M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 161 :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 265
Pour l’adoption 232
Contre 33

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, ma prise de parole sera courte.

Tout d’abord, la ministre, Mme Olivia Grégoire, retenue aujourd’hui à Toulouse, vous prie de bien vouloir l’excuser.

Voilà bien longtemps que le sujet de l’inflation normative était sur la table ; plus que jamais, il appelait de nos vœux, comme des vôtres, à une simplification. Nos voisins allemands, néerlandais, suisses ou britanniques avaient déjà mis en œuvre des systèmes ayant le même objectif de simplification que celui de la proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME ». Les résultats observés dans ces pays étaient bien au rendez-vous. Nous devions donc, à notre tour, tirer parti de l’efficacité et de la solidité d’un tel dispositif.

Ainsi, nous ne pouvons que nous réjouir collectivement des avancées permises par les travaux menés en commission, grâce à l’engagement notamment de M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, Olivier Rietmann, que je tiens à saluer, de l’ensemble de ses membres, et de la rapporteure Elsa Schalck. (M. Philippe Mouiller applaudit.)

Nos entreprises, en particulier nos PME et nos TPE, seront donc désormais consultées pour élaborer les normes qui leur seront ensuite applicables. Il s’agit pour moi d’une avancée dans notre manière de construire notre droit afin de garantir l’acceptabilité de celui-ci.

Cependant, selon le Gouvernement, la présence de représentants de l’État au sein du haut conseil à la simplification pour les entreprises serait de nature à renforcer l’efficacité de cette instance.

Je ne veux pas être trop longue, mais je tiens à prendre le temps de remercier, au nom de Bruno Le Maire et d’Olivia Grégoire, tous ceux qui ont travaillé de manière constructive à ce projet de test PME. Les travaux ont permis d’aboutir à un texte précieux pour nos entreprises, qui nous permettra de mieux légiférer au service de ceux qui, tous les jours, créent de la richesse, de la valeur dans notre pays.

Monsieur Rietmann, je transférerai vos remerciements à ma collègue Olivia Grégoire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
 

6

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Lors du scrutin n° 160 sur l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, mon collègue Olivier Bitz souhaitait voter pour.

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Je souhaite rectifier mon vote lors du scrutin n° 159, sur l’article 1er du projet de loi précité : j’ai été comptabilisé comme ne prenant pas part au vote alors que je souhaitais voter contre.

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Ma collègue Christine Herzog, du groupe Union Centriste, souhaite rectifier ses votes sur deux scrutins : lors du scrutin n° 159, elle souhaitait voter contre et, lors du scrutin n° 160, elle souhaitait voter pour.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Lors du scrutin n° 160, mon collègue Alain Duffourg a été comptabilisé comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.

M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende.

Mme Lauriane Josende. Lors des scrutins publics nos 159 et 160, mes collègues Jean-Baptiste Blanc et Christian Bruyen souhaitaient voter pour.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.

7

 
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion générale (suite)

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (projet n° 291, rapport n° 441).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Question préalable

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Marie-Claude Lermytte applaudit également.)

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui le projet de loi constitutionnelle que le Gouvernement a souhaité vous soumettre relatif aux élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, une semaine après l’adoption dans cet hémicycle, par 307 voix, du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Je remarque d’ailleurs que ce projet de loi organique, qui prévoit le report de ces élections d’ici au – et non le – 15 décembre 2024, a été adopté à l’unanimité du groupe socialiste, lequel en demande finalement le report à 2025. Nous aurons l’occasion d’en discuter…

Quoi qu’il en soit, sur place, en Nouvelle-Calédonie, il n’y a pas eu d’opposition au report des élections d’ici à la fin de l’année. Même au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui est pourtant à majorité indépendantiste, une large majorité s’est prononcée pour ce report et pour le texte du Gouvernement. Il y a donc un consensus local sur cette question, y compris parmi les indépendantistes, puisque ceux – cela apparaît dans le rapport législatif de l’Assemblée nationale sur le projet de loi organique – qui sont contre le projet de loi organique étaient favorables au report des élections mais défavorables aux modalités de celui-ci.

