà de ces réserves, nous considérons que ce texte représente un outil utile qui mérite d’être soutenu.

Monsieur le ministre, je voudrais que vous m’apportiez un éclaircissement. Les collectivités ont été évoquées, mais, en tant que sénateur représentant les Français de l’étranger, je crois qu’il faut également mentionner les établissements publics.

Nos établissements en gestion directe à l’étranger ont aussi besoin de rénovation énergétique et ils sont gérés par une agence qui n’a pas de capacité d’emprunt. Lorsque cette dernière émettra des propositions de rénovation énergétique, nous espérons que l’État autorisera le recours au tiers-financement pour ce type d’opérations. Le cas échéant, la solution serait intéressante pour nos établissements scolaires à l’étranger, qui sont bloqués dans leur développement.

En tout état de cause, compte tenu de ce qui a été dit sur toutes les travées au sujet de cette CMP conclusive, nous voterons en faveur de cette proposition de loi.

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs
Article 1er

Approvisionnement en produits de grande consommation

Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs (texte de la commission n° 429, rapport n° 428).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureuse de vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer l’équilibre des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, le troisième volet des lois dites Égalim, c’est-à-dire pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Le législateur tente de nouveau dans ce texte de réguler des relations commerciales plus tendues que jamais entre industriels et distributeurs, dans un contexte d’inflation croissante.

Je me réjouis que nous soyons parvenus à un accord entre sénateurs et députés sur des points cruciaux, comme le rééquilibrage des rapports de force entre ces acteurs, en affirmant le caractère d’ordre public de notre droit commercial et en protégeant la valeur des matières premières agricoles, donc le revenu des agriculteurs.

Les discussions ont été vives, compte tenu des éléments nouveaux que le Sénat a introduits dans le texte et des divergences de vues initiales entre nos deux assemblées, notamment sur les articles 2 et 3, mais nous avons su trouver des compromis au service de l’intérêt général.

Je tiens à souligner l’écoute et la qualité des échanges sur ce texte, que ce soit entre nous, mes chers collègues, ou avec l’auteur et rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, M. Frédéric Descrozaille – qu’il en soit remercié, ainsi que ses équipes.

La grande majorité des apports du Sénat, et ils sont nombreux, ont été conservés par la commission mixte paritaire.

Premièrement, nous avons contribué à protéger l’emploi, l’investissement et l’innovation dans nos territoires, en mettant fin pour les produits non alimentaires aux « promos chocs », qui sont devenues destructrices de valeur et qui mettent en jeu la survie des entreprises. Je pense bien sûr aux produits bradés, parfois jusqu’à des taux de 90 %, qui sont imposés aux fournisseurs par les distributeurs.

À l’heure où les politiques publiques tentent de réindustrialiser notre pays pour plus d’emplois et de souveraineté, il était essentiel d’être attentif aux entreprises du secteur de la droguerie, parfumerie, hygiène (DPH), ô combien déterminantes durant la crise sanitaire, qui produisent et créent de l’emploi dans nos territoires.

Mes chers collègues, je vous proposerai un amendement visant à ce que cette mesure entre en vigueur en 2024 ; s’il n’était pas adopté, tous les accords et plans d’affaires élaborés ces dernières semaines, pendant les négociations, deviendraient caducs.

Deuxièmement, nous avons complété le dispositif de protection des matières premières agricoles au sein des négociations commerciales, pour une plus juste rémunération des agriculteurs.

En effet, si ces matières premières sont sanctuarisées pour ce qui est de la négociation sur les marques nationales depuis la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Égalim 2, ce n’était pas le cas pour les produits vendus sous marque de distributeur (MDD), alors même que ces produits prennent de plus en plus de place dans les rayons. C’est désormais chose faite.

Dans la même perspective de protection des filières agricoles, la commission mixte paritaire a conservé l’exclusion de la filière des fruits et légumes du dispositif de seuil de revente à perte, dit « SRP+10 », qui s’est révélé préjudiciable aux producteurs de cette filière depuis quatre ans. Il était temps de les en sortir, pour soutenir la production française de fruits et légumes et garantir sa pérennité.

Troisièmement, en ces temps d’inflation, nous avons renforcé les obligations de transparence des distributeurs quant à leur usage des 600 à 800 millions d’euros de recettes suscitées chaque année par le SRP+10.

Depuis 2018, le Sénat pointe la fragilité de ce dispositif opaque, unique en Europe, qui consiste à donner un chèque en blanc aux distributeurs en espérant qu’ils utiliseront cette marge pour mieux rémunérer les producteurs.

