Mardi 5 mai 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense - Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement

La commission a procédé à l'audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que la commission des affaires étrangères et de la défense avait entrepris une série d'auditions sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense, qui lui avait permis déjà d'entendre le ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, et le directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense, M. Michel Miraillet.

La commission attendait du délégué général pour l'armement (DGA) une évaluation de l'impact de la crise sur les programmes d'équipement prévus par la loi de programmation militaire et par les budgets successifs.

Il a exprimé la crainte que la crise n'ait déjà modifié sensiblement les perspectives économiques sur lesquelles reposent le budget de l'Etat et la loi de programmation militaire (LPM), et s'est interrogé sur la réalisation des objectifs fixés dans la loi de finances pour 2009 en matière de ressources exceptionnelles liées à des ventes immobilières et à des cessions de fréquences.

Il s'est interrogé sur les conséquences de l'aggravation du déficit et la nécessité, à terme, de repasser sous la barre des 3 % du PIB, qui accentueront la pression sur l'ensemble du budget, dont celui de la défense, et a émis la crainte que la manoeuvre « ressources humaines » soit plus difficile à réaliser dans le contexte actuel, étant rappelé que des réductions de charges de personnel devraient permettre de dégager des financements supplémentaires au bénéfice des équipements.

Il a donc souhaité recueillir le sentiment du DGA sur la capacité à se conformer à la politique de renouvellement des équipements inscrite dans la LPM, à en respecter les contrats opérationnels, tout en rétablissant certaines capacités déficitaires définies par les recommandations et les priorités du Livre blanc.

Il a estimé que le plan de relance aurait sans doute, à terme, un effet bénéfique, mais qu'il n'était qu'une avance sur les prévisions des deux LPM successives 2009-2018.

M. Josselin de Rohan, président, a également interrogé le DGA sur l'impact de la crise actuelle pour l'industrie de défense, dont l'activité est très dépendante des évolutions du marché mondial de l'armement, mais aussi du marché civil aéronautique et spatial. Il a estimé que certains pays allaient réduire leur budget militaire alors que d'autres, comme la Russie par exemple, vont favoriser leurs industries nationales dont la production, stimulée par la commande publique, devrait avoir un effet contracyclique national. Il a craint que la dégradation des perspectives dans l'aéronautique civile puisse aussi fragiliser les entreprises dont l'activité est duale.

Il s'est enquis de la manière dont les industries de défense françaises, dont l'ensemble des PME-PMI sous-traitantes, font elles-mêmes face à ce nouveau contexte, et sur les risques éventuels pesant sur la pérennité de la base industrielle et technologique de défense, nationale mais aussi européenne.

M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, a rappelé que le Livre blanc avait marqué une priorité pour l'équipement des forces, en prévoyant notamment le réemploi de la totalité des économies issues de la révision générale des politiques publiques dans l'équipement, ainsi que le souci du maintien des compétences industrielles clés, supposant une stratégie industrielle tournée vers l'Europe. Les économies de fonctionnement, liées aux restructurations, seront réinjectées dans le secteur de la défense.

Il a souligné que la crise mondiale a profondément bouleversé notre société. La défense n'est pas épargnée et, parmi les mesures inédites qui ont été décidées, le plan de relance par l'investissement consacre une part non négligeable à la défense, en particulier à l'investissement au profit de l'équipement des forces.

M. Laurent Collet-Billon a rappelé le fort impact de l'armement sur l'économie française, qui en fait un investissement stratégique : ainsi, le ministère de la défense est le premier acheteur et investisseur public français, avec plus des deux tiers du montant des marchés publics passés par l'Etat, et plus du quart du montant des marchés conclus par les administrations publiques. Ce secteur contribue à la vitalité d'un secteur économique composé de plus de 12 000 entreprises, représentant 165 000 emplois directs, des plus grands groupes aux PME, et dont le chiffre d'affaires consolidé représente une quinzaine de milliards d'euros, soit 25 à 30 % de celui de la base industrielle et technologique de défense européenne. Ce montant est à comparer au chiffre d'affaires des industries britanniques de défense qui s'élève à 25 milliards d'euros mais dont environ un quart est un chiffre d'affaires captif aux Etats-Unis d'Amérique. De plus, il est aujourd'hui difficile d'évaluer l'impact de l'érosion de la valeur de la livre sterling.

Le secteur de l'armement est un secteur à haute valeur technologique qui s'appuie sur des compétences de bureaux d'études implantés sur le territoire national, employant environ 20 000 personnes. La recherche et développement (R&D) représente 10 à 20 % du chiffre d'affaires des plus grands groupes de défense présents en France et, au total, le ministère de la défense finance 10 % de l'effort national de R&D.

La France est ainsi au deuxième rang européen dans ce domaine, derrière le Royaume-Uni. Parmi les dix premiers groupes européens, quatre sont français : Thalès, DCNS, Safran et Dassault aviation, auxquels s'ajoute EADS dont la composante française est importante.

Au total, la France et le Royaume-Uni totalisent les deux tiers du chiffre d'affaires, des investissements, de la recherche et technologie et de la recherche et développement en Europe. Quelle que soit l'opération envisagée, le Royaume-Uni est un partenaire incontournable dans une première phase de dialogue. Toutefois, le Royaume-Uni subit de plein fouet le choc de la crise, et recherche des marges de manoeuvre financières sur les programmes d'armement (A400M et Eurofighter entre autres). Il connaît de plus d'importants problèmes de trésorerie du fait de la baisse des recettes fiscales. S'agissant de l'A400M, une période moratoire a été ouverte jusqu'à fin juin, afin de se prononcer sur les orientations du programme.

Dans ce contexte, la recherche et développement qui représentent entre 10 et 20 % du chiffre d'affaires des grands groupes revêtent une importance cruciale d'autant que les subventions versées viennent s'ajouter au crédit d'impôt recherche. L'industrie française de défense possède des fondamentaux économiques et financiers très solides qui la placent dans une situation favorable dans le cadre d'une restructuration de l'industrie européenne de défense.

Les PME sont des acteurs incontournables du secteur. Aux côtés des grands groupes industriels de défense, elles jouent également un rôle majeur dans le savoir-faire nécessaire aux besoins de la défense. On estime à environ 4 000 le nombre de PME participant à l'effort de défense, dont 300 possèdent des compétences essentielles, voire stratégiques. Elles sont un gage de réactivité et de compétitivité, et, par leur capacité d'innovation, se révèlent indispensables au maintien et au développement de l'excellence technologique des systèmes d'armes. Pour autant, elles n'interviennent le plus souvent que dans la chaîne de sous-traitance, et sont plus fragiles et plus vulnérables que les grandes entreprises, notamment en temps de crise et ce même si le plan d'actions lancé par le ministre de la défense commence à donner ses premiers résultats.

Puis M. Laurent Collet-Billon a décrit les caractéristiques et les faiblesses de l'industrie de défense en temps de crise. Il a estimé que le paysage industriel était susceptible d'évoluer ces prochaines années du fait de la compétition internationale et de la réduction du nombre d'opérateurs.

Il a rappelé que, à l'heure actuelle, l'industrie de défense est marquée par des contraintes structurelles, dont des aspects cycliques et de longs délais de conception, de production puis d'utilisation. L'industrie doit donc gérer la succession de ces longs cycles et leur impact sur le format de bureaux d'études. Pour limiter ces fragilités, il faut rechercher de nouveaux débouchés et des relais de croissance ; sur le marché des équipements de sécurité, il convient de tirer parti des synergies entre des technologies de plus en plus duales. L'exportation permet également d'amortir les coûts de R&D et de lisser les plans de charge des moyens de production ; il faut rappeler que 6,4 milliards d'euros de prises de commandes en 2008 et 40 000 emplois dépendent directement de l'exportation. M. Laurent Collet-Billon a précisé que l'on n'avait pas noté de ralentissement pour les trois premiers mois de 2009.

Puis M. Laurent Collet-Billon a précisé que les risques liés à la crise financière et économique touchaient également l'industrie de défense, à travers un ralentissement de l'activité économique, et risquaient de pénaliser fortement les industriels ayant trouvé des débouchés sur les marchés militaires à l'exportation ou ayant développé des activités dans le secteur civil, par exemple dans le domaine de l'aéronautique. Quelques-uns ont déjà annoncé, début 2009, des réductions des cadences de production pour anticiper une stagnation de leur carnet de commandes. Cela peut affecter le tissu de sous-traitance, phénomène qui pourrait s'amplifier si des industries rapatrient en interne des activités qui avaient été externalisées : c'est ainsi le cas de STX France. De ce point de vue, la commande d'un troisième bâtiment de protection et de commandement (BPC) revêt un caractère fondamental pour la limitation de cette réinternalisation.

Par effet de cascade, les PME pourraient être particulièrement fragilisées, notamment dans l'industrie de sous-traitance mécanique, fortement duale, avec une faible part d'activité militaire, et des débouchés dans l'aéronautique et l'automobile. Une autre menace découlerait d'une raréfaction du financement ; en effet, dans un contexte général incertain, les investisseurs, comme les fonds d'investissements et les banques sont attentistes. Cela remet en cause de nombreux projets d'investissement et risque d'altérer le niveau technologique des industriels, et de fragiliser leur positionnement dans la concurrence mondiale.

Le recours aux partenariats public-privé (PPP) en est rendu plus difficile, et l'Etat risque de devoir se replier sur des acquisitions patrimoniales.

Les difficultés d'accès au financement bancaire sont particulièrement préjudiciables pour les PME, qui, du fait de leur structure financière, risquent de souffrir du durcissement des conditions d'octroi de crédits ou de garanties bancaires. Ainsi, à court terme, des PME peuvent avoir des problèmes de trésorerie, voire être défaillantes et conduites à déposer le bilan ; à moyen ou long termes, de nombreux projets d'investissement en R&D pourraient être abandonnés faute de moyens financiers, et parce que jugés trop risqués.

M. Laurent Collet-Billon a souligné la nécessité de préserver l'innovation, essentielle pour que les entreprises soient en mesure de saisir les opportunités une fois la crise passée. C'est le sens du soutien à la R&T contenu dans le volet « défense » du plan de relance.

De plus, émerge un risque de disparition de compétences industrielles-clés, les risques de défaillance induits par les facteurs évoqués constituent une menace lorsqu'ils touchent à des entreprises détenant des compétences industrielles stratégiques. Toutefois, la DGA ne craint pas trop la disparition de compétences stratégiques clés en raison de la surveillance qu'elle exerce sur les 300 PME considérées comme stratégiques.

La volatilité des taux de change et de la parité euros/dollars conduit les industriels, comme Safran, Thalès, EADS, à opter pour des instruments de couverture, qui peuvent avoir un coût non négligeable sur le prix de leurs équipements. Les acteurs industriels, notamment dans l'aéronautique, ont intérêt à équilibrer leurs productions en zones dollars et euros. Cette situation peut conduire à des délocalisations d'activité. La constitution d'une base industrielle de défense européenne en est rendue plus difficile, car les pays européens peuvent chercher à préserver avant tout leurs emplois nationaux.

Il est évident que les difficultés rencontrées par certains programmes, comme l'A400M, peuvent aggraver la situation en temps de crise. Le retard de ce programme aura naturellement une incidence sur les paiements des industriels de second rang. Cette question est d'autant plus importante que, au-delà d'Airbus, ses sous-traitants sont fournisseurs de l'ensemble de l'industrie aérospatiale. Dans ce contexte, la DGA est particulièrement attentive aux conséquences de la crise sur toute la chaîne de sous-traitance et met tout en oeuvre pour soutenir les compétences stratégiques pour la défense.

Le plan de relance constitue une réponse à la crise, en faisant une part importante à la défense et, en particulier, à l'investissement au profit de l'équipement des forces. Entre 2009 et 2010, 1,2 milliard d'euros sont consacrés aux équipements, 200 millions d'euros aux infrastructures, 200 millions d'euros au maintien en condition opérationnelle (MCO) et 110 millions d'euros aux paiements sur les études amont, ce qui portera le montant des crédits de paiement des études amont au-delà de 700 millions d'euros en 2009. Aujourd'hui, le montant des contrats effectivement notifiés à l'industrie s'élève à plus de 730 millions d'euros. Avec le plan de relance, la DGA engagera plus de 20 milliards d'euros en 2009.