Quel que soit le sentiment qui habite les Calédoniens, quelle que soit leur volonté – indépendance, abstention, attachement à la France –, tous considèrent que le report de cette élection relève du bon sens, est de bonne politique. Le choix exprimé par le congrès de Nouvelle-Calédonie de reporter ces élections avant la fin de l’année devait donc être respecté, et je vous remercie d’avoir adopté cette loi organique.

Nous sommes aujourd’hui à la deuxième étape de cette réforme : après le report des élections vient la révision constitutionnelle. En effet, depuis l’accord de Nouméa, il a été considéré que les modalités d’inscription sur les listes électorales pour les élections provinciales devaient être constitutionnalisées.

En premier lieu, je souhaite rendre hommage à tous ceux qui ont écrit les accords de Matignon et de Nouméa. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, un modèle institutionnel sert d’abord un projet ; en l’occurrence, il s’agit de la paix et du développement en Nouvelle-Calédonie, ainsi que du libre choix des peuples d’outre-mer à disposer d’eux-mêmes. Les Calédoniens se sont exprimés par trois fois et, par trois fois, ils ont choisi la France.

Ceux qui ont rédigé ces deux accords ont créé un modèle qui a servi un projet simple : donner aux Calédoniens les moyens de choisir leur avenir.

Depuis trente ans, les gouvernements, quels qu’ils soient, ont écouté les Calédoniens pour définir leur avenir et celui-ci s’inscrit manifestement dans la République française, puisque c’est en ce sens que s’est prononcé le peuple au travers de ses votes.

Ce peuple a voté malgré l’application de règles électorales extrêmement strictes, empêchant certains Calédoniens, pourtant nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens, de voter, non seulement pour les référendums d’autodétermination, mais encore pour les élections locales. Je constate d’ailleurs que la liste électorale « référendaire » est plus large que la liste électorale « provinciale », en raison d’un paradoxe institutionnel selon lequel moins de Calédoniens peuvent voter pour choisir leurs élus locaux que pour choisir entre l’indépendance ou le maintien en France. Avouez que cela n’est pas parfait…

Bien sûr, ces règles institutionnelles parfois paradoxales, en tout cas originales, ne s’opposent en rien au respect des identités des uns et des autres. La République a reconnu dans la Constitution une citoyenneté calédonienne qui s’ajoute à la citoyenneté française et non qui s’y substitue, un gouvernement local, qui est le plus autonome de la République, et à ce jour, les indépendantistes dirigent quatre des cinq institutions de la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, nous participons tous à écrire une nouvelle page de l’histoire calédonienne. Cette page doit être celle de la stabilité : elle doit permettre aux Calédoniens et à tous les acteurs économiques et sociaux de ce magnifique territoire du Pacifique de savoir dans quel cadre ils vivront pendant les décennies à venir. Avoir une épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de la tête, savoir que l’on va devoir voter dans un an ou deux pour ou contre l’indépendance, n’aide pas au développement économique, ne favorise pas la paix sur un territoire. C’est pourquoi, au nom du Gouvernement, à la demande du Président de la République, le garde des sceaux et moi-même nous inscrivons dans un temps long, modeste, humble, celui de cette révision constitutionnelle qui fait suite à un travail commencé par d’autres que nous.

Cette réforme aborde un sujet fondamental du point de vue tant symbolique que démocratique, ce qu’il y a de plus important dans une élection, dans une démocratie : le corps électoral.

Les accords précités ont introduit dans notre droit la notion de citoyenneté calédonienne, concrétisant le destin commun des communautés qui composent la Nouvelle-Calédonie et vivent sur un même territoire. Ils prévoient la restriction du corps électoral pour certains scrutins, dans cette île de moins de 300 000 habitants qui compte trois listes électorales différentes : la première pour les élections du Président de la République, des maires et des députés ; la deuxième pour les élections provinciales – l’équivalent des régions métropolitaines, mais avec des pouvoirs accrus – ; la troisième pour un éventuel référendum d’autodétermination. Les listes électorales des deux derniers types de scrutins sont restreintes aux habitants ayant la légitimité d’une durée suffisante de résidence sur le territoire.

L’histoire calédonienne nécessite que ceux qui sont de passage sur le territoire ne soient pas pleinement associés à son avenir. Cette affirmation est en soi discutable dans une démocratie dans laquelle on paie des impôts et dont on a la citoyenneté, mais, dans leur sagesse, les partis politiques représentés en Nouvelle-Calédonie et dans l’Hexagone ont souhaité inscrire dans la Constitution ce droit électoral exorbitant du droit commun. C’est encore la ligne que défendent l’ensemble des Calédoniens et c’est également celle du Gouvernement. Oui, il doit y avoir des corps électoraux différents en Nouvelle-Calédonie par rapport au reste du territoire national.

