Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, l’actualité nous rappelle la menace que fait peser l’intensification du risque incendie sur nos territoires.

Alors que la saison des feux commence à peine, le Canada a déjà perdu plus de 7 millions d’hectares de forêts. Les feux ont pris une telle ampleur que la fumée des incendies, chargée en particules fines, est arrivée jusqu’en France. Je tiens à apporter tout mon soutien aux soldats du feu canadiens et internationaux qui se battent sans relâche pour stopper ces mégafeux. Cette catastrophe doit nous alerter dans cet hémicycle sur ce qui deviendra bientôt la norme.

L’été dernier, plus de 70 000 hectares de forêts sont partis en fumée en France. L’été 2022 a été très traumatisant en Gironde. Les climatologues considèrent que ces canicules, ces sécheresses et ces incendies préfigurent les étés futurs.

Dans son rapport sur les feux de forêt et le changement climatique, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) rappelle que l’occupation des sols, la dégradation de l’environnement et le dérèglement climatique sont en partie responsables de ces catastrophes. Face à l’inaction, ce même rapport appelle à accélérer la lutte contre le changement climatique pour limiter les coûts économiques, sociétaux et environnementaux des incendies.

Pourtant, alors que nous devons nous préparer à des feux plus nombreux, plus étendus et plus violents, le texte que nous examinons aujourd’hui fait, malheureusement, l’apologie des petits pas.

Certes, les moyens supplémentaires déployés en France pour faire face à l’été 2023 vont dans le bon sens. En Gironde, le prépositionnement d’avions Air Tractor, d’un Dash et d’un hélicoptère répond, en partie, aux besoins immédiats. Les engagements pris par le ministre de l’intérieur d’envisager la création d’une seconde base de canadairs sur la façade ouest sont également positifs.

En revanche, lors de la réunion de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a assumé son manque d’ambition en se limitant à des considérations budgétaires. Ce texte n’est plus qu’un petit texte regroupant de petites mesures aux répercussions limitées.

Alors qu’il manque 50 000 sapeurs-pompiers volontaires en France, exclure les collectivités locales du dispositif de réduction des cotisations patronales est un non-sens. Même des mesures évidentes, comme la prise en compte des besoins de la sécurité civile dans la politique de gestion de l’eau, ont été supprimées. Pourtant, il s’agit d’une demande de nos sapeurs-pompiers, qui s’inquiètent de l’avenir de la ressource en eau.

Alors que 95 % des départs de feux sont d’origine humaine, la sensibilisation de nos concitoyens aux bons réflexes est un enjeu majeur. Prévenir le risque incendie passe aussi par la réduction des départs de feux. Malheureusement, les mesures proposées dans ce texte sont bien maigres au regard de l’enjeu. Nous avions déjà soulevé cette faiblesse en avril dernier, mais à la suite de la réunion de la commission mixte paritaire, le résultat est encore plus nettement décevant.

Nous regrettons également, comme certains de nos collègues, la suppression du crédit d’impôt pour la réalisation des obligations légales de débroussaillement, adopté à l’unanimité par le Sénat.

Pour prévenir le risque et sensibiliser la population, nous devrons nous satisfaire d’une « Journée nationale de la résilience ». Faute de moyens, nous aurons des paroles !

Enfin, l’adaptation de nos forêts au dérèglement climatique est le parent pauvre de cette petite proposition de loi. Prévenir le risque, c’est également préparer nos forêts aux chaleurs extrêmes, aux sécheresses à répétition et aux attaques parasitaires. Augmenter la résilience de nos forêts, c’est réduire le risque incendie, c’est soutenir nos sapeurs-pompiers et nos collectivités, c’est protéger nos concitoyens.

Pourtant, les rares avancées que nous avions obtenues au Sénat et à l’Assemblée nationale ont été balayées lors de la commission mixte paritaire.

L’absence de mesures en faveur de la biodiversité nous inquiète. La suppression de la mention « biodiversité » dans les plans simples de gestion n’est pas anodine. L’industrialisation de la forêt, les monocultures et le court-termisme ne feront qu’accroître le risque incendie. Il suffit de regarder la campagne de replantation en Gironde. Malgré les alertes des chercheurs, on replante du pin maritime à perte de vue !

