COM (2015) 667 final  du 15/12/2015

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Le texte COM 667 a pour objet d'améliorer la coopération européenne sur la fonction de garde-côtes en développant une coopération intersectorielle entre l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) et l'Agence européenne de contrôle des pêches (AECP) pour améliorer les synergies entre elles, afin d'offrir aux autorités nationales investies des fonctions de garde-côtes des services polyvalents plus efficaces et plus rentables.

Actuellement, plus de 300 autorités civiles et militaires des États membres assument des fonctions de garde-côtes dans un large éventail de domaines tels que la sécurité et la sûreté maritime, les opérations de recherche et de sauvetage, le contrôle aux frontières, le contrôle des pêches, le contrôle douanier, l'application générale de la législation et la protection de l'environnement.

Le présent texte modifie le règlement n° 1406/2002 instituant une Agence européenne pour la sécurité maritime. Celui-ci est fondé sur l'article 100, paragraphe 2, du TFUE relatif à l'établissement des dispositions permettant la poursuite des objectifs de la politique commune de transport maritime. L'Agence européenne pour la sécurité maritime devrait, aux termes du nouveau dispositif, coopérer avec l'Agence européenne de gardes-frontières et garde-côtes et avec l'Agence européenne de contrôle des pêches afin de soutenir les autorités nationales investies de fonctions de garde-côtes. Elle fournirait des services, des informations, des équipements et des formations et coordonnerait des opérations à objectifs multiples.

Le texte apporte incontestablement un soutien et donc une valeur ajoutée aux autorités nationales investies de fonctions de garde-côtes au niveau des États membres et de l'Union. Il tend, en effet, à améliorer la coopération et à promouvoir des actions transfrontalières et transectorielles efficaces.

Dans ces conditions, ce texte parait conforme au principe de subsidiarité.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/01/2016
Examen : 24/03/2016 (commission des affaires européennes)


Justice et affaires intérieures

Protection des frontières extérieures de l'Union européenne

Rapport d'information, proposition de résolution européenne
et avis politique

COM (2015) 667 final - Texte E 10855

(Réunion du 24 mars 2016)

M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle la présentation du rapport d'information de MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt sur la réforme de l'espace Schengen et la crise des réfugiés. Il n'est pas besoin de souligner l'actualité, pour ne pas dire l'urgence, de ce sujet brûlant, qui déstabilise l'Europe en mettant à mal les dispositifs - il est vrai bien fragiles - mis en place pour la gestion de l'espace Schengen. Celui-ci a été inventé en 1985, et n'est donc pas adapté à ce qui nous arrive ! Manifestement, l'Europe n'était absolument pas préparée pour affronter une crise aussi violente, qui n'a fait que s'amplifier dans le contexte tragique de la situation en Syrie. Cette crise a une dimension humanitaire évidente. L'Europe doit se montrer à la hauteur de ses valeurs. Mais cette crise pose aussi de manière abrupte la question d'une gestion efficace de nos frontières extérieures.

Le rétablissement durable des frontières intérieures mettrait en cause le principe de libre circulation qui est un grand acquis de la construction européenne. Il aurait aussi un coût considérable : 10 milliards d'euros par an pour la France, selon France Stratégie. Et la reconstruction de frontières intérieures pérennes aurait quelque chose d'anachronique alors que nous en sommes au douzième round de négociation du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP). Il faut donc impérativement trouver les voies et moyens de rétablir au plus vite un fonctionnement normal. Cela exige le retour de la confiance entre États membres et donc des mesures fortes pour assurer le contrôle effectif des frontières extérieures.

M. André Reichardt. - Ce rapport d'information porte sur l'avenir de l'espace Schengen et la crise migratoire aiguë à laquelle l'Europe est aujourd'hui confrontée. Ces deux questions sont, bien sûr, étroitement liées. Il nous apparaît urgent de prendre position et de définir une ligne.