De fait, je le répète, en Nouvelle-Calédonie, trois listes électorales coexistent aujourd’hui.

Les élections provinciales sont importantes en ce qu’elles conduisent à la désignation des représentants aux assemblées des trois provinces, donc, indirectement, à la composition du congrès de Nouvelle-Calédonie. Celui-ci est important en ce qu’il donne une majorité pour diriger la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, nous connaissons la symbolique du congrès, dont les trois cinquièmes peuvent déclencher, selon les vœux du constituant, l’organisation d’un référendum d’autodétermination.

Voter aux élections provinciales, c’est donc à la fois choisir ses représentants locaux, qui ont notamment la compétence économique, mais c’est également choisir la majorité au congrès pour désigner l’exécutif et c’est encore permettre le déclenchement de référendums dits d’autodétermination, s’il en est ainsi décidé dans les accords que nous rédigerons, car je suis sûr que nous aboutirons à des accords réunissant toutes les parties. Il s’agit donc de bien plus que de simplement voter pour des représentants locaux. L’enjeu électoral se conjugue, ici comme partout, à un enjeu de représentation, d’autant que le gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie est composé à la proportionnelle.

Or, depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l’accord de Nouméa de 1998 ont le droit de voter aux élections provinciales. Autrement dit – je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous imaginer de telles règles dans vos propres circonscriptions –, il y a des Calédoniens, donc des Français, qui sont nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens, mais qui ne peuvent pas voter.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est en effet un problème…

M. Gérald Darmanin, ministre. Ainsi, même si l’on est venu vivre, travailler, faire des enfants, payer ses impôts en Nouvelle-Calédonie pendant vingt ans, on ne peut pas voter pour son représentant à la province, pourtant compétent pour les matières touchant au droit de l’environnement, aux affaires économiques, à l’aide sociale à l’enfance ou à la lutte contre le réchauffement climatique.

En outre, le congrès adopte les lois de pays, qui régissent le quotidien des habitants, il recouvre l’ensemble des impôts et cotisations, il définit le système social et il détermine les choix politiques fondamentaux du territoire, hormis les questions régaliennes, seules compétences qu’a gardées le Gouvernement de la République française, pour le garde des sceaux, le ministre des armées et moi-même. À cet égard, l’élargissement de ce corps électoral est une obligation morale à l’égard des Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens.

Pour être complet, il faut préciser que le corps électoral défini pour voter aux référendums d’autodétermination est, paradoxalement, plus large que celui des élections provinciales. Nous ne proposons d’ailleurs pas d’y toucher, contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là dans la presse. Nous ne proposons que le dégel du corps électoral, dans certaines conditions, pour les élections locales.

Le corps électoral référendaire permet aux personnes qui ont vingt années de résidence en Nouvelle-Calédonie de participer au référendum sans justifier d’une inscription sur les listes électorales à une période donnée. On peut donc participer à un référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie sans avoir le droit de voter aux élections provinciales, puisque, pour cela, il faut être arrivé avant 1998.

Si le gel du corps électoral provincial n’excluait, lors de son vote en 2007, « que » 8 338 électeurs en 1999, soit 7,5 % de l’électorat, ce chiffre est passé à 42 596 en 2023, ce qui représente un électeur sur cinq. Peut-on raisonnablement organiser dans la durée des élections locales avec un électeur sur cinq privé de son droit de vote ?

Nous savons tous qu’en 2007, la volonté du président de la République et du gouvernement de l’époque était de mettre en place ce gel de façon transitoire. Mon prédécesseur Dominique de Villepin avait lui-même précisé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles que ce gel ne valait que pour les élections provinciales de 2009 et de 2014. C’est bien sur le fondement de cette donnée que le Parlement avait alors voté pour le gel du corps électoral. Pour accepter cette dérogation au principe constitutionnel d’égalité de suffrage, le constituant s’était lui-même appuyé sur son caractère transitoire ; je renvoie à cet égard au titre XIII de la Constitution, qui comporte le terme « transitoires ».