Les considérations financières ont pris le dessus sur l’objectif de cette proposition de loi. Pourtant, comme l’a indiqué notre collègue Pascal Martin, un euro investi dans la lutte contre les feux de forêt génère de 20 à 25 euros d’économie en valeur du sauvé.

Mieux vaut prévenir que guérir : tout le monde connaît ce proverbe. Hier, la présidente du Haut Conseil pour le climat a jugé lors de la présentation de son rapport que la France a été dépassée par les événements climatiques extrêmes qui l’ont frappée en 2022. Elle appelle le Gouvernement à acter l’urgence et à accélérer son action. Elle considère qu’on a dépassé la politique des petits pas, mais qu’on n’est pas encore au pas de course.

Alors oui, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte, malgré ces réserves et à contrecœur. Il s’agit d’une occasion manquée pour, enfin, apporter une réponse à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous à l’esprit les images de l’été dernier, au cours duquel 72 000 hectares de nos forêts sont partis en fumée et, avec eux, autant d’hectares de notre patrimoine naturel. Je tiens à remercier les sapeurs-pompiers qui ont lutté jour et nuit contre ces feux de forêt. Dans mon seul département du Haut-Rhin, 500 départs de feu ont été recensés en 2022.

En tant que sénatrice d’une région frontalière, je tiens à rappeler que, l’été dernier, nous avons pu compter sur l’aide de nos partenaires européens, l’activation du mécanisme de protection civile de l’Union européenne ayant permis de mobiliser quatre avions de la flotte RescUE.

Le caractère hors norme de l’été 2022 ne doit pas cacher le fait que l’intensification des feux de forêt est un mouvement de fond : sur le pourtour méditerranéen français, les surfaces brûlées pourraient augmenter de 80 % d’ici à 2050. Les conséquences du changement climatique se manifestent de manière spectaculaire.

À l’horizon de 2050, 50 % des landes et des forêts métropolitaines seront exposées à un risque incendie élevé, contre un tiers il y a un peu plus d’une décennie. La période à risque devrait également être trois fois plus longue. Quant aux feux hivernaux, ils vont se multiplier.

Dès le mois de mai 2022, le Sénat s’est saisi de ce sujet en constituant une mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, à l’origine du texte que nous examinons aujourd’hui. Je veux ici remercier très sincèrement les rapporteurs de cette mission. Je m’associe aux propos de Pascal Martin sur les articles 32 et 34.

Les travaux de cette mission ont mis en lumière la future vulnérabilité de notre stratégie de lutte contre les feux de forêt, qui, si elle reste aujourd’hui un modèle en Europe, doit évoluer. Sans changement, notre stratégie de lutte ne suffira pas face à l’intensification et à l’extension des feux de forêt.

La proposition de loi répond pour partie à cette nouvelle problématique, en mettant l’accent sur l’aménagement du territoire, la gestion durable, la valorisation de la forêt et la mobilisation de l’ensemble des acteurs, au premier rang desquels les agriculteurs, maillons essentiels dans l’élaboration du modèle de lutte contre les feux de forêt au XXIe siècle.

Si nous avons fortement investi dans la sécurité civile depuis 2017 – le budget que nous y consacrons a augmenté de 40 % et nous avons acquis de nouveaux avions Dash –, force est de constater que la mobilisation de moyens financiers ne suffira pas pour répondre à l’intensification de la pression qui s’exerce sur nos massifs forestiers.

C’est pourquoi nous avons clarifié le cadre d’intervention des Sdis, conforté les plans communaux de sauvegarde et valorisé l’engagement et le volontariat lors de l’examen de la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras.

Je retiens particulièrement la reconnaissance par la Nation du sacrifice ultime des sapeurs-pompiers par la création de la mention « Mort pour le service de la République », ainsi que la reconnaissance des enfants de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires décédés en service en tant que pupilles de la République.