Il a été démontré que la politique du « chacun pour soi » ne peut conduire en la matière qu'à une impasse. On voit bien que les décisions unilatérales prises par certains États ne constituent pas une solution durable : elles pourront tout au plus bloquer certains flux, avec des conséquences humanitaires déjà visibles et inacceptables, ou déboucher sur l'utilisation de voies de contournement ou de substitution aggravant la situation de pays européens voisins et interpellant à nouveau l'Union européenne.

Au cours de la dernière période, des expressions comme « dislocation de l'Union européenne », « démantèlement de l'Union européenne », voire même de « mort de l'espace Schengen » ont été prononcées. À la mi-janvier, dans des termes très durs, le ministre français de l'intérieur a déclaré : « Soit on considère que l'Europe est un chaos et on ne fait rien, soit on agit avec volontarisme et avec un agenda précis. » Et il ajoutait : « Si nous ne nous montrons pas extrêmement vigilants quant aux conditions dans lesquelles s'exerce la sécurité de nos frontières extérieures, nos opinions publiques seront de moins en moins favorables à accorder un accueil serein aux réfugiés. » On ne peut être plus précis et plus direct sur les relations qui existent entre les deux problématiques.

Nous avons entendu des responsables français de ces dossiers, à Paris et à Bruxelles, les ambassadeurs d'un certain nombre de pays particulièrement concernés : la Turquie, la Grèce et la Macédoine, qui est en première ligne, pour le moment, face à la pression migratoire des réfugiés bloqués à la frontière grecque. Nous en avons conclu que l'heure des choix était venue : nous sommes arrivés à un point de non-retour.

Dans une précédente intervention, au mois de novembre 2014, je vous avais rappelé le dispositif général du Code frontières Schengen, tel qu'il résulte du règlement de 2013. L'espace Schengen a été ouvert en 1985 entre cinq pays, puis s'est élargi peu à peu. J'avais mis l'accent sur les insuffisances ou les lacunes de cet espace commun de libre circulation.

En matière de visas tout d'abord, à l'exception du visa de court séjour dit « visa Schengen », chaque État membre délivre aux ressortissants des États tiers une autorisation de séjour selon des critères qui lui appartiennent. Il en est de même, en grande partie, pour la protection internationale : chaque État accorde aux demandeurs d'asile une protection nationale selon ses pratiques, même si des règles communes en matière d'accueil, de procédure et de qualification sont maintenant définies par les directives de 2013.

Mais la crise migratoire aiguë qui frappe l'Europe depuis plusieurs mois a fait apparaître que l'enjeu majeur était décidément le contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union européenne et, singulièrement, de l'espace Schengen. On le sait, les frontières des États membres de la périphérie sont aussi les frontières communes de l'Europe. C'est tout le problème des États les plus exposés - l'Italie, puis la Grèce aujourd'hui - ainsi que celui de l'agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures, Frontex.

Il faut se féliciter des deux propositions de règlement présentées par la Commission le 23 janvier dernier. L'une porte sur la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et renforce substantiellement le mandat et les moyens humains et matériels de Frontex. L'autre prévoit un renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures de l'Union. Le projet de création de garde-frontières européens - proposition avancée depuis longtemps par le Sénat - pourrait voir le jour avant l'été 2016, ou au plus tard en septembre 2016.

Nous pensons, pour notre part, qu'il faut aller plus loin. Ce qui est en jeu, c'est le rétablissement de la confiance entre les États membres, et entre les citoyens et l'Union européenne. En son absence, tout l'édifice européen se trouve extrêmement fragilisé : il s'agit pour l'Union européenne, à qui tant de reproches sont déjà adressés, d'une question de survie.