Si ce régime valait dans le cadre des accords, le processus est maintenant clos, il faut en convenir et se réunir « pour examiner la situation ainsi créée », pour reprendre les mots de l’accord de Nouméa.

Mesdames, messieurs les parlementaires, qui représentez le peuple français, de quel droit exclurions-nous une partie de la communauté calédonienne de ses propres droits ? D’ailleurs, ce faisant, nous exclurions tant des non-Kanaks que des Kanaks. Si l’on accepte cette distinction, que je retiens ici pour le seul intérêt de la discussion – je l’ai entendue lors des débats sur le projet de loi organique précité –, car pour le Gouvernement il n’y a que des Français, on constate qu’il y a de très nombreux Kanaks nés sur leur terre qui ne peuvent voter aux élections provinciales parce qu’ils ne sont pas nés avant 1998. Cela revient à s’extraire des principes républicains. Le gel du corps électoral n’est, dans ces conditions d’exclusion d’un électeur sur cinq, conforme ni aux principes essentiels de notre bloc de constitutionnalité, ni aux valeurs de la République, ni à nos engagements internationaux.

Il s’agit là d’une position politique que l’État assume pleinement pour tenir sa parole, engagée au Congrès que je citais, et non pas seulement d’une préoccupation d’ordre juridique. Il me semble important qu’au bout de trois ans de discussions la majorité des Calédoniens puisse choisir ses responsables locaux et son destin, alors même que la Nouvelle-Calédonie connaît des difficultés économiques extrêmement fortes, notamment dans le secteur du nickel, pourvoyeur de plus de la moitié des emplois directs et indirects de ce territoire et origine des ressources fiscales et sociales des habitants.

Je rappelle par ailleurs que le Conseil d’État a lui-même considéré que l’importance actuelle de la restriction du corps électoral soulevait un doute très sérieux sur sa compatibilité avec les engagements internationaux de la France, alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé, les trois référendums ayant eu lieu.

Le Gouvernement s’est donc engagé à corriger cette distorsion, qui n’est pas conforme à l’exercice du droit de suffrage sur un territoire de la République. La France est une démocratie. Le Président de la République et le Gouvernement ont toujours affirmé leur intention de procéder à un élargissement du corps électoral par une initiative unilatérale, celle du Parlement, si aucun accord n’était atteint avant la fin de l’année 2023. Je tiens à votre disposition les documents l’attestant, signés par les responsables politiques y compris indépendantistes. Cette initiative n’est donc en rien une surprise et l’on ne saurait jouer la montre contre le droit de suffrage.

Il s’agit dès lors de définir un cadre stabilisé et équilibré. Là où les indépendantistes sont opposés au dégel du corps électoral, les non-indépendantistes proposaient de retenir des durées de domiciliation comprises entre un et trois ans. Après avoir procédé à des consultations – je suis allé sept fois en Nouvelle-Calédonie au cours des trois dernières années –, M. le garde des sceaux et moi-même avons suggéré, sur la demande du Président de la République, de retenir une période de dix ans. Nous ne nous sommes ainsi alignés sur aucune des demandes des « loyalistes » ou « non-indépendantistes » ; la critique de l’État arbitre est donc mal fondée.

Cette durée de dix ans correspond d’ailleurs à la proposition qu’avait faite Lionel Jospin, avant que le président Chirac ne décide de procéder autrement, avec le gel total. Dix ans, c’est le terme négocié par les indépendantistes et les non-indépendantistes dans les premiers accords. Cette durée correspond en outre à la première interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l’accord de Nouméa. Tel est l’objet de ce projet de loi.

Le Gouvernement propose ainsi à la représentation nationale de modifier la Constitution, puisque c’est nécessaire, et d’ajouter les natifs, kanaks ou non, privés aujourd’hui du droit de vote local, faisant ainsi droit à une demande formulée par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Ce nouveau corps électoral accueillera ainsi près de 25 000 nouveaux électeurs. Vous conviendrez que, en soi, dix ans de présence pour pouvoir choisir un élu local, c’est déjà extraordinaire. Je ne connais pas un seul pays démocratique au monde qui interdise à ses citoyens de voter à des élections locales avant dix ans de présence, alors même qu’il peut s’agir de citoyens engagés, payant des impôts, faisant des enfants, bref s’étant installés durablement sur son territoire. La France, en Nouvelle-Calédonie, sera le seul pays démocratique au monde à organiser un tel gel de son corps électoral.

