M. le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. Olivier Paccaud, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues amis de l’école, s’il est un triste marronnier, une ritournelle amère que personne n’entend avec plaisir quand vient l’hiver, c’est bien la litanie des fermetures de classes.

L’école occupe une place à part dans notre société depuis près de 150 ans. Elle fut ainsi le premier bastion de la République conquérante, protectrice, fédératrice, incarnée par ces mairies-écoles dont le rouge manteau de briques recouvrit le pays entre 1890 et 1930, l’expression concrète de l’égalité des droits, et surtout des chances, promise par Marianne.

Et n’est-elle pas aujourd’hui, dans notre France archipélisée, où les communautarismes et les individualismes rongent notre unité, le dernier refuge de la République en souffrance, un ultime havre, peut-être fantasmé, un mirage d’oasis de ce fameux vivre ensemble qui sombre dans les sables mouvants du consumérisme et du narcissisme ambiants ?

L’école, c’est aussi encore, presque partout, un pré carré municipal que l’ogre intercommunal n’a pas mis à son menu.

Source insoupçonnée d’aménagement, de cohésion et de vitalité de nos territoires, l’école en France est bien plus qu’un simple lieu de transmission du savoir. Tous ces liens historiques, politiques, affectifs expliquent cet attachement charnel des Français à leur école, notamment dans la ruralité.

« L’école, c’est la vie du village », vous répètent en chœur tous les maires des petites communes où résonnent encore les cris et chants des écoliers. Et ces élus font de leur mieux pour équiper et entretenir leurs bâtiments scolaires. Il s’agit presque toujours de leur priorité absolue.

Aussi, chaque année, et bien plus aujourd’hui qu’hier, des cohortes de parents d’élèves, d’enseignants, d’élus protestent, s’indignent, manifestent pour exprimer leur opposition à la suppression annoncée d’un ou plusieurs postes dans leur école. Et le murmure des grondements va crescendo, car les décisions académiques sont de plus en plus ressenties comme des injustices, des diktats ; car leur couperet s’abat trop souvent brutalement, sans concertation préalable avec les élus concernés ; car leur justification se heurte à des contradictions de l’éducation nationale elle-même. Est-il ainsi cohérent, cher Jacques Grosperrin, de voir certains inspecteurs de circonscription encourager la création de RPC, dont la construction coûte plusieurs millions d’euros, pour y fermer une classe à la rentrée suivante ?

Si la logique qui aboutit à des fermetures est avant tout mathématique ; si personne ne peut contester la baisse de la natalité et ses répercussions en termes d’effectifs ; si les chiffres brandis par Mme la ministre sont censés rassurer – baisse du nombre d’élèves, légère hausse du nombre d’enseignants et donc amélioration du taux d’encadrement –, il y a partout un profond malaise. C’est donc qu’il y a un problème non seulement de méthode, mais aussi de philosophie.

La bonne méthode, c’est le dialogue en amont, le partenariat avec les élus, l’anticipation à moyen terme plutôt que la gestion sans vision, purement mathématique et technocratique. Est-il logique de fermer une classe du fait d’une baisse momentanée des effectifs dans une commune qui enregistre une hausse des naissances ou l’arrivée de familles avec des enfants ? Tous les élus locaux le savent, autant il est facile de fermer une classe, autant il est compliqué de la rouvrir.

La bonne méthode, c’est un moratoire sur toute décision de fermeture lorsqu’un programme de construction est en cours d’achèvement. La bonne méthode, c’est d’interroger les élus directement plutôt que de passer par les directeurs d’école pour avoir une idée précise de l’avenir démographique de la commune. La bonne méthode, c’est le bon sens et la confiance envers les élus.