Nous devons aujourd’hui adapter nos politiques et nos territoires en renforçant la prévention et les moyens de lutte tout en accélérant le reboisement post-incendie. Ce texte y contribue. Il comprend également un volet relatif à l’optimisation de la gestion de nos forêts, élément central du modèle à construire pour les années à venir.

Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, nous avons affiné le texte, dont je retiens trois apports.

D’abord, la simplification de la stratégie nationale interministérielle permettra d’optimiser les moyens de l’État. La conservation de l’obligation d’élaborer un plan de protection des forêts contre les incendies dans les territoires les plus à risque et la déclinaison de ce plan pour chaque massif forestier permettront de mieux prendre en compte les spécificités de chaque territoire.

Ensuite, le travail global mené sur les obligations légales de débroussaillement nous paraît aller dans le bon sens et répond à une attente forte dans certains territoires.

Enfin, la reconnaissance du rôle primordial des agriculteurs et de la sylviculture dans la prévention des feux de forêt, à laquelle nous sommes très attachés, est maintenue.

En l’état, le texte permet de faire de la prévention, de lutter à la racine contre l’intensification et l’extension du risque incendie dans nos forêts, mais également d’adapter nos forêts et de conforter l’aménagement du territoire comme pierre angulaire de la protection de notre patrimoine naturel.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et au banc des commissions.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie
Discussion générale

3

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer la présence dans la tribune d’honneur du Sénat d’une délégation de membres de la Chambre des députés du Mexique, conduite par le député M. Roberto Lopez Garcia, président du groupe interparlementaire d’amitié Mexique-France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M le ministre, se lèvent.)

Ils sont accompagnés de notre collègue Daniel Laurent, président du groupe d’amitié France-Mexique-Pays d’Amérique centrale et président délégué pour le Mexique.

À travers sa visite en France, la délégation témoigne de son attachement à la dynamique des relations interparlementaires. Hier soir, ils se sont entretenus avec leurs homologues et plusieurs présidents de commission. La délégation doit également rencontrer différents acteurs économiques qui œuvrent au développement de nos relations commerciales et de nos partenariats.

La présence de la délégation mexicaine au sein de notre Haute Assemblée témoigne de la force de la relation qui unit le Mexique et la France et des valeurs que nous partageons.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Parlement mexicain la plus cordiale bienvenue et un fructueux séjour.

Je salue également notre collègue Claude Raynal, présent lui aussi pour les accueillir. (Applaudissements.)

4

Explications de vote sur l'ensemble (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Lutte contre le risque incendie

Suite de la discussion et adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. Nous reprenons l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Vote sur l’ensemble (suite)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 72 000 hectares ont brûlé en France 2022, dont 30 000 en Gironde, notamment dans le sud du département, où deux d’entre nous, ici présents, résident.

Ces incendies s’expliquent d’abord par l’extension géographique du risque incendie, conséquence directe du réchauffement climatique. En 2050, près de 50 % des landes et des forêts métropolitaines pourraient être concernées par un risque incendie élevé, contre un tiers en 2010. Ces incendies s’expliquent ensuite par l’extension temporelle du risque incendie puisque les feux hivernaux devraient se multiplier. En fait, aujourd’hui, la saison des feux, c’est toute l’année, comme l’a dit le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

Cette proposition de loi, qui a vu le jour à la suite des travaux de la mission conjointe de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, avant le terrible été 2022, donc sans Girondins à bord, a été examinée dans un contexte d’urgence, aggravé par la sécheresse de ces derniers mois.

Nous saluons le travail transpartisan mené au Sénat par le président de la commission spéciale sur la proposition de loi, qui comprenait cette fois les six sénateurs girondins, et par les rapporteurs, qui ont su intégrer dans le texte nombre de remarques et d’amendements.

Nos propositions ont été entendues dans leur ensemble puisqu’une quinzaine d’amendements ont été adoptés. Plusieurs amendements, qui n’avaient pas été adoptés au Sénat, ont été repris à l’Assemblée nationale.

Nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire ait été conclusive. L’essentiel de nos apports sur des mesures stratégiques et opérationnelles a été préservé dans le texte final.

