Mardi 10 septembre 2013

- Présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente -

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de M. Rémy Pflimlin, président-directeur général de France Télévisions

La commission auditionne tout d'abord M. Rémy Pflimlin, président-directeur général de France Télévision sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Dans le cadre des travaux de notre commission sur le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public, dont David Assouline est rapporteur, nous auditionnons M. Rémy Pflimlin, président-directeur général de France Télévisions. Nous évoquerons en outre avec lui l'avenant au contrat d'objectifs et de moyens de l'entreprise, finalisé pendant l'été.

M. Rémy Pflimlin, président-directeur général de France Télévisions. - Je me réjouis que le projet de loi conforte l'indépendance du service public. Cette valeur cardinale est une composante majeure de la relation que nous entretenons avec nos concitoyens. Le mode de nomination du président de l'audiovisuel public n'est qu'un élément de son indépendance. Celle-ci doit être confortée dans l'exercice de ses fonctions, notamment dans ses choix éditoriaux. Depuis ma nomination, je n'ai cessé de m'y employer. Un mode de financement pérenne est une autre composante fondamentale de l'indépendance. À cet égard, le maintien de la publicité en journée après 2015 est extrêmement important, même si ce dispositif limité continue de nous défavoriser par rapport à nos concurrents.

Le texte dispose en outre que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) tiendra compte de l'impact économique de ses décisions relatives à l'usage des canaux de diffusion. Ce point est fondamental. Jusqu'alors, la disponibilité d'un canal ouvrait automatiquement appel à candidatures, ce qui pouvait porter préjudice au marché, et atteinte à la bonne exécution des cahiers des charges.

La création d'une commission consultative sur la bande des 700 MHz, dite du second dividende numérique, est par ailleurs envisagée. Cette question est stratégique pour nous, dans le développement des nouvelles technologies, de l'interactivité et des passages en haute définition. Restreindre de telles possibilités techniques ne servirait pas le développement de nos entreprises.

J'en viens à l'avenant à notre contrat d'objectifs et de moyens. Nous y avons travaillé avec le gouvernement. Il a été présenté à notre conseil d'administration en juillet. Le contrat en vigueur, signé fin 2011, courait jusqu'en 2015, mais le choc subi par notre trajectoire de ressources a rendu sa modification impérative. En effet, la ligne budgétaire de 450 millions d'euros qui nous était accordée pour compensation de la suppression de la publicité après vingt heures a été fortement réduite et les prévisions de ressources publicitaires pour 2013, 2014 et 2015 ont été revues à la baisse en raison de la crise et de la nature de notre dispositif publicitaire. En 2015, nos ressources devraient ainsi baisser de 10 %, soit 300 millions d'euros sur un total de 3 milliards d'euros.

Notre contrat doit s'adapter à la modification de notre environnement. Notre objectif principal est désormais de parvenir à l'équilibre en 2015. Nous comptons d'abord différencier davantage notre offre de celle du privé, en réaffirmant notre double rôle : d'une part, fournir des informations indépendantes et de référence ; d'autre part être le lieu de développement de la création sous toutes ses formes - fiction, documentaire, animation, spectacle vivant. Deux autres objectifs clés guident notre stratégie : le rapport aux territoires, notamment en région et dans les outre-mer, où France Télévisions est partout présente ; et l'offre sportive gratuite, dans un contexte de croissance de l'offre sportive payante. Le service public est le seul endroit où peut se développer une telle offre.

Tout est mis en oeuvre pour accompagner l'évolution profonde qu'est l'émergence du numérique. Ordinateurs, smartphones, tablettes, montres connectées même depuis les progrès accomplis par Samsung : les supports d'images ne cessent de se multiplier. Nous devons être présents sur des supports toujours plus divers, afin que nos contenus soient vus par le plus grand nombre. Vous vous êtes battus pour l'exception culturelle : votre combat n'a de sens que si la création est diffusée. Sur l'audiovisuel public, elle l'est.

L'avenant au contrat d'objectifs et de moyens entérine en outre l'évolution du positionnement de France 4 et de France Ô, et valide la pause dans le développement des heures de diffusion des antennes régionales de France 3.

Ces arbitrages se conjuguent à des mesures d'économies destinées à conforter notre trajectoire de retour à l'équilibre en 2015. Toutes les dépenses sont concernées. Grâce au plan d'économies engagé en 2012, l'équilibre a été atteint en dépit d'une perte de 70 millions d'euros par rapport à 2011. Des économies importantes, de l'ordre de 10 %, ont été réalisées sur les coûts externes, les dépenses de structure et les frais généraux, ainsi que sur les achats de programmes - des audits systématiques sur les émissions de flux ont aidé à économiser entre 7 % et 8 % des sommes négociées depuis un an. Grâce aux choix des contenus que nous avons opérés, le coût de notre grille de programmes baissera de 1 % par an en moyenne par rapport à 2012, contre une croissance de 2 % à 3 % par an initialement prévue.

Le volet social n'est pas ignoré. À l'issue de négociations longues mais fructueuses avec l'ensemble des syndicats, nous avons signé de nouveaux accords d'entreprise, qui se substituent aux conventions collectives et accords des différentes entreprises en vigueur avant la constitution de France Télévisions en une entreprise unique. L'unification des statuts et des règlements du travail facilitera les mutualisations de moyens et les transferts de collaborateurs. Des économies en sont également attendues : les effectifs sont déjà passés de 10 600 en 2012 à 10 100 au début 2013, soit une baisse de 500 équivalents temps plein (ETP).

En 2015, nous ambitionnons de les réduire à nouveau pour parvenir à 9 750. Cette deuxième phase de réduction sera engagée le 1er octobre avec la présentation au comité central d'entreprise d'un plan de départs volontaires. À l'inverse des précédents plans de départ, celui-ci est fondé sur une nouvelle organisation, les départs n'étant pas remplacés. Les emplois non permanents, qui représentent près de 16 % de nos effectifs contre 19 % entre 2010 et 2012, poursuivront leur diminution. Une négociation a été lancée sur ce sujet, de même qu'un débat sur l'intermittence. Et comme toutes les entreprises, nous nous conformons à l'obligation légale de négocier sur l'emploi senior.

Le premier aléa que nous rencontrons sur le chemin du retour à l'équilibre tient à la recette publicitaire. Celle-ci dépend de l'offre en journée, de l'évolution de la concurrence, et de la situation économique. Nous prévoyions déjà un recul par rapport aux recettes réalisées en 2012, et nous avons constaté fin août un écart de près de 10 millions d'euros par rapport aux objectifs initiaux.

Deuxième défi à relever : le financement public. Sur la ligne budgétaire votée pour 2013, 31 millions d'euros ont d'ores et déjà été gelés. En somme, nous subissons le même traitement que l'administration, alors que nous sommes avec l'État dans une relation contractuelle dont l'équilibre dépend de la ressource que celui-ci nous alloue. Enfin, le plan de départs volontaires est tributaire, par définition, de la volonté de nos salariés. Si j'ai confiance dans son succès, la prudence n'en est pas moins de mise.

J'ai proposé au gouvernement, qui a accepté, qu'à l'instar des plans stratégiques glissants qu'élaborent les grands groupes industriels, le contrat d'objectifs et de moyens soit révisable. En effet, les choses changent. Par conséquent, il est sage de fixer un rendez-vous annuel, au moment de la discussion du budget, afin d'analyser ses éléments constitutifs et de modifier les objectifs assignés en conséquence, en gardant à l'esprit l'absolue nécessité de retourner à l'équilibre : une entreprise qui perd son équilibre affaiblit sa capacité d'investissement, perd son indépendance et compromet son avenir !

M. David Assouline, rapporteur. - Le Parlement a six semaines pour rendre un avis sur les projets de contrats d'objectifs et de moyens et les avenants qui leur sont apportés. Il est regrettable que nous soyons saisis à la rentrée d'un contrat élaboré au mois de juillet. Ce n'est pas la première fois. Je l'ai déjà dénoncé sous le précédent gouvernement, je le dis à nouveau. Il en va du respect du Parlement. Faudra-t-il changer la loi sur ce point, faire courir le délai du début de la session suivante, quitte à le réduire quelque peu lorsque le Parlement ne siège pas ?

Vous avez dit que l'indépendance de l'audiovisuel public est aussi financière. C'est juste. Cette indépendance avait auparavant deux composantes : la redevance, qui ne dépendait pas complètement de l'État puisqu'il s'agit d'un prélèvement direct, l'autre moitié dépendant des recettes commerciales. Le paysage a changé. Pour une question de pérennité, et afin de réduire les incertitudes annuelles, une nouvelle stratégie entre l'audiovisuel public et l'État s'impose. Au Sénat, nous avions proposé de renforcer le poids de la redevance dans les ressources de France Télévisions : l'augmenter de deux euros par poste aurait rapporté 50 millions.

Sur l'indépendance organique : quel regard portez-vous a posteriori sur la procédure utilisée pour votre nomination ? Quel impact a-t-elle eu sur l'exercice de vos fonctions ? En matière de nomination, cette loi ne revient pas au statu quo ante puisque le statut des membres du CSA change également.

Le texte dépasse la question des nominations. Les amendements des députés en ont fait doubler le volume - nous essaierons de résister à cette tentation... Que pensez-vous de l'amendement ouvrant le droit au CSA de faire passer une chaîne de télévision numérique terrestre (TNT) payante à la TNT gratuite ? D'aucuns y voient un outil au service du pluralisme, d'autres, études économiques à l'appui, craignent la saturation du marché.

Quels liens entretiendra France Télévisions avec le CSA si celui-ci intervient dans la nomination de son président ? Êtes-vous favorable à ce que le CSA donne un avis sur l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens ? Les candidats à la présidence de l'audiovisuel public ne doivent-ils pas porter un projet d'orientation stratégique ? J'y serais personnellement favorable.

Vous annoncez la suppression de centaines de postes, mais que faites-vous exactement pour résorber l'emploi non permanent, dont le volume semble contredire la volonté affichée d'économie ? D'autant que si l'on va au bout de la logique défendue par le Sénat, consistant à réétudier la question des parts de coproduction et de l'internalisation, il faudra des salariés.

M. Rémy Pflimlin. - Dès ma nomination, je n'ai eu de cesse de faire de l'indépendance de France Télévisions une question centrale. Celle-ci dépend du mode de nomination de son président, mais également de l'exercice de son mandat. Ancien directeur général de France 3, puis patron d'un quotidien de presse régionale, je sais d'expérience que la crédibilité repose sur l'indépendance : la conforter à France Télévisions a été un réflexe presque naturel. Notre couverture des élections présidentielle et législatives en 2012 en témoigne, qui n'a suscité aucune observation du CSA.

Je me félicite que le CSA tienne compte de l'impact économique de ses décisions d'attribution de canaux. Au-delà des positions de principe, il faut avoir une vision claire de l'effet sur l'environnement économique de telles décisions, ainsi que de la viabilité des autorisations. Les enjeux de telles décisions, notamment en termes d'emploi et de création, sont loin d'être négligeables. Donner au service public les moyens de remplir ses missions impose d'analyser les conséquences à moyen et long termes de semblables choix.

S'agissant du rapport d'exécution du contrat présenté au CSA, je suis favorable à la solution trouvée par le projet de loi, qui consiste à le présenter également aux représentants de la Nation, car nous sommes le service public de la télévision.

Nous lançons trois négociations simultanées sur le plan de départs volontaires, sur l'emploi non permanent, que nous souhaitons réduire, et sur l'intermittence. Le taux d'emploi non permanent, dont une partie est liée à la production événementielle, a déjà diminué, et devrait poursuivre sa décrue pour passer de 18 % à moins de 15 %.

M. Jean-Pierre Leleux. - L'indépendance est un très beau mot, sans doute le plus prononcé lors des débats parlementaires, mais c'est aussi un mot ambigu : comment définir la notion d'indépendance, et à qui incombe cette tâche ? Nous aurons l'occasion d'en reparler lorsque nous aborderons le mode de nomination du président de l'audiovisuel public. Je ne suis pas sûr que son indépendance soit mieux protégée grâce à ce texte. En tant qu'administrateur de France Télévisions, je peux témoigner des efforts constants déployés par le président sortant pour la préserver, et j'aimerais que notre rapporteur interroge également le président du CSA sur le sentiment que lui inspire sa nomination par le président de la République...

Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens a trois objets principaux : un retour à l'équilibre en 2015 et des mesures en dépenses et en recettes. Le contrat glissant est un nouveau concept intéressant, mais il est difficile de programmer quoi que ce soit quand on ignore les chiffres. L'objectif devrait être de stabiliser les choses, et les recettes aléatoires, de nature publicitaire ou issues de dotations publiques, doivent être plus précisément définies.

France Télévisions souhaite conforter ses ressources publicitaires, mais à long terme, ce ne sont sans doute pas les plus indiquées pour assurer la stabilité de la recette. Nous avons toujours souhaité distinguer le service public de l'offre concurrentielle en dispensant France Télévisions de cette manne, compensée par une redevance devenue contribution pour l'audiovisuel public. Il n'est certes pas envisageable de l'augmenter considérablement. Toutefois, si la situation budgétaire du pays était plus souple, ne pourrait-on envisager de s'appuyer davantage dessus, et, dans un marché de plus en plus contraint, que diriez-vous d'une suppression totale de la publicité sur les télévisions publiques ?

M. André Gattolin. - Je rejoins notre rapporteur : nous découvrons souvent les contrats et leurs avenants dans des conditions incompatibles avec leur examen sérieux.

Je vois dans celui-ci des manques flagrants. Le service public a vocation à toucher le plus large public possible. Or la répartition des audiences de France 3 montre clairement le vieillissement de ses téléspectateurs. Vous parlez de la concurrence sur le marché publicitaire, mais l'investissement publicitaire en France n'a jamais décru, excepté, peut-être, en 2008. Pour autant, les cibles d'audience marchande de France Télévisions dégringolent.

S'agissant du contrat proprement dit, que penseriez-vous d'une feuille de route élaborée en amont de la nomination du président de l'audiovisuel public ? Celle-ci présenterait des orientations stratégiques dont le contrat d'objectifs et de moyens assurerait la mise en oeuvre. Aujourd'hui, nous fonctionnons à l'envers ! De plus, nous n'avons pas d'indicateurs de performance dignes de ce nom. Ils sont particulièrement muets sur la satisfaction des usagers : le sondage Qualimat, simple baromètre de l'institut Ifop ne comporte que quatre questions. Il n'a donc rien à voir avec ce qui se pratique au Royaume-Uni par exemple.

Mme Maryvonne Blondin. - Je rejoins à mon tour David Assouline : nous n'avons pas le temps d'examiner l'avenant au contrat d'objectifs et de moyens dans des délais convenables.

La semaine prochaine, nous allons examiner un autre texte, celui présenté par Mme Vallaud-Belkacem relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il faudra aborder la question de la juste représentation des femmes dans les programmes télévisés.

La réforme de France 3 prévue pour 2015 comporte une réduction des programmes régionaux. Nous sommes tous très attachés à nos territoires. Il convient de conduire une réflexion sur le rôle de France 3 et la place de la diffusion régionale sur cette antenne.

Vous envisagez, dans le cadre de la réduction des emplois non permanents, de recourir à des sociétés de production privées. Travaillant sur l'intermittence, j'aimerais savoir si vous entendez également développer les contrats à durée indéterminée (CDI).

Enfin, France Télévisions respecte ses obligations en matière de retransmission de spectacle vivant et d'équilibre entre les différents genres. Mais sans doute devriez-vous veiller à la répartition des spectacles entre les différentes chaînes, afin de conserver au service public sa spécificité par rapport au privé.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Comment atteindre l'objectif de retransmission des événements sportifs où les femmes excellent, malgré la faible audience de ceux-ci ? Il y a sans doute du chemin à faire pour faire évoluer les esprits. Est-ce un chantier ouvert à France Télévisions ?

M. Rémy Pflimlin. - Les missions de France Télévisions exigent des investissements de moyen et long termes, c'est là ce qui différencie le secteur public des chaînes privées. Le financement du groupe doit donc être stable et prévisible : d'où ma préférence pour la redevance, dont l'assiette devrait d'ailleurs être modifiée pour inclure tous les foyers dotés d'écrans, comme en Allemagne, en Suisse, en Finlande ou en Suède.

Cela dit, à l'exception de la Grande-Bretagne, tous les pays ont opté pour un modèle de financement mixte. À condition que la redevance constitue l'essentiel de nos ressources, je ne suis pas hostile à la dynamique commerciale de la publicité. Jamais un annonceur n'a eu aucune influence sur les contenus que nous diffusons, et c'est ce qui fait le succès de nos émissions d'investigation ou destinées aux consommateurs.

J'ai été nommé à la présidence de France Télévisions après avoir exposé ma vision du groupe ici-même, et l'avoir soumise au débat. J'ai dit qu'à mes yeux, France Télévisions devait s'adresser à tous, et devenir un acteur déterminant du monde numérique ; nous sommes aujourd'hui leader en la matière. Après ma nomination, j'ai élaboré un plan stratégique, et c'est sur cette base que le contrat d'objectifs et de moyens a été négocié. Nous avons suivi une démarche proche de celle que vous avez indiquée. J'ai d'ailleurs rédigé une nouvelle version de ce plan stratégique avant la modification du contrat.

Oui, nous devons nous adresser à tous, mais les médias traditionnels s'adressent aujourd'hui de plus en plus aux adultes de plus de 40 ans parce que, oui, les adolescents et jeunes adultes préfèrent les nouveaux médias. C'est pourquoi nous nous efforçons de répondre à leurs attentes en développant nos outils numériques : télévision de rattrapage, nouvelles écritures... Je vous renvoie, dans l'avenant, au projet relatif à France 4. Nous sommes également résolus à investir davantage les réseaux sociaux, afin de faire circuler les contenus. France Télévisions doit être un groupe audiovisuel de son temps.

Quant au Qualimat, il concerne les programmes diffusés chaque jour en prime time et il se fonde sur un panel représentatif réuni par l'institut Harris.

Je suis déterminé à renforcer la place des femmes à France Télévisions. Je me suis d'ailleurs engagé devant Mmes Vallaud-Belkacem et Filippetti à rééquilibrer non seulement la structure d'emplois du groupe, mais aussi la présence des deux sexes à l'antenne. Dans toutes les émissions qui ont recours à des experts, trois sur dix d'entre eux au moins devront être des femmes. Accroître la place des femmes ou la diversité, ce n'est pas suivre une mode, c'est demeurer fidèle à notre identité : la nation est diverse, sa télévision doit l'être aussi.

Nous diffusons largement les compétitions féminines dans des sports traditionnels comme la natation, l'athlétisme ou le tennis. Quant au football et au rugby féminins, nous cherchons à leur donner une plus grande place, sur France 4 et France Ô d'abord, bientôt sans doute sur d'autres chaînes.

Je tiens à vous faire remarquer, madame la sénatrice Blondin, que nous atteignons nos objectifs dans le domaine du spectacle vivant même si l'on exclut l'humour. Toute l'année, nous diffusons du théâtre sur France 2, de l'opéra en région, et nous avons également retransmis cet été le concert du 14 juillet à la Tour Eiffel et des spectacles du festival d'Aix-en-Provence.

En vue de la prochaine réforme de France 3, la ministre de la culture et de la communication a décidé sur ma proposition de mettre en place une commission mixte associant des parlementaires, des représentants du ministère et de France Télévisions pour réétudier la question de la régionalisation. Il s'agit de voir comment la chaîne régionale peut participer au grand projet de la décentralisation. Je tenais il y a quelques jours une conférence de presse devant des journalistes parisiens, qui ne regardent pas France 3 régions : ils ignoraient que le 19 heures de France 3 est en tête de l'audimat à Marseille ! Cela dit, les questions économiques peuvent freiner le développement de France 3.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je vous remercie.

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

Puis la commission auditionne M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Le temps dont nous disposons étant compté, je vous cède immédiatement la parole, monsieur le Président, afin que vous nous exposiez votre sentiment sur les projets de loi relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). - Lors de mon audition du 23 janvier, je me suis engagé à vous rendre compte régulièrement des activités du CSA. Cependant, je m'en tiendrai aujourd'hui, comme vous le souhaitez, à quelques remarques sur ces deux projets de loi. Je tiens cependant à réaffirmer qu'à nos yeux, le contrôle par le Parlement des activités du CSA est indispensable. Nous avons besoin de vos observations et orientations pour jouer notre rôle en nous fondant sur la légitimité démocratique que vous incarnez.

Vous vous apprêtez à renforcer l'indépendance et les moyens du CSA tout en veillant à ce qu'il fonctionne selon des règles exemplaires. La réforme du mode de nomination des membres du Conseil me paraît à cet égard emblématique, et comme toutes les dispositions du projet de loi délibéré en conseil des ministres, il a reçu un avis très favorable du CSA.

Nous sommes conscients de la nécessité de rénover les dispositions régissant les compétences, les missions et le fonctionnement du Conseil, afin qu'il continue à jouer son rôle de régulateur dans un environnement diversifié et ouvert à la révolution numérique. Cette régulation doit être d'abord économique, et reposer sur une vision d'ensemble de l'évolution de plus en plus rapide du secteur audiovisuel.

Le projet de loi, qui dans sa version initiale rénovait les fondations institutionnelles du CSA, comporte depuis son examen par l'Assemblée nationale plusieurs dispositions réformant son mode d'action : ce sont là les premiers jalons d'une rénovation d'ensemble de la législation audiovisuelle, auxquels vous apporterez sans doute votre contribution.

Le projet de loi restitue au CSA le pouvoir de nomination des présidents de sociétés de l'audiovisuel public. C'est une compétence dont le Conseil a lui-même souligné la légitimité. Je ne me félicite pas moins que le texte prévoie leur audition par les commissions parlementaires compétentes, dans un délai raisonnable suivant leur nomination : le Parlement exercera ainsi son contrôle sur les orientations choisies.

La réforme du mode de désignation des membres du CSA, qui respecte les mandats en cours, garantit l'impartialité du collège en exigeant l'approbation des trois cinquièmes des membres des commissions parlementaires. Le CSA sera ainsi l'une des plus indépendantes des autorités indépendantes.

Avec un rapporteur indépendant du collège chargé de l'instruction, la procédure de sanction répond désormais aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme.

Le texte a été enrichi par l'Assemblée nationale de dispositions dont plusieurs entrent en consonance avec les propositions formulées par le CSA dans son rapport public de 2012 - le Conseil renouait ainsi avec une tradition oubliée depuis 1994, afin justement d'éclairer les débats législatifs. Je me réjouis tout particulièrement de deux mesures relatives à son organisation et à son fonctionnement. D'une part, sa transformation en autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière lui donnera la souplesse de gestion dont il a besoin, sans préjudice de la nécessaire maîtrise des deniers publics. D'autre part, la reconnaissance aux membres du collège et de son président d'un droit d'expression à des fins pédagogiques me paraît tout à fait conforme à la vocation d'une autorité de régulation. Jusqu'à présent, l'article 5 de la loi du 30 septembre 1986 interdisait aux membres du CSA - artificiellement à mon sens, et sans portée pratique - toute prise de parole sur des questions relevant de l'exercice de leurs missions. En limitant cette interdiction aux questions en cours d'examen et au déroulement des délibérations, le projet préserve les règles d'une saine déontologie, tout en laissant les membres du Conseil s'expliquer sur leurs objectifs, leurs méthodes et leurs décisions.

Certains ont posé la question de savoir s'il fallait interrompre les mandats en cours des présidents de sociétés de l'audiovisuel public. Les dispositions prévues sur la révocation ne font que reprendre les dispositions antérieures en tirant les conséquences de la modification du mode de nomination, en vertu du principe de parallélisme des formes. Ce parallélisme existait aussi bien dans la loi de 2009 que dans le droit antérieur, auquel le projet de loi fait pour l'essentiel retour.

Sans doute serait-il opportun de nommer les présidents quelques mois avant le terme du mandat de leurs prédécesseurs afin d'assurer la continuité du service public, y compris dans la préparation et la mise en oeuvre des choix éditoriaux. C'est d'ailleurs une pratique établie pour certaines institutions culturelles.

Les nouvelles attributions confiées au CSA par l'Assemblée nationale correspondent à l'esprit de notre rapport public de 2012. Je pense tout d'abord à la capacité de différer l'attribution de fréquences si les conditions économiques ne s'y prêtent pas : la régulation ne peut pas s'opérer à guichets ouverts. Je mentionnerai ensuite la possibilité, lors du passage à la haute définition de services à vocation nationale, de restreindre l'appel à candidatures à des opérateurs déjà autorisés ; ou encore la faculté de statuer sur une demande de changement de régime, du payant au gratuit ou inversement, en tenant compte des conditions économiques du secteur - car celles-ci doivent retenir l'attention du régulateur, et un tel changement de régime mériterait une étude d'impact. Je me réjouis aussi que le Conseil soit appelé à contribuer, sous la forme d'un avis, au contrôle de l'exécution de leurs contrats d'objectifs et de moyens par les sociétés de l'audiovisuel public.

L'extension du champ des études d'impact répond précisément à la nécessité de mieux intégrer les finalités économiques de la régulation. Le rapport annuel du Conseil devra faire une plus large place aux incidences économiques de son action, ce que favorisera l'organisation d'un dialogue permanent avec les commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale.

L'attribution et la gestion des fréquences, dans un contexte économique où il importe de valoriser et de promouvoir le secteur audiovisuel, constitueront une partie importante de notre travail. Parce qu'elles exigent réactivité et interactivité, elles ne sauraient être soumises à des procédures systématiques ou excessivement lourdes. Je me permettrai donc de faire une suggestion. L'article 6 quinquies prévoit, dans sa rédaction actuelle, que « toute autorisation de modification de convention susceptible d'avoir un impact significatif sur le marché en cause est précédée d'une étude d'impact ». Or il est difficile de déterminer a priori si une telle décision doit avoir un impact significatif. Une telle rédaction est source d'incertitude et multiplie les risques de censure contentieuse. En outre, des centaines de demandes de modifications de convention étant déposées chaque année, le risque d'engorgement apparaît redoutable. Il me paraît donc important de cantonner l'obligation de recourir à une étude d'impact aux modifications de conventions liant des chaînes de télévision ou des stations de radio nationales. Dans les autres cas, le CSA apprécierait si l'impact attendu sur les bassins locaux d'audience justifie par son « importance » - terme consacré par la loi en ce qui concerne les consultations publiques - une étude formalisée.

En revanche, il ne nous paraît pas légitime de nous affranchir d'une étude d'impact pour la seule raison que le Gouvernement aurait déposé une demande de réservation prioritaire, en vertu du II de l'article 26 de la loi de 1986. Telle serait la conséquence de l'article 6 septies et de son insertion dans l'article 31 de la loi de 1986, lequel ne renvoie pas à l'article 26. La priorité accordée au service public, à la demande du Gouvernement, ne serait nullement remise en cause par une analyse préalable, globale et cohérente des besoins susceptibles d'être exprimés par les opérateurs publics et privés.

Le droit en vigueur n'autorise aucune forme de conciliation sur les litiges relatifs à la circulation d'oeuvres audiovisuelles, notamment entre éditeurs et promoteurs. Le CSA, reprenant une proposition du rapport du sénateur Plancade, souhaite que cette faculté lui soit ouverte, au moins à la demande des parties.

L'article 6 quater prévoit, avant toute réallocation de fréquences affectées au CSA, la consultation d'une commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle comprenant des parlementaires. Cela nous paraît tout à fait souhaitable, compte tenu de l'incidence de telles décisions pour tous les acteurs du secteur, et d'abord pour les téléspectateurs. Cette procédure pourrait être informellement anticipée à propos de la réallocation de la bande de 700 MHz.

Le CSA se tient à votre disposition pour vous présenter ses observations, tout au long de l'examen de ce texte grâce auquel il espère remplir plus efficacement ses importantes missions.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je vous remercie de cet exposé très complet. Je constate que vous portez une appréciation très positive sur ce projet de loi. La précision de vos remarques sur certains de ces articles enrichira notre réflexion.

M. David Assouline, rapporteur. - Cette audition est importante. Le projet de loi que nous examinons est issu de la volonté de modifier le mode de nomination des présidents des sociétés de l'audiovisuel public. Et c'est ce qui a fait porter l'attention sur l'instance qui aura désormais la charge de les nommer, le CSA, afin d'en garantir l'indépendance, d'en rénover le statut et les attributions. La plus grande partie du texte lui est désormais consacrée.

Je tiens à souligner la portée presque révolutionnaire du nouveau mode de nomination des membres du CSA, qui fera du Conseil l'une des autorités indépendantes les plus indépendantes, avez-vous dit. Soumettre les candidatures à l'approbation des trois cinquièmes de nos commissions, c'est obliger à rechercher un consensus sur la compétence des personnes. Et je souhaite que cette règle soit appliquée aussi souvent que possible pour les autres nominations. J'aimerais vous entendre à ce sujet : qu'est-ce que cette nouvelle règle changera pour le CSA, à vos yeux ?

Un amendement adopté par les députés nous contraint à aborder une question imprévue. Il autorise le passage de la TNT payante à la TNT gratuite sans passer par la procédure habituelle de l'appel à candidatures. On parle beaucoup de cet amendement qui intéresse les médias, et qui a suscité un intense lobbying. Je veux encadrer cette procédure exceptionnelle, en imposant au moins une étude d'impact. Certains imaginent déjà quelle chaîne pourrait être concernée, ils croient le scénario déjà écrit... Eh bien, je veux les rassurer. Comment garantir la transparence de la décision ? En lançant un appel à contribution, afin que ceux qui sont intéressés directement ou indirectement puissent s'exprimer ?

Un autre amendement autorise une chaîne de la TNT régionale à devenir nationale dans le cadre du passage à la haute définition. Comme toutes les chaînes locales n'ont pas les 12 millions d'euros que cela coûte, certains supposent que cette disposition ne profiterait qu'à quelques chaînes au plus, voire à une seule.

Une dernière question. Le rapport Lescure préconise de transférer au CSA certaines attributions de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Après avoir patienté pour la publication du rapport Lescure pendant près d'un an, nous attendons maintenant un autre projet de loi qui reprenne ses propositions. De si longs délais sont dommageables, tant pour l'Hadopi que pour son personnel. Pourquoi, dans un esprit très pragmatique, ne pas profiter du présent projet de loi pour entériner ce transfert ?

J'aurais pu évoquer aussi votre relation avec les présidents des sociétés de l'audiovisuel public une fois nommés, et le contrôle que vous exercerez sur leur action. Le CSA nomme cinq des administrateurs de France Télévisions : pourquoi ne pas s'astreindre à la parité ? Peut-être verrait-on ainsi plus de femmes à l'antenne...

M. Olivier Schrameck. - Merci de ces questions denses et importantes. Le CSA est pleinement conscient de la mutation, pour ne pas dire plus, que représente le nouveau mode de nomination de ses membres. L'idée en avait germé il y a quelques années. Le comité Balladur avait, par exemple, un moment envisagé de proposer l'approbation de la nomination du Défenseur des droits à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions parlementaires compétentes. Cette procédure garantit non seulement la transparence du choix, puisqu'elle exige un accord entre des personnalités qui se réclament de courants politiques différents, mais aussi un haut degré de compétence des candidats proposés - compétences économiques, juridiques ou techniques qui sont d'ailleurs, désormais, explicitement prévues. Le seul risque est qu'un accord ne puisse être trouvé ; bien que j'aie été témoin de situations de ce genre en Espagne, quand j'y étais ambassadeur de France, j'ai pleine confiance en la sagesse des commissions parlementaires pour s'entendre.

Il me semble que l'on est parvenu ainsi à un équilibre, compte tenu du mode de nomination prévu par la Constitution pour le président du CSA. Celui-ci signe toutes les décisions du Conseil, lequel, doté d'un pouvoir de réglementation et de sanction, participe de la puissance exécutive, comme disent les juristes.

Le CSA avait lui-même proposé en avril, en dehors du contexte que nous connaissons maintenant, la nouvelle procédure de passage de la diffusion gratuite à la diffusion cryptée, ou vice versa. Cette proposition s'explique par notre conception de notre rôle, qui n'est pas d'appliquer mécaniquement une norme. Dans sa rédaction actuelle, la loi de 1986 obéit ici à une logique binaire : si la modification est substantielle, on ne peut rien faire ; sinon, on peut aboutir à un accord. Je préfère une perspective d'ensemble, qui prenne en compte les conditions économiques, mais aussi sociales et technologiques, comme le font l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), l'Autorité de la concurrence ou encore l'Autorité de contrôle prudentiel.

Cette procédure présente-t-elle des risques ? Je ne le pense pas. Une décision de ce genre serait soumise, plus encore que toute autre, à une étude d'impact. Je pense notamment au passage à la gratuité : vu l'état actuel de la télévision payante, une analyse globale et détaillée s'imposerait. Une consultation publique me paraîtrait également assez naturelle : la loi oblige déjà à mener une telle consultation lorsque le CSA s'apprête à rendre une décision susceptible d'avoir un impact « important » sur le marché en cause. Tout ce qui impose plus de transparence, tout ce qui oblige à mieux prendre en compte les intérêts directs et indirects des parties prenantes, me semble souhaitable.

Le CSA n'a aucune intention a priori. Il examinera les demandes avec objectivité, au vu des données économiques et avec le souci du pluralisme. Ces dispositions vont dans le bon sens, car elles garantissent une régulation attentive aux intérêts économiques, sociaux, industriels et culturels du secteur.

Il découle de ces développements sur son pouvoir d'appréciation en matière d'autorisation de fréquences, que le Conseil est favorable à la possibilité de limiter des appels d'offres au passage à la haute définition. Car il ne s'agit pas de multiplier les chaînes hertziennes : un progrès qualitatif n'est pas un progrès quantitatif. En autorisant les chaînes locales à devenir nationales à l'occasion du passage à la haute définition, on risquerait d'aboutir à une diversification non maîtrisée du réseau hertzien national, et l'on manquerait ainsi l'objectif recherché. Aussi me paraît-il utile d'ôter toute ambiguïté au texte actuel en précisant que l'appel d'offres ne s'adresse qu'aux services à vocation nationale.

Il n'appartient évidemment pas au CSA de décider quelle doit être l'institution qui prendra le relais de l'Hadopi, ni quel est le vecteur législatif le plus pertinent. J'ai néanmoins souhaité que le Conseil en délibère de manière informelle, puisqu'il est concerné au premier chef. Si l'on considère, suivant le rapport Lescure, que certaines compétences de la Hadopi en matière de régulation, de veille et de protection des droits sont susceptibles d'être transférées à une autre autorité, le choix du CSA répondrait à une logique profonde. En effet, le secteur audiovisuel est immergé dans le numérique, qui n'est pas un média parmi d'autres mais un média englobant. Bien plus, celui-ci le pénètre par tous les pores - canaux techniques, contenus, nouvelles chaînes. Il y a ainsi une logique fonctionnelle à ce que la régulation soit globale, à condition qu'elle soit assouplie, renouvelée dans ses méthodes et ses objectifs, et qu'elle fasse une large part à l'autorégulation ou à la régulation supervisée, en association avec les acteurs du numérique.

Pour le reste, je ne suis habilité à me prononcer ni sur la possibilité juridique, ni sur l'opportunité politique de recourir au présent projet de loi. L'appréciation juridique appartient au Conseil constitutionnel. Sur ce que l'on appelle les cavaliers législatifs, sa jurisprudence est nuancée. D'ailleurs, depuis la révision de 2008, un amendement est recevable même s'il ne présente qu'un lien indirect avec le texte déposé ou transmis. Des décisions récentes manifestent une certaine souplesse : en 2011 sur la réforme des juridictions financières dans un projet de loi initialement consacré aux juridictions militaires et marines, en 2013 sur l'élargissement du corps des inspecteurs du travail à l'occasion d'un texte sur la gestion prévisionnelle des emplois seniors, en 2013 encore sur l'extension des implantations d'éoliennes autorisée par un projet de loi de régulation du secteur de l'énergie qui n'en traitait d'abord aucunement.

J'insiste sur ma préoccupation quant à l'idée de transférer les compétences en cause sans procéder à la grande réforme suggérée par le rapport Lescure. Deux dispositions sont concernées : le transfert dans la loi de 1986 de l'article du code de la propriété intellectuelle qui définit les compétences de l'Hadopi, et le sort de la commission de prévention et de protection.

Il convient surtout d'assurer la continuité. En effet, si l'indétermination persistait sur le champ d'action de l'Hadopi, les risques seraient grands d'une dispersion et d'un affaiblissement des compétences techniques et de l'expérience du personnel. On observe déjà une modification du comportement des utilisateurs, et une extension massive du piratage. J'ai rencontré il y a peu des représentants du monde du cinéma : Blic (Bureau de liaison de l'industrie cinématographique), Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma), ARP (Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs) et UPF (Union des producteurs de films) ; ils m'ont signalé une aggravation spectaculaire de la situation. Il faut donc donner une indication nette, quelle qu'en soit la forme, sinon le CSA héritera d'une situation irréversiblement dégradée.

Le projet de loi accorde une attention particulière à la parité. Le collège du CSA est d'ores et déjà composé de cinq femmes et de quatre hommes ; la base de départ n'est donc pas mauvaise. La seule nomination à laquelle nous ayons procédée jusqu'à présent est celle de Mme Brigitte Lefèvre comme représentante du CSA au conseil d'administration de France Médias Monde, alors connue sous le nom d'Audiovisuel extérieur de la France. Lors du prochain remplacement de Muriel Mayette au sein de Radio France, nous serons attentifs à cette problématique. Tout cela, ainsi que notre groupe de travail sur les droits des femmes, démontre un volontarisme indéniable de notre part.

Dans nos relations avec les présidents d'entreprises audiovisuelles publiques, nous respectons leur pouvoir éditorial. Toutefois, leur nomination par le CSA induira un type de relations différent. Cela doit nous pousser à accentuer notre suivi. Nous avons ainsi été favorables à l'extension de notre compétence en amont, lors de la transmission des avenants aux contrats d'objectifs et de moyens, comme en aval, lorsqu'il est rendu compte de leur exécution. L'Assemblée nationale n'a retenu que ce contrôle en aval. Mais lorsque l'un de ces contrats lui sera transmis, le CSA l'examinera et vous transmettra ses réflexions.

M. André Gattolin. - Je remercie M. Schrameck pour la précision et la grande sagesse de sa présentation. Je soutiens la proposition d'instituer un tuilage entre les présidents sortant et entrant d'entreprises audiovisuelles publiques, que je voulais moi-même proposer. Aujourd'hui, les présidents nommés en cours d'année n'ont pas de prise sur la programmation de l'année suivante. Comme le rapport de David Assouline le montre, ce manque de continuité est dommageable.

J'aimerais aussi vous interroger sur le passage de la TNT payante à la TNT gratuite. Même si je comprends le sens de la mesure, j'y suis très réticent. La télévision réclame des investissements très importants. Les réponses aux appels d'offre sont faites dans un certain contexte. Un changement en cours de route peut perturber cet écosystème. Les modifications doivent être faites au terme de la durée prévue des autorisations. Dans un monde où la gratuité signifie un financement par la publicité, qui ne constitue pas une ressource inépuisable, l'amendement au premier alinéa de l'article 6 octies est porteur de risque.

M. Jean Boyer. - Un élu est un généraliste ; si son sentiment est partagé par ses compatriotes, c'est sans doute qu'il est dans le vrai... Mon impression est que les médias détiennent un pouvoir considérable. Sur certaines chaînes privées, l'information consiste essentiellement en une recherche de scoops où la violence domine.

En matière de sport aussi, ce sont les médias qui commandent. Trouvez-vous normal qu'en hiver, quand il fait moins quinze, les matchs de football aient lieu à vingt-et-une heures ? Dans un autre ordre d'idées, la couverture médias de l'actualité parlementaire fait montre de différences de traitement donnant l'impression que l'Assemblée joue en première division et le Sénat en deuxième... Ce fut le cas lors du débat sur la Syrie la semaine dernière.

M. Olivier Schrameck. - Il est paradoxal de donner au CSA un pouvoir complet sur les autorisations de nouvelles chaînes, mais un pouvoir limité sur les modifications substantielles. Sur le plan économique, la remise en jeu de l'autorisation est un choix binaire, soit disparition et recréation, soit choix d'un tiers. Or la régulation d'un ensemble complexe comme l'audiovisuel doit plutôt accompagner ses évolutions ; elle doit procéder d'une vue d'ensemble et éviter des ruptures périlleuses pour le développement de nos potentiels économiques, culturels et sociaux. Le CSA prendra en compte tous les intérêts, et notamment ceux des « tiers intéressés », ce qui n'implique pas forcément un processus de rupture.

Monsieur le sénateur Boyer, sur le contenu des programmes, nous respectons le pouvoir éditorial des chaînes et nous nous limitons à des observations générales sur la structure et le coût de la grille des programmes. Vous mettez en évidence la contagion de la violence et les problèmes qu'elle pose pour les publics sensibles, que le législateur nous a chargés de protéger. Sur ce sujet, j'appelle votre attention sur la nécessité de ne pas nous cantonner au domaine strict de l'audiovisuel. Sans possibilité d'agir sur la sphère numérique, notre pouvoir devient résiduel. Nous étions il y a peu saisis de la question de la diffusion d'un clip par une chaîne de télévision ; mais tandis que nous en discutions, il avait déjà été visionné un million de fois sur Internet !

Concernant le pluralisme, on peut constater des améliorations depuis quelques mois : le délai de transmission des comptages de temps de parole entre majorité et opposition et de la répartition du temps entre personnalités politiques et responsables gouvernementaux est passé de trois mois à un mois. Nous serons extrêmement attentifs, pour les élections qui s'annoncent, à ce que les règles du pluralisme soient scrupuleusement respectées. Nous réfléchissons en ce moment à d'éventuelles rénovations tenant compte des évolutions techniques ; ces sujets méritent qu'on y réfléchisse longuement, et certainement pas à la veille des élections.

Concernant le sport, nous ne pouvons pas agir sur la programmation. Mais nous avons le souci de garantir un accès au sport pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas payer des services télévisés. Une négociation concernant le tennis va s'ouvrir dans les mois qui viennent : pour nous, les restrictions budgétaires ne sauraient conduire à une remise en cause radicale de la répartition des responsabilités entre les télévisions payantes et le service public, dont un des rôles est de retransmettre des performances sportives de haute qualité.

M. Jacques Legendre. - Vous avez été un avocat brillant des dispositions du projet de loi. Y a-t-il des points que vous auriez préférés différents ?

M. Olivier Schrameck. - Nous aurions souhaité que d'autres compétences soient attribuées au CSA dès à présent. Notre contrôle économique est insuffisant : nous ne pouvons pas opérer de régulation ex ante. Nous comprenons pourtant la logique en deux temps, consistant d'abord en une réforme des institutions, puis en une refonte de la régulation de l'audiovisuel, sur la base du rapport Lescure. Mais il faut aller vite, car les mutations sont extrêmement rapides. De nombreuses dispositions ont été prises alors que le paysage audiovisuel était totalement différent. Un réexamen d'ensemble s'impose.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je vous remercie.

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

Enfin, la commission auditionne Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je souhaite la bienvenue à Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. - C'est avec fierté que je vous présente, au nom du Gouvernement, ce projet de loi, qui a été enrichi par l'Assemblée nationale lors de son examen en juillet dernier. Il touche aux fondements de la démocratie et aux conditions d'existence de la liberté d'expression. Il répond aux engagements du président de la République. C'est un texte concis et sans détour, comme le principe d'indépendance qu'il défend. Après les coups portés par la loi du 5 mars 2009, il était temps de renouer avec la défense de la liberté d'expression.

Le projet de loi s'articule autour de trois grands principes : indépendance, démocratie et impartialité. L'indépendance : c'est à nouveau le CSA et non plus le Président de la République qui choisit les patrons de Radio France, de France Médias Monde et de France Télévisions. Nicolas Sarkozy avait entendu, en reprenant ce pouvoir, « mettre fin à une hypocrisie » : non, les garanties démocratiques ne sont pas une hypocrisie et nous les rétablissons aujourd'hui. Le mode actuel de nomination des dirigeants de chaîne éveille la suspicion, ce qui rend plus difficile l'exercice de leur mission.

La démocratie, ensuite : la procédure de nomination des membres du CSA réserve un plus grand rôle au Parlement et à ses commissions chargées des affaires culturelles en particulier, en y associant l'opposition parlementaire. Seul le président du CSA sera désormais nommé par le Président de la République ; le collège passe de neuf à sept membres ; six seront désignés par les présidents des assemblées après avis conforme adopté à une majorité de trois-cinquièmes par chacune des deux commissions, impliquant nécessairement l'opposition. C'est une avancée majeure et le signe d'une société de confiance. Certains craignent des blocages mais j'ai confiance dans votre capacité à surmonter les logiques partisanes, sur un sujet si important.

L'impartialité, enfin : ce projet s'accompagne d'un projet de loi organique qui en tire les conséquences en retirant les présidents des sociétés audiovisuelles publiques de la liste des emplois auxquels nomme le Président de la République sur le fondement de l'article 13 de la Constitution. La procédure de sanction se conformera aux jurisprudences constitutionnelle et européenne ; les fonctions de poursuite et d'instruction, assurées par le rapporteur, seront séparées de la fonction de sanction, qui appartient au collège.

Le travail des députés a enrichi le texte, pour faire du CSA une autorité de régulation rénovée qui devra davantage rendre compte et justifier ses choix, dans un souci de transparence. Le statut est modifié : le CSA devient une autorité publique indépendante. Je m'associe aux initiatives des députés, qui vont plus loin que le texte du gouvernement sur trois points : les membres seront nommés pour leurs compétences ; les règles d'incompatibilités sont améliorées ; les nominations respecteront la parité, en parfaite cohérence avec la ligne suivie par le gouvernement.

Grâce aux députés, le projet de loi prend également en compte les enjeux économiques, en faisant précéder d'une étude d'impact toute nouvelle autorisation délivrée par le CSA et susceptible de modifier le marché audiovisuel. Le rapport annuel du CSA est enrichi ; ses décisions seront motivées donc mieux comprises par les entreprises visées. Le conseil pourra désormais autoriser le changement du mode de financement des chaînes, pour le passage du payant au gratuit par exemple. Il faudra être d'une grande prudence à l'égard de cette prérogative nouvelle, pour sécuriser juridiquement les décisions du CSA et pour garantir que ces modifications du modèle ne mettent en péril ni le pluralisme ni les équilibres économiques du secteur. Nos débats permettront sans doute d'atteindre la solution la plus équilibrée.

Enfin, les députés ont ajouté des dispositions sur divers points en suspens, en particulier le maintien de la publicité en journée dans l'audiovisuel public après 2015 ou une meilleure gestion du domaine public hertzien, avec l'abrogation des canaux compensatoires de la TNT.

Avec ce projet de loi, nous vous demandons de régler rapidement ce qui peut l'être : l'indépendance, condition et première étape d'une réforme de grande ampleur de l'audiovisuel. J'ai voulu que des réflexions soient engagées dès aujourd'hui, pour aboutir à des décisions réfléchies. Les conclusions de la mission Lescure ont montré que les bouleversements en marche appelaient une réforme de fond, sur laquelle nous avons voulu recueillir l'avis des secteurs concernés. C'est pourquoi j'ai organisé les assises de l'audiovisuel en juin et engagé une concertation pour adapter le cadre juridique, en prenant en compte l'essor des divers terminaux connectés à Internet. Je viens de lancer une consultation publique sur la modernisation de la réglementation applicable à la communication. Cela nous sera utile pour élaborer la position de la France dans les négociations européennes sur l'évolution des directives Services de médias audiovisuels, Paquet télécom et Commerce électronique.

La présente réforme du CSA est le socle sur lequel fonder la régulation des médias dans une grande démocratie.

M. David Assouline, rapporteur. - Le projet de loi représente une avancée sur une question essentielle : l'indépendance. Nous n'avons pas souhaité rétablir l'ancien mode de nomination des membres du CSA. La présente réforme du mode de désignation n'a rien d'anodin. La procédure retenue, le vote des commissions compétentes à la majorité positive des trois-cinquièmes, témoigne de votre confiance dans le Parlement et dans la capacité des parlementaires à se rassembler. Cette procédure fera date et pourra certainement être étendue à d'autres organismes dont l'autorité repose sur l'indépendance.

Le texte a été enrichi à l'Assemblée nationale. Le Sénat jouera lui aussi son rôle ; il contribue souvent à sécuriser les dispositifs juridiques, car il aime le travail bien fait.

Plusieurs questions sont apparues dans le débat public. En premier lieu, un amendement, que vous avez soutenu, a été adopté à l'Assemblée nationale : il donne la possibilité au CSA d'autoriser une chaîne de la TNT payante à devenir gratuite. Levons nos préventions à l'égard de cette disposition. Comme l'a souligné M. Olivier Schrameck que nous venons d'entendre, dans un univers évolutif comme celui de la communication, il est bon que le CSA puisse intervenir avec plus de souplesse. Les projets économiques ont un sens dans une conjoncture donnée, il est normal qu'ils évoluent. Or, aujourd'hui, pour qu'une chaîne payante rejoigne le bouquet de la TNT gratuite, elle doit fermer son écran pour en ouvrir un autre, ce qui est bien lourd. Je suis donc favorable à cet amendement, sous réserve d'un encadrement de la procédure, qui doit être motivée et qui ne saurait être discrétionnaire. Sur ce sujet, les acteurs se font entendre. On attend du Sénat une clarification.

Un autre amendement adopté par l'Assemblée nationale permet à des chaînes qui disposent d'une autorisation locale de pouvoir accéder, à la faveur d'une candidature à la haute définition (HD), à une diffusion nationale. M. Schrameck y est réticent. Force est de constater, cependant, que le coût représenté par ce passage limitera le nombre des candidats. Quel est votre point de vue ?

Enfin, Madame la ministre, quel est votre sentiment sur les propositions de M. Lescure à propos de l'exception culturelle ? Vous avez déjà lancé des études et une consultation. La mise en oeuvre de certaines mesures suppose une modification de nature législative. Le transfert des compétences de l'Hadopi vers le CSA apparaît comme un compromis. Déjà, un décret a abrogé la possibilité de couper la connexion Internet. La mise en oeuvre d'une telle sanction avait à juste titre suscité des émotions, car l'accès à Internet est essentiel à l'exercice de la citoyenneté. Pourquoi ne pas saisir l'occasion de ce texte pour enfin mettre en oeuvre cette mesure qui a déjà fait l'objet d'une large discussion ? Le rapport Lescure a été publié en mai. Depuis, il règne une grande incertitude. A quand une grande loi de l'audiovisuel pour harmoniser l'ensemble du secteur ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. - La grande loi, c'est celle-ci !

M. David Assouline, rapporteur. - Il faut saisir l'occasion de fusionner ces entités. N'attendons pas que la situation se dégrade encore et finalement échappe à tout contrôle. Les incertitudes sont nombreuses concernant les prérogatives du CSA ou le fonctionnement de l'Hadopi. Nous sommes dans l'expectative. Nous attendons des décisions.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. - La procédure d'autorisation par le CSA du passage du modèle payant au gratuit doit être encadrée. Des études d'impact sont nécessaires pour évaluer l'équilibre économique du secteur, notamment les parts de marché publicitaire, et maintenir le pluralisme, afin que les principes de la loi du 30 septembre 1986 soient respectés. Le CSA dispose des moyens et compétences pour mener ces études qui apporteront des garanties au dispositif voté par l'Assemblée nationale.

En outre, le passage à la HD des chaînes locales n'implique pas automatiquement une diffusion nationale. Je ne doute pas que le Sénat, dans son souci de sécurisation juridique, saura lever cette ambiguïté.

Sur l'Hadopi, le rapport Lescure concluait à la pertinence de maintenir une riposte graduée, qui a une vertu pédagogique. Mais il préconisait d'alléger le dispositif et de le recentrer sur la contrefaçon commerciale. Aussi, j'ai confié à Mme Mireille Imbert-Quaretta le soin de réaliser une étude de la lutte contre la contrefaçon commerciale. Concernant le piratage domestique, la possibilité de couper l'accès à Internet constituait une sanction disproportionnée ; il fallait supprimer cette anomalie.

Par ailleurs, le rapport Lescure prônait le rattachement de la commission de protection des droits au CSA, pour renforcer ses moyens et ses compétences dans le numérique. Le gouvernement a arbitré en ce sens.

Néanmoins, des mesures de sécurisation juridique s'imposent concernant la lutte contre la contrefaçon. Le rapport Lescure préconisait des sanctions administratives à la place de sanctions pénales. Nous les avons jugées insuffisantes à garantir les libertés individuelles. Enfin, sur d'autres aspects du rapport, comme le développement de l'offre légale ou le financement de la création, le gouvernement a entamé un processus de concertation afin d'aboutir à des accords interprofessionnels, par exemple concernant la chronologie des médias ou la gestion collective.

M. Jacques Legendre. - Ce texte réforme les modalités de désignation des présidents des chaînes publiques et entend renforcer le pluralisme et l'indépendance de l'information. C'est important. Nous participerons à cette réflexion. Mais gardons-nous de toute vision manichéenne ! La loi de 2009 n'était pas attentatoire à la liberté d'expression et chacun a pu voir comment le Président de la République s'est comporté : aucune atteinte à la déontologie n'a été à déplorer, y compris pendant les périodes électorales. Le président Pflimlin, nommé par l'ancien Président de la République, a rappelé combien il était attaché à son indépendance et affirmé qu'il n'avait pas connu la moindre difficulté à cet égard. Quant à M. Schrameck, président du CSA, nommé par l'actuel Président de la République, il n'a pas témoigné spontanément d'une distance critique à l'égard de ce texte. Il n'a formulé ses préconisations qu'en réponse aux questions qui lui ont été posées. Abordons donc ce débat sans polémique. N'opposons pas de supposés amis et de prétendus ennemis de l'indépendance des médias. Nous voulons tous disposer d'une information libre et pluraliste.

Enfin, lors du vote de la loi Hadopi, nous avions défendu, avec certains membres de l'opposition de l'époque, la riposte graduée, conçue comme un instrument pédagogique. Si nous supprimons toute sanction, la dissuasion devient purement théorique. Songeons à l'efficacité. Nous devons défendre la création et le droit des créateurs à ne pas être spoliés.

Mme Françoise Cartron, présidente. - M. Schrameck a certes manifesté son adhésion au projet de loi mais il a aussi appelé notre attention sur certains articles qui à son avis posent question. Sa présentation était positive mais critique et objective. De même, je salue sa liberté de ton sur l'Hadopi ; il a reconnu une évolution peu satisfaisante ces derniers mois.

M. André Gattolin. - Nos auditions soulignent de manière récurrente l'instabilité à la tête des chaînes du service public ainsi que le caractère erratique des stratégies et des modes d'organisation... Tout le monde convient de la nécessité d'orientations à moyen et long termes. L'État actionnaire doit définir en amont, en lien éventuellement avec le CSA, une feuille de route fixant des objectifs de service public, au lieu de commencer par désigner des candidats en leur demandant un projet inévitablement imprécis. L'idée avancée par M. Schrameck d'un tuilage entre le président sortant et le nouveau est intéressante. Madame la ministre, quelles mesures garantiraient une gouvernance pérenne de l'audiovisuel public ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Le mot clef de ce texte est l'indépendance. Celle-ci, comme la démocratie, comme le bonheur, n'est pas un état mais un cheminement, et elle dépend d'une volonté partagée. Nous voulons tous une gouvernance indépendante, mais nous n'empruntons pas tous le même chemin. Suffit-il de changer le mode de désignation, ou le mode de scrutin à une élection, pour nous rapprocher de l'idéal démocratique ? La méthode proposée n'est peut-être pas la meilleure.

Sur la riposte graduée, nous étions plus unis au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Je suis un défenseur de l'Hadopi. J'ai pris acte de votre décret supprimant l'interruption temporaire de l'accès à Internet. Au demeurant, cette sanction n'avait été mise en oeuvre que dans quelques cas. La sanction administrative proposée par le rapport Lescure mais que vous ne souhaitez pas aurait pour conséquence de multiplier le nombre des amendes. L'Hadopi a rempli sa mission pédagogique. Tant mieux, car la défense du droit d'auteur et de l'acte créatif n'est pas une préoccupation spontanée des jeunes, qui ne comprennent pas tous pourquoi une oeuvre doit être payante.

Monsieur Assouline, vous souhaitez transférer au CSA, dès cette loi, le soin de mettre en oeuvre la riposte graduée. Pourquoi le CSA serait-il plus compétent que Hadopi ? Son expérience dans le numérique est-elle meilleure ? Cela coûterait-il moins cher ? Pourquoi démanteler un organisme qui a démontré son efficacité, comme l'ont reconnu M. Lescure ou M. Schrameck ?

M. Louis Duvernois. - N'oublions pas, en élaborant ce texte, que nous nous inscrivons dans un monde globalisé. Or nos compatriotes vivant à l'étranger n'ont pas accès aux programmes de France Télévisions. En Espagne, les chaînes publiques 1 et 2, ainsi que la chaîne publique sportive, sont disponibles en direct sur Internet. De même, la Suède offre un accès gratuit sur Internet aux séries de fiction nordiques. Au Canada, un site donne accès à des rediffusions consultables à l'étranger. Tout cela conduit certains de nos compatriotes installés à l'étranger à passer par le réseau privé virtuel Virtual Private Network (VPN), à la légalité douteuse, afin de masquer leur adresse Internet Protocol (IP) et faire croire qu'ils résident en France. Ne faudrait-il pas confier au CSA la mission de veiller à ce que tous nos compatriotes aient accès aux programmes de France Télévisions, y compris grâce à des procédures de télévision de rattrapage ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. - Monsieur Legendre, vous soulignez que le Sénat ne compte que des partisans de l'indépendance. Ce projet de loi a précisément pour objet de confier au Parlement, majorité et opposition réunies, le pouvoir de désigner les membres du CSA. L'Hadopi n'est pas au coeur de ce texte qui concerne l'indépendance de l'audiovisuel. Les avancées sont indéniables, majeures. Selon moi, ce texte est bien « la grande loi », car il pousse l'indépendance à un degré jamais atteint. Il restera à régler des points techniques, à donner suite à certaines propositions du rapport Lescure. Je songe à l'amélioration de la disponibilité des oeuvres sur Internet, à la révision du code de la propriété intellectuelle, à la chronologie des médias, à l'open data, au financement de la création, à la gestion collective, aux échanges non marchands, etc.

Avec le développement de l'offre légale et le financement de la création, la lutte contre la contrefaçon est le dernier pilier de la réforme. En la matière, le rapprochement des structures est à la fois plus rationnel, car source d'économies, et plus pertinent du point de vue des compétences, car le CSA traite déjà de sujets numériques. Avec la convergence des médias, il n'est pas souhaitable de conserver une autorité dédiée à la lutte contre le téléchargement illicite. Le gouvernement reprend à son compte les préconisations du rapport Lescure sur ce point.

Monsieur Gattolin, la proposition de tuilage évoquée par M. Schrameck est pertinente. Le CSA aura la main sur les nominations, il aura donc toute possibilité pour assurer un meilleur suivi et davantage de continuité.

Comme vous le savez, le développement de l'éducation artistique et culturelle constitue une de mes priorités. Celle-ci inclut une sensibilisation au droit d'auteur. En rencontrant des artistes, les jeunes comprennent mieux comment ceux qui créent peuvent vivre.

Dernier point : le modèle français comporte, c'est une spécificité, des producteurs externes, si bien que les chaînes ne possèdent pas les droits pour la diffusion dans le monde entier. TV5 Monde diffuse un certain nombre de programmes. Le passage par VPN est un problème. Il faudrait une remise à plat plus générale. N'oublions pas que les citoyens britanniques résidant à l'étranger doivent payer une redevance spéciale pour regarder les programmes de la BBC même lorsqu'ils y ont accès grâce à Internet.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je vous remercie.

Mercredi 11 septembre 2013

- Présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente -

Égalité entre les femmes et les hommes - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de Mme  Maryvonne Blondin sur le projet de loi n° 717 (2012-2013) pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, que Mme Vallaud-Belkacem a présenté avec beaucoup de détermination. Ce texte s'inscrit dans la continuité de l'action du Gouvernement en faveur des femmes, et suit la réinstallation d'un ministère de plein exercice chargé des droits des femmes.

Comme l'indique l'exposé des motifs, les inégalités de traitement et d'opportunités, qui se constituent dès la petite enfance, marquent encore les parcours et le devenir des femmes et des hommes :

- 80 % des tâches domestiques continuent d'être assurées par les femmes ;

- un écart de rémunération de 27 % sépare toujours aujourd'hui les hommes et les femmes. En outre, 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes ;

- il n'y a encore que 23 % de femmes dans les conseils d'administration des entreprises du CAC 40 et seulement 8 femmes présidentes d'universités ;

- l'Assemblée nationale ne compte que 26 % de femmes (j'ajoute que le Sénat en compte 22 %), et seuls 14 % des maires sont des femmes.

Le secteur culturel n'échappe malheureusement pas à ce phénomène. La place des femmes dans l'art et la culture a été analysée de façon remarquable par la délégation aux droits de femmes, avec l'excellent rapport de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin. Il indique que, 7 ans après le premier rapport de Reine Prat sur le sujet, les chiffres sont les mêmes. Les postes de direction des institutions et industries culturelles sont toujours monopolisés par les hommes. Parmi les dirigeants de l'administration culturelle, seuls 18 % sont des femmes soit 7 femmes pour 31 hommes. Au sein de la réunion des opéras de France, 4 % seulement des directeurs sont des femmes. Ce taux est de 15 % pour les 34 centres dramatiques nationaux. Il passe à 30 % pour les centres chorégraphiques nationaux. Comme vous pouvez le constater, nous sommes très loin d'une situation d'égalité entre les femmes et les hommes !

Le projet de loi que nous examinons ce matin aborde l'égalité dans toutes ses dimensions en traitant des questions relatives à l'entreprise, la conciliation des temps de vie, à la précarité des femmes, notamment celle des mères isolées, à leur protection renforcée contre les violences, à l'image des femmes dans les médias ou encore à la parité dans la sphère publique ou privée.

La saisine de notre commission concerne trois articles:

- l'article 16 relatif à la modification des pouvoirs du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ;

- l'article 19 relatif à la parité dans les instances dirigeantes des fédérations sportives ;

- l'article 23 qui prévoit les habilitations du Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relevant de la loi.

J'ajoute que la commission des lois, saisie au fond, a déjà établi le texte de la commission. Sa rapporteure, notre collègue Virginie Klès, a fait adopter des amendements tendant à renforcer plusieurs dispositions du texte. Ainsi le nouvel article 22 ter vise à introduire une obligation de représentation équilibrée entre les hommes et les femmes sur les listes de candidats aux élections des chambres de métiers et de l'artisanat.

Avant de vous présenter les résultats de mes travaux sur les articles dont nous nous sommes saisis, je voudrais d'ores et déjà vous indiquer que je vous soumettrai un amendement relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de l'intermittence.

Comme vous le savez, le groupe de travail que je préside va poursuivre ses travaux sur les intermittents cet automne. À la demande de notre collègue Mme Gonthier-Maurin, nous avions prévu de nous pencher plus précisément sur le cas des femmes intermittentes, en particulier sur celui des « matermittentes ». Nous avons depuis été alertés par le collectif qui représente ces dernières : elles se trouvent dans des situations intolérables et c'est pourquoi je vous proposerai un amendement qui obligera le Gouvernement à se pencher sur leur cas. Il s'agit en effet de demander, dans les 6 mois suivant la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant le nombre de cas de refus d'indemnisation du congé de maternité ainsi que les conséquences pour le retour à l'activité et la retraite, parmi les femmes exerçant une profession discontinue, dont les intermittentes font partie.

J'ai été alertée, lors de mes auditions, par le collectif des « matermittentes » : en raison de la réglementation qui leur est appliquée et de la gestion de leurs dossiers par les Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et par Pôle emploi, elles sont nombreuses à se retrouver sans aucun revenu, alors qu'elles sont enceintes et dans l'impossibilité physique, puis juridique, de travailler. Cette précarisation est inacceptable : les femmes enceintes doivent être protégées et nous ne pouvons tolérer les situations dramatiques qui se multiplient et créent ainsi une rupture caractérisée de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Je tiens à rappeler la décision du Défenseur des droits en date du 8 mars 2012, qui s'est prononcé à la suite d'une saisine de la haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), par 33 « matermittentes ». Le Défenseur a reconnu que les conditions d'ouverture des droits à une indemnisation du congé de maternité sont inadaptées à la situation des intermittentes, et que (je cite) : « le dispositif d'attribution des prestations aux intermittentes du spectacle durant et à l'issue de leur congé de maternité n'est pas assuré correctement au regard de l'impératif de protection de la femme enceinte. La situation dans laquelle (elles) sont placées (...) constitue une discrimination fondée sur l'état de grossesse tant au regard du droit communautaire que du droit interne ».

Le 16 avril dernier, la direction de la sécurité sociale a enfin publié une circulaire détaillant le régime juridique applicable aux personnes exerçant une profession discontinue pour l'accès aux prestations en espèces servies au titre de la maladie et de la maternité. Cette circulaire constitue un progrès qui doit être souligné. Toutefois, d'après les témoignages reçus, elle ne règle pas les problèmes constatés.

En outre, on attend toujours le décret d'application de l'article 51 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale, qui modifie le code de la sécurité sociale pour prendre en compte le cas des femmes ayant accepté, lors de leur grossesse, des petits contrats insuffisants pour le maintien de la qualité d'assurée.

Enfin, les CPAM ne motivant pas assez précisément les refus d'indemnisation, il leur est impossible de comprendre la raison pour laquelle elles se retrouvent du jour au lendemain sans aucune ressource.

Si des mesures semblent urgentes, il convient dans un premier temps, et rapidement, de faire le point sur la situation de ces femmes. Une analyse complète, juridique et chiffrée permettra d'envisager une solution pertinente et efficace.

Mais revenons désormais sur les articles du texte que j'évoquais en introduction.

Le présent projet de loi offre une réponse aux difficultés relatives à l'image des femmes dans les médias et à leur présence dans le sport en confiant de nouveaux pouvoirs au CSA (article 16) et en fixant des règles contraignantes de mixité au sein des organes dirigeants des fédérations sportives (article 19). Enfin, l'article 23 prévoit que des mesures en faveur de la parité dans les autorités administratives soient prises par voie d'ordonnance.

L'article 16 du projet de loi prévoit d'une part que le CSA puisse assurer le respect des droits dans femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle et d'autre part à imposer des obligations de programmation aux chaînes hertziennes nationales afin qu'elles contribuent à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes.

Je suis pleinement favorable à ces dispositions, mais je crois qu'il serait pertinent d'étendre la disposition relative aux obligations de programmation à l'ensemble des services de communication audiovisuelle (à la fois radios et télévision) qu'ils soient nationaux ou même locaux, et non pas aux seules chaînes nationales. Je vous présenterai ainsi un amendement en ce sens. La lutte contre les préjugés sexistes est l'affaire de tous.

Je suis également pleinement favorable au principe de la mise en place d'une obligation de représentation minimale des femmes dans les instances dirigeantes des fédérations sportives (25 % dans les fédérations comptant moins de 25 % de femmes et 50 % dans les autres). Le renforcement de la pratique sportive féminine est un impératif qui passe aussi par une montée progressive de la place des femmes dans les organes dirigeants des fédérations.

Néanmoins, nous sommes aussi à l'écoute des contraintes spécifiques des acteurs bénévoles de la vie associative. Je considère ainsi qu'un léger assouplissement de la disposition permettrait une mise en oeuvre beaucoup plus efficace. Un amendement à l'article 19 vous sera là encore proposé.

Les dispositions de l'article 23 sont superfétatoires s'agissant de la parité au sein du Conseil supérieur de l'audiovisuel, puisqu'un dispositif spécifique est déjà prévu dans le projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public. Le mieux est donc de ne pas modifier le présent texte mais de se consacrer à la question dans le texte relatif aux médias dont nous sommes saisis au fond.

Je vous propose en conclusion de donner un avis favorable à ces articles sous réserve de l'adoption des amendements dont nous allons discuter.

Mme Corinne Bouchoux. - Je souhaite remercier la rapporteure pour son travail de synthèse. Je veux aussi remercier les collègues assidus ce matin et partager avec vous une anecdote : hier, lors des auditions de notre commission, j'ai entendu la conversation de deux collègues masculins sur l'ordre du jour d'aujourd'hui. L'un d'entre deux a annoncé qu'il ne prendrait pas la peine de venir puisque nous examinions le projet relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes et qu'il avait mieux à faire !

Je souhaiterais faire une observation relative au classement établi par un grand hebdomadaire des collègues cumulant plusieurs mandats : sur 141 sénateurs qui cumulent des mandats, seuls 5 sont des femmes. Dans toutes les sphères, lorsque les uns laissent leur place, il y aura toujours d'autres hommes pour les occuper.

Ceci m'amène à l'article 19. Je peux comprendre la situation et les difficultés qui peuvent être rencontrées, pour les fédérations très peu féminisées. L'intention est louable de vouloir laisser du temps pour former des cadres et je salue l'intention de la rapporteure. Néanmoins en prenant l'exemple de la fédération de basket, je constate que les efforts sont possibles et que le milieu sportif est prêt à accompagner ce volontarisme. Pour notre groupe, et à titre personnel, nous ne pourrons malheureusement pas soutenir cet amendement.

Ma deuxième observation concerne les nominations dans le monde de la culture qui ont créé une animation dans la presse cet été. Le groupe écologiste souhaite que nous allions rapidement vers la parité dans la mesure où le vivier existe et que l'on ne constate pas, comme pour les fédérations sportives, une insuffisance de cadres. Je pense qu'il serait bon que notre rapporteure fasse passer le message lors des débats en séance, pour rappeler qu'il est urgent d'avancer dans ce domaine.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Vous avez un peu anticipé en évoquant les amendements dont nous n'avons pas encore débuté l'examen.

Mme Françoise Férat. - On ne peut qu'être d'accord avec l'intitulé du projet de loi mais je me pose des questions. Je souhaite savoir si les mesures proposées dans ce projet de loi ont été chiffrées et comment elles vont être financées. En outre, puisque vous avez évoqué le cas des maires de France, je note que lors de ma première élection dans mon canton j'étais la seule femme maire et nous sommes désormais au nombre de huit. La difficulté réside dans la motivation des femmes qui bien souvent pensent qu'elles ne sont pas capables et restent en retrait. Il faut les soutenir et les aider. Je ne pense pas que la loi parvienne à motiver, sensibiliser et former. Enfin, j'aimerais savoir ce qu'il adviendra si les pères choisissent de ne pas bénéficier du complément de libre choix d'activité (CLCA) et par ailleurs, si les pénalités imposées aux partis politiques ne produisent aucun résultat.

Mme Françoise Cartron, présidente. - On a vu un changement très fort dès que Lionel Jospin a fait voter la loi sur la parité, cela a levé des inhibitions. En effet, les femmes hésitaient auparavant et la loi leur a fait comprendre qu'elles avaient toute leur place. Je crois donc beaucoup à l'effet de la loi qui libère. Ensuite je voudrais signaler que le sujet du congé parental relève de la commission des affaires sociales que nous devons laisser se prononcer sur le sujet.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - En ce qui concerne les articles relevant de notre compétence, il n'y a aucun impact financier. Je crois aussi que la loi aura un effet bénéfique même s'il faudra aller plus loin.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je vous propose de passer à l'examen des amendements.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - Le premier amendement (n° CULT.1) vise à insérer un article additionnel après l'article 5 ter. Il prévoit un rapport relatif à l'indemnisation des périodes de congé de maternité des femmes exerçant une profession discontinue, que le Gouvernement devra remettre au Parlement dans les 6 mois suivant la publication de la présente loi. Ce rapport met en évidence le cas des femmes relevant des annexes VIII et X de la convention d'assurance chômage. Il évalue, pour les cinq dernières années, le nombre de femmes ayant demandé une indemnisation au titre de la maternité, le nombre de refus d'indemnisation en en précisant les motifs, les délais d'instruction des dossiers, les pertes de revenus liées à la maternité lors du retour à la vie active, pour la réouverture des droits à l'assurance chômage, ou lors du passage à la retraite. Il analyse les améliorations possibles et les conditions d'instauration d'une indemnisation minimale prise en compte dans le calcul des droits à l'allocation chômage.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je trouve à titre personnel que cet amendement est très pertinent.

L'amendement n° CULT.1 est adopté.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - L'amendement CULT.2 modifie l'article 16 pour renforcer la participation des médias audiovisuels à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes. Il étend ainsi l'obligation de diffusion de programmes relatifs à ces sujets aux services locaux de communication audiovisuelle et aux radios.

L'amendement n° CULT.2 est adopté.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - L'amendement n° CULT.3 modifie l'article 19 pour assouplir les obligations dont je soutiens les objectifs. Il vise à prendre en compte les spécificités du monde associatif et fixe, pour les fédérations comprenant plus de 25 % de femmes, un objectif de parité fixé à au moins 40 %. Je tiens à préciser que le terme « minoritaire » concerne tant les hommes que les femmes.

Mme Dominique Gillot. - Il faudrait être cohérent : nous avions adopté une formule souple pour atteindre l'objectif de parité dans le cadre du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Nous pourrions opter pour une rédaction mentionnant une répartition des sexes devant se situer entre 40 et 60 % dans les instances dirigeantes. Ainsi on évite de mentionner un sexe minoritaire par rapport à l'autre.

Mme Françoise Laborde. - J'ai bien saisi que vous souhaitiez assouplir les contraintes mais je ne comprends pas l'amendement. En outre parle-t-on de fédérations nationales, régionales ou départementales ? Personnellement, je m'abstiendrai sur cet amendement. J'en profite pour revenir aussi à l'amendement n° CULT.1 : ne tombe-t-il pas sous le coup de l'article 40 ? Enfin je souhaite rappeler mon soutien à l'amendement n° CULT.2 puisque le groupe RDSE avait déposé le même.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - Un rapport qui représente une charge de gestion n'a pas d'impact au sens de l'article 40.

M. Dominique Bailly. - Je souhaite revenir sur l'article 19. Sans contester l'esprit de la parité, force est de constater qu'il existe des difficultés et que bon nombre de fédérations ne sont pas en mesure d'atteindre cet objectif. Ne pourrions-nous pas modifier par ailleurs l'alinéa 6 et ainsi proposer, au premier renouvellement, que la proportion de membres au sein de l'instance ou des instances dirigeantes du sexe le moins représenté parmi les licenciés soit au moins égale à sa proportion parmi les licenciés ? Je vous proposerai ainsi la rédaction d'un amendement à cet alinéa 6 qui ne remettra pas en cause l'amendement de la rapporteure.

M. Jean-Pierre Chauveau. - Dans certains clubs, il y a de réelles difficultés pour atteindre la parité, notamment dans les clubs de football. Il serait souhaitable de trouver des portes de sortie.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - Chacun a bien conscience des difficultés rencontrées par les clubs et fédérations. Ce texte s'adresse aux fédérations nationales, ce qui crée, de fait, un effet d'entraînement au niveau local. Le principe est celui de la parité, mais nous avons entendu les professionnels et c'est pourquoi l'appréciation des efforts à réaliser se fait en deux temps. Lorsque les fédérations regroupent moins de 25 % de femmes, alors elles doivent accomplir un effort pour atteindre ce chiffre. Lorsque les femmes dépassent la proportion des 25 %, alors on peut introduire un nouvel objectif qui se situe entre 40 % et 60 %. On prend donc bien en compte la proportion de femmes déjà existante.

Mme Françoise Férat. - Que se passe-t-il par exemple dans le cas d'une fédération de football ?

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - Si les femmes sont très peu représentées, alors l'objectif fixé est de 25 %. Il s'agit de faire évoluer la pratique féminine. Je rappelle que cet objectif est fixé pour les fédérations nationales, et non locales. Mais pour y parvenir, les femmes doivent nécessairement s'investir davantage au niveau local.

Mme Danielle Michel. - Je ne perçois pas bien l'apport de ces objectifs chiffrés, ceci d'autant moins qu'il n'y aura certainement pas de sanction en cas de manquement. Je pense que l'essentiel est d'affirmer un principe, d'afficher une volonté.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. - La sanction prévue en cas de manquement est le retrait de l'agrément.

Mme Françoise Férat. - Avez-vous reçu le témoignage de femmes empêchées, en raison de leur sexe, alors qu'elles souhaitaient faire partie d'instances sportives ?

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis. -Mme Françoise Sauvageot, présidente de la Fédération française de d'éducation physique et gymnastique volontaire, nous a indiqué qu'au sein des instances de sa fédération, l'effectif féminin était proportionnellement inférieur au nombre de femmes licenciées. Des formations spécialement destinées aux femmes ont été mise en place au niveau départemental, mais les résultats tardent à venir.

L'amendement n° CULT.3 est adopté.

M. Dominique Bailly. - Sur l'article 19, je souhaiterais proposer un second amendement qui lierait dans un premier temps la répartition entre les femmes et les hommes, au sein des instances sportives nationales, à la répartition existant parmi leurs licenciés.

L'amendement n°CULT.4 est adopté.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je mets au vote l'ensemble du rapport pour avis.

La commission donne un avis favorable aux articles 16 et 19 du projet de loi tels qu'amendés ainsi qu'à l'article 23.

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de M. Nonce Paolini, président-directeur général de TF1

Au cours d'une seconde séance qui s'est tenue dans l'après-midi, la commission auditionne M. Nonce Paolini, président-directeur général de TF1, sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Nous poursuivons les auditions de notre commission sur le projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public. Nous accueillons M. Nonce Paolini, président-directeur général de TF1. M. Paolini, je vous cède tout de suite la parole pour recueillir votre analyse et vos réflexions.

M. Nonce Paolini, président-directeur général de TF1. - Si nous n'avons pas à nous prononcer sur la nomination des présidents des sociétés d'audiovisuel public, il nous semble essentiel que le rôle et les moyens du régulateur se transforment profondément. Notre secteur a subi de multiples transformations (lancement de la télévision numérique terrestre, arrivée des acteurs de l'Internet) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) doit être en mesure de développer sur les évolutions technologiques une réflexion débouchant sur une véritable régulation économique. Nous sommes donc favorables au texte adopté par l'Assemblée nationale, qui représente un tournant majeur pour notre univers. Le CSA ne peut plus se cantonner à un rôle d'observateur ou de censeur éditorial, il lui incombe d'aider à la régulation économique du secteur. Il a déjà commencé à le faire à propos de la bande des 700 MHz ou du changement d'actionnariat de certaines chaînes de télévision. Il doit continuer, et garantir à tous les acteurs les conditions d'une concurrence saine et profitable. La modification de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, qui suscite de nombreuses oppositions, évitera au secteur un immobilisme préjudiciable à tous les opérateurs.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Je vous remercie de cette présentation concise et positive.

M. David Assouline, rapporteur. - L'indépendance du CSA constitue une des conditions de l'indépendance de l'audiovisuel public. Nous y sommes très attachés parce qu'elle renforcera son autorité. Les responsables de l'audiovisuel public ne seront plus nommés par un CSA lui-même composé de manière contestable. Leur indépendance sera assise sur une désignation à la majorité positive des trois cinquièmes dans les deux chambres, méthode nouvelle qui favorisera la nomination de personnalités dont les compétences reconnues auront fait consensus, au-delà des clivages politiques.

L'amendement relatif aux compétences du CSA ayant été déposé tardivement, l'été s'est écoulé, et c'est ici que le débat aura lieu. Votre secteur est peut-être celui qui évolue le plus rapidement, sans qu'on sache quand cette évolution s'arrêtera...

M. Nonce Paolini. - Il y a peu de chance qu'elle s'arrête !

M. David Assouline, rapporteur. - Le rôle du CSA ne doit donc pas être figé. Avec l'amendement en question il pourra décider plus facilement de faire passer une chaîne de la TNT payante à la TNT gratuite. À qui cela profitera-t-il ? Les regards se tournent vers votre groupe : LCI pourrait être candidate, comme Paris Première... On a même parlé - c'est un abus de langage - d'« amendement LCI » ! Certains, comme M. Méheut ou M. de Tavernost, ou encore les responsables du groupe L'Equipe, y voient un changement injuste des règles du jeu, qui déstabiliserait le secteur de la TNT gratuite, et cherchent à démontrer qu'il serait contraire à la Constitution et au droit européen. D'autres défendent le point de vue inverse. Nous cherchons à faire prévaloir l'intérêt général. Si vous étiez à la tête de Canal + ou de BFM, comment réagiriez-vous à cet amendement ?

M. Nonce Paolini. - Je serais un homme heureux, et non un homme soucieux : patron de Canal +, je serais à la tête du groupe audiovisuel français le plus profitable, dégageant chaque année environ 700 millions d'euros de résultat opérationnel, à comparer aux quelques 250 millions d'euros auxquels parvient TF1 dans ses meilleures années. Même s'il est choquant d'entendre des responsables de chaînes d'information désinformer le public en parlant d'erreur stratégique, je serais serein, quoique un peu égaré dans l'information et encore peu présent dans la diffusion en clair, surtout après l'arrivée de beIN Sport. La chaîne iTélé, dans mon compte d'exploitation, ne pèse rien ! Elle n'est ni un enjeu stratégique ni une préoccupation économique. L'arrivée éventuelle de LCI, alors que nous sommes positionnés depuis 2005 sur l'information gratuite, avec des stars et des moyens considérables, ne m'inquiéterait nullement, et me ferait plutôt sourire, en pensant au risque que cela constitue d'arriver en challenger, avec une numérotation qui sera sans doute la dernière des chaînes gratuites, dans un marché tenu par un duopole formidablement rémunérateur. Bien sûr, je viendrais vous expliquer que le groupe Canal + est en péril -j'ai d'ailleurs récemment déclaré aux marchés que nous n'aurons cette année que 650 millions d'euros à proposer à nos actionnaires... Heureusement, je continue à jouir d'une TVA favorable.

Patron de BFM, comme je serais heureux d'être entré dans l'audiovisuel ! Lorsque j'ai repris RMC pour un euro, personne ne m'a dit qu'il y avait trop de radios en France, personne ne m'a expliqué que France Inter, RTL, Europe 1 et d'autres occupaient déjà le créneau de la matinale, que je ne devais pas faire de journaux entre midi et deux heures, ni que le soir, après les conseils de Brigitte Lahaie, je ne pouvais faire librement une session d'information ! Petit à petit, ma radio a acquis des fréquences, a prospéré, et j'ai construit un groupe formidable, dont la force repose sur la mutualisation des moyens. J'ai récemment assuré à la presse que la rentabilité de BFM TV était exceptionnelle : elle est de 25 % supérieure à celle de M6, la chaîne privée la plus rentable. Certes, j'ai coulé La Tribune, le groupe Tests, et j'ai procédé à quelques licenciements dont, fort heureusement, on a oublié le nombre. Aujourd'hui, mon groupe est fortement bénéficiaire, il comprend trois chaînes de télévision. Lorsque j'ai lancé BFM TV, j'ai indiqué au CSA qu'il s'agirait d'une chaîne d'information économique, promesse non tenue. J'explique que ce serait une chance pour la France de disposer d'une troisième chaîne d'information nationale avec BFM business. Je n'imagine pas qu'il puisse s'agir de LCI, tenue à l'écart par des opérateurs qui n'en veulent plus, confinée dans ce ghetto qu'est la télévision payante, et qui craint pour ses deux cents emplois. L'actuel duopole me convient parfaitement : j'écrase Canal +, qui stagne quand mon audience se développe. Mes rentrées publicitaires ont encore une forte marge de progression. Bref, je vous déconseillerais de faire entrer LCI !

Voilà ce que je vous dirais, monsieur le rapporteur, si j'étais le président de Canal + ou de BFM. Je me suis inspiré de faits réels et de phrases réellement prononcées !

Le CSA n'a pas attendu l'amendement dont nous parlons pour modifier sérieusement le paysage audiovisuel. Quand M. Méheut a acheté D8 et D17, a-t-il rendu l'autorisation pour candidater de nouveau ? Pourtant l'actionnariat de ces deux chaînes a été modifié, ce qui a autorisé l'acteur presque unique du payant à venir sur le clair, mouvement qui ne s'est produit nulle part ailleurs en Europe. Nous-mêmes, nous avons obtenu du CSA, en passant par l'Autorité de la concurrence et le Conseil d'État, de pouvoir acquérir TMC et NT1. Il s'agit de modifications très importantes : nous allons d'ailleurs reparler, devant le Conseil d'État, des engagements pris par Canal + auprès de l'Autorité de la concurrence lors du changement d'actionnariat de D8 et D17. Des modifications de format ont été faites : W9, qui était une chaîne musicale, l'est beaucoup moins. M. Méheut demande à ce que D17 puisse diffuser davantage de séries américaines et moins de musique française.

Le CSA dispose d'ores et déjà une marge de manoeuvre. Pourquoi l'étendre ? Parce qu'à l'avenir, celui-ci doit pouvoir analyser et décider pour préserver les grands équilibres. L'arrivée d'une petite chaîne, qui s'ajouterait aux six récentes, ne constituerait pas un danger pour l'audiovisuel français, mais un concurrent ! M. Weill, adepte de la concurrence, et M. Méheut, partisan du monopole, doivent s'y faire : pour ma part, cela fait vingt-cinq ans que je suis confronté à la concurrence... J'aime mon métier d'entrepreneur, et mon but est d'apporter le meilleur service à mes téléspectateurs.

Je suis très choqué de la manière dont on vous traite : on laisse penser que vous pourriez être manipulés par le groupe TF1 en faveur de LCI. Mais le CSA lui-même a demandé dans son dernier rapport annuel la modification du « 42-3 », afin d'étendre son pouvoir de régulation. J'aime autant ne pas avoir pris part à de telles campagnes de désinformation.

M. David Assouline, rapporteur. - Lors des assises de l'audiovisuel, les responsables étaient unanimes pour considérer que le spectre de la TNT était trop éclaté et qu'il fallait procéder à des regroupements. Ajouter une chaîne gratuite, n'est-ce pas faire l'inverse ? S'il est nécessaire de donner plus de souplesse au CSA, il convient aussi d'éviter les contestations.

M. Nonce Paolini. - C'est vrai, tous les patrons des groupes historiques considèrent que la France a fait une erreur en prenant un chemin très différent de celui retenu ailleurs en Europe. Il n'y a pas trop de chaînes, mais trop d'opérateurs. Les autres pays européens ont confié aux opérateurs existants la possibilité de multiplier l'offre audiovisuelle en leur donnant des multiplex. Aucun opérateur nouveau n'est entré. La France a fait l'inverse, au risque que les fréquences soient revendues. Nous avons toujours plaidé pour des groupes de taille nationale, voire internationale, ce qui nécessite des regroupements. Il ne faut pas confondre développement de l'offre et multiplication des opérateurs. L'éclatement actuel du marché, joint aux conditions économiques difficiles, met plusieurs acteurs en difficulté.

Nous avons déjà connu l'étude d'impact : lorsque TMC et NT1 ont été présentées au CSA, il y a eu une étude d'impact extrêmement sérieuse. Nous avons dû défendre notre dossier avec de solides arguments, qui se vérifient aujourd'hui : les autres opérateurs n'ont pas été balayés, les résultats sont bons pour tous. Lorsque Canal + a souhaité acquérir D8 et D17, le CSA s'est aussi penché de près sur la question. Pour autant, il ne faut pas créer une usine à gaz : les demandes de modification de modèle économique présenteront sans doute un caractère d'urgence, l'étude d'impact devra donc être menée à bien dans des délais raisonnables. Le CSA, déjà bien équipé, pourra renforcer sa capacité de régulation économique.

M. Jean-Michel Counillon, secrétaire général du groupe TF1. - La stratégie de TF1 en matière de TNT remonte à 2001. Pourquoi avons-nous fait de LCI une chaîne de la TNT payante ? LCI est, historiquement, la première chaîne d'information. Elle a été créée dans les années 1990 pour la plateforme Canal Satellite, qui dominait le marché de la télévision à péage. Le groupe TF1 avait alors créé les deux chaînes à risque - LCI et Eurosport - pour alimenter le groupe Canal +, qui se concentrait sur le cinéma et les séries. Quand TPS a été lancée par les groupes TF1 et M6 et, au départ, France Télévisions, le groupe Canal + a réagi en créant iTélévision et Sport +. Il distribuait LCI et Eurosport, qui passaient aussi sur TPS. L'information continue était donc un service payant, partagé entre le groupe Canal + et TF1.

Lors du lancement de la TNT en 2001, chacun des deux groupes a déposé sa chaîne d'information en TNT payante au titre du canal bonus : iTélévision et LCI payantes. En 2004, après qu'un recours contentieux devant le Conseil d'État a révélé que le groupe Canal + avait dissimulé au CSA un pacte de co-contrôle entre Canal + et Lagardère qui avait pour conséquence de leur accorder plus d'autorisations que ne le prévoyait la loi, le Conseil d'État a annulé partiellement les autorisations de Canal + et de Lagardère. Le nombre maximal d'autorisations était fixé à cinq, et Canal + en contrôlait sept ! Le groupe TF1, lui, avait déclaré son pacte de co-contrôle avec M6 de la chaîne TV6. Le groupe Canal + a alors représenté, en connaissant l'état de la concurrence, une série de candidatures, et s'est vu attribuer toutes les chaînes qui avaient été annulées, ainsi que la présence d'iTélévision en clair. C'est alors que BFM TV est entrée sur le marché. Contrairement à ce qu'ils prétendent, nos concurrents ne sont pas venus en prenant un risque, mais bien en connaissant parfaitement l'état du marché et de la concurrence, ce qui n'était pas notre cas en 2001. Or en télévision, trois ans équivalent à trois millénaires. LCI n'avait pas eu son autorisation, elle. Elle ne pouvait donc pas candidater de nouveau, au risque de perdre sa fréquence. Les relations avec le CSA n'étaient pas aussi apaisées qu'elles le sont aujourd'hui...

M. David Assouline, rapporteur. - Si vous aviez pu, l'auriez-vous fait ?

M. Jean-Michel Counillon. - Excellente question.

M. Nonce Paolini. - Nous aurions eu le choix, au moins. Il était encore possible que la TNT payante se développe bien. En tout état de cause, la question ne se posait pas. Si le CSA avait eu à l'époque les moyens dont nous parlons, le débat aurait été ouvert. Canal +, qui avait triché, a pu revenir à la table des discussions, et demander le changement de modèle économique de sa chaîne d'information, qui avait été agréée en TNT payante en 2001. Après trois ans, la donne avait changé, et d'autres paris étaient possibles. J'ai été membre de l'équipe qui, en mai-juin 1994, a créé la première chaîne d'information : ce n'est pas BFM qui a pris le risque, mais nous, et bien que nous soyons sur ce marché depuis vingt ans, nous sommes à l'heure actuelle dans le ghetto qu'est la télévision payante. Nos concurrents ont déclaré que l'information payante, cela n'avait plus de sens. Je suis d'accord avec eux !

M. Jean-Michel Counillon. - LCI est ensuite restée payante lors de la fusion entre TPS et Canal Sat, elle a été distribuée en exclusivité par Canal + pendant quelques années, qui l'a marginalisée. Les chaînes de la TNT gratuite sont en must carry-must offer : tous les opérateurs doivent les référencer en premier niveau de service gratuitement pour tous leurs abonnés. Elles sont donc reçues par 95 % de la population. Les chaînes de la TNT payante, elles, ne sont accessibles que par abonnement : elles ne peuvent pas être exposées en must carry. Sur l'ensemble du paysage audiovisuel, LCI est marginalisée sur le câble, sur le satellite, sur le filaire, car elle n'est accessible qu'à ceux qui paient un abonnement. Sa marque existe donc de moins en moins. Les plateformes de distribution ne peuvent pas compenser la réduction des rémunérations par une exposition maximale, car elles sont dans des bouquets optionnels, en deuxième niveau de service, accessible uniquement par abonnement. Cette marginalisation est un élément fondamental à prendre en compte dans l'étude d'impact.

Le groupe TF1 n'a pas fait une erreur stratégique en présentant HD1 et non LCI lors du dernier appel à candidature : le contrat qui le lie au groupe Canal + jusqu'au 31 décembre 2014 est global, et le groupe Canal + a demandé à ce que le groupe TF1 s'engage à ne pas sortir LCI de la télévision payante, sauf à dénoncer globalement le contrat et à revoir les rémunérations de toutes les chaînes du groupe TF1, y compris Eurosport : nous avons subi cette contrainte.

M. Nonce Paolini. - Il aurait fallu abandonner l'autorisation et se présenter à nouveau pour l'obtenir. Les nouvelles dispositions évitent cette contrainte.

M. Jean-Pierre Leleux. - Que pensez-vous du pouvoir donné au CSA de lancer des appels à candidature aux chaînes régionales pour étendre le réseau national de haute définition ?

M. Nonce Paolini. - Nous n'avons pas d'avis particulier. La diffusion en haute définition est très coûteuse. Pour les six nouvelles chaînes, il dépassera les douze millions d'euros lorsque le réseau couvrira l'ensemble du territoire, contre 4,5 millions d'euros aujourd'hui. Les chaînes locales n'ont aucun intérêt à abandonner la définition standard, qui reste très bonne. Cela fait partie des moyens d'investigation du CSA.

M. David Assouline, rapporteur. - C'est une possibilité d'interprétation ouverte par la loi, pas nécessairement un voeu. Si nous n'encadrons pas les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, les candidats à la haute définition pourraient vouloir devenir des chaînes nationales.

M. Nonce Paolini. - Cela ajouterait à la confusion générale.

M. André Gattolin. - A quel équilibre économique pensez-vous qu'aboutira la coexistence, sur la TNT gratuite, de trois formats d'information continue, reposant sur un système comparable d'information rapide - émissions de plateau courtes, peu de reportages ?

M. David Assouline, rapporteur. - On nous dit qu'il n'existe nulle part ailleurs autant de chaînes comparables.

M. Nonce Paolini. - Dans tous les pays d'Europe il y a au moins trois, et parfois jusqu'à cinq ou six chaînes gratuites d'information continue. Nous aurons peut-être ce débat avec le CSA si l'amendement est adopté. Regardez LCI : vous verrez que son format diffère de BFM comme d'iTélé, par la place qui y est faite au débat et au pluralisme. Y a-t-il trop de radios généralistes, trop de radios d'information ? Certainement pas.

M. David Assouline, rapporteur. - Il n'y a qu'une radio d'information !

M. Nonce Paolini. - RMC en est une autre : « infos, talk, sport... ». Il y a de l'information sur toutes les radios, exactement aux mêmes heures. Le payant est devenu un ghetto, l'information appartient désormais au domaine du gratuit. Financer une chaîne d'information payante devient impossible, et tous les trois ans, les équipes se demandent si les contrats seront reconduits et vivent dans l'angoisse du lendemain. Les équipes de LCI sont dans une incertitude permanente. Le fait que LCI se retrouve sur le marché concurrentiel contribuera au renforcement du pluralisme des courants d'expression. C'est une chaîne d'information qui revendique le sérieux et la crédibilité du travail de ses équipes et qui est estimée depuis vingt ans.

M. David Assouline, rapporteur. - Pensez-vous vraiment que l'arrivée, si légitime soit-elle, d'une chaîne d'information gratuite supplémentaire n'aurait aucun effet sur la santé économique des deux autres ? Cette concurrence fera-t-elle des victimes ?

M. Nonce Paolini. - Lorsque la TNT gratuite est apparue, qui s'est soucié de son incidence sur l'évolution des audiences et du chiffre d'affaires de TF1 ? Entre 2007 et 2012 la chaîne TF1 a perdu plus de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires à cause du développement de la TNT ! Nous avons trouvé des solutions, sans aucune aide. La chaîne iTélé est adossée à un groupe extrêmement puissant et financièrement sain, dans les résultats économiques duquel elle ne pèse rien. Le risque est donc faible. Alain Weill ne cesse de répéter que le groupe BFM est en pleine santé et que les synergies entre ses radios et ses télévisions lui procurent des résultats économiques exceptionnels. Il y avait vraiment une place pour d'autres opérateurs. Mais c'est au CSA que cette décision incombera.

Le risque industriel sera pris par le groupe TF1, qui arrivera le dernier, se verra attribuer la numérotation la plus défavorable, et n'a aucune base structurée de clientèle. Nous voulons le prendre parce que le pluralisme se portera mieux si LCI peut faire concurrence à ces deux autres chaînes, et - je suis chef d'entreprise - pour sauver l'emploi des deux cents collaborateurs de LCI. Au 31 décembre 2014 à minuit, ils n'en auront plus si nous ne pouvons pas défendre notre dossier auprès du CSA et que celui-ci ne prend pas assez rapidement la décision opportune. Le rôle d'un chef d'entreprise est de prendre des risques. Que le meilleur gagne ! Nous nous battons tous les jours pour gérer l'entreprise le mieux possible ; je me bats aujourd'hui pour l'avenir des deux cents employés de LCI et de leurs familles. Je veux que cette chaîne puisse saisir sa chance, même si ce n'est pas le choix le plus facile. Si nous n'y arrivons pas, nous en tirerons les conséquences.

M. David Assouline, rapporteur. - Merci de votre passion. Nous avons entendu aussi MM. Méheut et de Tavernost. Nous allons faire en sorte que le travail de l'Assemblée nationale soit conforté et qu'un encadrement juridique précis écarte tout soupçon. Vous évoluez dans un monde très dur !

M. Nonce Paolini. - Je ne demande qu'à faire mon métier d'entrepreneur pour sauver deux cents emplois tout en contribuant au pluralisme. Puisque hier vous avez évoqué la loi Hadopi, je veux signaler que nous constatons, dans notre activité de distribution de DVD et de vidéo à la demande, que le vide juridique créé par les interrogations sur les suites d'Hadopi fait croître le piratage de façon exponentielle. Certains opérateurs économiques sont allés voir le CSA. Nous discutons avec les ayants droit. Il y a urgence à ce que les pirates sachent que la zone de non-droit va bientôt disparaître.

M. André Gattolin. - Avez-vous des chiffres illustrant la croissance du piratage ?

M. Nonce Paolini. - La profession, que je ne représente pas, doit en avoir. Les ventes ont brutalement chuté il y a quelques mois, de l'ordre de 15 % à 20 %. Il y a urgence.

M. Jean-Pierre Leleux. - Le débat que nous aurons à ce sujet ne manquera pas d'être animé. Nous nous efforcerons de lever les incertitudes qui compromettent l'avenir. Le maintien de l'Hadopi serait-il selon vous de nature à faire diminuer le piratage, ou devrions-nous plutôt, comme le propose le rapport Lescure, transférer au CSA  la responsabilité de mettre en oeuvre la réponse graduée?

M. Nonce Paolini. - La loi Hadopi, en créant un régulateur indépendant, a été fondatrice. Mais la dispersion nuit à l'efficacité. Le CSA, acteur majeur du secteur, a de plus un champ de compétence très large qui englobe autant les diffuseurs de contenus que les auteurs ou les producteurs. Lui donner davantage de moyens est une excellente idée.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Merci pour la passion que vous avez manifestée : elle a conféré à cette audition un suspense digne d'une série télévisée.

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de M. Jean-Luc Hees, président-directeur général de Radio France

La commission auditionne ensuite M. Jean-Luc Hees, président-directeur général de Radio France, sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Monsieur Hees, soyez remercié d'avoir répondu à notre invitation. Quel regard portez-vous sur le projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public ?

M. Jean-Luc Hees, président-directeur général de Radio France. -L'indépendance fait partie de mon travail de journaliste depuis 45 ans. Parfois source de difficultés, elle est tellement consubstantielle à mon métier que je ne me suis jamais vraiment posé de questions à son propos. De toute évidence, l'indépendance n'est pas qu'un slogan, c'est aussi un principe de base. Il n'en faut pas moins des personnes pour le traduire en actes.

N'attendez pas de moi que je juge la qualité des lois votées par la représentation nationale. Je ne l'ai jamais fait et ne le ferai jamais. Les antennes de Radio France sont mon seul juge de paix. Bien qu'il ne soit pas toujours facile de vivre dans un régime dont on n'a pas choisi les règles, il serait hypocrite de ma part de prendre position sur ce point. En toute hypothèse, l'indépendance n'est pas une licence pour faire n'importe quoi : le service public impose des devoirs.

M. David Assouline, rapporteur. - Quel jugement portez-vous sur la procédure qui a conduit à votre nomination, et sur celle envisagée dans la réforme ? Un CSA composé de membres ayant réuni sur leur nom l'avis positif des trois cinquièmes des membres des commissions parlementaires chargées des affaires culturelles vous paraît-il de nature à réaffirmer l'indépendance, partant la crédibilité des directeurs qu'il nommerait ?

Plus globalement, comment voyez-vous la place que prend le CSA et l'extension de ses compétences en matière de régulation du secteur de l'audiovisuel ?

Enfin, pouvez-vous nous dire quelques mots de l'état de santé de Radio France ?

M. Jean-Luc Hees. - Je ne veux pas être juge et partie, ni faire preuve d'hypocrisie. J'ai des sentiments sur ces questions, mais je me refuse à commenter le travail du Parlement.

Le soupçon est une chose terrible à vivre. J'ai commencé à exercer le métier de journaliste à 17 ans, et je l'ai exercé, je crois, honorablement. Être président d'une chaîne du service public est un honneur, mais l'honneur personnel souffre du soupçon. En tant que président, je suis le garant de l'indépendance et de la liberté de cette belle entreprise qu'est Radio France. S'agissant du CSA...

M. David Assouline, rapporteur. - Je ne parle pas des personnes.

M. Jean-Luc Hees. - Je les connais. Nous travaillons de concert. Vous savez, ce qui professionnalise cette institution me convient parce que je suis confronté à des enjeux industriels, portant sur des centaines de millions d'euros ; Radio France regroupe près de 130 métiers, des investissements doivent être engagés afin de dessiner un avenir. J'apprécie de travailler avec l'organe coopératif qu'est le CSA pour conduire les transitions utiles au groupe. Je crois aux vertus des règles, je n'ai pas de problème avec l'autorité, et en l'espèce, elle est sainement exercée car son contrôle est bienveillant.

Cela a d'ailleurs été l'objet du premier entretien que j'ai eu avec son président. En me donnant sa carte, Olivier Schrameck m'a conseillé de l'appeler immédiatement à la moindre difficulté. Il est vrai que les cahiers des charges et les règles à respecter, en matière publicitaire par exemple, sont complexes. Je n'émets aucun doute sur l'indépendance du CSA.

M. David Assouline, rapporteur. - Le projet de loi dont nous parlons aujourd'hui modifie les modalités de sa composition. S'il était adopté, ce serait la première fois qu'une autorité serait composée de membres approuvés par trois cinquièmes des membres des commissions parlementaires. Cette procédure témoigne de l'entrée dans une nouvelle culture démocratique, plus apaisée. Elle est souhaitable, particulièrement par les temps qui courent. En outre, le CSA est doté de nouveaux pouvoirs de régulation économique du secteur, qui ne seront pas sans conséquences sur de gros dossiers comme la radio numérique terrestre, cette arlésienne. Pensez-vous que ces dispositions vont dans le bon sens ?

M. Jean-Luc Hees. - Tout ce qui favorise l'indépendance et la gestion plus professionnelle des dossiers va dans le bon sens. Nous sommes attentifs aux chantiers d'avenir, et voyons d'un bon oeil qu'une autorité spécifique soit chargée d'enjeux industriels majeurs. Cela nous aide à y voir clair et à programmer nos investissements.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Parlez-nous de la santé de Radio France.

M. Jean-Luc Hees. - J'étais lundi dernier à Saint-Etienne pour le lancement de la 44e station de France Bleu. C'est une formidable satisfaction. La station stéphanoise de France Bleu est un merveilleux projet, qui a réuni les élus locaux au-delà des clivages politiques.

Malgré des contraintes budgétaires plus fortes que par le passé, notre actionnaire nous respecte et nous a beaucoup épargnés. Radio France prend néanmoins sa part des sacrifices demandés à tous : nous réalisons des économies en veillant à ne pas abandonner nos objectifs initiaux.

France Culture, France Musique et France Bleu se portent bien. Trois autres antennes sont en difficulté. France Inter, d'abord, nous donne beaucoup de travail. Ses audiences ont piqué du nez après le sommet d'intensité de l'élection présidentielle, mais nous sommes confiants quant à leur relèvement. France Info est un cas plus complexe. Avec huit points d'audience, elle attire davantage d'auditeurs que les antennes d'information allemandes ou italiennes. Il n'en faut pas moins, sans renier le passé, changer la grille de programmes et ouvrir les esprits à la compétition comme aux nouveaux modes de consommation de l'information.

Le Mouv' est une affaire plus compliquée encore. C'est peut-être le moment de lancer une révolution. L'aventure dure depuis dix-sept ans, mais n'a toujours pas trouvé son aboutissement. Est-ce à dire que je n'y suis pas parvenu ? Je ne lâcherai jamais ce projet ! La population jeune de ce pays mérite toute l'attention du service public : sous ma houlette, Le Mouv' ne deviendra pas un robinet à musique. Je déplore les bêtises que rapporte la presse spécialisée sur Le Mouv', sur son budget et ses effectifs. J'ai lu qu'une station privée convoitait ses fréquences : il faudra me passer sur le corps : on ne confie pas les clés de la Banque de France à Bonnie and Clyde.

Il y a, c'est vrai, du travail à faire pour redresser la station, et la révolution numérique est l'occasion idéale pour s'y atteler. Marier le numérique et le broadcast servira d'ailleurs à l'ensemble du groupe Radio France. Nous y avons mis les moyens et nos équipes sont en ordre de bataille. Je viens de nommer notre responsable du numérique à la tête de la station - ce qui n'annonce en rien sa transformation en web-radio. Le Mouv' est le plus beau projet politique de Radio France : il lui reste à modifier sa programmation musicale et à trouver son public. Je suis attentif aux critiques et j'assume entièrement ce qui a été fait, mais comparons ce qui est comparable : Le Mouv' est présent sur 32 fréquences, France Culture sur 512. Un mot encore : cette chaîne est remplie de talents formidables qui ne lâchent rien, et je n'ai pas l'intention de les lâcher.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Ma fille n'écoute que Le Mouv'...

Mme Maryvonne Blondin. - Vous avez dit que l'antenne devait résonner avec son territoire : cela me va droit au coeur. France Bleu, tant dans sa programmation musicale que dans ses reportages, remplit tout à fait son rôle dans ma région, le Finistère.

La semaine prochaine, nous examinons le projet de loi présenté par Mme Vallaud-Belkacem relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. Certaines de ses dispositions portent sur le CSA et sur la représentation et le rôle des femmes dans la programmation audiovisuelle. Quel est celui-ci à Radio France, et quelle est la proportion de femmes dans les instances dirigeantes de cette société ? La chaîne joue-t-elle un rôle dans la lutte contre les stéréotypes de genre ?

M. André Gattolin. - L'offre de Radio France est très structurée, variée, organisée en stations thématiques. L'offre de la télévision publique ne vous semble-t-elle pas moins fortement structurée selon une logique thématique ?

Des critiques ont été émises sur le mode de gouvernance des chaînes publiques, notamment sur la présence des personnalités qualifiées au sein des conseils d'administration. Ces critiques concernent-elles Radio France ? Au-delà du rôle joué par le médiateur, comment concevez-vous la représentation des auditeurs de Radio France ? Est-elle envisageable au sein de votre conseil d'administration ? Passe-t-elle par de grandes associations de consommateurs plutôt que par des associations ad hoc ? Bref, comment concevoir un service public rénové qui ne représente pas seulement l'État actionnaire et les partenaires sociaux, mais aussi les auditeurs qui sont aussi les premiers pourvoyeurs de fonds ?

M. Jean-Pierre Leleux. - M. Hees a eu raison de ne pas se prononcer sur la notion d'indépendance : il y aurait perdu la sienne ! Nous sommes tous, au Parlement, attachés à l'objectif d'indépendance de l'audiovisuel public, cela va de soi. Le débat est évidemment politique, et nous rejoignons là les disputes qui ont émaillé l'examen de la loi de 2009. L'indépendance n'est pas de ce monde. Comme les modes de scrutin, la gouvernance change à chaque alternance politique. Heureusement, certains responsables ont un miroir dans leur salle de bain, qui les rappelle à leur devoir d'honnêteté intellectuelle. Votre successeur répondra des mêmes obligations. Si le débat n'est qu'une revanche sur le passé, vous avez raison de ne pas vous en mêler, d'autant que les récentes nominations, au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et au CSA, n'étaient pas particulièrement guidées par l'exigence d'indépendance. Ce débat est par conséquent un faux débat.

Je me réjouis de l'état de santé de Radio France. Ses équipes sont attachées à redresser la barre là où c'est nécessaire. Vous avez mené votre action avec l'indépendance que nous défendons tous ici.

M. Jean-Claude Carle. - Le soupçon est difficile à vivre, avez-vous dit. Quelles mesures peut-on prendre pour réduire ce soupçon ?

M. Jean-Luc Hees. - Je préfère l'absence de soupçon. L'envie de remettre les pendules à l'heure me démange, car le soupçon est difficile à vivre, surtout pour un journaliste, mais ma position m'empêche d'en dire davantage.

Mon conseil d'administration, auquel votre rapporteur a siégé, est composé de gens de qualité, qui s'intéressent à la radio et donnent leur avis sur les antennes, les programmes, les orchestres, les intentions que nous manifestons dans toutes ces matières. Ils sont très attentifs à défendre la maison.

L'idée de leur adjoindre des représentants des auditeurs est intéressante, quoique j'ignore comment la mettre en oeuvre. Comme le monde a changé, nous sommes plus que jamais à l'écoute de nos auditeurs. Le médiateur, qui est la personne la plus décriée de la maison, assure un travail très difficile. Il y a une douzaine d'année, lorsque je dirigeais France Inter, les relations avec les auditeurs se limitaient à des échanges de courriers. Ne perdons toutefois pas de vue que le service public est un système d'offre et non de demande : nous n'avons pas à répondre aux exigences du moment.

J'ai réuni les directeurs de la chaîne sur la question de la parité hier après-midi. Bien sûr, nous y sommes tous très attachés. L'un d'eux m'a dit avec justesse : « comment rendre compte de l'actualité du monde si l'on en exclut une moitié ? ». J'ai une directrice générale, une directrice financière, nos antennes sont très féminisées, mais cela ne suffit pas. Nous avons lancé une enquête, dont les résultats nous sont parvenus hier : la perception qu'ont les femmes de nos équipes n'est pas satisfaisante. À l'avenir, il faudra nous auto-contraindre en prenant les dispositions adéquates.

Je ne juge pas les télévisions.

M. André Gattolin. - Je parlais de l'offre générale.

M. Jean-Luc Hees. - Je m'occupe des problèmes de Radio France. Diriger France Télévisions est une tâche très rude...

M. André Gattolin. - Il ne s'agit pas de se prononcer sur les personnes. L'offre de France Télévisions est spécifique, historiquement héritée, elle a sa logique propre.

M. Jean-Luc Hees. - Nos structures sont différentes. Nous produisons 100 % des contenus que nous diffusons ; la masse salariale représente 60 % de notre budget, contre 29 % à France Télévisions. Ce sont deux filières, deux industries complètement différentes.

M. David Assouline, rapporteur. - Les directeurs d'institutions que nous auditionnons sont soumis à un devoir de réserve. Ceux dont la parole est la plus libre sont en définitive, et c'est normal, les responsables de grands groupes privés.

J'ai participé avec fougue au débat de 2009, mais en tant que rapporteur de ce texte, c'est l'avenir qui m'intéresse. Le vrai sujet n'est pas le concept abstrait d'indépendance, mais le consensus dans la nomination. Le relativisme n'est pas recevable : la nomination des prochains directeurs nécessitera votre accord, monsieur Leleux. Nous sommes à la recherche d'une procédure rassurante susceptible de nous aider à identifier les profils dont nous avons besoin.

Le soupçon, les politiques le connaissent. Dissipons-le en améliorant la transparence, recherchons l'efficacité ensemble, et avançons comme nous le faisions sous la présidence de M. Legendre.

M. Jean-Luc Hees. - Comme vous l'avez compris, je ne suis nullement insatisfait des changements prévus. Merci de votre écoute.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Nous nous fondons sur un simple constat : malgré les précautions de langage du président Hees, chacun a compris que la méthode maladroite de nomination suivie jusqu'ici éveillait des soupçons qui fragilisaient les personnes en dépit de leurs qualités. Nous entendons lever ces soupçons.

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde

Enfin, la commission auditionne Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Mme Françoise Cartron, présidente. - Merci, madame la présidente, d'avoir répondu à notre invitation. Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux préparatoires à l'examen des projets de loi relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public. Quelle lecture en faites-vous ? Quelles interrogations ou quelles réflexions suscitent-ils chez vous ? Et pouvez-vous faire le point sur l'état du groupe que vous dirigez ?

Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde. - Il ne m'appartient pas de commenter un projet de loi qui touche directement à mon statut. Je rappellerai cependant que lors de ma nomination il y a un an, le Président de la République a souhaité devancer l'évolution du droit en demandant au CSA de désigner lui-même un candidat, qu'il nommerait. Et je dois dire que le fait d'être choisie par le Conseil a rendu ma position plus confortable. L'évolution prévue me semble donc aller dans le bon sens.

Il m'a également paru très important de présenter mon projet devant les commissions chargées des affaires culturelles des deux assemblées, dont le vote m'a touchée puisqu'il a montré que ma nomination était consensuelle et due à des critères professionnels. À l'avenir, les membres du CSA eux-mêmes ne pourront être nommés qu'avec l'aval de vos commissions. Les présidents de sociétés de l'audiovisuel public leur remettront un document d'orientation dans un délai de deux mois après leur nomination. Cette disposition est d'autant plus opportune qu'il ne s'agit que d'un premier document, et non du plan stratégique. Celui-ci réclame du temps, car il doit être l'émanation de toute l'entreprise. Il faut avoir l'humilité de découvrir la société où l'on arrive. Pour ma part, j'ai voulu élaborer le plan stratégique de France Médias Monde selon une méthode très participative, en organisant des séminaires le samedi sur la base du volontariat. Le plan fut ensuite restitué aux salariés au cours du mois de janvier, et c'est sur cette base que j'ai entamé les discussions avec l'État sur le futur contrat d'objectifs et de moyens.

Qu'est-ce que l'indépendance ? C'est presque un sujet de philo... L'indépendance ne consiste pas seulement en un mode de désignation ; c'est peut-être aussi un équilibre entre la liberté, la responsabilité et la confiance.

La liberté : la société que je dirige y est d'autant plus attachée qu'elle rassemble des médias d'information, organisés autour de rédactions. La liberté d'informer est l'un des piliers de la démocratie française, et elle n'existe pas partout. Il arrive encore, dans certains pays, que des journalistes soient blessés ou emprisonnés : il n'est pas inutile de le rappeler. Les choix éditoriaux de nos rédactions ne peuvent donc pas être l'émanation de la politique du gouvernement français. Cette indépendance figure en toutes lettres dans notre cahier des charges, et elle est le gage de notre crédibilité.

D'ailleurs, parmi les employés de France Médias Monde, on compte plus de 60 nationalités, et nous émettons en 14 langues. Cette diversité de points de vue fait notre richesse, et c'est peut-être une signature française. Elle n'empêche pas l'existence d'un socle de valeurs communes, énoncées dans une charte : honnêteté dans l'exposé des faits, pluralisme, liberté de conscience, laïcité, attachement aux droits de l'homme et à l'égalité entre les femmes et les hommes, promotion de la diversité. À cela s'ajoutent des règles strictes de traitement de l'information.

La responsabilité : un groupe audiovisuel à vocation internationale doit être conscient, notamment en période de crise, qu'il est capable d'infléchir le cours des événements, et qu'il peut même mettre en danger la vie de nos concitoyens. Un traitement responsable de l'information, c'est la condition de notre crédibilité, donc de notre indépendance.

Être responsable, c'est aussi rendre des comptes. Nous sommes financés par des fonds publics, et il est normal que nous répondions de notre activité devant le CSA, notre conseil d'administration, nos tutelles et le Parlement.

Mais il y faut un zeste de confiance, car une surveillance tatillonne serait contre-productive : nous avons besoin d'agir. Ce lien de confiance, nous le tissons avec notre actionnaire, l'État, par le biais d'un contrat d'objectifs et de moyens : par ce contrat, l'État et France Médias Monde s'entendent sur une stratégie, mais aussi sur des assurances financières qui sont la condition de notre indépendance.

Cette sécurité financière est particulièrement importante pour un groupe d'information, qui doit être indépendant non seulement du pouvoir politique, mais aussi des puissances d'argent. En droit français, un journal ne peut être parrainé, et c'est bien normal. Il serait également problématique qu'une émission médicale le fût par un laboratoire pharmaceutique. Un groupe comme le nôtre est soumis à une déontologie particulièrement stricte dans le choix de ses annonceurs publicitaires. Et c'est ce qui explique l'importance d'un financement public stable, donc fléché : la redevance, qui a récemment changé de nom.

L'audiovisuel extérieur n'a pas toujours bénéficié de la redevance. Il est encore largement financé par voie de subvention. La question de notre mode de financement mérite d'être posée, comme celle d'une réforme de la redevance, qui est en France l'une des plus basses d'Europe. Elle est encore plus basse en Grèce, et l'on voit ce qui arrive dans ce cas... Il me paraît important d'y réfléchir, comme vous le faites. L'État est soumis à des contraintes budgétaires qui limitent l'évolution des dotations. Dans ces conditions, et si l'on a des ambitions internationales, il faut une recette appropriée. Je rappelle que la dotation de l'audiovisuel extérieur, même si l'on y inclut TV5 Monde, représente moins de 9 % du budget de l'audiovisuel public français. Si l'on conserve la même proportion, il faudrait l'appliquer à un plus gros gâteau.

L'indépendance repose aussi sur la stabilité : il faut avoir du temps devant soi pour se sentir les coudées franches. D'où la nécessité de réfléchir à la durée des mandats et à la stabilité des stratégies.

Nous entretenons actuellement des relations tout à fait satisfaisantes avec l'État. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens est une véritable refondation de l'audiovisuel extérieur. Avec le Parlement, nous avons également des échanges intenses. J'ai invité les membres des commissions de la culture et des affaires étrangères à venir visiter nos locaux, car si le questionnaire parlementaire est utile, un contact direct peut être éclairant.

Nos relations avec le CSA ne sont pas moins excellentes. J'ai voulu associer le Conseil à notre stratégie. Ses membres au grand complet nous ont fait l'honneur de leur visite, et ils ont tenu une réunion de travail à bâtons rompus avec toute l'équipe de la direction.

J'aimerais évoquer la question de notre présence en France. Je conçois que des entreprises privées puissent s'inquiéter de l'arrivée de nouveaux venus dans le paysage audiovisuel national et de la modification du marché publicitaire qui en résulterait. Mais si je plaide en ce sens, c'est parce que France Médias Monde est investie d'une mission de service public, je dirais même d'une mission sociétale. Le service public donne le la : un service public fort, c'est un gage de haut niveau pour le paysage audiovisuel dans son ensemble. En outre, nous ne nous adressons pas seulement à des téléspectateurs ou des auditeurs, mais à des citoyens, et certains sujets ne sont pas traités par les médias nationaux. France 24 est par exemple la seule chaîne d'information continue dotée d'un positionnement mondial. Elle n'envisage d'ailleurs pas de se financer sur le marché français. Et n'est-il pas difficile pour elle de prétendre obtenir des fréquences de TNT dans d'autres pays, sans en avoir en France ? J'aimerais au moins que la chaîne obtienne une  fenêtre d'émission sur une fréquence : nous en discutons avec l'État.

Radio France International (RFI), de son côté, est une station remarquable, qui remplit - comme le reconnait Jean-Luc Hees, avec qui j'ai eu des échanges très confraternels - des missions de service public laissées de côté par les médias nationaux. La rédaction a une connaissance très précise de l'Afrique, où vivent des milliers de nos ressortissants. Grâce à RFI, Français et étrangers sont rendus sensibles à de grands enjeux internationaux. Je note d'ailleurs une distorsion entre l'Ile-de-France, où la station émet, et la province où elle n'émet pas. Tout le monde ne peut pas écouter la radio sur son ordinateur ou son téléphone, et le service public est encore absent de la radio numérique nationale.

RFI accorde une grande place à l'actualité européenne, qui n'intéresse guère les médias nationaux. Chaque jour, l'émission Accents d'Europe décrit la vie des sociétés civiles européennes et oeuvre ainsi à leur rapprochement : créer un sentiment européen, c'est apprendre à rire ensemble, à s'inquiéter ensemble. Et l'émission Carrefour de l'Europe accueille des parlementaires européens qui, pour beaucoup d'entre eux, sont francophones - et qui s'étonnent de ne pas pouvoir écouter leurs propres interviews lorsqu'ils siègent à Strasbourg... Dans toute la France, RFI aurait son public : parmi ses auditeurs franciliens, on compte notamment des personnes d'origine étrangère et des « CSP ++ ».

Quant à Monte-Carlo Doualiya, c'est une radio arabophone laïque, universaliste, attachée à l'égalité hommes-femmes, très écoutée dans le monde arabe et notamment dans des pays en crise comme la Syrie, l'Irak ou le Liban. L'arabe est aussi une langue de France. C'est la France qui a inventé l'agrégation d'arabe ! Et pourtant, il reste impossible d'écouter ici Monte-Carlo Doualiya. D'autres radios arabophones émettent sur notre territoire, mais ce sont des stations confessionnelles...

Actuellement, RFI et Monte-Carlo Doualiya se partagent une fréquence à Marseille, mise à disposition par l'aviation civile jusqu'au 31 janvier prochain. Les Marseillais, comme les employés des deux stations, seraient tristes que l'aventure s'arrête là. Se savoir écoutés sur tous les bords de la Méditerranée, c'est pour eux une source de grande fierté. Et il est bon de faire entendre à la radio française d'autres réalités que celles de Paris. Nous sommes en discussion avec nos tutelles et le CSA pour trouver le moyen de poursuivre cette diffusion.

M. David Assouline, rapporteur. - Lors de notre récent entretien, madame la présidente, nous avons parlé de la situation de l'audiovisuel public extérieur. Aujourd'hui il est question du projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public. Vous avez proposé une définition de l'indépendance. Et c'est peut-être parce que le Président de la République a anticipé, dans votre cas, le nouveau processus de nomination, que vous éprouvez aujourd'hui cette joie si perceptible à exercer vos fonctions. Lors de votre audition ici même, il y a un an, nos échanges furent consensuels. De la même façon, pour nommer les membres du CSA, il faudra désormais rechercher systématiquement un consensus, en dépassant les clivages politiques.

Comme vous, M. Pflimlin avait insisté sur l'indépendance financière du service public, par rapport à l'État mais aussi aux puissances d'argent. Le présent projet de loi n'en traite pas. Mais notre commission a souvent défendu l'importance de la redevance, qui n'est pas redéfinie chaque année comme les dotations, et je retiens votre plaidoyer vibrant, parfaitement argumenté, en faveur de ce mode de financement. L'an dernier, le Sénat a voulu aller au-delà de l'augmentation de la redevance inscrite dans le projet de loi de finances qui lui était soumis, en relevant la redevance de quelques euros supplémentaires. Et ce mouvement devra se poursuivre, car l'audiovisuel public doit être financé principalement par la redevance. C'est déjà vrai dans votre cas.

Il est important de se souvenir que l'audiovisuel public, ce n'est pas seulement France Télévisions. À l'heure de la mondialisation, l'audiovisuel extérieur ne doit pas être considéré comme un élément marginal de notre paysage audiovisuel. Vous avez plaidé pour que France 24 soit visible depuis la France : je m'en souviendrai. Un de nos collègues plaidait hier pour que les Français de l'étranger aient accès aux chaînes publiques nationales...

M. Louis Duvernois. - Je vois que la leçon a été retenue !

M. David Assouline, rapporteur. - Il n'est pas normal que tout le monde ne puisse pas voir France 24 en clair. Certes, une décision brutale pourrait déséquilibrer le marché ; il en va de même si LCI avait accès à la TNT gratuite. Mais France 24, pour sa part, ne compte pas investir le marché publicitaire national... Prudente, vous ne réclamez pour l'instant qu'une « fenêtre ». Mais là où le service public n'est pas, d'autres prennent sa place ! Il n'existe pas de radio publique en arabe en France, d'autres émettent, qui ne véhiculent pas toujours des idées aussi rassembleuses !

Vous avez devancé la plupart de mes questions. Je voulais, par exemple, vous demander ce que le nouveau mode de désignation des présidents des sociétés de l'audiovisuel public changerait à vos yeux. Le devoir de réserve auquel vous êtes soumise vous empêche de répondre, mais votre parcours parle pour vous.

Une question tout de même. L'extension des pouvoirs du CSA et l'assouplissement de ses procédures de travail vont-elles, selon vous, dans le bon sens ? Ou doit-on craindre une autorité tentaculaire, comme certains pourraient éventuellement le supposer ?

Mme Claudine Lepage. - L'indépendance est aussi celle de votre conseil d'administration. La proportion d'administrateurs indépendants au sein de France Médias Monde vous semble-t-elle raisonnable ?

Je suis très favorable à la diffusion de France 24 sur le territoire national, pour toutes sortes de raisons et d'abord parce qu'il est utile de donner aux téléspectateurs français une vue plus mondiale de certains problèmes. Vous vous êtes engagée à oeuvrer en ce sens depuis votre nomination. Où en sont les négociations ?

RFI émet à Marseille jusqu'au 31 janvier. Espérez-vous pouvoir continuer ? La même expérience est-elle envisageable à Strasbourg ou dans d'autres grandes villes françaises ?

M. André Gattolin. - On s'étonne en effet que des chaînes de télévision et des stations de radio, dont le rôle n'est pas de porter la voix mais des voix de la France, ne figurent pas dans le paysage audiovisuel national. On parle d'une troisième chaîne d'information en continu, mais France 24 est la seule à offrir des reportages, au lieu d'un flux ininterrompu de séquences de plateau avec quelques images... Il importe pour le développement de France 24 et RFI qu'elles puissent émettre en France. On le doit aux Français, qui les financent au travers de la redevance. Je suis pour une vraie concurrence, qui suppose la diversité des formats.

Certes, une diffusion nationale 24 heures sur 24 aurait un coût. France 24 n'en a peut-être pas les moyens.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Si !

M. André Gattolin. - Toujours est-il que vous pourriez vous inspirer de l'expérience de la Sept, chaîne préfiguratrice d'Arte qui diffusait quatre ou cinq heures de programmes le samedi après-midi : c'était un moyen de faire connaître ses émissions, avant la diffusion sur un canal dédié.

L'indépendance de l'audiovisuel public doit être appréhendée dans sa globalité, en tenant compte de l'audiovisuel extérieur. La diffusion en France est une source de de notoriété : j'ai pu le constater dans ma vie professionnelle, lorsque RFI s'est mise à émettre en région parisienne. Il était beaucoup plus facile alors pour les journalistes d'attirer des invités. Comme vous l'avez dit, les parlementaires européens s'étonnent de ne pas pouvoir écouter leurs interviews à Strasbourg ! Tout le monde n'a pas accès au podcast, et RFI ne doit pas s'adresser seulement aux CSP + et à la classe politique.

M. Louis Duvernois. - Lorsqu'on parle de l'audiovisuel public, on pense immédiatement aux chaînes et stations nationales. C'est dans doute lié à l'histoire et aux aléas de l'imputation budgétaire. On ne reconnaît pas assez l'incidence de l'audiovisuel public français en dehors de nos frontières. Une fois de plus, ce projet de loi néglige cet aspect des choses. Je me réjouis donc que le rapporteur ait rappelé la demande que j'ai faite à Mme la ministre hier.

L'indépendance de l'audiovisuel public passe aussi par une offre élargie et équitable, afin de mieux informer nos concitoyens en France comme ailleurs : je rappelle que 2,5 millions de Français vivent à l'étranger.

Nous connaissons votre engagement ; nous ne sommes pas insensibles à votre proposition d'ouvrir une fenêtre régionale de diffusion pour France 24 ; vous teniez le même discours en tant que directrice générale de TV5 Monde. Notre offre audiovisuelle à l'extérieur, malheureusement, est méconnue, y compris par le gouvernement. Ce projet de loi ne prend pas assez en compte l'influence de la présence française à l'étranger. Comment envisagez-vous l'évolution du dossier de la TNT ? Il s'agit d'un enjeu national mais aussi international pour notre pays. Je partage votre volonté d'élargir vos possibilités de diffusion à l'international.

Mme Marie-Christine Saragosse. - L'autorité du CSA est-elle tentaculaire ? J'ai toujours, même à TV5 Monde, société multilatérale avec des règles particulières, essayé d'entretenir des rapports étroits avec les différents membres du CSA. Professionnels de l'audiovisuel, ils comprennent nos enjeux et projets et peuvent nous apporter un appui et une aide. Ce dialogue est complémentaire du dialogue avec notre tutelle financière et constitue plutôt une occasion de mieux nous faire entendre.

Même indépendante, France Médias Monde est une société publique financée par des fonds publics. La tutelle décide des allocations budgétaires et influe sur certaines décisions stratégiques. Nous sommes soumis à des règles de droit public. C'est normal. Aussi au conseil d'administration les représentants de notre autorité de tutelle pèsent-ils davantage que les personnalités extérieures, même si celles-ci, venues d'autres horizons, apportent un autre éclairage.

M. David Assouline, rapporteur. - Certains regrettent l'absentéisme de ces personnalités indépendantes, leur manque d'expertise notoire en matière d'audiovisuel extérieur ou encore leur inertie. D'autres personnalités, plus jeunes et plus dynamiques, n'apporteraient-elles pas davantage à votre société ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - Ces personnalités extérieures connaissent l'international et l'audiovisuel. La composition de notre conseil d'administration doit répondre à l'objectif de parité, encore renforcée avec la dernière nomination, et de représentation de la diversité. Il est important de renforcer la diversité de notre conseil pour y associer des Français qui connaissent à la fois les problématiques de l'audiovisuel et les cultures de territoires étrangers.

Concernant les fréquences FM, nous n'avons malheureusement pas lancé d'expérimentations à Strasbourg. À Marseille, grâce au soutien des élus locaux, dans le cadre du projet « Marseille capitale européenne de la culture 2013 », de l'antenne locale du CSA, et de l'aviation civile, nous avons réussi à occuper une fréquence à titre temporaire. On sent en écoutant RFI, qui est à Marseille, que l'émission ne vient pas de Paris. Outre la touche de soleil apportée par les invités, les journalistes eux-mêmes adoptent un autre ton. La France constitue l'un des axes de notre plan stratégique. Nos auditeurs savent que nous émettons depuis la France. Le nom de nos chaînes est révélateur : France 24, Radio France International... Il importe que nous représentions toute la diversité de la France et non seulement Paris. C'est pourquoi cet axe me tient à coeur

M. David Assouline. - Avez-vous changé le logo de Monte Carlo Doualiya (MCD) ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - Le logo a légèrement évolué. La radio existe depuis 40 ans ; sa notoriété étant forte, il fallait conserver la dénomination « Monte Carlo ».

Nous souhaitons obtenir des fréquences dans plusieurs grandes villes ouvertes vers l'international : Strasbourg, Marseille, Bordeaux ou Toulouse ; une élue toulousaine de notre conseil d'administration souhaite que RFI puisse émettre du Mirail.

Mme Françoise Cartron, présidente. - En effet.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Pour MCD, nous avons demandé des fréquences en Ile-de-France et à Marseille, où réside une importante population arabophone. Ces projets ont un coût raisonnable. Nous connaissons les contraintes budgétaires de l'État et bornons nos ambitions sans dresser de plans sur la comète. De nombreux élus sont prêts à trouver des recettes pour financer notre présence. Une discussion est aussi en cours avec Radio France qui ne perçoit pas notre demande comme une forme de concurrence.

Pour la TNT, nous rêvons d'une fréquence permettant de diffuser 24 heures sur 24 en France. Contrairement à la Sept qui ne disposait que d'une fenêtre d'émission, faute de pouvoir produire suffisamment de programmes, nous émettons déjà partout dans le monde en continu. Notre offre est importante et nous la renforçons : nous avons créé une tranche d'informations de 6 heures à 10 heures, avec de l'information tous les quarts d'heure et des ouvertures sur l'Asie ; sur le canal en français, des journaux sont consacrés à l'Afrique ; sur le canal arabe, nous avons lancé une « heure du Maghreb » en arabe, journal que nous aimerions développer en français et que l'Algérie souhaite diffuser. Nos équipes sont mobilisées. Nous sommes une des rares chaînes à disposer d'envoyés spéciaux à Damas et sommes très sollicités par les autres médias. Il est dommage que tous nos concitoyens ne puissent pas profiter de nos initiatives.

Nous n'avons pas demandé une fréquence nationale car le coût, 7 millions d'euros en simple définition, est élevé pour notre actionnaire, l'État, et nous ne voulons pas remplacer un autre émetteur. C'est pourquoi nous souhaiterions obtenir des fenêtres de diffusion nationale sur des chaînes de service public. De plus un créneau semblait libre en Ile-de-France. Les autorités de tutelle nous ont prêté une oreille attentive ; mais les contraintes sont fortes, France Télévisions est aussi en mouvement.

Monsieur Duvernois, une anecdote illustrera la méconnaissance de notre diffusion à l'étranger : récemment à Marseille, dans une école de journalisme, j'ai présenté France Médias Monde, ses médias, son plan stratégique, etc. À la fin de mon exposé, une étudiante a reconnu qu'elle n'en savait rien !

Mais, inversement, l'audiovisuel national doit être vu. Telle est la mission de TV5 Monde de diffuser les programmes libres de droits. Disposer des droits de diffusion à l'international est coûteux. C'est une question complexe mais centrale.

Mme Françoise Cartron, présidente. -Je vous remercie.

Jeudi 12 septembre 2013

- Présidence de M. David Assouline, vice-président -

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de Mme Maryam Salehi, directrice déléguée de NRJ Group

La commission auditionne tout d'abord Mme Maryam Salehi, directrice déléguée de NRJ Group, sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

M. David Assouline, rapporteur. - Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi organique et le projet de loi, adoptés par l'Assemblée nationale, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Mme Maryam Salehi, directrice déléguée de NRJ Group. - Le groupe NRJ est un groupe audiovisuel indépendant né en 1981, lors de la libéralisation de la bande FM.

Nous saluons les avancées qu'apportera ce texte en renforçant tant l'indépendance du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) que ses pouvoirs. Un CSA fort et indépendant est en effet le garant d'un paysage audiovisuel divers, fort et pérenne face à la concurrence de plus en plus agressive d'opérateurs télécom et Internet non régulés. Ses pouvoirs doivent être incontestables : nous nous réjouissons donc que le projet de loi sépare désormais, en son article 3, les pouvoirs d'enquête et d'instruction du CSA de ses pouvoirs de sanction.

Nous nous inquiétons toutefois de la fragilité juridique de l'article 6 octies du projet de loi, qui modifie l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Ces dispositions nous semblent en effet violer le Traité de fonctionnement de l'Union européenne et les directives communautaires en matière de télécommunications, ainsi que certains principes constitutionnels.

Aux termes de l'article 106 du Traité, tout droit d'origine étatique conférant un avantage concurrentiel à des entreprises constitue un droit spécial. S'agissant de l'affectation d'une ressource rare appartenant au domaine public de l'État, l'article 2 de la directive du 16 septembre 2002 interdit aux États membres de conférer de tels droits aux entreprises de secteur de l'audiovisuel.

Plus spécifiquement, l'article 4 de la directive « Concurrence » prévoit que « les États membres n'accordent pas de droits exclusifs ou spéciaux d'utilisation des radiofréquences pour la fourniture de services de communications électroniques » en indiquant que « l'attribution des radiofréquences pour des services de communications électroniques doit être fondée sur des critères objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés ». Bref, toute disposition ayant pour objet de court-circuiter une procédure en vigueur suivie par toutes les autres entreprises souhaitant exercer la même activité est susceptible de constituer un droit spécial illégal engageant la responsabilité de l'État. Toute juridiction amenée à apprécier la validité des actes d'application de la disposition contraire devra en prononcer la nullité. Ces principes ont déjà été appliqués au secteur de l'audiovisuel.

L'octroi d'un droit spécial - qui s'apparente à un privilège, à un droit de préemption, voire à une assurance-vie, selon l'expression de M. de Tavernost - est rigoureusement prohibé par le droit européen.

L'amendement adopté par l'Assemblée nationale, qui reviendrait à octroyer potentiellement huit chaînes bonus, contrevient à la directive du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques, comme à la position constante de la Commission européenne. Dans un communiqué de presse du 29 septembre 2011, intitulé « Antitrust », celle-ci considère que l'octroi de canaux de télévisions additionnels à trois opérateurs historiques, sans mise en concurrence, est contraire au droit de l'Union européenne, pénalise les opérateurs concurrents et prive les téléspectateurs d'une offre plus attractive. Elle rappelle que le dividende numérique doit favoriser l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché et être alloué suivant des procédures ouvertes, transparentes, objectives, non-discriminatoires et proportionnées. Octroyer des fréquences sans respecter ces critères, gelant de facto le paysage au profit d'acteurs historiques, reviendrait à accorder un droit spécial à l'entreprise concernée et donc à enfreindre le droit européen.

L'amendement adopté par l'Assemblée nationale qui autorise la modification des modes de financement et de diffusion en cours d'exploitation par simple agrément du CSA n'est pas conforme aux principes du droit de l'Union européenne. La transformation d'une chaîne payante en chaîne gratuite ne saurait être envisagée sans nouvel appel à candidatures.

L'obligation de transparence impose de demander à l'entreprise candidate de préciser si elle demande une autorisation pour une chaîne gratuite ou payante. Le CSA distingue clairement les services de télévision payants des services gratuits, et les dossiers de candidature sont examinés selon des critères totalement différents. En effet, le modèle économique d'une chaîne de télévision est étroitement lié à son mode de financement, qui influence sa grille et son plan d'affaires. Ainsi, une chaîne payante, qui s'adresse à des abonnés, sera moins soumise au marché publicitaire qu'une chaîne gratuite, ce qui peut être déterminant dans l'octroi de l'autorisation. Si la législation offrait la possibilité au CSA de modifier a posteriori et de manière discrétionnaire la nature du service, les critères selon lesquels une autorisation est accordée ne seraient plus transparents.

L'article 6 octies contreviendrait également à l'obligation de non-discrimination. La chaîne qui se verrait accorder une telle autorisation de diffuser en clair bénéficierait d'un avantage concurrentiel indu par rapport aux chaînes gratuites existantes. Grâce à sa diffusion sur un multiplex existant - R4, pour Paris Première - la chaîne payante qui deviendrait gratuite bénéficierait instantanément d'un taux de couverture du territoire de 95 %. Or, les six nouvelles chaînes gratuites devront, elles, attendre fin 2014, au mieux, avant d'atteindre un taux de 85 %. L'agrément aurait un impact considérable en termes de captation de l'audience et du marché publicitaire.

Le succès de la TNT tient aux acteurs qui y ont cru, qui ont investi. Depuis son lancement il y a huit ans, une chaîne gratuite a contribué à hauteur de 50 millions d'euros au déploiement et à l'initialisation de la TNT, contre une vingtaine de millions seulement pour une chaîne payante. Les chaînes gratuites d'origine se verraient indument concurrencées par les chaînes passant du payant au gratuit, qui pénètreraient le marché une fois les risques pris par les autres ! Ce manquement au principe d'égalité constituerait une punition injustifiée pour ceux qui ont investi des sommes considérables dans la TNT.

En conclusion, autoriser le CSA à donner un agrément au changement du mode de diffusion des chaînes payantes de la TNT, sans appel à candidatures, reviendrait à lui accorder le droit de prendre une décision administrative contraire au droit européen et au droit constitutionnel.

Selon le droit européen, seul l'octroi d'une nouvelle autorisation par un nouvel appel à candidatures peut permettre le passage d'une diffusion cryptée à une diffusion en clair. En matière de commande publique, le respect des principes d'égalité de traitement et de l'obligation de transparence interdit toute modification substantielle d'un contrat. Une modification du mode de financement, par exemple, doit s'analyser comme entraînant la passation d'un nouveau contrat, supposant dès lors la délivrance d'une nouvelle autorisation, ce qui implique le respect des règles de publicité et de mise en concurrence. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne étaye cette analyse.

La chaîne qui ne souhaite plus exploiter sa fréquence dans les conditions stipulées dans la convention qu'elle a sollicitée, n'a d'autre choix que d'y renoncer pour, ensuite, éventuellement effectuer une nouvelle demande afin d'obtenir une autorisation, dans la transparence et à égalité avec les autres candidats. C'est le seul moyen de passer d'une diffusion cryptée à une diffusion en clair en respectant les exigences du droit.

Encore une fois, le projet de loi apporte de vraies avancées face aux inquiétudes que fait naître la pénétration du marché audiovisuel par les opérateurs télécom et Internet. Nous ne voulons pas le voir invalidé. Vu son impact, une telle disposition mériterait d'être débattue dans le cadre de la grande loi audiovisuelle annoncée pour fin 2014.

M. David Assouline, rapporteur. - Merci de vos voeux pour le succès de cette grande loi audiovisuelle ainsi que de vos conseils juridiques. Le Sénat s'attache toujours à sécuriser juridiquement les textes issus de l'Assemblée nationale.

Vous n'ignorez pas que certains soutiennent la position inverse de la vôtre. Il n'y a pas de vérité absolue, seul le juge constitutionnel peut trancher. D'autant que les positions sont réversibles : votre groupe juge parfois la souplesse du CSA salutaire, notamment en matière de radio... Dans un environnement mouvant, où les équilibres de marché et les techniques évoluent très vite, un CSA figé peut devenir un handicap. Attention à ne pas brandir des principes qui risquent ensuite de se retourner contre vous : les opérateurs du secteur ont besoin de souplesse pour pouvoir réagir aux évolutions techniques.

La procédure proposée par l'Assemblée nationale pour qu'une chaîne payante devienne gratuite n'est pas arbitraire : la décision du CSA devra s'appuyer sur des considérations objectives. Je déposerai d'ailleurs un amendement prévoyant la réalisation d'une étude d'impact préalable. Nous ferons d'autant plus confiance au CSA que nous garantirons son indépendance et professionnaliserons ses compétences. Vous pourrez défendre vos arguments devant lui. Je crois toutefois que NRJ a profité de la souplesse du CSA pour se développer, du moins dans le secteur de la radio : les radios acquises par votre groupe ont pu changer de catégorie sans appel à candidatures.

Mme Maryam Salehi. - C'est l'article 42-3, alinéa 1 de la loi du 30 septembre 1986. En matière de radio, il s'agit d'un changement de catégorie administrative : le service demeure gratuit, il s'adresse toujours au même bassin de population, le mode de financement ne change pas.

M. David Assouline, rapporteur. - En effet. Cela dit, comme les chaînes gratuites, la TNT payante s'adresse à l'ensemble du territoire.

Nous avons reçu nombre d'études juridiques, notamment de la part de Canal +. Les décisions devront absolument être prises en responsabilité, avec le souci de l'équilibre économique du secteur et de la préservation du pluralisme. C'est en responsabilisant le CSA que l'on garantira des décisions justes. Lui donner la possibilité de rendre des décisions rapides sera bénéfique à tout le secteur - vous compris. Cette mesure ne préjuge en rien de l'attribution de l'agrément à telle ou telle chaîne. Le Sénat prévoira l'encadrement nécessaire pour prévenir au maximum les risques de déstabilisation que vous avez exposés.

L'article permettant à une chaîne locale de se transformer en chaîne nationale à l'occasion de son passage en haute définition vous parait-il ambigu ?

Beaucoup de radios demandent que l'on revoie les seuils anti-concentration. Le seuil réglementaire est fixé à 150 millions d'auditeurs potentiels. Ça tombe bien, NRJ, le number one, serait à 149 millions !

Mme Maryam Salehi. - Nous sommes à 125 millions.

M. David Assouline, rapporteur. - Les chiffres sont contestés, tout comme la méthode de calcul ; en tout état de cause, vous frôlez la limite. Il faut encourager le CSA à mettre en place des méthodes de calcul incontestables.

M. André Gattolin. - Je précise que le seuil est calculé en retenant le bassin de réception, non l'audience cumulée. Faudrait-il plutôt retenir ce dernier critère, qui est employé pour la télévision ? Que pensez-vous de la situation de la radio numérique terrestre (RNT) ? Certains grands groupes sont accusés de chercher à freiner l'arrivée de concurrents. Enfin, les tarifs de diffusion de TéléDiffusion de France (TDF) sont jugés très élevés. Qu'en pensez-vous ?

Mme Maryam Salehi. - L'amendement permettant aux chaines locales d'accéder au marché national n'appelle pas d'observation de notre part, dès lors que la procédure prévoit un appel à candidatures.

La question du seuil anti-concentration est une préoccupation majeure pour nous. Fin 2012, le CSA a lancé une concertation avec les acteurs. Le seuil est fixé par la loi, tandis que les modalités de calcul sont de la compétence du CSA, qui exerce cette mission de manière objective et transparente. Nous ne souhaitons donc pas qu'il en soit dessaisi, comme certains ont pu le demander. Le CSA demeure le meilleur des juges de paix.

Les seuils ont été mesurés en 2010 selon une première méthodologie en 2010 : NRJ était alors à 145 millions d'auditeurs potentiels. Le CSA s'est par la suite doté d'un outil de mesure plus performant, utilisé par l'Ofcom, le régulateur britannique, qui neutralise notamment l'effet du brouillage. En 2012, selon cette nouvelle méthode, la couverture de NRJ s'établissait à 121 millions.

Si le législateur souhaite conserver un mode de calcul assis sur le bassin de population, il faudrait, nous semble-t-il, indexer le seuil sur l'évolution naturelle de la population. En tout état de cause, nous souhaiterions que soit retenue la méthode la plus récente et la plus performante. Faut-il compter en part d'audience plutôt qu'en bassin de population ? Nous n'avons pas de religion en la matière, mais l'alignement sur la méthode utilisée pour la télévision aurait le mérite de la cohérence.

Le groupe NRJ compte en son sein le deuxième diffuseur, principal concurrent de TDF, l'opérateur historique captant tout de même 75 % du marché. Dans l'esprit des radios libres de 1981, NRJ a créé un petit diffuseur pour ne plus être dépendant du monopole d'État. C'est toujours la passion de notre métier, de la radio et de la télévision, qui nous guide ; nous y mettons tout notre coeur, toute notre âme, tous nos moyens.

M. André Gattolin. - Les prix élevés de TDF vous favorisent donc en tant que concurrent ?

Mme Maryam Salehi. - Les prix de TDF varient selon que les sites sont réplicables ou non réplicables. Pour les sites non réplicables, comme la tour Eiffel, TDF applique des tarifs dissuasifs pour un opérateur alternatif : le petit diffuseur que nous sommes y perdrait de l'argent. L'ARCEP a été saisie de cette pratique anticoncurrentielle et un contentieux est actuellement en cours devant la cour d'appel de Paris.

M. David Assouline, rapporteur. - J'en reviens à la TNT gratuite. L'arrivée de nouveaux concurrents peut déstabiliser le secteur, avez-vous dit en substance. Ces mêmes arguments étaient invoqués naguère pour contester les six nouveaux entrants - dont vous étiez ! Chacun défend avant tout ses intérêts propres, et ceux qui nous critiquaient hier nous soutiennent aujourd'hui...

Vous plaidez pour un appel à candidatures systématique. Dans les faits, la meilleure des garanties, c'est encore que le CSA prenne tous les paramètres en compte dans sa décision. Ce n'est pas parce qu'une chaîne n'a pas été candidate, à un moment donné, à la TNT gratuite qu'elle doit être condamnée à ne jamais pouvoir y accéder.

Mme Maryam Salehi. - Un opérateur de la TNT payante peut se porter candidat pour la même chaîne en TNT gratuite sans renoncer à émettre en TNT payante. Si sa candidature est retenue, il pourra alors faire son choix entre les deux : le CSA l'admet.

M. David Assouline, rapporteur. - Être candidat pour une chaîne gratuite tout en restant sur la TNT payante n'est pas un projet crédible ; il sera difficile de convaincre le CSA dans ces conditions. L'environnement, les technologies, l'écosystème changent, ce qui conduit à faire évoluer les projets. Le CSA doit pouvoir s'appuyer sur des études sérieuses - études d'impact, voire appels à contribution - sans pour autant entrer dans une procédure trop lourde.

Nous avons entendu vos préventions. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

M. André Gattolin. - Sur la radio numérique terrestre ?

Mme Maryam Salehi. - Nous attendons les assises de la radio annoncées par la ministre.

M. David Assouline, rapporteur. - En tant que président de la commission du Sénat pour le contrôle de l'application des lois, j'y suis sensible, car on ne peut laisser la loi sans application ! Il en va de la crédibilité du travail législatif.

Indépendance de l'audiovisuel public - Audition de Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet

La commission auditionne ensuite Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), sur le projet de loi organique n° 815 et le projet de loi n° 816, adoptés par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatifs à l'indépendance de l'audiovisuel public.

M. David Assouline, rapporteur. - Nous recevons la présidente de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) dans le cadre de la discussion des projets de loi sur l'indépendance de l'audiovisuel. Nous souhaitons en effet entendre les acteurs de ce secteur ; nous réfléchissons également aux propositions du rapport Lescure, parmi lesquelles figure le transfert des missions de l'Hadopi au CSA. La séparation absolue entre numérique et audiovisuel mérite en effet d'être interrogée. M. Schrameck nous citait un exemple montrant ce qu'une telle séparation peut avoir d'incongru : le CSA s'interrogeait ainsi sur l'autorisation de diffusion d'un clip alors que ce dernier avait déjà été vu un million de fois sur YouTube.

Comme la loi concerne le renforcement des compétences du CSA, nous devions vous entendre, madame, sur ces projets de loi ainsi que sur les pratiques que vous avez pu observer dans le cadre de votre mission.

Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant la représentation nationale. Une spécificité de l'Hadopi tient à son mode de gouvernance caractérisé par une double présidence, en raison de l'autonomie de la commission de protection des droits. En seulement trois années, l'Hadopi est arrivée à maturité : en matière de protection des droits, la réponse graduée est montée en puissance ; l'encouragement de l'offre légale, en dépit d'outils limités, a bénéficié d'actions de sensibilisation au respect du droit d'auteur ; le protocole de sa mission d'observation a été révisé pour développer des connaissances spécifiques notamment en recherche informatique ; enfin, deux avis techniques qui font référence ont été rendus. L'Hadopi ne se limite pas à la réponse graduée, comme nous pourrons le souligner lors de la publication de notre rapport d'activité.

Le rapport Lescure est, de l'aveu même de son auteur et selon la ministre de la culture et de la communication, une première étape, un point de départ qui confirme la légitimité de nos missions et montre le travail de défrichage que nous avons engagé depuis trois ans. Les agents de l'Hadopi savent que les quatre années qui nous séparent de la loi ayant créé l'institution sont une éternité sur internet. Cela nous conduit à nous poser trois questions : quoi,  comment,  qui ?

Quoi, c'est-à-dire quel est le périmètre de l'action publique en ce domaine et plus largement concernant les modalités d'accès aux oeuvres ? Ne faudrait-il pas adopter une approche différente à cet égard ? Dans ce sens, nous avons commencé à modéliser un système de rémunération proportionnelle du partage, sous le pilotage d'Eric Walter. Les outils incitatifs juridiques et fiscaux méritent d'être modernisés.

Qui ? Il est légitime de se demander quel acteur public doit être chargé de ces missions rénovées. Comme l'a souligné la ministre, il convient de bâtir un équilibre global dans lequel la question institutionnelle va de pair avec les questions de fond. Admettons qu'il s'agisse de s'interroger sur un transfert, immédiat ou différé, de nos missions au CSA. Notre expérience nous amène à mettre en évidence une dissymétrie majeure entre la régulation de l'audiovisuel et celle d'internet : le périmètre, la cible, l'approche, le sujet et la méthode sont différents.

Ainsi, les contenus ne sont pas les mêmes : l'Hadopi est compétente non seulement sur le film et la musique, mais aussi pour la photographie, le logiciel, le jeu vidéo et le livre numérique, secteurs confrontés à des problématiques spécifiques et appelant un traitement différencié. Quant aux acteurs, l'audiovisuel est structuré autour d'un nombre limité d'acteurs identifiés et territorialisés, tandis que sur internet, tout citoyen peut être créateur ou diffuseur mais aussi, potentiellement, faire l'objet d'une sanction décidée par le juge. Nous refusons catégoriquement toute méthode intrusive, risquée et contraire à la nature du réseau, qui tient à sa neutralité. L'Hadopi a la responsabilité de faire respecter le droit d'auteur sur internet, et non pas de veiller à la qualité des contenus, au pluralisme politique ou à la bonne utilisation de la langue française. Internet n'est enfin pas soumis comme l'audiovisuel à un régime d'autorisation : au contraire, c'est la liberté qui est la règle et la contrainte l'exception.

Dès lors, mutualiser la régulation de ces deux secteurs peut présenter des complémentarités, des synergies, mais aussi des contradictions, des conflits d'intérêts, ou à tout le moins des difficultés. Ce n'est qu'après un examen approfondi de ces questions que la question institutionnelle pourra se poser. C'est lorsque le quoi et le comment auront trouvé des réponses modernisées que la question du qui se posera sous l'éclairage nécessaire.

Aujourd'hui, les enjeux de propriété intellectuelle et de protection des données personnelles se rapprochent. Une autorité dédiée au numérique telle que recommandée par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective dans son étude « La dynamique d'internet » pourrait être envisagée. L'institution retenue devra avoir une expertise spécifique et une indépendance incontestable.

Les questions de gouvernance méritent elles aussi la plus grande attention : la gouvernance doit en effet répondre aux objectifs d'indépendance, de représentativité et d'expertise - notamment en matière de droit d'auteur - et d'impartialité vis-à-vis de tous les acteurs économiques de l'offre culturelle. Celle de l'Hadopi a été conçue dans ce but : son président est ainsi élu par le collège parmi les trois membres magistrats ou chargés de missions juridictionnelles. Un transfert au profit d'une institution n'offrant pas les mêmes garanties constituerait un recul. Or, sous la forte pression médiatique et face aux exigences renouvelées des internautes, toute suspicion doit être écartée.

La préservation de tous les emplois est une exigence qui ne saurait être ni une variable d'ajustement, ni un levier, ni un sujet de négociation. Ne pas reconnaître leur expertise serait un véritable gâchis. J'entends qu'ils pourraient se démobiliser ? En quarante ans de vie professionnelle je n'ai vu d'équipe si mobilisée ! Leur taux d'absentéisme est cinq fois inférieur au taux moyen constaté dans la fonction publique. Le risque de dispersion des compétences que ferait peser l'indétermination sur le sort de l'Hadopi pourrait être levé aisément si le gouvernement répondait aux sollicitations des représentants du personnel en annonçant ce que nous attendons depuis trois mois : la préservation de tous les emplois. La compétence d'agents dont on a hier vilipendé le travail ne peut servir de prétexte à un transfert précipité dont on ignore les contours : s'agirait-il de toutes les missions, comme l'envisage le rapporteur, ou la seule réponse graduée, comme a semblé l'affirmer la ministre - ce qui impliquerait que des emplois seraient détruits ?

J'entends que le piratage aurait massivement augmenté ? Il faut savoir distinguer les chiffres des fantasmes. L'évolution n'est ni massive ni irréversible. En trois ans, nous avons inversé dix ans de laisser-faire : ce n'est pas en quelques mois d'incertitude que l'évolution peut devenir irréversible. D'ailleurs, un transfert au CSA permettrait-il de l'endiguer ? Non. L'opinion ne retiendrait qu'une chose : l'Hadopi est supprimée. Or le dispositif de la réponse graduée repose largement sur sa notoriété. Le doute sur son avenir n'est d'ailleurs pas nouveau : elle est sous le coup d'un procès permanent en illégitimité, ce qui ne l'a jamais empêché de fonctionner.

J'entends que ce transfert serait source d'économies. Lesquelles ? Le premier poste de dépense est sa masse salariale : envisage-t-on de détruire des emplois ? Son loyer représente 2 % du budget annuel du CSA ; si ce dernier propose de nous héberger, nous étudierons volontiers sa proposition. Les grilles salariales n'ont pas été comparées, pas plus que les coûts de fonctionnement - qui pour l'Hadopi sont exceptionnellement bas ; le coût du transfert physique des installations n'a pas été évalué ; le cas des agents éventuellement en doublon n'a pas été étudié. Rappelons que le budget de l'Hadopi représente un millième de celui du ministère de la culture.

J'entends des appels en faveur d'une présence accrue dans les collèges et les lycées. C'est déjà le cas. En 2012 et 2013, nous avons sensibilisé les enseignants, documentalistes, chefs d'établissement, mais aussi les collégiens, les lycéens et les étudiants, qui se réjouissent d'avoir enfin un interlocuteur actif qui leur apporte des réponses précises.

J'entends enfin l'attachement de tous à l'indépendance. Celle-ci doit en effet être garantie par le contrôle démocratique. C'est pourquoi je me tiens à l'entière disposition du Parlement.

Mme Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission de protection des droits. - Les missions de l'Hadopi ne sont pas remises en cause, au contraire. Il revient aux pouvoirs publics de décider quels outils sont les plus à mêmes de servir ces deux objectifs, présents dans le même article de la Déclaration universelle des droits de l'homme : la défense de la propriété intellectuelle des créateurs et l'accès de chacun à la culture, qui constituent les deux faces d'une seule pièce.

L'Hadopi est la seule institution consacrée à la protection du droit d'auteur sur internet, ce qui suscite de l'intérêt à l'étranger - nul n'est prophète en son pays... Elle protège tous les droits d'auteur, et pas seulement la musique ou le film. Elle n'est pas en charge d'un secteur, mais de la création. Comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel, « la compétence reconnue à l'Hadopi n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes, mais elle s'étend à la totalité de la population. » Quatre exigences de valeur constitutionnelle s'imposent à elle : la libre communication des pensées et des opinions, la propriété, la liberté d'entreprendre et enfin la protection de la vie privée et des données personnelles.

L'Hadopi telle qu'elle est répond à l'exigence de concilier tous ces objectifs. Son organisation garantit son indépendance, notamment à l'égard des ayants droit. Internet, cet espace de liberté, ne peut être soumis à un régime d'autorisation : tout ce qui n'est pas interdit y est autorisé. C'est pourquoi l'Hadopi n'a pas le pouvoir de sanction, et s'est prononcée très tôt en faveur de la plus grande prudence en matière de filtrage.

La situation n'en est pas pour autant satisfaisante. Il faut être plus ambitieux, comme le préconise Pierre Lescure. Il est nécessaire d'une part de compléter les outils existants concernant l'offre légale et les mesures techniques de protection (MTP), et d'autre part d'imaginer un dispositif de prévention de la contrefaçon commerciale impliquant tous les acteurs. Cette piste innovante est au centre de la mission que m'a confiée la ministre.

Toute institution en charge de ces missions rencontrerait, sans ces nouveaux outils, les mêmes limites - et les mêmes critiques - que celles que rencontre l'Hadopi.

M. David Assouline, rapporteur. - Vos explications et votre plaidoyer ont été particulièrement complets. Vous défendez légitimement votre institution et vous répondez aux critiques qu'on lui adresse. Mais notre débat porte sur l'indépendance. Vos arguments en faveur de l'indépendance rejoignent ainsi ce que nous voulons pour le CSA. Ses membres seront en effet choisis en fonction de leur compétence et sans aucune considération politique, puisque le vote interviendra aux trois cinquièmes des suffrages des membres des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Au-delà du présent projet de loi, je considère d'ailleurs que les désignations d'autorités ou de personnalités indépendantes devraient toujours s'opérer de cette façon.

Que toutes les missions que vous décrivez et défendez nécessitent l'indépendance n'invalide pas leur transfert éventuel au CSA. Il ne s'agit pas de transposer les missions actuelles du CSA dans le champ d'internet ; il ne faut pas essayer d'effrayer le chaland en disant que les contenus d'internet seront surveillés ! Ce qui est envisagé, c'est le transfert des compétences actuelles de l'Hadopi, qui ne sont pas attentatoires aux libertés publiques, comme vous l'avez montré. Dans ce domaine, le décret a supprimé le seul élément, la coupure de l'accès à internet, qui semblait disproportionné au vu de ce qu'il est devenu aujourd'hui, aussi essentiel que l'air qu'on respire.

Au Sénat, nous nous sommes extirpés du débat manichéen qui a pu avoir lieu dans d'autres instances : je ne vois donc pas qui vise votre véhémence ; les seules réactions très dures que j'ai entendues à ce sujet s'opposaient à l'existence de votre mission et de votre institution. Je ne sais pas si vous nous avez communiqué une délibération de l'Hadopi ou si votre déclaration traduit une opinion personnelle. Si on est d'accord avec les conclusions du rapport Lescure, il faut certes se donner le temps d'arriver à un acte législatif global et à des solutions non législatives complémentaires.

En revanche, lorsque vous prétendez que tout va bien et que l'incertitude ne pèse pas sur le travail ni sur le moral, vous me surprenez. Tout ce que j'entends sur le sujet, sans le solliciter, démontrerait plutôt le contraire. Les autorités ont décidé de l'extinction de l'Hadopi et du transfert de ses missions. Comme cela ne se fait pas vite, cela pèse sur les personnels mais aussi sur l'autorité même de l'institution. Or tout est une question d'autorité dans ce domaine. Comme l'a dit la ministre, le plus vite sera le mieux. C'est la meilleure façon de ne pas laisser mourir ce que vous avez entrepris. Nous aurons plus tard d'autres débats sur l'acte II de l'exception culturelle et sur la globalité des équilibres nouveaux à rechercher dont parle M. Lescure. C'est en se fondant sur la réalité de votre mission, qui n'a pas été le flicage et la répression que d'aucuns ont décrits, qu'on se convainc qu'il faut procéder au transfert le plus vite possible, à partir du moment où cela a été arbitré.

M. Jacques Legendre. - Cette audition me donne une impression étrange. Si elle est l'occasion d'un exercice intéressant, qui est de faire le point sur l'action de l'Hadopi, elle donne lieu à un débat qui n'est pas lié au projet de loi dont vous êtes le rapporteur, mon cher collègue. En vous écoutant, je me suis demandé si je n'entendais pas plutôt un ministre exprimant la volonté du Gouvernement. Il existe un Parlement qui devra se prononcer sur les orientations qui ont été présentées. Nous sommes en train de débattre à la fois de l'indépendance du CSA et de ce qui doit advenir de l'Hadopi et de la défense du droit d'auteur, ce qui était l'objectif de la loi de 2009. Nous avions alors évité les guerres de tranchées : la première loi avait été adoptée à la quasi-unanimité au Sénat. Il n'y a pas ici des défenseurs du droit d'auteur qui veulent réserver la culture à ceux qui ont les moyens de se l'offrir, et des défenseurs de la culture pour tous qui veulent passer le droit d'auteur par-dessus bord. Nous avions concrétisé nos objectifs à travers l'Hadopi. Il y avait eu un débat sur la possibilité pour la justice de priver un internaute abusif d'accès à internet, certains y étant opposés, et d'autres, comme moi, craignant une moindre dissuasion si l'on émoussait cet instrument ultime. Mais tous étaient favorables à la pédagogie, à la réponse graduée, et à une sanction considérée comme un ultime argument.

Tant que l'Hadopi existe, il faut rappeler que la riposte graduée continue - l'on ne parle pas seulement de réponse... Nous partageons les mêmes objectifs, mais divergeons sur l'étage ultime. L'Hadopi a fait reculer le nombre des infractions. Répétons que nous ne cassons pas l'instrument sinon certains en déduiront qu'ils peuvent reprendre leurs vieilles habitudes. Ne serait-il pas plus raisonnable de considérer que l'Hadopi est destinée à durer ? Créée il y a 4 ans, elle s'est déjà adaptée à de nombreuses évolutions. Il est légitime de réfléchir à une modification des structures. Comme la ministre a indiqué qu'un autre texte interviendrait, utilisons ce temps pour déterminer le rôle que peut jouer l'Hadopi dans un autre dispositif. Ne refusons pas les évolutions, mais ne cassons pas l'instrument sans avoir déterminé comment atteindre l'objectif.

M. David Assouline, rapporteur. - La question est la suivante : faut-il maintenir des structures séparées ou transférer les missions de l'Hadopi au CSA ? Comment ne pas se poser cette question dans une loi qui concerne le CSA, sa gouvernance, ses compétences ? L'opinion s'en est déjà saisie. On peut discuter du délai. Toutefois, j'ai le sentiment que bientôt il n'y aura plus de débat, tant la situation se détériore à un rythme inquiétant depuis le milieu de l'an passé. Ceux qui ont soutenu la création de l'Hadopi seront prompts à voir dans ce rapprochement un acte politique. À titre personnel, j'avais vu en cette instance un instrument en faveur de la protection du droit d'auteur et de la prévention. Il y a eu des résultats, mais la dégradation que l'on constate appelle une réponse.

Mme Mireille Imbert-Quaretta. - Depuis le discours du Bourget, les agents de l'Hadopi connaissent l'intention du Président de la République de remplacer l'autorité. Avant cela, son prédécesseur avait indiqué sa volonté de passer à une Hadopi 3. Pourtant, depuis quatre ans, les agents, confrontés à une incertitude permanente, continuent à faire leur travail. Leur expertise est précieuse. Internet, c'est toute une culture : les Internet Protocol (IP) flottantes, dynamiques, les adresses Media Access Control (MAC), etc. Ils ont mis sur pied des missions qui ne sont pas mises en cause ; ils souhaitent que celles-ci se poursuivent.

La suppression d'une autorité administrative indépendante est-elle la seule solution ? Accepterions-nous au détour d'un débat ancré dans l'urgence la mort de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), comme le préconise un rapport parlementaire ? Sans doute pas ! Le CSA lui-même a évolué, héritier de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) et de la Haute autorité.

À côté de la greffe, il y a la fusion : créons une nouvelle autorité, comme on l'a fait en créant le Défenseur des droits. Ainsi l'ensemble des missions seraient préservées. Rien ne justifie une action dans l'urgence. Un simple transfert des missions n'apportera pas davantage de moyens au CSA pour les remplir que n'en a l'Hadopi. Nous sommes inquiets.

M. David Assouline, rapporteur. - Vos interventions tranchent avec tout ce que j'avais entendu. J'en prends acte en me félicitant de l'utilité de nos auditions.