Mardi 9 avril 2013

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Élargissement - Rencontre avec une délégation de la commission chargée des questions européennes de la Grande Assemblée nationale de Turquie

M. Simon Sutour, président. - Monsieur le Président, chers Collègues de la Grande Assemblée nationale de Turquie, je suis très heureux en tant que président de la commission des affaires européennes du Sénat de vous recevoir aujourd'hui. Le mardi est un jour extrêmement chargé pour notre assemblée, en particulier aujourd'hui. Vous l'avez constaté, puisque vous avez été salués en séance, que nous avons en ce moment un débat très animé sur le mariage des personnes de même sexe. Et les positions font que la majorité et l'opposition mobilisent nos collègues pour être en séance pour les votes, ce qui fait qu'il nous manque quelques participants.

Ceci dit, dès que j'ai su que vous étiez à Paris cette semaine et au Sénat aujourd'hui, c'est avec un très grand plaisir que nous avons organisé cette réunion. Ce que je vous propose, Monsieur le Président, c'est que vous nous disiez quelques mots sur le but de votre visite dans notre pays, bien entendu sous le prisme de l'Union européenne puisque je sais qu'ensuite vous êtes reçus par la commission des affaires étrangères, ensuite nos collègues pourront vous interroger et peut-être votre délégation pourra aussi s'exprimer.

M. Mehmet Tekelioglu, président de la commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne de la GANT. - Je vous remercie d'avoir organisé cette réunion aujourd'hui. Avant de passer à l'essentiel, laissez-moi avec votre permission vous présenter mes collègues :

- Mme Tülin Erkal Kara, députée de Bursa, membre du groupe d'amitié franco-turc ;

- M. Mehmet Kasým Gülpinar, député de anliurfa, membre du groupe d'amitié franco-turc et membre de notre commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne ;

- Mme Zühal Topçu, députée d'Ankara, membre de la commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne ;

- Mme Ay°e Gülsün Bilgehan, députée d'Ankara, membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et présidente du groupe d'amitié franco-turc.

Trois de mes collègues sont francophones, mais malheureusement je ne le suis pas moi-même.

La Grande Assemblée nationale turque poursuit avec l'Union européenne un projet d'échange et de dialogue entre parlements nationaux. Ce programme est financé en grande partie par l'Union européenne, la Grande Assemblée y contribue à une petite échelle. Et comme le nom du projet l'indique, il y a deux parties : l'échange et le dialogue.

Le dialogue consiste en des échanges de délégations émanant de parlements nationaux, l'organisation de visites, de conférences et de symposiums, auxquels participent des experts, des journalistes et des représentants de la société civile. C'est dans ce cadre que nous avons organisé en Turquie un symposium ayant pour sujet les flux migratoires, conférence qui a connu une forte participation. D'autres conférences ont porté l'une sur le terrorisme, l'autre sur le dialogue interculturel ; fin avril, une conférence sur la bonne gouvernance sera organisée à Berlin, et la dernière sera organisée à Paris au mois de novembre consacrée à l'égalité entre hommes et femmes.

Toutes ces conférences sont en rapport avec le dialogue ; en matière d'échanges, comme je l'avais indiqué au début, il s'agit de visites réciproques de délégations émanant des parlements nationaux.

C'est dans ce cadre-là que nous sommes ici actuellement et que l'ambassade de France en Turquie et l'ambassade de Turquie en France essaient de mettre sur pied le plus rapidement possible une visite de parlementaires français en Turquie.

Le but de notre visite est de faire connaître la vision que nous avons sur l'Union européenne, de faire connaître nos points de vues sur les affaires européennes, ce que sont nos attentes, et essayer de dissiper les malentendus en donnant toute information utile.

En Turquie, il y a longtemps eu un consensus très large en ce qui concerne l'Union européenne. En 2006-2007, le consensus était évident, puis, suite à un certain nombre de blocages, il s'est un peu effrité. Mais, en tout état de cause, si le consensus n'est plus le même en ce qui concerne l'entrée de notre pays dans l'Union européenne, il n'a pas varié en ce qui concerne l'adhésion aux valeurs de l'Union, et il est hors de question de faire un pas en arrière.

Nous sommes tout à fait déterminés à rejoindre le niveau des valeurs standards de l'Union européenne. Nous sommes conscients de nos lacunes. Nous avons la volonté de continuer à aller de l'avant.

Les valeurs de l'Union européenne, nous pouvons les diviser en deux groupes, critères économiques et critères politiques. En matière de critères économiques, la Turquie a connu une profonde évolution. En matière de déficit du budget, de dette en général, l'évolution est très satisfaisante.

En matière de critères politiques, nous sommes sur la bonne voie, tout en restant conscients des manques. Au sein de l'Assemblée nationale turque, les partis d'opposition et les partis au pouvoir peuvent agir de concert. Il y a plusieurs signes très encourageants : nous avons adopté trois paquets de réformes en matière législative, le quatrième vient d'être adopté en commission.

J'ai commencé à lire des romans français dès mon jeune âge, je sais à quel point la culture française est attachée à la liberté d'expression, à quel point cette culture est liée à la liberté ou à la démocratie en général, c'est à ce titre que nous avons besoin de plus d'appui, de plus d'interaction avec nos amis français.

Nous accordons une importance toute particulière au dialogue qui seul peut permettre de résoudre tous les problèmes ou faire progresser les négociations ; il doit être réel, positif. On a un proverbe en Turquie qui dit : « si vous avez honte aujourd'hui de vous mettre ensemble pour parler de vos problèmes, dès le lendemain, c'est de vous être querellés que vous aurez honte ».

Je remercie évidemment la France pour l'évolution de son approche vis-à-vis de la Turquie au cours des derniers mois. La France notamment a « libéré » l'un des cinq chapitres qu'elle bloquait jusqu'à présent, mais nous avons également une attente que je tiens à souligner : nous attendons avec impatience que la France puisse faire le nécessaire pour que le blocage portant sur les quatre autres chapitres soit levé le plus rapidement possible.

Je vais terminer là mes propos, éventuellement si vous avez d'autres questions, j'y répondrai ainsi que mes collègues ; nous les hommes politiques sommes capables de parler énormément. Je m'empresse donc de vous laisser la parole.

M. Simon Sutour, président. - Merci Monsieur le Président de ce propos introductif. Nos pays respectifs sont des États souverains et nous n'avons pas à donner des leçons aux uns ou aux autres, mais par contre lorsque l'on est candidat à entrer dans l'Union européenne, il y a un certain nombre de standards à remplir, un certain nombre de chapitres à satisfaire.

Il y a eu effectivement des débats ces dernières années, auxquels se sont mêlées des questions de politique intérieure, et le dossier de l'élargissement de l'Union européenne a parfois été instrumentalisé. Mais ce que je peux vous dire, en tout cas à titre personnel, et je crois que beaucoup de mes collègues ont le même sentiment, c'est que nous sommes favorables à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, mais bien entendu à condition que l'ensemble des standards de l'Union européenne soit admis et remplis par la Turquie.

Je ne vais pas rentrer dans le détail et je pense que nous n'avons pas à donner de leçons aux uns et aux autres, la France a elle aussi des problèmes à résoudre, mais je crois qu'entre amis il faut parler franchement des problèmes. Je vais citer le génocide arménien : c'est vrai qu'en France, c'est une question particulièrement sensible, puisqu'il y a de nombreuses personnes d'origine arménienne dont la famille est arrivée ici parce qu'elles ont dû quitter l'endroit où elles habitaient ; la question des droits des Kurdes, mais là il semble, et nous nous en réjouissons, qu'il y ait des progrès ; le problème chypriote, car nous avons eu l'occasion de nous rendre à Chypre à plusieurs reprises dernièrement puisque c'était le pays qui assurait la présidence de l'Union européenne. Il y a une difficulté à être candidat à entrer dans une Union, alors qu'il y a cette question concernant un État membre.