Quant à la philosophie de la gestion des effectifs, elle a perdu sa boussole depuis la mise en place des dédoublements en REP+. Je m’explique : comment des parents, des élus et des enseignants peuvent-ils accepter la fermeture d’une classe, parce qu’il n’y a que dix-huit élèves, alors qu’à cinq kilomètres de distance la même inspection académique se glorifie de bons résultats grâce à de faibles effectifs de douze élèves ? Cette même inspection d’académie qui ne sera pas gênée par des classes de vingt-sept, vingt-huit ou vingt-neuf élèves à double ou triple niveau…

La misère sociale et scolaire n’existe pas que dans les quartiers de la politique de la ville, qui doivent bien sûr être aidés. N’oublions pas la ruralité et ses difficultés. La révision de la carte de l’éducation prioritaire, chère Monique de Marco, qui a été annoncée depuis plus de cinq ans sans aucun suivi, fait partie des solutions, tout comme le passage de la logique de réseaux à celle d’écoles d’éducation prioritaire. Nous avons besoin d’une logique de point de croix, de cas par cas. Il s’agit donc de rétablir une véritable équité territoriale, paradoxalement disparue avec la discrimination positive, tristement sélective, en vigueur aujourd’hui.

Malgré nos différences, nous sommes tous ici unis par notre filiation républicaine. Or l’enjeu du débat qui nous rassemble, c’est en fait le maintien, et peut-être même le retour de la République, c’est-à-dire de l’égalité des droits et des chances, partout et pour tous. Et cela commence à l’école ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Monique de Marco et M. Daniel Salmon applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la fermeture des classes et la mise en place de la carte scolaire dans les départements.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Sophie Primas.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l'assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété
Article unique (début)

Assainissement cadastral et résorption du désordre de la propriété

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété, présentée par M. Jean-Jacques Panunzi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 22, texte de la commission n° 495, rapport n° 494).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Panunzi, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de la normalisation foncière revient à l’ordre du jour de notre assemblée, sept ans après l’adoption dans ce même hémicycle de la loi de 2017, suivie d’un vote conforme du texte à l’Assemblée nationale.

Le texte de 2017, fruit d’un long travail, prévoyait des solutions pour régler bien des problèmes dans des territoires subissant depuis trop longtemps des situations de désordre foncier, en premier lieu en Corse.

Il existe dans notre pays un désordre de la propriété lié à l’absence de titres opposables, à l’existence de biens non délimités dont on ne connaît pas exactement les droits afférents, qu’il s’agisse des droits de chacun des propriétaires présumés ou encore de l’existence de comptes cadastraux appartenant à des personnes décédées. Si cette situation est marginale à l’échelle nationale, elle concerne particulièrement certaines régions, la plus touchée d’entre elles étant la Corse.

On y dénombre en effet 63 800 biens non délimités, soit un taux de 6,4 %, très supérieur au taux national de 0,4 %. La surface couverte par ces biens représente 15,7 % de la surface cadastrée de l’île !

La Corse est effectivement le territoire le plus marqué par cette situation de désordre. Le fameux arrêté d’André François Miot, droit spécifique historique fondé par cet administrateur des départements du Liamone et du Golo, reposait initialement non sur le principe de l’exonération, mais sur une absence de sanction en cas de non-déclaration d’une succession fondée sur le double constat d’une indivision généralisée et d’une extrême pauvreté. La suppression, en 1949, de la contribution foncière sur laquelle reposait la liquidation des successions a engendré une exonération de fait.

Ce désordre foncier est générateur d’insécurité juridique et produit des effets économiques néfastes. L’absence de titres de propriété empêche d’abord les citoyens de recourir aux dispositions de droit civil relatives à la propriété immobilière. Elle entrave également toute possibilité d’accès à l’emprunt.

La détention de biens par de multiples héritiers censés détenir des droits indivis concurrents dilue les responsabilités et rend plus difficile l’entretien des biens concernés.

Tous ces éléments participent au délabrement du patrimoine immobilier et alimentent d’abondants contentieux dans les familles.