Des mesures de trésorerie ont également été prises pour permettre l'augmentation des avances forfaitaires ainsi que la résorption des reports. L'investissement de défense permet en effet de concentrer l'effort sur des emplois de haute technologie, des emplois non délocalisables, des investissements essentiellement nationaux. Les critères principaux qui ont abouti aux choix des programmes éligibles au plan de relance ont notamment été les suivants : avoir un impact immédiat sur l'activité industrielle, être de mise en oeuvre rapide, anticiper la satisfaction de besoins militaires prévus dans le Livre blanc et les deux LPM (2009-2020). Pour l'effort de recherche, la rapidité de mise en oeuvre et l'impact sur l'industrie nationale ont été également des critères prépondérants de choix, en restant dans le cadre des priorités de la future LPM. Les crédits affectés aux programmes irrigueront le tissu industriel : via les maîtres d'oeuvre industriels, ils s'adressent à l'ensemble de la chaîne de valeur, équipementiers comme sous-traitants, sauvegardant des emplois sur le territoire national. Ces mesures permettront également de limiter sur le plan de la production une « réinternalisation » de la charge par les maîtres d'oeuvre. Des fournisseurs ayant un caractère dual auront un regain d'activité qui pourra compenser en partie le ralentissement de leur activité, déjà fragilisée dans le secteur civil.

La crise conduira à instaurer un nouveau partenariat entre l'industrie de défense et l'Etat. Les Etats ont clairement un rôle à jouer en tant que régulateurs et garants de la sécurité d'approvisionnement. Ils doivent également, dans le domaine particulier de la défense, et dans le contexte actuel de crise, soutenir leur industrie. Cette action comporte un premier volet relatif à la maîtrise des compétences adéquates en matière d'acquisition d'armement pour pouvoir instruire les bonnes décisions, et un second volet relatif au soutien de l'industrie de trois manières : en favorisant l'innovation, en s'assurant du maintien des compétences critiques et, enfin, en soutenant l'exportation. L'Etat, dans son rôle de prescripteur, doit élaborer des stratégies à long terme permettant aux entreprises de se positionner sur le marché mondial. Pour être efficace dans le processus d'achat, l'Etat a besoin d'une expertise indépendante, technique et économique. Parmi les compétences que la DGA doit détenir au meilleur niveau, deux doivent être soulignées : le coût global de possession, car l'amélioration de l'efficacité de l'Etat dans le processus d'acquisition passe par une meilleure maîtrise du coût de possession à travers une approche de l'ensemble du cycle de vie des matériels, et la réactivité, car le contexte actuel conduit à avoir recours à la commande urgente pour les forces déployées en opérations. Cela concerne aussi bien des « petits » équipements, des modifications d'équipements ou des investissements beaucoup plus importants comme les matériels en développement non disponibles.

Les principaux programmes visés par le plan de relance, en liaison avec la LPM, sont le troisième bâtiment de protection et de commandement (BPC), vital pour STX, prévu initialement en 2015, l'acquisition de cinq Caracal pour Eurocopter, l'acquisition de quinze véhicules ultra-blindés ARAVIS pour Nexter, mais également des contrats avec des PME comme l'acquisition de tapis de sol pour les hélicoptères à la société Deschamps, ou l'anticipation d'investissement dans les centres d'essais de la DGA pour un montant évalué fin mars à 9 millions d'euros, dont les bénéficiaires sont presque exclusivement des PME régionales. S'agissant de la recherche, une soixantaine de programmes d'études amont contribuent au plan de relance, essentiellement dans les domaines de l'électronique embarquée pour l'aéronautique, comme le démonstrateur de nacelle de désignation laser, des technologies pour les télécommunications, le radar, la guerre électronique, l'optronique, l'électronique de défense, incluant les télécommunications par satellites, les technologies de renseignement ou la simulation. A cela s'ajoutent les systèmes navals de défense, comme le concept du futur moyen océanique de dissuasion de l'avenir, les techniques de discrétion des sous-marins, les systèmes terrestres de défense, les technologies pour la protection nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), la simulation opérationnelle de mise en réseau des systèmes terrestres, et l'aéronautique de défense, comme les commandes de vol électriques pour hélicoptères.

Pour prévenir le risque de défaillances, le soutien de l'Etat sera apporté aux PME. Depuis septembre 2008, la DGA s'appuie sur le dispositif interministériel d'alerte et de soutien mis en place dans le contexte de la crise économique pour les PME. Dans chaque région, un « parrain PME » a été nommé, pour anticiper leurs difficultés. A ce stade, aucune PME stratégique n'a été déclarée en difficulté directement à cause de la crise financière.

Dans le contexte actuel, l'Etat doit prendre en compte une vision allant du très court terme au long terme, qui touche aussi bien le maintien des compétences stratégiques de la BITD et la préparation de l'avenir, que les urgences opérationnelles. Ces commandes posent différents problèmes, comme l'articulation avec les programmes à long terme, la capacité de l'industrie à répondre rapidement à la demande, et la constitution de micro-flottes avec le coût de MCO associé.

L'Etat doit aussi soutenir l'industrie et l'innovation : pour la défense, le flux de R&T annuel est de l'ordre de 700 millions d'euros. Mais l'investissement public dans la R&D doit être plus efficace : il est entravé par le cloisonnement entre activités, la difficulté de passer de la recherche à l'innovation, la faiblesse des outils financiers en faveur de l'innovation, et l'inefficacité dans la valorisation de la propriété intellectuelle. Il faut donc favoriser les synergies entre recherche civile et recherche de défense comme dans le secteur des télécommunications ou dans celui de l'espace, pour lesquels la dualité est avérée. Des progrès sont encore possibles : en effet, 60 % de la recherche de défense aurait des retombées dans le secteur civil contre 20 % pour l'inverse. Il convient donc de fédérer l'effort de recherche en matière de défense et de sécurité, en renforçant les synergies entre programmes de R&T dans le cadre de la coordination interministérielle existante, et en développant la mutualisation des moyens et de l'expertise technique.

Les pôles de compétitivité sont également un outil prometteur pour fédérer acteurs publics et privés, et le ministère de la défense finance 39 millions d'euros de R&D sur ces pôles.

C'est à l'Etat qu'il revient de maintenir les compétences critiques, dans le R&T, la R&D et l'industrialisation. Or la période est marquée par l'achèvement des développements, et la montée en puissance de la production de la plupart des grands programmes : Rafale, Tigre, NH90, A400M, VBCI, ASMPA, Meteor, Horizon, M51, SNLE, Helios 2, Syracuse 3, et une diminution des crédits consacrés à des dépenses de R&D. Il convient donc de poursuivre une politique orientée vers la réalisation de démonstrateurs, permettant de maîtriser les risques technologiques, et donc le coût des programmes, en préservant les domaines d'avenir, comme l'aviation de combat. La situation est contrastée en fonction des secteurs d'activité : la pérennité de la dissuasion conduit au maintien des compétences industrielles impliquées comme les sous-marins à propulsion nucléaire, les missiles balistiques ou encore les missiles nucléaires aéroportés et le secteur naval a une visibilité assurée. D'autres domaines, comme l'aviation de combat ou la guerre électronique, sont plus touchés par le problème du maintien des compétences.

Parallèlement, les exportations permettent d'allonger les séries et de réduire le coût unitaire des matériels commandés par l'Etat. Elles rendent les entreprises moins dépendantes du marché national, et contribuent au maintien des compétences et au rayonnement des technologies dans une stratégie d'influence. Le soutien public aux exportations d'armement est donc une nécessité assumée au plus haut niveau de l'Etat qui a pris depuis plus d'un an et demi des mesures se traduisant par des résultats qui progressent en termes de commandes à l'export, même si aujourd'hui l'impact de la crise reste à déterminer.

Puis M. Laurent Collet-Billon a fait le point sur l'évolution du programme A400M, qui accuse un retard important, alors que les sous-traitants assument sur leurs fonds propres une partie des risques liés au développement de sous-ensembles déjà fournis à EADS. Il a souligné que les effets négatifs de ce retard apparaîtront au-delà de deux ans et affecteront l'ensemble de la chaîne de sous-traitance mais également les grands groupes, notamment Dassault et Thalès, qui font appel à ces sous-traitants. Il a constaté que les grandes sociétés ont tendance à capter les recettes et à sous-traiter les risques, ce qui fragilise d'autant ces PME. C'est pourquoi un soutien direct du développement technologique assuré par ces petites sociétés est à l'étude, qui conduirait à un versement rapide, en moins de trois mois, des sommes que l'Etat leur destine.

Les recettes tirées du compte d'affectation spéciale (CAS), lié à la vente de fréquences, apparaîtront en 2010 au mieux ; quant aux recettes tirées des cessions immobilières, le calendrier de mise à disposition des crédits reste incertain, alors que ces ressources sont indispensables pour le budget du ministère de la défense. S'agissant de l'industrie, les difficultés prévisibles découleront de l'impact du retard de l'A400M, et d'un éventuel prélèvement sur les équipements de défense pour atténuer le déficit public, une fois la crise surmontée.

L'élection du Président Obama, qui a entrepris une réduction du budget de la défense américain, conduit les industries des Etats-Unis d'Amérique à rechercher avec une particulière pugnacité les possibilités d'exportation.

Enfin, s'agissant de l'industrie européenne, M. Laurent Collet-Billon a souligné qu'un travail de fond sur la structuration de la demande était en cours de réalisation, en particulier au travers des directives européennes qui organisent le marché européen de la défense. Ces différents mouvements vont procurer aux industriels français des opportunités de rapprochement et, à terme, une régénération du paysage européen.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

M. Josselin de Rohan, président, a souhaité savoir si l'actuelle crise économique pouvait renforcer les perspectives de coopération européenne, notamment par le biais de l'Agence européenne de défense (AED).

En réponse, M. Laurent Collet-Billon a précisé que :

- les situations dans ce domaine variaient selon les pays : ainsi, l'Espagne a retenu comme priorité l'A400M, l'Eurofighter, et le drone Advanced-UAV. L'Espagne a réaffirmé récemment son engagement, en particulier pour le programme A400M ;

- l'Allemagne traverse une période pré-électorale qui ne permettra d'engager des discussions approfondies qu'à partir de mars 2010. Ce pays se concentre sur le développement de l'Advanced-UAV et maintient ses demandes de spécification technique de l'A400M ;

- le Royaume-Uni, avec lequel devaient être ébauchés les travaux portant sur une cinquième génération d'avions de combat, a cessé toute discussion compte tenu de l'impact considérable de la crise sur le budget de la défense ;

- l'Italie est dans le même cas, malgré les coopérations fortes qui la liaient à la France, notamment dans le domaine spatial. Elle n'a donc pas ébauché de projet pour succéder au satellite Hélios II alors même que des décisions indispensables doivent être prises d'ici à la fin de l'année 2009.

M. Jacques Gautier s'est félicité que la France ait pu obtenir un moratoire de trois mois sur les décisions portant sur le programme A400M, mais s'est interrogé sur la légitimité des exigences allemandes sur les spécifications de ce programme, particulièrement en matière de suivi de terrain. Il s'est interrogé sur la pertinence, pour notre pays, d'explorer des pistes alternatives en cas d'échec du programme A400M, avec les possibilités d'achat d'avions C-130-J ou C-17 dont le coût unitaire s'élève à 220 millions d'euros. Il a déploré que ces projets soient évoqués au détriment d'un renforcement des Transall les plus récents, ou de l'acquisition d'A-330-200, qui constitueraient la base du futur MRTT (appareil multi-rôles de transport et de ravitaillement). Puis il s'est enquis des possibilités d'exportation du Rafale, et a estimé que la construction d'un troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC) pour 400 millions d'euros serait utile, mais non essentiel à la marine. En revanche, il s'est félicité de l'achat, dans le cadre du plan de relance, de quinze véhicules Aravis, matériel qui a été développé par Nexter sur fonds propres.

M. Didier Boulaud s'est interrogé sur la position exacte de l'Inde s'agissant de l'achat de Rafale, car il semble que Dassault soit désormais exclu du marché. Il s'est interrogé sur le rôle joué, dans l'éventuel refus indien, du refus français d'exporter le missile Scalp avec le Rafale. Il a souhaité savoir où en était le marché de rétrofit des Mirages possédés par l'Inde. Puis il a souhaité connaître les coopérations avec le CNES (Centre national d'études spatiales) en matière de renseignement.

En réponse, M. Laurent Collet-Billon a précisé que :

- l'Allemagne souhaite intégrer à l'A400M des fonctions de vol à basse altitude performantes. Le développement des capacités de l'A400M au travers de standards successifs pourrait permettre d'intégrer au bon moment cette capacité opérationnelle ;

- la Royaume-Uni vient d'acheter six avions de transport américain C-17 dont les deux derniers ont été livrés en 2008, et la France s'interroge sur l'opportunité d'en acheter trois, sachant que la décision doit impérativement être prise avant la fin 2009, car la chaîne de fabrication pourrait être interrompue en 2011. Une solution alternative consisterait à faire participer la France au pôle des avions de transport C17 de l'OTAN (Strategic Airlift Capability) qui sera opérationnel d'ici fin 2009. En revanche, l'achat de C-130 J est problématique du fait de ses faibles capacités opérationnelles (transport stratégique), et parce que les délais de livraison de ces appareils sont très importants (36 mois).