Il s'agit donc peut-être d'exiger une condition préalable à toute réforme, qu'elle concerne le Code frontières Schengen, le système Dublin ou encore le dispositif européen sur le droit d'asile. Ce préalable, c'est la mise en place, le plus rapidement possible, d'un contrôle systématique avec validation biométrique des entrées et des sorties dans l'espace Schengen et hors de cet espace. Les migrants arrivant massivement depuis des zones de guerre sont souvent dépourvus de papiers. Cet enregistrement systématique devra concerner tant les ressortissants des pays tiers que les ressortissants bénéficiant de la libre circulation dans l'espace européen, c'est-à-dire les détenteurs de passeports européens. Ce projet, communément appelé « Smart Borders » ou « Frontières intelligentes » est en débat, dans les instances européennes, depuis 2013. S'il était validé, il pourrait, selon ce qui nous a été dit, être mis en oeuvre au plus tôt au printemps 2017 : c'est bien long... Certains lui ont reproché sa dimension trop sécuritaire. Pourtant, de grands pays comme le Brésil ou de plus petits comme le Burkina Faso, l'utilisent depuis des années. C'est sans doute la condition sine qua non, selon nous, du rétablissement de la confiance et donc de la poursuite d'une politique européenne commune.

Il faut aussi rappeler l'importance, en la matière, des relations avec les pays tiers. Soulignons la nécessité du renforcement de la coopération internationale, en particulier avec les pays d'origine et de transit des réfugiés ou des migrants, qu'a bien montrée le Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015. Nous savons tous que le renforcement de cette coopération est seul susceptible, à plus ou moins bref délai, de résoudre les difficultés auxquelles l'Union européenne fait face. Je n'insisterai pas sur l'accord entre l'Union européenne et la Turquie qui a été entériné par le Conseil européen de la semaine dernière. Sa mise en oeuvre sera difficile. En Grèce, des migrants ont déjà déclaré qu'il n'était pas question pour eux de retourner en Turquie. La vigilance s'impose donc. En tout cas, il ne remet nullement en cause la stratégie européenne préconisée par la proposition de résolution européenne (PPRE) qui vous est présentée.

Il importe, enfin, de rappeler l'importance d'une résolution rapide des conflits armés qui ravagent de nombreuses régions du monde, en particulier le Moyen-Orient. Cela aiderait à limiter la crise migratoire, qui ne pourra cependant pas être stoppée facilement.

L'enjeu est de taille, puisqu'il s'agit d'un possible éclatement de l'Union européenne faute d'un accord sur les outils à mettre en oeuvre et l'obligation de solidarité.

M. Jean-Yves Leconte. - Un demandeur d'asile est un migrant qui dépose une demande d'asile ; le réfugié politique est celui qui bénéficie d'une protection internationale. Le million de personnes entrées l'an dernier dans l'Union européenne ne relèvent pas toutes de ces catégories : en 2015, l'Allemagne a enregistré 440 000 demandes d'asile ; la Hongrie, 174 000 ; la Suède, 156 000 ; l'Autriche, 85 000 ; l'Italie, 83 200 et la France, plus de 70 000. Le taux d'acceptation varie de 25 % à 55 % selon les pays, qui reçoivent il est vrai des populations d'origines différentes. Précisons que le chiffre pour la Hongrie est surévalué : la Hongrie a fermé sa frontière quand l'Allemagne a commencé à appliquer les règles de Dublin aux personnes ayant déjà demandé l'asile en Hongrie. Du coup, nombre de migrants ont été enregistrés deux fois.

L'asile est un des droits essentiels de l'Union européenne. Il est inscrit dans la Convention relative au statut des réfugiés conclue à Genève le 28 juillet 1951, ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En France, il correspond à une tradition encore plus ancienne.

L'article 33 de la Convention de Genève dispose qu'« aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » Il est bon de le rappeler.

La France a engagé, il y a un an, une réforme de l'asile, afin de transposer les directives « accueil » et « procédure », qui avaient fait l'objet de longues négociations. Pour autant, de grandes différences subsistent entre les États membres. Quelques grands principes ont été arrêtés : pas de refoulement collectif, droit à une étude individuelle et à un recours suspensif. Certes, l'analyse de la situation des personnes vulnérables est difficile à conduire dans les îles de la mer Égée. Le refoulement n'est possible que dans un pays tiers sûr. Forcer la Grèce à reconnaître la Turquie comme tel, alors que la Hongrie ne le fait pas, semble très audacieux.