Je parle très franchement et très sincèrement. J'ai retenu dans vos propos une phrase que je partage, c'est que le dialogue et la négociation doivent permettre de surmonter ces problèmes, en tout cas j'ai senti cette volonté de votre côté. Je suis très heureux que vous soyez ici en France cette semaine et au Sénat aujourd'hui.

Pour lancer le débat, je donne la parole à M. de Montesquiou qui connaît bien votre pays.

M. Aymeri de Montesquiou. - J'espère que vous avez lu parmi les romans français « Les trois mousquetaires » !

Je connais votre pays depuis une quarantaine d'années. Je considère que c'est un grand pays qui a connu une évolution comparable à celle de la France ; elle a été à la tête d'un grand empire, puis cet empire s'est rétréci ; l'évolution a été comparable dans le domaine religieux, vous êtes de culture essentiellement musulmane, et nous essentiellement chrétienne et catholique ; au début du XXème siècle, nous avons choisi la laïcité et c'était difficile, l'armée quelquefois a dû intervenir, vous avez choisi sous Kemal Atatürk aussi cette évolution, et on peut faire un parallèle peut-être entre l'AKP et la démocratie chrétienne. Mais, cela dit, il semblerait que vous vous éloigniez de la laïcité aujourd'hui. Cela crée des tensions dans la mesure où on entend parler de chrétiens maltraités, quelquefois de prêtres tués ; je suis certain bien entendu que ce n'est pas du fait de votre gouvernement, ni de votre parlement. Ma question s'adresse beaucoup plus au rôle que vous pouvez jouer en Palestine. Votre pays a d'abord été proche d'Israël, il y avait des manoeuvres militaires communes, puis vous vous êtes rapprochés de la Palestine ; aujourd'hui, il semblerait qu'il y ait un rapprochement entre la Turquie et Israël. Vu que vous jouez un rôle essentiel dans le cadre de l'OTAN et que vous avez des liens très étroits avec les États-Unis, comme les États-Unis semblent prendre quelques distances par rapport au problème israélo-palestinien, est-ce que la Turquie ne doit pas jouer un rôle majeur, le conflit entre Israël et les Palestiniens ayant une répercussion sur tout le Moyen-Orient et au-delà ? J'ajouterai une parenthèse, je me suis rendu dans les trois pays qui ont connu le « printemps arabe », et lorsque je m'adressais par exemple aux dirigeants des Frères musulmans et que j'utilisais le terme de laïcité, c'était vraiment un terme absolument incompréhensible, et je l'ai répété plusieurs fois, il y avait toujours la même incompréhension.

M. Bernard Piras. - Vous êtes ici au Sénat dans un lieu d'échange et de dialogue. Vous savez qu'en France, maintenant, après la révision de la Constitution, pour l'entrée dans l'Union d'un pays quel qu'il soit, il faudra un référendum. Est-ce que vous pouvez nous préciser les chapitres qui font encore l'objet d'un blocage français ?

M. Gérard César. - Je voulais vous informer que la commission des affaires économiques du Sénat va se rendre dans votre pays. Une délégation du bureau de la commission va se rendre en Turquie du 6 au 8 mai sur le thème des échanges entre la Turquie et la France. Nous recevrons M. l'Ambassadeur de Turquie en France le 23 avril, ici au Sénat, pour justement bien préparer cette mission qui se concentrera sur l'économie et l'amitié entre nos deux pays.

M. Simon Sutour, président. - Je précise aussi que la commission des affaires européennes s'est rendue à plusieurs reprises en Turquie, notamment à l'initiative de votre prédécesseur que nous connaissions et apprécions, Mme Bourzai faisait partie de la délégation il y a deux ans.

Mme Bernadette Bourzai. - J'adresse un salut spécial à Mme Bilgehan, avec qui j'ai le plaisir de travailler au Conseil de l'Europe, dans la commission « Égalité des droits ». En effet, j'étais en Turquie avec la délégation (M. Bizet, M. del Picchia, M. Gautier et moi-même) il y a deux ans et nous avons été particulièrement bien reçus par votre assemblée, je vous en remercie encore. Nous savons que dans chaque pays il y a des spécificités et des problèmes parfois lourds et durables, et l'actualité nous a amené une information qui paraît extrêmement intéressante concernant les droits des Kurdes, avec une évolution vers plus de dialogue et une libération éventuelle, dit-on, de M. Öcalan. Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus sur les conditions du règlement de cette question ?

M. Mehmet Tekelioglu, président de la commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne de la GANT. - Comme pays candidat, notre but est de respecter les critères. Nous ne les avons jamais remis en cause. Nous connaissons nos manques. Vous avez dit que la question de la candidature turque avait été instrumentalisée à des fins de politique intérieure. Nous le regrettons, nous espérons que ce ne sera plus le cas à l'avenir.

Vous avez dit que vous étiez en principe favorables à notre adhésion : nous aimerions que vous soyez encore plus favorables, en obtenant la levée du blocage qui subsiste sur quatre chapitres.

M. Simon Sutour, président. - Cela dépend aussi de vous !

M. Mehmet Tekelioglu, président de la commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne de la GANT. - Si la France bloquait cinq chapitres, c'était uniquement à cause du fait que ces chapitres impliquaient la possibilité d'une adhésion pleine et entière. Ce n'était pas une affaire de respect des standards européens.

La France a donné son accord pour l'ouverture de négociations d'adhésion. Remettre en cause cette parole donnée est pour nous incompréhensible. Quant au référendum, si j'ai bien compris, ce n'est pas une obligation : il existe une solution alternative parlementaire.

Le débat sur le génocide arménien a deux dimensions différentes. Il y a eu des événements, des conflits, est-ce qu'il appartient aux parlements nationaux d'établir la vérité, d'arbitrer entre les thèses ? N'est-ce pas aux historiens de le faire ? Le deuxième aspect concerne les relations turco-arméniennes. Nous avons signé un protocole, il y a eu des voyages officiels, mais cette évolution est restée sans suite.

En ce qui concerne les Kurdes, il faut distinguer deux volets : mieux protéger les droits des personnes appartenant à cette minorité, mais aussi lutter contre le terrorisme. Il y a eu des progrès constatés par tous.

Il n'y a pas de concession sur le principe fondateur de laïcité. Nous n'allons pas transposer des références religieuses dans notre Constitution. Il faut éviter la confusion avec d'autres pays. Le mot « laïcité » n'existe effectivement pas en arabe. Lorsque M. Erdogan a voulu en parler dans un pays arabe, personne n'a compris de quoi il parlait !

Nous pensons que la paix en Palestine est la condition de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient. Ce doit être une paix pour les deux parties. Pour nous, l'OTAN est effectivement un cadre très important.

Nous attendons la levée du veto français sur les chapitres 11, 17, 33 et 34 qui restent bloqués. Il s'agit seulement de laisser le champ libre à la négociation, non d'en dicter par avance le résultat.

Enfin, il n'est pas question de libérer M. Öcalan, même si nous nous adressons aussi à lui.

Mme Ay°e Gülsün Bilgehan. - Je précise que j'appartiens à l'opposition. Au Conseil de l'Europe, les relations sont plus faciles, car nous sommes deux pays fondateurs. Je suis membre du Parlement depuis dix ans, j'appartiens au Parti républicain du peuple (CHP). Le soutien à l'adhésion à l'Union européenne atteignait 70 % il y a quelques années, il est tombé à 40 % aujourd'hui. En France, il y a peut-être aussi une baisse du soutien à la construction européenne. Nous sommes un candidat très ancien, depuis près d'un demi-siècle ; tout le monde a sa part de responsabilité dans cette lenteur, mais les problèmes qui subsistent ne doivent pas être un obstacle à la négociation.