Le contrat SALIS (Solution intérimaire pour le transport aérien stratégique) recourt à des Antonov déjà anciens, ce qui conduit la France à réfléchir également à d'autres solutions dont l'utilisation d'avions de la classe Airbus A330 pour le transport de fret. La société EADS a été sollicitée pour la fourniture de trois A330 cargos pour l'armée de l'air, par exemple sous forme d'une location de longue durée. Cette flotte serait complétée d'avions de type CASA 235 et 295 pour les courtes liaisons et l'entraînement des troupes parachutistes ; les trois A330 seraient susceptibles d'être ultérieurement transformés en MRTT en fonction des décisions à prendre sur le programme.

Quant au Transall, dix à quinze d'entre eux peuvent être prolongés pour un coût d'environ 20 millions d'euros. Cette solution pourrait être mise en oeuvre par le SIAé (Service industriel de l'Aéronautique). Cette hypothèse permettrait de poursuivre l'utilisation d'un appareil doté de réelles capacités tactiques ;

- le Rafale est toujours présent dans la compétition en Inde ;

- le Brésil a déjà commandé à la fin de l'année 2008 des hélicoptères français ; Brasilia est intéressé par l'offre de Rafale qui seraient assemblés sur son sol par Embraer ;

- la délégation générale pour l'armement devrait avoir dans les prochains jours un point sur l'avancement des négociations Rafale aux Emirats Arabes Unis ;

- le troisième BPC constitue la réalisation anticipée d'un projet prévu pour les années 2015. La marine souhaite vendre ses deux TCD (Transport de chalands de débarquement) pour avoir une flotte homogène constituée de BPC qui est un navire très réussi, qui a été réalisé en commun par la marine et l'armée de terre à un coût raisonnable ;

- 80 % des crédits de recherche du CNES sont affectés à des projets de défense. La vision technique commune entre le CNES et la DGA permet un bon fonctionnement en commun ;

- la raison de la récente avarie du porte-avions Charles-de-Gaulle est désormais identifiée. Une relance de la fabrication des pièces défectueuses va être rapidement effectuée pour que ce bâtiment puisse être opérationnel le plus rapidement possible. Le fait d'avoir pu détecter rapidement l'origine de cette panne est positif, et elle souligne que l'appareil propulsif du bateau est mis à l'épreuve par sa grande puissance.

Mardi 12 mai 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense - Audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que la commission avait procédé à une série d'auditions sur les conséquences de la crise en matière de sécurité et de défense et s'intéressait notamment à ses effets sur le financement de la défense.

Soulignant que les travaux de la commission du Livre blanc n'avaient pu anticiper l'ampleur de la crise, il s'est interrogé sur les évolutions qu'elle pourrait susciter sur les forces prépositionnées et les opérations extérieures, ainsi que sur les hypothèses fondatrices des lois de finances et de la loi de programmation militaire sous l'effet notamment de moindres recettes exceptionnelles. Il a estimé que la nécessité de réduire le déficit budgétaire allait exercer une forte pression sur l'ensemble des missions du budget général et a craint que les difficultés en matière de ressources humaines ne soient à l'origine d'un ralentissement des restructurations. Il a souhaité connaître l'opinion du ministre sur les effets de la crise sur le renouvellement des équipements, l'adaptation des contrats opérationnels, les opérations extérieures et l'industrie de défense. Il a en outre questionné le ministre sur le calendrier d'examen parlementaire de la loi de programmation militaire, sur le programme A400M, sur le calendrier de remise en service du porte-avions Charles de Gaulle et sur la dernière opération menée par les rebelles au Tchad.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, a indiqué que la discussion de la loi de programmation militaire était toujours en attente à l'Assemblée nationale, la nouvelle organisation de l'ordre du jour parlementaire limitant les possibilités d'examen de ce texte. Il a estimé que la nouvelle procédure, qui permet une discussion approfondie en commission, ne devrait néanmoins pas permettre de réduire sensiblement la longueur des débats dans l'hémicycle. Il a souhaité que le vote de la loi de programmation puisse intervenir avant l'examen de la loi de finances pour 2010.

Il a confirmé que les discussions sur l'évolution du programme A400M étaient difficiles. Dans l'immédiat, les Etats se sont accordés sur l'ouverture d'une période de trois mois de discussions préliminaires. Dans l'attente de la livraison de cet avion, la France est obligée d'examiner des solutions palliatives. Une réunion devrait avoir lieu au niveau ministériel en marge du sommet de l'OTAN.

En ce qui concerne le porte-avions Charles de Gaulle, les difficultés portent sur le rechange de pièces dont la durée de vie est moins longue que prévu. Toutes les pièces défectueuses vont être changées et le développement de technologies permettant la production de pièces ayant la même durée de vie que le porte-avions est en cours. En outre, un examen du bâtiment sera réalisé afin de s'assurer que sa remise à l'eau, prévue au mois de septembre, est bien définitive.

La situation au Tchad est en cours d'apaisement. Les rebelles ont repassé la frontière avec le Soudan. Cette attaque était prévisible compte tenu de l'effort de réarmement des rebelles. Le président tchadien, qui a lui aussi conduit un effort de réarmement, les a laissés entrer sur le territoire avant de détruire une part significative de leurs moyens. La France a adopté une position de « neutralité positive » dans ce conflit alors que les discussions se poursuivent à Doha en vue de la conclusion d'un nouvel accord de paix.

Evoquant ensuite les conséquences de la crise, M. Hervé Morin, ministre de la défense, a souligné que cette crise, dont la globalité est sans précédent, était effectivement un facteur d'instabilité.

La France est l'un des seuls pays à y avoir répondu par une augmentation de son effort de défense alors que la plupart des pays européens réduisaient leur budget militaire. Les Britanniques se trouvent dans une situation budgétaire très difficile ; l'Espagne et l'Italie ont réduit leur budget de défense.

Le ministre a souligné que le rythme des restructurations ne devrait pas être remis en cause dans la mesure où l'effort consenti dans le cadre du plan de relance était conditionné par la réalisation d'économies de fonctionnement. Sur la durée de la programmation militaire, ces économies représentent 4 milliards d'euros supplémentaires au bénéfice des équipements. Sans ces économies, la loi de programmation serait immédiatement caduque. Elle est construite sur l'hypothèse d'une réduction des effectifs de 54 000 personnes à laquelle s'ajoutent les externalisations.

Il a considéré que, en l'absence même de la question budgétaire, l'interarmisation et la mutualisation des moyens des armées étaient indispensables. La France consacre en effet 60 % de ses effectifs militaires à l'administration et au soutien et 40 % à l'opérationnel alors que la proportion inverse s'observe au Royame-Uni. Les seuls systèmes d'information et de communication présentent des marges de manoeuvre évidentes puisqu'ils ne bénéficient d'aucune centralisation des achats, ni de réel pouvoir d'arbitrage budgétaire ni même de compatibilité entre les systèmes développés par les différentes armées ou services.

Pour ce qui concerne les évolutions en matière de ressources humaines, une agence de reconversion unique a été créée pour faciliter le reclassement des quelque 20 000 personnes qui quittent l'institution chaque année. Malgré la crise, seules les contraintes budgétaires empêchent le ministère de répondre à des demandes de pécules plus importantes que prévu. Les ressources humaines militaires sont très appréciées des entreprises et près de vingt-cinq conventions ont été passées avec des grandes groupes afin que les départs puissent être organisés et préparés par des formations. Ainsi, le taux de chômage des militaires sortant d'activité est relativement faible.

Dans le cadre du plan de relance, 1,5 milliard d'euros supplémentaires a été accordé à l'industrie de défense sous forme, soit d'anticipation de dépenses prévues, soit de dépenses nouvelles. Ces dépenses ont porté prioritairement sur des secteurs où l'activité est duale, comme les chantiers navals ou l'aéronautique. La commande du troisième bâtiment de projection et de commandement représente ainsi un quart du plan de charge des chantiers de Saint-Nazaire. Afin de préserver le capital industriel et technologique, 110 millions d'euros supplémentaires ont été investis dans des plans d'études amont. Le plan « RAPID », régime d'appui à l'innovation duale, est un instrument nouveau destiné à soutenir la recherche et développement d'entreprises civiles mais dont les recherches présentent un intérêt pour la défense. Il est doté de 10 millions d'euros en 2009. Enfin, 240 millions d'euros ont été consacrés aux infrastructures en accélérant des commandes aux industries du bâtiment et des travaux publics.

A la date du 30 avril 2009, 1 milliard d'euros avait été engagé dans le cadre du plan de relance. L'objectif est d'engager 1,7 milliard d'euros avant le 31 décembre pour des dépenses qui bénéficient très majoritairement aux industries nationales.

Pour ce qui concerne l'immobilier, le contrat avec la SNI a été renégocié, ce qui a permis au ministère de la défense de bénéficier du versement d'une soulte de 220 millions d'euros. Des discussions sont en cours avec la mairie de Paris qui reprendrait certaines emprises aux fins de réalisation de logements sociaux. D'autres emprises seront vendues selon les procédures classiques. Quant aux plus importantes, des discussions sont en cours avec la Caisse des dépôts en vue de la réalisation d'opérations à l'automne.

La vente de fréquences soulève des difficultés plus importantes. Si les cessions ne sont pas achevées avant la fin de l'année, il faudra trouver des solutions de trésorerie, ce qui devrait être réalisable compte tenu des arbitrages du Président de la République.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

M. Jacques Gautier s'est enquis du calendrier de dépenses en crédits de paiement des 1,7 milliards d'euros inscrits dans le plan de relance au bénéfice du secteur de la défense. Il a souligné que ces crédits figuraient dans une ligne budgétaire spécifique, distincte du budget du ministère de la défense, et s'est interrogé sur la prolongation de ce dispositif en 2010.

En réponse, le ministre a rappelé qu'un milliard d'euros d'autorisations d'engagement avait été dépensé au 30 avril 2009 au titre du plan de relance, avec l'objectif que la totalité des 1,7 milliard soit engagée avant la fin de l'année en cours. Fin mai, 340 millions d'euros de crédits de paiement auront été consommés, avec un objectif de 954 millions d'euros avant la fin 2009. Le reliquat de ces crédits continuera à être inscrit sur une ligne spécifique en 2010.

M. Didier Boulaud a évoqué la mise en place des bases de défense. Il a exprimé la crainte que leur coût ne soit bien plus élevé qu'initialement prévu.

En réponse, le ministre a précisé que :

- la mise en oeuvre des bases de défense constitue le pivot de la réforme en cours au sein du ministère de la défense ; comme tout changement de grande ampleur, cette évolution peut susciter des réticences et des interrogations ;

- il s'agit d'une expérimentation procédant par ajustements successifs, et non d'une réforme théorique décidée d'en haut. Ce caractère pragmatique se traduit par certains ajustements progressifs, qui sont des gages de réussite. Ainsi, l'année 2009 est consacrée à la mise en place de onze bases expérimentales ; en 2010, ce nombre sera porté à vingt-et-un, en même temps que sera analysé le « retour d'expérience » des premières bases. Puis, la totalité des bases seront mises en place en 2011 ;

- ses fréquentes visites effectuées dans les bases en cours d'expérimentation illustrent le caractère très hétérogène des problèmes rencontrés ; ainsi, la base de défense de Marseille regroupe vingt-quatre unités différentes issues des trois armées, et un service de la délégation générale pour l'armement. Les difficultés de mise en oeuvre sont très différentes à Nancy où sont basées trois grosses unités de l'armée de l'air et de l'armée de terre, et qui est également une base aérienne. Des ajustements parfois délicats sont requis. Enfin, une base comme celle de Valence se révèle probablement trop petite pour dégager des économies d'échelle ;

- les coûts d'installation de la mise en oeuvre de ces bases sont à peu près nuls à ce stade, puisque les services des bases expérimentales, compte tenu du faible préavis de leur lancement, sont regroupés dans des locaux qui étaient disponibles et qui pourront être ultérieurement complétés par des infrastructures nouvelles, si nécessaire. Au total, les coûts de cette réorganisation en base de défense seront très inférieurs aux économies dégagées par la réforme qui s'élèveront à 4 milliards d'euros nets.