En CMP, nous sommes tombés d’accord avec nos collègues députés pour exercer un contrôle renforcé et raccourcir d’un an la durée de l’expérimentation, jusqu’en 2025.

Quatrièmement, les avancées du Sénat sur les pénalités logistiques ont été conservées. Si leur existence même n’est pas contestable, encore faut-il qu’elles soient utilisées à leur juste mesure et à bon escient par les distributeurs. Les dispositions que nous avons adoptées permettront de s’en assurer.

Enfin, nous avons longuement débattu de l’article 3, qui entend régir les cas où industriels et distributeurs ne se mettent pas d’accord au 1er mars.

Le compromis trouvé permet seulement au fournisseur, à titre expérimental, de choisir entre cesser subitement de livrer ou appliquer un préavis de rupture qui tiendra compte des conditions économiques du marché. Cette solution, qui ne nous semblait pas idéale, présente des inconvénients qui, nous l’espérons, ne se révéleront pas trop importants. Mais c’est le propre des CMP que de rechercher des compromis…

Tels sont, mes chers collègues, les différents points d’accord auxquels la CMP est parvenue. Je vous invite bien évidemment à en adopter les conclusions pour permettre la mise en œuvre rapide de ces dispositions, qui constituent des avancées considérables en matière de rééquilibrage des relations commerciales et, surtout, de protection de la rémunération des agriculteurs. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer l’accord trouvé en CMP sur cette proposition de loi relative à la juste répartition de la valeur – sujet capital pour l’avenir de l’agriculture ! – entre les différents maillons de la chaîne agroalimentaire. C’est le signe, je crois, d’une volonté partagée avec le Parlement d’œuvrer de façon continue en ce sens.

Cette proposition de loi, sur laquelle le Sénat va se prononcer définitivement, contribuera à la poursuite du rééquilibrage des relations commerciales dans la chaîne agroalimentaire et, ce faisant, à un meilleur partage de la valeur au bénéfice des agriculteurs.

Les ajustements apportés s’inscrivent dans la continuité de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, dite Égalim 1, et de la loi Égalim 2, respectivement de 2018 et 2021, qui ont déjà produit des effets tout à fait significatifs.

C’est du reste ce que constate l’inspection générale des finances dans son rapport actualisé sur l’inflation alimentaire, qui souligne une progression de l’excédent brut d’exploitation de la filière agricole et de l’industrie agroalimentaire (IAA). Ne nous y méprenons pas, ce sont des éléments déterminants pour préserver notre souveraineté alimentaire.

À cet égard, ce texte va globalement dans le bon sens, en particulier sur la nécessaire prolongation du dispositif expérimental de relèvement du seuil de revente à perte de 10 % pour les produits agricoles et alimentaires. Cette prolongation constituait une attente très forte du monde agricole.

Sur ce point, j’aimerais saluer ici l’esprit d’ouverture dans lequel les travaux du Sénat ont été conduits. Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale proposait de prolonger l’expérimentation jusqu’en 2026. C’était aussi, vous le savez, la position exprimée clairement par le Gouvernement.

En commission, le Sénat a manifesté ses doutes – ceux-ci sont toujours utiles au débat – à l’égard de ce mécanisme, qu’il a proposé de le suspendre durant deux ans, le temps que la période inflationniste que nous traversons prenne fin.

J’avais alors rappelé devant vous, à l’occasion de l’examen du texte, qu’il s’agissait non pas d’opposer le revenu des agriculteurs à la protection du pouvoir d’achat des ménages, en particulier les plus modestes, mais bien de mener ces deux combats de front.

J’avais rappelé qu’il fallait, à mon sens, assumer collectivement le fait qu’une alimentation de qualité, sûre, produite dans des conditions respectueuses de notre environnement et de notre biodiversité ait un coût.

De même, j’avais souligné que le maintien d’un outil de production agricole et agroalimentaire dans nos territoires avait un coût. Et j’avais constaté avec vous que l’évaluation de cette expérimentation avait été rendue difficile par la crise sanitaire, à laquelle avait succédé un choc inflationniste concomitant de la guerre en Ukraine.

Il semblait donc nécessaire au Gouvernement de prolonger cette expérimentation, mais avec les dispositifs de contrôle et d’évaluation adéquats, pour répondre aux préoccupations légitimes de votre commission et de votre rapporteur.

C’est dans cet esprit que le Sénat a entendu les inquiétudes exprimées par le monde agricole et qu’il a voté la prolongation du SRP+10 jusqu’en 2025.