Le droit au regroupement familial, faute d'être reconnu, se prend « les pieds » : des familles migrent par petits groupes, et l'on voit des femmes et des enfants risquer leur vie pour rejoindre l'homme déjà arrivé.

Lorsque la Hongrie a fermé ses frontières, la route des Balkans a conduit les migrants à sortir de la zone Schengen, puis à y rentrer. Or la Macédoine et la Serbie n'avaient pas de système d'enregistrement coordonné au nôtre. Quant à l'enregistrement sur les îles grecques ! Seule la mise en place de hotspots assurera un enregistrement effectif des arrivées dans le système Eurodac. En pratique, la Grèce a cédé le contrôle de sa frontière à Frontex.

Le principe de Schengen était que chaque État était responsable de sa frontière extérieure. Si un pays laissait entrer une personne, il lui incombait de traiter sa demande d'asile. Du coup, le Luxembourg et la Grèce se trouvent dans des situations identiques, alors qu'ils ne subissent pas les mêmes pressions. Sommes-nous capables d'assumer une souveraineté partagée sur la question ? Il s'agirait de porter en commun le traitement des demandes d'asile, et d'intervenir aux frontières si un État est défaillant.

Au sein des flux de migrants, de nombreuses personnes viennent pour des raisons économiques et ne sont pas des réfugiés. Cela inquiète, et il faut donc absolument établir des voies robustes et fiables permettant l'identification de chacun. Bien sûr, la pression est si importante que la route des Balkans sera sans doute remplacée par d'autres itinéraires : par l'Albanie, la Bulgarie et la Roumanie, voire l'Ukraine, et par la Libye et l'Italie.

Face à de tels défis, l'union fait la force. Notre espace de libre circulation doit être défendu non par principe, mais parce qu'il est efficace. Les démarches entreprises l'an dernier par certains États d'Europe centrale pour conclure des partenariats bilatéraux plutôt que renforcer Frontex ont affaibli l'Europe.

Une plus juste répartition des demandeurs d'asile entre États pose la question du droit des personnes accueillies à aller travailler dans un autre pays de l'Union. Cette liberté, à nos yeux, ne pourrait que bénéficier à leur bonne insertion économique. Une harmonisation des principes de la demande d'asile serait aussi souhaitable. Ne pourrait-on envisager d'harmoniser progressivement la jurisprudence de l'Europe en la matière ?

Pour empêcher des drames comme celui des 10 000 mineurs isolés, le regroupement familial doit être un droit. La relocalisation doit aussi être une option. N'imaginons pas que la fermeture de la frontière avec la Turquie résoudra le problème. Comme le Liban et la Jordanie, ce pays peut constituer un défi considérable pour l'Europe s'il est gagné par la déstabilisation. Tous les éléments de la proposition de résolution européenne me conviennent...

M. Jean Bizet, président. - C'est déjà bien !

M. Jean-Yves Leconte. - Mais il faudrait la compléter par l'affirmation de certains principes. Si la confiance entre les États et les citoyens de l'espace Schengen est indispensable, certains points pourraient être précisés. Nous pourrions nous donner une semaine pour améliorer son texte.

M. Jean Bizet, président. - Nous devons pouvoir le voter aujourd'hui.

M. Alain Vasselle. - La proposition de résolution européenne aidera-t-elle à lever les difficultés que Frontex rencontre avec la Macédoine et la Serbie ? Vos propositions, si nous les avions adoptées plus tôt, auraient-elles pu éviter les évènements récents de Belgique ? Un des terroristes impliqué a été expulsé de Turquie vers les Pays-Bas avant de rentrer en Belgique, et la Belgique n'a pris aucune mesure contre lui. Le contrôle des frontières n'est donc pas suffisant.

M. Éric Bocquet. - Il s'agit d'un sujet grave, et cette crise met à mal l'idée européenne. Soyons modestes : nul n'a la solution. Bien sûr, nous devons contrôler nos frontières, mais nous n'empêcherons pas les migrants de passer. Après la fermeture de la route des Balkans, la pression s'accroît à Vintimille... Vers quelles solutions guideraient les « structures d'orientation » que vous évoquez ? De quels moyens disposeraient-elles ? Les conflits en Syrie et en Irak doivent être l'objet d'un effort supplémentaire de la diplomatie européenne. Quant à l'accord avec la Turquie, quel aveu d'échec ! Je m'abstiendrai sur le texte qui nous est proposé.