La Turquie est un pays en évolution ; nous devons cependant garder les valeurs républicaines. Nous ne voulons pas de recul de la laïcité. Le « printemps arabe » apporte des changements complexes ; nous voulons garder l'« exception turque ». Il y a une société civile forte en Turquie, des ONG, une presse indépendante, une action des femmes. Nous sommes une démocratie avec des élections libres, et vous remarquerez que je n'ai pas cité le rôle de l'armée. Il y a des préoccupations aujourd'hui concernant la liberté de la presse. Je constate qu'au Conseil de l'Europe, on aborde les problèmes et on peut aider à trouver des solutions.

Vous avez un débat passionné aujourd'hui au Sénat. Qui sait ? Peut-être aurons-nous le même un jour en Turquie ? En tout cas, pour nous la Turquie doit rester ancrée dans les valeurs européennes, il ne doit pas y avoir de recul. Et la France ne doit pas être un obstacle à cet égard. Pour ceux qui comme moi sont attachés à la culture française, la position de la France ces dernières années a été une souffrance.

Mme Zühal Topçu. - Il faut être de bonne volonté, voir le verre à moitié plein. Dans toute société humaine, il y a des erreurs. Et chaque société a ses dynamiques. Quand on parle des Kurdes, des Arméniens, de Chypre, il faut comme le préconise Hegel saisir les questions dans le contexte d'une époque, en considérant l'ensemble. Par exemple, quand on veut parler du génocide arménien, il faut considérer les massacres dans le Caucase, dans les Balkans, qui ont existé, il y a également le problème du Karabagh. On ne peut pas isoler un aspect.

Pour ce qui est de la situation des Kurdes, il y a le problème du terrorisme et le problème des droits individuels dont chacun doit bénéficier sans discrimination. On ne peut envisager de libérer un leader terroriste.

À Chypre, il y a deux peuples. Il faut prendre le problème dans sa dimension historique. Nous sommes ouverts à toute solution qui prenne en compte l'ensemble des données.

Mme Tülin Erkal Kara. - J'ai fait mes études en Belgique : j'ai eu du recul pour analyser mon pays. La Turquie ne s'éloigne pas de la laïcité. En matière de liberté de la presse, c'est vrai qu'il y a 70 personnes incarcérées, mais cela tient d'abord à la lenteur des procédures judiciaires. Nous avons eu un débat analogue avec des parlementaires luxembourgeois. Au regard de l'histoire, les progrès sont clairs : il n'y a pas d'arrestations arbitraires en Turquie. Les évolutions au cours des douze dernières années ont été très importantes, et ne sont pas toujours bien mesurées.

M. Mehmet Kasým Gülpinar. - Merci de votre franchise, et de souligner que nous ne sommes pas là pour nous donner des leçons, mais pour dialoguer et dépasser les préjugés. En Turquie, la question du génocide arménien est très sensible, car en réalité il y a eu des conflits et massacres mutuels, des membres de ma propre famille peuvent en témoigner. C'est pourquoi cette dénonciation ne passe pas. N'en faisons pas une question politique ! Laissons travailler les historiens.

Je suis sensible à votre attention à la situation des Kurdes, étant moi-même d'origine kurde. Savez-vous combien il y a de Kurdes en Turquie ?

M. Simon Sutour, président. - Quinze millions environ.

M. Mehmet Kasým Gülpinar. - C'est une bonne évaluation. Le nombre des électeurs kurdes est d'environ neuf millions. Or, le parti axé sur la représentation des Kurdes, le BDP, a deux millions de voix. La grande majorité des Kurdes ne se reconnaissent donc pas dans le BDP, et encore moins dans le PKK. Mais le point de vue des Kurdes qui se sentent essentiellement citoyens turcs semble ne pas compter.

M. Simon Sutour, président. - Je crois important que les contacts interparlementaires, qui n'ont jamais cessé, se poursuivent et se développent. Nous nous rencontrons aussi dans les enceintes telles que le Conseil de l'Europe, la COSAC, l'Union pour la Méditerranée où la Turquie joue un rôle très important. Le dialogue et le respect des cultures sont indispensables.

M. Mehmet Tekelioglu, président de la commission d'harmonisation des normes avec l'Union européenne de la GANT. - Je crois aussi que le dialogue doit se poursuivre. Nous serions heureux que vous veniez en Turquie pour constater par vous-même où nous en sommes. Il n'y a aucune baisse de notre engagement européen. Nous poursuivons les réformes, et cela représente tout un ensemble de changements. Dans notre commission, nous analysons chaque loi au regard des standards européens.

Mercredi 10 avril 2013

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Nomination de rapporteur

M. Simon Sutour, président. - Nous avions évoqué l'initiative européenne pour l'emploi des jeunes au titre de la subsidiarité. Je vous propose maintenant de nommer un rapporteur des textes E 8177 et E 8178. Il s'agit de six milliards d'euros, si toutefois le budget européen subsiste en l'état.

M. Dominique Bailly est nommé rapporteur.

Agriculture et pêche - Réforme de la PAC - Proposition de résolution européenne de Mme Bernadette Bourzai et de M. Jean-Paul Emorine

Mme Bernadette Bourzai. - Pour la deuxième fois, la commission des affaires européennes et celle des affaires économiques travaillent ensemble sur la réforme de la PAC : Mme Nicoux et M. César présenteront cette proposition devant la commission des affaires économiques.

Le groupe de travail commun constitué en 2011, avant la présentation de la réforme par la Commission européenne, avait donné lieu à un rapport intitulé « Redonner du sens à la PAC ». Le Parlement européen et le Conseil ont adopté les quatre projets de règlement communautaires qui constituent le coeur de la réforme. Un trilogue réunissant le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne doit aboutir à un texte commun. Une trentaine de réunions sont programmées pour un aboutissement attendu en juillet, à la fin de la présidence irlandaise.

Notre proposition de résolution a été préparée par une série d'auditions, qui ont toutes confirmé l'accord général sur une réforme dont l'enjeu est d'organiser la PAC pour les sept prochaines années. Si elle a révélé l'importance du Parlement européen, co-législateur de la PAC depuis le traité de Lisbonne, la réforme ne constitue nullement une révolution comparable aux bouleversements induits par la réforme de 1992 avec les aides directes au revenu, ou par celle de 2003 avec la généralisation des droits à paiement découplés des productions.

L'acceptation de la réforme est subordonnée au maintien de l'effort budgétaire. La Commission européenne avait proposé de reconduire la dotation en euros courants, ce qui était déjà une limite basse, puisque le budget n'était ni réajusté au prochain élargissement ni réévalué avec l'inflation. Devant la pression de certains contributeurs nets, le budget européen a dû être revu à la baisse, ce qui a affecté les crédits de la PAC - de manière limitée. L'ensemble de la rubrique 2 se monte à 373 milliards d'euros et le budget de la PAC représente ainsi encore 38,8 % du budget européen.

La France bénéficierait de 56 milliards d'euros sur l'ensemble de la période : l'enveloppe initialement prévue par la Commission européenne est préservée, grâce à la ténacité du Gouvernement et du Président de la République. L'accord politique du Conseil européen prévoit une flexibilité entre les deux piliers. En outre, le maintien d'une enveloppe consacrée au fonds européen d'aide aux plus démunis - certes amputée d'un milliard d'euros - a été arraché in extremis lors du Conseil européen du 8 février 2013.

L'essentiel du budget agricole est consacré aux aides directes aux revenus. Comment les répartir entre États membres et entre secteurs ? La convergence externe, c'est-à-dire entre États membres, ne progresse sans doute pas aussi rapidement que le voudraient nos partenaires issus des élargissements de 2004 et 2007, mais toute accélération du rythme risquerait de déstabiliser les équilibres entre les agricultures. Quelques-uns de nos voisins réclament une aide à l'hectare unique, malgré des niveaux de vie très disparates. Le compromis, satisfaisant, n'exclut pas de nouvelles demandes de certains partenaires...

La convergence interne (au sein des États membres) résulte des réformes de 1992 et 2003 : en 1992, la fin de la politique de soutien par les prix avait été compensée par une aide directe au revenu des agriculteurs au sein du premier pilier ; en 2003, on a remplacé les aides liées à une production particulière par des aides découplées, dont le montant avait été calculé par rapport aux aides perçues de 2000 à 2002. L'Allemagne et d'autres Etats en ont profité pour adopter un taux unique par région ; sept États, dont la France, ont choisi de garantir individuellement le niveau de soutien accordé aux agriculteurs, en le calculant à partir de références historiques de l'exploitation, ce qui a perpétué des disparités entre secteurs. Hétérogène, la répartition des aides directes est peu compréhensible pour nos concitoyens. La légitimité d'un tel dispositif s'estompe avec le temps. Aussi notre précédent rapport d'information préconisait-il d'abandonner les références historiques.

La Commission avait proposé de parvenir à un taux unique par région en 2019 avec une première étape égale à 40 % des niveaux à rattraper. Beaucoup d'États restent prudents sur ces deux engagements. Pour notre groupe de travail, la convergence doit être progressive. La plupart des États membres qui sont sous référence historique souhaitent une convergence de 10 % la première année. Reporter l'objectif à une date trop lointaine n'est pas acceptable. La fin des références historiques peut être douloureuse pour certaines exploitations, car elle implique des redistributions entre secteurs, mais il nous semble indispensable de garder l'échéance de 2020.

Nous souhaitons également le maintien d'une certaine flexibilité dans la gestion des aides directes. La France est favorable au maintien de soutiens couplés, particulièrement importants pour l'élevage. La possibilité d'utiliser jusqu'à 15 % de l'enveloppe du premier pilier pour des soutiens couplés, comme le préconise le Parlement européen, est bienvenue. Le Conseil a adopté 12 %, le ministre nous disait espérer pouvoir aller au-delà.

La France a également proposé de favoriser les petites exploitations en majorant les paiements directs sur les premiers hectares. Cette majoration ferait progresser la convergence sans pénaliser excessivement certains élevages laitiers. Nous sommes également favorables aux aides aux jeunes agriculteurs grâce au premier pilier, et au maintien du soutien aux zones défavorisées, qui fait l'objet d'un large consensus.

Le verdissement ensuite : 30 % des paiements directs seraient réservés à des paiements verts, subordonnés à trois dispositifs : au moins trois cultures différentes sur l'exploitation, au moins 7 % de l'exploitation en surface d'intérêt écologique, et maintien des prairies permanentes. D'abord vivement critiquée, l'idée du verdissement a fait son chemin : le verdissement donne une plus forte légitimité aux aides distribuées dans le cadre du premier pilier. Pour la première fois, la PAC reconnaît le caractère de bien public des activités agricoles. Les modalités du verdissement doivent cependant être précisées. Le Conseil a apporté des assouplissements de bon sens aux propositions initiales de la Commission. Afin de ne pas affaiblir la portée de la réforme, nous sommes attachés à un régime de verdissement défini au niveau européen et sans trop d'exceptions. Au demeurant, la France qui applique déjà beaucoup des mesures envisagées, n'a pas grand-chose à y perdre.

L'organisation commune des marchés fait l'objet d'un règlement spécifique. Les clivages entre États membres restent profonds. Le Royaume-Uni, l'Allemagne et les pays de l'Europe du Nord défendent une logique libérale, quand la France et quelques autres soutiennent une logique régulatrice et de sécurité. Nous sommes favorables au maintien des mécanismes de régulation qui assurent un filet de sécurité pour les produits agricoles, mais les prix d'intervention sont fixés à un niveau si faible que leur utilité est incertaine. Les relever, comme le propose le Parlement européen, réclame de notre part de gros efforts pour infléchir la position de nos partenaires.

La régulation passe aussi par le maintien d'un régime des droits de plantation des vignes, dont la suppression avait été programmée en 2008. Grâce à la persévérance des gouvernements successifs, et avec l'appui du Sénat, un dispositif d'encadrement des plantations de vigne devrait être maintenu. La négociation sur les quotas de sucre pourrait être plus difficile, et la fin des quotas sucriers pourrait intervenir en 2017 contrairement au souhait de la profession. Le règlement refondant l'organisation des marchés pour 2014-2020 comprend des avancées comme la reconnaissance du rôle des organisations de producteurs et des interprofessions. Au-delà, il faudrait autoriser les producteurs à se regrouper sur une base très large, afin de peser face à l'aval beaucoup plus concentré, notamment dans le lait ou la viande.

Le projet de règlement sur le développement rural s'inscrit dans la continuité de l'actuelle politique, même si les objectifs sont requalifiés et l'articulation avec les autres fonds structurels, renforcée. Le développement rural sera ce que chaque État membre en fera. Les soutiens aux dispositifs d'assurance ont été transférés au sein du deuxième pilier, ce qui pourrait nécessiter des crédits importants, notamment en cofinancement avec l'Union européenne.

La réforme de la PAC pour la période 2014-2020 marque une étape dans la longue histoire de cette politique communautaire majeure. Elle est plus une adaptation qu'une révolution. Les enjeux auraient pourtant justifié d'aller plus loin car les prix agricoles sont de plus en plus volatiles. Le principe d'aides contracycliques a été balayé d'un revers de main sous prétexte d'incompatibilité avec les règles de l'OMC et au nom du principe de l'annualité budgétaire. Il faut néanmoins continuer d'y réfléchir.

M. Jean-Paul Emorine. - Je ne partage pas tous les aspects de la présentation de Mme Bourzai, mais la proposition de résolution nous est commune. L'Européen convaincu que je suis est déçu de voir que, quand le budget européen baisse de 30 milliards d'euros, le budget consacré à la PAC diminue de 49 milliards d'euros. Pour la France, qui représente 20 % de l'espace agricole européen, la diminution des aides sera de près d'un milliard d'euros chaque année. Même si, comme à la foire, chacun est venu dans la négociation chercher son chèque, au final une commission répartira les baisses entre les 28 pays de l'Union européenne, ainsi que l'a expliqué Alain Lamassoure. Il y a lieu d'être inquiet.

Les auditions m'ont parfois fait changer de point de vue. Les références historiques, complètement dépassées, ne correspondent plus à l'esprit européen. Au départ, elles avaient été définies en fonction des rendements, ce qui a avantagé les régions céréalières. Or il faut aussi soutenir les régions de montagne. En 2008, les aides avaient déjà été un peu rééquilibrées : sur les 8 milliards d'euros affectés à la France, 600 millions avaient été consacrés à l'élevage ovin, afin de préserver le pastoralisme. Il convient désormais de trouver un meilleur équilibre entre les céréaliers et les éleveurs. Nous avons fait le calcul en Saône-et-Loire, le cumul des aides aboutit à un équilibre au niveau des DPU.

Avec des exploitations françaises de 52 hectares en moyenne, la prime aux premiers hectares aidera plutôt les petites et moyennes exploitations et favorisera les éleveurs, qui ont souvent des exploitations individuelles ou sont en GAEC, ce qui est un véritable facteur de transparence. Un équilibre s'établit ensuite autour de cent hectares. Les exploitations céréalières peuvent être en GAEC, mais les EARL ou les sociétés civiles sont moins transparentes. Il faut que les aides européennes soient acceptées par l'opinion publique : la transparence ne s'applique pas qu'aux élus !

L'objectif de convergence avait d'abord été fixé à 40 % dès la première année, avant qu'on ne le ramène, plus raisonnablement, à 10 %. Nous souhaitons maintenir l'horizon de 2020 : sans date butoir, rien ne se fait - on l'a vu avec les SCOT. Avec 15 % par an, nous atteindrons le résultat dans sept ans. Le ministre nous a expliqué que les droits de plantation vont être remis en cause... La Commission, à titre de compromis, propose d'autoriser 1 % de plantations par État. La France a 800 000 hectares de vignes : avec 1 %, elle pourrait replanter tous les trois ans la valeur du vignoble bourguignon (24 000 hectares). En Espagne ou en Italie, cela représentera des superficies considérables.

Le deuxième pilier pourrait être confié aux régions - ne me prêtez pas d'arrière-pensées ! La répartition des aides doit se faire avec le souci de préserver l'environnement et de développer l'élevage, notamment en modernisant les bâtiments d'élevage, afin que les jeunes s'installent dans de bonnes conditions. Je le sais d'expérience, l'élevage fait partie du verdissement, de même que les prairies pourraient compter parmi les puits de carbone. Rien de tel qu'une activité économique pour préserver l'environnement.

Je vous demande de voter cette proposition de résolution.

M. Jean Bizet. - Les rapporteurs, dont je salue le travail, ont souligné la baisse de 12 % des crédits. L'audition de M. Lamassoure a également éclairci ce point pour nous. Les inquiétudes budgétaires sont donc légitimes.

Les références historiques ne peuvent plus convenir aujourd'hui, ni humainement, ni politiquement. Nous avions déjà souligné dans notre rapport d'information, il y a deux ans, que l'environnement faisait partie des biens publics. Au-delà des questions budgétaires, il convient de respecter la nature, les animaux, et bien sûr les personnes, et ce n'est pas contradictoire avec un meilleur rendement. L'essentiel du deuxième pilier va être capté par les régions, qui l'utiliseront pour faire leur politique. Attention toutefois à ne pas avoir 22 politiques régionales.

M. Alain Richard. - La loi prévoit une coordination entre l'État et les régions.

M. Jean Bizet. - Vous avez bien souligné la nécessité de mettre en lumière les organisations de producteurs. Notre rapport sur la filière laitière l'avait montré, même si ce n'est pas toujours bien perçu dans ce milieu assez individualiste ; il est important de peser sur les autres maillons de la chaîne de valeur. La PAC, qui n'est pas une fin en soi, doit se penser en relation avec les négociations internationales, comme celles qui vont se tenir avec le Canada et les États-Unis.

M. Gérard César. - Je félicite les deux rapporteurs. L'Europe doit maintenir son aide à la gestion des risques, climatiques comme sanitaires. Les droits de plantation ont été fixés à 1 %, ce qui est encore beaucoup pour certains, trop peu pour d'autres. Pour la France, cela représente 8 000 hectares, ce qui n'est pas négligeable. Ces droits doivent être gérés dans le cadre des interprofessions, au niveau des bassins de production, en tenant compte de l'évolution des marchés. Je voterai la résolution.

M. Joël Guerriau. - Sénateur du département qui a le plus de vignes en vin blanc, je me réjouis que la résolution traite des droits de plantation à deux reprises. Mais il faut traiter aussi du maraîchage, et de la distorsion de concurrence induite par les emplois saisonniers en Europe : les coûts de main-d'oeuvre en Allemagne représentent 40 % de ceux que nous connaissons en Loire-Atlantique ! Ne peut-on le faire valoir dans le texte ?

M. Alain Bertrand. - Le rapport est bon, mais j'aurais souhaité insister sur la convergence entre élevage et céréaliers. Je ne partage pas l'analyse chiffrée de M. Emorine. D'après le ministre, que nous avons vu hier, le chiffre serait de 57 ou 58 milliards d'euros.

M. Simon Sutour, président. - Le budget n'est pas encore voté...

M. Alain Bertrand. - Les mesures agro-environnementales m'inquiètent un peu. Sous prétexte d'efficacité, elles sont globales, mais il faut les territorialiser : la Bretagne, le Massif Central, les Pyrénées, les Alpes, sont des régions bien différentes. La modernisation des bâtiments d'élevage est en effet très importante, de même que les retenues collinaires ; il faut y adjoindre des mesures d'aide à l'amélioration du traitement des eaux. Dans la définition des zones défavorisées, il faut tenir compte des variations climatiques, qui peuvent faire passer certaines régions d'une catégorie à l'autre - cela concerne surtout l'ICHN.

M. André Gattolin. - Le principe de fongibilité entre les aides aux exploitations et les aides au développement rural et au verdissement me gêne. C'est un piège pour nous autres parlementaires : on ne peut compenser la baisse des premières, qui sont annuelles, par les secondes conçues pour le long terme. Le secrétaire général aux affaires européennes nous l'a bien expliqué.

M. Simon Sutour, président. - Un risque encore plus important aurait été de sortir le Feader de la PAC.

Mme Bernadette Bourzai. - La proposition de résolution sera transmise à la commission des affaires économiques, qui est compétente au fond.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les propositions de la Commission européenne du 11 octobre 2011 visant à réformer la politique agricole commune pour la période 2014-2020,

Vu les conclusions du Conseil européen des 7 et 8 février 2013 sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne pour la période 2014-2020,

Vu les votes intervenus au Parlement européen le 13 mars 2013 sur les propositions de règlement relatifs à la politique agricole commune,

Vu les conclusions du Conseil Agriculture et Pêche de l'Union européenne des 18 et 19 mars 2013,

Rappelle la résolution du Sénat du 26 février 2013 portant sur le régime des autorisations de plantations de vigne ;

Estime que le défi alimentaire européen et mondial, la réussite de la stratégie Europe 2020 et la réponse au défi du changement climatique justifient de préserver une politique agricole commune forte durant les prochaines années ;

Considère que la satisfaction d'un tel objectif passe par le maintien d'une enveloppe budgétaire importante pour la politique agricole commune, pour la période 2014-2020 ;

Souligne à cet égard que l'accord trouvé par les chefs d'État et de Gouvernement sur le futur cadre financier pluriannuel alloue des moyens calculés au plus juste, en dessous desquels il n'est pas envisageable de descendre, sauf à mettre en péril la politique agricole commune ;

Soutient l'exigence d'une politique agricole commune plus équitable, et reconnaît à cet égard l'importance de la convergence interne des niveaux des paiements directs au sein de chaque État membre, car il n'est plus acceptable que ceux-ci restent fondés sur des références historiques ;

Souligne l'importance des aides couplées et soutient l'initiative du Conseil et du Parlement européen d'augmenter le taux de couplage des aides directes ;

Relève également que la faculté laissée aux États membres de favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, ou encore de majorer la valeur des droits à paiement de base pour les premiers hectares va dans le bon sens, en prenant soin que ces mesures ne créent pas de distorsion de concurrence entre États membres ;

Invite à une combinaison des instruments du premier pilier de la PAC pour assurer une redistribution des soutiens en faveur des filières qui en ont le plus besoin, et en particulier l'élevage, dans la perspective d'une convergence à l'horizon 2020, tout en évitant de mettre en danger l'équilibre économique des autres catégories d'exploitations ;

Exprime son soutien au principe de verdissement des aides directes, dont les modalités de mise en oeuvre doivent cependant être pragmatiques et territorialisées, afin de tenir compte de la diversité des exploitations agricoles en France et en Europe ;

Estime nécessaire, en particulier, de permettre aux éleveurs de retourner les prairies permanentes, tout en imposant le maintien d'un volume constant de prairies permanentes au niveau de chaque région agricole ;

Refuse que l'adaptation des modalités du verdissement le vide de son sens, et exige un cadre commun précis applicable à l'ensemble des États membres ;

Juge nécessaire de préciser les règles applicables au développement rural, en permettant le soutien à des investissements de modernisation des bâtiments d'élevage, ou encore à la mise en place de retenues collinaires ;

Souhaite la poursuite des soutiens aux zones défavorisées, dont la nouvelle définition ne doit pas conduire à l'exclusion des zones de piémont ;

Souligne la nécessité de mobiliser d'importants moyens au titre des mesures de gestion des risques, telles les assurances contre les aléas climatiques, les fonds de mutualisation face aux risques sanitaires et environnementaux et l'instrument de stabilisation des revenus ;

Insiste pour que les États membres disposent d'une réelle liberté dans la définition de leur programme de développement rural ;

Appelle à une plus grande ambition régulatrice de la future organisation commune des marchés, qui devrait faciliter le regroupement des producteurs, définir un nouveau dispositif d'encadrement des plantations de vigne et donner un nouveau souffle à l'intervention, en remontant le niveau des « filets de sécurité » ;

Recommande de réfléchir dès à présent aux prochaines orientations de la politique agricole commune, afin que celle-ci ne soit plus un outil passif de distribution d'aides et prépare l'agriculture européenne aux négociations commerciales bilatérales et internationales ;

Souhaite à cet égard engager dès maintenant un débat sur la pertinence d'aides contracycliques, qui seraient ajustées en fonction des prix constatés sur les marchés de produits agricoles.

- Présidence de MM. Simon Sutour, président et Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -

Économie, finances et fiscalité - Audition de M. Benoît Battistelli, président de l'Office européen des brevets

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Je souhaite la bienvenue aux membres de la commission des affaires économiques et à son président, ainsi qu'à M. Battistelli, président de l'OEB, qui va nous parler de la fin d'un feuilleton qui dure depuis plusieurs décennies : celui du brevet unitaire européen. Ce dossier est particulièrement important pour les entreprises européennes, et surtout pour les PME : le brevet unitaire protégera la propriété intellectuelle européenne à un coût moindre, ce qui accroîtra notre compétitivité. Comment fonctionnera-t-il et comment les difficultés qu'ont suscitées jusqu'au bout l'Italie et l'Espagne seront-elles réglées ?

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je me félicite de cette audition commune organisée à l'initiative de la commission des affaires européennes. Il est important de faire le point sur l'accord obtenu, par voie de la coopération renforcée, sur la création d'un nouveau brevet unitaire, après quarante ans de combat. Quel sera le rôle de votre Office ? L'absence de l'Italie et de l'Espagne du dispositif sera-t-elle un handicap ? Surtout, quels seront les avantages pour les entreprises françaises ?

M. Benoît Battistelli, président de l'Office européen des brevets (OEB). - L'OEB est une organisation intergouvernementale, et non une agence de l'Union européenne. Elle rassemble 38 États membres, une grande Europe allant de l'Islande à la Turquie, de la Finlande à Chypre et comprenant six cent millions d'habitants, soit autant que les États-Unis, le Japon et la Corée réunis.

La capacité d'innovation européenne constitue l'un des principaux atouts pour sortir de la crise financière. Le brevet, instrument juridique protégeant et valorisant l'investissement, doit donc figurer parmi les priorités. L'OEB, créé par la convention sur le brevet européen en 1973, est un outil intégré et très performant : il forme un système régional grâce auquel les entreprises peuvent obtenir, sur la base d'une seule demande, la protection de leurs inventions dans quarante pays d'Europe. Il offre ainsi une procédure uniforme et centralisée de recherche et d'examen des demandes de brevets présentant un niveau de qualité cohérent. Cela rend la protection plus simple, moins chère et plus attrayante pour les déposants, qu'ils viennent d'Europe ou du reste du monde.

Les pères-fondateurs de l'OEB estimaient que 30 000 dépôts annuels seraient le signe d'un beau succès. Ce chiffre a été dépassé en six ans, et les dépôts n'ont cessé d'augmenter depuis pour atteindre en 2012 le chiffre record de 257 750, en hausse de 5,2 % par rapport à 2011. C'est que l'OEB a acquis une réputation d'excellence parmi les offices de brevets. Nous examinons les demandes avec une telle rigueur, que nos brevets sont considérés comme les plus sûrs au monde. Pour atteindre ce niveau d'excellence, l'OEB s'est doté de moyens humains et techniques. Il compte 7 000 employés, ce qui en fait la deuxième institution publique européenne, après la Commission ; ses 4 100 ingénieurs scientifiques hautement spécialisés et tous trilingues couvrent l'ensemble des champs technologiques. Leurs rapports examinent la validité des demandes de brevet, en relevant toute antériorité de nature à affecter le caractère nouveau de l'invention présentée. Potentiellement dépourvu de limites spatiales et temporelles, ce travail est lourd et complexe. L'OEB est le seul organisme au monde capable de le conduire en six mois.

Ses outils de recherche sont devenus des standards mondiaux : EPOQUE est utilisé par quarante offices nationaux, comme en Chine, au Brésil, en Australie, ou au Canada, ainsi que dans la plupart des pays européens. Son outil de classification des brevets et de la littérature technologique vient d'être adopté par l'Office américain des brevets, et a donné naissance le 1er janvier 2013 au système Classification coopérative des brevets (CPC), commun à l'OEB et à l'Office américain. Avec ses 250 000 catégories, c'est l'outil le plus fin du monde, qui a fait de l'Europe le leader en la matière. La Chine, avec qui l'OEB coopère depuis trente ans, s'est appuyée sur le système européen pour développer ses propres outils, ce qui aide considérablement nos entreprises qui y investissent.

L'OEB a une forte dimension internationale : 62 % des brevets qu'il délivre le sont à des États non membres. Ses premiers clients sont les États-Unis (25 % des brevets), devant le Japon (20 %). Le premier client européen est l'Allemagne, avec 14% des brevets. Suivent la Chine avec 7 %, la Corée du Sud avec 5,6% et la France, pour moins de 5 %. Il y a deux ans, la Chine et la France étaient au même niveau. La demande de brevets est en hausse en 2012 : de 10 % en Asie, de 5,6 % aux États-Unis, et de 2,3 % en Europe, ce qui est assez positif pour être signalé. La demande de brevets avait baissé de 7 % en 2009, sous l'effet de la crise, avant de repartir en 2010, et de retrouver en 2012 le niveau de 2008.

Si ce système est efficace, pourquoi le changer ? Le système européen était en réalité bancal, car pour chaque brevet délivré par l'OEB, une démarche de validation devait être effectuée dans chaque État membre. Les brevets nationaux forment en quelque sorte un bouquet, mais chacun a sa vie propre : les contentieux qui peuvent survenir ici ou là font courir à l'entreprise qui les possède le risque d'une importante perte de temps et d'argent, sans parler des possibles divergences d'interprétation des juridictions nationales. C'est pourquoi la question d'un brevet unitaire est sur la table depuis quarante ans. Deux règlements du 20 janvier 2013 lui ont donné naissance, en application d'une décision de décembre 2012. Ce brevet unitaire, délivré à l'issue d'une unique démarche par l'OEB, sera directement applicable dans vingt-cinq États membres.

L'Espagne et l'Italie s'y sont en effet longtemps opposées pour des raisons linguistiques. Depuis sa création en 1973, à une époque où l'Espagne ne faisait pas partie de l'Union européenne, les langues de travail de l'OEB sont l'anglais, l'allemand et le français, langues de 80 % des brevets déposés. Depuis 2010, l'Espagne conteste le statut du français et de l'allemand, et l'Italie, la Pologne, et la Suède à sa suite. Malgré leur opposition, le statu quo a été décidé : le système a fait ses preuves, les entreprises s'y sont habituées, et le coût d'une traduction en trois langues seulement reste acceptable. Voilà pourquoi, le brevet européen a été, après le divorce international, le second exemple de coopération renforcée.

Les institutions judiciaires européennes ayant été créées pour régler des conflits entre institutions publiques, il a fallu innover et passer par le droit international : un traité a été signé en février 2013. Paris accueillera l'instance centrale de la Cour européenne des brevets (CEB), Londres et Munich deux chambres spécialisées. Des chambres décentralisées concilieront la technicité des contentieux avec la proximité des justiciables. Le brevet unitaire sera mis en oeuvre lorsque la CEB sera effectivement créée, c'est-à-dire lorsque le traité sera ratifié par treize des États parties dont l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France.

Pour maintenir son influence en matière de droit de la propriété intellectuelle, notre pays a tout intérêt à ratifier ce traité en premier. Certaines questions sont en effet restées en suspens : c'est le cas des règles procédurales, qu'un groupe préparatoire examine en ce moment. La France a une carte à jouer. Elle a été leader dans la création de l'OEB, comme elle l'a été dans cette matière depuis la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle de 1883. Une grande partie de la doctrine du droit des brevets procède de la réflexion française. C'est la raison pour laquelle Paris accueillera la chambre centrale de la CEB.

L'Allemagne ne fera rien avant les élections générales de l'automne prochain, ce qui laisserait envisager une ratification au milieu de l'année prochaine. Quant au Royaume-Uni, situé quelque part entre l'Europe et le reste du monde, son attitude est imprévisible. Il serait donc opportun que le Sénat intervienne auprès du Gouvernement pour accélérer la ratification du traité. Politiquement, le sujet fait consensus. Le brevet unitaire réduira en outre d'environ 70 % les coûts que supportent les entreprises. Les principaux bénéficiaires en seront les PME, les centres de recherche et les universités, c'est-à-dire des structures moins bien protégées en Europe qu'elles pourraient l'être.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nos entreprises ont en effet tout à y gagner. Il serait bon, monsieur le Président de la commission des affaires européennes, que nous nous rapprochions.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Absolument.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - L'installation du siège de la CEB à Paris est une bonne nouvelle. Vous y avez sans aucun doute été pour quelque chose.

Quelle différence y a-t-il entre l'OEB et l'Office communautaire des variétés végétales, qui siège à Angers ? Celui-ci protège tout autant la propriété intellectuelle.

M. Benoît Battistelli. - Le certificat d'obtention végétale (COV) n'est pas un brevet, c'est un outil industriel très spécifique et limité à ce domaine. À l'inverse, un brevet peut concerner n'importe quel domaine technologique. De plus, l'Office communautaire des variétés végétales est une agence communautaire, tandis que l'OEB est une organisation internationale créée par traité, qui a une gouvernance et un budget propres. Les ressources de ce dernier ne proviennent que des entreprises qui sollicitent ses services. Elles représentent environ 2 milliards d'euros. L'OEB ne reçoit pas un centime d'argent public, quel qu'il soit.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je fais partie de ceux qui pensent, à l'inverse de M. Le Cam par exemple, que le COV constitue un important progrès dans la protection contre la brevetabilité du vivant. La France a largement oeuvré pour sa création.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Un organisme qui ne demande pas d'argent public, c'est suffisamment rare pour être souligné. Je suggère que l'on suive le président Raoul sur l'accélération de la ratification, et que nous prenions une initiative commune en ce sens.

M. Benoît Battistelli. - Non seulement l'Office ne reçoit pas d'argent public, mais il en rapporte aux États membres : 40 millions d'euros par an à la France, 130 millions d'euros à l'Allemagne.

M. Richard Yung. - Dans une vie antérieure, j'ai utilisé cet argument pour solliciter l'adhésion de Monaco à la convention qui a donné naissance à l'OEB. Je lisais l'incrédulité dans les yeux du ministre monégasque.

La CEB va trancher des litiges entre titulaires de droits de propriété intellectuelle. Se prononcerat-elle également sur les modalités de délivrance des brevets, ou l'OEB conserve-t-il un système de chambre de recours ?

Vous avez passé un accord avec une grande entreprise américaine que nous commençons à chatouiller sur le plan fiscal pour établir une base de données de traductions. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

On vous soupçonne parfois d'avoir une conception extensive de la brevetabilité du vivant, et une politique limitée de contrôle et d'appel. Que répondez-vous à cette accusation ?

M. Alain Richard. - Le champ du droit de la propriété intellectuelle est extraordinairement intéressant, et parfois miné. Je salue les acquis de l'OEB et me félicite de la création d'une juridiction commune. Nos chefs de juridictions suprêmes sont sensibles à la capacité d'influence de notre système de droit. En outre, il y a là une opportunité en termes de ressources humaines, car il faut des magistrats de bon calibre pour trancher ce type de litige.

Les délais de ratification parfois ahurissants qui sont les nôtres sont liés à la capacité de production d'un unique bureau du Quai d'Orsay, perpétuellement encombré. Placer ce dossier au sommet de la pile impose de relancer le cabinet de M. Fabius.

M. Richard Yung. - Je l'ai interrogé hier : il y a un stock de 200 conventions...

M. Gérard Le Cam. - Lors de débats récents au Sénat, nous avons donné l'exemple de l'obtenteur Gautier, semencier de laitues notamment, pour montrer que si une variété est protégée par un COV, rien n'empêche qu'une partie de cette variété soit également protégée par un brevet, par exemple, sur un gène de résistance à un parasite contenu dans la variété sous COV. Confirmez-vous que le propriétaire d'un brevet peut demander, lors de la commercialisation de la semence, des droits au titre de son brevet ?

Les limites entre invention et découverte s'effacent peu à peu, notamment lorsqu'on accepte un brevet sur un gène natif, bien qu'il ne s'agisse que de la preuve expérimentale d'une réalité existante. En outre, de plus en plus de brevets sont déposés sans que la découverte avancée soit vérifiée dans ses effets. C'est le cas avec des dépôts de brevets sur des fonctions de gène présumées, et non réellement prouvées. Or de tels brevets peuvent contraindre les organismes de recherche à abandonner leurs travaux en raison des droits de propriété très élevés. Quelle analyse en faites-vous dans la perspective de l'élaboration d'un accord transatlantique de libre-échange ?

M. Jean Bizet. - L'OEB a réalisé un travail exceptionnel. L'approche transversale qui prévaut dans cette matière, sur laquelle je me suis penché dès la fin des années 1990, est tout à fait opportune. Je salue le travail de Richard Yung, et me félicite que droite et gauche soient ici sur la même ligne. Enfin, je veux remercier le président Poncelet et Laurent Wauquiez pour avoir fait avancer le dossier du brevet unitaire : le premier, quoique membre de l'Institut, a renoncé à l'usage exclusif du français, le second pour avoir soutenu ma proposition de lancer une coopération renforcée. Il ne faut pas se priver d'utiliser cette possibilité pour faire avancer les choses, ce que n'avait pas permis le dialogue que nous avions établi avec Mme Rossana Boldi, notre homologue au Sénat italien.

La Chine est le premier des pays émergents à profiter des bienfaits d'une bonne protection de la propriété intellectuelle. Les pays européens, dont la France, ont intérêt à prêter la même attention à ces questions, sous peine de fragiliser leur tissu économique.

Le COV est un titre de propriété intellectuelle, comme le brevet, mais appliqué au végétal. Ce sont des outils complémentaires. Non assorti de droit de propriété, il n'interrompt pas la recherche, et c'est là son grand mérite. Le Royaume-Uni, qui avait tout ouvert, n'a plus de filière semencière. Pourriez-vous rentrer dans le détail de la brevetabilité du vivant ? Renforcer l'excellence de nos filières impose de réaffirmer que le vivant n'est pas brevetable.

M. Benoît Battistelli. - La CEB sera compétente en matière de contrefaçon, comme de validité des brevets délivrés. Ce dernier cas de figure est marginal, qui ne concerne qu'un brevet sur mille délivrés. Ce chiffre est vingt fois supérieur aux États-Unis. L'OEB conservera les mécanismes d'opposition et de recours qu'il offre déjà.

Un mot sur notre système de traduction, ou pattern translate. Pour délivrer un brevet, il faut d'abord s'assurer que l'invention est nouvelle, ce qui s'apprécie au regard non des seuls brevets déposés, mais de l'ensemble des connaissances existantes. Comme nous ne pouvons pas traduire des millions de pages, nous avons décidé d'utiliser les technologies de traduction automatique, et depuis que je suis à la tête de l'OEB, la meilleure existant sur le marché : celle de Google. Les algorithmes qu'utilise Google translate s'appuient sur des statistiques de traduction, ce qui rend sa base de données riche, variée et précise. Nous l'utilisons gratuitement, sans clause d'exclusivité, en échange d'une mise à disposition des dizaines de traduction que nous possédons en trois langues, réalisées par des professionnels.

M. Alain Richard. - Les deux versions ?

M. Benoît Battistelli. - Tout à fait. Disponible sur Internet, notre système couvre quatorze langues - chinois inclus depuis décembre 2012 -, vingt-huit à la fin 2014. Les traductions sont parfois linguistiquement étranges, mais restent utilisables par les ingénieurs. Nous sommes les seuls à offrir une telle qualité de service pour repérer dans un océan de documents les deux ou trois pages dont on a vraiment besoin.

La brevetabilité du vivant est le seul domaine dont les règles sont fixées par le législateur. Nous avons décidé d'appliquer la directive « Biotechnologies » de 1998, ainsi que l'interprétation qu'en fait la Cour de justice de l'Union européenne. Elle exclut notamment du champ des brevets les gènes humains, les animaux, les plantes. Je confirme que le COV est un titre de propriété intellectuelle complémentaire. Cela n'empêche pas qu'une fonction particulière fasse l'objet d'un brevet. Cela ne nuit pas à l'innovation, bien au contraire. On nous accuse de laxisme : l'OEB n'a pas validé le brevet de la société Myriad Genetics qui lui aurait assuré un monopole sur le dépistage du cancer du sein.

L'OEB ne délivre que des brevets de qualité. C'est pourquoi sur deux demandes, une seule aboutit à un brevet. Sur la moitié restante, nous réduisons généralement le champ du brevet délivré. Un seul brevet est donc accordé sans modification substantielle pour quatre demandes. En matière de biotechnologies, la part des brevets délivrés n'est que d'un quart.

Monsieur le sénateur Richard, vous avez raison : Paris a un rôle à jouer dans la mise en oeuvre de la CEB. Il y a trois ou quatre ans, avait été créée au TGI de Paris une chambre spécialisée pour connaître des litiges relatifs au droit de la propriété intellectuelle sur l'ensemble du territoire, ce qui a constitué un vivier de magistrats compétents. Bien que la CEB soit européenne, le lieu a son importance. L'OEB a d'ailleurs son siège à Munich, comme l'office allemand, parce que l'Allemagne est la puissance dominante en Europe - elle pèse trois fois la France en matière de brevets. Une volonté politique peut modifier l'ordre au sein de la file des 200 conventions. Directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, j'ai d'ailleurs vu, lors de la ratification du protocole de Londres, que cela pouvait jouer en sens inverse...

Dans le système mondial des brevets, coexistent une conception européenne, qui a progressivement dépassé ses frontières, et une conception américaine. Selon cette dernière, un brevet est facilement délivré, à charge ensuite aux tribunaux de trancher les litiges. Nous combattons la reconnaissance mutuelle des brevets dans le cadre du dialogue transatlantique, car elle reviendrait à reconnaître sans autre forme d'examen des brevets accordés sur les végétaux ou au mépris d'appellations d'origine contrôlée par exemple.

M. Alain Richard. - Plusieurs milliards de dollars sont en jeu.

M. Benoît Battistelli. - L'économie française ne peut compter ni sur ses ressources naturelles, ni sur son coût du travail pour faire la différence dans la compétition mondiale, mais sur la valeur ajoutée. C'est pourquoi les marques, synonymes de créativité, de design, sont si importantes. L'innovation est la seule manière de maintenir des coûts élevés.

M. Joël Guerriau. - Le brevet unitaire est une formidable avancée. Peut-on imaginer demain un brevet pour tous ? L'OEB a aujourd'hui une fonction de veille, de surveillance sur les tentations de contrefaçon. Fournissez-vous également un soutien juridique à ceux dont les intérêts sont menacés ?

Peut-on imaginer que l'OEB étende demain son périmètre géographique ? Une partie de l'Afrique parle français - avant que les Chinois s'y implantent.

M. Daniel Dubois. - Vous avez présenté les chiffres de la croissance de la demande de brevets. Pouvez-vous nous donner leur ventilation par pays ? Est-ce un indicateur avancé de leur situation économique ? Enfin, combien coûte le dépôt d'un brevet ?

M. Alain Bertrand. - Le brevet protège la créativité, la capacité d'exportation, et en définitive l'emploi. Protéger les droits de propriété intellectuelle, c'est défendre notre industrie, notre croissance, nos produits, bref la place de la France dans le monde. Sur la progression des brevets délivrés, les résultats de l'OEB, les perspectives de ratification, vous ne nous annoncez que des bonnes nouvelles. Ne serait-il pas opportun, et même urgent, de suggérer au Président de la République et au ministre de l'économie la création, sur le modèle du vôtre, d'un office européen du commerce et de l'équité des échanges ? En attendant, nous subissons de plein fouet la concurrence des autres pays, car dans la mondialisation, la France se retrouve Gros-Jean comme devant.

M. Benoît Battistelli. - Le brevet mondial nécessiterait une législation mondiale. Tant que les États-Unis n'auront pas des règles similaires aux nôtres sur le vivant, cela restera un beau rêve. Il y a une Organisation mondiale de la propriété industrielle au sein de l'ONU, mais elle progresse à la vitesse du dialogue Nord-Sud... Modestes techniciens, nous nous contentons de promouvoir l'harmonisation des pratiques et des procédures. Nous collaborons avec les États-Unis, le Japon, la Chine et la Corée au sein d'IP5, qui représente 90 % des brevets mondiaux.

L'OEB n'a pas de compétence spécifique en matière de contrefaçon. Son rôle se limite à la délivrance des brevets. Un Observatoire de la contrefaçon, rattaché à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), promeut la coopération des services douaniers. Nous avons en outre un rôle de diffusion de l'information relative à l'innovation technologique sur notre espace internet, où 80 millions de brevets sont consultables, et à travers notre politique de pattern awareness, à l'attention des entreprises, qui sont plus souvent tiers que détentrices de brevets. C'est la contrepartie nécessaire au monopole que confère l'innovation brevetée.

Nous coopérons avec l'Afrique, ainsi qu'avec le pourtour méditerranéen. Des accords de validation sont en cours, qui reconnaîtront dans le pays signataire la validité d'un brevet européen, en échange d'un soutien au développement de ses propres brevets. Un tel accord sera signé au Maroc dans quelques semaines, qui facilitera l'investissement à l'étranger. Nous discutons en outre avec la Tunisie. L'Afrique francophone de l'Ouest possède sa propre organisation de la propriété intellectuelle, regroupant seize États et avec laquelle nous travaillons en étroite collaboration.

En matière d'évolution respective des brevets dans les pays européens, la France occupe la deuxième position avec une croissance de 2 %, derrière l'Allemagne (3 %). La part du Royaume-Uni a beaucoup diminué, comme celle des Pays-Bas. Indicateur plus pertinent, le nombre de brevets par habitant place la Scandinavie en tête de peloton, suivie par la Suisse, l'Allemagne. La France joue en deuxième division.

Le coût moyen d'un dépôt de brevet européen se situe entre 25 000 et 30 000 euros, en y incluant la rémunération du conseiller en propriété intellectuelle.

Un brevet a pour premier objectif de susciter des dépenses d'investissement. En effet, les entreprises n'investissent dans la recherche et développement que dans la perspective d'en exploiter les résultats. Un cercle vertueux investissement-innovation-compétitivité-emploi s'enclenche ainsi. Nous remettons le prix de l'inventeur européen de l'année : celui-ci est récompensé non pas pour les brevets déposés, mais pour les performances économiques ainsi réalisées. La prochaine édition se tiendra à Amsterdam le 28 mai prochain. Sur les quinze candidats sélectionnés, deux sont Français.

La création d'un office européen du commerce ne me paraît pas envisageable, car les États européens ne parviennent pas à s'accorder sur ces questions comme ils le font en matière de brevets. Vous m'incitez à solliciter le Président de la République dans ce sens : bien que j'aie travaillé trente ans au ministère des finances, je n'ai plus de contact avec les institutions françaises depuis que j'ai été élu à la tête de l'OEB. Cela en dit long sur la capacité des autorités françaises à entretenir des relations avec leurs compatriotes à la tête des organisations internationales.