Bien sûr, le Gouvernement demeure convaincu qu’une prolongation de trois années à périmètre constant aurait été plus adaptée en termes de lisibilité et de cohérence du dispositif pour les acteurs des relations commerciales. Je pense naturellement à la désynchronisation des dates entre encadrements des promotions et SRP+10, ainsi qu’à l’exclusion des fruits et légumes sans justification préalable.

Toutefois, malgré ces deux réserves, l’équilibre global auquel la CMP est parvenue me semble satisfaisant.

J’en viens maintenant à l’article 3, qui fixe les modalités de la relation commerciale entre fournisseurs et distributeurs en cas d’échec de la négociation annuelle. Cette disposition, très discutée, avait pour objectif d’apporter une réponse adaptée à un angle mort des négociations commerciales annuelles.

Les opérateurs, qu’ils soient fournisseurs ou distributeurs, ont un intérêt commun à ce que les flux de ventes ne s’interrompent pas en cas d’échec de la négociation annuelle. Mais la relation commerciale doit parfois s’interrompre. C’est précisément cette situation qui requérait un encadrement juridique beaucoup plus précis.

Le Gouvernement considérait qu’un équilibre satisfaisant avait été trouvé à l’issue de vos travaux en commission. À cet égard, je tiens tout particulièrement à remercier de leur engagement Mme la présidente Sophie Primas et Mme la rapporteure Anne-Catherine Loisier, qui ont essayé de sécuriser juridiquement ce dispositif assez complexe tout au long de la navette. C’est en effet de visibilité et de clarté que les acteurs de la chaîne agroalimentaire ont besoin.

L’écriture retenue en CMP laisse un choix clair au fournisseur et dispose que tout préavis tient compte des conditions économiques de marché, précision ô combien utile en période inflationniste.

Par ailleurs, le recours à la médiation pour conclure un préavis est facultatif, ce qui évitera l’engorgement des saisines du médiateur et le report systématique que nous pouvions craindre de la date butoir.

C’est un texte qui a atteint son point d’équilibre en évitant les écueils que les versions antérieures avaient pu soulever. C’est aussi un texte empreint d’une certaine prudence, parce qu’il est expérimental. L’apport décisif du Sénat sur cet article doit être salué.

Je salue également le rehaussement des amendes administratives pouvant être infligées en cas de non-respect de la date du 1er mars. Je serai attentif à ce que nos services de contrôle s’en saisissent pleinement, afin de lutter contre les pratiques de certains distributeurs tentés de jouer la montre pour mettre la pression sur les producteurs.

Permettez-moi d’être moins disert sur les autres avancées de cette proposition de loi, que le Sénat a contribué largement à améliorer.

Le souhait d’un encadrement renforcé des pénalités logistiques est exaucé, avec des obligations plus précises et des sanctions alourdies.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez veillé au caractère opérationnel de cet enrichissement de notre cadre législatif. Il faut en finir avec cette exception très française consistant de la part de certains acteurs à reconstituer leurs marges par l’application de pénalités abusives.

Le mécanisme de suspension de l’application des pénalités logistiques en cas de circonstances exceptionnelles est également tout à fait pertinent. En témoignent les crises d’ampleur traversées ces dernières années, comme celle du covid-19, qui viennent légitimer auprès de nos concitoyens l’usage par l’État de ce type de prérogative régalienne.

Par ailleurs, la proposition de loi consacre la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve des dispositions applicables du droit de l’Union européenne, pour connaître des litiges portant sur les négociations commerciales annuelles. Il s’agissait d’un autre angle mort de notre droit qu’il convenait de rectifier. Comme vous, le Gouvernement a particulièrement à cœur de lutter contre les comportements de contournement de la loi française que nous constations tous.

Le texte apporte enfin quelques correctifs bienvenus à la loi Égalim 2, notamment en ce qui concerne la clause de renégociation, le fonctionnement de l’option 3 de transparence – un enjeu déjà soulevé par Daniel Gremillet – ou encore le renforcement du cadre applicable aux produits vendus sous marque de distributeur, que Laurent Duplomb, entre autres, a défendu. Je ne puis évidemment que partager cet objectif.

Pour conclure, je voudrais une nouvelle fois remercier tout particulièrement Mme la rapporteure et Mme la présidente de la commission de leur investissement dans l’examen de ce texte, de la finesse de leur expertise et de l’expression toujours respectueuse de leurs convictions.

Jamais les divergences de points de vue ou d’analyse qui se sont légitimement fait jour ne nous ont fait perdre de vue les finalités, à savoir la protection de nos agriculteurs et celle de notre souveraineté alimentaire. C’est ce chemin que nous devons continuer d’emprunter. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC, ainsi quau banc des commissions.)