M. André Gattolin. - Il est dommage que certains principes ne soient pas mentionnés dans cette proposition de résolution européenne. Ce qui se passe aux frontières de Schengen est analogue à ce que nous voyons à Calais, et explique l'inquiétude de nos concitoyens. Le droit d'asile est supérieur aux autres droits, et il est d'une gestion complexe : le demandeur vient souvent malgré lui, et souhaite souvent revenir chez lui dès que possible. D'ailleurs, la majorité des migrants restent aux frontières turques, libanaises ou jordaniennes, pour s'éloigner le moins possible. Si nous n'avions pas laissé se dégrader la situation de leurs camps sur place, ils ne seraient pas venus si massivement vers l'Europe. Sur le plan géostratégique, on constate que la Russie a laissé passer 6 000 migrants venus de Syrie et d'Afghanistan, qui ont franchi la frontière norvégienne à vélo. Les responsables norvégiens y voient une réplique aux sanctions occidentales, et je considère que le bombardement désordonné d'Alep a augmenté de plusieurs milliers le nombre de candidats à l'exil... Renforcer Frontex, très bien, mais ses compétences sont floues quand il s'agit d'intervenir dans les pays candidats à l'adhésion, dont le système judiciaire et policier reste souverain. Je m'abstiendrai sur cette proposition de résolution.

M. Pascal Allizard. - Le coût de 100 milliards d'euros - dont 10 milliards d'euros pour la France - évoqué en cas de rétablissement des frontières intérieures ne correspond-il pas aux économies que nous avons réalisées en les abolissant, mais que nous n'avons pas affectées à un meilleur contrôle des frontières extérieures ?

M. Richard Yung. - Je suis favorable à la plupart de vos propositions. J'espère que l'installation de hotspots progresse. La remise en cause de la souveraineté que vous proposez n'est-elle pas irréaliste ? Quelle chance avons-nous de la voir aboutir ? Même la relocalisation n'est pas acceptée par tous les États. Quant à l'harmonisation des jurisprudences, comment voulez-vous la mettre en oeuvre ? Les juges sont indépendants.

M. André Reichardt. - Bien sûr, nous n'avons pas rappelé tous les principes dans cette proposition de résolution. L'aspect humanitaire de cette crise est évident, non moins que ses dimensions économiques ou sécuritaires. Nous proposons des mesures d'urgence pour remédier aux dysfonctionnements flagrants de Schengen. En particulier, il faut de vrais contrôles, biométriques, à l'extérieur, pour préserver la libre circulation à l'intérieur. On voit bien que la Grèce est débordée, et l'Italie n'a guère fait mieux qu'elle. Frontex doit donc monter en puissance, et la souveraineté des États passer au second rang. Il en va de l'avenir de l'Union européenne. Ce débat est indispensable. Les moyens de Frontex doivent être accrus. Les structures dont nous préconisons la création pourront assurer aussi un hébergement décent aux migrants. Il serait mieux qu'elles soient situées dans des pays tiers. Sinon, il est impossible de renvoyer les personnes déboutées. Pour la Macédoine et la Serbie, nous préconisons que Frontex puisse les aider si elles le demandent.

M. Jean-Yves Leconte. - Pour harmoniser les jurisprudences en matière de droit d'asile, je proposais la création d'une cour d'appel européenne compétente pour traiter les recours juridictionnels contre les décisions administratives prises dans chaque État membre. Cela facilitera aussi la relocalisation, et sa jurisprudence obligera les instances nationales à converger.

M. André Reichardt. - Je m'y suis opposé, car je crois que c'est irréaliste. D'où la formulation retenue.

M. André Gattolin. - J'ai eu à intervenir auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui s'apprêtait à renvoyer un Tibétain en Chine car il n'avait pas trouvé le bon traducteur, et on ne lui avait pas laissé le temps de faire appel !