M. André Dulait a souhaité obtenir des précisions sur la future organisation des forces prépositionnées.

En réponse, le ministre a indiqué que :

- le théâtre ivoirien va faire l'objet d'une réduction des effectifs français ;

- une seule base sera conservée sur la façade atlantique africaine, mais quelques éléments seront maintenus au Gabon ;

- sur ce continent resteront également la base de Djibouti, ainsi que des éléments français au Tchad, en dehors de l'EUFOR ;

- la nouveauté sera constituée par la base d'Abu Dhabi, qui ouvrira prochainement avec un effectif de 300 hommes, portés à 600 à partir de 2011. Cette base constituera une vitrine des savoir-faire et des technologies françaises comme les forces spéciales, l'école du désert et les matériels de pointe. La création de cette base a eu un impact politique fort dans toute la région, dont les pays se sont réjouis du retour de la France, conçu comme un gage de stabilité.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que la commission projetait de se rendre prochainement sur la base d'Abu Dhabi ainsi qu'à Djibouti.

M. René Beaumont a évoqué le dispositif RAPID (régime d'appui aux PME pour l'innovation duale) annoncé hier par le ministre pour le soutien des PME, et a souhaité obtenir des précisions sur l'état de la recherche nucléaire française.

En réponse, le ministre a précisé qu'aucune réduction d'effectif n'était envisagée au sein du Commissariat à l'énergie atomique (CEA).

M. Jean-Louis Carrère a souhaité connaître la date de discussion de la loi de programmation 2009-2014 par le Parlement, et s'est inquiété de l'état du programme A400M ; il a manifesté sa surprise face à la déclaration du ministre, estimant que la crise en cours n'affecterait en rien le futur budget de son ministère.

En réponse, M. Hervé Morin, ministre de la défense, a précisé que :

- pour la première fois depuis le début de la Ve République, les crédits d'équipement du ministère de la défense ont augmenté de 20 % de 2008 à 2009 ;

- les autorités militaires examinent actuellement les solutions palliatives permettant de faire face à un retard important de l'arrivée de l'A400M. Plusieurs options sont possibles, comme l'achat de C-17, la location de C-17 à l'OTAN, une anticipation du programme de l'avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport (MRTT), l'augmentation des heures d'Antonov loués dans le cadre du programme SALIS (solution intérimaire pour le transport aérien stratégique), le recours accru aux CASA pour les transports inter-théâtres et l'entraînement des troupes parachutistes, le renforcement de la voilure des TRANSALL les plus récents, grâce aux interventions des ateliers industriels aéronautiques (AIA), ou encore le recours au C-130-J ;

- s'agissant du programme A400M, des discussions sont en cours avec EADS, qui souligne l'augmentation du coût des facteurs due au retard du programme, et qui demande un partage des risques financiers. A cela s'ajoute une augmentation du coût unitaire des appareils dans le cas où le Royaume-Uni se retirerait de ce programme.

M. Daniel Reiner a souligné que le Livre blanc sur lequel était fondée la LPM 2009-2014 avait été rédigé il y a plus d'un an, dans une période antérieure à l'éclatement de la crise économique, et il s'est interrogé sur la crédibilité de la LPM dans un contexte budgétaire où l'équipement pourrait être la variable d'ajustement d'une diminution de l'impasse budgétaire. Il a donc estimé opportun d'engager, dès maintenant, une réflexion sur les nécessaires modifications à y apporter pour que la LPM puisse être correctement appliquée, et s'est interrogé sur l'existence de réflexions en ce sens.

En réponse, M. Hervé Morin, ministre de la défense, a précisé que :

- du fait de son ambition mondiale, la France a décidé de « sanctuariser » son outil militaire ;

- les 377 milliards d'euros contenus par les deux lois de programmation successives 2009-2020, constituent un effort considérable pour notre pays. Il s'agit d'une décision stratégique dont les éléments n'ont pas changé à ce jour ;

- le ministère de la défense participe au rétablissement de l'équilibre budgétaire par les restructurations en cours ;

- les analyses contenues dans le Livre blanc sur l'arc de crise et la nécessité de renforcer les moyens d'analyse des risques et des menaces sont renforcées par la crise économique. Ces éléments soulignent la nécessité pour la France de disposer d'une armée plus flexible, plus réactive et plus mobile.

- Présidence commune de M. Josselin de Rohan, président, et de M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles -

Action culturelle extérieure de la France - Audition de M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats du ministère des affaires étrangères et européennes

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé, conjointement avec la commission des affaires culturelles, à l'audition de M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats du ministère des affaires étrangères et européennes.

Accueillant M. Christian Masset, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que cette audition s'inscrivait dans le cadre des auditions conjointes des deux commissions portant sur l'action culturelle extérieure de la France. Il a souhaité revenir sur la réforme du ministère des affaires étrangères et européennes, présentée par le ministre M. Bernard Kouchner, le 25 mars dernier, et sur ses implications en matière de diplomatie culturelle, concernant notamment la création prochaine d'une nouvelle agence, dénommée « Institut français », chargée de l'action culturelle extérieure.

M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des affaires étrangères et européennes, a indiqué, en préambule, que la crise économique mondiale avait à la fois pour conséquence une reconfiguration de la planète autour d'un monde multipolaire mais également une forte volonté d'affirmation des identités nationales et un retour aux racines, comme l'illustrait le fait que la culture soit le secteur le plus épargné par cette crise.

Estimant que la question essentielle était de savoir si cette reconfiguration du système international serait conflictuelle ou bien facteur de progrès, il a considéré que la culture avait un rôle essentiel à jouer pour favoriser la seconde solution et que la France avait une carte à jouer dans ce domaine, comme en témoignait son action au service de la diversité culturelle, consacrée par la convention adoptée dans le cadre de l'UNESCO.

Il a souligné que la création, au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, d'une direction générale chargée de la mondialisation, du développement et des partenariats avait pour double objectif, d'une part, d'encourager une mondialisation mieux régulée et plus solidaire et, d'autre part, de faire en sorte que la France soit une référence dans ce nouveau monde multipolaire, non pas en imposant son propre modèle, mais en offrant une réelle alternative, qu'il s'agisse de la culture, de la création artistique, du cinéma et de l'audiovisuel, du livre ou encore de la langue française.

Pour ce faire, il a estimé indispensable de croiser différentes dimensions, comme la culture et le développement, par exemple en apportant un soutien au cinéma africain, la culture et l'économie, comme l'illustrent les saisons culturelles croisées, la culture et l'enseignement ou encore la culture et les enjeux globaux, tels que l'environnement ou les migrations.

Il a également souligné que la mise en place d'une direction générale chargée de la mondialisation, du développement et des partenariats, aux côtés d'une direction générale chargée des affaires politiques et stratégiques et d'une direction générale chargée de l'administration, reposait sur l'idée que l'action culturelle faisait pleinement partie du coeur de métier des diplomates du Quai d'Orsay, au même titre que le service des relations internationales.

Il a indiqué que, si le terme de culture ne figurait pas dans la dénomination de cette nouvelle direction générale, comme c'était d'ailleurs déjà le cas dans l'appellation de l'ancienne direction générale de la coopération internationale et du développement, une des quatre directions de la direction générale chargée de la mondialisation, du développement et des partenariats était spécifiquement chargée de la culture et du français.

M. Christian Masset a ensuite rappelé que la création de cette nouvelle direction générale, qui s'inscrivait dans le cadre de la réforme globale du ministère des affaires étrangères et européennes, issue du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France et des travaux de la révision générale des politiques publiques et présentée par le ministre, M. Bernard Kouchner, le 25 mars dernier, constituait une première étape et qu'une seconde étape serait réalisée avec la mise en place de nouveaux opérateurs, parmi lesquels un nouvel opérateur chargé de la mobilité et de l'expertise internationale, issu du rapprochement entre CampusFrance, Egide et France Coopération Internationale, et une agence dénommée « Institut français » chargée de l'action culturelle extérieure, qui seraient regroupés au sein d'une « maison des opérateurs ».

Il a indiqué qu'un comité de préfiguration de cette future agence, regroupant différentes personnalités du monde de la culture, des représentants des administrations concernées et des parlementaires avait été institué et qu'il devrait remettre ses conclusions en juin, dans la perspective de la réunion des Etats généraux de l'action culturelle extérieure, qui devraient se dérouler en juillet.

Il a également précisé qu'un projet de loi relatif à la création de cette agence, serait déposé au Parlement, vraisemblablement à l'automne, afin que celle-ci puisse commencer à fonctionner l'an prochain.

M. Christian Masset a estimé que les trois principaux sujets sur lesquels devraient se prononcer les membres du comité de préfiguration seraient le périmètre de la future agence, étant entendu qu'un autre opérateur serait chargé de la mobilité et de l'expertise internationale, les liens de l'agence avec le réseau culturel et la question de la tutelle ministérielle sur cet organisme.

Il a considéré également que, en dehors de ces trois sujets importants, quatre autres questions essentielles mériteraient d'être évoquées.

La première question porte sur les relations avec le ministère de la culture et de la communication. Quelle que soit la formule retenue pour la tutelle de la future agence chargée de l'action culturelle, avec notamment la question d'une tutelle unique ou d'une co-tutelle, il est, bien entendu, indispensable que le ministère des affaires étrangères et européennes entretienne des relations étroites avec le ministère de la culture et de la communication, notamment afin d'assurer une cohérence entre l'action culturelle nationale et internationale. Il est donc nécessaire de trouver la bonne manière de renforcer la coopération avec le ministère de la culture et de la communication.

La seconde interrogation concerne le réseau culturel.

A cet égard, le débat ne porte pas tant sur l'intérêt de conserver les centres ou instituts culturels et une action culturelle « hors les murs », étant donné que cela dépend largement de la situation de chaque pays, le continent européen se prêtant davantage à une action culturelle « hors les murs » que le continent africain, où le centre culturel français représente souvent le seul accès à la culture. Il s'agit plutôt de renforcer la visibilité et la lisibilité du réseau, notamment en fusionnant, au sein d'un établissement unique, les services de coopération et d'action culturelle des ambassades et les centres ou instituts culturels, et, à cet égard, l'idée d'un label unique, sur le modèle de l'Institut Goethe ou du British Council va dans le bon sens. Il s'agit également de trouver la bonne articulation avec le réseau des Alliances françaises, qui ont vocation à demeurer autonomes et qui, par leur nature même, témoignent de la forte attente étrangère à l'égard de la France. Sur ce point, il convient de préciser qu'il n'y a plus aujourd'hui de « doublons » entre les alliances françaises et les centres ou instituts culturels. Enfin, le réseau doit « respirer », avec à la fois des fermetures et des ouvertures, comme en Irak, en Chine, dans les territoires palestiniens ou les pays d'Europe orientale.

Une troisième question essentielle concerne la gestion des ressources humaines. Le principal enseignement de l'étude comparative menée par M. Bernard Faivre d'Arcier tient, en effet, à la mise en lumière des insuffisances du système français en matière de formation. On peut penser, d'autre part, que la future agence aura un rôle important à jouer dans ce domaine. Il est également nécessaire de trouver le juste équilibre en ce qui concerne la durée d'affectation, afin qu'elle ne soit ni trop courte ni trop longue. Enfin, se pose aussi la question du statut des personnels et de l'égalité de traitement avec les autres personnels détachés du ministère des affaires étrangères et européennes ou de l'Etat.

Enfin, la dernière interrogation porte sur le financement. A cet égard, malgré une relative stabilité des crédits du ministère des affaires étrangères et européennes, on constate toutefois un déséquilibre entre les contributions multilatérales, qui sont en progression, au détriment des actions bilatérales, ce qui se traduit par d'importantes baisses de subventions dans certains postes. Or, la question du financement est essentielle au moment où il est question d'engager une réforme ayant pour objectif de constituer une agence et un réseau culturels ambitieux.

A cet égard, le ministre des affaires étrangères et européennes a obtenu du Président de la République et du Premier ministre un financement supplémentaire de 40 millions d'euros spécifiquement destiné à l'action culturelle extérieure, dont 20 millions d'euros pour 2009 et 20 millions d'euros pour 2010, ce qui permettra de financer certaines actions conduites par les postes et de leur offrir une meilleur visibilité à moyen terme.

Sur ce point, il n'existe pas de véritable corrélation entre l'existence d'une agence et les financements consacrés à l'action culturelle extérieure, puisque, si on se réfère aux modèles étrangers, tels que le British Council, l'Institut Goethe ou l'Institut Cervantes, on constate que les financements versés à ces organismes dépendent surtout de la situation des finances publiques des pays concernés. A cet égard, le rôle de l'ambassadeur est souvent fondamental concernant la levée de fonds privés pour financer des actions culturelles, comme on peut le constater à Rome, aux Etats-Unis d'Amérique ou à Singapour.

En conclusion, se référant au dernier numéro du magazine « The Economist », qui vante les mérites du modèle français par rapport aux modèles allemand ou britannique, M. Christian Masset a indiqué que la France n'avait pas à rougir de son propre modèle culturel, qui est d'une valeur exceptionnelle et qui doit être préservé même s'il nécessite d'être réformé, chaque modèle national ayant par ailleurs ses qualités et la diversité étant dans ce domaine une richesse.

