Mardi 12 mars 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Aménagement numérique du territoire et feuille de route « Très haut débit » - Audition de M. Etienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (FIRIP)

La commission procède à l'audition de M. Etienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (FIRIP) sur l'aménagement numérique du territoire et la feuille de route « Très haut débit ».

M. Daniel Raoul, président. - Nous allons écouter M. Étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (FIRIP). Cette audition se situe dans le cadre de la feuille de route pour le très haut débit.

M. Étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique. - La FIRIP s'est constituée le 6 décembre dernier afin de regrouper, sous la forme d'un syndicat professionnel, l'ensemble de la filière des réseaux d'initiative publique (RIP). Ces réseaux sont créés sur le fondement de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités publiques, qui a été introduit à l'initiative du Sénat. Notre association regroupe 35 membres qui représentent un milliard d'euros de chiffre d'affaires et plus de 11 000 salariés, à travers plusieurs métiers différents : assistants à la maîtrise d'ouvrage, opérateurs d'opérateurs, intégrateurs, équipementiers, entreprises de génie civil.

Les opérateurs de service sont de deux sortes :

- d'une part une centaine d'opérateurs dits locaux, dont certains interviennent désormais sur de nombreux territoires. Il s'agit de services de proximité ;

- d'autre part des opérateurs intégrés, qui sont à la fois opérateurs d'opérateurs et fournisseurs d'accès aux clients finaux.

Un éco-système s'est ainsi créé autour des RIP, que notre association a vocation à fédérer.

Dans notre contribution à la feuille de route sur le très haut débit, nous avons souligné les points suivants. La priorité doit être donnée à la fibre comme support du très haut débit, tout en complétant au préalable la couverture en haut débit. La gouvernance doit être resserrée, par exemple dans le cadre d'un établissement public. Il convient de s'appuyer sur les référentiels techniques, juridiques et financiers existants, en confirmant et garantissant en particulier les financements, notamment à travers le fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT). Enfin, un échéancier d'extinction de la boucle cuivre doit être précisé afin d'éviter de maintenir deux réseaux séparés.

Nous avons lancé une étude relative au poids économique du secteur. Les entreprises qui ont répondu avaient un chiffre d'affaires total de 670 millions d'euros, dont 270 millions au titre de l'exploitation des RIP et 400 millions pour des prestations industrielles sur les réseaux. Si on y ajoute les opérateurs intégrés, on parvient à un chiffre d'affaires du secteur supérieur à un milliard d'euros, soit environ 10 000 emplois en équivalent-temps plein.

M. Daniel Raoul, président. - La feuille de route marque une convergence claire d'intérêts entre les collectivités territoriales et les industriels que vous représentez, mais le FANT a été créé sans être alimenté. Je souligne que certaines collectivités soufrent d'une mauvaise connaissance de leur sous-sol, alors qu'elles ont une légitimité à agir en la matière. Or il peut arriver qu'elles installent des réseaux, mais que les opérateurs ne les utilisent pas !

M. Bruno Sido. - La situation économique a évolué par rapport au moment où les RIP ont été créés. Je confirme que les collectivités doivent s'entendre avec les opérateurs pour éviter la « fibre noire », celle qui est installée mais pas utilisée. Une difficulté particulière est posée par la montée en débit. C'est un passage obligé dans certains départements avant de passer à la fibre ; or le principal problème n'est pas le manque d'argent, mais les règles posées par l'ARCEP ainsi que le manque de bonne volonté des opérateurs. En quoi votre fédération permet-elle de fluidifier les relations entre les acteurs afin d'aller plus vite ?

Par ailleurs, certains opérateurs ont répondu à des appels à manifestation d'intérêt d'investissement (AMII) dans certaines zones, mais ne mènent ensuite aucune action, ce qui bloque le déploiement. Que faites-vous à ce sujet ?

M. Bruno Retailleau. - S'agissant des choix technologiques, la fibre est l'horizon, mais il ne faut pas se priver de la montée en débit lorsque c'est une étape. Certains voudraient diluer la gouvernance : je pense que l'État, dans ce chantier national, doit garder une capacité d'arbitrage sans abandonner l'expertise aux autorités administratives indépendantes et aux opérateurs privés. De plus, la question de l'extinction du cuivre, qui est une ressource privée, est un faux débat, car elle suppose que 100 % des clients soient reliés à la fibre. Enfin, lorsque les collectivités réalisent des réseaux publics qui ne sont pas redondants avec des réseaux privés, comment garantir qu'ils seront effectivement exploités ?

M. Daniel Raoul, président. - La problématique du cuivre n'est pas sans lien avec la question de la rente de l'opérateur historique.

M. Claude Bérit-Débat. - Je souhaite insister sur deux questions qui ont déjà été évoquées. Beaucoup de communes et d'intercommunalités se sont emparées de la problématique du très haut débit, en lançant des chantiers importants par délégation de service public. Certaines se trouvent confrontées à des difficultés : l'opérateur historique indique être en train d'installer un réseau de fibre alors que la collectivité met en place un schéma directeur. Comment obliger l'opérateur privé à utiliser les réseaux de la collectivité ?

Les appels à manifestation d'intention d'investissement peuvent aboutir à des situations de blocage. Dans la communauté d'agglomération que je préside, un opérateur a manifesté son intérêt pour 13 communes sur les 32. L'intercommunalité ne peut donc intervenir sur le territoire de ces communes. Cela relève peut-être du pouvoir réglementaire, mais il s'agit d'un vrai problème.

M. Daniel Raoul, président. - A l'occasion de l'examen de la proposition de loi déposée par nos collègues Philippe Leroy et Hervé Maurey, le Sénat avait consacré le rôle des collectivités territoriales dans le schéma départemental d'aménagement numérique des territoires (SDANT), lieu de concertation entre les collectivités et les opérateurs. Il va falloir agir sur le plan législatif afin de dépasser les déclarations d'intentions des opérateurs qui ont stérilisé des initiatives publiques. Nous devrons le redire demain à la ministre : il faut aller plus loin sur l'obligation de concertation et sur l'obligation d'utilisation des réseaux publics.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La feuille de route est conçue sur la base de 20 milliards d'euros dépensés sur dix ans. Si on veut que ces investissements jouent un rôle de relance économique rapidement, quel niveau d'investissements pourrait-on atteindre les premières années et quel impact en attendre en termes d'emploi ? Autrement dit, certains projets sont-ils stoppés à l'heure actuelle et pourraient-ils être engagés rapidement si on débloquait plus vite les sommes nécessaires ?

M. Daniel Raoul, président. - L'arrivée du quatrième opérateur a-t-elle un impact direct sur l'investissement et le déploiement de la fibre ?

M. Bruno Sido. - Excellente question !

M. Jean-Christophe Nguyen Van Sang, délégué général de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (FIRIP). - C'est un plaisir pour moi qui ai travaillé pendant quinze ans auprès du président Philippe Leroy d'intervenir devant vous. J'ai pu suivre l'adoption et l'application de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales.

Depuis 2004, le Sénat a été précurseur pour ce qui concerne l'analyse de l'impact de l'ouverture à la concurrence des réseaux de télécommunications, au travers du rapport de Bruno Sido sur la téléphonie mobile, des deux rapports d'Hervé Maurey sur l'aménagement numérique du territoire, ou encore de la proposition de loi de ce dernier et de Philippe Leroy. Ces différents documents ont souligné les retards existant. La loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 avait ainsi consacré l'obligation d'avoir la connaissance des réseaux. Or il a fallu plusieurs années - et des recours - pour que cette obligation commence à être respectée. Les collectivités territoriales continuent à se plaindre encore aujourd'hui de la difficulté d'accéder à cette connaissance.

La « loi Pintat » du 17 décembre 2009 avait consacré l'obligation, à partir du 1er janvier 2011, d'avoir la fibre pour tous les immeubles d'habitation de plus de douze habitants. Ce n'est que quelques mois avant la fin du précédent quinquennat que l'arrêté a été publié : on a pris trois ans de retard pour le déploiement de la fibre dans ces logements.

Sur beaucoup de sujets, le Sénat s'est donc positionné bien en avant et n'a pas été suivi par les Gouvernements successifs.

La FIRIP compte aujourd'hui : ses acteurs économiques mettent en avant leur nombre d'emplois et leur chiffre d'affaires, alors qu'on n'avait jusqu'ici aucun idée de ce que représentait la filière. L'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales comporte deux dispositions : il reconnaît le droit aux collectivités territoriales de décider de construire et d'exploiter les réseaux, mais il réserve aux opérateurs privés la délivrance des services, sauf constat de carence. Il y avait eu une discussion à l'époque pour savoir jusqu'où pouvait aller l'initiative publique. La FIRIP défend donc les intérêts des collectivités. L'article L. 1425-1 précité est la reconnaissance du fait que le secteur privé ne peut pas tout faire et ne fera jamais tout. Il reconnaît ainsi par défaut une compétence non obligatoire aux collectivités locales.

M. Daniel Raoul, président. - Le Parlement en était resté à la notion d'opérateur d'opérateurs, soulignant qu'il ne revenait pas aux collectivités de fournir les contenus.

M. Jean-Christophe Nguyen Van Sang. - S'agissant des zones AMII, les engagements des opérateurs ont concerné 34 000 communes. Lors de son audition par votre commission en janvier 2012, le ministre Éric Besson s'était engagé à donner une évaluation de la réalisation effective des engagements des opérateurs au 1er février 2012. Le Gouvernement n'est aujourd'hui pas en mesure de donner l'évaluation de la réalisation des engagements des opérateurs. La feuille de route sera donc l'occasion d'étudier la réalité des périmètres des zones AMII, ce qui est important car l'initiative de collectivités locales est aujourd'hui bloquée. Il faut vérifier l'effectivité des engagements.

Afficher un objectif quant à la fibre optique est important. Pour autant, une complémentarité est nécessaire pour permettre à la majorité des foyers d'accéder à entre 4 et 6 Mbit/s. Par ailleurs, on a de plus en plus besoin de débits symétriques.

La gouvernance est un sujet fondamental, évoqué par la feuille de route. Le sénateur Bruno Retailleau a évoqué à plusieurs reprises la mise en place d'une task force. L'État doit retrouver son rôle, se repositionner et être l'acteur majeur, y compris par rapport aux autorités administratives indépendantes. Un des enjeux sera de trouver sa place dans un environnement trop longtemps abandonné par les services de l'État. Le Parlement doit lui aussi retrouver son rôle.

L'extinction de la télévision analogique et le basculement vers la TNT peuvent servir de modèle. La modification de la loi audiovisuelle avait été caractérisée par trois éléments : une date d'extinction, un taux de couverture et la création d'un groupement d'intérêt public (GIP) « France Télévision Numérique ». La mise en place de la TNT est une vraie réussite française qui a aboutit à l'existence de 25 chaînes gratuites.

Quand une collectivité s'engage sur la réalisation d'un RIP, c'est qu'elle constate une absence d'initiative privée. Vous avez été sensibilisés bien avant la problématique de la couverture ADSL par la couverture en téléphonie mobile, question qui n'est d'ailleurs toujours pas réglée.

M. Bruno Retailleau. - La question est, quand on s'engage, d'être sûr qu'on ne cache pas des informations quant à la présence de fibre dans le sol...

M. Claude Bérit-Débat. - Voilà !

M. Bruno Sido. - Je suis président du conseil général et il me semble que nos services savent tout ce qui existe à proximité des routes !

M. Daniel Raoul, président. - Vous êtes d'une naïveté surprenante ! Sur les routes peut-être, mais c'est incontrôlable dans une agglomération.

M. Jean-Christophe Nguyen Van Sang. - Même les opérateurs privés n'ont pas toujours une parfaite connaissance de leur réseau.

M. Bruno Retailleau. - C'est tout à fait vrai !

M. Jean-Christophe Nguyen Van Sang. - Chez certains opérateurs, des départs de salariés ont conduit à la disparition de la mémoire collective.

Mme Renée Nicoux. - Il y a donc aussi des pertes de redevances d'occupation du domaine public.

M. Jean-Christophe Nguyen Van Sang. - Parfaitement !

S'agissant de la concurrence, les collectivités se demandent en effet, si elles font un réseau, si elles auront la certitude que les opérateurs vont venir l'exploiter. Depuis plusieurs années, on a répondu en mettant l'accent sur la liberté d'entreprendre. Cette liberté me semble devoir être atténuée par le fait que l'État souhaite promouvoir un développement homogène et structuré des infrastructures de très haut débit, y compris en permettant aux opérateurs de « réserver » des territoires. Comme le rappelait le président Daniel Raoul, il conviendra, dans le cadre de la contractualisation, de s'intéresser aux engagements des opérateurs. Il faut également que le régulateur ne vienne pas, comme l'a souligné le sénateur Bruno Sido, mettre en difficulté l'économie des RIP, qui sont soumis à des obligations spécifiques par rapport aux opérateurs privés. Dans la proposition de loi Leroy-Maurey, un article reconnaissait d'ailleurs le statut d'opérateur d'opérateurs.

M. Étienne Dugas. - Pour répondre à Marie-Noëlle Lienemann, je pense en effet que le déploiement du très haut débit peut être considéré comme un élément de la relance de l'économie française. Ce secteur est créateur d'emplois non délocalisables. La France compte des champions dans les couches basses des télécommunications - en plus d'Alcatel, qui reste une entreprise française, et de Vinci et Bouygues, qui sont les leaders mondiaux en matière de génie civil. Encourageons-les ! Si on accélère les investissements, on peut en effet créer davantage d'emplois. Il faut cependant faire attention à l'« effet bulle ». Les entreprises ont gagné beaucoup d'argent en 2000 et au premier semestre 2011, puis la moitié d'entre elles ont déposé le bilan en 2002. Une montée en puissance graduelle est préférable. Quant on sait que la ligne à grande vitesse (LGV) Lyon-Turin devrait coûter 25 milliards d'euros d'investissement, le très haut débit ne représente pas un investissement monstrueux.

M. Jean-Claude Lenoir. - Un constat s'impose en matière de numérique : le fossé s'élargit entre les zones agglomérées et les zones rurales. On ne mesure pas toujours le ressentiment des personnes qui habitent dans ces dernières.

Après la Seconde guerre mondiale, les Français souhaitaient l'électricité. On a réussi à organiser un réseau très dense permettant de l'amener dans tous les foyers en créant un système de péréquation, le Fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE). Il s'agit d'un prélèvement opéré sur l'ensemble des clients pour permettre aux syndicats intercommunaux d'électrification rurale de faire ce que EDF n'était pas en mesure de faire. Si on ne fait pas quelque chose dans cette direction en matière de numérique, le fossé va encore s'élargir. On parle de l'installation de la 4G dans certaines zones du territoire : une telle annonce choque dans le département de l'Orne que j'ai l'honneur de représenter. Le monde rural est persuadé que le choix a été fait par les opérateurs et par l'État de privilégier les zones agglomérées. Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Raoul, président. - Le rôle de l'État en matière d'aménagement du territoire est une vraie question. Il faudra mettre en place un fonds pour essayer de combler le fossé que Jean-Claude Lenoir vient d'évoquer. L'arrivée de la 4G dans les zones agglomérées peut être perçue comme une provocation alors que la 3G n'est pas déployée dans certaines zones rurales.

Des techniques alternatives à la fibre existent. Il faut avoir le courage de dire qu'il y aura des endroits où on ne « fibrera » pas. Il faudra trouver d'autres solutions comme la 4G ou le satellite... Nous devons être également très sensibles à la question de la symétrie des débits. Le satellite est une solution permettant de relier certaines localités pour avoir accès aux informations « descendantes ». Peut-être pourrait-on coupler le satellite et d'autres réseaux de même nature... mais c'est un autre débat !

M. Étienne Dugas. - Des technologies terrestres permettent la montée en débit, telles que les technologies radio. Le Wi-Max n'est pas la panacée mais il peut permettre de répondre à certaines difficultés.