M. Daniel Raoul. - La proposition de M. Leconte me gêne car elle remet en cause plusieurs principes de droit. Envoyer le corps de garde-frontières européens dans un pays tiers me gêne aussi : ce serait un corps expéditionnaire !

M. Jean Bizet, président. - Cela se ferait à la demande du pays concerné.

M. Daniel Raoul. - Mais reviendrait à déplacer la frontière.

M. Jean-Yves Leconte. - La Macédoine et la Serbie n'ont pas accès à Eurodac ni aux bases européennes. Du coup, les migrants sont enregistrés plusieurs fois dans des systèmes différents. La Macédoine submergée a demandé à la Hongrie et à la Slovaquie de lui envoyer des effectifs, et ceux-ci ont manqué à Frontex, qui en avait besoin. Il aurait mieux valu répondre à la demande de ces pays en leur fournissant l'aide de Frontex.

Les contrôles biométriques nous rendraient plus crédibles face à la Turquie lorsque nous lui demandons de ne pas admettre nos ressortissants suspectés de vouloir se rendre en Syrie. Certes, la fermeture d'une voie en ouvre d'autres, ce qui fait la fortune des passeurs. C'est pourquoi nous devons avoir une voie d'accès robuste et durable. Quant aux structures que nous évoquons, il peut s'agir simplement de bureaux. La situation actuelle ne peut pas perdurer. Il faut donc consentir à un partage de souveraineté.

M. Daniel Raoul. - Un contrôle biométrique est-il réaliste ? Cela requiert de gros investissements, et le débit n'est pas le même.

M. Jean-Yves Leconte. - Le système d'information de Schengen a coûté trois fois plus que prévu...

M. Jean Bizet, président. - Quels amendements voulez-vous porter au texte de la proposition de résolution, M. Leconte ?

M. Jean-Yves Leconte. - Il faudrait écrire : « Considérant qu'aux frontières de l'Union européenne la Turquie, le Liban, la Jordanie, l'Égypte font face à de très nombreux réfugiés qui résultent des crises syrienne, libyenne, mais aussi de la situation au Yémen, en Érythrée, au Soudan ou en Afghanistan, que la Turquie, le Liban et la Jordanie accueillent chacun plus de deux millions de réfugiés, que l'exil vers l'Europe d'une part de ces réfugiés s'explique par le besoin de trouver un endroit où une perspective de vie pourrait leur être offerte » et « Considérant que l'Union européenne doit être à la hauteur de ses valeurs fondatrices en ne laissant pas le Liban, la Jordanie, la Turquie, la Tunisie et l'Égypte seuls face aux tragédies du Moyen-Orient, et que cette solidarité est la condition pour ne pas aggraver la situation dans ces pays et ses répercussions en Europe. »

M. Daniel Raoul. - Ça tourne à la logorrhée !

M. Jean-Yves Leconte. - Ce sont des considérants. Je souhaite également que la proposition de résolution souligne qu'obtenir une protection donne aussi le droit au regroupement familial, et aborde la question de l'exemption de visas avec la Turquie.

M. Jean Bizet, président. - Ne bouleversons pas un texte, pour lequel vous étiez parvenus à un équilibre... Son point n° 38 ne déplace pas les frontières, mais prévoit l'appui de Frontex si le pays le réclame.

M. André Reichardt. - Ces nouveaux considérants ne font qu'expliciter la proposition de résolution, sauf en ce qui concerne le regroupement familial. L'«  orientation » des migrants devrait permettre de prendre en compte toutes les questions dont celle du regroupement familial. Encore faut-il que les services concernés disposent de suffisamment d'informations.

M. Jean-Yves Leconte. - Il faut créer des voies crédibles, robustes, légales. La remise en cause du droit au regroupement familial est dangereuse.

M. Jean Bizet, président. - Je vous propose d'adopter la proposition de résolution en l'état. Elle sera ensuite examinée par la commission des lois.