M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles, a rappelé que la France avait été à l'origine de l'invention de la diplomatie culturelle, avec la création, à la fin du XIXe siècle, des Alliances françaises, qui avaient servi de modèles au British Council et à l'Institut Goethe, et qu'il ne fallait donc pas nourrir de complexes.

Il a également estimé que, avant d'étudier les structures, il fallait au préalable s'interroger sur les objectifs assignés à l'action culturelle extérieure.

Rappelant les nombreux travaux déjà réalisés et l'intérêt manifesté de longue date par les sénateurs, il a indiqué que le Sénat serait très vigilant et actif dans ce débat.

Relevant que M. Christian Masset était plutôt favorable à l'idée d'une tutelle unique du ministère des affaires étrangères et européennes sur la future agence chargée de l'action culturelle extérieure, mais qu'il souhaitait dans le même temps associer davantage le ministère de la culture et de la communication, il s'est interrogé sur la manière de renforcer la place du ministère de la culture et de la communication et celle des autres ministères, comme celui de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Christian Masset a répondu que le ministère des affaires étrangères et européennes avait la volonté d'établir un véritable partenariat avec l'ensemble des ministères intéressés, et, en premier lieu, avec le ministère de la culture et de la communication, en matière d'action culturelle extérieure, mais que la question se posait sur le moyen de concilier ce souhait avec le souci de garantir l'efficacité du dispositif.

A cet égard, il a estimé que la co-tutelle était un système qui fonctionnait moins bien qu'une tutelle unique, mais que cela ne voulait pas dire pour autant que les autres ministères ne devaient pas être associés, par exemple en étant représentés au sein du conseil d'administration ou bien en créant un conseil d'orientation stratégique, qui associerait différents ministères, sur le modèle de ce qui existe pour l'aide publique au développement.

Il a également jugé qu'il serait souhaitable d'associer les professionnels et d'autres personnalités du monde de la culture, par exemple au sein d'un Conseil scientifique.

Soulignant que toute réforme imposée d'en haut serait vouée à l'échec si elle n'associait pas étroitement les personnels du réseau culturel, M. Louis Duvernois s'est interrogé sur le choix de la dénomination de la future agence.

Estimant que la question de la gestion des ressources humaines était un point clef, il s'est également interrogé sur les responsabilités qui pourraient être confiées à la future agence en ce qui concerne le recrutement et la formation des agents ou la gestion des carrières.

En réponse, M. Christian Masset a indiqué que la réforme du ministère des affaires étrangères avait fait l'objet d'une vaste consultation des personnels, notamment dans le cadre des travaux préparatoires du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France.

Il a précisé que la consultation des agents du réseau avait conduit le ministre à proposer de dénommer « institut français » la future agence, alors que, au départ, ce dernier avait plutôt exprimé sa préférence pour le nom d'un grand écrivain français. Il a indiqué que la décision finale quant au choix de la dénomination de l'agence serait prise par le ministre, sur la base des propositions qui seront formulées par le comité de préfiguration.

Convenant que la gestion des ressources humaines était un point essentiel, il a estimé que la question de savoir si cette tâche devait être confiée à la future agence dépendait étroitement du contrôle qu'elle exercerait ou non sur le réseau culturel.

Il a indiqué qu'il avait personnellement le sentiment que les inconvénients d'un rattachement du réseau culturel à l'agence l'emportaient sur ses avantages. Le réseau est celui de tous les opérateurs et non d'un seul.

Il a donc jugé personnellement préférable de conserver une distinction entre l'agence, d'une part, et le réseau, d'autre part, qui serait rationalisé par la création d'un établissement unique, sous l'autorité de l'ambassadeur, issu du regroupement des services de coopération et d'action culturelle et des centres ou instituts culturels.

M. Yves Dauge s'est demandé si la tutelle unique du ministère des affaires étrangères et européennes, le périmètre réduit à l'action culturelle proprement dite de la future agence et l'absence de contrôle de l'agence sur le réseau n'aboutiraient pas à vider de sa substance la réforme et même à un recul par rapport à la création de CulturesFrance. Il s'est interrogé sur l'avenir de CampusFrance, dans l'hypothèse où la future agence ne serait pas chargée de la mobilité des étudiants et des professeurs.

Il a estimé indispensable, y compris dans l'hypothèse où le ministère des affaires étrangères conserverait la tutelle sur la future agence, de renforcer la place du ministère de la culture et celle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, de développer des partenariats avec les grands établissements culturels français et avec les collectivités territoriales.

Rappelant que l'action culturelle extérieure avait fait l'objet d'une forte baisse de ses crédits, de l'ordre de 10 % en 2009, et que, selon le document de programmation triennale, cette diminution devrait se poursuivre en 2010 et en 2011, ce qui avait été unanimement dénoncé par le Sénat lors de la discussion de la dernière loi de finances, M. Yves Dauge a fait part de ses préoccupations au sujet du calendrier de la réforme et de son articulation avec la discussion de la prochaine loi de finances.

Il a également rendu hommage à l'action des agents du ministère et du réseau culturel qui, malgré cette diminution drastique des financements et du manque de soutien de leur administration, réalisent un travail remarquable et s'efforcent de maintenir une présence culturelle de la France à l'étranger.

Enfin, au sujet de la convention sur la diversité culturelle adoptée dans le cadre de l'UNESCO, il a regretté que la France, après avoir joué un rôle majeur lors de son adoption, ne soit pas assez impliquée dans sa mise en oeuvre concrète.

M. Christian Masset a indiqué qu'il était sensible à l'hommage rendu aux agents du ministère et du réseau culturel, qui réalisent un travail remarquable malgré des conditions souvent difficiles, avec une forte diminution des crédits dans certains postes.

Il a ensuite précisé que le ministre des affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, avait depuis longtemps manifesté son vif intérêt pour l'action culturelle extérieure, qu'il s'était personnellement beaucoup investi sur ce volet dans le cadre de la réforme du ministère, la plus importante engagée au cours de ces vingt dernières années, et qu'il avait réussi à obtenir du Président de la République et du Premier ministre une enveloppe supplémentaire de 40 millions d'euros spécifiquement destinée à la coopération culturelle extérieure.

Ces 40 millions d'euros supplémentaires, dont une moitié sera versée en 2009 et l'autre en 2010, devraient servir à financer quelques grands projets sélectionnés à partir des propositions des différents postes, en particulier dans le domaine de la numérisation, où la France accuse un retard par rapport à ses partenaires, notamment l'Espagne, ou encore pour la formation des agents.

S'agissant du périmètre de la future agence, il a rappelé que les conseils de modernisation, à l'issue des travaux de la révision générale des politiques publiques, avaient décidé la création d'un nouvel opérateur chargé de la mobilité internationale, à partir du rapprochement entre CampusFrance, Egide et le GIP France coopération internationale (FCI). Il a jugé nécessaire de centrer l'action de chaque opérateur sur son coeur de métier.

Dans le prolongement des propos de M. Yves Dauge, Mme Catherine Tasca a également fait part de sa préoccupation au sujet du calendrier de cette réforme et insisté sur la nécessité d'accélérer sa mise en oeuvre, compte tenu de l'inquiétude qui pèse sur les agents du réseau culturel à propos du contenu précis de cette réforme.

Elle a également fait part de son étonnement, à la lecture des documents de présentation de la réforme, quant à l'absence de référence à la politique culturelle dans les missions du ministère des affaires étrangères et européennes et dans la définition des attributions de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats.

Relevant que le nom d'« Institut français » provenait sans doute de la transposition de l'« Institut Goethe », alors que le terme d'« institut » n'a pas la même signification en français et en allemand, elle a fait par de ses doutes sur le choix de cette appellation.

En réponse, M. Christian Masset a confirmé que le terme d'« Institut français » était celui utilisé en Allemagne pour qualifier les instituts ou centres culturels français, tout en précisant qu'aucune décision définitive n'avait été prise à ce stade.

Il a indiqué que, si la direction générale chargée de la mondialisation, de la culture et des partenariats regroupait des services et des agents d'horizons très variés, puisqu'ils étaient issus à la fois de l'ancienne direction générale de la coopération internationale et du développement et de la direction des affaires économiques et financières, la culture y occupait une place à part entière, au sein d'une direction autonome, dont il avait d'ailleurs souhaité qu'elle soit située à proximité immédiate du directeur général dans le nouveau bâtiment situé dans le quartier de la Convention.

M. Jack Ralite a évoqué son récent déplacement en Bosnie-Herzégovine, avec le groupe interparlementaire d'amitié du Sénat, et a dit avoir été frappé à cette occasion par le cas du centre culturel André Malraux, situé à Sarajevo, dont les crédits seraient en diminution et qui semble faire l'objet d'un conflit entre son directeur et les services de l'ambassade. Il a estimé que cette situation pouvait porter préjudice à la présence culturelle de la France dans ce pays, qui tente, non sans difficultés, de se rapprocher de l'Union européenne.

Il a également fait part de son extrême préoccupation au sujet de la négociation par la Commission européenne des accords économiques avec certains partenaires, comme la Corée, l'Inde et le Canada, pour lesquels la direction générale du commerce se substitue à celle chargée de la culture pour négocier certains aspects de ces accords qui relèvent pourtant de la culture.

En réponse, M. Christian Masset a déclaré partager l'inquiétude de M. Jack Ralite au sujet de la prise en compte des aspects relatifs à la culture dans les négociations sur les accords commerciaux de l'Union européenne et il a précisé qu'il avait saisi la directrice générale de la culture de la Commission européenne de cette question.

Concernant le centre André Malraux, il a précisé qu'il s'agissait d'un centre privé, mais que le ministère des affaires étrangères et européennes lui apportait un soutien et qu'il avait même décidé récemment de mettre à sa disposition un assistant technique. Il a indiqué ne pas avoir connaissance d'un éventuel conflit entre la direction du centre et les services de l'ambassade, mais qu'il demanderait à ses services d'étudier plus attentivement la situation sur place.

Mercredi 13 mai 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Mission au Moyen-Orient - Communication

La commission a tout d'abord entendu une communication de M. Jean François-Poncet et Mme Monique Cerisier-ben Guiga sur le quatrième déplacement (Iraq, Jordanie, Bahreïn et Koweït) du 28 mars au 6 avril 2009 et le cinquième déplacement (Kurdistan, Turquie) du 6 au 12 mai 2009, de la mission sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, a rappelé que sa collègue, Mme Monique Cerisier-ben Guiga et lui étaient allés à Bagdad, un mois auparavant, et qu'ils revenaient de l'Iraq du nord, ou « Kurdistan », et de Turquie. Sur le point de partir aux Etats-Unis, ils achèveraient leur mission sur un déplacement à Bruxelles en juin prochain.

M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a ensuite indiqué que, selon lui, trois sujets dominaient la situation au Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien, le programme nucléaire militaire iranien et l'avenir de l'Iraq.

Jusqu'en 2007, l'avenir de ce pays restait obscur. Depuis, un renversement s'est produit dont on peut se demander s'il ne finira pas par transformer « l'erreur historique » des Etats-Unis d'envahir l'Iraq en succès. Trois questions se posent : la pacification est-elle réelle ? Survivra-t-elle au départ des forces américaines ? Comment le nouvel Iraq s'insérera-t-il dans son nouvel environnement régional et international ?

A la première question, que tout le monde se pose, de savoir si la sécurisation est un mythe ou une réalité, M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a clairement apporté une réponse positive dans trois domaines : la sécurité, la démocratisation et la question nationale.

A l'appui de sa réponse, il a tout d'abord indiqué que l'amélioration était sensible sur le plan de la sécurité. Cette affirmation résulte des informations convergentes et croisées de l'ambassade de France à Bagdad, des personnalités iraquiennes, ainsi que du général américain Raymond T. Odierno. Quatorze provinces sur dix-huit sont sécurisées. Quatre ne le sont pas encore, mais sont en passe de le devenir, notamment celle de Mosoul et celle de Diyala à la frontière avec l'Iran. Alors qu'on comptait cent morts par mois en 2008, il n'y en a plus aujourd'hui que dix.