Il s’agit donc non pas, contrairement à ce que l’on entend dire, d’imposer une option d’un camp contre un autre, mais de retenir une formule de compromis équilibrée – celle qui fut proposée par Lionel Jospin au moment de la rédaction de l’accord de Nouméa –, respectueuse de la démocratie et de nos engagements internationaux. On peut être contre cette proposition ; on peut aussi être contre le fait que des gens votent, refuser le suffrage du peuple pour choisir ses représentants locaux, mais alors ce n’est pas le projet d’un pays démocratique.

J’ai plusieurs fois entendu les termes d’« accélération » et de « marche forcée ». Si nous avions voulu accélérer en nous appuyant « simplement » sur le résultat des trois référendums, sur le fait que la Nouvelle-Calédonie a choisi de rester au sein de la France, alors les discussions auraient dû s’arrêter là : nous aurions dégelé le corps électoral dès le lendemain du troisième référendum, sans opérer la moindre distinction avec le reste des Français, pour toutes les listes électorales et nous aurions considéré que la Nouvelle-Calédonie valait la Polynésie française ou le département du Nord. Ce n’est pas ce que propose le Gouvernement de la République.

En anticipation des débats, je veux répondre par avance au rapporteur Philippe Bas, dont je salue le travail.

Non, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que l’on puisse être encore dans une phase transitoire d’indécision, et donc de changement provisoire du corps électoral, comme vous le proposez au travers de vos amendements. Nous devons donner aux Calédoniens le temps long. Personne ne contribuerait au développement économique d’un territoire si, tous les six ans, les règles du jeu démocratique changeaient, si, tous les six ans, les citoyens de ce territoire ne pouvaient voter, si, tous les six ans, il fallait convoquer le Parlement pour modifier le corps électoral de 270 000 habitants votant dans trois provinces.

Les citoyens ont besoin de temps long. Les jeunes Calédoniens, quelles que soient leurs opinions politiques, le demandent, les partenaires économiques internationaux de la Nouvelle-Calédonie ainsi que les investisseurs qui doivent sauver l’industrie du nickel en ont besoin. Le Parlement doit le donner aux Calédoniens, qui ont trop attendu. Oui, il y a besoin de stabilité pour ceux qui vont intervenir sur le territoire.

Il ne s’agit pas d’imposer un accord global sur la Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement est attaché à l’autodétermination, dont il souhaite envisager les modalités avec toutes les parties, y compris les indépendantistes. Il est attaché à un accord global sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie, sur la définition de la citoyenneté, et il n’impose rien.

Ne nous trompons pas de débat : le Gouvernement veut juste que les Calédoniens puissent voter aux élections locales pour désigner les représentants locaux et participer, en Nouvelle-Calédonie comme partout en France, aux élections.

Il faut par ailleurs se souvenir de ce qu’est la démocratie : c’est la loi du plus grand nombre. Quand il y a un débat ou une décision à prendre, la démocratie veut que lors d’un vote ceux qui sont les plus nombreux l’emportent sur ceux qui sont moins nombreux. Cela peut paraître tautologique, mais ce n’est pas le cas en Nouvelle-Calédonie. Prendre une décision, choisir tel ou tel candidat, se présenter devant les électeurs, savoir à qui l’on parle, pouvoir choisir son destin, être citoyen, c’est cela la démocratie et cela exige un minimum de règles, notamment le fait d’avoir des listes électorales et de tenir les élections en temps et en heure.

La démocratie, c’est aussi l’acceptation par ceux qui sont les moins nombreux de la décision des autres. Le corps électoral est un élément central. Pour qu’il y ait acceptation des règles démocratiques, et donc pour que ceux qui ont perdu l’acceptent, il faut qu’ils aient le sentiment que le périmètre des personnes ayant pris la décision est juste ; sans cela, les tensions augmentent, le désespoir et la violence surviennent.

Un autre sujet est apparu dans ce débat, localement, mais aussi à l’Assemblée nationale et au Sénat : il s’agit de la répartition des sièges entre provinces au sein du congrès.

J’entends ce que disent les élus non indépendantistes du territoire, leur démarche est logique. En vertu des règles constitutionnelles, la proportion des élus doit correspondre à peu près à celle des électeurs, des habitants. Leur démarche s’appuie donc sur des principes démocratiques audibles et même, à mon avis, incontestables. Le Conseil constitutionnel s’est d’ailleurs prononcé à plusieurs reprises sur ce point, censurant d’anciens projets gouvernementaux.

Je pense néanmoins que l’équilibre qui existe au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie permet leur fonctionnement. Et même s’il est probable qu’il faille un jour réviser la proportion des sièges de chacune des provinces, qui détermine la composition du congrès et de l’exécutif, il ne me paraît pas absolument nécessaire de le faire maintenant, au travers d’un amendement qui n’aurait pas fait l’objet d’un accord de l’ensemble des acteurs. Si nous l’avions jugé nécessaire, le garde des sceaux et moi l’aurions inclus dans le texte initial.

Je pense que le consensus doit l’emporter sur cette question. Oui pour organiser les élections en Nouvelle-Calédonie en dégelant le corps électoral et en permettant aux Calédoniens nés sur le territoire de voter, mais non pour changer à la va-vite la répartition des forces politiques en Nouvelle-Calédonie, malgré les arguments soulevés, car cela donnerait, en l’espèce, le sentiment d’avancer à marche forcée. Je m’opposerai donc aux amendements allant en ce sens. Néanmoins, je m’en remets également au débat de la Haute Assemblée, parce que nous traitons d’une matière politique et institutionnelle complexe, et que le Gouvernement propose alors que le Parlement décide.

J’appelle enfin votre attention sur le fait que ce projet de loi ne préjuge en rien de la signature d’un accord, que nous souhaitons et que – je profite de cette tribune pour le dire – nous espérons.

Le Président de la République a prévu une révision constitutionnelle pour le 1er juillet prochain. Si un accord devait se dessiner sérieusement entre les parties, le Gouvernement serait prêt – je le réaffirme – à reporter le débat institutionnel définitif, de façon à pouvoir transposer ledit accord.

Loin de la compromettre, l’existence d’un projet de loi constitutionnelle et son avancée facilitent au contraire la conclusion d’un accord. C’est justement parce que nous avons déposé des textes de loi en décembre dernier devant le Conseil d’État et que nous les présentons au Parlement que les congrès politiques se réunissent, que les élus locaux prennent des positions et que le FLNKS, si l’on en croit ses derniers communiqués, demande à discuter.

Si ces discussions devaient se concrétiser dans les jours qui viennent, le Gouvernement ne forcerait pas la main aux parties et prendrait le temps nécessaire pour parvenir à cet accord. Mais il faudra bien, un jour, tenir des élections en Nouvelle-Calédonie !

L’habilitation du Gouvernement à prononcer le report des élections par décret – une proposition validée par le Conseil d’État et inscrite dans ce projet de loi – nous permet justement d’intervenir dans le processus jusqu’à la dernière minute.

Si, et seulement si, un accord local sérieux devait se dessiner, nous pourrions reporter une fois encore la date du scrutin, au plus tard en novembre 2025, le temps de soumettre au Parlement un autre projet de loi constitutionnelle, en lien avec M. le garde des sceaux, ainsi qu’un projet de statut organique – il ne faut pas l’oublier –, qui en tireront toutes les conséquences.

Mesdames, messieurs les sénateurs, levons toute ambiguïté : notre dessein collectif – je suis convaincu qu’il est partagé sur la quasi-totalité de ces travées – est bien de parvenir à un accord global en Nouvelle-Calédonie, entre tous les Calédoniens, indépendantistes et non-indépendantistes, en s’assurant qu’aucune force politique n’écrase les autres et qu’aucune ne soit humiliée.

Le Gouvernement n’a pas ménagé ses efforts pour atteindre cet objectif : pour ma part, je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie à sept reprises. Le Président de la République et M. le garde des sceaux ont également fait le déplacement, et les ministres des outre-mer y ont effectué de nombreuses visites.

D’innombrables réunions ont été organisées à Nouméa et à Paris. Plusieurs textes écrits, coécrits ou réécrits rendent possible un nouvel accord, fondé sur des modalités d’autodétermination, sur la citoyenneté calédonienne, sur les discussions économiques – elles sont dans tous les esprits – et, bien évidemment, sur le temps long, dans le respect des trois référendums.

Le Gouvernement a toujours exprimé le souhait d’aborder l’ensemble de ces sujets dans un accord global, qui s’inscrirait dans la continuité de celui qui a été signé à Nouméa. Dans cet accord figurerait l’élargissement des listes électorales provinciales, mais également – c’est très important – la question de la nationalité calédonienne, aujourd’hui uniquement rattachée au droit de vote.

Cinq institutions – un congrès, un gouvernement, trois provinces, auxquels s’ajoutent les communes – et trois codes de l’environnement régissent ce territoire de 270 000 habitants et de quelques centaines de kilomètres carrés soumis au réchauffement climatique.

Alors que la filière nickel a besoin d’un plan de sauvetage, les compétences économiques sont partagées entre quatre institutions. Les problèmes sanitaires sont évidents. La jeunesse est à construire. La compétition internationale dans le Pacifique est féroce. Nous ne pouvons pas laisser la Nouvelle-Calédonie dans cette situation ! Avec tous les acteurs, nous devons construire l’avenir et donner toutes ses chances à ce magnifique territoire.

Si cette organisation découle de l’histoire des accords, la fin du processus, trente ans plus tard, doit aussi permettre d’en tirer un bilan.

Le nouvel accord que le Gouvernement appelle de ses vœux devra interroger de manière plus approfondie le lien qu’entretient la Nouvelle-Calédonie avec la France. Celle-ci est prête à inscrire dans sa Constitution des modèles institutionnels très originaux, si telle est la volonté des Calédoniens.

Il conviendra également d’examiner le degré d’autonomie laissé au territoire pour, le cas échéant, lui transférer des compétences supplémentaires. La question du pouvoir diplomatique, qui pourrait être partagé avec la Nouvelle-Calédonie, mérite également d’être posée de nouveau.

Ces propositions sont fortes. Elles n’ont jamais été formulées par aucun gouvernement, y compris par ceux qui, parfois, ont souhaité l’autodétermination.

La question de l’autodétermination demeure. Je le dis notamment aux sénateurs siégeant de ce côté gauche de l’hémicycle, car ils y sont peut-être plus attentifs : la République ne saurait refuser à la Nouvelle-Calédonie le droit de se prononcer sur son avenir.

En revanche, il n’est pas souhaitable d’organiser des scrutins de manière trop rapprochée, tous les ans ou tous les deux ans. Les « non » ne seraient pas tous acceptés et seul un « oui » ferait florès. Cela reviendrait à désavouer les votes précédents, et donc le suffrage, tout en créant une instabilité qui nuirait définitivement aux investissements et il y aurait en permanence une épée de Damoclès au-dessus de la Nouvelle-Calédonie.

Écoutons les Calédoniens : l’incertitude actuelle bloque l’essor de leur territoire. Il faut que les investissements reprennent, que les services publics fonctionnent, que la santé soit garantie, que les cotisations et les impôts rentrent, que les prédateurs pacifiques n’empêchent pas la Nouvelle-Calédonie, fière de la France et de ses aspects démocratiques, d’avancer.

Il faut que les jeunes Calédoniens qui sont partis reviennent pour développer le territoire, que la jeunesse entière bénéficie de nouvelles perspectives de progrès social, de respect et de paix entre les cultures et, s’il le faut, d’une autonomie significativement renforcée.

Jusqu’à présent, nous avons longuement discuté des perspectives de cet accord sans y parvenir. Près de trois années se sont écoulées depuis la dernière consultation. Le message que le Gouvernement adresse à la Nouvelle-Calédonie est le suivant : avançons, ne bousculons pas les équilibres, proposons une solution de compromis sur la question du dégel du corps électoral sans préjuger d’un éventuel accord global.

Le Gouvernement y est prêt et tend la main à tout moment. Il est de la responsabilité de l’État de garantir l’expression du droit de suffrage sur l’ensemble des territoires de la République. Nous le souhaitons toutes et tous, parce que nous sommes une grande démocratie.

Les Calédoniens, souvent, nous démontrent que ce paradoxe existe dans ce magnifique archipel : parfois, plus on est proche de l’impasse, plus vite on trouve la solution. C’est le vœu que je formule pour ce magnifique territoire et pour les Calédoniens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Vincent Louault et Alain Cazabonne applaudissent également.)