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Mercredi 22 juin 2011
(réunion en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées)

Politique étrangère et de défense

L'Union européenne et la Russie
Rapport d'information de M. Yves Pozzo di Borgo

M. Jean Bizet. - Notre collègue Yves Pozzo di Borgo, qui suit de près les relations entre l'Union européenne et la Russie, a souhaité actualiser le rapport qu'il avait préparé en 2007 sur ce sujet. Ce rapport arrive à point, au lendemain de la visite de Vladimir Poutine à Paris, et alors que les relations entre l'Occident et la Russie évoluent. En 2007, ces relations étaient marquées par de fortes tensions, avec notamment le projet d'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie. Depuis l'élection de Barack Obama, les relations américano-russes se sont nettement améliorées, et lors du dernier Sommet de l'OTAN à Lisbonne, en décembre 2010, les pays de l'OTAN et la Russie ont souhaité relancer leur coopération dans tous les domaines, y compris la défense anti-missiles, même si des désaccords persistent sur ce système.

Par ailleurs, les relations entre la Russie et la Pologne se sont beaucoup améliorées depuis la catastrophe de Smolensk.

Malgré ce contexte plus favorable, les relations entre l'Union européenne et la Russie ne semblent pas progresser au même rythme, comme l'ont illustré les faibles résultats du dernier Sommet Union européenne-Russie, qui s'est tenu à Nijni Novgorod, les 9 et 10 juin 2011.

L'Union européenne et la Russie ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la suppression des visas ou la coopération énergétique.

Comment expliquer cette situation et quelles pourraient être les voies d'un renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie ?

Mon cher Collègue, vous avez la parole.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Il y a quatre ans, à la demande du président Hubert Haenel, j'avais présenté, au nom de la délégation pour l'Union européenne, un rapport sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, qui était paru quelques jours avant l'élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République en mai 2007.

À l'époque, les relations entre la Russie et les pays occidentaux traversaient une période de fortes tensions, marquées notamment par l'opposition de la Russie à l'installation d'éléments du système américain de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque et à l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie, aux crises du gaz avec l'Ukraine et la Biélorussie ou encore par les fortes critiques émises en Occident concernant la démocratie et la situation des droits de l'homme en Russie.

Vous vous souvenez sans doute des déclarations du candidat Nicolas Sarkozy concernant la répression russe en Tchétchénie et la situation des droits de l'homme en Russie.

Nous étions alors face à une Russie sûre d'elle-même, désireuse de retrouver sa place sur la scène internationale grâce à l'arme énergétique, dont le discours de Vladimir Poutine à la conférence de Munich en 2007 a constitué le point d'orgue.

Dans mon rapport, je plaidais pour une approche plus compréhensive à l'égard de la Russie, soucieuse de retrouver son rang sur la scène internationale après l'humiliation subie avec la disparition de l'URSS et l'effondrement de son économie dans les années 1990. Il me semblait, en effet, que de nombreux occidentaux continuaient de regarder la Russie avec des lunettes datant de la guerre froide, sans prendre en compte les transformations majeures intervenues ces vingt dernières années.

En particulier, l'importance des relations entre l'Union européenne et la Russie me semblait largement sous-estimée.

La Russie représente pourtant pour l'Union européenne son plus grand voisin, son troisième partenaire commercial et son premier fournisseur d'hydrocarbures. De son côté, l'Union européenne constitue pour la Russie son premier partenaire commercial et son principal débouché.

Par ailleurs, si l'Union européenne veut jouer un rôle accru sur la scène internationale, face aux États-Unis ou aux puissances émergentes, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, elle se doit d'établir une coopération étroite avec la Russie en matière de politique étrangère et de défense.

Dans mon rapport, je plaidais donc en faveur d'un renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie sur la base d'un véritable partenariat stratégique. Depuis la parution de ce rapport, il y a quatre ans, les choses ont beaucoup changé, comme en témoigne notamment la nette amélioration des relations entre les États-Unis et la Russie depuis l'élection de Barack Obama.

En particulier, la position française, telle qu'exprimée par le Président de la République, a beaucoup évolué, puisque le rapprochement avec la Russie constitue aujourd'hui une priorité de la politique étrangère de notre pays. J'ai d'ailleurs retrouvé avec satisfaction certaines de mes recommandations dans la déclaration du Président de la République à Évian en 2008 proposant de créer un « espace économique, humain et de sécurité commun » entre l'Union européenne et la Russie. Compte tenu de ces évolutions, j'ai pensé utile de réactualiser mon rapport et je voudrais remercier le président Jean Bizet et le président Josselin de Rohan d'avoir accepté que ce rapport soit présenté au nom des deux commissions.

Pour réactualiser mon rapport, j'ai procédé à de nombreuses auditions, je me suis rendu à deux reprises à Bruxelles et j'ai effectué un déplacement en Russie du 26 au 29 avril dernier.

Avant d'évoquer l'état des relations entre l'Union européenne et la Russie et de vous présenter mes principales recommandations, je voudrais revenir brièvement sur les principales évolutions de ces relations depuis quatre ans.

Depuis 2007, le contexte des relations entre l'Union européenne et la Russie a beaucoup évolué, tant en raison de facteurs externes que de raisons internes.

On peut d'abord mentionner quatre facteurs externes.