En second lieu, Al Qaïda semble avoir été défait. Certes, des cellules dormantes sont encore présentes ici ou là et conservent une capacité offensive. Mais, globalement, les interlocuteurs rencontrés considèrent qu'Al Qaïda a perdu la partie en Iraq. Quand on emprunte la route qui va de l'aéroport de Bagdad à l'hôtel Racheed, qui était terriblement dangereuse et que les forces américaines ont eu beaucoup de mal à sécuriser, on traverse une ville en état de siège, mais sans assiégeants. Toute la structure urbaine témoigne de ce combat : les murs, les ralentisseurs, les check points. Des membres du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) assurent en permanence la sécurité de l'ambassade et l'ambassadeur ne peut se déplacer qu'en convoi. La mission a passé la nuit à Bagdad sous la surveillance permanente de ces mêmes membres du GIGN dont M. Jean François-Poncet, rapporteur, a souligné les très grandes qualités de courage, de courtoisie et de professionnalisme. Mais il a précisé que la mission n'avait jamais été menacée, qu'elle n'avait jamais entendu un coup de feu, ni une explosion.

Cette situation s'explique d'abord par les renforts (« surge »). Les forces américaines en Iraq sont passées de 110 000 à 150 000 personnes, ce qui leur a permis d'occuper le terrain et de ne pas laisser les rebelles reprendre possession des lieux après une intervention. Le second élément est le retournement, moyennant finance, des tribus sunnites en faveur des Etats-Unis : 90 000 combattants sunnites rémunérés trois cents dollars par jour ont ainsi été enrôlés dans les « conseils de réveil » ou « sahwa ». Pourquoi ces tribus sunnites se sont-elles retournées contre Al Qaïda ? Sans doute à cause des exactions et des attentats aveugles qui ont fini par devenir insupportables. Les conseils de réveil ont joué un grand rôle dans l'élimination d'Al Qaida et dans la pacification du territoire.

La stabilisation démocratique est une deuxième évolution positive. L'Iraq a connu cinq élections authentiques depuis 2005. Les élections législatives doivent se tenir en décembre prochain. Le régime est parlementaire, avec une assemblée unique. Cette assemblée est vivante. Elle est le théâtre des affrontements entre les uns et les autres, qui auparavant avaient lieu dans la rue. Cela résulte en particulier de la scission des mouvements représentant les Chiites entre le Conseil supérieur de l'Islam de el Hakim, le parti Da'wa, qui est celui du Premier ministre el Maliki, et, enfin, le mouvement sadriste, qui avait sa propre milice, bien connue sous le nom d'« armée du Mahdi ». Cette scission permet des combinaisons parlementaires entre les Chiites et les Sunnites qui ouvrent considérablement le jeu politique au-delà des divisions ethniques ou communautaires.

Enfin, il y a une stabilisation nationale. Une des grandes questions que l'on se posait était de savoir si le pays n'allait pas éclater en trois : un Kurdistan au nord, un Etat chiite au sud et un Etat sunnite au milieu. Il est possible, aujourd'hui, de répondre à cette question par la négative. Cela est dû à un homme, le Premier ministre Nouri el Maliki, que la mission n'a pu rencontrer à Bagdad car il était au sommet de Doha.

M. el Maliki s'est peu à peu imposé comme un homme d'Etat. Son intervention à deux reprises contre ses coreligionnaires chiites lui a conféré cette stature : une première fois à Bassora, dans le Sud, en réprimant une tentative séparatiste, et une deuxième fois dans une banlieue peuplée de Bagdad, Sadr city, en éliminant l'armée du Mahdi. Cette intervention d'un leader chiite contre d'autres Chiites lui a donné une sorte de consécration nationale, même si la stature qu'il a acquise, conjuguée à son goût du pouvoir, fait qu'il a beaucoup d'adversaires. Il a défendu les intérêts de l'Iraq et contribué à l'éveil d'une conscience nationale. En définitive, on peut dresser un bilan globalement positif de son action.

La question majeure est de savoir ce qui se passera après le départ des Américains. Les 150 000 hommes des forces américaines devraient se retirer complètement des villes d'ici à la fin du mois de juin 2009 et complètement du pays à la fin du mois de novembre 2011. Aucune base ne serait laissée en Iraq. L'ambassadeur de Grande-Bretagne, rencontré par la mission, a confirmé ce schéma mais n'a pas écarté l'hypothèse qu'il soit modifié à la demande du gouvernement iraquien, qui pourrait, le moment venu, demander aux forces américaines de rester plus longtemps.

Quelles sont les incertitudes ? Elles sont au nombre de quatre : politiques, sécuritaires, sur le problème kurde et sur les questions économiques et de développement.

La première d'entre elles est l'incertitude politique. Le Premier ministre Maliki s'est imposé. Mais ses succès comme son autoritarisme ont suscité de fortes oppositions. La mission a discerné un mouvement que l'on pourrait qualifier de « tout sauf Maliki ». En décembre 2009, il y aura des élections générales. M. Maliki devra trouver une majorité pour le soutenir, alors même qu'il risque d'avoir à affronter une convergence de ses ennemis : les Kurdes, les Sunnites, les autres factions chiites.

La deuxième incertitude concerne les forces armées et de sécurité : 600 000 hommes sont répartis entre l'armée, la police nationale et les polices locales. Ces forces, qui n'ont jamais opéré sans le secours des forces américaines, seront-elles capables de maintenir l'ordre après le départ de ceux qui les ont formées ? Selon le général Raymond T. Odierno, 75 % des forces irakiennes sont considérées comme sûres, 20 % comme incertaines et 5 % ne sont pas fiables. Par ailleurs, les conseils de réveil sunnites sont désormais rattachés au gouvernement à majorité chiite. Cette situation perdurera-t-elle ? Il serait catastrophique qu'il n'en soit pas ainsi. Certains attentats récents ont révélé des failles dangereuses.

Troisième incertitude : l'attitude des Kurdes. C'est sans doute le problème le plus sérieux. Les Kurdes sont concentrés dans le nord du pays, qui est une région montagneuse. Ils ont joué un rôle considérable dans l'implantation du régime. Massoud Barzani est un leader charismatique. Il est le président incontesté du Gouvernement régional kurde (GRC), tandis que M. Jalal Talabani, fondateur de l'Union patriotique du Kurdistan, est Président de la République d'Iraq. Le Kurdistan couvre actuellement trois régions et dispose d'importantes ressources pétrolières. Il s'est doté d'une armée depuis 1991, qui ne dispose pas d'armes lourdes, mais qui, avec ses 300 000 hommes (les Peshmergas) assure une sécurité remarquable dans la région ; plusieurs fois les Peshmergas ont été appelés à Bagdad pour assurer la sécurité du Parlement et des hommes politiques, en particulier du Président de la République, car ce sont des hommes sur lesquels on peut compter.

Les dirigeants kurdes s'opposent à une modification de la Constitution qui, en renforçant le centralisme du pouvoir, leur ôterait une partie de leur autonomie. Ils ont des revendications territoriales, en particulier sur Kirkouk, qui conduiraient, si elles étaient acceptées, à doubler la superficie actuelle du Kurdistan, actuellement de l'ordre de 40 000 km², soit autant que la Suisse. Kirkouk, notamment, constitue un abcès de fixation. Cette ville de 700 000 habitants est actuellement peuplée, à parts égales, de Kurdes, d'Arabes chiites implantés par Saddam Hussein dans le cadre d'une politique forcée et brutale d'arabisation, et de Turcomènes. Enfin, le Kurdistan dispose d'un aéroport international à Erbil.

Les revendications des Kurdes se heurtent à un refus de Bagdad et provoquent une grande nervosité chez les Turcs. Les représentants kurdes rencontrés par la mission disent avoir renoncé à l'indépendance, mais pas à Kirkouk. Ils s'opposent à Bagdad et au Premier ministre Maliki. Ils réclament l'application de l'article 140 de la Constitution qui prévoit la « normalisation », c'est-à-dire le retour des Kurdes à Kirkouk, le recensement et un référendum.

Ces affirmations ont conduit la mission à se rendre en Turquie pour sonder la position des autorités de ce pays sur ce sujet. Il faut savoir que les Turcs ont noué d'excellentes relations d'affaires avec les Kurdes, depuis que Massoud Barzani a renoncé à soutenir le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Vingt millions de Kurdes vivent en Turquie, six en Iraq, six en Syrie, douze en Iran. Sans aboutir nécessairement à une sécession, le problème kurde fait peser une menace sur l'avenir du pays.

Enfin, se pose le problème de la reconstruction, jusqu'alors éludé par la prévalence des préoccupations sécuritaires. Il faudra soixante milliards de dollars pour remettre en état les infrastructures. La production de pétrole, actuellement à peine supérieure à deux millions de barils par jour, pourrait passer à six millions si l'outil pétrolier est rénové, ce qui suppose également des investissements considérables de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Or la loi sur le pétrole n'est pas toujours votée. Restent la modernisation et l'équipement de l'armée, dépourvue d'aviation et qui dispose de peu d'armes lourdes. La cession ou la récupération d'équipements que laisseraient les forces américaines sur place, à leur départ, ne répond pas au problème puisque ces matériels sont très usagés. Il existe donc un énorme marché potentiel d'équipements militaires.

Tout cela n'annule pas les aspects positifs, mais il est prématuré de dire que l'Iraq « s'en est sorti ».

En dernier lieu, M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a abordé la question de l'avenir de l'Iraq dans son environnement régional et international.

A cet égard, il a indiqué que l'Iran était partout présent en Iraq. Les services secrets iraniens y ont des agents qui ont largement contribué à l'insécurité. Les dirigeants iraniens étaient hostiles à l'accord de désengagement (SOFA), signé en décembre 2008 par le gouvernement irakien et les Etats-Unis. L'Iran aurait souhaité que les Etats-Unis soient paralysés, qu'ils s'épuisent en Iraq et qu'ils ne puissent quitter le pays la tête haute.

Est-ce à dire que l'Iran va « tirer toutes les ficelles » ? Probablement pas. Les iraquiens ne le souhaitent pas, même si c'est un grand voisin avec lequel il faut compter. Néanmoins, l'influence de l'Iran en Iraq est très forte. Les deux pays sont liés par la religion chiite. Les lieux saints du Chiisme sont en Iraq : Nadjaf et Kerbala. Il est difficile de dire comment les choses évolueront.

La France a un rôle important à jouer en Iraq. La visite du Président de la République a été très appréciée en dépit de sa brièveté. La France a une bonne image, même si celle-ci a été troublée par le fait que les Français étaient opposés à l'intervention des Etats-Unis, qui a quand même permis d'éliminer Saddam Hussein, persécuteur de la majorité chiite. L'Iraq est un pays important qui a des ressources considérables.

M. Jean-François-Poncet, rapporteur, a souhaité rendre hommage à l'équipe de l'ambassade, fort motivée, avec un ambassadeur remarquable, qui vit depuis plusieurs années dans des conditions très précaires.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a rappelé l'historique de la création de l'Iraq au travers des découpages successifs résultant des traités de Sèvres, de San Remo puis de Lausanne. De ce fait, et en fonction des intérêts pétroliers des puissances coloniales de l'époque, l'Iraq est une entité géographique qui ne repose pas sur une réalité nationale. Elle a observé que le système politique n'est pas un régime parlementaire tel qu'on peut l'envisager normalement et que tous les postes, tous les ministères, sont distribués exclusivement sur des critères confessionnels. M. el Maliki, en agissant contre d'autres Chiites, a probablement pensé affaiblir des rivaux de sa confession, plutôt qu'il n'a été guidé par le sens de l'Etat. Les solidarités vont d'abord à la famille, au village à la tribu, à la région.

M. Didier Boulaud s'est interrogé sur l'importance des réserves pétrolières de l'Iraq.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, lui a répondu que, moyennant une très importante modernisation, l'industrie pétrolière iraquienne, actuellement défaillante, serait tout à fait capable, à terme, de produire six millions de barils par jour, puisque, à titre de comparaison, sur des zones de production contiguës, la production saoudienne est de l'ordre de dix millions de barils par jour.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a précisé que le pétrole était aussi la malédiction de l'Iraq, puisque c'est à sa découverte dans les champs de Kirkouk que l'on devait la création même de l'Iraq et la non-création d'un Kurdistan, pourtant prévu par le traité de Sèvres.

M. Didier Boulaud s'est enquis des motivations de l'intervention américaine en Iraq, notamment pour savoir si le pétrole en était la raison.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, a considéré que seuls les historiens pourraient trancher la question de savoir pourquoi les Etats-Unis ont décidé cette intervention, qui s'est soldée par la mort de 4 000 soldats américains et des dépenses de centaines de milliards de dollars, avec pour résultat une issue favorable sept ans plus tard. Il a déclaré ne pas croire personnellement que le pétrole en soit la cause principale. Selon lui, les Américains ont pensé qu'ils seraient accueillis en libérateurs et que l'Iraq serait, grâce à son pétrole, en mesure de payer les coûts de l'intervention. Ils se sont trompés sur ces deux points. Mais la faute majeure, que plus personne ne conteste, a été commise, après l'intervention, par l'administrateur Bremmer, qui, en licenciant les militaires iraquiens sans solde, a « nourri le marché de l'insurrection ». A cela s'est ajoutée la dissolution du parti Baas qui structurait l'administration et faisait fonctionner le pays. Il est très probable que, sans ces deux décisions malheureuses, l'histoire de l'intervention américaine en Iraq aurait été tout autre.