Cette situation est également lourde de conséquences pour les autorités publiques, l’État et les collectivités territoriales. Le recouvrement de l’impôt sur le foncier et surtout des droits de succession relève d’un parcours du combattant. Ainsi, le montant des droits de succession collectés en Corse s’élevait à 6,7 millions d’euros en 2013, premier exercice ayant suivi la fin de l’exonération totale des droits, qui sont depuis lors recouvrés à hauteur de 50 %. Ce montant frôlait les 30 millions d’euros en 2021, soit une multiplication par quatre. La dynamique de titrement, encouragée par les mesures incitatives de la loi du 6 mars 2017, avec le concours du Groupement d’intérêt général pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (Girtec), y est pour beaucoup.

Les mairies se trouvent également en difficulté pour faire appliquer la réglementation environnementale et la législation relative aux biens vacants et sans maître ou aux immeubles menaçant ruine.

Sachant que le besoin en logements est croissant et que de trop nombreux biens sont laissés à l’abandon dans les territoires ruraux du fait de ce désordre foncier, nous avons un devoir en la matière.

Il est important de rappeler que la loi de 2017 faisait suite à la volonté exprimée par le législateur à plusieurs reprises sur ce sujet. Celle de 2002 établissait des périodes transitoires, le temps que la situation foncière soit normalisée civilement. Le Groupement d’intérêt public chargé de la reconstitution des titres de propriété créé par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités n’a été opérationnel qu’à la fin de l’année 2009. Il ne devait pas perdurer au-delà de 2027, mais ses statuts ont été modifiés et sa pérennité est désormais assurée, tant le travail de reconstitution des titres de propriété sera long.

Il est logique que les mesures incitatives découlant de la loi du 6 mars 2017 soient prorogées au-delà de 2027 pour que tous les moyens soient engagés afin de mettre un terme à cette situation préjudiciable.

La situation évolue favorablement, mais le chemin à parcourir est encore long. En 2009, sur le million de parcelles que compte la Corse, près de 406 000 étaient dépourvues de titres de propriété, contre 313 000 aujourd’hui.

L’objet de cette proposition de loi est tout simplement de proroger les mesures de la loi du 6 mars 2017 jusqu’au 31 décembre 2037, au lieu du 31 décembre 2027.

Si le travail du Girtec a connu une progression fulgurante depuis la promulgation de la loi en 2017, on est encore loin d’atteindre l’objectif de normalisation ayant justifié la prorogation des mesures dérogatoires pour une période décennale.

Alors pourquoi dix ans ? Parce que la reconstitution d’un titre de propriété peut prendre jusqu’à plusieurs années et parce que les usagers ont besoin de visibilité et de vérifier qu’ils pourront bénéficier des dispositions fiscales incitatives avant d’engager une procédure.

Quatre articles de la loi de 2017 prévoyaient un report de dix ans.

C’est le cas de l’article 1er, qui porte sur la sécurisation de la procédure de titrement, laquelle était jusqu’en 2017 une pratique notariale. Cette disposition, dite flottante, c’est-à-dire non codifiée, est en vigueur jusqu’au 31 décembre 2027.

L’article 3 prévoit une exonération de 50 % des droits de mutation pour la première mutation suivant la création d’un titre de propriété. Cette incitation à la remise en ordre cadastrale est également censée prendre fin en 2027.

L’article 4, qui est le dernier vestige de l’arrêté Miot, prévoit l’exonération partielle, à hauteur de 50 %, des droits de succession sur les biens sis en Corse. Cette disposition prendra fin en 2027.

Enfin, l’article 5 prévoit l’exonération des droits de partage jusqu’en 2027.

En adoptant la présente proposition de loi, le Parlement offrirait dix ans de plus aux territoires concernés par ce désordre foncier pour assainir la situation, en particulier la Corse, où il convient de manière logique et cohérente de pérenniser le Girtec.

J’espère emporter l’adhésion du plus grand nombre d’entre vous, mes chers collègues, mais aussi celle du Gouvernement, qui connaît bien cette problématique.

Je finirai en m’adressant à vous, madame la secrétaire d’État, à propos de l’article 2 de la loi du 6 mars 2017, qui n’est pas concerné par la présente proposition de loi puisqu’il ne mentionne pas de date et découle de l’article 1er.