Dans le rapport des sénateurs Rome et Hérisson, certaines pistes de financement du FANT sont évoquées : une contribution de solidarité numérique sur les abonnements, une taxe sur les produits électroniques grand public, l'affectation d'une partie de la TVA sur les offres composées de services de télévision et de services électroniques, la taxation d'une partie des recettes de la boucle locale de l'opérateur historique, le produit de la rénovation de la fiscalité numérique... Il appartient à l'État de prendre ses responsabilités dans le cadre de la feuille de route et de déterminer comment le FANT va être abondé. Le Président de la République a évoqué à Clermont-Ferrand une piste : une licence qui serait payée par les opérateurs pour utiliser la bande des 1 800 GHz pour faire de la 4G, estimée à 200 millions d'euros. Pourquoi pas ? Cela ne suffira certes pas mais c'est une première piste. On pourrait cumuler plusieurs de ces pistes pour obtenir la somme de 870 millions d'euros évoquée par le rapport Rome-Hérisson.

Une dernière question : quand le guichet du Fonds national pour la société numérique (FSN) sera-t-il de nouveau ouvert ?

M. Bruno Retailleau. - Une réunion du comité de surveillance des investissements d'avenir a lieu demain autour de Louis Gallois. Cette question est inscrite à l'ordre du jour. La ministre nous en dira peut-être plus demain.

M. Daniel Raoul, président. - Il faudra en tout cas lui poser la question.

Mercredi 13 mars 2013

- Présidence conjointe de M. Daniel Raoul, président, et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire -

Aménagement numérique du territoire et feuille de route « Très haut débit » - Audition de M. Jean-Ludovic Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de M. Jean-Ludovic Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Monsieur Silicani, le gouvernement a rendu public, le mois dernier, sa feuille de route sur le déploiement du très haut débit. La Mission de pilotage a été confiée à M. Antoine Darodes de Tailly, directeur de la régulation des marchés du haut et très haut débit à l'Arcep. Quelle est la position de l'Autorité ? Quelles seront les conséquences sur le cadre réglementaire ? Comment faire pour que les réseaux d'initiative publique des collectivités soient exploités ? Comment éviter les doublons avec les réseaux des opérateurs privés ? Nous avions voté à l'unanimité une proposition de loi des sénateurs Hervé Maurey et Philippe Leroy en considérant que les collectivités n'avaient pas un rôle suffisant dans la procédure.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Pour notre part, nous abordons le sujet sous l'angle de l'aménagement du territoire. Les sénateurs Yves Rome et Hervé Maurey, ainsi que Pierre Hérisson, mènent un travail approfondi et très concret. Nous devons rester très vigilants car, si nous avons apprécié qu'un récent rapport sur l'égalité des territoires distingue les territoires de leurs habitants, nous avons regretté que la question du numérique n'y soit pas abordée car elle représente pour certains territoires une dernière chance de désenclavement.

M. Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). - Je m'exprimerai avec prudence car le projet du gouvernement n'est pas totalement finalisé. Dans la feuille de route rendue publique le 28 février, le gouvernement a fait le choix de s'appuyer sur des dynamiques existantes, en les complétant. Cette méthode pragmatique, qui intègre les travaux réalisés depuis cinq ans par les collectivités territoriales, les opérateurs et les régulateurs, est plus efficace que la tabula rasa qui aurait bloqué les investissements pendant un ou deux ans et été source d'incertitude.

Si ce plan comporte des mesures nouvelles, il s'inscrit aussi dans la continuité avec, d'abord, le maintien du cadre réglementaire édicté par l'Arcep en 2010 et 2011, en application de la loi de modernisation de l'économie de 2008 et de la loi Pintat contre la fracture numérique de 2009. Le gouvernement a fait le choix de la lutte contre la fracture numérique, à la différence des pays de l'Est, qui affichent des taux de couverture du haut débit en apparence très supérieurs alors que certains territoires roumains, bulgares ou russes sont totalement dépourvus de couverture par des réseaux fixes, ou des États-Unis, dont le modèle repose sur l'initiative privée.

Ce modèle ambitieux, choisi par notre pays, qui combine l'initiative publique et privée pour parvenir à atteindre une couverture haut débit dans des délais rapides - d'ici à 2025 auparavant, d'ici à 2022 désormais -, a pour objet de construire le réseau de communication du XXIe siècle. Il implique des investissements de l'ordre de 25 milliards d'euros. Ne nous laissons pas impressionner par les chiffres : en part de PIB, cela représente trois fois moins que les investissements consentis pour la construction du réseau de chemins de fer à la fin du XIXe siècle.

Le cadre règlementaire de l'Arcep n'interdit aucun déploiement à aucun opérateur. Nous procéderons à une analyse de marché du haut et très haut débit en juillet, qui s'appliquera pour trois ans. Nous apprécierons alors si le cadre réglementaire mérite d'être infléchi.

Autre élément de continuité, le déploiement du réseau doit s'accompagner d'actions complémentaires et cohérentes des acteurs publics et privés. Là encore, la situation est différente dans d'autres pays. Le gouvernement entend conserver les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, rendus obligatoires par la loi Pintat et réalisés avec une célérité exceptionnelle par les départements. Il s'agit de les conforter pour éviter les investissements redondants entre collectivités ou entre les acteurs publics et privés. Ces documents constituent la cheville ouvrière de la stratégie territoriale d'aménagement numérique définie par les départements.

Les innovations de la feuille de route s'inspirent largement des réflexions parlementaires, formulées dans la proposition de loi Leroy-Maurey, dans les rapports des députées Corinne Erhel et Laure de La Raudière, ou des sénateurs Yves Rome et Pierre Hérisson, ainsi que de propositions d'associations de collectivités locales. La première inflexion tient au renforcement du pilotage par le gouvernement du programme d'investissement stratégique. Nous l'appelions de nos voeux. Il était nécessaire que l'Arcep ne soit pas seule. Une mission de pilotage a été mise en place auprès de Mme Fleur Pellerin.

La deuxième nouveauté est la volonté de généraliser les conventions passées entre opérateurs et collectivités, dans chaque plaque territoriale, dans les zones AMII, où des investissements privés sont programmés. Il importe que les opérateurs définissent précisément leurs engagements, sur le calendrier des études et des travaux, comme sur le montant des investissements programmés zone par zone. Bien que leur valeur juridique soit discutée, elles constitueront un gage de visibilité.

L'extinction du réseau cuivre a également été décidée. Ses modalités seront précisées au terme de l'expérimentation en cours à Palaiseau. L'Arcep veillera à ce que cette opération ne porte pas atteinte à l'équilibre concurrentiel, en reconstituant un monopole au profit de l'opérateur historique. Les opérateurs privés, qui ont accès au réseau cuivre grâce au dégroupage, devront avoir accès à un prix raisonnable au nouveau réseau constitué par la fibre.

Enfin l'aide de l'État au financement des réseaux a été pérennisée : l'État soutiendra le déploiement des réseaux notamment dans les territoires les moins denses, où les investissements locaux et privés sont les plus faibles. Le coût de la boucle locale est estimé à 22 milliards, hors réseaux de collecte et hors raccordement final, deux milliards ayant déjà été engagés. Reste que l'engagement public semble sous-estimé et qu'il faudra sans doute le réévaluer. Alors que, selon la feuille de route, les investissements seront financés pour un tiers par des fonds publics, et pour deux tiers par les opérateurs privés, l'Arcep estime que la part de financement public se montera à 40 %. Le financement public s'élèvera à huit milliards au cours des dix prochaines années. Les collectivités territoriales devront débourser pour le très haut débit entre 400 et 450 millions par an, soit autant que pour le haut débit depuis 2005. L'État devra trouver le même montant. Le président de la République a évoqué une hausse des redevances acquittées par les opérateurs, au titre des fréquences : la redevance variable s'établit à 200 millions par an, tandis que la partie fixe annualisée pourrait rapporter, après refarming de la bande 1800 MHz, 200 millions supplémentaires.

Il est important que la méthode retenue de concertation et de recherche du consensus, qui a présidé à la rédaction de la feuille de route se poursuive. Le consensus est nécessaire à la réalisation des objectifs ambitieux fixés : permettre à 50 % des foyers de devenir éligibles au très haut débit, soit un débit supérieur ou égal à 30 mégabits par seconde, en 2017, 100 % en 2025, au lieu de 25 % aujourd'hui, 8 % étant éligibles à la fibre optique et les autres au câble.

M. Yves Rome. - La feuille de route améliore un dispositif dont les imperfections étaient connues. Je ne partage pas votre définition du très haut débit : le haut débit c'est 100 mégabits, et non 30. C'est avec ce critère que l'on mesurera la réalité des déploiements.

La mission Darodes travaille à une convention type, mais il faudra préciser les délais. Les opérateurs réclament des délais de réalisation des investissements de cinq ans. Pour une fois, je soutiens la position des autorités européennes qui souhaitent un horizon de trois ans. De plus les conventions ne sont pas assez coercitives : il ne faudrait pas que les opérateurs puissent se dégager des obligations les plus difficiles à atteindre.

Loin d'être anodine, l'extinction du réseau cuivre est un enjeu essentiel. L'action des collectivités territoriales est fondamentale et doit être soutenue. Des prêts bonifiés sont prévus. Cependant la perspective d'une amélioration du réseau en fil de cuivre constitue pour elles une épée de Damoclès. Aussi, il est indispensable de mieux préciser les modalités techniques et financières qui présideront à l'extinction du cuivre et rendront de facto obligatoire l'exploitation du réseau que les collectivités auront construit. A cette condition, nous atteindrons le même résultat, certes plus lentement, que si un opérateur unique s'était vu confié la charge de construire un réseau pour le louer aux autres opérateurs.

M. Daniel Raoul, président. - C'était la question que suggérait le président Vall.

M. Michel Teston. - La feuille de route marque une étape nouvelle dans l'organisation de la régulation. Le rapport de Mmes Erhel et de La Raudière suggère de s'engager dans une approche modernisée de la régulation, fondée sur la concertation et prenant en compte l'ensemble de la filière. Un établissement public sera créé ; un observatoire des investissements et des déploiements dans les réseaux mobiles verra le jour. Grâce à des conventions entre opérateurs et collectivités locales, ces dernières pourront prendre le relais en cas de carence sans intervention du régulateur. L'État sera ainsi chargé de missions - anticipation, évaluation, etc. - qui ne relevaient pas de la responsabilité du régulateur. Que pensez-vous de cette nouvelle vision de la régulation ?

M. Hervé Maurey. - Je ne vous interrogerai pas sur la feuille de route : en tant que président d'une autorité administrative indépendante, il vous serait difficile de me répondre. Vous avez indiqué à juste titre qu'elle s'inscrivait dans la continuité : on note en effet peu de changements entre la politique de Mme Pellerin et celle de M. Besson.

On évoque le très haut débit. Les nombreux territoires qui n'ont pas accès au haut débit seront-ils oubliés jusqu'à l'arrivée de la fibre optique ?

Une question sur la téléphonie mobile : le programme de résorption des zones blanches a été suspendu. J'ai été surpris quand l'Arcep a estimé que mon département n'en comptait plus. Je vous invite à venir vous y promener.

M. Philippe Leroy. - Notre proposition de loi concernait aussi la téléphonie mobile. C'est un sujet lié.

La feuille de route marque un progrès, mais résulte d'une action collective. Je me réjouis de cette reprise en main par l'État. Tous la souhaitaient. L'État devra exercer sa politique à la fois au niveau national, dans le cadre que préfigure la mission Darodes, et au niveau local. Or la situation reste floue sur ce plan. Certes le rôle déterminant des départements a été maintenu, mais il faudra que l'État accompagne les collectivités dans l'élaboration des schémas, qu'il conviendra en outre de rendre obligatoires - Mme Pellerin semble favorable à une loi.

L'expérience de basculement du réseau cuivre vers la fibre optique, en cours à Palaiseau, durera un an. Il ne faudrait pas que les complications éventuelles qui y seront constatées constituent un prétexte pour différer les projets. Pourquoi ne pas réaliser une expérience de basculement du réseau câblé vers la fibre optique ? De nombreux citoyens sont concernés.

M. Bruno Retailleau. - Le grand soir n'est pas arrivé. Autre point positif, avec cette feuille de route, les collectivités pourront déployer les réseaux si ceux-ci ne créent pas de redondance.

En ce qui concerne la 4G, certains rapports ont critiqué l'absence de prise en compte préalable de la fracture territoriale numérique par l'État et l'Arcep. Quant au dividende numérique, je veux rendre hommage à l'Arcep qui m'a soutenu dans un bras de fer avec le ministre quand je demandais l'application de la loi Pintat dans toute sa rigueur.

Les opérateurs sont en phase de déploiement du réseau ; en 2013 l'expérimentation est terminée. Si la bande 1800 Hz fait l'objet d'un refarming, le déploiement entre dans une phase industrielle et l'Arcep doit surveiller les trajectoires d'investissements dans les zones prioritaires, soit 78 % du territoire, afin que le déploiement soit concomitant à celui de la 4G dans les zones denses.

Pensez-vous que Free, compte tenu de son plan d'investissement, sera en mesure de se passer du contrat d'itinérance conclu avec Orange en 2018 ? Partagez-vous la conception passive de la mutualisation des infrastructures énoncée par l'Autorité de la concurrence ? Celle-ci indique également que la concurrence par les infrastructures n'est pas un modèle dépassé et qu'elle doit rester le coeur de la régulation. Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Raoul. - Sérions les sujets : je propose de consacrer une autre audition à la téléphonie mobile.

M. Bruno Retailleau. - Le fixe et le mobile s'imbriquent dans le très haut débit !

M. Bruno Sido. - En effet, tout est lié ! Les schémas auront beau être obligatoires, les questions liées à la collecte des fonds ou au génie civil résolues, on se heurtera toujours aux blocages de l'opérateur historique. La création d'un point de montée en débit dépend de l'existence d'un sous-répartiteur entre le noeud de raccordement et l'abonné. En son absence, il est impossible d'avancer car France Télécom freine des quatre fers. Prenez-vous des mesures pour forcer le passage ?

Mme Élisabeth Lamure. - Le très haut débit concerne aussi les entreprises. Celles-ci ont accès à l'offre grand public mais sont pénalisées par les ruptures de services parfois fréquentes et longues : elles ont alors recours à des réseaux dédiés à des tarifs onéreux. Comment réguler ces offres pour favoriser la concurrence ? Une baisse des prix de moitié voire des deux tiers serait une bonne nouvelle pour la compétitivité.

M. Jean-Ludovic Silicani. - La définition du seuil du THD a donné lieu à un débat byzantin. La Commission européenne a retenu le seuil de 30 mégabits, seuil repris implicitement dans la feuille de route. Deux définitions coexistent : un seuil de 30 mégabits par les réseaux câblés opticalisés et un seuil supérieur à 100 mégabits pour les réseaux FttH. L'objectif des pouvoirs publics est, à terme, de donner à l'ensemble de la population accès à un débit de 100 mégabits grâce au FttH. Les blocages ne relèvent pas du financement, ils sont opérationnels. La main d'oeuvre qualifiée manquera à partir de 2015 ou 2016 pour installer deux millions de lignes par an. Un effort de formation est indispensable.

La rédaction d'une convention type est souhaitable pour ne pas réinventer la lune à chaque fois. Quant à la durée de réalisation des intentions, le Commissariat général à l'investissement accordait les prêts et fixait, dès lors, ses conditions. Elles dépendent d'un simple arrêté du Premier ministre. Conformément aux règles communautaires, le délai laissé à l'opérateur pour réaliser son réseau et à la collectivité pour agir en cas de carence devrait être ramené de cinq ans à trois ans.

L'extinction du réseau cuivre : faut-il ménager des étapes intermédiaires avant l'arrivée du THD ? Il sera impossible, en effet, de rendre éligibles immédiatement 35 millions de foyers. Des investissements sont nécessaires pour améliorer le réseau existant, à condition d'éviter les gaspillages et de ne pas en tirer prétexte pour différer le THD. L'Arcep, en lien avec la Mission « Très haut débit », cherche à trouver un équilibre entre une offre régulée de montée en puissance du haut débit et l'accélération du déploiement du FttH.