Tout d'abord, les relations entre les États-Unis et la Russie ont connu une nette amélioration depuis l'élection de Barack Obama. Dès son arrivée à la Maison Blanche, le nouveau président américain a fait de l'amélioration des relations avec la Russie, qui s'étaient fortement dégradées sous les deux mandats successifs de George Bush, l'une des priorités de sa présidence.

Dans le cadre du « reset », c'est-à-dire du nouveau départ de ces relations, le Président Barack Obama a fait des gestes importants à l'égard de la Russie, comme en témoignent notamment l'abandon du projet d'installation d'éléments du système américain de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque ou encore la ratification du traité New START sur la réduction des ogives nucléaires. Ce rapprochement entre les États-Unis et la Russie s'est notamment traduit par le renforcement de la coopération entre l'OTAN et la Russie, notamment en Afghanistan, et par la volonté d'une coopération entre l'OTAN et la Russie dans la mise en place du futur système de défense anti-missiles, lors du Sommet de l'Alliance, qui s'est tenu à Lisbonne, les 19 et 20 novembre 2010, en présence du Président russe Dimitri Medvedev.

Le deuxième facteur tient à l'impact de la crise économique mondiale, à la chute du prix des hydrocarbures et à la découverte de gaz de schiste.

Après la forte envolée du prix du pétrole et du gaz dans les années 2000, qui avait encouragé un sentiment de puissance chez les dirigeants russes, la Russie a connu l'expérience de la chute brutale du prix des hydrocarbures entre 2008 et 2009 due à la crise économique mondiale (le prix du baril de pétrole est tombé de 140 dollars à 37 dollars entre juin et octobre 2008).

Or, cette chute brutale du prix du pétrole et du gaz a créé un véritable « électrochoc » sur l'économie russe, qui reste encore très dépendante des matières premières, selon le « syndrome néerlandais ».

Je rappelle que le pétrole et le gaz, dont la Russie constitue respectivement le deuxième et le premier producteur mondial, représentent environ 25 % du PIB russe, et contribuent à hauteur de 40 % au budget de l'Etat et représentent deux tiers des exportations.

Or, comme l'a montré l'ancien premier ministre russe Egor Gaïdar, dans son livre « La mort des Empires », l'une des raisons qui expliquent la disparition de l'URSS tient à la baisse brutale du prix du pétrole et du gaz à la fin des années 1980.

Par ailleurs, la découverte du gaz de schiste, notamment aux États-Unis et au Canada, a eu pour conséquence de relativiser l'importance des réserves de gaz naturel russe. C'est dans ce contexte qu'il faut appréhender le discours du Président Dimitri Medvedev sur la modernisation et la diversification de l'économie russe et l'importance des nouvelles technologies.

Le troisième facteur tient au renforcement de l'influence russe dans l'espace post-soviétique.

Ainsi, le conflit russo-géorgien de l'été 2008 et l'élection de Viktor Ianoukovitch en Ukraine se sont traduit par le « gel de facto » du projet d'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie. La Russie a reconnu l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud et a renforcé sa présence militaire dans les deux entités séparatistes. La Russie a aussi conclu un accord avec Kiev sur le stationnement de la flotte russe dans la base de Sébastopol en contrepartie d'un prix réduit de gaz.

Un autre facteur, largement sous-estimé en Occident, tient au spectaculaire rapprochement entre la Russie et la Pologne, après la tragédie de Smolensk, illustré notamment par la reconnaissance par Moscou de sa responsabilité dans le massacre de Katyn.

Enfin, le quatrième et dernier facteur tient à la montée en puissance de la Chine et des autres puissances émergentes, avec lesquelles la Russie entretient une relation ambiguë. Ainsi, même si la Russie a renforcé ses relations avec la Chine, avec laquelle elle a réglé ses différends territoriaux, et qu'elle occupe une place importante au sein des BRIC, qui réunissent les grandes puissances émergentes, le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, et qui s'est élargi récemment à l'Afrique du Sud, la Russie semble avoir fait le choix stratégique du rapprochement avec l'Occident.

Avec une population en déclin de 140 millions d'habitants sur un immense territoire, étendu sur neuf fuseaux horaires, situé à proximité de la Chine, peuplée de 1,4 milliard d'habitants et en plein essor économique, la Chine représente un défi, voire une menace potentielle pour la Russie que seule l'alliance avec l'Europe semble en mesure de limiter, même si cela demeure encore un tabou aux yeux de nombreux responsables russes.

A côté de ces facteurs externes, on peut mentionner deux facteurs internes qui ont modifié le cadre des relations entre l'Union européenne et la Russie.

Du côté de l'Union européenne, le principal changement tient à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009 et, en particulier, à la création du poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et à la politique de sécurité et du service européen pour l'action extérieure, qui ont permis de rationaliser un peu la politique étrangère de l'Union européenne. Avec le traité de Lisbonne, l'Union européenne s'est également dotée de l'ambition d'une politique énergétique commune.

Du côté russe, malgré l'élection de Dimitri Medvedev à la présidence de la Fédération de Russie et à son discours plus réformateur et ouvert sur l'Occident, le régime a consolidé son pouvoir. Malgré certaines avancées, comme le moratoire sur la peine de mort, la démocratie et les droits de l'homme n'ont pas beaucoup progressé, comme en témoignent notamment la répression violente de la Gay Pride à Moscou ou encore l'absence de réels contre-pouvoirs.

L'idée d'une dyarchie à la tête de l'État et d'une compétition entre le Président Dimitri Medvedev et son Premier ministre Vladimir Poutine, à l'approche des prochaines élections présidentielles ruses de 2012, qui est souvent privilégiée en Occident, paraît toutefois peu vraisemblable.

Vladimir Poutine reste le seul homme fort de la Russie, en jouissant d'une très forte popularité, et il semblerait que l'on assiste davantage à un partage des rôles, qu'à une véritable compétition.

La crise économique mondiale a toutefois révélé les fragilités de l'économie russe, qui reste encore fortement dominée par les matières premières.

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'accent mis par le Président Dimitri Medvedev sur la modernisation et l'État de droit et la volonté de la Russie de se tourner vers l'Union européenne, qui représente son partenaire naturel, pour améliorer la compétitivité de son économie et développer l'innovation.

Malgré ce contexte plus favorable, les relations entre l'UE et la Russie n'ont guère progressé depuis 2007, comme l'a montré le maigre résultat du dernier Sommet UE-Russie des 9 et 10 juin 2011.

Les relations entre l'Union européenne et la Russie reposent toujours sur un accord de partenariat et de coopération, signé en 1994 et entré en vigueur en 1997 pour une période initiale de dix ans, qui est reconduit d'année en année. Cet accord a créé de nombreuses structures de dialogue, comme les Sommets, qui réunissent chaque semestre, le président du Conseil européen, le président de la Commission européenne et la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et le président russe Dimitri Medvedev. Il a également permis des avancées en matière économique, avec une très forte augmentation des échanges commerciaux entre l'Union européenne et la Russie, de l'ordre de 400 % en dix ans.

Cet accord, qui est venu à échéance en 2007, est toutefois largement dépassé aujourd'hui car, depuis 1997, l'Union européenne et la Russie ont beaucoup évolué.

Ainsi, l'Union européenne a connu plusieurs élargissements et un net accroissement de ces compétences, qui ne sont pas pris en compte dans l'accord avec la Russie.

Depuis 2007, l'Union européenne et la Russie s'efforcent donc de négocier un nouvel accord qui remplacerait l'actuel accord de partenariat et de coopération.

Alors que le lancement des négociations sur ce nouvel accord avait été initialement bloqué pendant deux ans, par la Pologne, puis par la Lituanie, l'Union européenne est finalement parvenue à ouvrir les négociations en juin 2008.

Gelées dès l'été 2008, en raison du conflit russo-géorgien, ces négociations ont repris peu après mais elles piétinent depuis.

En effet, un profond désaccord persiste sur l'architecture même de ce nouvel accord. L'Union européenne souhaiterait un accord global, incluant le volet énergétique, et à caractère contraignant, alors que la Russie privilégie un accord succinct, centré sur les grands principes et complété ultérieurement par des accords sectoriels.

Par ailleurs, il existe plusieurs différends entre l'Union européenne et la Russie, à l'image de l'énergie.

Ainsi, l'adoption du troisième paquet énergétique par l'Union européenne a donné lieu à de vives critiques en Russie, qui ont été reprises par le Premier ministre Vladimir Poutine lors de sa visite à Bruxelles le 24 février dernier. Les critiques russes se concentrent sur la séparation des activités de gestion de réseau et des activités de production et de fourniture, applicable aux pays tiers dans le cadre de la clause dite « anti-Gazprom ».

On pourrait également mentionner la demande de la Russie d'obtenir une levée de l'obligation de visas, qui est soutenue par la France mais qui se heurte à l'opposition de l'Allemagne et d'autres pays, comme l'Autriche ou les pays baltes.

Il me paraît donc nécessaire de donner un nouvel élan.

Quelles sont les voies pour un renforcement de la coopération entre l'Union européenne et la Russie ?

Pour ma part, je vois quatre sujets prioritaires.

Tout d'abord, il me paraît indispensable de renforcer nos relations dans le domaine économique.

L'Union européenne devrait soutenir l'accession de la Russie à l'Organisation Mondiale du Commerce, alors que la Russie frappe à la porte de cette organisation depuis près de 20 ans.

D'après les personnes interrogées, tant à Bruxelles, qu'à Genève ou à Moscou, les négociations ont connu une forte accélération depuis la rencontre entre Barack Obama et Dimitri Medvedev en juin 2010 et la Russie pourrait être en mesure d'adhérer dès la fin de cette année ou en 2012.

Parmi les difficultés qui subsistent, figurent la consolidation des tarifs douaniers, le montant des aides à l'agriculture, qui est contesté par le groupe de Cairns, le soutien au secteur automobile et l'union douanière entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. À ces difficultés techniques s'ajoutent la levée de l'amendement Jackson-Vanik par le Congrès américain et un éventuel blocage de la Géorgie, même si ces obstacles ne paraissent pas insurmontables.

L'entrée de la Russie à l'OMC devrait constituer une forte incitation pour la Russie à engager les réformes économiques nécessaires, notamment pour faciliter les investissements étrangers.

Cette adhésion pourrait ouvrir la voie à la création d'une zone de libre échange entre l'Union européenne et la Russie.

La Russie aurait un plus grand accès au marché européen, tandis que les entreprises européennes pourraient profiter des potentialités du marché russe, vaste de 140 millions d'habitants et doté d'importantes ressources naturelles.

L'énergie devrait constituer la deuxième priorité.

La relation énergétique entre l'Union européenne et la Russie est souvent présentée sous l'angle d'une trop grande dépendance de l'Europe à l'égard de la Russie.

Il est vrai que les crises du gaz entre la Russie et l'Ukraine ou entre la Russie et la Biélorussie ont fait craindre une utilisation par la Russie de l'énergie à des fins politiques. Ces crises, ainsi que le refus de la Russie de ratifier la Charte de l'énergie, ont conduit l'Union européenne à chercher à diversifier ses sources et voies d'approvisionnement et à adopter plusieurs mesures dans le cadre du troisième paquet énergétique.

Toutefois, même avec la découverte de gaz de schiste, la Russie devrait demeurer le premier fournisseur de l'Europe. Par ailleurs, je voudrais rappeler que même au plus fort de la guerre froide, l'Union soviétique n'a jamais interrompu ses livraisons de gaz à l'Europe. En réalité, il existe une réelle interdépendance puisque si la Russie constitue le premier fournisseur de l'Union européenne, celle-ci représente pour la Russie son principal débouché. Il est donc indispensable de renforcer les relations entre l'Union européenne et la Russie en matière énergétique et notamment de trouver des solutions pragmatiques pour tenir compte des préventions de la Russie à l'égard du troisième paquet énergétique. A cet égard, l'accord entre la Pologne et la Russie en matière de gaz pourrait servir de source d'inspiration.

On pourrait également reprendre une proposition de l'ancien directeur de l'agence internationale de l'énergie, Claude Mandil, de ne pas appliquer la clause dite « anti-gazprom » à la Russie.

Enfin, plutôt que de se lancer dans une concurrence stérile entre le gazoduc Nabucco et le gazoduc South Stream, ne serait-il pas plus judicieux d'étudier la possibilité d'accorder ces deux projets, par exemple en proposant d'associer la Russie à Nabucco ?

La troisième priorité devrait être de renforcer la coopération sur les questions de politique étrangère et de défense.

Dans un monde globalisé, marqué par l'émergence de nouvelles puissances, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, l'Union européenne parviendra-t-elle à établir un partenariat stratégique avec la Russie, ou bien celle-ci se tournera-t-elle vers d'autres partenaires, comme la Chine ?

En sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie représente un partenaire privilégié de l'OTAN et de l'Union européenne en matière de politique étrangère.

Ainsi, la Russie joue un rôle important sur le dossier du nucléaire iranien, elle constitue une voie de transit pour l'Afghanistan et apporte une contribution à l'Union européenne dans plusieurs opérations, notamment au Tchad ou dans la lutte contre la piraterie.

Or, malgré la volonté de l'OTAN et de l'Union européenne d'assurer une place à la Russie dans l'architecture européenne de sécurité, la coopération dans ce domaine est restée limitée.

Certes, il existe le Conseil OTAN-Russie et des consultations sont menées au sein du Comité politique et de sécurité de l'Union européenne (COPS) avec la Russie. Mais ne pourrait-on pas envisager d'aller plus loin et réunir périodiquement un Comité Union européenne-Russie et lancer des opérations communes, par exemple en Transnistrie ?

Lors du Sommet de Lisbonne, l'OTAN et la Russie ont manifesté leur volonté de coopérer sur la défense anti-missiles. Si l'idée d'une répartition géographique des responsabilités n'est pas envisageable, il est néanmoins indispensable de poursuivre la coopération avec la Russie en matière d'évaluation de la menace et d'échanges d'informations entre les systèmes de l'OTAN et ceux de la Russie. Celle-ci pourrait apporter une contribution notable, grâce à ses moyens d'alerte avancée.

Il est dans notre intérêt d'encourager la coopération entre l'OTAN et la Russie, car l'alternative, évoquée par le Premier ministre Vladimir Poutine, serait le retour de la « course aux armements » et un regain de tensions en Europe. Le renforcement de la coopération entre l'OTAN et la Russie permettrait d'aller vers un espace commun de paix, de sécurité et de stabilité sur le continent.

De même, si l'Europe veut demeurer une puissance dans la mondialisation, faire entendre sa voix sur la scène internationale, il est indispensable d'aller vers un partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie.

Enfin, la quatrième et dernière priorité devrait être le renforcement des échanges humains.

Les relations entre l'Union européenne et la Russie resteront incomplètes et fragiles si elles se limitent uniquement aux aspects diplomatiques et qu'elles ne s'accompagnent pas d'une multiplication des contacts au niveau de la société civile.

C'est la raison pour laquelle je suis profondément convaincu qu'il est nécessaire de renforcer la coopération en matière culturelle, d'encourager les échanges d'étudiants ou encore de développer toutes les formes de coopération décentralisée.

La multiplication des échanges constitue un vecteur important de rapprochement entre les peuples. C'est aussi le meilleur moyen de faire progresser la démocratie et les droits de l'homme en Russie.

La Russie constitue un faible risque migratoire et représente déjà l'un des premiers pays en termes de demandes de visas. Alors que l'Union européenne a supprimé l'obligation de visas à l'égard de l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, à l'exception du Kosovo, comment expliquer le maintien des visas avec la Russie ?

Dès lors, pourquoi ne pas supprimer l'obligation de visa avec la Russie ?

La suppression des visas constituerait un signal fort en direction de la Russie et favoriserait les échanges entre les ressortissants russes et les citoyens européens. Elle ouvrirait la voie à la création d'un « véritable espace économique, humain et de sécurité commun » à l'échelle du continent européen.

En définitive, face aux États-Unis et aux puissances émergentes, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, il me semble indispensable, si l'Europe veut rester une puissance dans la mondialisation, qu'elle cherche à unir ses moyens et sa technologie avec les hommes, le territoire et les ressources naturelles de la Russie, de manière à constituer un ensemble de 800 millions d'habitants et pouvoir rivaliser avec les autres grands ensembles, peuplés d'un milliard d'habitants.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc. - Je vous remercie pour ce rapport sur un sujet passionnant et d'une grande actualité. Les relations avec la Russie représentent en effet un défi pour l'Union européenne, compte tenu du fait que la Russie et l'Union européenne partagent non seulement des frontières et des intérêts communs, mais aussi une histoire, une culture et des valeurs communes.

M. Jean Bizet. - Je voudrais également remercier notre collègue pour son excellent rapport. Je souhaiterais vous poser une question qui concerne les relations économiques, et plus spécialement les négociations sur l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce. Si on prend l'exemple de la Chine, on constate que l'adhésion de ce pays à l'OMC a permis des progrès en matière économique, avec notamment une réduction des barrières douanières, le mécanisme de règlement des différends et une meilleure protection des investissements, mais aussi en ce qui concerne la situation des droits de l'homme et de l'État de droit. Concernant les négociations sur l'adhésion de la Russie à l'OMC, vous avez mentionné les différents points qui restent encore en suspens, comme les aides au secteur automobile, par exemple. Mais pourriez-vous nous préciser ce qu'il en est en matière de protection des droits de propriété intellectuelle ? Je me souviens, en effet, que cette question avait été soulevée lors des négociations sur l'adhésion de la Chine à l'OMC et il me semble que la Russie connaît également des difficultés en matière de contrefaçon et de piratage informatique, et, plus largement, en ce qui concerne le respect des droits de propriété intellectuelle.

M. Yves Pozzo di Borgo. - La protection des droits de propriété intellectuelle a effectivement constitué un sujet important dans le cadre des négociations sur l'adhésion de la Russie à l'OMC. Bien que la Russie ait mis en place un arsenal législatif destiné à encadrer la protection des droits de propriété intellectuelle et qu'elle ait ratifié les principales conventions internationales et conclu plusieurs accords bilatéraux sur ce sujet, les États-Unis et l'Union européenne ont fait part, à plusieurs reprises, de leur préoccupation au sujet de l'application sur le terrain et de l'inaction des autorités face à l'ampleur du phénomène de contrefaçon sur le territoire de la Russie. Ainsi, en 2005, le Congrès américain a suspendu le maintien de la « clause de la nation la plus favorisée » à la Russie en conditionnant son rétablissement à l'amélioration de la lutte contre les violations des droits de propriété intellectuelle, les pertes liées à la reproduction non autorisée de produits audiovisuels américains étant estimées à plus de 750 millions de dollars. Cette question semble avoir trouvé une solution satisfaisante dans le cadre des négociations avec l'OMC. Toutefois, comme le montre l'exemple de la Chine, l'adhésion à l'OMC ne suffit pas à elle seule à régler toutes les difficultés.

M. Didier Boulaud. - Je partage de manière générale les conclusions du rapporteur sur la nécessité pour l'Union européenne d'entretenir des relations étroites avec la Russie, compte tenu notamment du rôle important qu'elle occupe sur la scène internationale, même si ce pays connaît aussi des fragilités, avec en particulier une grave crise démographique.

Toutefois, si l'Union européenne peut offrir des concessions à la Russie, comme dans toute négociation, sur des sujets comme les visas ou l'adhésion de la Russie à l'OMC par exemple, il me semble aussi qu'elle doit demander en échange des contreparties à la Russie.

Or, la Russie n'a pas fait preuve jusqu'à présent d'une grande ouverture sur des sujets tels que la Syrie, puisque la Russie s'oppose toujours à l'adoption d'une résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies condamnant la brutale répression par le régime syrien, le cas du Kosovo, dont la Russie n'a pas reconnu l'indépendance ou encore la résolution des conflits gelés, comme l'illustre le conflit russo-géorgien de l'été 2008, qui a été suivi par la reconnaissance par la Russie de l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud et par un renforcement de la présence militaire russe dans ces deux entités. La Russie ne semble pas disposée à se retirer de l'Ossétie du Sud, ni surtout de l'Abkhazie.

Même si j'étais personnellement assez réservé sur l'idée d'une adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN, je pense que la situation de ces deux pays au regard de l'OTAN ne peut pas être mise sur le même plan et que l'Union européenne devrait se montrer plus ferme vis-à-vis de la Russie en ce qui concerne la Géorgie.

Je considère donc qu'il est important d'avoir une approche équilibrée des relations avec la Russie, en accordant des concessions, mais en demandant aussi des contreparties.

Par ailleurs, je voudrais vous interroger à propos de la proposition présentée par le Président Dimitri Medvedev d'un nouveau traité sur la sécurité européenne. Quelle a été la réponse de l'Union européenne et de l'OTAN à cette proposition russe et où en sommes-nous dans les discussions ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Il est vrai que, depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, la Russie a fait son retour sur la scène internationale et qu'elle est un partenaire parfois difficile pour les États-Unis, l'OTAN et l'Union européenne sur un certain nombre de sujets.

Compte tenu du fait qu'elle occupe un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, qu'elle est membre du Quartet sur le processus de paix au Proche-Orient, du groupe de contact sur les Balkans occidentaux, et qu'elle joue un rôle important sur les grands dossiers internationaux, comme le nucléaire iranien, il est toutefois indispensable d'entretenir un dialogue étroit avec la Russie. Je rappelle notamment que récemment la Russie a fait preuve d'une plus grande ouverture sur le dossier du nucléaire iranien, qu'elle s'est abstenue sur le vote de la résolution autorisant l'intervention en Libye, qu'elle a renforcé sa coopération avec l'OTAN sur l'Afghanistan en matière de transit sur son territoire, qu'elle apporte une contribution notable à l'Union européenne pour l'opération EUFOR-Tchad et pour l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie maritime et qu'elle a accepté de renforcer sa coopération avec l'OTAN dans une série de domaines, y compris la défense anti-missiles.

Je considère donc qu'il est indispensable de renforcer les relations entre l'Union européenne et la Russie, comme entre l'OTAN et la Russie, car nous partageons un grand nombre d'intérêts communs et nous devons faire face aux mêmes menaces, comme le terrorisme ou l'instabilité.

Certes, la Russie se montre hostile au vote d'une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies condamnant la répression en Syrie, au nom du principe de non ingérence dans les affaires intérieures et du risque de déstabilisation de l'ensemble de la région, mais ce n'est pas le seul grand pays dans ce cas. Elle s'appuie sur le précédent de la Libye, dont l'intervention de l'OTAN dépasse d'après elle de loin le mandat donné par l'ONU. N'oublions pas non plus que les européens ont une part de responsabilité dans les évènements actuels au Sud de la méditerranée car nos pays ont soutenu pendant longtemps des dictatures qui nous semblaient être le meilleur rempart face à la menace islamiste. D'ailleurs, la Russie, qui est elle-même confrontée au risque terroriste et à la montée de l'islamisme radical, en Tchétchénie, mais plus largement dans tout le Caucase du Nord, craint par-dessus tout des risques de déstabilisation sur son territoire. C'est aussi un facteur qui explique son attitude concernant la Syrie.

S'agissant de la proposition du Président Dimitri Medvedev sur un nouveau traité de sécurité en Europe, qui a été évoquée en juin 2008 à Berlin et présentée fin 2009, et qui serait un instrument juridiquement contraignant, sa principale nouveauté repose sur le principe de «sécurité indivisible», selon lequel toute mesure de sécurité prise par un État ou par une organisation (OTAN, Union européenne) devra prendre en compte «les intérêts de sécurité» des autres parties membres du traité. Ainsi, la Russie accepterait par ce traité de restreindre sa liberté de recourir à la force de manière unilatérale à condition que les pays européens et les États-Unis en fassent de même.

Cette proposition russe représente à mes yeux une contribution utile à la réflexion sur l'avenir de l'architecture de la sécurité en Europe.

Toutefois, tel qu'il a été présenté par la partie russe, ce projet de traité emporterait des conséquences importantes pour les mécanismes actuels de sécurité en Europe.

Tout d'abord, ce traité viendrait en quelque sorte remplacer l'Acte final de la conférence d'Helsinki, acte fondateur dans le domaine de la sécurité en Europe. Le projet russe met davantage l'accent sur la dimension politico-militaire de la sécurité et ne reprend pas la dimension humaine de la « troisième corbeille » d'Helsinki, comme la défense des droits de l'Homme.

Ce traité aurait également des conséquences importantes pour l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et le rôle des États-Unis en tant qu'acteur de la sécurité européenne. Ainsi, ce traité, s'il était accepté tel quel, reléguerait l'OTAN au second plan en forçant les États signataires à s'en remettre, en dernière instance, au Conseil de sécurité des Nations unies. L'Alliance atlantique n'aurait ainsi pas pu engager la guerre en Yougoslavie, en 1999, sans un aval onusien.

Si la France et d'autres pays ont salué cette initiative et se sont déclarés prêts à en discuter, ils estiment toutefois nécessaire d'en débattre au sein de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui est l'enceinte de discussion en matière de sécurité en Europe.

Mme Catherine Tasca. - L'Union européenne doit entretenir des relations étroites avec la Russie, car les deux pays partagent des frontières communes. Je partage toutefois les observations de notre collègue Didier Boulaud et ses interrogations concernant le rôle joué par la Russie sur la scène internationale. Il me semble aussi que, lorsque l'on évoque le renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie, il faut prendre en compte non seulement la politique étrangère de la Russie, mais aussi sa politique intérieure et la situation de la Russie au regard de la démocratie et des droits de l'homme.

Les évènements récents au Sud de la Méditerranée, avec le « printemps arabe », devraient inciter l'Union européenne mais aussi la diplomatie française à s'intéresser davantage à la situation politique, au respect de la démocratie et des droits de l'homme et à accorder plus d'importance au rôle joué par la société civile dans les pays partenaires.

Or, depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, on constate un net recul de la démocratie, du pluralisme et des libertés individuelles en Russie, l'absence de véritables contre-pouvoirs, une répression du régime à l'égard des opposants et même la multiplication des assassinats de journalistes ou de défenseurs des droits de l'homme, à l'image de l'assassinat d'Anna Politovskaia ou celui de Natalia Estemirova, ou encore de l'acharnement judiciaire à l'encontre de Mikhail Khodorkovski.

Je considère donc qu'il faudrait porter davantage d'attention à la société civile en Russie et à la question du respect des droits de l'homme.

Par ailleurs, je m'interroge sur les conséquences d'une levée immédiate et sans conditions préalables de l'obligation des visas de court séjour avec la Russie, sur laquelle je suis personnellement assez réservée.

Une telle mesure, si elle est trop rapide, ne risque-t-elle pas d'avoir des conséquences néfastes en ce qui concerne la criminalité organisée et la traite des êtres humains ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je me suis efforcé dans mon rapport d'avoir une approche aussi précise et complète que possible de la situation des droits de l'homme en Russie. J'ai notamment rencontré des représentants d'organisations non-gouvernementales russes et européennes, dont la représentante de la fédération internationale des ligues des droits de l'homme chargée de suivre la situation en Russie.

En ce qui concerne la démocratie et la situation des droits de l'homme, il est indéniable que la situation s'est dégradée par rapport aux années 1990. Le régime actuel se caractérise par la toute puissance de l'exécutif et l'absence de véritables contre-pouvoirs. Le Parlement est dominé par le parti pro-Poutine « Russie unie » et ne joue qu'un rôle limité. Il existe également des atteintes à la liberté de réunion et de manifestation, comme on a pu le constater par exemple avec la répression policière brutale de la Gay Pride à Moscou ou des manifestations pacifiques de l'opposition. Il y a également les assassinats de journalistes et les atteintes aux activités des ONG ou des défenseurs des droits de l'homme.

Si les libertés politiques sont très limitées, on constate en revanche que la société russe est relativement libre dès lors qu'elle ne s'occupe pas de politique. Ainsi, l'Internet est totalement libre et il existe également des journaux et des radios indépendants.

Par ailleurs, il faut aussi prendre en compte le fait que les années 1990 sont synonymes pour les Russes d'un affaiblissement de l'autorité de l'État, d'un effondrement de l'économie et d'un « pillage » des ressources par les oligarques.

On peut également relever certains progrès ces dernières années, comme le maintien du moratoire sur la peine de mort, la création d'un conseil des droits de l'homme auprès du président ou encore la ratification par la Russie du protocole n° 14 sur la réforme de la Cour européenne des droits de l'homme.

Quelle doit être l'attitude de l'Union européenne face à cette situation ?

Peut-on demander à la Russie, qui est passée de l'empire tsariste au régime communiste, avant de découvrir la démocratie dans les années 1990, de réaliser en vingt ans ce que nos démocraties occidentales ont mis plusieurs siècles à accomplir ?

Plutôt qu'un discours purement incantatoire sur les droits de l'homme et la démocratie en Russie, qui suscite des tensions avec le gouvernement et qui ne recueille d'ailleurs qu'un faible écho en Russie, je crois qu'il serait plus utile pour l'Union européenne d'évoquer ces questions avec fermeté, sans renoncer à nos valeurs, mais dans le cadre d'un véritable dialogue avec les autorités russes.

Ainsi, le mécanisme actuel de consultations sur les droits de l'homme entre l'Union européenne et la Russie mériterait d'après moi d'être renforcé, notamment concernant son articulation avec les instances politiques et les Sommets.

En ce qui concerne les visas, je comprends vos réserves mais je ne les partage pas.

Le risque migratoire en provenance de Russie paraît peu élevé et, en ce qui concerne la criminalité organisée, je ne pense pas que le maintien des visas ait une grande influence. En effet, le système des visas pèse surtout sur les simples citoyens, qui ne peuvent voyager librement, tandis que les organisations criminelles peuvent facilement avoir recours aux faux documents, voire à la corruption pour obtenir les formalités nécessaires.

Je rappelle que la Russie est aujourd'hui l'un des premiers pays en termes de demandes de visas pour l'Union européenne et pour la France, avec environ 350 000 visas par an pour notre pays. Cela représente une charge non négligeable pour les consulats européens, notamment dans la perspective de la biométrie.

La suppression des visas permettrait de renforcer nos échanges économiques et de développer le tourisme. Elle permettrait surtout de renforcer les échanges humains et de multiplier les contacts au niveau de la société civile.

Or, il existe dans ce domaine une forte attente de la part des ressortissants russes, notamment issus de la classe moyenne, qui désirent voyager en Europe.

Les échanges constituent un vecteur important de rapprochement entre les peuples. C'est aussi d'après moi le meilleur moyen de renforcer la protection des droits de l'homme et la démocratie en Russie. C'est la raison pour laquelle je suis personnellement favorable à la suppression des visas.

M. Jacques Blanc. - Quelle a été l'attitude de la Russie à l'égard de la politique européenne de voisinage, et notamment du « Partenariat oriental » et de la « Synergie Mer Noire » ? Quelles sont les raisons qui expliquent le refus de la Russie d'être incluse dans la politique de voisinage ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - La Russie n'a pas souhaité faire partie de la politique européenne de voisinage, car elle ne veut pas être mise sur le même plan que des pays comme la Moldavie ou la Géorgie. Elle insiste au contraire sur le caractère spécifique du partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie.

Par ailleurs, la Russie a accueilli avec une certaine réticence le « partenariat oriental », qu'elle considère comme une intrusion de l'Union européenne dans sa zone d'influence. A cet égard, le choix de l'Ukraine de signer un accord de libre échange avec l'Union européenne ou de rejoindre l'union douanière formée entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, devrait avoir un caractère déterminant pour l'avenir de ce pays.

M. Jacques Blanc. - Il semble que l'Union européenne soit à la recherche d'une formule de partenariat spécifique avec certains pays, tels que la Russie.

M. Yves Pozzo di Borgo. - La Russie a, en effet, été reconnue par l'Union européenne comme un partenaire stratégique, au même titre que les États-Unis, la Chine, le Japon, l'Inde ou le Brésil. Le partenariat avec la Russie est même le plus poussé des partenariats qu'entretient l'Union européenne avec des pays tiers. Ainsi, la Russie est le seul pays avec lequel l'Union européenne a deux Sommets par an et avec lequel des relations ont été institutionnalisées au comité politique et de sécurité (COPS).

A l'initiative du président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy, les chefs d'État et de gouvernement se sont réunis, lors d'un Conseil européen extraordinaire, le 16 septembre 2010, consacré aux relations entre l'Union européenne et ses partenaires stratégiques et ont adopté des conclusions, qui insistent notamment sur la nécessité pour l'Union européenne de mieux définir et défendre ses intérêts, en se fondant notamment sur le principe de réciprocité.

La Russie se distingue toutefois des autres partenaires stratégiques de l'Union européenne, ne serait-ce que parce qu'elle représente pour l'Union européenne, son plus grand voisin.

Je plaide donc dans mon rapport pour un renforcement des relations avec la Russie sur la base d'un partenariat stratégique spécifique.

A terme, la relation entre l'Union européenne et la Russie pourrait donner lieu à un partenariat fondé sur la formule de Romano Prodi « tout sauf les institutions ».

M. Robert Badinter. - Qu'en est-il de la situation de la langue française en Russie ? Avez-vous des éléments en ce qui concerne la coopération universitaire et les échanges d'étudiants ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Il est vrai que ces dernières années, la place de l'enseignement du français en Russie, comme d'ailleurs de la langue russe en France, a reculé, en particulier par rapport à l'anglais. Nous ne sommes plus à l'époque de Tolstoï, qui, dans la version russe de « Guerre et paix », utilise de nombreuses expressions françaises.

Le groupe d'amitié France-Russie du Sénat, présidé par notre collègue Patrice Gélard, se montre très actif sur ce sujet.

Un accord bilatéral sur l'apprentissage de la langue du partenaire a été signé fin 2004. En 2006, 15 220 élèves apprenaient le russe en France, soit une augmentation de 1 000 élèves par rapport à l'année 2004-2005. En Russie, l'apprentissage du français, avec 750 000 apprenants, vient en troisième position, loin derrière l'Allemand, avec 3 millions d'apprenants, et l'anglais, avec 11 millions.

Par ailleurs, le projet d'extension du lycée français de Moscou par son installation dans de nouveaux locaux, semble en bonne voie.

L'année culturelle croisée « Année de la Russie en France » et « Année de la France en Russie », qui s'est déroulée en 2010 et qui s'est traduite par de nombreuses manifestations culturelles dans les deux pays et a rencontré un grand succès populaire, a permis de donner un nouvel élan à la coopération culturelle et linguistique entre nos deux pays.

Afin de maintenir cette dynamique, l'année 2012 devrait être proclamée « année des langues et littératures » russes en France et françaises en Russie, et se traduire par de nombreuses manifestations culturelles. La ville de Moscou devrait ainsi être l'invité d'honneur du salon du livre en 2012.

En revanche, la coopération universitaire me semble très insuffisante. La France n'attire que 3 500 étudiants russes, contre 9 800 en Allemagne et 4 900 aux États-Unis.

L'action de l'Union européenne en la matière est de l'ordre du symbole. 75 étudiants russes seulement ont bénéficié en 2010 d'une bourse de l'Union européenne pour étudier dans une université ou une grande école d'un État membre. Il me paraît donc indispensable de développer fortement la coopération universitaire, d'encourager les échanges d'étudiants et de multiplier le nombre de bourses destinées aux étudiants russes désireux de venir étudier dans l'Union européenne.

La culture et l'éducation constituent un vecteur important de rapprochement des peuples. C'est aussi le meilleur moyen de faire progresser la situation de la démocratie et des droits de l'homme en Russie.

M. Jean Bizet. - Il serait peut-être utile, si les négociations sur l'adhésion de la Russie à l'OMC progressent et qu'elles permettent d'entrevoir un accord, que vous nous présentiez une communication sur ce sujet, qui présenterait les enjeux de cette accession, y compris au regard de la situation de la Russie en matière de droits de l'homme, et qui pourrait éventuellement donner lieu à une résolution du Sénat, afin que le Parlement soit pleinement informé et puisse éventuellement prendre position sur ce sujet.

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A l'issue du débat, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des affaires européennes ont autorisé la publication du rapport d'information, paru sous le numéro 664 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html