Cet article assouplit les règles de majorité pour la gestion de l’indivision afin de favoriser les règlements successoraux une fois les actes créés. Cette opportunité est réservée aux seuls cas où l’indivision est constatée simultanément à la création d’un titre, pour que le partage puisse être effectué à la majorité qualifiée des deux tiers, et non à l’unanimité, cette dernière étant source de blocages et favorisant les co-indivisaires taisants. Sans cette proposition dérogatoire, la création de titres est peu efficace si le partage se révèle infaisable.

À ce jour, sept ans après sa promulgation, cette disposition n’est pas appliquée faute de procédure associée. J’ai sollicité à plusieurs reprises la Chancellerie pour obtenir, sinon un décret d’application, du moins une circulaire pour permettre aux notaires de mobiliser cet article. En vain ! L’occasion m’est offerte aujourd’hui de vous relancer publiquement sur l’opérationnalité de cet article.

Mes chers collègues, cette présentation rapide vous donne une idée de l’enjeu et de l’ampleur des problèmes à traiter, principalement en Corse, mais aussi dans d’autres territoires, tous ruraux, montagneux ou insulaires, partout où le rapport à la terre et à la maison de famille est viscéral…

Aucune famille ne voudrait faire face au dilemme de Lamartine, qui, après avoir été contraint de vendre la maison familiale en 1860, écrivit : « J’ai été obligé de signer la vente de la moelle de mes os […] à un prix de détresse qui ne représente ni la valeur morale ni la valeur matérielle. J’ai emporté avec des larmes, en quittant le seuil, les vestiges de ma mère et les reliques de ma jeunesse. »

Le désordre foncier, particulièrement prégnant en zone rurale, n’est pas une fatalité. L’application du principe d’équité justifie que la représentation nationale s’empare à bras-le-corps de cette question et y réponde pleinement et justement.

Prenons donc le temps d’agir en prolongeant de dix ans, jusqu’au 31 décembre 2037, les dispositions de la loi du 6 mars 2017.

En février 2017, ce même texte avait obtenu un soutien massif dans cet hémicycle, ainsi qu’à l’Assemblée nationale, où j’espère que le texte prospérera rapidement cette fois-ci encore et tout aussi fructueusement.

Le 28 mars dernier, l’Assemblée de Corse, consultée pour avis, conformément à l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales, a émis à l’unanimité un avis favorable sur cette proposition de report. Toutes les conditions procédurales et politiques sont donc réunies pour parvenir à l’adoption de ce texte. Je vous demande d’en prendre acte et je compte sur votre soutien pour renouveler l’opération de 2017 en adoptant largement cette proposition de loi.

Pour finir, je remercie notre collègue André Reichardt, rapporteur, du travail fourni en commission sur ce texte, ainsi que M. le ministre de l’intérieur de son engagement constant sur cette question cruciale pour la Corse. Cet engagement concret et opérationnel sera apprécié à sa juste valeur par les familles touchées par le désordre foncier, soit l’immense majorité d’entre elles dans l’île. Je vous remercie également de votre présence ce soir, madame la secrétaire d’État, ainsi que de la vôtre, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDPI et INDEP. – M. Paul Toussaint Parigi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a sept ans déjà, en 2017, notre assemblée adoptait la proposition de loi visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété.

Nous examinons aujourd’hui sa prorogation, sur l’initiative de notre collègue Jean-Jacques Panunzi. Cette proposition de loi témoigne ainsi de l’intérêt et du travail continus des parlementaires pour répondre à une problématique ancienne, celle du désordre foncier et de l’irrégularité cadastrale en Corse.

Depuis plus de deux siècles, la Corse se caractérise en effet par une situation foncière tout à fait spécifique, du fait de l’absence de titres de propriété, de l’inexactitude du cadastre ainsi que de la pérennisation de nombreuses situations d’indivision successorale dans des proportions bien plus importantes que sur le reste du territoire français.