À titre d’exemple, le régime des servitudes établies pour les pistes DFCI est sécurisé. Il concerne spécifiquement le massif des Landes de Gascogne, où près de 42 000 kilomètres de voies DFCI n’ont toujours pas fait l’objet de servitudes. Les communes vont ainsi pouvoir bénéficier du remboursement des frais de travaux, mais également des frais annexes, lorsqu’elles débroussaillent en lieu et place des personnes assujetties aux OLD.

Par ailleurs, le texte prévoit l’exonération totale de TICPE pour les véhicules des services d’incendie et de secours, exonération que notre groupe défend chaque année lors de l’examen du projet de loi de finances ; la reconnaissance de la pratique des coupes tactiques, qui ont permis d’apporter des réponses d’urgence lors des feux de l’été 2022 ; enfin, la mise en place d’une communication spécifique à destination des propriétaires de terrains concernés par les OLD.

Nous regrettons toutefois, à l’instar du président et des rapporteurs, l’exclusion des collectivités locales, notamment des communes rurales, du dispositif de réduction de cotisations patronales accordé en contrepartie de la mise à disposition d’employés sapeurs-pompiers volontaires pour les services d’incendie et de secours.

M. Loïc Hervé. C’était pourtant une bonne idée !

Mme Laurence Harribey. Nous en avons fait la démonstration cet été quand nous avons dû résoudre quelques problèmes difficiles.

En conclusion, au-delà du texte, nous souhaitons rappeler que les bonnes volontés ne suffiront pas et c’est sans doute la limite de cette proposition de loi : l’écueil majeur reste le manque de moyens humains et financiers visant à renforcer la prévention et la lutte contre les incendies. L’État devra prendre toute sa part dans la prévention et ne pourra pas laisser seuls responsables les collectivités et les opérateurs locaux, qui manquent cruellement de moyens.

Cette inquiétude semble avoir été partiellement entendue puisque, un an après les incendies en Gironde, nous avons obtenu de nouveaux moyens aériens. Ils sont arrivés, et cela nous rassure.

L’étape suivante devra être l’installation de bases permanentes sur le territoire, en particulier dans le Sud-Ouest. C’est important pour nous.

Nous sommes sur la bonne voie, même si le compte n’y est pas totalement. Nous voterons bien entendu les conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Anne-Catherine Loisier et Monique de Marco applaudissent également.)

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Mme la présidente. Belle unanimité ! (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures trente-deux.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne
Examen des conclusions de la commission mixte paritaire

Majorité numérique et lutte contre la haine en ligne

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne
Article 1er bis

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne (texte de la commission, n° 753, rapport n° 752).

La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de me retrouver de nouveau devant vous pour acter, en tant que rapporteure, la fin de nos travaux sur la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.

C’est forte de votre soutien sans faille et riche de nos débats que j’ai défendu auprès de nos collègues députés, au sein de la commission mixte paritaire, les apports du Sénat. Cette commission mixte paritaire fut conclusive, avec une adoption à l’unanimité du texte du Sénat !

Nul doute que, lorsqu’il s’agit de protéger nos enfants, le consensus s’impose. Le bon sens et l’intérêt des mineurs ont chassé les postures politiques. Ainsi, nous pouvons tous nous féliciter que nos deux assemblées soient parvenues rapidement à un accord, sur ce sujet ô combien fondamental qu’est la protection de nos enfants.

Avant de poursuivre, je tiens à vous remercier tous pour votre engagement, pour votre confiance tout au long de mes travaux. Bien évidemment, permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour mes collègues de la commission de la culture, qui travaillent sous la présidence bienveillante de Laurent Lafon et l’œil avisé de Max Brisson.

Cette proposition de loi est le fruit d’un constat alarmant : internet peut tuer, les réseaux sociaux peuvent tuer. Et je continuerai à dire et à écrire que le harcèlement est un fléau pour les plus fragiles, depuis bien trop longtemps. Il est temps de porter haut et fort des politiques publiques visant à protéger les victimes. Ce sont les personnes qui, dans les couloirs d’un établissement scolaire ou en parcourant les lignes d’un message haineux posté sur les réseaux – qui deviennent ainsi antisociaux –, sont plongées par ces invectives dans une spirale infernale.