Monsieur Teston, l'article L. 32-1 du Code des postes et télécommunications énumère, dans un inventaire à la Prévert, pas moins de 22 objectifs communs que le ministre et l'Arcep doivent respecter, dans l'exercice de leurs compétences respectives, lesquelles sont définies pas d'autres dispositions législatives en application du cadre communautaire. Toute modification suppose une modification de ces textes. Nous n'avons jamais outrepassé nos compétences. Nous nous sommes battus avec M. Eric Besson pour que les fréquences de la 4G soient allouées en fonction d'un objectif prioritaire d'aménagement du territoire, conformément à la loi Pintat. Nous appliquons la loi. Que ceux qui ne l'aiment pas la changent !

Les rapports parlementaires proposent également de renforcer certaines missions qui relèvent du gouvernement et d'autres qui relèvent de l'Arcep. Nous entretenions avec le précédent gouvernement de bonnes relations. Il n'y a pas de raison pour que cela change.

Je suis, enfin, d'accord pour répondre aux questions sur la téléphonie mobile lors d'une audition spécifique.

Monsieur Retailleau, l'avis de l'Autorité de la concurrence s'inspire de celui que nous lui avions transmis. Il lui appartient de rappeler son attachement à la concurrence par les infrastructures ; il nous revient de rappeler que cet objectif doit être contrebalancé par d'autres objectifs fixés par la loi, comme l'aménagement du territoire ou la compétitivité des entreprises. Chacun est dans son rôle, même si notre position apparaît un peu plus équilibrée.

Pour le mobile comme pour le fixe, nous suivrons les investissements grâce à un observatoire des investissements et des déploiements dans les réseaux mobiles. Nous traitons les données fournies par les opérateurs. Nous les publierons d'ici mai. En cas d'investissements insuffisants, nous pourrons recourir à la mise en demeure anticipée.

Monsieur Leroy, une erreur a été commise lors de la réforme des télécoms en 1997 : l'Etat n'a conservé aucune compétence au niveau déconcentré en la matière, les effectifs des directions locales ayant été transférés à France Télécom. Il conviendrait de recruter un ou deux ingénieurs dans chaque région pour assister les préfets et relayer l'action des services centraux.

Madame Lamure, les offres aux entreprises constituent un chantier prioritaire de l'Arcep en 2013. Bien qu'il s'agisse d'offres régulées, davantage de concurrence serait bénéfique aux entreprises. Les offres actuelles, en dépit d'améliorations récentes, restent coûteuses.

M. Daniel Raoul, président. - Je vous remercie et je vous confirme mon invitation pour une nouvelle audition concernant la téléphonie mobile.

Aménagement numérique du territoire et feuille de route « Très haut débit » - Table ronde avec des représentants des opérateurs télécoms

La commission procède, en commun avec la commission du développement durable à l'audition, sous forme de table ronde, des représentants des opérateurs télécoms.

M. Daniel Raoul, président. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin MM. Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom, Eric Debroeck, directeur de la réglementation de France Télécom - Orange, Olivier Henrard, secrétaire général de SFR, Laurent Laganier, directeur de la réglementation et des relations avec les collectivités du Groupe ILIAD (Free), Yves Le Mouël, directeur général de la fédération française des télécoms (FFT), et enfin Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable/Completel.

Je laisse tout de suite la parole à Michel Teston sur le thème de la gouvernance du déploiement de la fibre.

M. Michel Teston. - Merci monsieur le président. La feuille de route annoncée par le Gouvernement prévoit, pour ce qui est du pilotage national, le retour d'un État stratège. Cela se traduira notamment par la création d'un établissement public chargé de coordonner et d'accompagner les différents acteurs. S'agissant des projets des collectivités locales, la présence de l'État sera plus forte, avec la mise à disposition de référentiels techniques et la création d'un observatoire des déploiements. Quant à son soutien financier, il sera important, avec des prêts et des subventions. S'agissant des engagements des opérateurs privés, qui ne font actuellement l'objet d'aucune sanction en cas de non réalisation du réseau, ils seront désormais encadrés par la passation de conventions avec les collectivités locales, permettant à celles-ci de prendre le relais en cas de carence. L'observatoire des déploiements devrait veiller à la bonne exécution des conventions. Il s'agit d'une logique de coordination des initiatives privées et publiques.

La principale question que nous souhaitions vous poser est de savoir si ce dispositif facilitera l'atteinte de l'objectif de couverture intégrale de la population sous dix ans.

M. Pierre Hérisson. - La feuille de route prévoit la création d'une mission confiée à une personnalité reconnue afin de préciser un calendrier d'extinction du cuivre, objectif que le Gouvernement présente comme majeur. Ses conclusions sont attendues pour la fin de l'année 2014. Ce basculement est-il réellement envisageable ? Quelles seraient ses implications concrètes pour les opérateurs ? Avec quelques parlementaires ici présents, nous suivons ce dossier depuis 1995. Pour reprendre un proverbe chinois, je dirais que lorsqu'il y a deux capitaines, le bateau coule. Que n'avons-nous fait de contorsions depuis 1995 sur le sujet...

Vous m'avez confié, monsieur le président, le thème du basculement du cuivre vers la fibre. Le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), M. Jean-Ludovic Silicani, vient de rappeler qu'un des objectifs majeurs était de veiller au respect des règles de la concurrence. Or la priorité devrait être avant tout la couverture du territoire.

Dans la loi, le règlement définitif du problème de la propriété du réseau de cuivre est assorti d'une contrepartie toujours en vigueur aujourd'hui : l'opérateur historique, qui est défini comme le propriétaire du réseau cuivre, aux côtés d'autres opérateurs qui sont propriétaires de réseaux, a une obligation de service universel, c'est-à-dire une obligation de couverture par le téléphone fixe de la totalité du territoire. Depuis plusieurs années, des réflexions ont été engagées sur l'opportunité d'un service universel de l'ADSL. Cette solution n'a finalement pas été retenue.

Néanmoins, nous nous trouvons aujourd'hui confrontés à un problème juridique réel s'agissant du basculement. Le réseau de cuivre appartient à l'opérateur historique. Le législateur l'a contraint à laisser passer les autres opérateurs sur le réseau dont il est propriétaire. Comment va-t-on faire pour imposer au propriétaire du réseau de ne plus l'utiliser et de recourir à d'autres solutions techniques pour assurer l'obligation qui lui est faite du service universel de la téléphonie fixe ? Il y a là un véritable problème sur lequel il faudra interpeller l'Arcep. Dès lors qu'on veut être réaliste, cette négociation va coûter cher en termes de rachat ou d'indemnisation du réseau cuivre. Il va falloir ajouter quelques milliards à une facture pour laquelle on n'a déjà pas le courage de faire l'addition !

M. Daniel Raoul, président. - Je vous propose de donner maintenant la parole aux opérateurs, concernant ces deux questions portant à la fois sur la faisabilité de la gouvernance prévue via les conventions et sur le problème concomitant de l'aménagement numérique du territoire et de l'extinction du cuivre.

M. Oliver Henrard, secrétaire général de SFR. - Je commencerai par quelques mots rapides sur le groupe. SFR représente 26 millions de clients aujourd'hui, dont 5,1 millions dans le fixe. L'entreprise a réalisé 1,6 milliard d'euros d'investissements en 2012 et a un objectif équivalent en 2013. Pour ce qui est de la fibre, SFR s'est positionné comme un opérateur développant sa propre infrastructure de réseau, et acquérant par ailleurs des droits d'usage sur les réseaux des autres opérateurs de manière à disposer de son indépendance financière et technologique pour l'ensemble du territoire.

Fin 2012, SFR avait investi 550 millions d'euros dans la fibre, et déployé 57 000 kilomètres de réseau. Nous poursuivrons nos efforts d'investissement en 2013, à hauteur de 140 millions d'euros. Fin 2013, nous aurons équipé 1,5 million de logements au total, à la fois dans les zones très denses définies par l'Arcep et dans les zones moins denses. Dans ces dernières, nous allons respecter le calendrier d'investissement sur lequel nous nous sommes engagés à l'occasion de l'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) lancé par le Commissariat général à l'investissement (CGI). Pour mettre en oeuvre cet engagement, nous avons conclu avec Orange un accord pour déployer nos réseaux sans doublons. Aux termes de cet accord, qui couvre 9,8 millions de logements au total, SFR desservira 2,3 millions de logements et 593 communes. La couverture de l'ensemble de ces 593 communes sera initiée, pour ce qui concerne leur traitement, avant la fin de l'année 2015.

Sur la question de la gouvernance du déploiement, la préoccupation de SFR rejoint l'intérêt général, puisque notre souci est d'atteindre la meilleure complémentarité possible entre initiatives privées et avec les initiatives publiques. C'est pour cette raison que nous avions initialement souhaité une intégration la plus poussée possible au sein d'une société commune à tous les acteurs privés et publics de la fibre. A défaut d'une telle structure, nous appelons de nos voeux l'intervention de l'État, par exemple à travers la création d'un établissement public national qui permettra de garantir coordination et complémentarité. Cette structure devra également s'assurer de ce que les technologies employées évitent de prolonger inutilement la vie du cuivre, afin de ne pas perturber les stratégies d'investissement dans les nouvelles technologies.

Nous souscrivons totalement à l'idée d'offrir aux collectivités territoriales une visibilité maximale pour que celles-ci puissent programmer leurs propres investissements. C'est pour cela que nous acceptons tout à fait de conclure des conventions qui permettront d'acter les perspectives de déploiement des parties publiques et des parties privées. Nous avons déjà signé des conventions de cette nature, avec le conseil général du Loiret, avec le Grand Lyon, et bientôt avec Marseille métropole. S'agissant en revanche d'assortir ces conventions de mécanismes de sanctions unilatéraux, nous n'y sommes pas favorables. Nous investissons avec un horizon de rentabilité de 15-20 ans au minimum, quelles que soient les zones. Nous nous exposons donc à des aléas industriels et réglementaires. On ne pourrait raisonnablement mettre en place un mécanisme de sanction a priori qui fasse l'impasse sur ces aléas.

En ce qui concerne le basculement du cuivre vers la fibre, il n'y a pas d'incitation plus forte au déploiement de la fibre que la perspective de l'extinction du cuivre. Cette perspective d'extinction du cuivre est bien plus efficace que d'éventuelles sanctions qui pourraient être mises en place à destination des opérateurs. Cette extinction garantira également la rentabilité à long terme des investissements que nous nous apprêtons à engager, et attirera des investisseurs financiers aujourd'hui souvent réticents à s'associer aux projets des opérateurs.

Nous considérons que l'extinction doit être rendue possible dans toutes les zones, et pas seulement à l'initiative d'Orange. Un opérateur comme SFR doit pouvoir demander une extinction concomitante avec le déploiement de son propre réseau. Par ailleurs, cette extinction ne sera possible que si l'offre de fibre qui vient se substituer au cuivre n'impose pas de surcoût par rapport au dégroupage. Ce n'est pas le cas aujourd'hui puisque le coût mensuel de la ligne optique est de 16,47 euros, contre 8,80 euros pour la ligne de cuivre.

Enfin, à partir du moment où le cuivre est voué à l'extinction, il ne nous semble pas équitable que la tarification actuelle du cuivre par Orange lui permette de bénéficier de revenus suffisants pour assurer le renouvellement des actifs, pour reprendre les termes de l'Arcep. Il ne s'agit pas, en matière de cuivre, de renouveler des actifs qui sont voués à disparaître, mais de financer les actifs du futur, à savoir la fibre. Une partie de cette ressource perçue par Orange, cette surfacturation du cuivre, nous semble devoir être mutualisée pour être affectée au financement, public ou privé, du déploiement de la fibre.

Une tarification du cuivre différenciée en fonction des zones pourrait également être envisagée, pour inciter l'ensemble des acteurs de la zone concernée, qu'il s'agisse des opérateurs ou des abonnés, à migrer plus rapidement vers la fibre.

Ultime piste sur laquelle nous souhaitons travailler : le Gouvernement pourrait accélérer le fibrage des immeubles en modifiant la loi sur la modernisation de l'économie de 2008 afin de rendre obligatoire, non seulement l'inscription à l'ordre du jour des assemblées de copropriétaires la proposition de câblage d'un opérateur, mais aussi la désignation effective d'un opérateur pour réaliser ce câblage.

M. Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom. - Le marché du fixe en France est un marché peu fluide. La meilleure preuve en est que, malgré une stratégie agressive, avec une croissance très significative, nous n'avons pu prendre que 7  % de ce marché en cinq ans. Bouygues Telecom regroupe 2 millions de clients fixes, avec une forte croissance sur l'année passée. Nous sommes le dernier opérateur à entrer sur le marché du fixe, en 2008. Nous avons 300 000 clients très haut débit, ce qui fait de nous le deuxième opérateur sur le parc très haut débit.

Le très haut débit est une composante essentielle de notre stratégie dans le fixe. Nous mettons l'accent sur l'innovation et la valorisation des services. En tant que dernier entrant sur le marché, nous devons nous comporter en investisseur avisé et sélectif. Cela nous a conduits en particulier à ne pas déployer d'infrastructure FttH en propre. Nous avons privilégié la location avec notre partenaire Numericable ou le co-investissement avec Orange et SFR.

Nous investissons 74 millions d'euros par an pour financer les projets de très haut débit sur la zone très dense, en co-investissement avec SFR et Orange. En zone AMII, l'accord de co-investissement signé ce dernier sera activé concrètement lorsque nous disposerons d'une visibilité suffisante, à la fois sur la couverture cible, le rythme et la localisation précise des déploiements FttH. Par ailleurs, nous participons à l'opération pilote de Palaiseau et sommes également présents dans les RIP. Ces quelques remarques vous permettent de mieux situer le positionnement de Bouygues sur ce marché du très haut débit.

En ce qui concerne la gouvernance du déploiement, je ferai une triple distinction. Tout d'abord, au niveau central, Bouygues Telecom approuve les orientations de la feuille de route qui visent à renforcer les prérogatives de l'État en matière de coordination. Nous estimons qu'elles auront des effets bénéfiques en matière de structuration professionnelle et de soutien opérationnel aux projets des collectivités par la définition d'un cadre commun de financement des réseaux d'initiative publique (RIP).

Nous nous réjouissons de la proposition de mise en place de conventions de programmation et de suivi des déploiements. Toutefois, compte tenu des objectifs très ambitieux qui sont affichés, il nous semble que des dispositifs plus contraignants auraient pu être définis au cas où les opérateurs ne respectent pas leurs engagements. Je rappelle que la piste des sanctions financières a été évoquée au cours des auditions conduites par Pierre Hérisson et Yves Rome. Il est également prévu qu'une collectivité puisse se subtituer à un opérateur défaillant mais les modalités de ce dispositif mériteraient d'être précisées.

En ce qui concerne la gouvernance des RIP, nous constatons, malgré d'indéniables avancées, une excessive hétérogénéité de la taille et des types de ces derniers, ce qui peut obérer leur développement. Nous estimons donc souhaitable de favoriser l'émergence de structures de portage régional, avec des guichets uniques.

S'agissant du basculement du cuivre à la fibre optique, nous pensons tout d'abord que l'extinction du premier est nécessaire à la sécurisation des investissements dans le second. La feuille de route a souligné, à juste titre, qu'il n'était pas pertinent de maintenir les deux infrastructures mais l'exigence de pragmatisme amène à constater que l'abandon brutal du cuivre pourrait susciter des difficultés pratiques et juridiques. C'est pourquoi nous approuvons la solution qui a été proposée, de recourir à une évaluation préalable par une personnalité reconnue. L'idée qui nous semble pertinente consisterait à dissocier dans le temps l'extinction du cuivre et l'arrêt de la commercialisation du DSL.

Enfin, il nous semble hautement souhaitable d'encadrer et de cibler strictement l'usage des technologies de type VDSL qui permettent d'augmenter artificiellement le débit et la durée de vie du cuivre, sans quoi on se tire une balle dans le pied en favorisant, de manière générale, une technologie dont on prévoit par ailleurs l'extinction.

M. Laurent Laganier, directeur de la réglementation et des relations avec les collectivités du groupe ILIAD. -  Je rappelle très rapidement que Free est un opérateur fixe et mobile - depuis un an - qui réalise un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros. Free est un des seuls opérateurs à verser très peu de dividendes, ce qui l'amène à réinvestir de l'ordre d'un milliard d'euros par an, soit 35 % de son chiffre d'affaires. 800 millions d'euros ont été investis dans la fibre, pour l'essentiel en zone très dense. Nous avons l'intention de poursuivre ce déploiement de notre réseau et nous avons également décidé de souscrire à offre de cofinancement lancée par Orange dans 60 départements

En matière de gouvernance, je n'ai pas de remarques particulières à formuler : la demande de visibilité des collectivités locales nous semble parfaitement légitime, de même que leur volonté de reprendre la main si le co-financement privé ne peut plus être assuré.

Sur la gouvernance des réseaux d'initiative publique, nous formulons une seule demande : nous souhaiterions pouvoir être consultés sur les offres avant qu'elles ne soient lancées ou en amont des procédures. A l'heure actuelle, nous sommes trop souvent placés devant le fait accompli, avec une offre verrouillée, fixée par le délégataire et votée par la collectivité, ce qui entraîne, par la suite, des discussions longues et parfois pénibles. Nous plaidons donc pour un renforcement des modalités de concertation

Mon principal regret sur la feuille de route - qui dans son ensemble nous semble très positive - concerne la partie des réseaux qui se situe sur des parties privatives, y compris à l'intérieur du logement. Cette dernière représente entre un quart et un tiers du coût de l'installation de la fibre optique. Je rappelle que pour les autres réseaux (eau, électricité, téléphone...) c'est le propriétaire privé qui supporte le coût d'installation dans sa partie privative. Je vois mal comment on pourrait préserver la compétitivité de l'offre de déploiement du très haut débit par fibre optique en imposant aux opérateurs un surcout de 30 à 50 % lié à la prise en charge du financement de l'installation dans les parties privatives. Nous souhaitons donc une réflexion sur ce point.

Je rejoins l'opinion du représentant de SFR sur les modalités de basculement du cuivre à la fibre. Il est au minimum nécessaire de préserver la possibilité pour nos abonnés de continuer à bénéficier de l'offre traditionnelle à laquelle ils étaient habitués et, si on leur propose de basculer du cuivre à la fibre, il faut que les conditions financières de la nouvelle offre ne s'écartent pas trop de l'existant.

A titre personnel, j'estime qu'on enterre le cuivre un peu trop vite. On sous-estime les avancées technologiques qui permettraient d'améliorer les débits de l'infrastructure en cuivre, au moins dans la partie terminale des réseaux. Il faudrait, à mon sens, laisser sa chance à cette technologie. J'ajoute qu'historiquement, les technologies nouvelles remplacent les anciennes parce qu'elles sont meilleurs et non pas parce qu'on interdit ces dernières.

M. Eric Debroeck, directeur de la réglementation de France Telecom-Orange. - Le développement de la fibre optique est un axe majeur de la stratégie de notre entreprise qui pense avoir un rôle particulier à jouer dans ce grand projet. Nous sommes entrés dans une phase de déploiement industriel de réseaux FttH. A ce jour, nous avons initié le développement de la fibre optique dans 267 communes représentant potentiellement 8,9 millions de logements répartis dans 60 départements et dans toutes les régions métropolitaines. 150 de ces communes sont en dehors des zones très denses, comme nous nous y étions engagés.

Au-delà, 1251 points de mutualisation sont déployés et 286 sont en cours de déploiement. Des consultations ont été adressées aux autres opérateurs sur près de 3 000 nouveaux points de mutualisation.

Malgré un contexte économique particulièrement difficile pour les opérateurs, nous avons décidé, pour 2013, d'amplifier nos efforts d'investissement. D'ici 2015, nous aurons ainsi déployé la fibre optique dans 220 agglomérations et 3 600 communes, ce qui correspond à près de 60 % des foyers français.

La réussite de cet objectif ambitieux passe, tout d'abord, par la stabilité du cadre réglementaire. Elle implique également la mobilisation et la coopération de tous : collectivités locales, bailleurs sociaux, la filière des installateurs ainsi que celle des équipementiers, sans oublier les personnels et les centres de formation.

Comme vous le savez, nous attachons une grande importance aux conventions conclues avec les collectivités locales et nous poursuivons un dialogue confiant avec ces dernières. Dix conventions ont d'ores et déjà été signées couvrant environ un million de logements ; six autres, qui représentent deux millions de logement, sont en attente de délibération.

S'agissant de la feuille de route, nous saluons le travail de qualité qui a été réalisé par la mission très haut débit. Elle ébauche, pour la première fois, un scénario global de déploiement du très haut débit en articulant non seulement l'investissement privé et public, mais aussi la fibre optique, avec des technologies alternatives.

Néanmoins nous attirons l'attention de chacun sur la prise en compte des difficultés financières que connaissent aujourd'hui les opérateurs, notamment dans la détermination des objectifs à court et moyen terme. Nous sommes également convaincus que l'appétence des clients pour le très haut débit ne va sans doute pas cesser de croitre mais nous estimons que les clients ne sont, en majorité, pas prêts à payer plus cher pour en bénéficier ni même à migrer massivement de la DSL vers la fibre optique à prix égal. Or, économiquement, on n'investit dans un nouveau réseau que si l'on s'attend à obtenir une rémunération supérieure. Le projet risque donc d'échouer si les services offerts sur la fibre ne sont pas supérieurs en qualité et mieux rémunérés que ceux qui sont proposés sur le cuivre. C'est un point, pour nous, capital.

Par ailleurs, un certain nombre de difficultés doivent être surmontées. Il nous semble nécessaire de ne planifier le développement des RIP de manière significative que dans la mesure où on aura permis aux opérateurs de trouver des marges de manoeuvre financières additionnelles et aux collectivités locales de disposer de suffisamment de visibilité de façon à éviter la sous-utilisation des réseaux publics. Nous considérons que la montée en débit est une facilité qui doit être utilisée de façon optimale et au maximum de ses capacités.

S'agissant de l'extinction du cuivre, je dirai d'abord un mot sur l'expérimentation de Palaiseau : elle consiste à raccorder tous les clients à la fibre optique en fermant la boucle locale cuivre dès la fin de 2014. Il s'agit de tester la faisabilité du processus. Les relations avec la commune sont excellentes mais il reste encore des difficultés à résoudre, notamment avec les grands bailleurs sociaux, pour obtenir certaines autorisations.

Nous sommes prêts à engager des négociations avec une éventuelle personnalité reconnue chargée d'examiner les modalités d'extinction du cuivre, mais ne pouvons pas accepter les orientations qui s'apparenteraient à une expropriation. Il convient de rappeler que le réseau cuivre est un actif qui conserve une grande valeur pour Orange et dont l'exploitation mobilise de nombreux salariés. L'extinction ne peut être envisagée que de façon très progressive et en définissant une contrepartie adaptée et justement évaluée. Je fais d'ailleurs observer qu'une telle évolution n'a été engagée nulle part ailleurs et ne fait l'objet d'aucune autre préconisation au niveau européen. On peut également noter que le périmètre de cette réflexion semble se limiter à la fermeture du réseau cuivre alors qu'on pourrait également se poser la question de l'extinction des réseaux câblés ou radio-hertziens.

M. Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable. -Numericable rassemble la quasi-totalité des réseaux câblés en France et couvre 10 millions de foyers. Ce réseau est un actif de grande valeur pour notre pays et il était initialement conçu pour diffuser de la télévision. La stratégie de Numericable a été de déployer la fibre optique pour y associer l'accès internet à très haut débit : un milliards d'euros d'investissement y a été consacré depuis cinq ans. A ce jour, cinq millions de prises sont alimentées en fibre optique et nous avons plus de 630 000  d'abonnés en très haut débit sur ce réseau. Nous avons l'intention de poursuivre ces efforts afin de couvrir notre périmètre global de dix millions de foyers, y compris les trois millions d'entre eux qui sont en zone peu dense. Il s'agit également d'apporter ces services au-delà de notre propre réseau - je pense avant tout aux RIP. Notre stratégie se résume ainsi à déployer la fibre optique partout sur notre territoire.

Sur la gouvernance du déploiement, je rappelle que Numericable signe des accords avec les collectivités locales pour déployer et porter des services à très haut débit. Plus d'une dizaine d'accords ont été conclus, ce qui représente un million de prises.

S'agissant du basculement du cuivre vers la fibre, j'observe que nous bénéficions de l'expérience du basculement de la télévision de l'analogique vers le numérique et je rappelle que le CSA nous avait demandé, à cette occasion, de diffuser la TNT sur notre réseau câblé. Il me semble qu'on pourrait s'inspirer de ce précédent pour réfléchir, par exemple, aux moyens techniques de prendre le relai du réseau téléphonique qui transite aujourd'hui par le cuivre.

M. Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT).  - J'insisterai principalement sur les points de convergence qui se sont exprimés. Je rappelle qu'il s'agit, dans les décennies qui viennent, de raccorder au très haut débit 25 à 30 millions de foyers. L'enjeu industriel sous-jacent est immense et ce basculement nécessite une certaine préparation non seulement de la part des opérateurs mais aussi, et nous les entrainons dans ce mouvement, des acteurs du numérique, des installateurs, équipementiers et câbleurs. Avec eux, nous avons commencé à travailler, dans le cadre d'une plateforme dite « objectif fibre ». Je souligne que l'un des principaux enjeux est celui de la formation continue de 15 000 personnes en charge de la réalisation concrète du déploiement de la fibre optique ; nous élaborons une étude prospective des besoins. Nous avons également agi au niveau de la formation initiale : des modules relatifs à la fibre optique ont été intégrés aux Bac pro, BEP, CAP et les jeunes diplômés seront opérationnels dès 2014. Nous avons également bien avancé dans l'élaboration de référentiels techniques nécessaires au déploiement de la fibre en câblage horizontal ou vertical, en zone pavillonnaire ou dans les ensembles anciens. La mission très haut débit va pouvoir se servir de ces références, sous forme de guides pratiques, pour garantir la cohérence et l'homogénéité des réseaux.

Nous travaillons également sur l'interopérabilité des réseaux afin de permettre une fluidité satisfaisante entre les différents maillages qui seront réalisés sur le territoire. Dans le cadre du groupe Interop, auquel la fédération apporte son appui, nous travaillons sur des sujets comme la normalisation des informations faisant l'objet d'échanges réguliers, la liste des adresses, incorporant les autorisations obtenues de la part des syndics de co-propriété, et le service après-vente, qu'il conviendra d'homogénéiser.

Je souligne que nous sommes particulièrement attachés à ce qu'on puisse identifier de la même manière, chez tous les opérateurs, les modalités d'accès à un immeuble ou à un client particulier pour garantir la fluidité de la portabilité des numéros de fibres.

Il nous parait essentiel que la mission très haut débit puisse à la fois fournir un cadrage général et, en même temps, préserver des possibilités d'adaptation au niveau local, ce qui implique une concertation susceptible de faire prendre en compte la problématique de l'opérateur le plus en amont possible du processus.

J'attire enfin votre attention sur trois aspects particuliers, qui visent également à garantir une certaine fluidité dans le déploiement de la fibre optique. Tout d'abord, en ce qui concerne les constructions neuves, il conviendrait d'envisager de façon systématique le raccordement à la fibre optique dans le pré-équipement pavillonnaire. Ensuite, il faudra résoudre les difficultés que rencontrent assez souvent les opérateurs dans l'installation des points de mutualisation extérieurs. Enfin, il faut consentir un important effort de communication dans toutes les communes concernées par le déploiement en permettant aux acteurs locaux de disposer, selon un processus standardisé, d'informations techniques très détaillées.

M. Raymond Vall, président. - Nous allons à présent aborder le dernier thème de notre table ronde : le financement du déploiement du très haut débit. La feuille de route prévoit de le diviser en trois tiers : l'un pris en charge par les opérateurs dans les zones denses, l'autre en cofinancement entre opérateurs et collectivités dans les zones moyennement denses, et le dernier par les collectivités avec le soutien de l'Etat dans les zones peu denses. Un tel plan de financement est-il viable au regard des enjeux financiers, chiffrés entre 20 et 30 milliards d'euros selon les estimations ?

M. Olivier Henrard. - Ce coût est élevé, certes, mais à nuancer car d'un même ordre de grandeur que le Grand Paris express ou que le TGV Paris-Lyon-Turin.

Le plan de financement du Gouvernement pourrait être viable, dès lors que trois conditions seraient respectées : que les opérateurs puissent investir, ce qui suppose une certaine stabilité du cadre règlementaire et fiscal ; qu'il existe une véritable complémentarité entre investissements publics et privés, afin d'éviter la duplication des réseaux ; et que l'on trouve des moyens pertinents d'alimenter le fonds de soutien public pour les zones non denses. A ce titre, nous avons pris note de l'idée d'un appel à l'épargne réglementée, ainsi que de l'utilisation de redevances pour l'usage de fréquences, dont le montant devra être fixé par le Gouvernement en tenant compte de cet impératif de financement. Pourquoi ne pas étudier, par ailleurs, la piste d'une mutualisation de la sur-rémunération que reçoit l'opérateur historique pour l'entretien du réseau cuivre ?

M. Didier Casas. - L'évaluation du coût total du déploiement réalisée par l'Arcep devrait prendre en compte le coût du raccordement final au client, de l'ordre de 400 euros par prise. L'on dépasserait alors les 35 milliards d'euros !

Les opérateurs seuls sont impuissants à financer un tel déploiement. Il est donc souhaitable que les contributions soient tripartites, comme le prévoit la feuille de route.

S'agissant du produit de la réallocation pour la 4G de la bande de fréquences des 1 800 Mhz, il nous semble étonnant de vouloir faire financer le fixe par le mobile, lorsque l'on compare leurs taux de rentabilité respectifs... Et ceux qui souhaitent que la redevance soit fixée à un niveau le plus élevé possible risquent de le regretter lorsqu'ils souhaiteront accéder à ces fréquences, une fois redevenues neutres !

Il nous faut trouver de nouvelles sources de revenus, ce qui implique d'accélérer le développement de la fibre jusqu'au domicile. Nous avons deux propositions à cet effet :

- engager une discussion avec les collectivités en vue d'accélérer le raccordement des particuliers. Cela passe par la suppression, déjà évoquée, du passage en assemblée générale de copropriétaires de la décision d'équiper verticalement un immeuble en fibre dans les zones très denses. Cela passe aussi par la mise en place de campagnes de raccordement accompagnées de subventions au raccordement décroissant dans le temps ou d'une prise en charge partielle du coût de raccordement ;

- accorder un caractère prioritaire et différencié au raccordement des bâtiments à usage professionnel et des zones d'activité. Prévoir un dispositif spécifique pour les entreprises permettrait de les inciter à se raccorder et ouvrirait un marché aujourd'hui en situation quasi monopolistique.

M. Laurent Laganier. - Si la feuille de route nous paraît crédible dans le volet horizontal du déploiement, tel n'est pas le cas pour la partie terminale. Il faut que la loi prescrive au propriétaire la pose de la fibre en cas de construction, de réhabilitation, de cession ou de location de logement. La piste de la subvention ou du crédit d'impôt, par l'État ou la collectivité, peut être explorée pour faciliter cette obligation. La fibre a vocation à devenir l'accessoire de la propriété et doit, en tant que telle, être financée par le propriétaire, dans un cadre fixé par la loi.

Le réseau cuivre ne nous semble pas mort, pour la partie terminale du moins : la prise qui va à la télévision ou à l'ordinateur est le plus souvent en cuivre. La difficulté est de fixer d'où elle part : du dispositif de terminaison intérieur au logement, du point de concentration, de plus haut encore ? Il faut se poser la question de la réutilisation du segment terminal du câble coaxial pour achever le réseau fibre, comme cela est fait en Suisse, ce qui permet d'obtenir des débits de plusieurs centaines de Mbit/s sans percer de trous chez le client.

Pour finir, je voudrais vous appeler à ne pas créer de nouvelle taxe sectorielle, en plus des 17 que nous avons déjà dans les télécoms !

M. Eric Debroeck. - S'agissant de la problématique du financement, il faut bien avoir en tête les difficultés économiques que traverse le secteur. Un des points positifs de la feuille de route est de faire état de chiffres précis, même si j'observe que le président de l'Arcep, dans son audition de ce matin, y a apporté des nuances. Ainsi, et en ce qui concerne le produit de la redevance pour l'utilisation de la bande des 1 800 Mhz, la feuille de route et les annonces qui l'ont suivies semblent préfigurer un montant de 200 millions d'euros quand M. Silicani parlait de 400 à 450 millions ; nous étions, pour notre part, plutôt sur ce chiffre de 200 millions d'euros.

Le raccordement est un vrai sujet ; il faut le rajouter pour obtenir une estimation globale du coût du déploiement. Il y a une difficulté de financement de cette partie terminale du réseau par les opérateurs.

Il n'y a pas, je le répète, de rente ni de surfacturation de la paire de cuivre par Orange. L'Arcep s'est prononcée sur ce point à plusieurs reprises ; la Commission européenne est en train de préparer un projet de recommandation qui va en préciser les méthodes de comptabilisation et devrait conduire à une stabilisation en termes réels de la tarification n'induisant aucune sur-rémunération.

A titre personnel, je pense qu'il faudrait mettre en place une mission d'expertise sur la partie terminale du réseau. Aux États-Unis, la fibre arrive jusqu'au pavillon mais s'y arrête et n'y rentre pas ; on réutilise ensuite le câblage cuivre ou coaxial pour le raccordement final.

M. Jérôme Yomtov. - Je voudrais commencer par rappeler que la technologie que nous utilisons est mondiale, et qu'aux Etats-Unis, elle permet aux entreprises leaders dans ce secteur de faire passer plusieurs Gbit/s.

Pour ce qui est du financement, il faut bien avoir en tête que la rentabilité d'un réseau est un paramètre plus important que le coût. Or, le prix de la location de la boucle cuivre est aujourd'hui beaucoup trop bas, donc l'incitation à investir dans un nouveau réseau très faible. Il a très légèrement augmenté récemment, mais cette réévaluation doit être largement accrue.

M. Yves Le Mouël. - Ne perdons pas de vue que les opérateurs contribuent à chacun des « trois tiers » de financement évoqués par la feuille de route : ils constituent des entreprises investissant entre 6 et 7 milliards d'euros en France chaque année, soit autant que les réseaux électrique et routier. Pour qu'un réseau fonctionne, il faut qu'il soit entretenu, et le réseau fibre n'échappera pas à cette nécessité.

Deux paramètres doivent être pris en compte :

- le taux de pénétration atteint aujourd'hui par le haut débit, la France étant l'un des pays les mieux équipés à cet égard, d'où le manque d'appétence des consommateurs pour le très haut débit. Il faut inciter l'usager à s'équiper, que ce soit en développant des services innovants ou fiscalement lors de son raccordement ;

- le niveau de revenu dégagé à la prise. Les Français se sont habitués à des tarifs d'abonnement très bas : 35 à 40 euros, contre 150 dollars aux Etats-Unis ! Or, une technologie plus performante a un coût, et donc une valeur différenciée.

Il faut désormais créer un cadre favorable à l'investissement, ce qui implique d'éviter toute sur-fiscalisation du secteur et ne pas trop le règlementer.

M. Bruno Retailleau. - En matière de gouvernance, il faut un chantier coopératif entre les différents acteurs, et non une mainmise de l'État ou des territoires. Il est vrai néanmoins que les collectivités ont besoin de visibilité à un horizon plus resserré ; il leur faut disposer d'un suivi longitudinal à chacun de vos engagements de déploiement.

S'agissant du réseau cuivre, son extinction est une conséquence, et non un préalable, de la création d'un nouveau réseau. Il semble d'ailleurs paradoxal de proposer des tarifs identiques pour les deux réseaux. Et d'avoir laissé faire de la montée en débit dans les zones de déploiement de la fibre ! Il faut s'inspirer, pour l'organisation à terme du basculement, de ce qui a été fait par le groupement d'intérêt économique (GIE) France Télévision Numérique en ce qui concerne l'arrêt de la télévision analogique.

Enfin, pour faciliter le déploiement de la fibre, de petits problèmes concrets doivent être réglés. En matière de formation par exemple, nous, collectivités, sommes prêtes à intervenir ; il faut que vous nous disiez quels sont les besoins.

M. Yves Rome. - Je note une certaine satisfaction chez les opérateurs vis-à-vis de la feuille de route...

La standardisation est une nécessité, que nous avons rappelée dans le rapport rédigé avec mon collègue Pierre Hérisson.

Il faut un retour de l'État stratège, ainsi qu'une plus grande participation des opérateurs au financement, dans un cadre sécurisé, aux côtés des collectivités.

Le basculement, bien évidemment, ne pourra se faire que lorsque les collectivités auront déployé des réseaux là où il n'y a rien aujourd'hui ; ce sera alors une conséquence naturelle de leur implantation. L'erreur, de ce point de vue, a été de commencer par équiper les zones les plus denses.

Le rôle des collectivités est essentiel pour 80 % du territoire !

Le surplus de valeur de deux euros pour l'accès à la boucle cuivre doit être affecté au déploiement par les collectivités dans les zones peu denses.

M. Jean-Claude Lenoir. - On a l'impression, à vous entendre, que tout va pour le mieux ! En réalité, dans les zones peu denses, qui va payer, si ce ne sont les bénéficiaires ? L'électrification s'est faite, dans ces espaces ruraux, grâce à la mutualisation : tout le monde a participé. Je souhaiterais que l'Etat régule en vue de mettre en place un tel cofinancement. Le très haut débit est une vraie priorité, dont il doit se saisir.

J'ai par ailleurs une interrogation concernant spécifiquement Numericable : vous intéressez-vous réellement aux petites collectivités ?

M. Gérard Bailly. - Pour ma part, je reste sur ma faim après vous avoir écouté. Le rapport sur l'avenir de nos campagnes, rédigé avec ma collègue Renée Nicoux, a souligné l'importance du très haut débit en milieu rural. Mais vous, opérateurs, ne semblez pas faire de la desserte des zones les moins denses une priorité.

Comment financer le coût du déploiement, lorsque l'on connaît la situation précaire à la fois de l'État, des collectivités et des opérateurs télécoms ? Qui va payer pour nos campagnes ? Faut-il en appeler à la péréquation nationale ? L'idée de faire prendre en charge le financement de la partie privative du raccordement par le propriétaire ne me choque pas.

S'agissant du manque de main d'oeuvre, je me souviens tout de même que France Télécom incitait au départ une partie du personnel situé sur mon territoire il y deux ou trois ans !

M. Jérôme Yomtov. - Pour répondre à M. Lenoir, dans les zones peu denses, nous couvrons 3 millions de foyers et continuons de déployer. Nous sommes partenaires de toutes les collectivités, quelle que soit leur taille.

M. Jean-Claude Lenoir. - Cette réponse ne me satisfait guère...

M. Raymond Vall, président. - Messieurs, je vous remercie au nom de tous mes collègues sénateurs d'avoir pris part à cette table ronde ; nous aurons l'occasion de nous revoir, notamment sur les problématiques liées à la téléphonie mobile.

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Séparation et régulation des activités bancaires - Examen du rapport pour avis

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission examine le rapport pour avis sur le projet de loi n° 365 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, de séparation et de régulation des activités bancaires.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui constitue l'un des principaux engagements pris par le Président de la République pendant la campagne électorale. Cette saisine porte sur le volet bancaire et le volet relatif à la protection des consommateurs de services bancaires.

La réforme a pour objectif de renforcer la sécurité du système bancaire et de le recentrer sur sa mission fondamentale, le financement de l'économie réelle, notamment des entreprises. Il faut, pour en appréhender les apports, revenir sur les causes de la crise financière de 2007-2008. Elle s'explique en grande partie par la propension des acteurs financiers à prendre des risques excessifs. Leur déresponsabilisation tient à une multitude de raisons : les modes de rémunération, la complexité des instruments financiers, l'opacité des circuits financiers qui fait obstacle à une perception exacte du risque, l'inadaptation des critères micro-prudentiels de régulation, l'absence d'analyse macro-prudentielle et, enfin, l'existence d'une garantie implicite des pouvoirs publics.

La réforme bancaire comporte une série de mesures, souvent techniques, peu spectaculaires, mais qui constituent un levier puissant pour infléchir les comportements des acteurs. Elles rendront les activités spéculatives beaucoup plus risquées et coûteuses pour les banques. Celles-ci sont placées devant leurs responsabilités ; on ne fait pas appel à leur sens éthique ou à leur autodiscipline, on crée des mécanismes concrets de surveillance et de sanction.

Sont désormais interdites les opérations de négoce à haute fréquence et les opérations sur instruments à terme dont le sous-jacent est une matière première agricole. Cela n'a certes jamais été le coeur de l'activité des banques françaises, mais c'est une mesure symbolique forte.

Le texte oblige en outre chacune des quatre grandes banques systémiques françaises à cantonner au sein d'une filiale ad hoc les opérations sur compte propre sans utilité avérée pour le financement de l'économie, ainsi que les opérations avec les organismes de placement collectif à effet de levier, les hedge funds. Cette filiale ad hoc sera clairement séparée du groupe bancaire sur le plan prudentiel et capitalistique. Il ne pourra lui accorder ni garantie, ni refinancement. Elle devra respecter individuellement les ratios de solvabilité et de liquidité. Cela exige une immobilisation importante de fonds propres et d'actifs liquides qui rendra très coûteuses les activités de compte propre « pur ».

En outre, les pouvoirs du régulateur seront considérablement renforcés. Les banques devront communiquer à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) la description précise et le compte rendu motivé de leurs activités de marché. Le régulateur disposera ainsi d'une cartographie précise des « desks » et de leurs mandats. Il pourra mesurer quantitativement les risques pris, mais aussi vérifier que les opérations menées correspondent bien à des opérations utiles au financement de l'économie.

L'ACPR pourra également interdire les opérations susceptibles de porter atteinte à la stabilité financière ou au bon fonctionnement et à l'intégrité des marchés financiers. En cas de risque systémique, les banques pourront se voir interdire d'investir dans un produit ou de le commercialiser.

En ce qui concerne la résolution bancaire, les établissements devront préparer, sous le contrôle du régulateur, un testament bancaire définissant les modalités de liquidation des actifs et de mise à contribution des actionnaires et des créanciers en cas de défaillance.

Dans la procédure de résolution, l'ACPR disposera de pouvoirs extrêmement étendus : elle pourra changer les dirigeants, nommer un administrateur provisoire, transférer ou céder d'office de tout ou partie de l'établissement, confier les actifs toxiques à un « établissement-relais », impliquer les créanciers dans le sauvetage en annulant ou en convertissant leurs titres. Les pertes des banques seront donc désormais épongées en priorité par les banques elles-mêmes, en application du principe « qui faute, paie », diminuant ainsi l'attrait des opérations spéculatives.

Un fonds national de résolution est créé, qui sera financé par les établissements de crédit et doté à terme de 10 milliards d'euros. Il compensera les pertes résiduelles, après mise à contribution des actionnaires et des créanciers.

Ces dispositions forment un dispositif pragmatique et novateur pour lutter contre les dérives spéculatives. Son efficacité dépendra de la diligence et de la compétence du régulateur et des services du Trésor. À cet égard, les banques étant influentes et les phénomènes de capture du régulateur n'existant pas seulement dans la littérature économique, j'aurais vu d'un bon oeil que le texte comporte quelques dispositions claires et fortes sur ce point, mais proposer un dispositif simple et efficace n'est pas facile.

Peut-être aussi aurait-on pu aller plus loin dans la filialisation des activités de compte propre en cantonnant également les opérations de tenue de marché, comme le préconise le rapport Liikanen remis l'an dernier à la Commission européenne. La loi cependant, aux termes d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale, donne au ministre le pouvoir de le faire, plus tard, par un simple arrêté. La frontière réglementaire entre le spéculatif et le non-spéculatif n'est donc pas figée.

Au total, ce projet de loi assainit le monde de la finance, au moins à l'échelle nationale. Certains estimeront que les solutions sont trop timides ; qu'il aurait été plus simple d'interdire la spéculation ou de séparer franchement, comme autrefois, banque de dépôt et banque d'investissement. Certes. Mais si le financement de l'économie passe par le crédit bancaire, il repose aussi sur l'émission de titres financiers et sur les services financiers de couverture contre les risques de change, de taux d'intérêt, de cours, etc. Les activités de trading jouent ainsi un rôle croissant dans le financement des acteurs économiques. En outre, les banques ayant des activités diverses sont plus robustes, grâce à la diversification de leurs risques.

Ces deux éléments plaident pour le maintien d'un modèle de banque universelle, comme le recommande d'ailleurs le rapport Liikanen qui fixe le cadre général d'une future réforme européenne sur la séparation des activités bancaires. Sortir de ce cadre pourrait conduire la France à mettre en place une réforme incompatible avec la future architecture bancaire européenne.

Dès lors, la seule question porte sur le curseur : où placer la frontière entre les activités de trading utiles à l'économie et les activités de négociation spéculatives, qui doivent être interdites ou filialisées ? Les États-Unis ont tenté, à travers la règle de Volker, de poser une interdiction a priori de la négociation pour compte propre. Mais ils échouent à la mettre en pratique car les services financiers rendus à l'économie réelle impliquent presque toujours, par ricochet, des activités de trading pour compte propre.

Plutôt qu'une interdiction générale de la spéculation, il me paraît donc plus judicieux de « mettre des bâtons dans les roues » des spéculateurs : filialisation coûteuse, internalisation des pertes, contrôle drastique des opérations par une autorité prudentielle aux pouvoirs accrus, menace permanente d'une filialisation plus poussée en cas de dérapage. Grâce à ces mesures, la spéculation deviendra une activité moins fructueuse et les banques seront incitées à se consacrer à leur mission fondamentale, devenue plus intéressante que par le passé. La nouvelle règlementation entraînera une réallocation bienvenue des ressources bancaires.

J'en viens au second volet du projet de loi, qui contient 18 articles très divers, dont 10 ajoutés par l'Assemblée nationale. Les Français ont eu parfois le sentiment que l'on se préoccupait davantage, durant la crise financière de 2008, de la santé des banques que de celle de leurs clients. La défiance est durable et profonde vis-à-vis des établissements de crédit. Il est juste que les consommateurs perçoivent aujourd'hui les dividendes du soutien public aux banques, grâce à des mesures pour renforcer leur information et réduire leurs frais. Peu de dispositions spectaculaires, je l'ai dit, mais l'existant est amélioré.

Le droit au compte a été créé par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998 ; la convention de compte, la médiation et la transparence des tarifs, en 2001. En 2010, une dénomination commune unique des principaux frais et services bancaires a été élaborée au sein du Comité consultatif des services financiers. Les banques doivent afficher leurs dix principaux tarifs. Enfin, toujours en 2010, la loi Lagarde a réformé le crédit à la consommation et les procédures du surendettement. Le texte améliore ces dispositifs, et les mesures nouvelles, par exemple pour accélérer les procédures, s'inscrivent dans la droite ligne des propositions de notre commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Également, un article vise à rendre plus effectif le libre choix de l'assurance emprunteur en vue de la souscription d'un emprunt immobilier.

Mais la principale mesure en faveur des particuliers est le plafonnement des commissions d'intervention que prélèvent les banques lorsqu'une opération a entraîné une irrégularité de fonctionnement du compte nécessitant un traitement particulier : présentation d'un ordre de paiement irrégulier, coordonnées bancaires inexactes ou encore - le plus souvent - absence ou insuffisance de provision.