Cette situation est la conséquence de mesures dérogatoires en matière d’imposition des successions instaurées par l’arrêté Miot de juin 1801. Ce dernier, abolissant les sanctions pour défaut de déclaration de succession, a entraîné l’arrêt du règlement des successions pendant près de 200 ans sur le territoire corse.

En conséquence, lors de l’examen de la proposition de loi initiale, en 2017, 35 % des parcelles de l’île appartenaient encore officiellement à un propriétaire né avant 1910 et 15,6 % de la surface cadastrée correspondaient à des biens non délimités.

La loi du 6 mars 2017 comportait six articles, dont les cinq premiers visaient à accélérer la résolution du désordre foncier en Corse. Nous avions, à l’époque, adopté ces cinq articles, dérogatoires du droit commun, en limitant leur application pour une durée de dix ans, c’est-à-dire, en l’état actuel du droit, jusqu’au 31 décembre 2027.

Les articles 1er et 2 prévoyaient la sécurisation de la possession des biens par le recours à la prescription acquisitive ainsi que l’assouplissement des règles d’indivision afin de faciliter la résolution des situations d’indivision successorale.

Pour mémoire, l’article 1er facilitait le recours aux actes notariés de notoriété acquisitive pour attester de la possession d’un immeuble situé en Corse et abaissait à cinq ans le délai pour porter une action en revendication contre un tel acte.

En complément, l’article 2 assouplissait les règles de majorité pour la gestion des indivisions constatées par un acte de notoriété acquisitive, en abaissant à la majorité simple, contre une majorité de deux tiers dans le droit commun, le seuil requis pour accomplir les actes d’administration indispensables à la bonne gestion du bien.

La loi du 6 mars 2017 portait également trois mesures d’ordre fiscal, très importantes, visant à inciter à la résolution des successions et à la reconstitution des titres.

L’article 3 a étendu pour dix ans une exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit, applicable sur l’ensemble du territoire national lors de la première mutation postérieure à la reconstitution des titres de propriétés y afférents. Outre la prorogation du dispositif, la loi du 6 mars 2017 a également rehaussé le niveau de l’exonération, la faisant passer de 30 % à 50 %.

L’article 4 de cette même loi prorogeait par ailleurs le régime dérogatoire en matière de droits de succession, mis en place en 2002, qui applique aux biens immobiliers situés en Corse une exonération partielle des droits de succession à hauteur de 50 %.

Enfin, l’article 5 rétablissait, toujours pour une durée de dix ans, une exonération des droits de partage de succession sur les immeubles situés en Corse, qui était précédemment applicable jusqu’en 2014.

Cinq ans après l’entrée en vigueur de ces mesures, la commission des lois a considéré que leur bilan était encourageant.

D’une part, ni le Conseil notarial de Corse ni le ministère de la justice n’ont observé de difficulté contentieuse du fait de l’application des mesures dérogatoires au droit civil créées par le texte.

D’autre part, il est établi que la reconstitution de titres ainsi que la résolution des situations d’indivision ont progressé depuis l’adoption de la loi, au regard de la baisse du nombre et de la proportion de parcelles appartenant à des propriétaires décédés. Le groupement d’intérêt général pour la reconstitution des titres de propriété en Corse estime ainsi que 1 868 titres ont été créés depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 mars 2017, ce qui représenterait au moins 15 000 parcelles.

Ces efforts de titrement ont permis de réduire de 4,6 points de pourcentage la proportion de parcelles appartenant à des propriétaires présumés décédés, celle-ci s’établissant désormais à 30,4 %, ce qui est encore beaucoup trop.

En ce qui concerne le volet fiscal, les données que m’a transmises le ministère des finances, même si elles sont incomplètes – pour une fois, nous ne disposons pas d’assez de chiffres ! – témoignent d’une hausse de 33,7 % du montant total des droits perçus au titre des déclarations de succession en Corse sur cinq ans, laissant à penser que les mesures incitatives ont produit les effets escomptés. Le coût de ces exonérations semble par ailleurs raisonnable, le montant de l’exonération régie par l’article 3 de la loi du 6 mars 2017 étant évalué à 20 millions d’euros.

Toutefois, à date, la quantité et la difficulté des dossiers de reconstitution des titres n’ont malheureusement pas permis la régularisation du désordre foncier et successoral sur l’île. Plus de 300 000 parcelles demeurent encore au nom de propriétaires présumés décédés, sur un total d’un peu plus de 1 million. C’est encore beaucoup trop, pour ne pas dire énorme, au regard de la statistique nationale, qui avoisine les 100 % de parcelles titrées.

Cette situation à tout le moins singulière entraîne une grave insécurité juridique ainsi que d’importantes conséquences pour la puissance publique.

Pour le particulier, l’absence de titre de propriété signifie l’impossibilité de jouir de ses droits et conduit, trop souvent, à la dégradation des biens par défaut d’entretien ainsi qu’à la multiplication des contentieux intrafamiliaux. Nous sommes en Corse, chers collègues, et nous savons à peu près ce que cela signifie ! (Sourires.)

Pour la puissance publique, le désordre foncier se traduit par une perte de recettes fiscales, qui limite de facto la capacité des collectivités à entretenir leur territoire. De plus, il convient de rappeler que l’absence de propriétaires identifiés constitue un risque en matière de bonne administration, mais aussi de sécurité civile, en raison de la dégradation et du manque d’entretien progressif de nombreuses parcelles rurales et montagneuses, qui rendent illusoire le respect des obligations légales de débroussaillement. Pourtant, le respect de ces obligations est essentiel – nous ne manquons jamais de le répéter dans cette enceinte – pour éviter les incendies que l’on connaît chaque année.

Pour toutes ces raisons, il semblerait aussi improductif que dangereux de se satisfaire de l’extinction des mesures créées en 2017 d’ici à trois ans. Devant le constat que l’achèvement des travaux de titrement nécessitera encore plusieurs années, la présente proposition de loi tend à proroger de dix ans les dispositifs visant à accompagner et à faciliter la résolution du désordre foncier et l’assainissement cadastral de la Corse.

Les articles 1er à 5 de la loi du 6 mars 2017 seraient ainsi applicables jusqu’au 31 décembre 2037. Nous sommes toutefois quelques-uns à penser qu’il ne s’agit pas là d’une date butoir…

Mes chers collègues, la résolution des situations d’indivision persistantes, la protection du droit de propriété sur l’ensemble du territoire français ainsi que la régularité du cadastre, sont des objectifs atteignables si nous poursuivons les efforts engagés, dont les bénéfices dépassent le coût des exonérations temporaires induites par ce texte.

En conséquence, la commission des lois a fait le choix d’adopter la proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Panunzi en l’état et vous invite aujourd’hui à faire de même, considérant que l’adoption de ce texte permettra de poursuivre le travail vertueux engagé par tous les acteurs locaux depuis maintenant sept années. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville, et auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis près de deux siècles, la Corse connaît une situation foncière dégradée du fait de l’absence de titres de propriété, de l’inexactitude du cadastre et d’un niveau d’indivision successorale considérablement plus important que sur le reste du territoire français.

L’origine de cette situation remonte à l’arrêté du préfet Miot de juin 1801, qui encourageait les administrés à régulariser leur situation par la mise en place de mesures fiscales exceptionnelles. Il s’agissait en réalité de les dispenser de toute sanction en cas d’absence de déclaration de succession. Malheureusement, en supprimant ces sanctions, l’arrêté Miot a dissuadé les familles corses de déclarer leurs successions pendant près de deux siècles.

Et deux siècles plus tard, la Corse se caractérise par une situation cadastrale et foncière particulièrement dégradée. Ainsi, plus de 300 000 parcelles sont détenues par des personnes physiques nées avant 1910, soit 30 % des parcelles de l’île. Elle se caractérise ensuite par une inexactitude cadastrale, qui entraîne l’existence de biens non délimités sur 6,4 % des parcelles corses, contre 0,4 % sur l’ensemble du territoire.

Les inconvénients qu’entraîne cette situation sont particulièrement importants : d’une part, pour les particuliers, qui ne peuvent jouir pleinement de leur droit de propriété ni recourir normalement aux règlements successoraux, aux donations ou au crédit, tandis que la sortie des indivisions peut se révéler très coûteuse ; d’autre part, pour les autorités, dans la mesure où les personnes publiques ne peuvent recouvrer l’impôt de manière satisfaisante, le problème se posant surtout pour la taxe foncière, qui représente un manque à gagner d’environ 20 millions d’euros.

La situation est également problématique pour la sécurité des personnes et des biens, la législation relative aux immeubles menaçant ruine ou à la prévention des incendies ne pouvant être appliquée de manière efficace.

Depuis près de trente ans, des initiatives ont été prises afin de favoriser un retour au droit commun par la mise en place de dispositifs dérogatoires pour favoriser le titrement, unanimement considéré comme nécessaire.

Ainsi le Groupement d’intérêt général pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, mis en place en 2006 avec le soutien actif du Sénat, permet aux administrés de reconstituer leurs titres de propriété. Cet outil, dont l’efficacité est reconnue et appréciée en Corse, fait actuellement l’objet d’un travail de réflexion, sous l’autorité du garde des sceaux. Il s’agit de le renforcer et d’assurer sa pérennisation budgétaire.

La loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété sur laquelle nous revenons aujourd’hui est l’un de ces dispositifs.

Cette loi, constituée de six articles, comporte des mesures dérogatoires, dont la durée d’application est limitée à dix ans, soit jusqu’au 31 décembre 2027.

Ces articles visent à faciliter le recours aux actes de notoriété acquisitive et aux règles de sortie de l’indivision, notamment par des mesures fiscales incitatives à la résorption du désordre de propriété.

Il est important, mesdames, messieurs les sénateurs, de souligner que la loi de 2017 est un outil utile, qui répond à un besoin réel en Corse.

Vous le savez, le Gouvernement a engagé durant deux ans des discussions resserrées avec les élus corses, notamment dans le cadre d’un comité stratégique. Sans surprise, ce sujet a été abordé à de nombreuses reprises, singulièrement par le sénateur Jean-Jacques Panunzi, dont je salue ici l’engagement et le souci de trouver des réponses pratiques et rapides aux préoccupations quotidiennes des Corses.

En prolongeant de dix ans les dispositifs pertinents de la loi de 2017, le Parlement facilitera le travail de reconstitution des titres, qui, bien qu’inachevé, progresse. Grâce à cette loi, 15 000 parcelles ont été titrées. Depuis 2009, près de 100 000 parcelles ne sont plus considérées comme appartenant à un propriétaire présumé décédé, soit un quart du nombre total de parcelles concernées en 2009.

Malheureusement, malgré cette amélioration, la proportion des parcelles corses disposant d’un titre foncier régulier, de l’ordre de 70 %, est encore trop peu élevée pour que l’on puisse considérer que la situation est satisfaisante, en particulier au regard du même taux à l’échelon national, supérieur à 99 %.

Les notaires le constatent, le cadre civil posé par la loi et les exonérations fiscales ont créé une dynamique incitant enfin les particuliers à chercher à résoudre les problèmes d’indivision qui courent depuis plusieurs générations.

Malgré le bilan encourageant de la loi, des marges de progression importantes demeurent et appellent, selon nous, une action résolue de prorogation de la loi jusqu’en 2037.

N’oublions pas que, au-delà de ses implications juridiques et administratives, le désordre foncier en Corse revêt une dimension politique importante et contribue, d’une certaine manière, à la spéculation immobilière en soustrayant un volume significatif de foncier.

Force est toutefois de reconnaître que ce dispositif dérogatoire est particulièrement important et qu’il convient de le sécuriser. C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas nous priver d’identifier toute amélioration technique.

Dans l’intervalle, il est de notre responsabilité collective de nous donner les moyens de contribuer au maintien d’une politique volontariste de la Nation en faveur de nos compatriotes corses. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutiendra la proposition de loi proposée par le sénateur Panunzi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)