Très loin d’être un espace préservé des violences, la sphère internet accentue la cruauté parce que, désormais, celui qui accuse, attaque, critique, insulte, porte un masque. Ce masque lui est offert par les réseaux sociaux, qui autorisent l’anonymat, permettant ainsi aux harceleurs de déverser leur haine en toute impunité. Diffamation, calomnie, agressivité :i aucun garde-fou ne les arrête ! Vous savez tous combien le harcèlement peut anéantir la vie des adolescents.

Pour autant, nous ne pouvons pas adopter une posture qui ne serait ni comprise ni adaptée. Que nous le voulions ou non, ces réseaux font maintenant partie de notre vie. Les tablettes remplacent peu à peu les hochets. Les chercheurs en optique ne cessent de rendre les verres de plus en plus innovants, pour les adapter à la surutilisation des écrans, et les prescriptions des ophtalmologues épuisent les stocks de larmes artificielles…

Internet et ses réseaux sociaux, dont la diversité ne cesse de nous étonner, font partie intégrante du quotidien de la génération Z. Rendez-vous compte, mes chers collègues : dès la naissance de nos enfants, certaines plateformes leur créent automatiquement une identité numérique ! Une double vie, réelle et fictive, s’installe chaque jour, et nos enfants n’ont pas toujours les armes pour affronter la réalité du virtuel.

Bannir les réseaux sociaux reviendrait à nier l’époque dans laquelle ils vivent, et serait tout simplement l’aveu de notre défaillance à les comprendre pour mieux les adapter.

La proposition de loi sur laquelle nous allons nous exprimer une dernière fois n’a pas pour objet de priver les plus jeunes de l’accès à un réseau social, mais bien d’apporter une réponse adaptée aux abus nés d’un usage précoce et non encadré.

Je vous rappelle que la première inscription sur un réseau social intervient vers 8 ans et demi et, la plupart du temps, elle survient sans que les parents en soient informés.

Cette proposition de loi part de cette réalité. Loin d’exclure d’internet tous les mineurs, elle procède d’une volonté farouche de protéger les plus jeunes, en créant une véritable majorité numérique. En dessous de 15 ans, l’inscription à un réseau social sera dorénavant soumise à autorisation parentale ; au-dessus de cet âge, qui coïncide avec l’entrée au lycée, le mineur pourra s’y inscrire librement.

Au cours de nos travaux et de mes réflexions, il m’est apparu essentiel de remettre au cœur de ce texte l’autorité parentale.

Par facilité ou par faiblesse, nous avons trop tendance à imputer les vices d’internet et de ses réseaux aux créateurs des contenus diffusés, et même, parfois, à une prétendue ère du tout-numérique. En tant que parlementaire, mais avant tout en tant que mère de famille, permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, que nous nous leurrons. Les parents aussi portent la responsabilité de l’usage que font leurs enfants d’internet. Bien souvent dépassés par une jeunesse qu’ils ne comprennent plus et par l’évolution trop rapide de la technologie, ils préfèrent abandonner. À ces parents, je veux dire ce matin de ne pas baisser les bras. La meilleure protection qu’ils peuvent offrir à leurs enfants, c’est eux-mêmes.

Avant de conclure, je voudrais me tourner vers l’avenir. À court terme, il nous faudra être particulièrement attentifs quant à l’application des dispositions de cette future loi. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, pour rappeler aux plateformes leurs nouvelles obligations.

Nous débattrons, dès la semaine prochaine, du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, sur lequel le Sénat a constitué une commission spéciale.

Cette proposition de loi, j’en suis convaincue, en constitue la première pierre et c’est pour cette raison, et au nom de la protection de nos enfants, que je vous propose d’adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voilà arrivés au terme du parcours législatif de ce texte, qui fera date. Je félicite Mme la rapporteure pour les travaux qui, en commission, en séance publique puis en commission mixte paritaire, ont permis en quelques mois son adoption.

Nos enfants ne pouvaient plus attendre. Ils sont les principales victimes des travers de la société numérique. Vous l’avez rappelé, madame la rapporteure : la surexposition aux écrans, l’addiction aux réseaux sociaux, le cyberharcèlement, l’exposition précoce à des contenus inappropriés sont autant d’atteintes brutales à leur innocence, autant de violences psychologiques faites à une génération qui risque bien d’être sacrifiée si rien n’est fait.

C’est la raison pour laquelle il faut agir.

La France agit depuis quelques années. Elle a montré la voie au niveau national, avec un certain nombre d’initiatives, dont certaines étaient d’origine parlementaire, sur le contrôle parental ou le cyberharcèlement scolaire. Elle l’a fait au niveau international, avec des initiatives multipartites, comme l’appel de Paris et le Forum de Paris pour la paix, des initiatives européennes, mais également avec des initiatives qui ne passent pas nécessairement par la loi. Ainsi, le ministère de l’éducation nationale et le ministère de l’économie et des finances ont fait en sorte qu’à la rentrée prochaine, tous les élèves de sixième bénéficieront d’un passeport numérique, qui les sensibilisera aux risques et aux gestes à adopter lorsqu’ils sont victimes ou témoins de cyberharcèlement.

Je pense également à l’engagement de Mme la secrétaire d’État chargée de l’enfance et du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées : sur le site jeprotegemonenfant.gouv.fr, tous les parents de France pourront trouver des éléments susceptibles de les accompagner dans la parentalité numérique. Avec Charlotte Caubel, nous avons lancé il y a quelques mois une campagne nationale de communication sur cette plateforme d’outils à disposition des parents.

La France a agi au niveau européen en portant, l’année dernière, lorsqu’elle présidait l’Union européenne, un règlement sur les services numériques. Il s’agit d’un texte majeur, qui fait entrer les grandes plateformes dans l’ère de la responsabilité en leur imposant un certain nombre d’obligations et d’interdictions d’ordre général. Elles ont par exemple l’obligation de modérer les contenus illicites, de faire auditer leurs algorithmes par des autorités tierces et de partager leurs données avec les chercheurs, afin que puissent être identifiées et qualifiées les dérives que nous dénonçons aujourd’hui. Pour protéger l’enfance en ligne, elles ont également l’obligation de publier les conditions générales d’utilisation d’une manière facilement compréhensible par des enfants, d’assurer le plus haut niveau de sécurité, de sûreté et de protection de la vie privée pour les enfants, et il leur est interdit de faire de la publicité ciblée sur les mineurs.

Ces obligations et interdictions seront sanctionnées par des amendes pouvant aller jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial, voir jusqu’au bannissement en cas de manquements répétés.

Nous avons agi, mais il nous faut aller plus loin. Nous le faisons avec le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, qui a été examiné en commission spéciale avant-hier au Sénat, et qui y sera débattu la semaine prochaine en séance publique. Ce texte tire les leçons d’un certain nombre de travaux, notamment sénatoriaux, sur l’exposition des mineurs à la pornographie – auxquels Mme la rapporteure a contribué de manière appréciable – ou sur la souveraineté numérique et l’équité commerciale dans le marché de l’informatique en nuage.

Nous le ferons aussi avec ce texte, qui vise à ce que, désormais, les grandes plateformes de réseaux sociaux vérifient l’âge de leurs utilisateurs et, lorsque ces utilisateurs auront moins de 15 ans, recueillent le consentement parental. C’est un texte fondamental, car, s’agissant de la protection des mineurs en ligne, la mère des batailles, c’est bien la vérification de l’âge.

Après que cette proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité de l’Assemblée nationale, puis à l’unanimité au Sénat, le texte de la commission mixte paritaire a été adopté, lui aussi, à l’unanimité. C’est la démonstration éclatante, s’il en était besoin, que, lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu, le Parlement sait trouver les voies du consensus.

Pour la suite, soyez assurés, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’avec Mme la secrétaire d’État chargée de l’enfance, nous veillerons à ce que ce texte puisse s’appliquer dans les meilleurs délais, de manière que nos enfants soient mieux protégés en ligne.

Je vous invite donc, évidemment, à le voter. (Mme la rapporteure et M. Julien Bargeton applaudissent.)