M. Jean-Yves Leconte. - L'équilibre du texte n'est pas tout à fait atteint, puisqu'il ne réaffirme pas certains principes fondamentaux.

À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté - MM. Éric Bocquet et André Gattolin s'abstenant - la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.


Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88 4 de la Constitution,

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés,

Vu le « Pacte européen sur l'immigration et l'asile » adopté par le Conseil européen les 15 et 16 octobre 2008,

Vu la directive n° 2011/95/du 13 décembre 2011 concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale (dite « directive qualification »),

Vu la directive n° 2013/33/EU du 26 juin 2013 établissant les normes d'accueil pour les personnes demandant une protection internationale (dite « directive accueil »),

Vu la directive n° 2013/32/E du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (dite « directive procédure »),

Vu le règlement n° 603/2014 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale et relative aux demandes de comparaison avec les données d'EURODAC introduit par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives (« EURODAC »),

Vu le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable d'une demande de protection internationale (dit « règlement Dublin »),

Vu la communication de la Commission du 13 mai 2015 intitulé « Un agenda européen en matière de migration »,

Vu les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015,

Vu la décision du Conseil adoptée le 14 septembre 2015,

Vu la décision du Conseil adoptée le 22 septembre 2015,

Vu les conclusions du sommet de La Valette réuni les 11 et 12 novembre 2015,

Vu le nouveau « paquet législatif » « Frontières » présenté par la Commission le 15 décembre 2015,

Vu les conclusions du Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015,

Vu la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil relative au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant le règlement (CE) n° 2007/2004, le règlement (CE) n° 863/2007 et la décision 2005/267/CE,

Vu la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 562/2006 en ce qui concerne le renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures,

Vu les conclusions du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016,

Considérant que l'Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ;

Considérant que toute initiative de l'Union ne peut intervenir que dans le respect des valeurs fondamentales et des droits fondamentaux ;

Considérant que le déplacement non contrôlé vers l'Europe de réfugiés fuyant des régions du monde où leur vie et leur sécurité sont en danger favorise les mouvements migratoires de personnes non éligibles à la convention de Genève, qualifiées souvent de « migrants économiques » ;

Considérant que la crise migratoire aiguë, inédite pour l'espace Schengen, remet en cause un fonctionnement qui n'a pas été prévu pour faire face à ce type de défi ;

Considérant que l'espace Schengen, créé en 1985 par l'Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays Bas, puis progressivement élargi à d'autres pays, constitue un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli les contrôles systématiques sur leurs frontières internes pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée ; que ceci s'est accompagné de la mise en place de procédures convergentes de délivrance des visa de court séjour, de bases de données communes, d'une coordination des politiques d'asile et d'une coopération entre les polices des différents pays permettant de concentrer les efforts aux frontières extérieures pour plus d'efficacité ;

Considérant que l'espace de libre circulation ne peut se concevoir sans un contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union ;

Considérant que cet espace constitue désormais un acquis de la construction européenne, que la coopération qu'il a permis de mettre en oeuvre est essentielle pour faire face aujourd'hui aux défis que doivent affronter l'ensemble des pays membres de l'Union européenne ;

Considérant qu'une remise en cause de ces principes serait un risque pour la sécurité et que le rétablissement de frontières intérieures ne doit avoir lieu qu'à titre provisoire et exceptionnel, et conformément aux conditions prévues par les traités conclus par les États membres de l'Union ;

Considérant que l'ampleur des mouvements migratoires a conduit un certain nombre d'États membres de l'espace Schengen à recourir aux clauses de sauvegarde prévues par le Code frontières Schengen tendant à permettre, à titre provisoire, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ; que le recours à ces mesures de sauvegarde a pu s'accompagner, dans certains cas, de mesures nationales unilatérales prises sans concertation préalable avec les institutions européennes ou les États membres voisins pourtant concernés au premier chef par les effets desdites décisions ;

Considérant que ces mesures unilatérales font peser un risque sur l'avenir de l'Union européenne, la confiance entre ses membres, les relations avec les voisins de l'Union européenne et sur la sécurité de la zone Schengen ;

