Mardi 19 mai 2009

- Présidence commune de M. Josselin de Rohan, président, et de M. Jacques Blanc, vice-président de la commission des affaires européennes -

Echange de vues avec une délégation de la commission des affaires étrangères de la Grande Assemblée de Turquie

La commission a participé, conjointement avec la commission des affaires européennes, à un échange de vues avec une délégation de la commission des affaires étrangères de la Grande Assemblée de la République de Turquie, conduite par son président, M. Murat Mercan.

M. Josselin de Rohan, président, s'est félicité de la visite en France, du 18 au 20 mai 2009, à son invitation, d'une délégation de la commission des affaires étrangères de la Grande Assemblée de la République de Turquie. Il a rappelé les liens historiques qui unissent la Turquie et la France depuis 1535. Aujourd'hui, ces deux pays, amis et alliés, partagent la même analyse du monde et des menaces. Dans un contexte plus incertain, la Turquie joue un rôle majeur tant du point de vue militaire que du point de vue diplomatique. Leurs intérêts économiques communs, déjà très importants, pourraient encore se développer.

Pourtant, la question des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne est un facteur de division. M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que, dans le contexte électoral européen, il convenait de rechercher un apaisement du débat et de replacer cette question dans le temps et dans la perspective démocratique qui sera, le moment venu, la décision des peuples des Etats membres de l'Union européenne.

M. Murat Mercan, président de la commission des affaires étrangères de la Grande Assemblée de la République de Turquie, s'est félicité de la qualité des échanges qui avaient eu lieu avec sa délégation. Il a souligné l'intérêt des analyses du Livre blanc et de la stratégie retenue par la France qui souligne l'intérêt d'une coopération stratégique et régionale avec la Turquie, notamment en matière de sécurité énergétique où les intérêts sont communs. Du fait de la mondialisation, la conjoncture a considérablement été modifiée et, désormais, chaque pays doit contribuer à son niveau au développement de la sécurité mondiale. La volonté de la politique étrangère turque est de n'avoir aucun conflit avec ses voisins et, au contraire, de contribuer à la stabilité régionale en intervenant pour améliorer les relations, par exemple entre la Syrie et Israël, en Géorgie dans le Caucase, et en recherchant une nouvelle approche avec l'Arménie. Dans tout le grand Moyen-Orient, la politique de la Turquie peut jouer un rôle très efficace. La sécurité européenne suppose au préalable d'apaiser les tensions dans les régions où les principales menaces sont identifiées.

S'agissant de la relation entre la France et la Turquie, il faut considérer qu'il convient de développer des opportunités encore peu exploitées. Au niveau de la sécurité internationale, il existe une coopération étroite entre les deux pays en Afghanistan, au Liban, au Kosovo et au Tchad. Ce même degré de coopération n'existe malheureusement pas au niveau économique où, au cours des cinq dernières années, le volume des échanges entre la France et la Turquie s'est élevé à environ 10 milliards d'euros alors que, avec d'autres pays européens, le volume des échanges a été multiplié par deux.

La question des négociations d'adhésion est naturellement la pierre d'achoppement entre les deux pays. Les parlementaires doivent contribuer à faire évoluer les opinions publiques. Les critiques au plus haut sommet de l'Etat ne contribuent pas au développement d'une coopération stratégique entre les deux pays. M. Murat Mercan a considéré qu'il faudrait laisser les négociations suivre leur cours et faire en sorte qu'aucune déclaration ne vienne contrecarrer les relations bilatérales. À l'issue de ce processus, ce seront les peuples ou les parlements qui décideront de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Il est donc prématuré de traiter cette question aujourd'hui.

En conclusion, M. Murat Mercan a souligné le rôle très positif de l'action du Sénat en 2008, en particulier dans la discussion du projet de loi de révision constitutionnelle.

M. Josselin de Rohan, président, s'est félicité de la franchise des échanges entre parlementaires qui permet de progresser et de lever les incompréhensions. Il a rappelé que la France ne s'est pas opposée à la poursuite du processus de négociation et que deux nouveaux chapitres ont été ouverts sous la présidence française de l'Union européenne. Certes, il existe un certain nombre de chapitres sur lesquels des réserves ont été faites, mais beaucoup d'autres restent ouverts sur lesquels la négociation peut progresser utilement. Une partie des blocages peuvent également trouver leur origine dans la question de Chypre sans la solution de laquelle il risque d'y avoir une incompréhension des opinions. Les efforts du Président de la République, M. Abdullah Gül, et du gouvernement turc pour normaliser les relations avec l'Arménie sont un point très positif.

S'agissant de l'OTAN, le blocage est largement lié à la position chypriote. Pour la France, le point central est celui de la question des relations institutionnelles entre l'Union européenne et sa politique de défense, et l'OTAN. Pour l'instant, la Turquie s'est opposée à la création d'un comité informel entre les deux institutions. Il est parfaitement légitime que la Turquie souhaite participer à l'agence européenne de défense (AED).

M. Jacques Blanc, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Turquie, s'est félicité de la qualité des échanges et des sentiments d'amitié qui existent entre les parlementaires et les deux pays. Il a souligné l'importance des réformes entreprises par la Turquie et a rappelé que le débat en Europe portait fondamentalement sur la question de la poursuite de l'élargissement ou de l'approfondissement.

Mme Catherine Tasca a interrogé M. Murat Mercan sur l'évolution de l'opinion publique en Turquie.

M. Murat Mercan a convenu que, pour la Turquie, l'élément clé pour l'évolution des relations entre l'Union européenne et l'OTAN était la question chypriote. Il a souhaité qu'il y ait un véritable échange sur ces questions et a rappelé que, à la suite du référendum qui avait eu lieu à Chypre, la partie turque avait accepté les propositions du plan Annan de l'ONU alors que les Chypriotes grecs les avaient rejetées. La Turquie comprend les difficultés de l'Europe qui ne peut se désolidariser des positions de l'un de ses Etats membres même si, de son point de vue, l'adhésion de Chypre était sans doute prématurée. Il est très clair que tant qu'il n'y aura pas une solution définitive à la question de Chypre, la Turquie n'appliquera pas le protocole d'Ankara et sera réticente à une amélioration des relations entre l'OTAN et l'Union européenne. Pour résoudre cette question, il est souhaitable que l'Union européenne, et en particulier la France, use de son influence sur la partie chypriote pour qu'elle adopte une attitude plus constructive.

La participation de la Turquie à l'Union européenne est dans l'intérêt des deux parties, en particulier pour assurer la sécurité énergétique de l'Europe qui est un problème central.

La visite du Président Obama en Turquie a mis en évidence l'importance de ce pays pour la résolution des crises actuelles.

S'agissant des opinions publiques, il a une nouvelle fois souligné que les déclarations avaient un effet très négatif en Turquie au point d'occulter la réalité, comme par exemple l'action de la France pendant sa présidence de l'Union européenne. Cette perception négative a des effets économiques évidents. Si l'on constate une baisse dans les sondages de la part de la population turque qui souhaite l'adhésion à l'Union européenne (aujourd'hui comprise entre 50 et 55 %), cela est dû uniquement aux conséquences des déclarations négatives d'un certain nombre de dirigeants européens. La sagesse consiste à laisser se poursuivre les négociations d'adhésion et d'éviter toute déclaration.

M. Sükrü Elekdag, député d'Istanbul, vice-président du groupe d'amitié Turquie-France, a souligné que la cause des difficultés entre la France et la Turquie était due à deux questions : celle de l'adhésion et celle de l'Arménie. Il a rappelé les décisions juridiques prises à l'unanimité par l'Union européenne lors du Conseil d'Helsinki en 1999 pour reconnaître à la Turquie le statut de candidat et permettre l'ouverture de négociations. Jusqu'à la récente élection présidentielle française, la France avait été en faveur de l'adhésion de la Turquie. La nouvelle position de refus catégorique de l'adhésion défendue par le Président Sarkozy est contraire au droit. M. Sükrü Elekdag a rejeté les propositions de partenariat privilégié, qui ne visent, selon lui, qu'à pousser la Turquie à renoncer à l'adhésion.

Sur la question des événements qui se sont produits en Turquie en 1915, il a fermement condamné les lois mémorielles et s'est félicité de l'attitude du Sénat sur cette question et du récent rapport du président de l'Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, concluant au fait que ce n'est pas au Parlement d'écrire l'histoire.

M. Josselin de Rohan, président, a partagé l'analyse de M. Sükrü Elekdag concernant les lois mémorielles. Il s'est félicité de la proposition des autorités turques d'établir une commission commune d'historiens turco-arméniens pour statuer sur les événements de 1915 qui, quelle que soit leur dénomination, ont profondément frappé l'Europe. Les signes actuels montrent une volonté très positive de surmonter le passé et de se tourner vers l'avenir.

M. Didier Boulaud a interrogé la délégation turque sur la question des relations avec l'Europe au sein de l'OTAN et sur la situation géopolitique régionale, notamment les relations entre la Turquie et l'Iran et entre la Turquie et Israël. Enfin, il a demandé des précisions sur la position de la Turquie quant à sa participation au programme A400M.

M. Murat Mercan a souligné que la décision de la Turquie d'adhérer à l'Union européenne était une politique d'Etat. Pourtant, il est évident que les atermoiements risquent de lasser l'opinion publique et donnent des arguments à ceux qui y sont opposés. S'agissant du Moyen-Orient, la question du conflit arabo-israélien est évidemment centrale. La position du gouvernement turc est extrêmement claire puisqu'il milite pour la coexistence de deux Etats et la reconnaissance d'Israël par l'ensemble des pays de la ligue arabe. Il a souligné que la Turquie était le seul pays à pouvoir parler avec tous les protagonistes de la région.

S'agissant de l'Iran et de la question nucléaire, M. Murat Mercan a affirmé que si l'Iran se dotait de l'arme nucléaire, il était très vraisemblable que la Turquie prendrait la même voie. La meilleure solution serait la dénucléarisation de l'ensemble de la région. Il a rappelé la complexité et les dangers de la situation en soulignant que l'Iran est un pays très structuré qui a des institutions, une culture millénaire, une volonté et une certaine harmonie intérieure. Une intervention militaire contre l'Iran ne serait certainement pas la bonne solution et déstabiliserait profondément une région qui recèle 60 % de la production énergétique mondiale. Autant il aurait été possible de limiter le problème irakien, autant une guerre en Iran aurait des implications immédiates sur le Liban, la Palestine, l'Égypte et la péninsule arabique qui seraient profondément déstabilisées. Il convient donc à tout prix d'essayer d'intégrer l'Iran dans la communauté internationale.

S'agissant de l'A400M, il a indiqué que la Turquie, partenaire de ce programme, n'entendait en aucune façon remettre en cause sa participation.

M. Metin Ergun, membre de la commission des affaires étrangères, député de Muðla (MHP), est intervenu pour rappeler la position de son parti qui avait approuvé en 1989 l'accord d'Helsinki. Il n'est donc pas opposé au processus d'adhésion et à sa poursuite bien qu'il constate que le niveau des négociations a baissé. Le MHP souhaite une négociation pleine et sérieuse où les promesses seront tenues.

Mme Alima Boumediene-Thiery a rappelé que le point principal de blocage en Europe était que la Turquie a une population de religion musulmane. Elle a affirmé sa conviction que, au contraire, ceci était un atout et un moyen supplémentaire pour faciliter les rapports avec les autres pays musulmans. Elle s'est interrogée sur la position actuelle de la Turquie sur l'Union pour la Méditerranée et a souhaité connaître la position de la délégation turque sur la reconnaissance des droits culturels des kurdes.

M. Murat Mercan a souligné le rôle de la Méditerranée dans la paix, la stabilité et la prospérité au travers du dialogue et de la coopération entre les Etats riverains. Dans ce contexte, la Turquie appuie le projet d'Union pour la Méditerranée, mais il a souhaité qu'il soit structuré autour de projets opérationnels.

Il a ensuite rappelé que, du fait de son histoire, la Turquie est une mosaïque qui rassemble une grande richesse ethnique composée de 72 peuples différents qui, au cours du temps, se sont brassés et ont constitué la Turquie d'aujourd'hui. Il a rappelé que depuis dix siècles, en Anatolie, il n'y a eu que très peu de conflits ethniques. Cet arrière-plan historique est très important pour comprendre la question des droits culturels. Il a rappelé que le gouvernement dirigé par l'AKP avait préparé neuf projets de réformes législatives qui ont été adoptées par le Parlement et qui ont permis de lever la plupart des obstacles, même si des améliorations doivent encore être recherchées au niveau de la liberté d'expression. Il a rappelé que, comme la France dont elle avait adopté le système, la Turquie était un État unitaire au sein duquel les libertés sont accordées à l'ensemble de la population. C'est cette structure unitaire qui fait que, en Turquie comme en France, on n'accorde pas de droits spécifiques à une ethnie. Enfin, s'agissant du PKK, M. Murat Mercan s'est félicité du développement de la coopération avec la France pour lutter contre les activités terroristes de cette organisation.

M. Sükrü Elekdag a rappelé l'importance de distinguer les citoyens turcs kurdes du PKK. Les citoyens turcs d'origine kurde bénéficient de tous leurs droits culturels et politiques. Au sein de la Grande Assemblée, 170 députés sur 550 sont d'origine kurde.

Il a souhaité insister sur le lien qui existe entre la Turquie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le rapprochement avec l'Arménie repose sur trois éléments : l'ouverture des frontières terrestres, l'établissement d'une commission d'historiens et l'ouverture de relations diplomatiques. Face à ce rapprochement, l'Azerbaïdjan manifeste une grande inquiétude qui se concrétise dans des menaces concernant l'approvisionnement énergétique à travers l'oléoduc provenant de Bakou ou le projet Nabucco. Ces pressions pourraient avoir des conséquences directes sur la sécurité énergétique européenne. Il convient donc que l'Azerbaïdjan ne soit pas mis à l'écart de la communauté internationale et que celle-ci contribue fortement à la résolution du conflit du Karabakh. Selon M. Sükrü Elekdag, c'est la non-résolution de cette question qui bloque le rapprochement turco-arménien.

En conclusion, M. Josselin de Rohan, président, et M. Murat Mercan ont souligné l'intérêt de ces échanges entre parlementaires et ont convenu d'essayer de les rendre plus fréquents.

Mercredi 20 mai 2009

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Relations entre l'Union européenne et Israël - Communication

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord entendu une communication de M. René Beaumont sur le rehaussement des relations entre l'Union européenne et Israël.

M. René Beaumont, rapporteur, a tout d'abord rappelé que, deux propositions de résolutions relatives aux relations entre l'Union européenne et Israël ayant été déposées sur le bureau du Sénat, il était nécessaire, sans anticiper sur leur discussion, d'informer la commission du fond du dossier, de son état d'avancement et de la position française.

Il a estimé que la question fondamentale posée dans ce dossier était de savoir s'il convenait de dissocier ou au contraire d'établir un lien entre la qualité et la densité de la relation bilatérale avec l'Etat d'Israël et l'attitude de cet État dans le processus de paix.

Parmi les Etats membres, les uns, dont la France, considèrent que l'établissement d'une relation confiante avec Israël dans le cadre d'un dialogue politique plus régulier et plus étroit permettra de peser sur ses choix tandis que les autres estiment que l'intensification des relations avec l'Union européenne, souhaitée par Israël, constitue un moyen de pression dont il serait regrettable de se priver.

Il a ensuite rappelé que les relations entre l'Union européenne et Israël étaient anciennes et profondes. Elles ont été formalisées dès 1975 par un accord de coopération économique. Dans le cadre du processus de Barcelone, lancé en 1995, qui concerne les États du pourtour méditerranéen, un accord d'association a été conclu, qui est entré en vigueur le 1er juin 2000. Comme tous les accords d'association, il comprend, pour l'essentiel, un volet politique et un volet commercial.

Dans le cadre de la politique de voisinage qui concerne les Etats du sud et de l'est de l'Europe, à l'exception des pays candidats, un plan d'action a été conclu avec Israël, comme avec les autres États concernés, qui renforce la coopération avec l'Union européenne.

Si, pour Israël, la relation stratégique essentielle reste la relation avec les Etats-Unis, l'Union européenne occupe une place très importante sur le plan économique : elle est son premier débouché commercial en absorbant 11,3 milliards d'exportations israéliennes et son second fournisseur derrière les États-Unis avec 14 milliards d'euros d'importations en provenance de l'Union.

Sur le plan économique et commercial, Israël est largement tourné vers l'Union européenne. Les relations sont très développées dans tous les domaines : éducation, culture, recherche... Selon un récent sondage, 40 % des Israéliens pourraient prétendre à un passeport européen et 70 % des Israéliens de confession juive et 40 % des arabes israéliens souhaitent que leur pays rejoigne l'Union européenne.

M. René Beaumont, rapporteur, a rappelé que, dans ce contexte, l'Etat d'Israël avait présenté, à la fin de l'année 2007, sous présidence portugaise, une demande de « rehaussement » de ses relations avec l'Union européenne. Instruit sous présidence allemande, le principe en a été accepté le 16 juin 2008, sous présidence slovène, lors du 8è conseil d'association Union européenne-Israël. Concrètement, ce rehaussement se traduirait par un nouveau « plan d'action voisinage », prévoyant :

- un renforcement du dialogue politique ;

- une harmonisation réglementaire et une coopération sectorielle accrue ;

- la participation directe d'Israël à certains programmes communautaires.

La règle de l'unanimité prévaut pour la prise de décision.

Pour ce qui concerne la partie politique, qui relève du Conseil, le Conseil affaires générales et relations extérieures a adopté, le 8 décembre 2008, sous présidence française, des lignes directrices qui prévoient la diversification des cadres et des niveaux du dialogue politique entre les parties. La partie sectorielle relève de la Commission qui doit faire des propositions.

M. René Beaumont, rapporteur, a indiqué que, le 4 décembre 2009, le Parlement européen avait reporté sine die le vote de son avis conforme sur la participation d'Israël à certains programmes communautaires (innovation et compétitivité). Avant même l'offensive israélienne sur Gaza, il considérait qu'Israël n'avait pas fait les gestes nécessaires à l'amélioration de la situation humanitaire dans ce territoire.

A la suite de l'opération israélienne à Gaza « plomb durci », un dialogue s'est instauré entre la Commission, par la voix de Mme Benita Ferrero-Waldner, et la présidence tchèque, la première considérant que l'opération israélienne à Gaza « plomb durci » remettait en cause le processus, la seconde considérant qu'il n'en était rien.

En tout état de cause, certains États membres, dont l'Espagne, le Portugal, la Belgique, ou encore la Suède, partagent l'analyse de la Commission et ont fait savoir qu'ils s'opposeraient à un tel rehaussement au sein du Conseil. L'unanimité requise au sein du Conseil n'est donc actuellement pas réunie.

Le 9è conseil d'association Union européenne-Israël, initialement prévu le 18 mai, date à laquelle le premier ministre israélien s'est rendu aux Etats-Unis, a été reporté au mois de juin et le « plan d'action voisinage » actuel devrait donc être prolongé par voie d'échanges de lettres.

M. René Beaumont, rapporteur, a indiqué que le processus de rehaussement connaissait une phase d'interruption et d'attente. Il a rappelé que la situation sur le terrain était totalement bloquée et faisait actuellement l'objet d'une mission d'information de M. Jean François-Poncet et Mme Monique Cerisier-ben Guiga pour le compte de la commission.

Du côté israélien, c'est le fondement même du processus de paix, le principe de la terre contre la paix et la solution des deux États, qui est remis en cause par le nouveau gouvernement.

Du côté palestinien, la division entre Gaza et la Cisjordanie persiste et ne semble pas pouvoir trouver d'issue à court terme. La question palestinienne, dont l'OLP avait conquis le monopole, semble être redevenue la chambre d'écho des luttes internes au monde arabe, perturbées, de surcroît, par la réémergence de l'Iran.

Dans cette situation de blocage, la référence aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité devrait redevenir centrale pour toute relance des négociations.

M. René Beaumont, rapporteur, a ainsi rappelé que, le 11 mai dernier, une déclaration présidentielle adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies avait réaffirmé l'irréversibilité des négociations bilatérales entre Israéliens et Palestiniens et confirmé son attachement à la solution des deux Etats.

Ce texte n'aborde cependant ni la question de la colonisation, ni celle, tout à fait cruciale, de l'accès à Gaza, ce qu'a regretté le ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner.

M. René Beaumont, rapporteur, a souligné que l'initiative arabe de paix, formulée en 2002 et réaffirmée à plusieurs reprises, suscitait un nouvel intérêt.

Devant cette situation, tous les regards sont tournés vers les Etats-Unis et la nouvelle administration américaine. Le Président Obama prononcera, le 4 juin prochain, au Caire, un discours d'autant plus attendu que l'administration américaine s'est jusqu'à présent placée dans une phase d'écoute sans faire connaître le résultat de la « policy review » qu'elle a menée sur le Moyen-Orient. Le rapporteur a estimé qu'il était encore trop tôt pour savoir si l'administration américaine s'engagerait véritablement dans ce dossier, auquel cas il est probable que l'Union européenne, bien que très divisée, lui emboiterait le pas. Dans le cas contraire, le dossier du rehaussement illustre la grande faiblesse de l'Union européenne privée, du fait de ses divisions, de la volonté et de la capacité d'intervention suffisantes en dépit de son poids économique dans la région.

En conclusion, il a considéré que la situation d'attente de clarification des positions des différents acteurs du dossier était une situation de statu quo pour les relations Union européenne-Israël. Cette situation pouvait, d'une certaine manière, satisfaire tant les tenants que les détracteurs du processus. En effet, même si aucune conditionnalité stricte n'était établie entre le rehaussement et le processus de paix, le contexte ne se prêtait clairement pas au rehaussement envisagé.

Dans une situation très évolutive, il a estimé que la commission devait rester saisie de ce dossier, se tenir informée et prête à prendre position le moment venu.

Il a noté que la visite de M. Netanyahou à Washington permettait d'envisager une plus grande fermeté américaine face à Israël, notamment sur la question de la colonisation des territoires occupés. Cette visite a aussi confirmé la position très arrêtée du premier ministre israélien sur la question des deux Etats alors que, du côté palestinien, le dialogue du Caire entre Hamas et Fatah doit reprendre et qu'un congrès du Fatah, prévu début juillet, devrait amorcer une réforme du mouvement.

M. René Beaumont, rapporteur, a proposé de continuer à suivre ce dossier et de faire un rapport à nouveau devant la commission à l'approche du Conseil d'association.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné que l'absence d'unanimité au sein de l'Union européenne empêchait qu'une conclusion favorable soit donnée au processus de rehaussement. Il y a donc une interaction entre les questions économiques et les questions politiques. Dans ce contexte, la fermeté de la position américaine constitue un fait majeur. En tentant de lier le processus de paix et la question de l'Iran, le premier ministre israélien n'a pas obtenu satisfaction lors de sa visite à Washington. Le discours du Caire devrait être l'occasion d'exposer la position américaine.

M. René Beaumont, rapporteur, a indiqué que la position américaine n'avait en effet pas encore été clairement exposée.

M. André Dulait a rappelé que la Conférence de Paris avait donné lieu à des promesses d'aide très élevées pour les Territoires palestiniens. Il a souhaité savoir quel était le niveau de dépense de ces crédits.

M. René Beaumont, rapporteur, a précisé que la reconstruction de Gaza se heurtait à la question des points d'accès qui restent le plus souvent fermés.

M. Robert Badinter a considéré que la situation entre Israéliens et Palestiniens était actuellement la pire que ces deux peuples aient connue. Il a souhaité savoir dans quelle mesure le processus d'Union pour la Méditerranée était affecté par le conflit.

M. Josselin de Rohan, président, a considéré que ce projet ne connaîtrait pas d'évolution notable en l'absence d'avancée dans le processus de paix.

M. Didier Boulaud a considéré que, une fois l'effet d'annonce retombé, le projet d'Union pour la Méditerranée semblait dans l'impasse. Il a fait part de son accord avec la position équilibrée présentée par le rapporteur.

M. André Vantomme a déploré la dégradation de la situation sur le terrain, où la colonisation se poursuit et donne le sentiment d'une régression générale.

M. Josselin de Rohan, président, a estimé que la position américaine constituait néanmoins une nouveauté majeure. Le premier ministre israélien, qui connaît bien les Etats-Unis, en était certainement conscient et devrait, bien qu'étant à la tête d'une coalition difficile, en tirer les conséquences. Les néoconservateurs encourageaient les Israéliens à l'intransigeance alors que le vice-président Joseph Biden s'est exprimé très clairement, lors du congrès de l'AIPAC (American Israël Public Affairs Committee), sur l'arrêt de la colonisation et la circulation des personnes. Le Président Obama semble donc s'être montré ferme, même si le premier ministre israélien n'a rien concédé dans ses déclarations publiques. Ce décrochage entre les positions des deux pays est véritablement nouveau.

M. Michel Billout a estimé regrettable que l'Union européenne se limite à une position d'attentisme et laisse les Etats-Unis seuls en position d'intervenir. Premier partenaire économique d'Israël, l'Union européenne devrait être une des voix pour faire entendre un peu de sagesse aux autorités israéliennes. Il a souligné que si le statu quo prévalait sur le processus de rehaussement, la colonisation et les atteintes aux droits de l'homme se poursuivaient sur le terrain. Le désespoir de la population palestinienne, en particulier des jeunes, ne fait que renforcer le Hamas. Il a demandé que les deux propositions de résolution soient examinées rapidement par la commission.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné que le fait que le processus de rehaussement soit bloqué, du fait des positions très partagées au sein de l'Union européenne, donnait, d'une certaine manière, satisfaction aux deux propositions de résolution.

M. Michel Billout a souligné que l'arrêt du processus de rehaussement n'était pas le seul objet des propositions de résolution.

M. René Beaumont, rapporteur, a souligné qu'en tout état de cause l'Europe n'était pas en mesure de parler d'une seule voix. Il a estimé que le Traité de Lisbonne, en dotant l'Union d'un ministre des affaires étrangères, permettrait de faire émerger une personnalité susceptible de concilier des positions très divergentes.

M. Josselin de Rohan, président, a estimé que la communication avait pour objet de faire un état des lieux du dossier, nécessaire avant toute prise de décision. Il a souhaité que la commission poursuive ses travaux sur ce dossier.

Protection et utilisation des cours d'eau transfrontières - Examen du rapport

La commission a ensuite examiné le rapport de M. André Vantomme sur le projet de loi n° 352 (2008-2009) autorisant l'approbation des amendements aux articles 25 et 26 de la convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux.

M. André Vantomme, rapporteur, a tout d'abord rappelé que le cinquième forum mondial de l'eau, réuni à Istanbul au mois de mars 2009, avait été l'occasion de rappeler que l'ONU avait proclamé la période 2005-2015 décennie d'action en faveur du droit à l'eau.

Il a précisé que le projet d'accord soumis au Sénat était d'une ampleur limitée, et visait à étendre le champ d'application de la convention de 1992, conclue à Helsinki sous l'égide de la Commission économique pour l'Europe des Nations unies (CEE-NU), sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux. Le présent texte permet aux Etats membres de l'ONU, mais n'appartenant à la zone géographique de la CEE-NU, qui le souhaiteraient, de se joindre à la convention d'Helsinki.

Cette extension potentielle pourrait ainsi bénéficier aux Etats du Caucase et d'Asie centrale, dont l'importance hydrologique est considérable.

M. André Vantomme, rapporteur, a précisé que la Commission économique pour l'Europe des Nations unies (CEE-NU), créée en 1947 par le Conseil économique et social des Nations unies et basée à Genève, rassemble cinquante-six membres et regroupe huit comités sectoriels, dont l'un consacré à l'eau et aux milieux aquatiques.

Son domaine de compétence s'étend à tous les Etats d'Europe, du Caucase, d'Asie centrale membres de l'ONU, ainsi qu'au Canada, aux Etats-Unis d'Amérique et à la Suisse ; elle s'attache à promouvoir une dynamique transfrontière dans la protection de l'environnement.

Il a relevé que la convention d'Helsinki relative à la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux (1992) figurait parmi les textes qu'elle avait élaborés, et que cette convention fixait le cadre de la coopération entre les pays membres de la CEE-NU en matière de prévention et de maîtrise de la pollution des cours d'eau transfrontières, en assurant une utilisation rationnelle des ressources en eau dans la perspective du développement durable.

Il a évoqué l'initiative suisse qui a abouti à l'adoption, en 2003, de deux amendements, modifiant les articles 25 (ratification et adhésion) et 26 (entrée en vigueur) de la convention de 1992, pour permettre aux Etats membres des Nations unies, mais non membres de la CEE-NU, de devenir parties à cette convention.

Il s'est félicité de cette extension, car une coopération de cette nature peut intéresser certains Etats continentaux asiatiques riverains d'Etats membres de la CEE-NU, et, en particulier, la Chine, qui partage avec la Russie et le Kazakhstan le bassin de l'Irtych, l'un des plus longs fleuves au monde, avec 4 200 kilomètres. La question des eaux transfrontières est un élément important pour la stabilité régionale en Asie Centrale, où les tensions entre Etats d'aval et d'amont restent vives. La Présidence française de l'Union européenne a ainsi accueilli une conférence ministérielle UE-Asie centrale, en septembre 2008, à Paris, dont l'eau était un des sujets.

Il a constaté qu'existaient, en Asie centrale, de fortes défiances régionales envers la mise en place de mécanismes de consultation mutuelle et de coopération sur la gestion des eaux transfrontières, et que les pays européens devaient donc remplir un rôle pédagogique déterminant pour renforcer la convention de 1992.

Il a souligné l'intérêt pour l'Afghanistan de l'élargissement du périmètre de la convention CEE-NU de 1992. La question de la gestion des ressources en eau et de leur partage est, en effet, un sujet sensible dans les relations de ce pays avec ses voisins d'Asie Centrale, notamment avec l'Ouzbékistan. Alors que les autorités afghanes sont plutôt réticentes à coopérer avec leurs riverains sur ce thème, il a été possible d'inscrire un point sur l'eau au sein de la déclaration finale de la réunion de La Celle Saint-Cloud sur l'Afghanistan, en décembre 2008.

La Turquie et l'Arménie pourraient également développer des partenariats dans le domaine de l'eau, permettant ainsi de surmonter la question sensible de leur histoire commune.

Il a ajouté que la convention de 1992 est également susceptible d'intéresser les bassins hydrographiques de la Guyane française, puisque ce département français d'outre-mer partage respectivement les bassins versants de l'Oyapock et du Maroni avec le Brésil et le Surinam, Etats non membres de la CEE-NU.

Il a conclu que l'extension de la convention d'Helsinki aux pays riverains non membres de la CEE-NU était particulièrement opportune pour étendre une nécessaire coopération, avec de grands pays en développement, dans le but d'y promouvoir de bonnes techniques de gestion d'une ressource appelée à se raréfier, et a recommandé à la commission d'adopter le présent texte, et de l'examiner en procédure simplifiée lors de la séance publique.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné l'importance de ce sujet, qui pourrait susciter, à l'avenir, des conflits, que ce soit en Asie ou au Proche-Orient. La gestion des eaux du Jourdain suscite déjà de vives tensions dans cette dernière région. Le contenu de l'accord est positif, mais sera difficile à appliquer dans les zones politiquement sensibles.

M. André Dulait, approuvant ces craintes, a rappelé les tensions, en Syrie et en Irak, nées des barrages projetés par la Turquie sur le Tigre et l'Euphrate.

Puis la commission a adopté le projet de loi et proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense - Audition du général Jean-Marc Denuel, sous-chef d'état-major « Plans » à l'état-major des armées

La commission a ensuite procédé à l'audition du général Jean-Marc Denuel, sous-chef d'état-major « Plans » à l'état-major des armées, sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé les interrogations liées à l'impact de l'actuelle crise économique et financière sur la réalisation de la loi de programmation militaire. Il a indiqué que la commission souhaitait connaître l'analyse de l'état-major des armées sur les incidences possibles en matière d'évolution des effectifs, de réalisation des ressources exceptionnelles et de renouvellement des équipements.

Le général Jean-Marc Denuel, sous-chef d'état-major « Plans » à l'état major des armées, a indiqué que les conséquences de la crise économique et financière sur notre système de défense étaient encore aujourd'hui difficilement mesurables, même si on pouvait essayer d'en dresser une première analyse.

Soulignant que cette crise représentait d'abord un facteur supplémentaire d'instabilité, il a estimé qu'elle ne devait pas conduire à réduire la priorité à accorder à l'effort de défense. Alors que la construction d'un outil de défense exige du temps et de la constance, le maintien de l'effort est nécessaire pour mener à bien le cycle de « recapitalisation » prévu sur deux lois de programmation afin de renouveler nos matériels majeurs. Non seulement la France ne doit pas baisser la garde, mais elle doit se doter plus rapidement des moyens modernes nécessaires à la sauvegarde de ses intérêts stratégiques par des investissements accrus renforçant ses capacités d'anticipation et d'action, conjointement aux contrats opérationnels fixés par le Livre blanc.

Le général Jean-Marc Denuel a indiqué que la défense bénéficiait du plan de relance économique décidé par le Président de la République, mais qu'il convenait d'être attentif aux tensions qui, sans remettre en cause les objectifs initiaux, pourraient fragiliser la réalisation de la loi de programmation militaire.

Il a ensuite rappelé les hypothèses sur lesquelles avait été établi le projet de loi de programmation militaire :

- des ressources incluant des recettes exceptionnelles issues de la vente de biens immobiliers et de la cession de fréquences hertziennes ;

- une réduction du format et des restructurations générant des économies intégralement consacrées à l'acquisition des équipements.

Il a souligné que, face à la crise, le rythme des restructurations ne devait pas être remis en cause dans la mesure où la réalisation d'économies de fonctionnement représentant quatre milliards d'euros sur la durée de la programmation était indispensable au financement des dépenses d'équipement. Sans ces économies, la loi de programmation serait immédiatement caduque.

S'agissant de la « manoeuvre » des ressources humaines, qui constitue le point critique de la réforme du ministère, il a mentionné les tendances pouvant être d'ores et déjà dégagées.

D'une part, la situation des départs et des recrutements pour les personnels miliaires reste globalement maîtrisée sur le premier trimestre, même si les difficultés sont avérées pour le recrutement et la fidélisation de certaines spécialités : pour la marine, les métiers des opérations navales et de la maintenance aéronautique ; pour l'armée de l'air, les domaines de la protection incendie, des systèmes de détection, les fusiliers commandos et les mécaniciens aéronautiques.

D'autre part, le succès de la politique des « pécules » est acquis puisqu'environ 1 000 pécules seront accordés pour plus de 5 000 demandes en 2009, toutes catégories de grade confondues. Néanmoins, on peut voir se dessiner un tassement global des départs qui va obliger les armées à mettre en oeuvre une régulation fine des recrutements.

Le général Jean-Marc Denuel a également rappelé les gains escomptés du concept des bases de défense. Un point de situation intermédiaire sera fait au chef d'état-major des armées fin juin afin de tirer un premier bilan de l'expérimentation mise en oeuvre depuis le 1er janvier.

Il a estimé que le maintien du cap défini était d'autant plus impératif que la crise économique et financière pourrait avoir pour corollaire l'apparition de nouveaux foyers de tensions face auxquels nos forces armées pourraient être amenées à être engagées. Les caractéristiques des opérations actuelles nécessitent des besoins financiers plus importants pour répondre notamment aux urgences opérationnelles sur le plan des équipements et pour maintenir en condition opérationnelle des matériels suremployés sur le terrain. Des crédits budgétaires sont désormais réservés au financement des opérations et permettent de limiter l'impact de ces dépenses sur les acquisitions d'armements. Par ailleurs, si des réductions temporaires de capacités ont été consenties dans le projet de loi de programmation militaire, la tenue des contrats opérationnels est préservée.

Le général Jean-Marc Denuel a ensuite évoqué les difficultés qui pourraient remettre en question une partie des gains escomptés et qui appellent une vigilance particulière.

Si les économies attendues de la réduction de notre format outre-mer et à l'étranger sont toujours à l'ordre du jour, tant sur le plan des effectifs que sur celui du fonctionnement courant, les conditions particulières d'isolement de nos territoires ultra-marins pourraient amener à y maintenir des moyens maritimes initialement prévus pour être rapatriés en métropole et retirés du service, notamment quatre bâtiments de transport légers (BATRAL). Une telle mesure ne remettrait pas en cause l'évolution programmée de notre dispositif naval mais elle la placerait un peu plus sous contrainte.

Par ailleurs, la pleine participation de la France à la structure militaire intégrée de l'OTAN va générer des surcoûts en fonctionnement et en investissement. Nos effectifs dans les structures de commandement vont être multipliés par six en l'espace de quatre années. La masse salariale correspondante sera principalement abondée par la réduction de notre format outre-mer et à l'étranger. Cette réduction doit également permettre d'assurer le financement, en masse salariale, de notre base militaire aux Emirats Arabes Unis.

Pour des raisons qui ne sont pas seulement liées à la crise financière, les ressources exceptionnelles pourraient ne pas être totalement disponibles selon le calendrier prévu. S'agissant des recettes tirées de la vente de fréquences, 1,45 milliard d'euros était attendu sur la période 2009-2011. Les 600 millions d'euros attendus en 2009 ne seront disponibles, au mieux, qu'en 2010. Sur 600 autres millions d'euros attendus en 2010, seuls 200 millions d'euros sont aujourd'hui espérés. S'il n'y a pas de remise en cause formelle du montant global, aucune consolidation n'est à l'heure actuelle établie.

Quant aux recettes tirées des cessions immobilières, les ressources envisagées pour la période 2009-2011 sont aujourd'hui évaluées à 1,5 milliard d'euros au lieu de 1,9 milliard d'euros estimé initialement, avec un retard dont l'impact concernera essentiellement l'année 2009. Sur les 972 millions d'euros prévus en 2009, seuls 220 millions d'euros, correspondant à une renégociation du protocole du ministère avec la Société nationale immobilière, sont en place. Les recettes de la cession des emprises parisiennes arriveront au mieux fin 2009. La location de l'Hôtel de la marine s'annonce dans de bonnes conditions mais sans date consolidée à ce jour (300 millions d'euros prévu 2010). Les difficultés principales concernent les emprises régionales. En raison des cessions à l'euro symbolique et des coûts de dépollution, le produit des ventes devrait être très inférieur aux 411 millions d'euros prévus.

Le général Jean-Marc Denuel a ensuite rappelé que la crise économique et financière n'avait pas eu que des effets négatifs pour la défense. Le volet défense du plan de relance économique représente 1,7 milliard d'euros sur 2009-2010. Il a souligné la détermination du ministère à participer à la relance économique nationale dans un souci de productivité, de soutien aux entreprises nationales et de maintien des priorités capacitaires et industrielles.

Le plan de relance bénéficie aux programmes à effet majeur, grâce à l'acquisition d'hélicoptères EC 725 Caracal et d'un troisième bâtiment de projection et de commandement dont la livraison n'était prévue que dans la prochaine LPM. Il permet d'atténuer, pour certains matériels, les conséquences des reports ou des réductions des cadences de livraison initialement envisagées. Ces mesures bénéficient en particulier aux programmes liés au véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), au Rafale, au petit véhicule protégé (PVP) et aux stations sol Syracuse. Enfin, ce plan permet d'acquérir de nouveaux matériels en urgence opérationnelle : il s'agit de quinze véhicules blindés pour l'Afghanistan, ainsi que des munitions destinées à l'artillerie, à l'hélicoptère Tigre et à l'aviation de combat. Il participe également à l'amélioration du maintien en condition opérationnelle à travers l'achat de pièces de rechange, en particulier pour les matériels aéronautiques.

Au-delà de l'équipement des forces stricto sensu, pour lequel 1,425 milliard d'euros ouvert dans le cadre du plan de relance s'ajoutera aux 16,6 milliards d'euros inscrits dans la loi de finances pour 2009, 110 millions d'euros ont été ouverts pour le financement d'études amont de technologies de défense et 240 millions d'euros de crédits d'infrastructure supplémentaires faciliteront les restructurations tout en autorisant des opérations de développement durable, de dépollution ou de remise aux normes des installations. Par ailleurs, le ministère de la défense a été autorisé à consommer 500 millions d'euros de crédits issus de reports des gestions précédentes afin d'accélérer le paiement de certains prestataires et de leur permettre de faire face à leur crise de liquidités.

Le général Jean-Marc Denuel a précisé que le processus de remboursement des sommes avancées dans le cadre du plan de relance économique avait été intégré dans les travaux de programmation militaire. Etalé sur plusieurs années, il concerne essentiellement la fin de la première loi de programmation et le début de la seconde. Il a estimé que les conditions de ce remboursement ne sauraient être revues sans fragiliser la cohérence capacitaire établie sur l'ensemble des deux LPM.

Il a également précisé que, à la date du 30 avril 2009, 1 milliard d'euros avait été engagé dans le cadre du plan de relance. L'objectif est d'engager 1,7 milliard d'euros avant le 31 décembre de cette année pour des dépenses qui bénéficient très majoritairement aux industries nationales. Toujours au 30 avril 2009, 340 millions d'euros ont été facturés en crédits de paiement, avec un objectif de 954 millions d'euros d'ici la fin 2009. Le reliquat de ces crédits continuera à être inscrit sur une ligne spécifique en 2010.

Le général Jean-Marc Denuel a souligné que la France était l'un des seuls pays à avoir répondu à la crise par une augmentation de son effort de défense alors que la plupart des pays européens réduisent leur budget militaire. Les Britanniques se trouvent ainsi dans une situation budgétaire très difficile et l'Espagne comme l'Italie ont réduit leur budget de défense.

En conclusion, le général Jean-Marc Denuel a estimé que la crise financière actuelle pourrait amener certaines des incertitudes stratégiques énoncées par le Livre blanc à se concrétiser, tout en impactant nos ressources budgétaires et le processus de réalisation du plan de réforme. Le volet défense du plan de relance en atténuera les effets néfastes à condition de ne pas envisager trop tôt son remboursement, au risque de déséquilibrer l'édifice de construction capacitaire.

Il a estimé nécessaire, dans ce contexte, de poursuivre l'effort entrepris au profit de nos équipements et de piloter la mise en oeuvre des réformes avec une vigilance accrue si la crise devait perdurer.

A la suite de cet exposé, M. Didier Boulaud a souligné le caractère éminemment aléatoire de certaines hypothèses de ressources sur lesquelles était fondée la construction du projet de loi de programmation militaire, qu'il s'agisse des recettes exceptionnelles tirées des ventes immobilières ou des cessions de fréquences, ou des économies générées par les restructurations. A ce sujet, il a fait état de certaines difficultés semblant apparaître dans la mise en place des bases de défense, notamment pour les plus petites d'entre elles. Il s'est inquiété des conséquences qu'aurait sur la réalisation de la loi de programmation une absence de résultats concluants sur ce concept de base de défense à l'issue de la phase d'expérimentation.

Le général Jean-Marc Denuel a répondu que la période d'expérimentation visait à évaluer tous les aspects de la mise en oeuvre des bases de défense en fonction de la très grande diversité des situations locales. Il a estimé que ces bases n'obéiraient certainement pas à un schéma unique et qu'il faudrait tenir compte de spécificités telles que la dispersion, la taille et les moyens des unités qui y seront rattachées. Il a indiqué que les enseignements nécessaires seraient tirés à l'issue de la phase d'expérimentation et s'est déclaré convaincu que le plan de réorganisation serait mené à bien.

S'agissant des recettes exceptionnelles, il a précisé que les obstacles à la réalisation des cessions de fréquences provenaient essentiellement de la longueur des procédures administratives et n'avaient pas de lien direct avec la crise économique.

M. Jean-Louis Carrère a estimé que si certains pays voisins traversaient effectivement une période de fortes difficultés budgétaires, on pouvait en dire tout autant de la France. Soulignant qu'il était d'ores et déjà acquis que certaines recettes exceptionnelles ne seraient pas disponibles en 2009 au niveau escompté, il s'est demandé comment le Gouvernement pouvait continuer à prétendre que la France augmentait son effort de défense. Enfin, il a émis des doutes sur la possibilité de retirer tous les gains escomptés de l'externalisation de certaines fonctions, ajoutant que l'externalisation n'était pas toujours un gage d'amélioration de la qualité par rapport aux prestations assumées en régie.

Le général Jean-Marc Denuel a estimé que face aux tensions qui accompagneront la mise en oeuvre de la loi de programmation, il conviendra de maintenir le cap sur les objectifs essentiels, en utilisant de manière très fine les marges de manoeuvre possibles, telles que des réductions temporaires de capacité.

En ce qui concerne le recours à l'externalisation, il a estimé qu'il pouvait nécessiter des procédures longues et complexes, mais que, dans un certain nombre de domaines comme la gestion des véhicules de la gamme commerciale ou l'alimentation, des résultats tangibles avaient été obtenus.

Revenant sur la situation des pays partenaires, il a estimé que la crise actuelle pouvait les amener à réduire leur effort de défense ou au contraire, comme les y incite la France, à accentuer les coopérations européennes pour mutualiser des moyens de plus en plus contraints.

M. Robert del Picchia s'est interrogé sur l'évolution de notre dispositif prépositionné, notamment à Djibouti et au Sénégal. Par ailleurs, il a souhaité savoir si les départs des armées touchaient plus fortement les personnels les plus qualifiés.

Le général Jean-Marc Denuel a répondu que les personnels les plus qualifiés n'étaient pas nécessairement les plus portés à solliciter le bénéfice des dispositifs de départ. En revanche, les candidats au départ ne provenaient pas forcément des spécialités les plus excédentaires.

M. Jacques Gautier a observé que la réalisation de la loi de programmation militaire impliquait la mobilisation de recettes exceptionnelles, la réorganisation autour des bases de défense mais également d'importantes diminutions d'effectifs dont les gains financiers seront intégralement affectés aux dépenses d'équipement. Il a par ailleurs évoqué le récent changement à la tête de Thales, se demandant si un rapprochement entre Thales et Nexter était envisageable. Il a souhaité savoir si les acquisitions de véhicules blindés pour l'Afghanistan portaient bien sur le modèle « Aravis » développé sur fonds propres par Nexter. Il a également interrogé le général Denuel sur les mesures palliatives destinées à compenser le retard de livraison de l'A400M et évoqué la possibilité de rapatrier en métropole des Casa 235 stationnés outre-mer.

Le général Jean-Marc Denuel a confirmé que les acquisitions de véhicules blindés prévues dans le cadre du plan de relance portaient bien sur quinze véhicules Aravis. Il a ajouté que des études seraient menées pour évaluer l'intérêt de ce type de matériel dans la perspective du renouvellement de la gamme des véhicules blindés de l'armée de terre.

S'agissant des conséquences du retard de livraison de l'A400M sur la tenue du contrat opérationnel, il a souligné qu'elles portaient moins sur le transport stratégique que sur le transport tactique.

En matière de transport stratégique, le déficit pourrait être compensé par l'acquisition anticipée de deux ou trois appareils MRTT dotés uniquement dans un premier temps d'une capacité de fret, par la location d'heures d'Antonov ou de C17 dans le cadre des contrats existant au niveau européen (Salis) ou de l'OTAN.

La tenue du contrat opérationnel en matière tactique est plus problématique, mais elle est également essentielle pour maintenir la compétence des équipages. Elle pourrait impliquer la prolongation de certains Transall, voire l'acquisition de quelques C130J. Le rapatriement de Casa 235 stationnés outre-mer risquerait de priver ces territoires de tout moyen aérien. En tout état de cause, il n'est pas envisagé, pour financer ces mesures palliatives, d'aller au-delà des dotations qui avaient été prévues au titre du programme A400M.

M. Daniel Reiner a demandé dans quelle mesure les surcoûts liés à notre pleine participation à la structure de commandement de l'OTAN pourraient réellement être compensés par des économies réalisées sur le dispositif outre-mer. Il a souhaité des précisions sur les domaines concernés par les réductions temporaires de capacités. Enfin, il s'est interrogé sur la signification, en termes de stratégie, du changement intervenu à la tête de Thales.

M. Josselin de Rohan, président, appuyé par l'ensemble de la commission, a rendu hommage à l'action menée par le président Denis Ranque à la tête de Thales et il a notamment souligné la réussite du développement du groupe à l'international ces dernières années.

Le général Jean-Marc Denuel a précisé que les surcoûts liés à l'OTAN seraient faibles s'agissant des dépenses de fonctionnement et d'investissement. La France a notamment clairement indiqué qu'elle ne rejoindrait pas certains programmes dans lesquels elle n'était pas engagée jusqu'à présent, tels que l'AGS (Air ground surveillance) ou les capacités collectives à base d'Awacs et de C17. Le surcoût sera essentiellement imputable aux dépenses de masse salariale et il devra être compensé, au moins partiellement, par des économies sur notre dispositif outre-mer.

M. Josselin de Rohan, président, a demandé si les économies liées à la réduction de notre dispositif outre-mer n'avaient pas déjà été affectées au financement des dépenses d'équipement.

Le général Jean-Marc Denuel a précisé que les économies de fonctionnement et d'investissement réalisées outre-mer bénéficieraient aux dépenses d'équipement, mais que les économies de masse salariale seraient réaffectées aux dépenses de personnel, notamment au titre du surcoût OTAN.

Il a par ailleurs précisé que les principales réductions temporaires de capacité concernaient le transport tactique et les hélicoptères. Il a indiqué que la marine retirerait prochainement du service les Super-Frelon, leurs missions étant reprises par un Caracal ainsi que par la location de deux hélicoptères EC 225, qui en sont la version civile, pour une durée de l'ordre de deux ans, en l'attente de l'arrivée du NH90 « Marine ».

M. Christian Poncelet s'est inquiété des capacités de la France à faire face à un éventuel renforcement de ses engagements extérieurs, du fait notamment des limites rencontrées en matière de matériels. Il a évoqué à ce sujet l'hypothèse d'un appel aux pays de l'OTAN en Irak lors du retrait des forces américaines.

M. Josselin de Rohan, président, a jugé peu concevable que les Etats-Unis fassent appel à l'OTAN, et a fortiori à la France, pour prendre le relais de leur présence militaire en Irak.

Le général Jean-Marc Denuel a confirmé les contraintes liées au niveau d'emploi des matériels en opération. Il a précisé que l'armée de terre les avait prises en compte en redéfinissant les modalités de gestion de son parc de matériel, en vue d'économiser leur potentiel. De même, l'armée de l'air optimise le recours aux Casa 235 pour économiser autant que possible le potentiel de ses autres avions de transport.

M. Josselin de Rohan, président, a demandé des précisions sur le renouvellement du missile anti-char Milan.

Le général Jean-Marc Denuel a indiqué que les missiles anti-char de type « tire et oublie » permettaient des économies substantielles sur l'entraînement, grâce aux possibilités de recours à la simulation, et présentaient de ce fait un avantage par rapport aux missiles filoguidés tels que le Milan.

M. Jean-Louis Carrère a souhaité savoir si le Rafale pourrait prochainement mener des missions d'attaque au sol sans recours à un second avion chargé de désigner la cible.

Le général Jean-Marc Denuel a précisé que le Rafale serait doté de cette capacité de tir autonome grâce à la commande d'une dizaine de pods de désignation laser.

Conséquences de la crise économique et financière en matière de terrorisme et d'insécurité - Audition de M. Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur, et M. Eric Bellemin-Comte, adjoint au sous-directeur de la protection économique

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur, et M. Eric Bellemin-Comte, adjoint au sous-directeur de la protection économique, sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de terrorisme et d'insécurité.

Accueillant M. Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur, et M. Eric Bellemin-Comte, adjoint au sous-directeur de la protection économique, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que cette audition s'inscrivait dans le cadre des auditions menées actuellement par la commission sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense. Il a rappelé que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale avait analysé les principales menaces pesant sur notre sécurité, à la fois aux niveaux intérieur et extérieur, et les moyens d'y faire face. Il a souhaité savoir si ces orientations restaient pertinentes au regard de l'ampleur de la crise économique et financière et de ses conséquences prévisibles, notamment en matière de déstabilisation des Etats fragiles, de mouvements migratoires, de radicalisation politique ou de tensions sociales internes.

M. Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur, a rappelé que, à la suite des conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, une importante réforme des services de renseignement avait été engagée afin d'aboutir à un dispositif suffisamment souple permettant de s'adapter à différentes situations. Il a estimé que la crise économique actuelle ne remettait pas en cause cette réforme, mais qu'il fallait s'interroger sur ses conséquences en matière de sécurité, et il a indiqué que les services de renseignement britanniques menaient actuellement une réflexion sur ce sujet.

M. Bernard Squarcini a estimé que cette crise avait des conséquences en matière de sécurité sur trois plans différents.

Il a d'abord souligné ses incidences en matière de sécurité intérieure. A cet égard, il a mentionné les conséquences des fermetures d'entreprises et les débordements en matière d'ordre public, avec notamment une multiplication des séquestrations de dirigeants d'entreprises. Il a également fait part de ses préoccupations au sujet de la radicalisation de l'ultra-gauche autonome, illustrée notamment par les violentes manifestations à l'occasion du sommet de l'OTAN à Strasbourg, et d'une contestation sociétale pouvant donner lieu à des tentatives de déstabilisation de la société, voire à des actes de sabotage, comme cela a pu se produire récemment sur le réseau ferroviaire. Il a rappelé que la France avait déjà été confrontée par le passé au terrorisme d'extrême gauche, avec le groupe Action directe notamment, à l'image d'autres pays européens et il n'a pas exclu une résurgence de ce phénomène, en citant le cas récent de la Grèce. Il a cependant souligné que la principale menace terroriste pesant sur notre pays restait celle émanant du terrorisme islamiste, notamment du réseau Al Qaïda au pays du Maghreb islamique.

Il a également relevé que la crise avait pour effet de fragiliser la protection du patrimoine et de la sécurité économique des entreprises, ce qui pouvait encourager les tentatives, émanant d'Etats tiers ou de sociétés étrangères, de recueil de renseignement économique.

Enfin, évoquant les conséquences de la crise économique sur le plan de la sécurité extérieure, il a souligné le risque de déstabilisation des Etats fragiles, en particulier dans la zone subsaharienne, en Mauritanie, au Niger ou au Sénégal, où l'on constate que le réseau Al Qaïda au Maghreb s'est replié et alors que cette zone est traditionnellement une forte terre d'émigration vers l'Europe et vers la France, ou encore le risque de déstabilisation dans la zone de l'Afghanistan et du Pakistan. Il a également évoqué la question des paradis fiscaux au regard du financement du terrorisme et du blanchiment d'argent sale. On constate également une volonté de l'islam radical d'accentuer le fossé entre les riches et les pauvres qui s'élargit avec la crise.

Dans ce contexte, il serait dangereux de baisser la garde même si la situation du budget de l'Etat oblige l'ensemble des administrations à l'économie. M. Bernard Squarcini a rappelé que la réforme des dispositifs de renseignement s'était traduite par la fusion de deux services au sein d'un nouveau service chargé du renseignement intérieur et le rapprochement de ce service avec celui chargé du renseignement extérieur, au moyen de mutualisations, de notes ou d'opérations communes.

Il a également indiqué que, en application des recommandations issues de la révision générale des politiques publiques, les services de renseignement n'échappaient pas à la diminution du nombre d'effectifs touchant le ministère de l'intérieur, avec une réduction prévue d'environ 400 postes sur 3 300 agents à l'horizon 2012, soit une baisse de 13 % des effectifs. A cet égard, il a relevé que la plupart des services de renseignement étaient confrontés au défi d'assurer leur mission tout en réduisant leurs effectifs, en citant l'exemple du MI5 britannique. Toutefois, des exemples récents constatés au Royaume-Uni montrent que la diminution des effectifs a un effet direct sur la qualité du renseignement et de l'analyse. A l'issue de cet exposé, un débat s'est engagé.

M. Didier Boulaud a souligné le rôle d'Internet dans la prolifération terroriste, et s'est interrogé sur l'opportunité de fermer les sites islamistes les plus prosélytes. Puis il a évoqué les récents incidents survenus à la Courneuve, marqués par des tirs à l'arme de guerre contre des policiers, et a souhaité savoir si ce type de criminalité constituait une menace émergente.

En réponse, M. Bernard Squarcini a précisé que :

- techniquement, il n'est pas facile de fermer ces sites, car ils renaissent sous une autre forme et dans un autre pays d'accueil ; de plus, ils constituent une importante source de renseignements sur les mouvements islamistes ;

- ses services, en liaison avec la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) et les services analogues d'autres pays occidentaux, opèrent une surveillance qualitative de ces sites, qui permet une identification des activistes, une neutralisation des réseaux voire une anticipation des projets terroristes qui y sont préparés ;

- les quartiers difficiles des grandes métropoles françaises sont le lieu d'une importante économie souterraine, en dépit des gros efforts accomplis en leur faveur par les collectivités territoriales. On assiste à la création de sociétés parallèles, qui ont leur territoire et qui sont le lieu de replis identitaires mais aussi de développement des affaires. Les quartiers nord de Marseille ont ainsi été profondément réhabilités, mais cette ville, comme tous les ports, est un lieu de trafics, notamment de stupéfiants, aux mains d'une microsociété qui fait vivre des quartiers entiers. Les trafiquants paient ainsi les loyers des appartements qui servent de planques, créent des emplois en recrutant des guetteurs, et poursuivent leurs activités même lorsqu'ils sont incarcérés ;

- l'action des GIR (groupe d'intervention régional) a permis de cibler les pôles d'islamisme radical, qui procèdent tant à des rackets qu'à des trafics. Mais cette lutte contre l'offre de drogue laisse intacte la demande, qui est la source de ces trafics ;

- la bande sahélienne, au sud du Sahara, est traditionnellement marquée par des trafics aux mains des Touaregs ; mais les membres d'Al Qaïda au Maghreb islamique s'infiltrent dans ces échanges, et les font dériver à leur profit.

M. Roger Romani a évoqué les attaques informatiques intensives enregistrées contre des entreprises vitales à l'activité de la France, et a souligné qu'elles étaient le fait d'experts qualifiés. Lors des auditions préparatoires au rapport d'information qu'il a présenté au nom de la commission sur la cyberdéfense, il avait pu constater que la plupart des entreprises françaises, et notamment les plus petites, sont très peu protégées contre ces intrusions. Il a émis la crainte que des attaques terroristes de ce type puissent bloquer les infrastructures de transport et de communication françaises, et s'est donc interrogé sur l'urgence de créer une agence nationale interministérielle, prévue par le Livre blanc, qui soit en mesure de procéder à une veille informatique permanente.

En réponse, M. Bernard Squarcini a indiqué que, sur les recommandations du récent rapport de M. Roger Romani sur la cybercriminalité, le SGDN (secrétariat général à la défense nationale) va être transformé en SGDSN (secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale), qui intègrera une agence dévolue à la cybercriminalité et à la protection des systèmes informatiques des installations vitales. Cette agence permettra d'instaurer un système de veille de qualité, et de procéder aux ripostes appropriées. Cette évolution témoigne de la prise de conscience intervenue au sein des organes de l'Etat de la dangerosité de cette forme de criminalité.

M. Eric Bellemin-Comte, adjoint au sous-directeur de la protection économique, a précisé que l'un des rôles de la DCRI est de sensibiliser les entreprises, de toute taille, à leur vulnérabilité face aux possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les entreprises constituent, en effet, d'importants potentiels d'informations susceptibles d'intéresser des concurrents malveillants, et leurs systèmes informatiques constituent un vecteur privilégié de captation de ces renseignements sur les savoir-faire ainsi que la recherche et le développement. Ces systèmes permettent également de procéder à des actes de sabotage, de déstabilisation et même de destruction. Les nouvelles technologies sont le talon d'Achille des Etats, des entreprises et également des particuliers. Il a ajouté que :

- un programme de sensibilisation a donc été élaboré, avec un millier de conférences par an touchant environ 40 000 personnes, dont une importante proportion est composée de personnels des petites et moyennes entreprises et industries travaillant dans des secteurs innovants, des universités, des laboratoires et des centres de recherche. Des secteurs économiques majeurs comme l'agro-alimentaire font aussi l'objet d'une attention particulière. Ce travail de terrain et de contact avec les responsables de la sécurité des entreprises comporte des conseils de comportement, des audits des dispositifs informatiques, et un examen des sociétés extérieures prestataires de services informatiques. La DCRI accompagne ainsi la mise en place des plateformes collaboratives des pôles de compétitivité, particulièrement exposés à des risques de prédation. Au-delà des solutions techniques, on estime qu'une part importante des attaques informatiques peut être contrée par de bonnes pratiques et des règles de comportement ;

- en cas d'intrusion avérée, il convient de diligenter des enquêtes. Elles sont menées soit par la DCRI qui est dotée de compétences judiciaires et d'un savoir-faire technique si les faits sont susceptibles d'entrer dans son champ de compétence, soit orientées vers un office central spécialisé de la police judiciaire ;

- les mouvements terroristes utilisent le réseau Internet à plusieurs niveaux : il constitue d'abord une structure de propagande, permet aussi de développer des forums pour opérer des recrutements, et facilite la communication, protégée par des systèmes chiffrés, entre les différents responsables. A un stade ultime, il peut être utilisé pour des attaques. La France n'a pas encore subi d'agressions de ce type ;

- il est noté une élévation du niveau de compétence des éléments radicaux dans ce domaine. Une surveillance de ces réseaux avait d'ailleurs permis de constater que les recrutements les plus sollicités par Al Qaïda en Irak visent des médecins et des personnels de santé, mais aussi des informaticiens de qualité, aptes à gérer les communications et les sites de propagandes. Si, pour l'heure, aucun projet concret d'attaque concentrée sur l'espace numérique n'a été détecté sur les réseaux français, il convient néanmoins de noter que les terroristes ont intégré cette vulnérabilité dans leur stratégie. Ainsi, par exemple, des menaces de destructions de la tour de British Telecom à Londres ont pu être détectées parmi d'autres objectifs de destruction physique (centrales électriques, avions...) ;

- pour répondre à ces dangers croissants, il faut mettre en oeuvre un système de veille et de détection, dont sera chargé le SGDSN et son agence, fournir aux très petites entreprises des produits de sécurité informatique labellisés par l'Etat, et accompagner la création, en cours, des pôles de compétitivité par une forte sécurisation informatique.

M. Bernard Squarcini a ajouté que, après le départ à la retraite de M. Alain Juillet, Haut responsable chargé de l'intelligence économique au SGDN, le pôle « intelligence économique » sera transféré au coordinateur du renseignement à l'Élysée.

M. Robert del Picchia s'est interrogé sur la fiabilité des sociétés privées proposant des systèmes de sécurité informatique. Il a, par ailleurs, relevé que les cibles terroristes avaient notablement évolué, citant en exemple l'attentat de 1975 contre la réunion de l'OPEP (organisation des pays exportateurs de pétrole) à Vienne, qui avait nécessité des moyens beaucoup plus modestes que ceux employés le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d'Amérique. Il a donc souhaité savoir si les services compétents effectuaient des simulations d'attentats pour mieux répondre à de telles menaces.

En réponse, M. Bernard Squarcini a précisé que les sociétés proposant des prestations d'intelligence économique devaient en effet être contrôlées, car le secteur public étatique ne représente que 5 % du marché de la sécurité. La majorité de ces sociétés mêlent activités commerciales et délictuelles, et sont parfois aux mains d'anciens membres de services de sécurité de l'Etat. La deuxième loi sur la protection intérieure (LOPPSI), qui devrait être examinée par le Parlement à la fin de l'année 2009, permettra d'en canaliser les activités en délivrant des agréments, et en instaurant un délai de carence de trois ans pour tout fonctionnaire quittant le service de l'Etat, avant de pouvoir les rejoindre. Il est cependant difficile de définir de façon efficace le champ des entreprises à contrôler.

M. Eric Bellemin-Comte a précisé que les agents privés de recherche sont déjà régis par une législation spécifique. Il convient maintenant de réglementer le domaine de l'intelligence économique, qui dérive parfois de l'obtention de l'information ouverte à celle de l'information cachée, confidentielle ou de souveraineté. La crise économique actuelle pourrait accentuer la concurrence déloyale, en incitant certaines entreprises souhaitant économiser des investissements de recherche à capter des informations chez les entreprises concurrentes.

M. Jean-Pierre Chevènement a souligné qu'une grande vigilance était requise pour empêcher cet espionnage visant les entreprises. Il a salué la fusion récemment opérée entre la DCRG (direction centrale des renseignements généraux) et la DST (direction de la surveillance du territoire), qui obéit à l'évolution des menaces. Il a estimé qu'il convenait de distinguer les catégories de menaces, selon qu'elles émanaient de bandes criminelles, de mouvements terroristes ou d'Etats, et a estimé que défense et sécurité devaient rester des notions distinctes. Puis il s'est interrogé sur la menace représentée aujourd'hui par Al Qaïda au Maghreb islamique, et a souhaité savoir quelles pourraient être ses cibles potentielles.

Il a relevé que la contestation sociétale n'était pas répréhensible en elle-même et a évoqué la détention préventive de M. Julien Coupat alors qu'aucun crime ne lui est imputé.

En réponse, M. Bernard Squarcini a décrit les éléments ayant conduit à la mise en détention de la personne évoquée, à savoir des actes de sabotage faisant actuellement l'objet d'une instruction judiciaire. Puis il a rappelé que les attentats commis en 1995 à Paris avaient coûté environ 300 francs pour leur préparation et leur exécution, soit une somme dérisoire, mais que ceux commis ultérieurement contre les ambassades américaines de Dar-el-Salam en Tanzanie, de Nairobi au Kenya, puis contre le destroyer américain USS Cole et le pétrolier Limburgh, avaient requis des moyens beaucoup plus importants.

Il a précisé que des simulations d'attentats sont effectuées régulièrement pour optimiser, en liaison avec la protection civile, la sécurité et l'aide aux populations. Les pays étrangers partenaires de la France sont sollicités pour des renseignements croisés dans ce domaine.

M. Bernard Squarcini a souligné la dangerosité du processus actuel, qui a glissé d'un terrorisme d'Etat à un fanatisme religieux individuel, beaucoup plus difficile à anticiper.

M. Robert Laufoaulu a souhaité connaître les actions menées dans les territoires d'outre-mer.

En réponse, M. Bernard Squarcini a précisé que ces territoires étaient marqués par une contestation sociale croissante, un phénomène pesant d'insularité, et la réémergence d'anciens mouvements indépendantistes, tous éléments qui sont pris en compte dans le maintien de la sécurité.

M. Didier Boulaud a souhaité obtenir des précisions sur la situation régnant dans les pays des Balkans.

En réponse, M. Bernard Squarcini a précisé que cette région, marquée de longue date par une instabilité chronique, est le point de passage de nombreux trafics, notamment d'armes. Elle constitue un territoire très important pour la prolifération. Bien qu'orientée vers les menaces intérieures, la DCRI contribue à la sécurité des entreprises françaises expatriées qui s'y implantent, ainsi qu'à leur environnement économique.

M. Roger Romani s'est interrogé sur l'aide que les parlementaires pourraient apporter aux actions menées par le service de M. Bernard Squarcini.

En réponse, celui-ci a précisé que :

- la base législative de la lutte contre le terrorisme élaborée en France en 1986 nous était enviée par tous les pays européens. Cette législation permet à la France d'être en avance pour la détection et la prévention des actes terroristes ;

- la centralisation des affaires liées à ces actes, comme la spécialisation des magistrats qui les traitent, permettent une grande efficacité, et constituent une bonne protection pour notre pays ;

- le Traité de Lisbonne rappelle que le domaine de la sécurité nationale relève strictement de la compétence des Etats, et il conviendra de veiller à ce que l'Union européenne préserve le caractère régalien de cette compétence.