Le coût de ce service, distinct du découvert lui-même, et l'importance de la part des commissions dans le produit net bancaire des établissements, sont révélateurs des déséquilibres profonds de l'économie de la banque de détail. Les tarifs globaux, emprunts immobiliers inclus, ne sont pas excessifs par rapport à la moyenne étrangère. Mais, si les emprunts immobiliers se révèlent particulièrement compétitifs grâce à des approches commerciales agressives destinées à séduire la clientèle solvable, les commissions d'intervention sont excessives et touchent les populations les plus fragiles financièrement. En cas d'incidents répétés, le montant peut atteindre plusieurs centaines d'euros par mois. Il existe presque dans tous les établissements un plafond journalier ou mensuel mais parfois très élevé : 160 euros en moyenne pondérée et jusqu'à 350 euros.

Les députés ont plafonné les commissions d'intervention, par opération et par mois, pour l'ensemble des clients des banques, et non seulement pour les personnes en situation de fragilité. Malgré les pressions du secteur bancaire, il me semble indispensable de préserver cet acquis. Les banques ont fait valoir que la mesure fragiliserait les banques de réseau au profit des banques en ligne. En fait, il n'y a pas de corrélation entre la taille du réseau bancaire et le montant des commissions pratiquées. La Banque Postale est dans la moyenne des frais bancaires, moins chère que la BNP... Les banques mettent aussi en avant les risques d'une automatisation du traitement des incidents bancaires : menaces pour l'emploi, rejets de paiement automatiques. Pourtant les interventions des banques sur les paiements par carte bancaire sans autorisation préalable sont déjà totalement automatisées et cela ne se passe pas si mal... Il est temps de limiter les abus de tarification, d'autant que ce sont les plus fragiles qui assurent ainsi une grosse part du produit net bancaire des établissements ! Je vous proposerai un amendement.

Je regrette que les avancées soient moins nettes pour les entreprises. Un soutien financier particulier est nécessaire en temps de crise, or il manque cruellement, alors qu'une part croissante des prêts aux entrepreneurs individuels et aux PME, notamment artisanales, est soumise à des garanties toujours plus nombreuses. Les montants prêtés sont plus faibles que ne souhaiteraient les demandeurs. Le texte est court sur ce point, mais la création de la Banque publique d'investissement et le crédit d'impôt compétitivité devraient améliorer la situation.

Des progrès sensibles sont réalisés sur la contractualisation des relations entre les banques et les plus petites entreprises : je songe à la convention de compte pour les personnes physiques agissant à titre professionnel, de même que pour les financements permanents. En outre, plusieurs amendements seront défendus sur cet aspect. J'ajoute que nous examinerons prochainement un projet de loi plus complet sur les questions de consommation.

Pour conclure, cette réforme bancaire s'inscrit dans un ensemble complexe d'initiatives, notamment européennes : transposition des accords de Bâle III, création d'un mécanisme de résolution bancaire européen et mise en place d'outils pour encadrer les rémunérations au sein de la finance. Les lignes bougent. À nous d'être à la fois audacieux et prudents.

Audacieux, parce que les initiatives prises par tel ou tel pays peuvent rapidement faire tâche d'huile : un amendement adopté à l'Assemblée nationale obligeant les banques à plus de transparence sur leurs filiales installées à l'étranger, notamment dans les paradis règlementaires, a été immédiatement repris au niveau européen. De la même manière, la spectaculaire initiative suisse concernant les rémunérations bancaires pourrait inciter les autorités européennes à relever le niveau d'exigence prévu. Donc l'audace peut être payante quand elle exerce un effet d'entraînement général. Mais elle peut également coûter cher : c'est le cas lorsqu'un pays se démarque trop et avance sans s'assurer que les autres le suivent. Gare, alors, aux arbitrages défavorable des opérateurs !

La réforme proposée s'inscrit dans cette double exigence et atteint un équilibre satisfaisant. Je vous invite à donner un avis favorable à son adoption.

M. Roland Courteau. - Ce texte est bienvenu pour lutter contre les dérives spéculatives. Trop de banques dans le passé se sont écartées, au nom du laissez-faire, de leurs missions au service de l'économie. Finalement, ce sont les contribuables qui ont été sollicités. Qui a fauté doit payer. Or c'est l'inverse qui s'est produit. Oui, mettons des bâtons dans les roues des spéculateurs, ainsi nous dégagerons des moyens de financement de l'économie. Quelles mesures sont prévues contre les paradis fiscaux ? Les frais financiers manquent de transparence, les hausses sont souvent abusives. Qu'en est-il ? Des mesures sont prévues ici pour la protection des consommateurs, mais les entreprises sont un peu oubliées.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous glorifions notre modèle de banque universelle mais ne nous aveuglons pas : celles-ci peuvent accumuler les risques au lieu de les répartir. Tout est question de dosage entre crédits alloués à l'économie et fonds consacrés à des opérations de trading. Ainsi le Crédit mutuel, banque universelle, consacre-t-il 84 % de ses actifs à des titres et des prêts ; Martin Maurel, 91 % ; mais la BNP-Paribas seulement 56 %, le reste étant investi en instruments financiers. En Allemagne les banques sont plus petites et plus impliquées dans le financement de l'économie. N'exploitons pas le modèle allemand seulement lorsqu'il s'agit de justifier les baisses de salaires ! En outre 54 % des cadres de banque souhaiteraient une séparation des activités car ils considèrent que ce modèle est fragile. Je déposerai un amendement pour élargir le champ de la filialisation. Je n'en salue pas moins ce texte qui marque une avancée.

En ce qui concerne la gouvernance, pourquoi ne pas rendre obligatoire la représentation des salariés dans les conseils d'administration des banques ? Evitons la consanguinité des décideurs. Je ferai aussi des propositions pour améliorer la gouvernance coopérative afin d'éviter que des sociétaires ne se sentent dépossédés de certaines décisions prises par la holding.

Je déposerai un autre amendement afin que le fonds de garantie des dépôts comprenne, en son conseil, un seul et non plus deux représentants de la Banque de France et, en revanche, réserve un siège à un juge la Cour de cassation spécialisé en matière financière. Je déposerai d'autres amendements sur la gouvernance.

Le crédit emprunteur représente un chiffre d'affaires de six milliards d'euros et une marge... de trois milliards ! Ce sont ceux qui achètent des logements qui le financent. Je suggère de faciliter le choix de l'assureur et de faciliter les changements d'assurance en cours de prêts. Ne soyons pas les pigeons du système !

Un autre amendement a trait au surendettement, il tend à ce que la dette logement soit prioritaire par rapport à la dette bancaire. Je souhaite également autoriser les organismes HLM à ouvrir des livrets A dans plusieurs établissements. Ils peuvent actuellement en ouvrir un seul, dont le montant n'est pas plafonné. Il semble préférable de les autoriser à ouvrir plusieurs livrets dans plusieurs banques partenaires.

Enfin, il est important de promouvoir un dispositif de placement bancaire territorialisé, permettant un meilleur retour de l'épargne sur le territoire d'origine. Certains, comme M. Alphandéry, ont déjà avancé des propositions.

M. Daniel Raoul, président. - La territorialisation est un thème que nous avons déjà évoqué.

M. Pierre Hérisson. - J'ai été rapporteur du texte sur la Banque postale. Je me suis frotté à la Fédération française des banques, je n'en ai pas conservé le meilleur souvenir.

M. Daniel Raoul, président. - Elle non plus !

M. Pierre Hérisson. - Que n'ai-je pas entendu ! La création d'une banque postale n'avait d'autre objectif que de financer la distribution du courrier sur le plateau de Millevaches, par exemple...

Je compte parmi les victimes des prêts toxiques ou « structurés », vendus par Dexia. Est-il judicieux de continuer à autoriser une « gestion active » de leur dette par les collectivités territoriales ? Le président de la Banque postale indique qu'il ne leur proposera que des prêts à quinze ans à taux fixes. Ce texte, comme le projet de loi sur la protection des consommateurs, est l'occasion de faire passer des messages. Les collectivités sont des consommateurs aussi ! La vérité des produits financiers mirobolants se situe souvent dans les astérisques et les renvois de bas de page qui aboutissent, en définitive, à transférer les risques sur les clients...

Assistant à des assemblées générales de caisses locales de banques, j'ai découvert le vocabulaire que les sociétaires emploient pour décrire leurs dirigeants, qualifiés de voleurs, d'escrocs, d'incompétents. Or ces dirigeants sont issus des caisses locales. Ils ont gravi tous les échelons et n'avaient pas forcément toutes les compétences pour décider au plus haut. Ils se sont fait avoir ! Simplifions, clarifions les dispositifs.

En Haute-Savoie la situation est digne d'un sketch de Fernand Raynaud : la Banque postale compte plus de titulaires de livrets A dans les communes frontalières qu'ailleurs : 30 000 Suisses travaillant en France viennent placer leur argent en France ! C'est le monde à l'envers ! Et sur le livret A, signe que ce produit est intéressant...

En conclusion je suis favorable au cloisonnement des activités bancaires, les consommateurs et les collectivités doivent être protégés. Du reste, pour revenir à Dexia, je suis persuadé que les vendeurs qui faisaient signer des contrats financiers complexes aux maires ne les comprenaient pas mieux !

M. Daniel Raoul, président. - Je connaissais le trafic de chocolat aux frontières, non celui de livrets A !

M. Gérard César. - Ma question concerne l'agrément des administrateurs dans les banques mutualistes ou coopératives. L'agrément à l'échelle d'une caisse locale ne me paraît pas justifié, mais il est indispensable pour le directeur régional.

M. Claude Dilain. - Une publicité pour une banque prétend que les investissements ont lieu là où l'épargne est collectée. Il est difficile actuellement de le vérifier. Mais dans les régions rurales ou les banlieues, je crois qu'il en va autrement : l'épargne est importante, les crédits octroyés peu nombreux. La transparence s'impose.

M. Claude Bérit-Débat. - Je félicite le rapporteur pour son travail. Je rejoins la position de Claude Dilain sur la territorialité des investissements. Sans doute ne faut-il pas instaurer un lien mécanique, mais les habitants de ces territoires n'ont guère accès au crédit. Comment faire ?

De même, diminuons le coût du crédit emprunteur. Les sommes en jeu sont colossales. Je suis d'accord avec ma collègue Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Sur l'agrément, je propose de conditionner la désignation des administrateurs des caisses régionales à la preuve de leur compétence - ou à un engagement de suivre une formation, afin que l'État ne vole pas le choix aux sociétaires sous couvert de la procédure d'agrément.

M. Daniel Raoul, président. - Certes mais les difficultés du Crédit agricole n'étaient pas dues à un manque de compétences...

Mme Bernadette Bourzai. - J'assiste régulièrement à l'assemblée générale de la caisse du Crédit agricole de mon canton. J'ai les chiffres ! En 2011, dans le canton, 110 millions d'euros ont été collectés mais seulement 5 millions prêtés, répartis à parts égales entre collectivités, ménages et entreprises. Je suis favorable à l'instauration d'un seuil minimal de retour dans le territoire, sous forme de prêts. Les banques refusent souvent des crédits aux entreprises, à moins que celles-ci ne bénéficient déjà d'aides de la région. En somme c'est ceinture, bretelle et parapluie... Il ne s'agit pas d'égoïsme mais nous devons pouvoir financer notre économie en difficulté fondée sur la forêt et l'élevage.

M. Daniel Raoul, président. - Le principe est juste mais son application est complexe. Il conviendrait de vérifier si ce « profil » représente une anomalie au plan national. Sans doute les caractéristiques de ce département, marqué par une population vieillissante, expliquent-elles l'excédent d'épargne.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Les profits réalisés grâce à l'emploi des 110 millions d'euros pourraient financer un fonds de garantie.

M. Daniel Raoul, président. - L'intéressement serait une solution en effet.

Mme Bernadette Bourzai. - Selon le Crédit agricole, seules deux caisses régionales sont dans cette situation. Les autres sont plus dépensières.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Le texte ne vise pas seulement les paradis fiscaux, il les englobe, en prévoyant que les banques devront donner des informations complètes - chiffre d'affaires, nombre de salariés - sur leurs filiales à l'étranger, quel que soit le pays. Il sera aisé de déterminer si ces filiales ont une vocation spéculative. Un chiffre d'affaires de 5 milliards d'euros et trois salariés...

M. Daniel Raoul, président. - ... signifient une filiale « boîte aux lettres » !

M. Roland Courteau. - La nature des opérations réalisées sera-t-elle indiquée ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Non, mais les informations exigées suffiront à mettre en lumière les distorsions. L'exigence de transparence est forte. La Commission européenne a d'ailleurs repris cette idée.

Forte concurrence sur les crédits immobiliers à destination de la clientèle solvable, frais bancaires élevés pour tous : ce sont les plus pauvres qui subventionnent les autres ! On marche sur la tête ! Un rééquilibrage s'impose.

Que les entreprises soient insuffisamment prises en compte ici est indéniable. A l'occasion du projet de loi relatif à la consommation que nous examinerons d'ici cet été, j'espère que nous pourrons revenir sur les relations entre les banques et une partie du monde économique.

Le président de la République avait annoncé une séparation des activités bancaires, non un démantèlement des banques. Sans être l'avocat de la banque universelle, j'ai constaté que l'ensemble des acteurs défendaient ce modèle, ce qui ne signifie pas bien entendu que les dépôts des particuliers ne doivent pas être protégés.

La loi y concourt largement, la création de filiales ad hoc séparant clairement les activités spéculatives de celles qui sont au service de l'activité économique. Reste à placer le curseur au bon niveau, ce qui est très difficile. Quoi qu'il en soit, la possibilité reconnue au ministre de l'économie de transférer ou céder, par décret, les activités considérées comme spéculatives va dans le bon sens...

Celles-ci représenteraient entre 1 % et 3 % de l'ensemble des activités bancaires - contre environ, selon le président du Crédit agricole, 20 à 25 % en 2007-2008. Autrement dit, depuis la crise financière le système bancaire et financier traditionnel s'est autodiscipliné. L'intervention du ministre est une véritable épée de Damoclès, mais reste à savoir quelle sera la composition de l'ACPR. Le ministre a évoqué lui-même le risque de consanguinité que je dénonce dans mon rapport - consanguinité entre les responsables des banques et des organismes de contrôle. Le gouverneur de la Banque de France, le directeur du Trésor ou d'autres responsables publics extrêmement compétents poursuivront peut-être leur carrière dans une banque privée. Comment critiquer son futur employeur... Il me semble indispensable que des représentants du monde universitaire, spécialistes de macro-économie - et non seulement de finances - siègent dans ces instances. C'est un sujet sur lequel il nous faudra revenir.

Pour un emprunt immobilier de 150 000 euros sur 20 ans à 3 %, l'assurance-crédit est de l'ordre de 15 000 euros. Une véritable concurrence peut permettre une économie de l'ordre de 1 500 euros : cela n'est pas négligeable.

Le traitement bancaire territorialisé est un sujet difficile. L'information existe et doit être donnée aux élus qui le demandent ; nous pourrions déposer des amendements au cours de la navette parlementaire afin de rendre cette information plus systématique. Cela dit, à nous de savoir ce que nous en ferons une fois qu'elle nous aura été délivrée.

M. Daniel Raoul, président. - Le scoring évoqué par Marie-Noëlle Lienemann est un moyen d'améliorer l'accès aux prêts pour les entreprises locales.

M. Gérard César. - Cela peut aussi être dangereux. Il faut une péréquation à l'échelle de tout le territoire.

M. Daniel Raoul, président. - Sans une péréquation départementale ou régionale, le mécanisme peut effectivement être malsain.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La moitié ou le tiers des profits réalisés pourraient alimenter un fonds de garantie afin d'absorber les risques dans des conditions un peu plus souples.

M. Claude Bérit-Débat. - Lors de l'octroi d'un crédit, attention tout de même à la qualité des dossiers !

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avisLa Banque de France peut nous communiquer des informations sur les dépôts et sur les crédits au niveau d'un département, d'une région ou d'une agglomération.

M. Daniel Raoul, président. - Elle le fait déjà.

Mme Renée Nicoux. - Il nous faudrait aussi connaître le nombre de dossiers refusés.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Je propose de réfléchir à un amendement d'appel en ce sens en deuxième lecture.

Le projet de loi encadre les conditions d'emprunt aux collectivités territoriales et de leurs groupements, ce qui laisse espérer que les graves problèmes rencontrés avec Dexia ne se reproduiront pas. Outre les contrôles très importants destinés à prévenir la résolution bancaire, deux alinéas de l'article 11 encadrent strictement les emprunts en devise et prévoient, en cas d'emprunts à taux variables, une limitation des indices et écarts d'indices autorisés pour les clauses d'indexation. On se rappelle les fameuses indexations sur le franc suisse... Désormais les collectivités et leurs groupements ne pourront plus souscrire des contrats financiers qu'à des fins de couverture de risques.

Le régime d'agrément déjà en vigueur dans les banques mutualistes, telles que les Banques populaires et les Caisses d'épargne, a été étendu à Groupama. La réforme de ce mécanisme me semble davantage relever de la loi sur l'économie sociale et solidaire mais nous allons nous renseigner pour voir ce qu'il est possible de faire.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Division additionnelle après l'article 4 ter

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Reprenant une recommandation de la Cour de comptes, l'amendement n° Afféco-1 prévoit que l'assemblée générale des actionnaires se prononce annuellement sur l'enveloppe des rémunérations de toutes natures des mandataires sociaux et des salariés dont les activités ont une incidence significative sur le profil de risque de la société. Cela concerne 1 % des salariés : grands dirigeants, traders et responsables de salles de marché.

M. Daniel Raoul, président. - Il ne s'agit que d'une enveloppe globale et non de chaque rémunération en particulier ? Ne doit-on pas communiquer les dix plus gros salaires dans le rapport annuel de la société ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - C'est autre chose : non pas une information sur les rémunérations versées mais une autorisation, a priori.

L'amendement n°Afféco-1 est adopté.

Article 7

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Les principaux responsables des risques pris par une banque doivent être mis à contribution en cas de défaut de celle-ci. L'amendement n° Afféco-2 prévoit ainsi que leurs contrats de travail indiquent à quelle part de rémunération ils renoncent en cas de résolution bancaire.

L'amendement n° Afféco-2 est adopté.

M. Daniel Raoul, présidentJe comprends votre souci de responsabiliser les traders.

Article 11

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'amendement n° Afféco-3 délie du secret professionnel les membres du conseil de stabilité financière lorsqu'ils sont auditionnés par les commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat et non seulement par des commissions d'enquête.

L'amendement n° Afféco-3 est adopté.

Article 17

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'amendement n° Afféco-4 conforte l'acquis de l'Assemblée nationale tendant à plafonner, par opération et par mois, les commissions d'intervention imposées en cas d'incident de paiement. Il propose que le plafond par mois et par opération fixé par le pouvoir réglementaire ne puisse s'écarter de façon abusive des coûts réels supportés par les établissements. En outre, il propose que des actions spécifiques soient entreprises en direction des personnes qui se trouvent en situation de fragilité financière eu égard à leurs ressources ou au nombre et à la fréquence de leurs incidents de paiement.

M. Daniel Raoul, président. - Vous demandez une information ou une concertation particulière pour ces personnes ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Elles bénéficieront aussi d'un plafond spécifique.

M. Gérard César. - Qui va en contrôler l'application ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Il y a les autorités prudentielles et surtout, les plafonds sont fixés par décret. Encore faut-il que celui-ci soit respecté.

L'amendement n° Afféco-4 est adopté.

Article 17 quater

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'amendement n° Afféco-5 prévoit qu'une information systématique sur les modalités d'accès à la médiation soit donnée dans les nouvelles conventions de comptes ouverts par des personnes physiques agissant pour des besoins professionnels.

L'amendement n° Afféco-5 est adopté.

Article 17 quinquies

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'amendement n° Afféco-6 prévoit que tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, consenti à une entreprise fasse l'objet d'une convention. Il s'agit de rétablir ce dispositif, utiles aux PME, qui avait été adopté par l'Assemblée nationale puis remis en cause par notre commission des Finances.

L'amendement n° Afféco-6 est adopté.

Article 21

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'amendement n° Afféco-7 vous est proposé afin de faciliter l'exercice du droit au compte. Il prévoit qu'une personne en difficulté bancaire puisse se faire représenter aussi par des associations agréées accompagnant les personnes en difficulté ou défendant les consommateurs dans leurs démarches auprès de la banque de France.

M. Gérard César. - Si elles sont en difficulté, elles n'obtiendront pas de prêt !?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Il ne s'agit ici que du droit à disposer d'un compte pour bénéficier d'une carte de retrait ou pouvoir recevoir des virements.

M. Ladislas Poniatowski. - Il faut faire très attention, cette possibilité ne doit pas être ouverte à toutes les associations. Votre intention est bonne mais la rédaction que vous proposez est permissive.

M. Daniel Raoul, président. - Monsieur le rapporteur, il faudrait effectivement préciser quelles sont les associations concernées.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'amendement pourrait confier à un décret le soin de définir les associations habilitées ?

L'amendement n° Afféco-7 est adopté sous réserve de rectification.

Article additionnel après l'article 21

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'amendement n° Afféco-8 vise à favoriser la mobilité bancaire qui n'est que de 7,5 %, contre 9 % en moyenne dans l'Union européenne. A cette fin, il prévoit que l'établissement d'origine propose un service de transfert vers le nouveau compte valable 12 mois pour l'ensemble des opérations, au crédit ou au débit.

M. Daniel Raoul, président. - Le réflexe de rétention des banques n'est pas sans nous rappeler celui des opérateurs de téléphonie mobile.

L'amendement n° Afféco-8 est adopté.

Article 21 bis A

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Afin d'éviter que les nouvelles modalités d'information des usagers des banques ne soient retardées par l'attente d'un décret, l'amendement n° Afféco-9 prévoit qu'elles devront être mises en oeuvre avant le 1er janvier 2014 inclus.

L'amendement n° Afféco-9 est adopté.

Article additionnel après l'article 24

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Compte tenu des difficultés rencontrées par certaines personnes, souvent les plus vulnérables, pour payer en espèces des services tels que la cantine ou la crèche, l'amendement n° Afféco-10 impose à l'État et aux autres personnes publiques d'informer leurs débiteurs des modalités de réception de ce type de paiement. Ils sont de toute façon autorisés par la loi, bien que celle-ci puisse poser des problèmes à certaines administrations.

M. Gérard César. - Il suffit de créer une régie de recettes !

L'amendement n° Afféco-10 est adopté ainsi que l'amendement n° Afféco-11, rédactionnel.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° Afféco-12 se propose d'étendre aux commerçants la possibilité de disposer d'un récapitulatif annuel de frais facturés, en particulier pour les services de paiement.

L'amendement n° Afféco-12 est adopté.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - L'objet de l'amendement n° Afféco-13 est de permettre une meilleure compensation entre dettes fiscales et créances sur les collectivités publiques. La possibilité de compensation serait acquise de droit lorsque le redevable le demande et non plus soumises à l'appréciation du comptable public. La mise en oeuvre sera sans doute techniquement difficile mais il est important de poser ce principe, notamment au profit des PME, TPE et des artisans.

M. Daniel Raoul, président. - Dois-je comprendre que cela vaut aussi pour les fonds européens ? Je connais une technopole pour laquelle les paiements ont deux ans de retard ; c'est nous qui faisons la banque...

Mme Renée Nicoux. - Le Trésor public devraient payer des intérêts de retards !

M. Claude Dilain. - Il faut faire attention car en pareils cas, on peut être accusé d'exercice illégal du métier de banquier...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ces retards peuvent être imputables à l'Europe ou à l'État France.

M. Daniel Raoul, président. - Oui, c'est très souvent l'État France.

L'amendement n° Afféco-13 est adopté.

La commission adopte le rapport pour avis et les amendements proposés.

Organismes extraparlementaires - Nomination de membres

La commission des Affaires économiques propose la candidature de François Calvet en remplacement de Pierre André pour siéger au conseil national des villes.

La commission propose la candidature de Bruno Retailleau pour siéger au conseil national du numérique, en application d'un décret du 13 décembre 2012.

Groupe de travail sur l'impact économique de la défiscalisation outre-mer - Désignation de membres de la commission

Enfin, la commission désigne Marie-Noëlle Lienemann, Serge Larcher, Gérard César, Michel Magras et Jean-Claude Merceron, pour être membres du groupe de travail commun avec la délégation à l'outre-mer sur l'impact économique de la défiscalisation outre-mer.

- Présidence conjointe de M. Daniel Raoul, président, et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire -

Aménagement numérique du territoire et feuille de route « Très haut débit » - Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède, conjointement avec la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, à l'audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique, sur l'aménagement numérique du territoire et la feuille de route « Très haut débit ».

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, soyez la bienvenue. Nous travaillons depuis 48 heures sur les questions numériques et plus particulièrement sur la fibre.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique. - Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui « France-Très haut débit », la stratégie du gouvernement pour la couverture du territoire à dix ans. Comme le projet du Grand Paris, il s'agit d'un enjeu essentiel pour la France, son attractivité et son développement économique.

Je voudrais rendre hommage à l'implication de l'ensemble des parties prenantes qui l'ont rendue possible. Au cours de ces derniers mois, toutes les pistes de financement ont été regardées, tous les modèles économiques débattus. Nous avons pu nous nourrir notamment des travaux des sénateurs Leroy et Maurey, dont l'Assemblée nationale a examiné la proposition de loi le 22 novembre dernier, et nous nous sommes appuyés sur les porteurs de projets, dont certains sont parmi vous.

Le Président de la République et le Premier ministre ont déjà présenté les grandes lignes de notre stratégie et le Gouvernement a toujours été très clair : l'objectif de long terme - au-delà de dix ans - est la fibre optique, enjeu industriel tout autant qu'assurance d'un investissement pérenne.

Notre stratégie donne donc la priorité à l'accompagnement du déploiement de la fibre. Elle vise également à apporter rapidement des solutions concrètes à nos concitoyens car la fracture numérique est insupportable. Nous agirons donc sans dogmatisme, en mobilisant l'ensemble des financements et toutes les technologies envisageables : fibre, montée en débit sur cuivre et sur câble coaxial, technologies hertziennes et satellitaires si nécessaire.

Dans de nombreux territoires - certains territoires ruraux ou périurbains - la montée en débit peut assez rapidement constituer un gain pour les utilisateurs. L'État accompagnera les projets en privilégiant l'accompagnement pour les déploiements de la fibre optique et en se concentrant donc sur la partie réutilisable.

Le réseau câblé sera également pris en compte, l'un de nos objectifs étant qu'en 2017, près de la moitié des foyers français soit éligible au très haut débit et tous à un haut débit de qualité.

Le schéma de déploiement repose sur la complémentarité entre les déploiements menés par les opérateurs privés et par les collectivités territoriales. Ce schéma est celui qui permettra la mise en oeuvre la plus rapide de la stratégie gouvernementale. Le déploiement par un opérateur unique national ou par des utilities régionales s'appuyant sur des fonds d'investissement à long terme a été étudié mais il manque de crédibilité industrielle et pourrait occasionner des retards préjudiciables en matière de croissance.

Dans la mesure où nous nous appuierons en partie sur les opérateurs privés - qui sont les plus à même de développer les usages - il est essentiel que leurs intentions de déploiement soient transparentes. C'est la condition d'une bonne articulation de leur action avec celle des acteurs publics au bénéfice de tous.

Au niveau local, les intentions d'investissement des opérateurs privés se concrétiseront par des conventions tripartites que nous souhaitons équilibrées. Une convention type sera publiée par la mission très haut débit (THD) avant fin juin. Les négociations seront l'occasion de discuter des calendriers de déploiement zone par zone, y compris en discutant sur une évolution des priorités, de façon à tenir compte des besoins urgents. Je souhaite que l'ensemble des opérateurs ait, sous l'égide de l'État, ce dialogue avec les collectivités et avec les porteurs de projets départementaux, interdépartementaux ou régionaux.

Pour les collectivités couvertes par les opérateurs privés, il s'agit de s'engager à faciliter les déploiements, par exemple en assouplissant les autorisations de voierie ou en faisant de la pédagogie auprès des bailleurs et des syndics pour accélérer l'équipement des immeubles.

Il ne pourra y avoir de réseaux d'initiative publique (RIP) pérennes s'ils sont concurrencés par d'autres réseaux en fibre. Les projets intégrés de manière inconditionnelle ne bénéficieront donc pas d'un accompagnement public. En revanche, les projets intégrés conditionnels seront étudiés attentivement car ils peuvent constituer un palliatif, lorsque les intentions de déploiement des opérateurs privés ne se concrétisent pas.

La mission THD actuelle préfigure une structure de pilotage nationale qui aura pour objectif d'agir dans la durée et d'apporter son appui à l'action locale. Elle sera aussi le guichet recevant toutes les questions des collectivités et sera en charge de l'harmonisation des déploiements.

Nous allons mobiliser les services déconcentrés de l'État, les préfets, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), les interlocuteurs privilégiés des collectivités locales qui seront, sur le terrain, des relais de la mission THD.

L'étude des projets doit reprendre au plus vite. Nous révisons actuellement le cahier des charges des projets RIP éligibles aux aides de l'État dans la mesure où notre accompagnement financier sera plus favorable que dans l'ancien cadre : les projets des collectivités pourront bénéficier d'une aide de 50 %, contre 35 % aujourd'hui en moyenne. Il n'y aura pas d'enveloppe réservée pour la montée en débit, ou la fibre jusqu'à l'abonné. Ce qui importe pour le gouvernement, c'est d'accompagner le déploiement d'infrastructures pérennes.

Notre cahier des charges sera prêt dans quelques jours et publié dès le début du mois d'avril. Il sera présenté au comité des réseaux d'initiatives publiques (CRIP) que nous réunirons de nouveau dans quelques jours. Sa présidence sera confiée au préfet Pierre Mirabaud, qui dirigeait jusque récemment le pôle territorial du Commissariat général à l'investissement (CGI). Nous souhaitons que le CRIP devienne une instance de concertation sur le sujet du très haut débit, y compris en évoquant des sujets non directement liés aux projets déposés par les collectivités.

La couverture du territoire en très haut débit d'ici dix ans représente un investissement de 20 milliards d'euros. Les opérateurs en apporteront les deux tiers : 6 milliards d'euros d'investissements directs dans les zones les plus denses et, progressivement, 6 autres milliards d'euros dans les zones les moins denses, rurales et périurbaines, par le biais des redevances versées aux collectivités locales pour l'utilisation de leurs réseaux.

Les pouvoirs publics apporteront le dernier tiers sous la forme de subventions. 3 milliards d'euros d'aides sur 10 ans seront mobilisés par l'État au profit du déploiement des réseaux dans les zones peu denses et d'une péréquation entre les territoires. 3 autres milliards seront apportés par les collectivités territoriales porteuses de projets de déploiement dans ces zones. L'État accordera aussi des prêts à long terme et à taux faible afin d'étaler dans le temps la charge financière.

Nous financerons l'accompagnement de l'État grâce aux 200 millions d'euros annuels de surplus de redevance sur les fréquences 1 800 Mhz, qui s'ajouteront au reliquat des sommes allouées au très haut débit par le Grand emprunt. Pour le complément, qui représente quelques dizaines de millions d'euros, le gouvernement ne retient pas l'option d'un prélèvement sur les abonnements mais une contribution du secteur, destinée à assurer la péréquation, est en revanche à l'étude. Une taxe sur les infrastructures cuivre, d'une à deux dizaines de centimes par mois et par paire de cuivre, pourrait être retenue dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Ce montant étant proche des variations du coût de la paire de cuivre observées chaque année, ce sera sans effet sur la facture du consommateur.

Les prêts aux collectivités seront financés par les fonds issus du doublement du plafond du Livret A. Leur maturité est longue, entre 20 et 40 ans, et leurs taux faibles, adaptés à l'importance des chantiers.

Dans le contexte budgétaire actuel, la réponse du gouvernement n'est pas l'austérité mais la définition de priorités, pour continuer à investir dans l'avenir. Au total, 15 000 à 20 000 emplois directs devraient être créés, notamment dans le génie civil et l'équipement des logements.

Enfin, le gouvernement s'est clairement positionné pour agir sur la question de l'extinction du réseau cuivre. La question est regardée de près chez Orange.

M. Daniel Raoul, président. - C'est un euphémisme !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Comme l'exemple de l'Australie le montre, le dossier de l'extinction du cuivre est extrêmement complexe, présentant de nombreux aspects juridiques, économiques et concurrentiels.

Une mission sera lancée dans les prochaines semaines sur ce sujet ; autour d'une personnalité reconnue du secteur des télécoms, je souhaiterais que puissent être associés des parlementaires, deux sénateurs et deux députés. Cette mission prendra nécessairement du temps et son objectif est clair : préciser les conditions et le calendrier de l'extinction du cuivre. Je souhaite qu'elle puisse intégrer les retours de l'expérimentation menée à Palaiseau, en particulier quant à ses effets sur les services à la population.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. - L'aménagement du territoire ne peut se concevoir sans cette espérance du haut débit. Si l'égalité entre territoires demeure un horizon à atteindre, celle entre les citoyens est peut-être possible grâce au très haut débit. Pour nous, élus de la ruralité, elle fait figure de dernier espoir. Je laisse la parole, en les remerciant de nouveau pour la qualité de leurs travaux, à nos collègues spécialistes du sujet et, en premier lieu, à Yves Rome et Pierre Hérisson.

M. Yves Rome. - Cette feuille de route débouche, enfin, sur des propositions concrètes et cohérentes, qui impulseront de la croissance et redonneront de la compétitivité dans un contexte particulièrement difficile. Belle ambition, qui mériterait d'être consolidée par une loi, car cette opération doit durer une décennie, et servir pour cinquante ans : donnons-lui pour support le marbre de la loi. J'espère que le Premier ministre y sera favorable.

Vous annoncez la création d'un établissement public pour accompagner les collectivités territoriales. Celles-ci sont indispensables au dispositif : n'oublions pas que les moyens d'investigation de l'État ont été appauvris sous les gouvernements précédents, quand les capacités d'expertise des collectivités territoriales se sont étoffées. Il convient donc de constituer, en associant aussi les opérateurs, pour reprendre la formule que mon collègue Pierre Hérisson et moi-même avons mise en tête de notre rapport, le « triple play » de la réussite.

Le pilotage national que nous attendons ne doit pas être uniquement technique ; il doit associer les collectivités territoriales dans le choix des projets éligibles, comme cela s'est fait dans le passé.

Utiliser un mix technologique pour combler les déficits des territoires, pourquoi pas ? Veillons toutefois à subordonner la montée en débit à la condition qu'une partie puisse être réutilisée pour le très haut débit, et qu'elle ne s'opère pas là où les territoires ont décidé de créer leur propre réseau en fibre optique.

M. Pierre Hérisson. - Il est nécessaire en effet de laisser la porte ouverte sur le haut débit pendant quelque temps. Vous avez mentionné l'objectif de 2017, qui est à la fois très proche et très important. Avoir du très haut débit va nécessiter de passer par un certain nombre de procédures administratives.

Il ne faut pas gêner le déploiement du très haut débit par la fibre optique, ni limiter la montée en débit des secteurs qui seront les derniers desservis par celle-ci : équilibre subtil. Il est nécessaire de préciser l'encadrement législatif et réglementaire. Par exemple, l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales est-il encore suffisamment précis ? Ne faut-il pas le compléter ?

L'extinction du cuivre pose certains problèmes : il faut tenir compte du fait que le service universel est une des obligations de l'opérateur historique, et qu'il est propriétaire de l'ensemble du réseau en cuivre, ou câblé. Il y aura donc une problématique de transfert de propriété, ou de dédommagement, en tous cas un aspect financier qui se chiffre en dizaines de milliards d'euros. Je rappelle que l'État français est un actionnaire important de l'opérateur historique.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - La parole est à Bruno Retailleau, qui est membre du conseil national du numérique.

M. Bruno Retailleau. - Madame la ministre, je pense que le schéma que vous nous avez présenté va dans le bon sens. Vous avez évité la tentation de la tabula rasa, ce qui est sage et témoigne de votre compréhension du sujet, qui réclame un cadre stable pour tous les acteurs. Vous êtes à juste titre prudente sur le basculement du cuivre. Vous avez rejeté l'idée irréaliste des sanctions, mais un suivi longitudinal est nécessaire : des systèmes d'alerte doivent permettre de suivre chaque année le déploiement des réseaux par les opérateurs et d'anticiper les défaillances éventuelles sur les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII). Ce sera une des missions de l'observatoire qui sera, j'imagine, logé dans l'établissement public, que vous avez eu raison de préférer au groupement d'intérêt public (GIP), affirmant ainsi le rôle de l'État stratège. L'État ne doit pas se confondre en effet avec les intérêts privés des opérateurs, non plus qu'avec les intérêts publics des collectivités territoriales, mais il doit avoir sa propre expertise indépendante.

Comment s'articulera le financement ? Le prêt de long terme à taux bonifié sur de l'épargne réglementée couvrira-t-il la partie de l'investissement public sur lequel les collectivités territoriales attendront un retour ? La subvention rehaussée à 50 % est importante : comment l'articulation avec le CGI se fera-t-elle ? Quel sera le guichet pour les collectivités ? Ma collectivité avait été l'une des premières à avoir une subvention, à un taux moindre, mais vous aviez indiqué qu'il y aurait un rattrapage. Un mécanisme de péréquation me paraît indispensable.

La loi de modernisation de l'économie date de cinq ans, le cadre réglementaire de deux ans, il y a des obstacles concrets très particuliers, qui seront du ressort de l'établissement public. L'animation et le soutien territorial ont fait le succès du passage de la télévision hertzienne au numérique, nous devons nous en inspirer.

M. Michel Teston. - Je salue l'approche réaliste qui a présidé à l'élaboration de cette feuille de route : certains aspects du plan précédent ont été retenus, d'autres remis en cause. En matière de gouvernance en particulier, je citerai la reconnaissance des collectivités locales, avec un soutien fort de l'État pour la réalisation du réseau dans les zones les moins denses. Comment traiter le non-respect par les opérateurs d'engagements pris, en particulier dans les zones AMII ? La généralisation de conventions entre opérateurs privés et collectivités permettra à celles-ci de prendre le relais. L'observatoire des déploiements veillera à la bonne exécution de ces conventions. Le choix d'une extinction progressive du cuivre me paraît raisonnable, et le basculement des abonnés vers la fibre optique en découle.

Quelle structure portera les crédits de 300 millions d'euros par an qui seront mobilisés pour accompagner les collectivités locales ? S'en tiendra-t-on au fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), créé par la « loi Pintat » de 2009, qui n'a jamais été alimenté ? Ou faut-il créer une autre structure ?

Cette feuille de route marque le retour de l'État stratège, qui reprendra des missions effectuées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). S'agit-il d'une nouvelle organisation de la régulation ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Représentant le monde rural, j'adhère à votre discours, qui est rassurant. Mais nous sommes habitués depuis longtemps à observer un décalage entre les projets et la réalité. Vous prévoyez qu'en 2017 la moitié de la population française sera éligible au très haut débit, et à terme 92 % ou 93 % ; je représente les 5 % de Français qui ne seront pas couverts mais qui attendent, et sont impatients. On parle à Paris de la 4G ; pour eux c'est une véritable provocation. Le développement économique nécessite aujourd'hui le haut débit. Nous avons besoin de crédibilité, et les territoires ruraux ne doivent pas être les derniers servis. Pour la téléphonie mobile, certains endroits sont restés des zones blanches : les opérateurs ont privilégié les opérations rentables et isolé certains territoires en alléguant des coûts trop importants, sans que les collectivités puissent compenser.

Le Fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE) a été créé un peu avant la guerre, et a aidé à l'électrification du monde rural après celle-ci. La solidarité s'exprimait par cette péréquation. La contribution au service public de l'électricité (CSPE) a pris le relais. Si on ne crée pas un tel mécanisme dans le haut débit, des parties entières du monde rural seront oubliées, ce qui serait contraire au principe d'égalité des citoyens.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Nous sommes tous d'accord avec vous.

M. Henri Tandonnet. - Je vous prie d'excuser l'absence d'Hervé Maurey, retenu en séance, qui suit cette question de très près. Je représente donc le groupe UDI. Les opérateurs me paraissent comparables à des cyclistes sur une piste de vélodrome : ils font du surplace ! Comment allez-vous leur injecter un peu d'adrénaline pour les inciter à pédaler ?

Il serait simple d'instaurer une taxe sur la consommation et l'abonnement alimentant le fonds d'aménagement numérique, ce qui aiderait à une mutualisation et à un rapprochement entre l'urbain et le rural. Pourquoi avez-vous renoncé à cette solution ?

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Vous demandez, en somme, pourquoi on ne créerait pas un FACE numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Je suis bien convaincue qu'un véhicule législatif est nécessaire, ne serait-ce que pour procéder à la création de l'établissement public. Nous réfléchissons à un projet de loi qui concernerait les infrastructures de communication.

Les collectivités territoriales seront associées au pilotage de l'établissement public, d'autant plus qu'elles disposent d'une expertise technique de qualité. Ce pilotage sera technique et financier, puisque cet établissement public a vocation à être le guichet unique, pour les subventions comme pour les prêts - quitte à réorienter, pour le paiement, vers d'autres établissements.

La montée en débit doit être encadrée pour qu'elle se fasse en cohérence avec les projets départementaux et régionaux ; j'y insiste tout particulièrement dans mes discussions avec Orange.

L'article du code général des collectivités territoriales que vous avez cité pourrait être évoqué dans le cadre de la discussion sur le projet de loi sur la décentralisation, dont le premier titre aborde l'aménagement numérique du territoire.

Je viens de lancer l'appel à candidature pour le service universel, qui intègre la fibre optique et plus seulement le cuivre : nous sommes donc bien dans le cadre du plan France-Très haut débit.

Je comprends votre crainte que la montée en débit privilégie certains territoires et que la situation s'éternise pour les derniers servis. Il paraît difficile d'expliquer à certains de nos concitoyens qu'ils vont devoir attendre dix ans pour avoir accès à un débit de 100 Mbit/s. Les investissements réutilisables pour la montée en débit pourront donc être aidés par l'État. Mais il ne sera pas possible d'équiper la totalité du territoire avec la fibre dans les dix prochaines années. Nous nous engageons sur le très haut débit pour tous à cette échéance, avec pour objectif final que tous les habitants soient reliés à la fibre optique.

L'extinction du cuivre est un enjeu véritable en termes de bilan pour Orange. L'exemple australien est intéressant : le choix retenu a été d'indemniser l'opérateur dans des proportions importantes afin que, dès qu'il déploie un réseau de fibre dans une zone, il mette le réseau de cuivre en extinction. Nous demanderons aux Australiens des précisions sur le modèle financier qu'ils ont utilisé. Les Allemands ont fait le choix du vectoring, qui est certes moins coûteux, mais moins adapté aux futurs usages : notre choix est le plus pérenne car nous ne souhaitons pas nous engager dans un chantier qui réclamera dans cinq ans de nouveaux investissements.

Le suivi des investissements est une véritable préoccupation. La mission THD travaille à la mise en place d'un observatoire semestriel des déploiements en très haut débit tant publics que privés, sous l'angle national, départemental et communal, afin de suivre l'état d'avancement du plan. Cet observatoire devrait publier de premiers résultats avant la fin de l'année.

L'établissement public a pour vocation de pérenniser la mission THD, en lui donnant les moyens nécessaires.

Les caractéristiques des prêts sont en cours de finalisation. Le Président de la République a annoncé que les taux seraient faibles. La Banque européenne d'investissement (BEI) est disposée à offrir des prêts complémentaires à de bonnes conditions.

La mission THD sera l'opérateur unique pour les collectivités territoriales : elle instruira toutes les demandes de prêt et de subvention, puis un contrôle de qualité sera effectué par le CGI.

Le passage à la télévision numérique terrestre est en effet un bon modèle pour l'extinction du cuivre : nous nous en inspirons.

M. Ladislas Poniatowski. - Madame la ministre, vous n'avez pas répondu à la question la plus pertinente de Bruno Retailleau : qui sera servi le premier ? Comment se fera concrètement cet apport de l'État ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Les premiers servis seront les premiers à déposer leur dossier. Seize dossiers ont déjà été présentés au Fonds national pour la société numérique (FSN).

M. Ladislas Poniatowski. - Il faut donc aller vite !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Oui, mais tous les besoins seront couverts. Rien ne sert de courir !

M. Bruno Retailleau. - Jusqu'à présent, en l'absence de lieu d'expertise de l'État, le CGI était à la fois instance d'instruction et instance de décision. La création de l'établissement public va faire revenir le CGI à un fonctionnement classique.

M. Yves Rome. - Ce fonctionnement avait été positif : onze dossiers avaient été validés.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Ces dossiers peuvent être soumis de nouveau, puisqu'ils peuvent prétendre à davantage à présent.

M. Ladislas Poniatowski. - Donc il faut se dépêcher.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Oui, mais en instruisant le dossier avec soin. Nous souhaitons que les choses s'engagent rapidement.

La transparence sera le maître mot dans les déploiements. La posture d'attente qui a prévalu jusqu'à présent devrait céder la place à une dynamique plus prononcée. Ce que vous appelez le triple play de la réussite va pousser les opérateurs à respecter leurs engagements : l'obligation, y compris dans les zones denses, de formaliser un contrat-type, dont les engagements seront contrôlés par un observatoire, est de nature à les inciter à agir.

La structure qui portera les crédits qui seront votés dans le projet de loi de finances sera le FSN. Les crédits résiduels seront mobilisés par la mission THD. L'essentiel est que l'État se soit engagé à fournir les crédits.

Notre démarche envers le monde rural est pragmatique. Nous souhaitons rendre prioritaires les zones les moins denses, particulièrement mal servies, ce qui devient insoutenable. Nous avons besoin pour cela que les schémas présentés par les collectivités territoriales aillent dans ce sens. Le conseil régional de Bretagne a choisi de poser une nouvelle prise en zone rurale pour chaque nouvelle prise urbaine. L'Auvergne est aussi en pointe, grâce à la priorité aux zones rurales décidée par les conseils généraux. Les départements ruraux ont vocation à être beaucoup plus subventionnés que les autres, puisque les subventions sont destinées aux zones les moins rentables.

M. Jean-Claude Lenoir. - Mais d'où viendra l'argent ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Du surplus de redevance résultant du déploiement de la 4G : les opérateurs ont besoin d'utiliser des fréquences supplémentaires.

M. Ladislas Poniatowski. - Vous affirmez donc que chaque année l'État consacrera 300 millions d'euros aux zones rurales. Dont acte.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Oui, aux zones non denses, qui peuvent aussi être des zones périurbaines.

M. Jean-Claude Lenoir. - Quand connaîtrons-nous le cahier des charges ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Vers la mi-avril.

Nous avons écarté l'idée d'une taxe sur le consommateur : c'est un choix politique. Actuellement, une taxe même minime ne serait pas bienvenue, même si les abonnements sont plutôt moins chers qu'ailleurs en Europe. L'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), en revanche, me paraît vertueuse : c'est une taxe dont le produit est utilisé dans le secteur sur lequel elle est prélevée.

M. Yves Rome. - Quand le basculement du cuivre s'opérera, il ne faudra pas oublier l'IFER !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Le Président de la République s'est engagé vis-à-vis des opérateurs à une stabilité fiscale. Certes, ils ont connu des marges importantes pendant des années, mais ce n'est plus le cas. Il n'y aura plus de prélèvement dont le produit ne soit pas affecté au secteur. Ce message clair était attendu, et me semble de nature à les inciter à accroître leurs investissements.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques - Merci pour ces réponses précises.