Considérant que pour certains experts, le coût de la généralisation des contrôles permanents aux frontières intérieures dans l'espace Schengen pourrait être supérieur à 100 milliards d'euros sans compter la réduction probable des investissements directs et des flux financiers ;

Considérant que les observations effectuées en Macédoine et en Serbie soulignent le manque de coordination entre Frontex et les autorités macédoniennes et serbes, dès lors que cette agence n'est pas autorisée à intervenir dans ces deux pays ;

Considérant que le renforcement de la coopération internationale avec les pays tiers, en particulier les pays d'origine et de transit des réfugiés ou des migrants, ainsi qu'en a témoigné le sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015, est prioritaire ; qu'à cet égard, tout accord de fond réciproquement avantageux et respectant les normes du droit international doit être recherché ; que la contribution de l'Union à la résolution des conflits armés qui ravagent de nombreuses régions du monde, en particulier le Proche Orient, constitue, une autre priorité ;

- Sur la nécessité d'une réponse globale sur la gouvernance de Schengen :

Estime que la crise migratoire aiguë à laquelle l'Europe est confrontée depuis plusieurs mois appelle une réponse globale liée à la gouvernance de l'espace Schengen ;

Relève que cette réponse globale ne pourra faire l'économie d'un débat sur le choix à opérer entre une responsabilité de chaque État membre de surveillance de sa partie de frontière extérieure et le maintien du « système Dublin » fondé sur la responsabilité de l'État de première entrée et l'acceptation par les États membres que la surveillance des frontières extérieures de l'espace Schengen sont une compétence commune ;

- Sur le contrôle des frontières extérieures de l'espace Schengen :

Estime que les compétences de Frontex doivent être renforcées pour permettre à l'agence d'accéder au SIS Schengen ;

Estime que Frontex devrait pouvoir intervenir dans un pays officiellement candidat à l'Union européenne, si celui-ci le demande, pour assurer une meilleure efficacité de la surveillance des frontières de l'espace Schengen, de l'Union européenne et de l'État candidat concerné ;

Soutient la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil relative au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes ainsi que la proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 562/2006 en ce qui concerne le renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures ;

Souligne qu'il importe, de mettre en place un contrôle systématique et biométrique de toutes les entrées et sorties de l'espace Schengen accompagné d'un enregistrement pour les ressortissants des pays tiers ;

- Sur le droit d'asile :

Souligne que le droit d'asile, qui implique le traitement individuel de chaque demande, oblige tous les signataires de la convention relative au statut des réfugiés conclue à Genève le 28 juillet 1951 ainsi que du protocole du 31 janvier 1967 ; qu'il est aussi inscrit à l'article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; qu'aux termes de l'article 33 de ladite Convention de Genève : « Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ; »

Reconnaît qu'il existe au sein des États membres des traditions et des cultures différentes en matière d'accueil des migrants et que les États restent libres d'accorder ou non le statut protecteur prévu par la convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 dont ils sont parties ;

Appelle de ses voeux une réflexion sur l'harmonisation des jurisprudences des structures nationales chargées du traitement individuel des demandes d'asile et, partant, sur la définition d'une véritable politique européenne de l'asile ;

Est d'avis qu'une solution pérenne réside dans la création, aux principaux points d'arrivée des migrants, de structures relevant de l'Union pour l'hébergement, l'enregistrement, l'identification et l'« orientation » des migrants ; relève que cette « orientation » pourrait s'articuler autour des principes posés par le règlement « Dublin » mais aussi des programmes de relocalisation ou de réinstallation décidés par l'Union européenne ;

Appelle de ses voeux une réflexion sur les possibilités d'installer, avec l'accord des pays tiers concernés, ces structures sur le pourtour méditerranéen ; considère que cette option, outre qu'elle réduirait le nombre des « victimes » des migrations, pourrait constituer à plus long terme un des éléments d'une stratégie européenne concertée d'anticipation et de maîtrise des pressions migratoires ;

Souligne la nécessité, pour l'Union européenne, de mener un combat résolu contre les réseaux de passeurs.