M. Daniel Reiner a interrogé les deux rapporteurs sur la perception sur place de l'élection du Président Obama et d'un éventuel changement de direction dans la politique suivie. Il les a également questionnés sur la présence de civils dans ce conflit.

M. Jean François-Poncet, rapporteur, a rappelé que le SOFA avait été signé par l'administration Bush et que Barack Obama n'avait pas changé de direction, les dispositions du SOFA correspondant, du reste, à son souhait de calendrier pour un retrait. Sur le second point, il a rappelé que des conseillers civils américains étaient très présents dans les ministères.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a précisé que les sociétés militaires privées, employant presque exclusivement des non-Américains, étaient omniprésentes dans le pays. Lorsqu'on arrivera au stade des crimes de guerre, il sera très difficile de déterminer les responsabilités respectives du commanditaire ou des sous-traitants.

Elle a également précisé, à propos du rôle de la Turquie dans la région, qu'il s'agissait du seul pays à pouvoir parler à tout le monde, au Hamas, comme à Israël, sans subir l'opprobre de ce dernier. La Turquie a une diplomatie stabilisatrice dans la région. Elle est en contact avec la Syrie et tente de la séparer de son alliance avec l'Iran.

A une question de M. Christian Cambon sur les relations de la Syrie avec l'Iraq, M. Jean François-Poncet, rapporteur, a indiqué que la Syrie ne s'était pas mêlée des affaires de l'Iraq, mais qu'en revanche les Jihadistes d'Al Qaïda s'étaient infiltrés par la Syrie, et qu'il n'avait pas le sentiment que ce pays ait tout fait pour les en empêcher. Il a souligné qu'aucun des pays limitrophes de l'Iraq n'avait intérêt à sa déstabilisation, ni la Syrie ni les autres.

Conférence de Durban II tenue à Genève du 20 au 24 avril 2009 - Communication

La commission a ensuite entendu la communication de M. Robert Badinter sur la conférence de Durban II (Genève - 20-24 avril 2009).

M. Robert Badinter a rappelé qu'il avait été chargé par la commission d'observer le déroulement de la Conférence de suivi de la mise en oeuvre de la déclaration et du plan d'action de la Conférence de Durban qui s'était tenue en 2001 quelques jours avant les attentats du World trade center. Il a rappelé les nombreuses manifestations de racisme qui s'étaient manifestées, non pas tant au sein de la Conférence elle-même, que parmi les ONG réunies dans un Forum tenu en parallèle. Ces manifestations n'avaient pas empêché l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne de signer les textes de la Conférence.

Il a souligné que l'attitude des pays occidentaux à l'égard de cette Conférence de suivi avait été marquée par trois interrogations, la première portant sur l'opportunité d'y participer ou pas. L'Etat d'Israël militait pour une défection massive des Etats occidentaux, alors que la France était favorable à une participation, considérant que la « politique de la chaise vide » laissait les adversaires des droits de l'Homme libres de rédiger à leur guise le communiqué final publié au nom de l'ONU. La deuxième interrogation portait sur le contenu de cette déclaration finale ; l'Union européenne avait tracé des « lignes rouges » et avait annoncé qu'elle ne consentirait en aucun cas à les franchir. Etaient ainsi prohibés la condamnation d'un Etat spécifique, la suppression de la référence à l'Holocauste, et le recours à la notion de « diffamation des religions ». Ce concept est en effet contraire au principe fondateur de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, qui accorde à chaque citoyen la liberté de croire ou non. Cette notion était par ailleurs en forte opposition avec le principe de liberté d'expression.

M. Robert Badinter a estimé que l'affrontement entre ces deux conceptions avait été au coeur des débats de Genève, dans le contexte d'une revanche à prendre sur la publication des caricatures de Mahomet, perceptible particulièrement au sein de la délégation égyptienne. De leur côté, les pays occidentaux souhaitaient voir prohiber l'homophobie, ce qui n'avait pu être obtenu.

M. Robert Badinter a déploré que les pays occidentaux, et particulièrement la France, n'aient pas conscience du vif conflit opposant deux conceptions antagonistes des droits de l'Homme au sein des instances de l'ONU. Ce conflit idéologique oppose les tenants de l'universalisme à ceux du multiculturalisme ; il a comparé la vigueur de cet affrontement à celui qui avait opposé les blocs de l'Est et de l'Ouest sur les droits réels ou les droits formels de l'homme durant la Guerre froide. Il a estimé que, au sein du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, les multiculturalistes étaient majoritaires, avec les pays islamistes rassemblés au sein de l'OCI (organisation de la conférence islamique) appuyés par des pays comme la Chine ou le Venezuela.

Ces oppositions expliquent la longueur des négociations pour la rédaction du document final sous présidence libyenne de la Conférence. Celle-ci n'a pu sortir de l'impasse que grâce à un facilitateur russe qui a su trouver les voies d'un compromis. In fine, l'accord final de la Conférence de suivi a respecté les lignes rouges tracées par l'Union européenne.

La troisième interrogation portait sur l'opportunité de signer ou non la déclaration finale. En France, le Président de la République et le ministre des affaires étrangères et européennes étaient favorables à une signature, tout comme les grandes ONG, qui considèrent qu'un texte, même imparfait, peut toujours constituer une référence opposable à ses auteurs.

M. Robert Badinter a cité en exemple la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, conclue par l'accord d'Helsinki de 1975, dont la troisième « corbeille » était consacrée aux droits de l'Homme, et avait été abondamment utilisée par les dissidents des pays de l'Est comme référence morale et internationale contre les gouvernements signataires. De même, le texte de la Conférence de Genève permettra de protéger les minorités ethniques et religieuses contre les tenants de la persécution religieuse et de l'intolérance.

M. Robert Badinter a déploré la division des pays membres de l'Union européenne qui n'ont pas adopté une attitude unique : en effet, l'Italie a manifesté, dès le début de la Conférence, son refus de signer, l'Allemagne, comme les Pays-Bas, se sont ralliés à cette position après des hésitations ; quant aux Etats-Unis d'Amérique, ils n'avaient pas signé la déclaration finale de Durban I et ont donc adopté la même attitude pour Durban II.

M. Robert Badinter a néanmoins estimé que la participation des pays occidentaux à cette Conférence de Durban II avait été positive et que le document final, même imparfait, méritait d'être signé.

Evoquant la déclaration provocante du Président iranien à l'ouverture de cette Conférence, il a constaté qu'elle avait été ovationnée par les représentants de certains Etats islamistes, et a considéré qu'il aurait été opportun qu'une personnalité politique occidentale, comme la secrétaire d'Etat française aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, lui réponde, en soulignant que l'Iran figure parmi les pays qui attentent le plus aux droits de l'Homme, avec un nombre croissant d'exécutions capitales, touchant non seulement des femmes, mais également des adolescents mineurs au moment des faits incriminés.

M. Josselin de Rohan, président, a considéré que cette description reflétait fidèlement le sentiment de demi-satisfaction qui se dégageait au terme de cette Conférence. Il a jugé le document final acceptable et utile, compte tenu du contexte ayant conduit à sa signature.

Mme Catherine Tasca a souligné que l'absentéisme à la Conférence de Genève aurait été la plus mauvaise des réponses. Elle a relevé qu'un certain nombre de conflits n'avaient pas été réglés à Genève. En particulier, elle a déploré la vive pression s'exerçant, dans les instances internationales, pour assimiler le culturel et le religieux, et a rappelé la nécessité que les pays occidentaux restent actifs et vigilants sur la question de l'universalité des droits de l'Homme. Elle a souhaité savoir si l'Union européenne avait été représentée en tant que telle ou si la conférence en était restée au strict niveau intergouvernemental.

M. Robert Badinter a indiqué que cette tentative de confusion entre le culturel et le religieux était au coeur de l'affrontement idéologique, le terrain du conflit étant celui de la liberté d'expression. M. Robert Badinter a rappelé que seuls les gouvernements étaient impliqués. Il n'y a pas eu d'intervention du Haut représentant, M. Javier Solana. Toutefois, l'Union européenne était représentée par la République tchèque, présidente en exercice. Elle a considéré néanmoins qu'elle ne pouvait s'exprimer en tant que telle du fait de la division des Etats membres.

Accord entre la France et la Roumanie relatif à la protection des mineurs roumains - Examen du rapport

Puis la commission a examiné le rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 500 (2007-2008) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que la France et la Roumanie avaient signé cet accord, le 1er février 2007, afin de renouveler un précédent accord conclu en 2002 pour une période de trois ans et arrivé à échéance.

Elle a rappelé que le phénomène des mineurs roumains isolés sur le territoire français avait fait son apparition à la fin des années 1990, et que cette présence se traduisait notamment par le pillage systématique des parcmètres parisiens, puis par des activités de prostitution sur la voie publique.

Elle a indiqué que, s'il était difficile d'avancer des chiffres fiables, les mineurs roumains représentaient alors l'écrasante majorité des mineurs isolés sur le sol français, avec une population estimée entre 3 000 et 5 000 personnes, provenant dans leur grande majorité d'une région située au Nord-ouest de la Roumanie, inscrite dans une longue tradition de migration. Les mineurs roumains isolés étaient particulièrement vulnérables et exposés à un basculement dans la délinquance et dans des réseaux d'exploitation.

Elle a souligné que, face à ce phénomène, les autorités françaises et roumaines avaient réagi par l'intensification de leur coopération bilatérale en matière policière, judiciaire et de protection des mineurs, ce qui s'est traduit par la signature d'une série d'accords, dont l'accord du 4 octobre 2002 relatif à la protection des mineurs roumains sur le sol français.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que cet accord prévoyait le repérage et la protection du mineur sur le sol français, qu'il précisait que le juge des enfants pouvait décider le raccompagnement du mineur dans son pays d'origine s'il estimait que c'était la meilleure solution, qu'il formalisait la procédure de retour du mineur à laquelle les autorités roumaines prenaient une large part et qu'il mettait en place un dialogue bilatéral interministériel, avec un groupe de liaison opérationnelle, instance de coopération policière mais aussi d'examen de toute question de nature à renforcer la coopération entre les deux pays sur la question des mineurs.

Evoquant ensuite le bilan de l'accord de 2002, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a estimé qu'il était contrasté, puisqu'il avait permis une coopération bilatérale de qualité, la Roumanie ayant fait preuve d'une réelle volonté de coopération pour tenter de résoudre une question difficile. Néanmoins, le nombre de mineurs raccompagnés dans leur pays d'origine était resté très limité, entre quarante et soixante, selon les données disponibles. Elle a considéré que ce faible nombre tenait au fait que le raccompagnement n'était pas l'objectif premier de l'accord, qui visait avant tout la protection des mineurs isolés roumains sur le sol français. Par ailleurs, le délai de quatre mois prévu pour l'élaboration du projet de retour sur la base d'une enquête sociale était trop long pour satisfaire l'aspiration des jeunes concernés.

Elle a également rappelé que, en pleine période de préparation de son adhésion à l'Union européenne, la Roumanie avait vu sa situation évoluer considérablement, puisqu'elle avait adopté une loi de protection de l'enfance, modernisé la justice des mineurs et démantelé ses structures d'accueil héritées de l'ère Ceausescu, de sinistre réputation. Elle a toutefois regretté que, contrairement à ce qui était prévu dans cet accord, aucune évaluation gouvernementale n'ait été faite quant à la réinsertion de ces jeunes au sein de la société roumaine ou à leur éventuel second départ en migration.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a ensuite évoqué les raisons ayant conduit la France à conclure un nouvel accord en 2007.

La première raison tient à l'arrivée à échéance en février 2006 de l'accord de 2002, conclu pour une durée de trois ans. Elle a souligné que le groupe de liaison opérationnelle avait cessé de se réunir en formation bilatérale et qu'aucune demande d'identification de mineur, qui ne dépend pourtant pas de l'accord, n'était intervenue en 2007, la dynamique initiale s'était donc quelque peu épuisée.

La deuxième raison vient du fait que la Roumanie est entrée dans l'Union européenne le 1er janvier 2007 et que ce pays répond par conséquent en principe aux standards européens en matière de protection de l'enfance.

Elle a souligné que le nouvel accord de 2007 reprenait pour l'essentiel les termes de l'accord de 2002 en faisant une plus large place aux autorités roumaines dans la procédure de retour. Elle a indiqué que cet accord visait à accélérer cette procédure en prévoyant une modification substantielle, puisque si l'accord de 2002 confiait au seul juge des enfants la responsabilité d'autoriser le rapatriement du mineur, au titre de sa compétence pour tout ce qui concerne l'assistance éducative, l'article 4 de l'accord de 2007 modifiait la répartition des pouvoirs entre siège et parquet en prévoyant que le parquet des mineurs peut faire droit à une demande de rapatriement du mineur de la part des autorités roumaines, l'intervention du juge des enfants restant donc possible, mais n'étant plus systématique.

Elle a rappelé que, en droit interne, le parquet disposait de la capacité de prendre des mesures de protection en cas d'urgence, ces mesures devant, en application du code civil, être confirmées ou rapportées par le juge des enfants dans un délai de huit jours. Elle a estimé qu'il était peu probable, même si les autorités roumaines faisaient preuve de diligence, que la demande de raccompagnement intervienne pendant le délai de retenue du mineur. Dans l'hypothèse où le mineur n'est plus localisé à la réception de la demande roumaine, l'accord prévoit qu'il sera inscrit au fichier du système d'information Schengen et pourra être raccompagné sur instruction du parquet en cas de découverte ultérieure.

S'interrogeant sur la position qu'il convient d'adopter sur cet accord, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a d'abord souligné que le phénomène des mineurs roumains isolés sur le territoire français avait connu une nette décrue depuis 2002 en volume, les populations de mineurs isolés étaient aujourd'hui majoritairement afghanes, kurdes, chinoises ou encore africaines, et que ce phénomène avait profondément changé de nature. Les mineurs d'aujourd'hui sont majoritairement des roms, pas seulement roumains, mais provenant essentiellement de l'ex-Yougoslavie, ce qui n'était pas le cas en 2002, et ils ne sont pas isolés, mais le plus souvent en famille. Elle a considéré que le problème était plutôt celui des itinérants, en particulier des roms et que cette question dépassait de loin le cadre du présent accord.

Elle a également estimé que le fait que le juge des enfants, autorité compétente pour les mesures de protection, n'intervienne plus systématiquement, soulevait une réelle difficulté, à plusieurs niveaux :

- sur le plan des principes, les mineurs étrangers isolés sont placés, comme tous les mineurs, sous la protection du juge des enfants. Notre droit interdisant les mesures d'éloignement à l'encontre des mineurs, l'exécution d'une demande de raccompagnement des autorités roumaines, sans que soit acquis devant le juge des enfants sinon le consentement du mineur, du moins son ralliement à cette solution, qui peut intervenir plusieurs mois après la présentation au parquet, prendrait potentiellement la forme d'un éloignement ;

- sur le plan pratique, le mineur ne peut être raccompagné par la police puisqu'il ne s'agit pas d'une mesure d'éloignement ;

- et, enfin, sur son efficacité, compte tenu du fait que, dans un espace de libre-circulation, et dans le cas d'un retour qui ne recueillerait pas l'adhésion du mineur concerné, le risque est élevé de le voir de nouveau sur le sol français quelques semaines ou quelques mois plus tard si les conditions qui l'ont conduit à quitter son pays n'ont pas changé.

Elle a estimé que les jeunes roms représentaient une véritable difficulté et un défi pour l'Europe entière, et qu'il n'était pas certain que la Roumanie soit la mieux armée pour faire face à ce phénomène. Elle a rappelé que le ministre de l'immigration, M. Eric Besson, avait annoncé la création d'un groupe de travail interministériel sur les mineurs étrangers isolés, qui doit rendre ses conclusions en juillet prochain.

En conclusion, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a estimé que cet accord soulevait plusieurs incertitudes, tant sur sa nécessité compte tenu de la très forte décrue numérique du phénomène des mineurs roumains isolés et de l'existence d'un dispositif de droit commun, que sur le plan juridique pour ce qui concerne le rôle du juge des enfants et l'intervention nouvelle du parquet et le consentement du mineur, ou encore quant à son efficacité si le retour est insuffisamment préparé dans un contexte de libre circulation des personnes.

Pour ces raisons, elle a fait part à la commission de ses fortes interrogations sur l'opportunité de cet accord, en estimant qu'un tel sujet mériterait davantage d'être traité à l'échelle de l'Union européenne que dans un cadre bilatéral.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Robert Badinter a déclaré partager les fortes préoccupations du rapporteur sur le contenu et l'utilité de cet accord. Il a estimé que le phénomène des mineurs isolés, souvent roms, issus de Roumanie, mais aussi d'Albanie, de l'ex-Yougoslavie ou d'autres pays tiers, était un problème majeur pour l'ensemble de l'Europe, qu'une approche strictement bilatérale était inefficace compte tenu de la liberté de circulation des personnes et qu'il fallait donc privilégier une action à l'échelle du continent, dans le cadre de l'Union européenne ou du Conseil de l'Europe. Il a également regretté le fait que cet accord méconnaisse les pouvoirs du juge des enfants en matière de protection et d'assistance éducative des mineurs isolés au profit du parquet des mineurs. Il a jugé que cette mesure s'inscrivait dans un contexte plus général du transfert des pouvoirs judiciaires du siège au parquet, qui, par son mode de fonctionnement comme par son statut et ses relations avec le pouvoir exécutif, s'apparente davantage à une autorité administrative qu'à une autorité judiciaire.

Sur proposition de son rapporteur, la commission a alors décidé de reporter sa décision. Elle a demandé au rapporteur de poursuivre ses investigations et de faire rapport à une date ultérieure.

Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Emirats Arabes Unis - Examen du rapport

Puis la commission a examiné le rapport de M. Michel Boutant sur le projet de loi n° 351 (2008-2009) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État des Emirats Arabes Unis.

M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Michel Boutant, rapporteur, a rappelé que cet accord portait sur l'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Emirats Arabes Unis.

Il a d'abord décrit le système politique et juridique des Emirats Arabes Unis et l'état des relations avec la France.

Il a rappelé que les Emirats Arabes Unis étaient une fédération de sept émirats, dont les plus importants sont Abou Dhabi et Dubaï, qui a été créée en 1971, après le départ des Britanniques de la péninsule arabique.

Il a précisé qu'il s'agissait d'un Etat prospère et stable, peuplé d'environ 6 millions d'habitants, qui détient 10 % des réserves mondiales de pétrole, les quatrièmes réserves mondiales de gaz, et dont le PIB par habitant est l'un des plus élevés au monde.

Il a indiqué que le gouvernement fédéral comprenait un Conseil suprême, composé des sept émirs, et un conseil des ministres, l'émir d'Abou Dhabi présidant traditionnellement la fédération, tandis que celui de Dubaï est Premier ministre, et que, en 2006, des élections au suffrage universel indirect avaient eu lieu pour l'élection de la moitié des 40 membres du Parlement, dénommé Conseil national fédéral.

Evoquant ensuite l'organisation de la justice, M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Michel Boutant, rapporteur, a indiqué que, si quatre émirats ont choisi de transférer la totalité de leurs compétences judiciaires à l'Etat fédéral, trois émirats (Abou Dhabi, Dubaï et celui de Ras al Khaimah) ont choisi au contraire de conserver leur propre système judiciaire, l'Etat fédéral n'intervenant que pour les crimes fédéraux, comme le blanchiment d'argent, le terrorisme ou l'immigration illégale.

Il a également précisé qu'il existait dans les Emirats un réseau de tribunaux de la Charia, qui sont notamment compétents pour les affaires de statut personnel, ce qui engendre parfois des conflits avec les tribunaux de droit commun.

Il a rappelé que le système judiciaire des Emirats Arabes Unis, s'il a été fortement influencé par le droit anglo-saxon et les traditions juridiques égyptiennes, avait pour fondement l'Islam, qui dispose du statut de religion d'Etat et que la peine de mort subsistait pour certaines infractions, comme l'homicide, le viol, le trafic de drogue ou l'apostasie, même si les condamnations ne sont pas toujours appliquées et que le droit pénal des Emirats prévoyait également des châtiments corporels pour certaines infractions, comme les « relations sexuelles illicites », c'est-à-dire hors mariage.

Il a toutefois fait observer que la Cour d'appel d'Abou Dhabi avait, par un arrêt du 11 mars 1996, écarté l'application de la Charia pour les non-musulmans et que neuf citoyens français étaient détenus actuellement aux Emirats.

M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Michel Boutant, rapporteur, a ensuite évoqué les relations politiques et économiques entre la France et les Emirats Arabes Unis, qui sont anciennes et fortes.

Il a souligné que, conscients de leur faiblesse démographique et militaire, en particulier face à l'Iran, et tout en entretenant des relations étroites avec les Etats-Unis d'Amérique, les Emirats étaient soucieux de diversifier leurs partenaires et avaient noué des relations privilégiées avec la France.

Il a rappelé que les Emirats Arabes Unis et la France avaient signé, en 1995, un accord de défense, qu'ils constituaient un partenaire commercial stratégique de premier plan pour certains segments des industries françaises, en particulier en matière d'aéronautique ou de défense, puisque ce pays représente notre premier partenaire commercial au Moyen-Orient, un important client pour Airbus et le deuxième client pour l'industrie française d'armement, derrière l'Arabie Saoudite.

Il a également mentionné, dans le domaine de la culture et de l'éducation, l'ouverture d'une antenne de la Sorbonne aux Emirats et la construction du Louvre d'Abou Dhabi.

Enfin, il a rappelé la création de la nouvelle base militaire française d'Abou Dhabi, qui devrait être inaugurée par le Président de la République à la fin du mois.

M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Michel Boutant, rapporteur, a ensuite évoqué la convention sur l'entraide judiciaire en matière pénale, dont il a estimé qu'elle était relativement classique dans son contenu, mais dont il a souligné qu'elle était la première conclue avec un pays de la péninsule arabique. Il a indiqué que cette convention portait sur la coopération judiciaire pénale, à l'exclusion de l'extradition, qui fait l'objet d'une convention distincte, et que le texte prévoyait que les deux parties s'accordent mutuellement l'aide judiciaire la plus large possible dans toutes les procédures pénales.

Il a souligné que les motifs de refus comprenaient, de manière classique, le risque d'atteinte à la souveraineté, la sécurité, l'ordre public ou d'autres intérêts essentiels de l'Etat requis, ainsi que le caractère politique de l'infraction, ce qui fait que la France pourra opposer une fin de non-recevoir à une demande d'entraide émanant des autorités émiraties, notamment, lorsque l'infraction pour laquelle l'entraide pénale est demandée est passible de la peine capitale ou de châtiments corporels. Il en sera de même lorsque l'infraction est, par sa nature même, contraire au respect des droits fondamentaux, comme par exemple l'apostasie, lorsque des poursuites ont été engagées en raison des opinions politiques ou religieuses ou des convictions philosophiques de la personne concernée, lorsque l'acte demandé est, de par sa nature, contraire à l'ordre public, ou encore lorsque les informations demandées sont protégées par le secret de la défense nationale.

En conclusion, M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Michel Boutant, rapporteur, a estimé que cette convention permettra de développer la coopération judiciaire pénale entre la France et les Emirats Arabes Unis, par exemple en matière de lutte contre le terrorisme ou de lutte contre le blanchiment d'argent, tout en préservant les principes fondamentaux du droit pénal français et la protection de nos ressortissants.

Il a également souligné l'intérêt de nouer une coopération en matière judiciaire dans une région où le droit romano-germanique et le système juridique anglo-saxon sont en concurrence, et considéré que cette convention participait au renforcement des relations politiques, économiques et juridiques avec un partenaire stratégique.

M. Robert Badinter a souhaité obtenir des précisions sur la convention relative à l'extradition. Il a également fait part de ses préoccupations au sujet de la peine de mort et des châtiments corporels dans la péninsule arabique. Estimant toutefois que l'accord sur l'entraide judiciaire pénale comportait des garanties sur ces aspects et qu'il participait au renforcement de la coopération avec un partenaire stratégique, il s'est déclaré favorable à l'approbation de ce texte.

En réponse, M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Michel Boutant, rapporteur, a indiqué que la convention sur l'extradition avait été disjointe de l'accord sur l'entraide, étant donné qu'elle soulevait davantage de difficultés. Il a également précisé que, depuis 2002, aucune exécution capitale n'avait eu lieu dans les Emirats Arabes Unis.

Sur la proposition de son rapporteur, la commission a décidé d'adopter ce projet de loi et proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

Nomination de rapporteurs

Enfin, la commission a nommé rapporteurs :

- M. Robert del Picchia sur le projet de loi n° 376 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana sur l'éducation et la langue française ;

- M. Jacques Blanc sur le projet de loi n° 390 (2008-2009) autorisant l'approbation du protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières (GIZC) de la Méditerranée ;

- M. Jean Milhau sur le projet de loi n° 391 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne visant à compléter l'accord relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière.