Mercredi 20 mars 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Comité national de pilotage sur l'accès de tous les jeunes à l'art et à la culture - Audition de Mme Marie Desplechin, présidente et de M. Jérôme Bouët, rapporteur

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission auditionne Mme Marie Desplechin, présidente, et M. Jérôme Bouët, rapporteur, du comité national de pilotage sur l'accès de tous les jeunes à l'art et à la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui Mme Marie Desplechin et M. Jérôme Bouët, respectivement présidente et rapporteur du comité national de pilotage sur l'accès de tous les jeunes à l'art et à la culture.

Je crois pouvoir dire qu'en vous confiant cette mission, la ministre de la culture et de la communication rejoignait une préoccupation très largement partagée au sein de notre commission, celle de la diffusion et du partage des arts et de la culture.

Sans épuiser le sujet, j'observe d'ailleurs que le projet de loi sur la refondation de l'école institue un parcours d'éducation artistique et culturelle qui reste à définir et qui ne doit pas conduire à accroître les inégalités entre territoires ou entre les individus selon qu'ils ont accès - ou pas - à des pratiques culturelles, y compris nouvelles - je pense par exemple au numérique.

Autre volet abordé par votre comité, la formation des intervenants. Entre face à face avec l'artiste et médiation, c'est un point essentiel mais non consensuel. De plus, la future renégociation du régime de l'intermittence peut être une opportunité de favoriser des interventions à l'école.

Je vous laisse la parole, madame la présidente, pour vous exprimer sur ces thèmes qui nous sont chers. Puis, le débat s'engagera avec les sénatrices et sénateurs de la commission qui souhaiteront vous poser des questions.

Mme Marie Desplechin, présidente du comité national de pilotage sur l'accès de tous les jeunes à l'art et à la culture. - J'ai présidé cette commission qui s'est réunie en novembre 2012. Nous avons auditionné plus de quatre-vingt organismes et représentants sur le thème de l'éducation artistique et culturelle (EAC). C'est un vaste sujet qui touche tous les enfants, au-delà de l'école, même s'il est évident que le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école tient une place particulière. La proposition m'a été faite de présider les travaux car j'ai souvent écrit pour les enfants. J'ai accepté avec enthousiasme cette mission car nous sommes nombreux à penser que l'EAC est capitale. Je n'avais en revanche aucune connaissance des différents rapports publiés sur le sujet auparavant.

Mon enthousiasme se doublait d'une grande perplexité compte tenu de l'ampleur du sujet qui couvrait tous les niveaux d'âge depuis la crèche jusqu'à l'université. Au début de nos travaux nous n'avions pas cerné tous les champs couverts par le rapport. Comment, par exemple, envisager l'intervention des professeurs de musique, d'arts plastiques ? Par ailleurs tous les temps devaient être traités, y compris les temps périscolaires. Aucun domaine ne devait être laissé de côté, ce qui incluait le numérique ou l'image. Or nous ne pouvions pas espérer faire tout le tour du sujet.

Par ailleurs, ce fut pour moi un choc culturel de constater que le rapport se contentait de formuler des incitations et des bons voeux. Nous avons organisé 10 séances de travail dans une atmosphère de grande curiosité et de très grande perplexité. Je suis persuadée que l'EAC constitue un enjeu fondamental pour nous tous.

La culture était un domaine parmi d'autres lors de nos réflexions. Nous étions orientés par le ministère de l'éducation nationale compte tenu de la réforme en cours, mais aussi par la prochaine réforme de la décentralisation, aux côtés des représentants des ministères des sports et de la jeunesse, et de l'agriculture. Les enjeux n'étaient donc pas complètement clairs, au moins pour moi et je dois souligner le remarquable travail de synthèse de Jérôme Bouët. Le rapport indique des pistes qui ne peuvent constituer que la toute première étape d'une réflexion sur l'EAC, nous devons continuer à travailler.

M. Jérôme Bouët, rapporteur, du comité national de pilotage sur l'accès de tous les jeunes à l'art et à la culture. - Dans ce rapport remis à la mi-janvier à la ministre de la culture et de la communication, j'ai commencé par décrire la situation en matière d'EAC. Celle-ci est le résultat de la politique menée depuis 30 ans. Plusieurs constats peuvent être dressés :

- on observe un foisonnement d'initiatives réalisées sur le terrain ;

- les fondamentaux de cette politique sont justes ;

- l'EAC repose en grande partie sur les artistes et les établissements culturels ;

- cette politique relève d'un engagement ancien et s'inscrit dans la durée, comme le prouve l'investissement des collectivités quelle que soit l'évolution des subventions du ministère de la culture ;

- la diminution des moyens dans la période récente a entraîné un essoufflement, justifiant aujourd'hui la volonté de la ministre de la culture de relancer cette politique.

Très rapidement je souhaiterais présenter les pistes que nous avons identifiées :

- le champ de la politique d'éducation artistique et culturelle : afin de toucher plus d'enfants, il est aujourd'hui nécessaire de l'élargir aux disciplines de l'image, du numérique, de la culture scientifique et technique. Ma position personnelle sur ce dernier point, que je sais partagée par beaucoup d'autres personnes, est qu'il essentiel de donner le goût de la science aux jeunes. Il existe un réseau de ressources sur lequel il est possible de s'appuyer, comme la Cité des sciences et de l'industrie ou les éco-musées ;

- la création d'espaces de liberté et d'initiatives : les décisions sont toujours prises au sommet de la hiérarchie alors qu'il faut laisser remonter les propositions des jeunes et de l'ensemble des acteurs. Les organisations de lycéens auditionnées nous ont fait part de leur souhait de devenir une force de proposition, ce qui est révolutionnaire pour les ministères de l'éducation nationale et de la culture ;

- la formation : nous étions dans le mode de l'incantation depuis 30 ans. Il faut aujourd'hui adopter une politique ambitieuse de formation de tous les intervenants - enseignants, artistes, etc. Cette mesure est davantage de l'ordre de l'information et de la sensibilisation ;

- la gouvernance : il faut garantir la présence de l'État et des collectivités territoriales. Alors que la participation du premier a parfois été incertaine, les collectivités ont souvent pris le relais, voire initié le mouvement, mais de manière inégale. Ce dispositif de coopération entre l'État et les collectivités territoriales doit être conservé, mais il doit être mieux organisé et offrir une approche globale. La démarche proposée dans le projet de loi présenté par Mme Lebranchu va d'ailleurs dans ce sens. Il ne faut en aucun cas opérer un transfert des compétences ni désigner un chef de file ;

- le Haut conseil de l'éducation artistique et culturelle (HCEAC) : il doit être relancé et élargir son champ d'intervention, par exemple pour promouvoir les bonnes pratiques.

Je respecte l'opinion de Marie Desplechin mais ne la partage pas totalement, même si je constate également que l'on peut mieux faire. Ce rapport s'inscrit dans une continuité forte avec les précédents et les fondamentaux sont justes. Davantage de moyens budgétaires sont néanmoins nécessaires et c'est d'ailleurs pourquoi le ministère de la culture a dégagé des crédits supplémentaires en 2013 avec une augmentation d'environ 8 %. Il en faudra plus mais nous ferons avec ce que nous aurons.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie. Vous avez touché du doigt ce qui nous préoccupe : la transversalité de nombreux sujets qui relèvent de plusieurs ministères. Ainsi la culture scientifique est-elle entre les mains du ministère de la recherche. Or, les croisements d'informations et les décisions collectives sont extrêmement difficiles pour des questions d'agenda, de prérogatives et de budget partagé. Cette responsabilité incombe au gouvernement et au parlement.

M. André Gattolin. - J'ai le sentiment qu'en France nous avons un vrai défaut d'évaluation de ce genre de politique. Je parle de l'évaluation de l'impact en termes de réussite des élèves. Les enseignants manquent de cadrage, par exemple aujourd'hui dans le domaine de l'utilisation du numérique. La même chose est vraie, au niveau des collectivités, pour les initiatives en matière de sorties culturelles comme le théâtre ou les musées, développées dans les années 1970. Je me souviens que les sorties dans les théâtres en ville, organisées quand j'étais élève dans une zone relativement exclue de culture, étaient une activité formidable. Or, aujourd'hui, j'ai l'impression que ces initiatives sont extrêmement restreintes pour des raisons budgétaires.

Mme Marie Desplechin. - Concernant l'évaluation, il est très difficile d'évaluer les sorties au musée et les éducations artistiques car ce ne sont pas des formations professionnalisantes. Un travail sur l'évaluation a été fait au sein du ministère de la culture. Il existe des documents que l'on peut se procurer mais ils ne sont pas définitifs. Cela reste un pari.

Sur la question du numérique, c'est très difficile car on ne sait pas où on va. On ne sait pas ce que cela va changer anthropologiquement. Comment accompagner nos enfants avec un outil que l'on découvre en même temps qu'eux ? L'enfant est parfois meilleur que le formateur. Ce sujet nécessite une réflexion plus approfondie.

Enfin, sur les centres urbains, je suis d'accord avec vous sur le coût des transports, c'est un gros poste budgétaire.

M. André Gattolin. - Dans les constats que j'ai pu faire en matière d'évaluation, je n'ai jamais trouvé le chiffre du nombre d'enfants qui effectuent un déplacement dans un espace culturel au cours d'une année de scolarité.

M. Jérôme Bouët. - Dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (lolf), le ministère de la culture a mis en place des indicateurs C'est loin d'être parfait, mais ils donnent un premier aperçu. On connaît le nombre d'établissements culturels qui ont une action vers l'école. L'éducation nationale suit de son côté le nombre d'enfants qui ont une activité artistique. Mais il nous manque un outil global d'évaluation.

Mme Dominique Gillot. - Je partage le souci qui a été exprimé sur la place de la culture scientifique et technique. Comment mieux prendre en compte la culture scientifique dans la réflexion sur l'éducation culturelle des enfants du XXIe siècle avec comme objectif l'ouverture des esprits et la préparation du futur citoyen au rapport de la science et de la société ? C'est aussi une sensibilisation à la pédagogie de l'apprentissage par la méthode scientifique. Cette préoccupation me semble aujourd'hui très importante.

Mme Marie Desplechin. - C'est d'abord au ministère de l'éducation nationale de prendre l'initiative à travers la définition des programmes, le ministère de la culture ne peut pas agir seul.

Mme Dominique Gillot. - Je pense qu'il est très important, surtout dans le cadre du texte sur la refondation de l'école, d'avoir des actions éducatives complémentaires pour permettre aux élèves de mieux appréhender les savoirs, d'avoir cette ouverture d'esprit, cette formation à l'esprit critique, à la pédagogie de l'apprentissage par la méthode scientifique. Et ça, c'est de la culture, ce n'est pas de l'enseignement.

Mme Marie Desplechin. - C'est un sujet de réflexion important. Nous partageons ce souci.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je rappelle que 99 % des budgets de la culture scientifique sont destinés à l'Île-de-France, voire Paris. Nous sommes très frustrés dans les régions sur ce sujet-là.

Mme Françoise Laborde. - Ces constats ont peu évolué dans le temps. Ce qui est mis en place, c'est grâce à des enseignants et des collectivités motivés. Nous attendons beaucoup de la future loi sur la refondation de l'école dans cette transversalité entre les différents ministères, la généralisation des expérimentations, l'égalité des territoires, le coût des sorties culturelles, la présence d'artistes en résidence. On attend aussi du comité national de pilotage qu'il coordonne les actions des ministères concernés. Il nous faudra peut-être légiférer en ce domaine.

M. Jérôme Bouët. - Nous ne sommes pas un comité national de pilotage des ministères, nous ne sommes qu'un comité d'évaluation dont la mission est achevée. Il n'y a pas de délégation interministérielle sur le sujet, à ce jour. Cela a été évoqué mais pas retenu.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La ministre a mis en place une consultation nationale confiée à un comité de pilotage.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Votre mission était titanesque. Je trouve qu'une des difficultés est que l'on n'ait pas travaillé sur les missions de chacun. Comment tout cela s'articule et le finance-t-on ? J'adhère à l'idée de parcours et de coopération. Il existe un service public de l'éducation nationale qui a une responsabilité dans ce domaine-là. On ne peut pas déléguer aux collectivités locales ce qui devrait relever du service public de l'éducation nationale. Mon principal souci est de définir ce qui relève de l'éducation nationale. De plus, il est difficile d'intervenir dans un champ où les lois ne sont pas encore décidées ni votées. On devrait afficher une grande ambition. Je suis frustrée.

Mme Marie Desplechin. - Je suis d'accord avec vous sur le partage des rôles avec l'éducation nationale. On ne peut pas demander à l'artiste d'exercer le rôle de l'enseignant. C'est là qu'est l'élan. Ce qui est artistique vient en complément, en éveil, en soutien. Quand il y a des initiatives, elles sont dues au charisme, à l'investissement, à la capacité de l'enseignant et du chef d'établissement. Ce n'est pas le rôle des artistes.

C'est effectivement extrêmement compliqué de travailler dans un contexte d'imbrication de lois à venir.

Il y a une grande ambition des personnes, des professeurs, des élèves, des parents... On a fait un bond en arrière. Aujourd'hui on parle d'art et culture à l'école, à mon époque, on le vivait. On annonce des projets qui ne se réalisent pas, ce qui peut générer de grandes déceptions.

M. Jérôme Bouët. - Le souhait de la ministre est bien de généraliser les réalisations, elle porte une grande ambition. Il faut travailler dans les territoires où il y a un retard énorme. Concernant les moyens, le ministère de la culture a 30 millions d'euros à consacrer à ces actions et on touche environ 20 % des jeunes en milieu scolaire. De là à conclure qu'il faut multiplier les moyens par cinq pour toucher tous les jeunes...

Mme Sophie Primas. - Je suis particulièrement sensible à la culture scientifique, qui est aussi l'affaire des territoires et des entreprises qu'il ne faut pas oublier d'intégrer. Il y a beaucoup de bonnes initiatives portées par des individus dans l'éducation nationale et par les collectivités locales. Néanmoins, on se heurte parfois à une certaine frilosité de l'éducation nationale.

L'inégalité des territoires, qui oppose souvent les communes rurales à celles qui disposent d'établissements culturels, est en partie gommée par la création des intercommunalités. Il existe beaucoup de choses dans le milieu rural et les initiatives portées par le numérique donnent accès à des musées, à des salles de concert, à la décentralisation de la culture.

Je pense enfin qu'il est utile de s'appuyer sur le tissu associatif qui est extrêmement riche. Je souhaite que l'on n'oublie pas d'intégrer le monde associatif à cette réflexion.

Mme Marie Desplechin. - Concernant les entreprises, nous demandons dans le rapport à ouvrir les portes des écoles. Il en est de même pour le tissu associatif.

M. Jérôme Bouët. - On a vu toutes les fédérations d'éducation populaire. Elles souhaitent jouer un rôle. Ceci est plus difficile à systématiser mais il faut saisir toutes les opportunités.

M. Jean Boyer. - La culture semble avoir perdu son caractère de priorité depuis quelques années, or la transmission à nos jeunes ne peut s'effectuer que si nous sommes nous-mêmes des adultes convaincus.

Par ailleurs, l'aspiration à la culture est, selon moi, un état d'esprit que l'on ne peut acquérir instantanément - j'ai moi-même mis quelques temps à mesurer parfaitement tout l'intérêt d'un site archéologique situé sur ma commune. Il importe donc que les jeunes soient très tôt sensibilisés à la richesse de notre patrimoine, dont l'étude pourrait être intégrée dans les programmes d'enseignement et prise en compte aux examens.

Mme Marie Desplechin. - L'éducation nationale pourrait en effet entamer une réflexion sur la façon de transmettre aux élèves le goût et la connaissance de notre patrimoine culturel.

Mme Françoise Cartron. - Il y a quelques années l'accord Lang-Tasca avait créé une véritable impulsion pour la diffusion des matières artistiques. Puis la priorité a été donnée aux enseignements fondamentaux. Ils sont certes essentiels, mais il faudrait susciter un nouvel élan : être un adulte culturellement accompli ayant des connaissances et une réelle appétence pour la culture, suppose d'avoir été placé enfant dans un environnement favorable. C'est l'un des objets de la réforme sur les rythmes scolaires et du projet éducatif territorial, qui prévoit une coopération entre l'éducation nationale, les lieux où s'expriment la culture et les arts, et les collectivités.

Nous devons nous appuyer sur les collectivités pour promouvoir la richesse et la variété culturelle des territoires et remédier aux inégalités portant sur l'accès à la culture. Les artistes et les acteurs culturels doivent quant à eux pouvoir intervenir dans les établissements d'enseignement, afin d'apporter une aide aux professeurs, qui ne sont pas toujours suffisamment armés pour ce type de transmission. Encore faudrait-il que les lieux de culture puissent intégrer ce volet formation et transmission à leur activité, ce qui supposerait une aide financière supplémentaire.

M. Jérôme Bouët. - Notre rapport va dans le sens de ce que vous venez d'évoquer, en particulier sur le fait de privilégier les initiatives locales souvent plus pertinentes que les vastes programmes nationaux, de favoriser une implication nouvelle des établissements culturels - ce qui impliquerait une adaptation de leurs cahiers des charges - et de renforcer la formation des enseignants dans ces domaines. Le ministère de la culture espère pouvoir mettre le pied dans la porte des futures écoles supérieures du professorat et de l'éducation.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il faut souligner les difficultés auxquelles se heurtent les établissements d'enseignement dans l'organisation des activités extrascolaires. Les sorties doivent par exemple être approuvées par le conseil d'établissement, qui ne se réunit qu'une fois par trimestre. Par ailleurs, un climat d'hyper-sécurisation s'est installé, qui interdit pratiquement toute activité ou initiative nouvelle susceptible de comporter le moindre risque.

Mme Maryvonne Blondin. - Pour les établissements d'enseignement, l'ouverture sur l'extérieur est effectivement parfois difficile dans la mesure où, aujourd'hui, les déplacements sont soumis à la délivrance d'un agrément par le rectorat, qui ne consacre que deux réunions par an à ces sujets. D'où une certaine démotivation des équipes pédagogiques. L'ouverture aux autres est une chose importante.

Je voulais mentionner un précédent rapport de M. Jérôme Bouët, dans lequel il décrivait certaines coopérations entre l'État et les territoires. Vous évoquiez notamment l'importance croissante du rôle des collectivités territoriales. Je citerai par exemple les jumelages culturels d'une durée de trois ans entre 2 ou 3 collèges, une compagnie artistique ou un artiste plasticien. Ce sont les collectivités qui financent ces opérations.

Autre point, l'enseignement de l'histoire de l'art. Les enseignants sont malheureusement insuffisamment formés et une évaluation serait utile. Pourtant, même lorsqu'un artiste intervient dans une classe, le rôle du professeur est essentiel avant, pendant et après cette intervention, tout au long de l'année dans le cadre d'un véritable parcours.

En tant que présidente du groupe de travail de notre commission sur l'intermittence, je déplore que les artistes souhaitant intervenir dans des établissements doivent limiter ces interventions à 55 heures par an, qui comptent dans le total des 507 heures qui ouvre droit au régime d'assurance chômage spécifique. Il faut pouvoir augmenter ce volume horaire dans les établissements scolaires.

Je voulais dire enfin, qu'en dépit de l'avis du Conseil d'État relatif à la charte européenne sur les langues régionales, les parlementaires restent mobilisés et attendent de l'État un signal fort pour la valorisation, notamment auprès des jeunes, des spécificités et des richesses culturelles régionales, que celles-ci aient trait aux langues, à la toponymie, à l'histoire ou encore aux traditions culinaires, bref au patrimoine immatériel de nos régions.

Nous y reviendrons sans doute lors de l'examen du texte sur la refondation de l'école et lorsque viendra la loi d'orientation sur la création artistique et le spectacle vivant.

M. Jacques-Bernard Magner. - Nous érigeons trop souvent le passé en mythe ; nous le considèrerons comme une époque bénie. Pourtant, en matière d'éducation, nous n'avons jamais connu un monde si riche ni si ouvert, notamment grâce aux possibilités qu'offre le numérique. La différence d'accès à la culture entre les villes et les campagnes est désormais abolie : les musées s'invitent en classe grâce aux visites virtuelles, ce qui était impensable dans les années 1970.

Il n'en demeure pas moins que des progrès peuvent être réalisés. Ainsi, lorsque des événements culturels sont organisés dans un territoire avec l'appui financier des collectivités territoriales, il conviendrait de systématiquement prévoir, par convention avec les organisateurs de ces événements, d'y faire assister les élèves. Lorsque qu'une collectivité subventionne un club de sport, les sportifs sont régulièrement invités à intervenir dans les établissements scolaires. De même, les élèves devraient pouvoir avoir un accès gratuit aux grands événements culturels. Je citerai, à cet égard, l'exemple du festival du court métrage de Clermont-Ferrand.

M. Michel Le Scouarnec. - Au cours de ma carrière de professeur des écoles, j'ai souvent observé un fossé entre la richesse de la pratique artistique en maternelle et l'indigence, dans ce domaine, des classes de l'enseignement élémentaire. Au lieu d'encourager, tout au long de la vie scolaire, le talent des enfants, cette rupture le bride dès l'entrée à l'école élémentaire : on tue l'artiste dans l'oeuf. Les enseignants de primaire devraient, il me semble, consacrer infiniment plus de temps à l'enseignement artistique et culturel, mais également à la pratique sportive. Il en va de la réussite scolaire des élèves, y compris dans des matières académiques comme le français et les mathématiques. Dans ce cadre, je souhaite que les prochains projets de loi de décentralisation et de refondation de l'école s'attachent à développer ces enseignements, afin de favoriser l'égalité entre les enfants et de bâtir l'école de la réussite.

Je ne partage pas, en revanche, les espoirs entretenus par notre collègue Sophie Frimas s'agissant du rôle que pourraient jouer les intercommunalités dans la réduction des inégalités en matière d'accès des jeunes à la culture entre les grandes villes, qui disposent de musées, de médiathèques et organisent des festivals, et les agglomérations périphériques les plus éloignées. A mon sens, les communes rurales, désertifiées par les acteurs culturels, voire sportifs et scolaires, demeurent trop à l'écart des grands centres urbains pour que l'intercommunalité constitue une solution suffisante à leur isolement culturel.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je donne enfin la parole à notre collègue Vincent Eblé, qui interviendra non seulement comme sénateur de la commission, mais également en tant que membre du comité de pilotage sur l'accès de tous les jeunes à l'art et à la culture, en sa qualité de président de conseil général.

M. Vincent Eblé. - De nombreux collègues ont, ce matin, exprimé leur frustration devant les conclusions du rapport du comité de pilotage, qu'ils ont jugées en-deçà des enjeux de l'enseignement culturel et artistique. Ce sentiment est, sachez-le, partagé par les membres du comité, tant il est vrai que l'ampleur du sujet comme l'abondance et la diversité des axes de travail de notre feuille de route ne nous ont pas permis d'aboutir à une réforme miraculeuse de cet enseignement.

La relation entre les jeunes et la culture - arts et artistes confondus - est essentielle à l'éducation et ne peut se limiter au seul enseignement scolaire. Cette relation est en effet multiforme et varie, dans ses modalités, en fonction des disciplines artistiques : on ne peut comparer l'accès à la danse, au théâtre, au musée ou à la littérature. En outre, les artistes n'ont pas vocation à devenir des enseignants. Il est donc difficile de définir une norme unique qui réglementerait l'enseignement artistique et culturel sur l'ensemble du territoire national. Il me semble au contraire plus utile d'identifier les « bonnes pratiques » développées par une collectivité ou un établissement et d'en apprécier la reproductibilité. Il est en effet primordial, dans le cadre de l'enseignement artistique et culturel, de laisser des espaces de liberté et de créativité aux initiatives et aux acteurs locaux, mais également de savoir inciter les artistes à participer à ces actions sans les y obliger.

Il reviendra toutefois à l'État, dans la façon dont il allouera ses moyens financiers, de veiller à ce que ne se creusent pas les inégalités entre les territoires. A titre d'exemple, la mobilité d'une classe d'un établissement situé en zone rurale vers un lieu de culture du centre ville est infiniment plus coûteuse que de déplacer vers ce même lieu une classe d'un établissement de l'agglomération.

En conclusion, si le travail du comité de pilotage peut susciter des frustrations, je reste convaincu qu'il ne fut pas inutile. Il convient désormais qu'une instance permanente en fasse vivre les propositions. Le Haut conseil de l'éducation artistique et culturelle, dont Didier Lockwood est vice-président, pourrait être chargé de cette mission, à la condition de se réunir plus fréquemment qu'aujourd'hui de façon à fournir un travail de suivi soutenu.

M. Jérôme Bouët. - Je répondrai tout d'abord à Mme Maryvonne Blondin, dont je partage la critique sur la rigidité de l'agrément nécessaire aux interventions culturelles et artistiques en milieu scolaire. Le rapport du comité de pilotage suggère, sur ce point, de reconsidérer la méthode d'agrément, afin de faciliter et d'accélérer son obtention. S'agissant de l'enseignement de l'histoire de l'art en classe de troisième, j'indiquerai que le ministère de l'éducation nationale prévoit son évaluation, même si sa mise en oeuvre semble quelque peu récente pour fournir des résultats utiles. Enfin, j'approuve les propos tenus sur la nécessité d'augmenter le nombre d'heures que les intermittents du spectacle peuvent passer dans les écoles tout en les intégrant au total d'heures permettant de bénéficier de l'indemnisation chômage spécifique à leur régime : la réduction de 120 heures à 55 heures instaurée par le protocole de 2003 a constitué un frein considérable à la présence des artistes dans les établissements.

En réponse à M. Michel Le Scouarnec, je préciserai que le rapport insiste sur les efforts qu'il convient de mettre en oeuvre en faveur de l'enseignement artistique à l'école primaire, où les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) rencontrent plus de difficultés à intervenir que dans le secondaire, malgré les demandes répétées des communes.

J'indiquerai enfin à M. Vincent Eblé, qui s'inquiétait du suivi des propositions du comité de pilotage, qu'une réunion entre les DRAC et les recteurs sera prochainement organisée sur ce thème. Déjà, notre rapport est consultable sur le site du ministère de la culture, ce qui constitue le signe de l'intérêt du Gouvernement pour cette politique.

Mme Marie Desplechin. - En conclusion, je rappellerai que l'objectif poursuivi par le comité de pilotage au cours de ses travaux était de réfléchir aux enjeux de l'enseignement artistique et culturel et de proposer des solutions réalistes de progrès.

Organisme extraparlementaire - Désignation d'un candidat

La commission désigne, en application de l'article 9 du Règlement du Sénat, un candidat suppléant proposé à la nomination du Sénat pour siéger au Conseil national du numérique.

La commission propose la candidature de Mme Sophie Primas comme membre suppléant à la nomination du Sénat pour siéger au Conseil national du numérique.

- Présidence de M. David Assouline, vice-président, puis de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Distribution de la presse - Audition de Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission entend Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis.

M. David Assouline, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Le sujet dont nous allons parler nous tient à coeur et il était nécessaire que nous vous entendions. Nous avons mené plusieurs auditions sur la distribution de la presse, sur les difficultés rencontrées par la société Presstalis et leurs conséquences sur les différents acteurs : les 20 et 21 février derniers nous recevions les représentants de l'Union nationale des diffuseurs de presse, du Syndicat général du livre et de la communication écrite et du Syndicat de la presse quotidienne nationale. Vous n'aviez pas souhaité être auditionnée alors, en raison du conflit en cours dans votre société et pour ne pas interférer avec la mission de médiation confiée à M. Redding. Un mois a passé. Quel est le bilan de la médiation ? La situation sociale s'est-elle apaisée ? Quelles sont les perspectives de la société dans les mois à venir dans le cadre de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde ? M. Legendre est également présent ; vous savez que les sénateurs savent transcender les clivages pour sauvegarder la distribution de la presse.

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Je souhaite d'abord vous remercier d'avoir compris les raisons pour lesquelles j'avais décliné votre invitation, il y a un mois. Nous étions en effet dans une sortie de conflit social complexe ; un médiateur avait été nommé et je m'étais engagée à ne pas trop m'exprimer publiquement - même devant la représentation nationale.

J'espérais pouvoir vous annoncer aujourd'hui la signature d'un accord sous les auspices du médiateur, mais nous n'y sommes pas encore : nous avons encore négocié ce matin pendant plusieurs heures et les discussions reprendront incessamment. Cette période de dialogue avec l'ensemble des organisations syndicales a permis une meilleure compréhension mutuelle, ce dont je me réjouis. C'était nécessaire, car les réformes de fond que nous préconisons ne se limitent pas à des réductions de coûts : il s'agit de remettre à plat le système, ce qui aura malheureusement un impact social non négligeable. En outre, dans la situation financière que connaît le pays, les pratiques d'hier ne sont plus de mise, même si nous nous efforçons de limiter les départs contraints. J'espère que nous aboutirons en évitant un conflit pénalisant pour tout le monde.

Nous avons signé le 5 octobre dernier avec les éditeurs et l'État un accord tripartite préconisant une réforme industrielle, qui comporte évidemment un volet social : nous avons lancé les différentes procédures afférentes.

Notre système de distribution comporte plusieurs niveaux : nous souhaitons mutualiser au maximum la messagerie, en particulier en région parisienne, et diminuer le nombre de dépôts (niveau 2), ce qui passe par la régionalisation, afin de dégager des économies substantielles. Quel est l'impact social de cette réforme ? La presse a annoncé la suppression de 1 250 emplois, mais nous espérons descendre en dessous de mille. La régionalisation du niveau 2 - nous comptons mettre en place cinq plateformes régionales, dont une seule sera sous-traitée - semble avoir été bien comprise par l'ensemble des organisations syndicales et nous sommes très proches d'un accord. Le point de blocage demeure la situation des établissements parisiens, mais nos positions se sont considérablement rapprochées ; il serait très regrettable qu'on ne parvienne pas à un accord. Les discussions se déroulent sous l'égide d'un médiateur qui a été désigné par l'État le 8 février dernier : M. Redding, grand connaisseur des problématiques industrielles et bon négociateur.

Nous devons d'abord tomber d'accord sur le volet industriel : il est indispensable de gagner en efficacité, en passant notamment de trois sites à un seul - là, je pense que l'on est tombé d'accord - et en mutualisant les niveaux 1 et 2 des quotidiens comme des magazines, avec une part de sous-traitance pour ces derniers. Une deuxième phase de discussion portera sur l'accompagnement financier : les pratiques passées ne correspondent plus aux moyens dont disposent les éditeurs, l'État ou la société Presstalis.

Nous avons énormément travaillé sur les reclassements internes : la réorganisation en province dégage plusieurs dizaines de postes ouvriers à pourvoir, ce qui diminue les départs à Paris et certaines entreprises publiques sont susceptibles de recruter nos agents sur des postes non qualifiés. Nous proposons plus d'un poste par poste supprimé - ce qui, dans le contexte actuel, est exceptionnel.

M. David Assouline, président. - S'agit-il de La Poste et de la SNCF ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - D'entreprises publiques, oui. Nous avons réussi, grâce au soutien de certains parlementaires et de l'État, à avoir des discussions très ouvertes avec leurs responsables emploi. Nous avons pris en compte la pyramide des âges, mais les précédents plans sociaux de certains établissements parisiens de Presstalis compliquent les choses. Le conflit social s'est durci en novembre, décembre et janvier, atteignant en février un paroxysme qui a suscité la nomination du médiateur.

M. David Assouline, président. - Les départs se feront-ils toujours sur une base conventionnelle ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Nous ne sommes pas vraiment entrés dans cette négociation. Différents paramètres peuvent jouer, par exemple la durée du congé de reclassement, où nous sommes passés des quatre mois prévus par la loi à neuf mois, ou encore le montant de l'indemnité de licenciement, qui peut être assez important compte tenu de conventions collectives et d'accords d'entreprise très favorables : au-delà de quinze ans d'ancienneté, il s'élève à un mois de salaire par année d'ancienneté, ce qui peut, pour les plus âgés, assurer une transition possible vers la retraite. Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour l'instant les procédures des livre I et livre II sont ouvertes et nous sommes en phase de consultation dans l'attente des résultats de la médiation.

La profession dans son ensemble s'est mobilisée. Les instances professionnelles ont agi conformément à ce qui était prévu sur les délais de préavis pour changer de messagerie par exemple ou sur la distribution des quotidiens, pour laquelle la péréquation recommandée par l'Autorité de la concurrence a été mise en oeuvre par le Conseil supérieur des messageries de presses (CSMP) et rendue obligatoire par l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP). Cela assure une meilleure équité entre les éditeurs de presse magazine de Presstalis et les autres. Malheureusement de nombreuses procédures ont été intentées contre cette décision, au civil, devant l'Autorité de la concurrence, devant le Conseil constitutionnel, etc.

M. David Assouline, président. - Par les Messageries lyonnaises de presse (MLP) ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Oui. Une seule décision a été rendue contre les MLP, qui avaient gelé le montant de leur contribution à cette péréquation : la Cour d'appel a indiqué qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à l'exécution.

M. David Assouline, président. - Les MLP ont intenté une procédure après le vote de la loi de juillet 2011 ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Oui, en évoquant son inconstitutionnalité. Il y a encore un recours contre la péréquation, ainsi que sur la décision relative aux préavis de transferts de titres. Nous faisons enfin l'objet d'une plainte devant l'Autorité de la concurrence pour collusion et abus de position dominante : l'instruction est en cours, l'affaire sera plaidée la semaine prochaine. Saisie pour avis par le Gouvernement et par l'ARDP sur les préconisations qui figurent dans l'accord tripartite, l'Autorité de la concurrence les a validées. Cet accord recommande de mutualiser au maximum un certain nombre de moyens : transports, informatique, etc. Les éditeurs de Presstalis et de MLP se réunissent régulièrement pour trouver des solutions dans l'intérêt général en dépassant les clivages, dans un contexte économique tendu.

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous prie d'excuser mon retard. A l'initiative de M. Poncelet, président du groupe France-Vietnam, je recevais Mme Nguyen Thi Binh, signataire des accords de Paris, il y a quarante ans.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - En octobre, il s'agissait de savoir s'il pouvait y avoir un dialogue assumé. Grâce à la médiation, vous avez approfondi certaines questions, votre état d'esprit me semble positif. Finalement, il était possible de rapprocher les points de vue - ce qui, vu de l'extérieur, peut surprendre.

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Tant que l'accord n'est pas signé, je demeure prudente. S'agissant de la province, l'ensemble des organisations syndicales ont participé aux négociations d'une manière qui a rendu un accord possible, nous en sommes très proches. En région parisienne, la situation est différente. Le rôle du médiateur est crucial. Une aide financière complémentaire s'impose également.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Combien ? De la part de l'État ou des éditeurs ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Des deux, pour un montant encore inconnu. Le principe est de progresser ensemble : si des concessions sont faites sur le plan industriel, il y a un impact en termes de coûts. Le dialogue n'a pas été rompu. Certains ont consenti des efforts considérables mais quelques individualités bloquent encore la signature d'un accord.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Nous comprenons que les choses avancent. Nous avions bien perçu à travers les auditions qu'un accord était possible sur la réorganisation régionale, mais plus difficile en ce qui concerne Paris. Deux questions complémentaires : le Syndicat du livre et de la communication affirme que, depuis la sortie du groupe Lagardère de la société Presstalis, les barèmes ont été sous-évalués - M. Françaix le dit aussi dans son rapport, critiquant l'absence de solidarité de certains éditeurs. Que pensez-vous du modèle de gouvernance ? Ce que vous avez dit des contentieux n'apaise pas ma crainte sur la manière dont la concurrence s'exerce. Faut-il une fusion entre les deux messageries ? Convient-il au contraire de séparer la distribution des quotidiens et des magazines ? Nous avons voulu faire en sorte que la loi réduise les contentieux judiciaire mais l'objectif ne semble pas avoir été atteint.

M. Jacques Legendre. - Je le confirme.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Vous nous dites qu'ils n'ont pas cessé. Qu'en pensez-vous ? Le secteur sera-t-il plus vertueux à l'avenir ? Le portage, qui devient un mode de diffusion majoritaire en Europe, représente-t-il pour vous une concurrence réelle et la presse numérique vous met-elle en danger ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - La modernisation de la loi Bichet marque incontestablement une avancée considérable. On constate toutefois que l'objectif d'apaisement judiciaire n'a pas été atteint : les décisions du CSMP comme celles de l'ARDP peuvent faire l'objet d'un recours devant la cour d'appel. Trois magistrats, du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, rendent exécutoires les décisions du CSMP, mais un appel est possible. L'Autorité de la concurrence peut également être saisie, comme on l'a vu quand l'accord tripartite a été signé et que la préconisation d'organisation et de mutualisation entre les deux messageries avait risqué d'aboutir à une telle saisine. Les recours sont multiples, ce que peu avaient anticipé. Préavis, péréquation, schéma directeur : la loi a tout de même aidé à avancer en produisant des décisions exécutoires qui ont débloqué des situations.

En termes de gouvernance, cependant, nous ne sommes pas allés aussi loin que le réclame l'évolution du contexte économique et des données structurelles, notamment le développement du numérique, qui porte atteinte à la presse écrite. La vente au numéro des quotidiens décroche assez sérieusement, celle des magazines diminue également. Les hypothèses les plus pessimistes formulées en 2011 lors de l'élaboration de notre plan stratégique se réalisent, soit une baisse de 25  % en quatre ans. L'an dernier, la baisse globale a été de 6 %, et de 8 % pour les quotidiens - ce qui est considérable. Cela impose de réaliser des économies : en 2010-2011 nous avions économisé entre 25 et 30 millions d'euros, l'an dernier 40 millions, tout en absorbant l'effet plein du départ de certains éditeurs vers l'autre messagerie. Les données industrielles de distribution des quotidiens n'ont rien à voir avec celles des magazines.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Vous seriez donc plus favorable à une séparation qu'à une fusion ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Il y a de fait séparation sur le plan industriel.

M. Vincent Rey, directeur général de Presstalis. - Les modes de distribution de la presse quotidienne sont très différents de ceux de la presse magazine. La distribution de la presse quotidienne est soumise à des contraintes logistiques serrées : nous avons dix-huit centres d'impression en France, les journaux paraissent tard le soir et doivent être mis en place dans 29 000 points de vente à 6 heures 30 le matin. Ce cahier des charges induit donc des coûts élevés, que les quotidiens ne peuvent guère assumer et qui ne sont d'ailleurs pas absorbés par les barèmes. D'un point de vue industriel, une séparation de toute la partie amont serait donc logique. En revanche, la mutualisation du dernier kilomètre de distribution a un vrai intérêt.

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Le départ des quotidiens de la messagerie Presstalis pour rejoindre la distribution des quotidiens régionaux pose un vrai problème économique à l'ensemble du secteur : cela supprime 25 % du chiffre d'affaires des dépôts, qui sont déjà fragilisés. Au niveau 2, la mutualisation induit du travail de nuit, mais a des avantages.

M. Vincent Rey, directeur général de Presstalis. - Plus on s'approche du point de vente, plus l'intérêt de la mutualisation entre quotidiens et magazines se fait sentir : c'est le dernier kilomètre comme la gestion du point de vente lui-même. La différenciation peut en revanche se faire en amont.

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Nous essayons donc de déterminer région par région quel type d'accord nous pouvons passer avec la presse quotidienne régionale. Tous les acteurs recherchent des solutions de mutualisation afin de diminuer les coûts de distribution, notamment sur le dernier kilomètre. Le portage représente une solution pour les éditeurs ; cela fidélise le lecteur en rendant service. Bien sûr, toute aide au portage nuit à la vente au numéro. Pour trouver des solutions, il importe de réfléchir selon une logique industrielle. Les trois canaux principaux de distribution sont la Poste, le portage et la vente au numéro. Il faut une vision globale pour décider comment mutualiser au mieux ces trois vecteurs, avant de songer à distribuer des aides. C'est plus facile à dire qu'à faire, mais les évolutions actuelles l'imposent.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Avez-vous été associée aux travaux du groupe de travail confié à M. Maistre ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Je serais juge et partie...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - En audition, on l'est toujours.

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Nous n'avons pas été auditionnés pour le moment. Mais je n'hésite pas à m'exprimer sur ces sujets.

M. Louis Duvernois. - Comment le chiffre d'affaires des éditeurs se répartit-il par secteur entre les trois réseaux de vente que sont les kiosques, le postage et le portage ?

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - En volume, les ventes en kiosque représentent environ 50 % des ventes. Viennent ensuite le postage, puis le portage. Cela dit, les aides à la presse sont réparties à peu près à l'inverse : la vente au numéro est aidée à travers les quotidiens, La Poste est largement pour la distribution aidée en faveur des journaux et magazines d'information politique et générale et une aide au portage a été récemment mise en place, dont les effets sont contestables.

M. Louis Duvernois. - La montée du numérique est certes une menace. Une autre tient à la fermeture de kiosques de plus en plus nombreux, qui ne servent plus que de panneaux publicitaires. Le dimanche, en particulier, on n'en trouve plus. Le Journal du dimanche semble avoir passé des accords avec des boulangeries. Le maintien et le développement de l'accès à la presse écrite n'est-il pas un des enjeux majeurs ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Le plan social que vous avez exposé pourrait causer la perte de la moitié des emplois, soit 1 200 personnes. Si l'on y ajoute les effets du numérique, on prend la mesure de la situation. Sur un réseau important comme le vôtre, quelle diversification envisager ?

Mme Corinne Bouchoux. - Si j'osais une comparaison, je dirais que nous avons un problème de diésélisation de la presse. Nous sommes confrontés à des phénomènes très structurels. Le kiosquier de Sèvres-Babylone vous le confirmera : 95 % des enseignants et des étudiants de Sciences-po lisaient la presse il y a encore quelques années, ils ne sont désormais plus que 5 %.

Nous étions à Berlin lundi dernier : nos problèmes paraissent incompréhensibles à nos amis allemands si l'on ne fait pas appel à un autre facteur d'explication. Lorsque la qualité des produits n'est plus au rendez-vous, le contact est perdu avec les jeunes lecteurs et une partie des élites.

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Vous abordez le débat de fond. Le numérique touche tous les pays, avec des effets différents selon les systèmes de presse nationaux, car ils sont aussi fonction de la qualité des produits vendus. Les systèmes français et allemand ne sont guère comparables en termes de distribution. Partout où les produits correspondent aux besoins des lecteurs, magazines et journaux se portent bien. En France, la presse magazine a un poids considérable, tandis que, pour des raisons historiques et structurelles, la presse quotidienne nationale y est moins développée. Lorsqu'elle propose des articles de fond, la presse magazine se vend, nous le voyons bien selon l'actualité. Sous ce rapport, et bien que le numérique constitue une évolution structurelle inéluctable, la presse papier conserve tout son sens.

La situation des diffuseurs est complexe. Ce sont les grands oubliés des réformes passées, notamment en matière de rémunération et de conditions de travail. Or ils travaillent énormément, pour une rémunération très faible. La situation des kiosquiers est particulière : ils ne sont que 700 sur 28 000 points de vente, dont plus de la moitié à Paris. On s'étonne qu'ils ne soient pas ouverts le dimanche, mais comment vivraient-ils ?

Forts de notre savoir-faire de distributeur, qui consiste à gérer les réseaux de proximité et à traiter la complexité du flux d'information sous de fortes contraintes, nous devrions parvenir à nous diversifier. Nous avions commencé à nouer des liens pour prendre le relais de certains sites Internet marchands, jusqu'à ce que des sociétés américaines disposant de fonds que nous n'avons pas, interviennent pour nous sortir du marché.

M. Vincent Rey, directeur général de Presstalis. - La diversification est liée aux points de vente. Ce sont des commerçants de proximité, que nos commerciaux passent voir chaque semaine. Tout le monde a intérêt à leur développement.

Mme Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis. - Nous avons le souci de professionnaliser les diffuseurs. Notre réseau Seddif, qui regroupe les enseignes « Maisons de la presse », forme les diffuseurs à l'aspect commercial de leur métier. Le livre, les produits culturels sont d'autres opportunités de diversification. Nous devons réaliser ce potentiel, sans porter atteinte à l'activité de diffusion de l'information. L'urgence conduit en ce moment à esquiver ces débats.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci.

Distribution de la presse - Audition de MM. Jean-Claude Cochi, président, et Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse (MLP)

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Notre commission a souhaité organiser dès la mi-février une série d'auditions sur le conflit au sein de la société Presstalis, dont les conséquences sont nombreuses pour les différents acteurs de la distribution de la presse. Dans ce cadre, vous avez demandé que les Messageries lyonnaises de presse (MLP), concurrentes de Presstalis, soient également entendues.

Votre voeu est exaucé : nous vous écoutons sur les relations commerciales que vous entretenez avec Presstalis et avec les différents éditeurs, sur la façon dont se partage et évolue le marché de la distribution de la presse et sur la possibilité de conserver un régime de concurrence dans le système coopératif et solidaire instauré par la loi Bichet.

M. Jean-Claude Cochi, président des Messageries lyonnaises de presse. - Nous vous remercions de nous donner la parole. Créée en France en 1945, avant même la loi Bichet, MLP a été la première coopérative de presse. Elle assure environ 33 % de la distribution de la presse magazine en tant que messagerie, pour un volume d'affaires d'environ 590 millions d'euros prix fort, c'est-à-dire selon la valeur faciale des titres. Au niveau 2, elle assure, avec ses dépôts, la distribution de toute la presse qui lui est confiée, qu'elle soit groupée par Presstalis ou par MLP. Son réseau Alliance, qui réunit ses propres dépôts comme des dépôts indépendants, réalise environ 31 % de la distribution de toute la presse pour un volume d'affaires de l'ordre de 650 millions d'euros prix fort.

MLP est le premier distributeur-dépositaire francilien, avec plus de 55 % de la distribution de la presse magazine et quotidienne, hors Paris intra-muros, qui reste un monopole de Presstalis. MLP, qui doit assurer par ses propres moyens la distribution de la presse magazine dans cette zone, offre une qualité de service de référence, plébiscitée par les diffuseurs parisiens.

En quatre ans, MLP a investi près de 25 millions d'euros sur le niveau 2, sans aucune subvention. Le groupe emploie 739 collaborateurs et n'a jamais bénéficié d'aucune aide publique, bien qu'il distribue des publications d'information politique et générale sur le niveau 1 et tous les quotidiens nationaux sur le niveau 2. En tant que pure coopérative, elle redistribue l'intégralité de ses marges nettes à ses éditeurs et réalise un chiffre d'affaires consolidé d'environ 90 millions d'euros.

MLP a toujours contribué davantage que Presstalis à la consolidation de la marge du réseau : sur le niveau 2, la rémunération versée au dépositaire est en moyenne de 8,6 % supérieure à celle versée par Presstalis, aussi bien sur les dépôts indépendants que sur les dépôts SAD et Soprocom appartenant à Presstalis : quand nous distribuons Le Point, cette différence équivaut à un mois de ventes supplémentaire. En outre, depuis 1996 et jusqu'aux dernières décisions du CSMP sur les frais de transport, MLP offrait les frais de transport aux diffuseurs parisiens, qui représentaient 2 % du chiffre d'affaires prix fort : Marianne rapportait 10 % de plus au dépositaire. Nous améliorons d'autant leur rémunération par rapport à celle que Presstalis leur accorde.

MLP contribue depuis 2008 au financement du système informatique de Presstalis P2000 par une redevance d'interopérabilité (1,5 million d'euros en 2013). Elle a également développé, à sa charge, un système informatique alternatif assis sur une architecture dénommée Edgar, qui fonctionne dans les dépôts et qui est capable de gérer toute la presse magazine et les publications hors presse. Sa généralisation ou l'adaptation des systèmes d'information MLP à la presse quotidienne dégagerait une économie de plus de 10 millions d'euros par an : les systèmes d'information MLP sont opérés avec un budget annuel inférieur à 5 millions d'euros, contre 20,2 millions d'euros pour celui de Presstalis, sans compter la redevance de 1,5 million versée par MLP à Presstalis.

Hors péréquation spécifique des quotidiens du CSMP, MLP contribue au secteur à hauteur de 16 millions d'euros de plus que Presstalis, sans aucune subvention. A cela s'ajoutent les économies de distribution dont bénéficient les éditeurs distribués par MLP, soit environ 20 millions d'euros par rapport à Presstalis. La généralisation d'un modèle industriel et commercial équivalent à toute la presse magazine rapporterait 60 millions d'euros, soit largement de quoi financer la distribution des quotidiens nationaux.

Enfin, MLP a financé, seule et sans subvention, le développement d'Agora Presse, seul réseau franchisé de magasins hyper-spécialistes de la presse. Ce réseau de vingt magasins détenus par des commerçants indépendants s'accroît de 40 % par an malgré un contexte difficile. Disposant de l'offre la plus large, pas moins de 3 000 références de presse, il résiste mieux que ses concurrents à la baisse du marché : le réseau n'a en effet perdu que 2 % en 2013 contre 8 % en moyenne. La rémunération moyenne d'un magasin Agora, inférieure de 25 % à celle d'un magasin Relay à l'offre plus réduite, reste encore inadaptée à sa performance. MLP milite pour une augmentation significative de la rémunération des points de vente hyper-spécialistes de la presse, quels qu'ils soient.

Contrairement à certaines idées, MLP exerce une concurrence hautement vertueuse pour le secteur. Ce n'est pas le cas de Presstalis. En effet, selon Jérôme Cahuzac, cité par l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique, les cinq plans d'aides publiques à Presstalis ont atteint 530 millions depuis 2002, soit une moyenne de 50 millions d'euros par an, sans même tenir compte des pertes constatées. La concurrence de MLP n'y est pour rien, puisqu'elle a sur la même période cumulé un chiffre d'affaires à peine supérieur à ce montant, et surtout une marge sur coût variable deux fois plus faible. Même en l'absence de MLP, Presstalis serait restée déficitaire et les aides d'État se seraient comptées en dizaines de millions d'euros.

L'avenir de la presse passe autant par la préservation de la concurrence sur le marché et ses garanties d'alternatives que par la restructuration de Presstalis et son retour à l'efficience économique.

M. Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse. - MLP partage le souci de préserver le marché de la distribution par la vente au numéro, enjeu économique et social capital. Les seuls acteurs de la distribution représentent plus de 70 000 emplois directs, dont 3 % au sein de Presstalis : 1 700 au niveau 1, 2 500 au niveau 2, et 70 000 au niveau 3 répartis sur 28 000 points de vente - les 45 000 emplois chez les 12 000 diffuseurs traditionnels ou spécialistes de la presse sont menacés par l'affaiblissement du secteur.

Aux milliers d'emplois indirects chez les transporteurs et sous-traitants divers, il faut ajouter les emplois en amont (journalistes, commerciaux, personnels administratifs des éditeurs, imprimeurs, marchands de papier, etc.).

Des erreurs de diagnostic relatives à la situation du marché ont conduit à administrer des remèdes inefficaces, voire susceptibles d'aggraver le mal. Les éditeurs de presse magazine assurent 80 % de l'activité de la vente au numéro et plus de 90 % de ses charges ; ils ne seront bientôt plus en mesure d'assumer la péréquation de près de 50 % des charges spécifiques des quotidiens.

L'affaiblissement et la détérioration de la presse magazine constituent de loin les premières menaces pour la presse quotidienne, qui assure 80 % de l'économie des dépôts et des diffuseurs. Sans une presse magazine forte, la presse quotidienne serait dans l'impossibilité de compter sur le niveau 2 et sur le réseau capillaire des diffuseurs spécialistes de la presse, qui assument 60 % de ses ventes. Ainsi, opposer des catégories de presse dans un réseau mutualisé menace la stabilité de l'édifice.

Un plan de restructuration ou de consolidation du secteur ne tenant compte que de Presstalis menacerait l'ensemble du secteur, et Presstalis elle-même. Celle-ci doit être intégrée dans le plan, mais ne pas en être l'élément central ou unique. Parce qu'il est structurant, en France comme à l'étranger, l'organisation de la distribution de la presse doit reposer sur un niveau 2 fort, restructuré et concentré dans le cadre du schéma directeur régional adopté par le CSMP. Or le plan Presstalis prévoit une sous-traitance intégrale de la presse magazine à des tiers, sans valeur ajoutée compétitive, alors que MLP continue à intégrer ce savoir-faire dans de meilleures conditions.

Le diagnostic stratégique est clair : sur l'activité du niveau 1, le seul savoir-faire différenciant intégré au périmètre Presstalis est le monopole de distribution des quotidiens, un marché appelé à une forte contraction, du fait même de la stratégie des éditeurs de quotidiens. En sous-traitant l'intégralité de son activité logistique de niveau 1 pour les magazines, Presstalis ne se positionne plus comme un acteur industriel de sa distribution, elle joue de la péréquation pour amortir ses charges de structure, d'ailleurs non évaluées. Au passage, elle neutralise la concurrence de MLP et toute alternative concurrentielle nouvelle en faveur des magazines. Cette position, inquiétante pour tout le secteur, ne fera que repousser l'échéance inévitable d'une restructuration plus sévère encore.

Si Presstalis prépare son retrait du niveau 1, elle devrait rester un acteur référent sur le niveau 2. Le modèle économique de celui-ci peut et doit évoluer, en assurant la pérennité de Presstalis indépendamment de sa position sur le niveau 1. L'avenir de Presstalis passe sans doute par la réussite du schéma directeur du niveau 2 et la consolidation économique de son activité sur ce secteur essentiel de la distribution et les relais de croissance qu'il offre.

Ce n'est pas la taille du marché qui conditionne le nombre d'acteurs possible sur le niveau 1, mais bien leur mission et leur savoir-faire. Sur des marchés comparables ou plus petits, il y a à l'étranger plus de distributeurs nationaux qu'en France : 8 en Allemagne, 11 au Royaume-Uni, 4 en Espagne, 6 en Italie, 2 en Belgique, dont le plus petit réalise moins de 10 % du chiffre d'affaires national.

La vente au numéro de la presse et des publications assimilées distribuées par les messageries représente un marché de l'ordre de 2,2 milliards d'euros en 2012. Les ventes de quotidiens assurées par Presstalis rapportent 450 millions d'euros de chiffre d'affaires, 1 200 millions d'euros pour les magazines et hors presse, contre 590 millions d'euros pour MLP sur ce segment.

La presse quotidienne réalise environ 18 % du marché de la vente au numéro, partant de l'activité de l'ensemble des distributeurs, tous niveaux confondus. Il y a autant de cahiers des charges logistiques et commerciaux que de quotidiens, ce qui grève lourdement leur coût collectif de distribution. Les quotidiens font de plus en plus rapidement migrer leur distribution de la vente au numéro vers d'autres moyens : postage, portage, numérique, diffusion gratuite.

Alors que la presse magazine a accru la part de son chiffre d'affaires provenant de la vente au numéro, la presse quotidienne l'a réduite significativement. Selon la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), la part de la diffusion payée dans le chiffre d'affaires de la presse quotidienne est passée de 73,6 % à moins de 58,2 % en vingt ans. En 2012, les ventes payées au numéro constituaient moins de 45 % de la diffusion totale des quotidiens. La diffusion gratuite et par tiers représente désormais presque 38 % de la diffusion totale des ventes au numéro payées ; elle est même supérieure pour certains quotidiens nationaux. Si ces tendances se poursuivent, le modèle économique de la distribution de la presse, organisé pour elle mais lourdement contraint par les cahiers des charges de la presse quotidienne, sera fortement remis en question.

La situation du marché et les orientations stratégiques de la presse quotidienne rendent plus hypothétiques que jamais les choix de restructuration retenus pour le secteur en général, et pour Presstalis en particulier. L'absence sur le niveau 1 d'un cahier des charges unique pour la presse quotidienne, interdit de mutualiser les coûts de distribution et fait peser sur le secteur des charges désormais excessives.

Les coûts spécifiques des quotidiens incorporent des charges spécifiques et atypiques ; concédées par les ex-Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), elles sont désormais incompatibles avec la situation générale du secteur de la vente au numéro. C'est la raison pour laquelle MLP a contesté non pas le principe d'une contribution exceptionnelle sous forme de péréquation des charges réellement spécifiques aux quotidiens, mais le modèle retenu par le CSMP dont les mécanismes menacent tout autant MLP et la concurrence que la presse magazine dans son ensemble.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je crains que, dans votre réquisitoire, vous ayez perdu votre auditoire...

M. Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse. - Je comprends. Le sujet est compliqué.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - C'est plutôt la forme qui est inhabituelle pour notre commission : nous avons l'habitude de plus d'interactivité.

M. Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse. - Je termine rapidement mon propos. Le financement est un premier problème. Moins de 5 % des besoins de financements spécifiques à la restructuration Presstalis sont assurés par des aides spécifiques, le reste étant réparti en économies, pour 30 %, et en hausses de barème, à hauteur de 65 %.

Second problème, les comptes d'exploitation des éditeurs qui payaient déjà très cher leur distribution vont être dégradés par ces augmentations, accélérant la dépression du secteur par un effet de désinvestissement, voire de retrait des éditeurs de presse magazine. Une baisse de 33 % sur quatre ans est donc désormais possible au lieu des 25 % envisagés initialement.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Le format de votre intervention nous fait encore plus regretter de n'avoir pas organisé de table ronde. Il est vrai que la guerre semble ouverte avec Mme Couderc, qui n'a guère fait référence aux MLP dans son intervention. Je comprends que vous défendiez vos intérêts, mais on peut regretter que la solidarité placée au coeur du système après la guerre ne soit plus d'actualité. Une fusion avec Presstalis pourrait-elle améliorer la gouvernance du secteur ? Faut-il au contraire séparer plus nettement les activités de distribution des quotidiens et des magazines ?

La presse magazine est un terme générique qui recouvre beaucoup de choses. Les produits qui en font partie doivent-ils tous être aidés ?

La réforme de la loi Bichet de juillet 2011 donnait le sentiment de répondre à vos attentes. Elle avait pour contrepartie de créer une instance de régulation, au moment où la situation paraissait bloquée par de nombreux contentieux. Les efforts de Presstalis ne méritent pas le réquisitoire que vous avez prononcé, car si la société venait à disparaître, tout le secteur serait fragilisé. Ne peut-on, à nouveau, plaider pour plus de solidarité ?

M. Jean-Claude Cochi, président des Messageries lyonnaises de presse. - La loi de juillet 2011 prévoyait une refonte du CSMP destinée à entendre tous les acteurs. Ce dialogue est aujourd'hui inexistant car Presstalis et MLP ne sont pas membres du bureau décisionnaire du Conseil. Nous ne pouvons formuler qu'un avis positif, négatif, ou nous abstenir sur les projets qu'il élabore.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Nous auditionnons le président du CSMP immédiatement après vous.

M. Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse. - Nous ne formulons aucun réquisitoire contre Presstalis, car nous savons que sa situation est difficile, mais plutôt contre la façon dont les solutions y ont été apportées. Nous pensons que les comportements de consommation conduisent les volumes d'activité à la baisse, et que les décisions qui ont été prises ne font que pousser les acteurs vers la sortie. L'absorption de Presstalis par les MLP ne rendrait donc pas le système plus viable. Aujourd'hui, la presse magazine est dissuadée d'investir...

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Vous avez des exemples ?

M. Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse. - C'est le cas pour les titres d'information politique et générale, mais pas uniquement. Par exemple, dissuader les supports récréatifs de poursuivre leur activité ne permettrait plus aux diffuseurs d'amortir leurs charges fixes, qui sont importantes.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Il faut donc changer la loi ?

M. Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse. - Pas nécessairement. Le CSMP a adopté des règles qui sont en train d'être mises en oeuvre, notamment la possibilité pour un diffuseur de refuser de distribuer un titre. Imaginons un titre habituellement vendeur que 20 % de ses diffuseurs cessent d'offrir aux clients. Le titre interrompt sa parution, ce qui pèse sur les 80 % qui voulaient continuer à le diffuser, et ampute par contrecoup les flux de niveau 2.

Adapter l'offre d'un point de vente à son environnement est une idée qui tombe sous le sens. Mais nous mettons en garde contre les mécanismes dangereux qui ont été introduits. Les cahiers des charges ne sont plus supportables. Il s'agit d'un problème de modèle industriel. La fusion n'y changerait rien.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Je pensais plutôt à son impact sur la gouvernance du système.

M. Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse. - Nous pensons que Presstalis et les MLP peuvent exister ensemble sur le marché, mais pas selon les méthodes qui ont été retenues. Regardez ce qui se passe dans les pays étrangers : en l'absence d'un dispositif législatif comparable au nôtre, les problèmes de gouvernance sont des problèmes habituels de concurrence.

Nous avions l'espoir que la loi de juillet 2011 règle un certain nombre de sujets. Or aujourd'hui nous payons sans être partie aux décisions prises pour le secteur. De plus, les MLP payent partout plus cher que Presstalis et payent Presstalis elle-même !

Nous faisons face à deux problèmes. D'une part, la situation des éditeurs, quels qu'ils soient. D'autre part, celle des diffuseurs. Des économies sont possibles, si l'on affronte les rigidités des cahiers des charges.

Le niveau 2 est central pour la distribution de la presse. La France est le seul pays à fonctionner avec une logique d'intégration verticale, qui ne correspond pas nécessairement aux besoins des acteurs locaux, ni des consommateurs.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je suis heureuse que nous ayons trouvé un point d'accord commun à Presstalis et à vous-même : la nécessité d'une refonte du système économique des diffuseurs. Nous prendrons connaissance attentive de la documentation que vous nous avez laissée. Je retiens votre regret de n'être pas associés aux décisions prises par le CSMP, contrairement à l'esprit du texte initial. Je vous remercie.

Distribution de la presse - Audition de MM. Jean-Pierre Roger, président, et Guy Delivet, directeur général du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP)

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - L'audition de MM. Jean-Pierre Roger, président, et de M. Guy Delivet, directeur général du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) clôt la série de consultations que nous avons débutée le 20 février dernier.

Le CSMP est chargé, avec l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) de la régulation et du contrôle de la distribution de la presse, dans le respect des grands principes de la loi Bichet. Pourtant, votre efficacité comme votre proximité avec les éditeurs sont bien souvent critiquées. Pouvez-vous nous éclairer sur vos missions et plus particulièrement sur votre rôle dans le cadre du conflit Presstalis ? Quels sont les moyens dont vous disposez pour réguler la concurrence entre les messageries et assurer le bon fonctionnement du système ? Pensez-vous qu'il faille modifier les modes de gouvernance actuels du système de distribution ?

Vous nous présenterez rapidement le rôle du CSMP et vos propositions en matière de régulation de la distribution de la presse, avant que notre collègue David Assouline, rapporteur pour la presse, puis les membres de notre commission, ne vous posent leurs questions.

M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse. - Merci de m'avoir invité. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Guy Delivet, retenu par des ennuis de santé.

Il est indispensable de rappeler brièvement le contexte dans lequel s'inscrit le CSMP. Les bases du système de diffusion de la presse ont été posées par le Conseil national de la Résistance. Il obéit aux principes suivants : solidarité, mutualisation, coopération, gestion donnée aux éditeurs de presse, système commercial reposant sur le mandat.

Dès la loi d'avril 1947, il est apparu nécessaire d'écarter de la presse et de sa distribution les influences des puissances de l'argent et de la puissance publique. Porté par un fort consensus, le système a bien fonctionné pendant des années. D'aucuns y voyaient le meilleur du monde. Il était envié par beaucoup.

Depuis la fin des années 1980, la concurrence a progressé dans le secteur, y compris parmi les éditeurs, tandis que les grands monopoles publics d'après-guerre étaient démantelés. Les MLP n'existaient alors que sous forme de sous-traitance. Les principes de solidarité et de concurrence se sont vite révélés difficile à concilier et les contentieux se sont multipliés.

Les États généraux de la presse écrite ont tracé la voie des réformes souhaitables.

La proposition de loi du 20 juillet 2011 a abouti et je tiens à saluer le travail réalisé par MM. Legendre et Assouline.

Depuis le changement de gouvernance en 2011, cinq réformes ont été engagées par le CSMP :

- l'assortiment des titres servis aux points de vente est en cours de déploiement, avec 4 000 points de vente assortis. Cette mesure constituait une demande forte des diffuseurs ;

- le schéma directeur des dépositaires de presse, qui doit refondre l'organisation du niveau 2, a été voté et doit aboutir d'ici fin 2014 à la baisse du nombre de dépôts, de 134 à 63 ;

- la rémunération transport des dépositaires ne sera plus faite uniquement à la commission mais au drop, c'est-à-dire en fonction de la notion d'unité d'oeuvre : cette première française dans les systèmes de distribution permet, dans un marché en baisse, de garantir un niveau élevé de rémunération transport ;

- le délai du préavis pour changer de messagerie, de trois mois, dérogeait aux règles commerciales, notamment celles qui régissent les relations entre les éditeurs et les imprimeurs : il est désormais compris entre trois et douze mois, en fonction de l'ancienneté. Cette mesure importante est intervenue opportunément, au moment où Presstalis menaçait d'être en cessation de paiement ;

- enfin, une péréquation inter-coopératives a été mise en place : c'est la pièce maîtresse de la solidarité entre messageries. Il est en effet légitime que l'ensemble des messageries participent au surcoût lié à la distribution des quotidiens d'information politique et général supporté par l'une d'entre elles. Sur un total de 26 millions d'euros de frais spécifiques, les MLP participent pour un montant évalué entre 7 à 8 millions d'euros par an.

Toutes ces mesures responsabilisent les éditeurs, qui ont compris qu'ils évoluaient désormais au sein d'un système solidaire et mutualisé. Dans l'ensemble, la mutualisation et la concentration des coûts fonctionnent bien.

D'autres décisions ont été prises. Après avoir envisagé de s'associer avec la presse quotidienne régionale (PQR), la presse quotidienne nationale (PQN) demeure distribuée par Presstalis.

Le préavis visant à rendre plus pérenne l'engagement des éditeurs au sein de leur messagerie a été accepté.

Dans une déclaration du 10 mai 2012, le CSMP a averti les pouvoirs publics et les acteurs de la distribution des menaces imminentes qui pesaient sur Presstalis et de la nécessité de participer à son sauvetage, ce qui a permis de débloquer 90 millions d'euros de fonds.

L'institution de la péréquation est l'élément le plus manifeste de la solidarité.

Vous avez peut-être entendu des points de vue différents sur le fonctionnement du système. Le couple CSMP-ARDP est opérant : le CSMP élabore et vote les décisions, l'ARDP les vérifie et les rend exécutoires. La loi de juillet 2011 met en place « un système de régulation bicéphale qui adosse à un CSMP, devenu instance professionnelle dotée de la personnalité morale de droit privé, détenteur en premier instance du pouvoir d'élaboration des normes de régulation, une autorité de régulation de la distribution de la presse, autorité indépendante dans sa composition, chargée de contrôler les décisions prises par le CSMP, sans pour autant disposer d'un pouvoir autonome », comme l'écrivait M. Assouline dans son rapport.

Il est inexact de dire que l'ARDP ne peut qu'accepter ou réfuter les décisions du CSMP. Elle peut refuser les décisions du CSMP par un avis motivé ou demander une nouvelle délibération. La loi a ouvert un espace de dialogue plus que formel entre les deux instances.

Le système n'est pas davantage une source extraordinaire de contentieux comme certains le lui reprochent. Mais il est vrai que les acteurs n'acceptent pas toujours le pouvoir normatif de l'organisation bicéphale : une fois homologuée par l'ARDP, la décision devient exécutoire. Le nombre de contentieux se situe cependant au même niveau que celui de toute nouvelle autorité administrative.

La loi partage le pouvoir entre le conseil supérieur et l'ARDP. La technicité des normes rend la validation de l'ARDP souhaitable, et celle-ci incite le CSMP à argumenter ses décisions.

Ce fonctionnement implique des procédures et des consultations publiques, mais dans l'ensemble, la rapidité des décisions n'est pas entachée : l'ARDP statue en moyenne dans un délai de à quatre à six semaines. Les relations de confiance entre les responsables ont donné aux décisions une légitimité, que renforce la sécurité juridique.

Une commission de suivi de la situation économique et financière des messageries a été constituée au sein du CSMP. Compte tenu du fait qu'elle est amenée à étudier les comptes des messageries, qui lui sont communiqués à l'avance de façon confidentielle, ses effectifs sont volontairement restreints.

Le programme de travaux du CSMP pour 2013 est le suivant :

- au niveau 1, nous suivons en premier lieu la situation de Presstalis. Si une société commune de moyens devait voir le jour, elle serait probablement suivie et organisée par le CSMP. L'unification des systèmes d'information est en cours de discussion, et nous nous saisirons bientôt de la question. Nous étudierons également le barème des coopératives ;

- concernant le niveau 2, le schéma directeur est en cours de réalisation ;

- enfin, faute de moyens, la réforme technique du niveau 3 ne sera mise en oeuvre partiellement que le 28 mars : le plafonnement des quantités servies ne sera réalisé qu'un mois plus tard, au terme d'une consultation publique.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci pour cette présentation tonique qui contraste avec nos précédentes auditions.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Les MLP vous reprochent un certain parti pris, de façon assez catégorique. Est-ce le cas ?

Cette organisation bicéphale ne semble pas idéale, mais pouvons-nous aller plus loin sans repenser globalement la gouvernance de la distribution ?

Je vous remercie de rester fidèle à l'esprit de la loi, ouvert à la modernisation et d'oeuvrer à l'apaisement des tensions dans le secteur.

Vous avez pris la décision courageuse de surseoir pour neuf mois aux migrations vers les MLP, pour laisser à Presstalis le temps de se restructurer. Est-ce un recul ou un simple sursis ?

M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse. - La décision du 22 décembre 2012 a instauré la péréquation. D'après l'étude réalisée par le cabinet Mazars, il faut compter environ six mois de délai pour les transferts entre organismes. Dans la même décision, figurait le gel pendant neuf mois des transferts entre les messageries, mais l'ARDP a invalidé cette mesure. Elle a proposé d'instaurer un préavis plus long, une solution moins risquée juridiquement que le gel, fondé sur les pratiques commerciales en vigueur, notamment avec les imprimeurs. Comme le gel, ce préavis mettait fin aux transferts, sauf quand le contrat avait déjà été dénoncé.

Les groupes de presse qui utilisent une messagerie depuis longtemps ont droit à la tranche la plus élevée du préavis, de dix à douze mois. En 2012, certains ont pris les devants, déposant des préavis de précaution, ce qui est peut-être juridiquement contestable. Depuis, les tensions se sont apaisées, notamment grâce à la pérennisation de Presstalis.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Le fait que votre avis soit à prendre ou à laisser n'est-il pas gênant ? Les messageries ne pourraient-elles pas être associées en amont à vos décisions ?

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Dans les faits, cette critique ne concernerait qu'une seule messagerie.

M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse. - L'Assemblée du CSMP est composée majoritairement d'éditeurs nommés par les syndicats de presse et cela a été voulu. Y figurent également trois représentants des MLP, trois de Presstalis, des représentants des agents de la vente et des représentants du personnel. Les éditeurs délibèrent et décident dans l'intérêt et au nom de leur famille de presse, et non des messageries.

Les messageries ont sans doute créé de fortes rivalités, mais celles-ci s'apaisent. Je m'en réjouis, car ces querelles n'ont pas beaucoup de sens : aujourd'hui, tout le monde est partout.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Comment se déroulent les délibérations ?

M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse. - Vous avez souhaité un certain formalisme. Une commission des bonnes pratiques composée d'éditeurs prépare les décisions. La loi prévoit des auditions des organismes professionnels et une consultation publique pour chaque décision.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Les décisions ne donc pas à prendre ou à laisser ?

M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse. - Les décisions sont très souvent amendées.

En amont de l'assemblée, le bureau, qui n'est pas prévu par la loi mais par le règlement, est constitué uniquement d'éditeurs, et notamment de deux représentants du syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), d'un représentant du syndicat de la presse quotidienne régionale et de trois représentants du syndicat de la presse magazine.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie.